Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2019 TCDP 22

Date : le 17 mai 2019

Numéro du dossier : T2224/4617

 

Entre :

Glenn Brunskill

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Société canadienne des postes

l'intimée

Décision

Membre : Gabriel Gaudreault

 



I.  Mise en contexte

[1]  M. Glen Brunskill est le plaignant dans le présent dossier. Il a travaillé pour la Société canadienne des postes (« la Société ») entre 1992 et janvier 2015, pour laquelle il a occupé plusieurs postes au sein de la Société. Ultimement, il occupait le poste de facteur. Durant son emploi, M. Brunskill a subi une importante blessure au dos. En mars 2013, lors de son retour au travail au sein de la Société suivant un Protocole d’entente, il a informé la Société de sa situation médicale l’empêchant de reprendre son poste de facteur. Il demande ainsi un accommodement. Il prétend, entre autres, que  la Société ne s’est pas acquittée de son obligation d’accommodement et que ses agissements l’ont forcé à partir à la retraite prématurément, ce qu’il a effectivement fait le en janvier 2015.

[2]  Il a déposé, le 27 octobre 2015, une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») en vertu de l’article 7(b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (« LCPD ») prétendant que la Société l’a directement ou indirectement défavorisé en cours d’emploi, et ce, en raison de sa déficience. Cette plainte a été référé au Tribunal le 10 août 2018 conformément à l’article 44(3)(a) LCDP.

[3]  Suivant les audiences qui ont été tenues à Brampton (Ontario) du 11 au 14 septembre 2018 et suivant l’ensemble de la preuve soumise au dossier, je juge que la plainte de M. Brunskill est partiellement fondée, et ce, pour les motifs qui suivent.

II.  Requête en non-lieu déposée par l’intimée pendant l’audience

[4]  Durant la deuxième journée d’audience, la Société a annoncé son intention de déposer une requête en non-lieu. Avant de ce faire, elle a demandé l’autorisation au Tribunal afin d’être exemptée de faire un choix (traduction « to elect »). En d’autres mots, elle a demandé au Tribunal d’entendre sa requête en non-lieu tout en ayant la possibilité, dans le cas où la requête serait rejetée, de présenter sa propre preuve. Le Tribunal devait donc décider s’il obligeait la Société à faire un choix.

[5]  Suivant les représentations des parties, le Tribunal  a été en mesure de rendre sa décision oralement à l’audience. Néanmoins, je juge à propos de résumer la position des parties dans cette décision écrite et de résumer les motifs au soutien de ma décision rendue le 13 septembre 2018.

[6]  Tout d’abord, la Société a plaidé qu’il était clair que la tendance jurisprudentielle du Tribunal est à l’effet que lorsqu’une partie dépose une requête en non-lieu, elle n’est pas dans l’obligation de faire un choix entre le dépôt de la requête et la présentation de sa preuve.

[7]  Au moment où la requête en non-lieu a été déposée, la Société a estimé que M. Brunskill n’avait pas réussi à prouver les éléments essentiels au soutien de sa demande ou de présenter une preuve fiable lui permettant de rencontrer le fardeau de son dossier. Ce faisant, l’intimée a allégué qu’elle ne devrait pas être contrainte de présenter une réponse.

[8]  La Société a déposé de la jurisprudence au soutien de sa demande notamment Filgueria c. Garfield Container Transport inc., 2005 TCDP 30, Filgueria c. Garfield Container Transport inc., 2006 CF 785 et Fahmy c. L’Autorité aéroportuaire du Grand Toronto, 2008 TCDP 12 [Fahmy]. De ces décisions émanent des considérations que les tribunaux et cours de justice ont employées comme guides quant à la question du choix. Trois considérations ressortent de ces décisions : les coûts, une réponse à l’argument que la partie qui dépose une telle requête peut « sonder le terrain », en d’autres termes, prendre le pouls du Tribunal et enfin, le bien-fondé de la demande elle-même.

[9]  Quant aux coûts, la Société a allégué que le contexte en matière civile est différent de celui des droits de la personne. Sous la LCDP, il n’est pas possible de récupérer les coûts à la fin d’un litige puisque le Tribunal n’a pas le pouvoir d’ordonner les dépens.

[10]  L’intimée a également allégué que les frais pour elle étaient réels; elle devait appeler un témoin résidant dans la région d’Ottawa et devait faire venir deux autres témoins de Toronto. Elle ajouta que le processus quasi judiciaire encourait des coûts non seulement pour elle, mais aussi pour le plaignant ainsi que le public puisque le Tribunal devrait prendre du temps afin d’entendre l’entièreté de la plainte. Selon la Société, toutes ces dépenses pourraient être évitées si le Tribunal accordait la requête en non-lieu.

[11]  L’intimée a, par la suite, abordé l’argument à l’effet que la partie déposant la requête en non-lieu puisse « sonder le terrain », c’est-à-dire qu’elle bénéficie du dépôt d’une telle requête puisque le décideur pourrait potentiellement révéler son idée sur la cause. Ce faisant, cela pourrait créer un avantage pour elle. Selon la Société, la fonction du Tribunal n’est pas de « sonder le terrain » dans ce type de requête, mais plutôt celle de décider s’il y a existence d’éléments au soutien des allégations du plaignant. Selon elle, le membre instructeur n’est pas dans une situation où il doit pondérer la preuve et il n’y a rien non plus à commenter si la requête en non-lieu échoue ; son jugement demeure suspendu et sa neutralité est sauvegardée.

[12]  Quant au bien-fondé de la demande, la Société estimait avoir déposé sa requête de bonne foi, qu’elle n’était pas frivole et n’avait pas pour but d’entraver la justice. Selon elle, la demande était faite dans l’intérêt du public et dans le but d’éviter un litige qui n’était peut-être pas nécessaire. Conséquemment, cela pouvait potentiellement éviter la ponction des ressources des parties impliquées.

[13]  Suivant les représentations de la Société, le Tribunal a donné l’occasion à M. Brunskill de faire des représentations relativement à cette requête. Il a informé le Tribunal qu’il n’avait pas de représentations à faire.

[14]  Pour les raisons suivantes, j’ai rejeté la demande de la Société à l’effet qu’elle soit exemptée de faire un choix. Par conséquent, elle a décidé de ne pas présenter sa requête en non-lieu et de présenter sa preuve à l’audience comme prévu.

[15]  Je reconnais que la Société était tout en droit de déposer une requête en non-lieu. Il est également clair que le Tribunal a la compétence pour entendre ce type de requête. Cependant, je ne suis pas en accord avec l’intimée sur le fait que la tendance actuelle du Tribunal est claire quant à cette question d’exempter la partie demanderesse de faire un choix. Après avoir consulté la jurisprudence du Tribunal en la matière, il existe des décisions approfondies et convaincantes pour chaque option. Cela a été repris par le Membre Garfield dans les décisions Fahmy, précité, au para. 13, ainsi que dans la décision Croteau c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2014 TCDP 16, au para. 14. Il existe effectivement des décisions du Tribunal qui demandent à la partie demanderesse de faire un choix (voir notamment Chopra c. Canada (Ministère de la Santé national et du Bien-être social, 7 octobre 1999, T492/0998, Décision no.2 [Chopra], et Khalifa c. Pétrole et gaz des Indiens du Canada, 2009 TCDP 27 [Khalifa]).

[16]  Comme le rappelle la Cour fédérale ainsi que le Tribunal, la décision quant au choix en est une de procédure et le membre instructeur jouit d’une grande latitude afin de demander ou d’exempter la partie demanderesse de faire un choix. Cela dépendra des circonstances particulières de chaque cas.

[17]  Quant aux coûts pour le public ainsi que pour le Tribunal, le Tribunal était déjà présent afin d’entendre la plainte. Ce déplacement ainsi que les coûts afférents étaient planifiés depuis plusieurs mois. De plus, le temps estimé et prévu pour l’audience était fort raisonnable. J’étais ainsi prêt à poursuivre l’audience et était confiant que le dossier pourrait être clos dans les quatre jours prévus. Considérant qu’il s’agissait de la troisième journée d’audience et que si un débat devait avoir lieu sur la requête en non-lieu, il y avait fort à parier que cela aurait débordé sur la quatrième et dernière journée d’audience. M. Brunskill aurait également nécessité du temps pour préparer sa réponse à une telle requête puisque les conséquences pouvaient être fatales pour le dossier, c’est-à-dire qu’elle pourrait mener au rejet de sa plainte. Dans les faits, le résultat était exactement le même, c’est-à-dire que l’audience aurait duré, à toute fin, quatre jours.

[18]  Relativement à la considération des coûts pour les parties, il faut garder à l’esprit que l’audience était très courte. Le plaignant n’avait aucun témoin et donc, n’avait aucun coût relié à des assignations. Il n’avait pas non plus l’intention de déposer de documents (ou très peu). Le plaignant n’était pas représenté et n’avait donc aucuns frais de représentation. Son temps et son déplacement étaient les seuls frais qu’il devait assumer. Les coûts encourus par le plaignant n’étaient donc pas un argument convaincant.

[19]  Quant à l’intimée, elle n’appelait que trois témoins : deux de Toronto et un d’Ottawa. Les coûts sont évidemment un facteur que le Tribunal doit prendre en considération. La Société n’a pas démontré que les coûts anticipés étaient si importants que cela constituait une circonstance spéciale et, par le fait même, un facteur déterminant dans l’analyse du choix.

[20]  Quant à l’argument « sonder le terrain », je suis en accord avec les représentations de l’intimée quant aux fonctions du Tribunal dans le traitement d’une requête en non-lieu. Je suis conscient que lorsque le membre instructeur décide d’une requête en non-lieu, il doit se limiter à pondérer la preuve qui a été déposée afin de déterminer s’il existe des éléments au soutien des allégations du plaignant. Ce faisant, le jugement du membre demeure suspendu et sa neutralité demeure intacte. Bien qu’il s’agisse d’un élément à prendre en considération selon la jurisprudence déposée par la Société dans le cadre d’une requête en non-lieu, mon rôle est de soupeser tous les facteurs devant être pris en considération. J’ai jugé que ce facteur n’était pas déterminant dans le cas en l’espèce.  

[21]  Enfin, quant à l’argument du bien-fondé de la demande, il n’y avait aucune indication démontrant que la demande de la Société était frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi. Comme mentionné précédemment, je reconnais qu’une partie intimée est tout en droit de déposer une requête en non-lieu ayant notamment pour fonction de se protéger des procédures frivoles, abusives, vexatoires ou entachées de mauvaise foi qui peuvent être déposées contre elle. Néanmoins, j’ai jugé que le membre Hadjis, dans sa décision Khalifa, au para. 8, avait tenu des propos très intéressants à ce sujet en soulevant que c’est la Commission qui est en mesure d’évaluer si les plaintes sont frivoles, abusives, vexatoires ou entachées de mauvaise foi lorsqu’elle décide, ou non, de les référer au Tribunal:

[…] L’alinéa 41(1)d) de la Loi canadienne des droits de la personne (la Loi) prévoit que la Commission statuera sur toute plainte dont elle sera saisie à moins qu’elle estime que cette plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi. Les intimés peuvent présenter des observations à la Commission en vue de faire rejeter, pour de pareils motifs, les plaintes déposées à leur encontre, et dans le cas où la Commission décide de quand même statuer sur la plainte et la renvoie finalement au Tribunal, les intimés ont encore la possibilité de demander un contrôle judiciaire de la décision de la Commission. Ainsi, il ne me semble pas qu’il soit très exact de prétendre qu’un intimé faisant face à une plainte frivole ou vexatoire n’aura guère d’autres recours que d’être partie à une audience du Tribunal en bonne et due forme. Compte tenu des garde‑fous prévus par la Loi, il semble hautement improbable que des plaintes véritablement frivoles ou vexatoires parviennent jamais devant le Tribunal.

[Le Tribunal souligne]

[22]  Cela étant dit, existait-il d’autres circonstances me justifiant d’exempter l’intimée de faire un choix? J’ai jugé que les délais pourraient être une autre considération, mais encore une fois, l’audience prévue avait une durée courte pour un dossier procédant devant le Tribunal. L’audience se déroulait bien et j’étais optimiste que le dossier pouvait se terminer dans les délais prévus. Ce faisant, les délais n’ont pas été un facteur déterminant dans ma décision.

[23]  En conclusion, la Société ne m’avait pas convaincu qu’elle devrait être dispensée de faire un choix. Il lui était donc loisible de poursuivre avec sa requête en non-lieu, mais devait faire le choix de ne pas présenter de preuve si sa requête était rejetée. L’intimée a décidé de retirer sa requête en non-lieu et le dossier s’est donc déroulé comme prévu.

III.  Faits

[24]  M. Brunskill a été un employé de la Société de 1992 jusqu’à sa retraite, en janvier 2015. Durant ces années de services, il a occupé différents postes au sein de la Société notamment commis de poste et ultimement, facteur.

[25]  Le 1 mars 2012, le plaignant a été congédié pour des raisons qui ne sont pas en jeu dans la plainte, suivant lequel il a déposé un grief. Un protocole d’entente a été signé le 19 mars 2013 entre la Société, le plaignant, ainsi que son représentant syndical, le réintégrant dans son poste de facteur à l’établissement Brampton Nord. La réintégration a été prévue le 20 mars 2013. Lorsque M. Brunskill retourne au travail le 20 mars 2013, il informe la Société qu’il n’est pas en mesure d’effectuer la tâche de facteur en raison d’une blessure au dos qu’il a subi par le passé.

[26]  Le plaignant s’était préalablement blessé sur son lieu de travail alors qu’il occupait le poste de facteur. Il a expliqué qu’il portait un lourd sac double afin de transporter et livrer le courrier. Il est tombé avec son sac et a subi un choc important sur sa colonne vertébrale, l’empêchant de poursuivre son travail. À la suite de cette chute, il a dû consulter un docteur et ses tâches ont dû être modifiées. À la demande du plaignant, la Société lui a donc trouvé, de manière temporaire, un poste modifié soit celui de commis au réacheminement du courrier (ci-après « commis DRS ») à l’établissement de Malton. Il s’agit d’un des postes les plus sédentaires à être offert au sein de l’intimée.

[27]  La Société n’est pas celle qui confirme et établit les limitations médicales d’un employé : elle fait affaire avec une firme externe, Great-West/Morneau Sheppell (ci-après GW/MS), qui détient cette responsabilité. Sans avoir la prétention de saisir toutes les subtilités du traitement des demandes à GW/MS, le Tribunal comprend que la demande d’un employé est envoyée à la firme GW/MS où un conseiller en gestion d’invalidité (traduction « disability case manager ») prend le dossier en charge. Par la suite, une équipe médicale se penche sur la situation médicale de l’employé. Enfin, la firme informe la Société des restrictions médicales de l’employé et, le cas échéant, si ces restrictions sont temporaires ou permanentes. Elle peut également soumettre à la Société des recommandations d’accommodement.

[28]  Lorsque la Société a modifié les tâches du plaignant en mars 2013, elle l’a fait sans avoir eu accès aux restrictions médicales de ce dernier. Il s’agissait d’un accommodement temporaire, et ce, le temps que les restrictions médicales du plaignant soient confirmées et établies par la firme GW/MS. La Société avait également jugé, à ce moment, que ce travail était sécuritaire pour le plaignant.

[29]  C’est dans ce contexte que M. Brunskill occupe, à temps plein, ce poste de commis DRS à l’établissement de Malton du 20 mars 2013 au 13 septembre 2013. La preuve révèle que ce travail modifié, bien que l’intimée n’ait reçu les restrictions médicales de M. Brunskill que plus tard durant l’été, était un accommodement qui fonctionnait bien dans les circonstances. Tant le plaignant que la Société en étaient satisfaits.

[30]  Le 21 août 2013, la Société reçoit une lettre de GW/MS qui confirme et énumère les restrictions médicales du plaignant. Sans entrer dans les détails, ces restrictions incluaient entre autres des limitations quant à la durée de marche, quant au poids maximal que le plaignant pouvait soulever, quant aux durées maximales en position debout ou assise ainsi que des limitations à tirer ou à pousser des objets.

[31]  Suivant la réception des restrictions médicales le 21 août 2013, le plaignant est demeuré en poste comme commis DRS à l’établissement de Malton. La preuve révèle que l’accommodement mis en place le 20 mars 2013 répondait bien aux restrictions médicales du plaignant.

[32]  Le 13 septembre 2013, l’établissement de Malton ferme ses portes en raison d’une restructuration des services chez la Société et le poste qu’occupait M. Brunskill a été aboli. L’intimée était bien au fait, depuis plusieurs mois, que cet établissement allait faire l’objet d’une restructuration et il était clair pour elle que ce poste de commis DRS était un accommodement temporaire.

[33]  Suivant l’abolition du poste, la Société n’a pas été en mesure de trouver pour le plaignant un autre poste qui respecterait ses limitations. En conséquence, le plaignant a été invité à réclamer des prestations d’invalidité de courte durée (ci-après « prestations d’ICD »), ce qu’il a effectivement fait. Le Tribunal comprend qu’il s’agit de la pratique chez l’intimée, c’est-à-dire que lorsqu’un employé ne peut être accommodé en raison de sa situation médicale, il est invité à déposer une réclamation afin de recevoir des prestations d’ICD.

[34]  Comme le plaignant se retrouvait sans poste, la Société a effectué des recherches afin d’identifier un autre accommodement. Le 25 septembre 2013, elle l’informe avoir trouvé un travail modifié qui respecterait ses restrictions médicales. Il s’agit d’un poste de commis VES (Video Encoding System, ci-après « commis VES »). Le plaignant devait cependant suivre et réussir une formation avant d’être assigné à ce poste. La formation a débuté le 30 septembre 2013. Le Tribunal comprend que durant cette formation, le plaignant était rémunéré.

[35]  Comme demandé, M. Brunskill a participé à la première étape de la formation afin d’améliorer ses aptitudes de saisie au clavier. Toutefois, il n’a pas été en mesure d’atteindre les objectifs nécessaires afin de réussir cette étape et de poursuivre aux étapes suivantes de la formation. La Société a ainsi offert aux plaignants de la formation supplémentaire afin qu’il perfectionne davantage ses aptitudes en saisie de clavier. Malgré cela, l’intimée a évalué que les chances de succès du plaignant à la formation n’étaient pas suffisantes, ce qui n’est pas contesté par le plaignant. La formation de M. Brunskill a donc pris fin le 10 octobre 2013 et il a dû attendre que l’intimée lui trouve un autre accommodement. La Société s’est donc remise à la recherche d’un poste modifié qui respecterait les restrictions médicales du plaignant.

[36]  Le 30 octobre 2013, GW/MS approuve l’invalidité de courte durée du plaignant en raison de sa situation médicale, et ce, rétroactivement en date du 16 septembre 2013. M. Brunskill a donc bénéficié des prestations d’ICD pour son absence au travail en septembre 2013 ainsi qu’après la fin de la formation en octobre 2013. L’invalidité de courte durée a été approuvée jusqu’au 31 décembre 2013. Le 31 décembre 2013, GW/MS a confirmé que l’invalidité de courte durée de M. Brunskill était toujours approuvée, pour la période entre 1er janvier et le 23 février 2014. Elle a approuvé de nouveau l’invalidité de courte durée pour la période du 24 février 2014 au 13 avril 2014. Cette période représentait la dernière période d’admissibilité de M. Brunskill aux prestations d’ICD de GW/MS. M. Brunskill n’a donc plus reçu d’ICD à partir du 13 avril 2014.

[37]  Outre le poste potentiel de commis VES dont le plaignant n’a pas réussi la formation, la Société n’a pas été en mesure d’identifier d’autres accommodements pour le plaignant qui respecteraient ses restrictions médicales pendant une période de 30 semaines, s’échelonnant entre le 16 septembre 2013 et le 13 avril 2014. Pendant ce temps, M. Brunskill bénéficiait de prestations d’ICD. Le montant de ces prestations était, dans les faits, équivalent à 100% de son salaire. Sans entrer dans tous les détails, chez la Société, les prestations d’ICD qu’un employé peut recevoir s’élèvent à 70% du salaire. Il est néanmoins possible de compenser le 30% manquant en utilisant des crédits complémentaires (traduction « top-up credits ») qui sont notamment obtenus par le biais de congés de maladie accumulés et qui sont convertis en crédits complémentaires. Considérant l’ancienneté de M. Brunskill et les crédits accumulés au cours de ses nombreuses années de service, les sommes qu’il recevait s’élevaient à 100% de son salaire.

[38]  Vers la 22e semaine de la période d’invalidité de courte durée, la pratique de la Société est d’inviter l’employé qui est toujours invalide et absent du travail à remplir une trousse afin de réclamer des prestions d’invalidité de longue durée (ci-après « prestations d’ILD »). Autre fait à noter, les prestations d’ILD ne sont pas prises en charge par GW/MS, mais par la Financière SunLife. Le 12 février 2014, la Société a envoyé cette trousse à M. Brunskill qui ne l’a malheureusement jamais reçue. Le 13 avril 2013, les prestations d’ICD du plaignant ont pris fin et donc, à partir du 14 avril 2013, il se retrouvait sans revenu.

[39]  Le 29 avril 2014, la Société a appris que cette trousse n’a jamais été reçue par M. Brunskill. Elle a donc renvoyé une seconde trousse que le plaignant a nécessairement remplie puisque le 26 mai 2014, la Financière SunLife a rejeté sa réclamation de prestations d’ILD. Pendant ce temps, le plaignant est demeuré sans revenu et a attendu que la Société identifie un poste respectant ses restrictions médicales.

[40]  À la suite du rejet de sa réclamation de prestations d’ILD par la Financière SunLife, le plaignant a été référé de nouveau au conseiller en gestion d’invalidité de la firme GW/MS afin que sa situation médicale soit mise à jour. Il devait fournir au plus tard le 20 juin 2014 des informations à jour sur sa condition médicale, mais la firme n’a pas reçu les informations demandées. Le 25 juin 2014, elle a contacté le plaignant afin de clarifier la situation. Dr Matthew, le médecin traitant de M. Brunskill, était absent du bureau et son retour était prévu vers la mi-août 2014. Une extension au 3 juillet 2014 a donc été accordée à M. Brunskill afin qu’il fournisse les informations demandées. Le 9 juillet 2014, la firme GW/MS était toujours en attente des informations nécessaires. Selon les notes du conseiller en gestion d’invalidité, il semblerait que le médecin traitant du plaignant refusait de remplir les documents requis par la firme. M. Brunskill a également témoigné que son médecin était exaspéré par toutes les demandes de la firme et de la Société afin de remplir les documents afin de mettre son dossier à jour.

[41]  Dr Matthew n’a pas été appelé comme témoin à l’audience. Les seules informations que le Tribunal détient quant à ces circonstances spécifiques se retrouvent dans les notes du conseiller en gestion d’invalidité, M. Andrew Rivers, et le témoignage de M. Brunskill. M. Rivers n’a pas été appelé comme témoin non plus. Pour le Tribunal, les circonstances entourant le refus du médecin de remplir les formalités demandées sont nébuleuses. Le Tribunal comprend que Dr Matthew était absent, et ce, jusqu’à la mi-août 2014. Cela étant dit, même si le Dr Matthew avait refusé de fournir des informations demandées, cela ne change rien au fait que la firme GW/MS, en date du 9 juillet 2014, était toujours en attendre des informations nécessaires à la mise à jour.  

[42]  Le plaignant a informé le conseiller qu’il allait prendre les mesures nécessaires pour fournir les informations demandées, ce qu’il a effectivement fait. Le 14 juillet 2014, il a fourni une note médicale du Dr Simarjot Grewal, un collègue du Dr Matthew. Je considère qu’il est à propos de reprendre l’entièreté de la lettre du Dr Grewal :

To Whom it May Concern,

Dr. Matthew is on temporary leave until mid-August 2014. He will be able to provide an updated medical assessment for Mr. Glenn Brunskill upon is[sic] return.

Until this time, Mr. Brunskill may return to work at his former position of DRS Clerk or MSC Driver.  

[43]  Cette lettre est importante puisque M. Brunskill a expliqué au Tribunal qu’il estimait avoir rempli la demande de la firme GW/MS et de la Société. Selon lui, cette lettre fournissait une mise à jour de sa situation médicale et confirmait qu’il pouvait travailler comme commis DRS ou conducteur pour le courrier des services postaux (Mail service Courier driver) (ci-après « conducteur MSC »). Quant à la Société, il était clair pour elle que cette lettre n’offrait pas une mise à jour de la situation médicale du plaignant. Selon elle, il était explicitement écrit dans la lettre du médecin qu’une mise à jour de la situation médicale du plaignant sera transmise par le Dr Matthew, médecin traitant, au retour de son absence.

[44]  Cela étant dit, et bien que le plaignant et l’intimée ne s’entendent pas sur la caractérisation et la portée d’une telle lettre, la preuve révèle que la Société a tout de même évalué les options énumérées. Il n’y avait pas de poste de commis DRS de disponible et quant au poste de conducteur MSC, l’intimée a estimé que les restrictions médicales connues du plaignant ne lui permettaient pas d’effectuer ce type de travail. Chaque poste de la Société a été évalué par une firme externe. Cette évaluation inclut, entre autres, les exigences physiques du poste. Ces évaluations sont utilisées par la Société quand elle doit déterminer si un employé, considérant ses restrictions médicales, peut accomplir les tâches liées au poste en question.

[45]  La Société a jugé qu’en raison des restrictions médicales connues de M. Brunskill, le poste de conducteur MSC n’était pas adéquat. Certains représentants du syndicat, dont certains étaient ou ont été conducteurs MSC, croyaient également que ce poste ne respectait pas les limitations médicales du plaignant.

[46]  Le 26 août 2014, Dr Matthew a fourni, comme requis, une mise à jour des restrictions médicales du plaignant. La firme GW/MS a transmis une correspondance à l’intimée l’informant que les limitations médicales de M. Brunskill étaient inchangées. Dans cette correspondance, M. Michael Sarazin, conseiller en gestion d’invalidité, a confirmé avoir discuté avec le médecin traitant du plaignant et a énuméré, de nouveau, les restrictions médicales de ce dernier.

[47]  Bien que le conseiller ait informé la Société que les restrictions étaient inchangées, il s’avère qu’à la lecture même des restrictions, certaines différences existaient. En effet, les restrictions médicales datées du 26 août 2014 étaient plus restrictives que celles datées du 21 août 2013. Par exemple et sans reprendre toutes les restrictions en détail, alors qu’au 21 août 2013, le plaignant était autorisé à soulever des objets jusqu’à un maximum de 20 livres entre la taille et les épaules, cette latitude n’était plus autorisée dans les nouvelles restrictions du 26 août 2014. De plus, il était autorisé à soulever des objets de 5 livres maximum du plancher à la taille et de la taille aux épaules de façon fréquente. Dans les nouvelles restrictions, pour les mêmes mouvements, la limite était alors de 5 livres, et ce, qu’en de rares occasions. Enfin, le temps de marche consécutif avait également été réduit de 15 minutes à 5 minutes maximum.

[48]  Lorsque l’intimée a reçu la mise à jour des restrictions médicales du plaignant en date du 26 août 2014, elle a effectué une nouvelle recherche afin de lui trouver du travail modifié qui respecterait ses nouvelles limitations. Un poste vacant a été identifié, plus précisément comme commis des postes, retour à l’expéditeur, à Port Credit, et débutant le 10 septembre 2014. Ce poste ressemblait beaucoup à celui de commis DRS que le plaignant avait occupé de mars à septembre 2013, à Malton. Cependant, il était à temps partiel, à raison de 4 heures par jour. Le plaignant avait également l’aide d’un assistant, une personne qui pouvait déplacer les colis plus lourds, lorsque nécessaire. Avec l’aide de cette personne, M. Brunskill était en mesure, tout en tenant compte de ses limitations médicales, d’effectuer la grande majorité des tâches de ce poste.

[49]  La preuve révèle que le plaignant n’était pas particulièrement au fait de ses conditions de travail. Il n’a reçu aucune documentation, aucune lettre de convocation. Il a uniquement reçu un téléphone d’une femme inconnue lui demandant de se présenter au travail le 10 septembre 2014, ce qu’il a fait. C’est une fois en fonction que M. Brunskill apprend que le poste en question était à temps partiel. Le plaignant était en colère et croyait que l’intimée tentait de le rétrograder, en contravention de sa convention collective. Il a, par la suite, expliqué qu’il a continué de faire le travail offert pendant un certain temps afin « d’avoir les pieds dans l’entreprise ». Comme cela, il pouvait consulter les différents postes disponibles au sein de la Société et qui étaient affichés notamment sur le tableau d’affichage des postes. Cet accommodement est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase chez le plaignant. C’est ce qui l’a décidé à prendre les mesures qu’il jugeait appropriées. Le plaignant a déposé certains courriels démontrant qu’il a effectivement contacté certaines personnes, notamment du syndicat, afin de faire bouger les choses, et ce, en septembre et en octobre 2014. Il est clair pour le Tribunal que dans ces messages, le plaignant exprime son incompréhension de la situation et verbalise la détresse dans laquelle il se trouve.

[50]  M. Brunskill n’était pas d’accord de travailler à temps partiel à Port Credit. Il a maintenu la position que la Société avait l’obligation de lui trouver un travail modifié à temps complet. Il a exprimé au Tribunal que les revenus à temps partiel n’étaient pas suffisants et que malgré avoir effectué des heures de travail dans ce poste en septembre et octobre 2014, il a éventuellement reçu des chèques de paie de la Société au montant de 0$.

[51]  À ce sujet, la preuve déposée à l’audience, plus particulièrement les avis de paiement de salaire de M. Brunskill déposés par l’intimée, démontre qu’il a plutôt reçu un salaire de 1513,09$ pour le travail effectué entre les 14 et 27 septembre 2014. Entre les 28 septembre et 11 octobre 2014, il a reçu un salaire de 1026,16$. Entre les 12 et 25 octobre 2014, la preuve révèle que M. Brunskill est en déficit de 124,59$ envers son employeur. En regardant attentivement cet avis de paiement, le Tribunal note qu’il y a un recouvrement de sommes versées en trop. Ce montant est significatif et il en résulte que la paie du plaignant se retrouve, dans les faits, à être négative. Enfin, pour la période de paie du 26 octobre au 8 novembre 2014, la paie de M. Brunskill est relativement minime soit de 177,54$. Encore une fois, un recouvrement des sommes versées en trop est appliqué.

[52]  M. Brunskill a cessé de travailler à Port Credit le 24 octobre 2014 et n’a donc pas reçu de salaire suivant cette date. Le 12 novembre 2014, la Société envoie une correspondance à M. Brunskill lui expliquant qu’une somme additionnelle de 1000$ lui a été versée comme avance sur sa paie couvrant la période du 26 octobre au 8 novembre 2014. Cette lettre expliquait également les modalités de recouvrements de cette avance.

[53]  Enfin, M. Brunskill a allégué que l’intimée ne lui a pas donné d’autres choix que de liquider tous les congés qui lui étaient disponibles, incluant ses congés personnels, ses congés de préretraite, ses congés annuels et ses crédits complémentaires (pour traduction « top-up crédits ») puis de prendre sa retraite. Il parle donc de congédiement déguisé. Cela dit, la preuve révèle que M. Brunskill a effectivement utilisé tous ses congés, et ce, à partir du 24 octobre 2014 (pièce C-6). Selon lui, si tous ses congés étaient pris dans le bon ordre, il pouvait prendre sa retraite le 31 janvier 2015. La preuve révèle qu’il a effectivement envoyé son avis de retraite le 26 janvier 2015.

[54]  La Société, quant à elle, a nié avoir voulu rétrograder M. Brunskill. Elle maintient que lorsqu’elle a reçu les restrictions médicales mises à jour par la firme GW/MS le 26 août 2014, elle a effectué une recherche de postes qui respecteraient ses restrictions. La preuve révèle que les recherches ont été fructueuses et qu’un poste était disponible pour M. Brunskill. Ce poste, à Port Credit, a été adapté selon les restrictions du plaignant, par exemple en mettant à sa disposition un assistant afin de déplacer les paquets lourds. Ce travail était à temps partiel et débutait le 10 septembre 2014. La preuve révèle également que M. Brunskill, bien qu’il effectuait un poste à temps partiel, était tout de même considéré comme un employé à temps plein au sein de la Société.

[55]  Elle a ajouté que si le plaignant a décidé de prendre ses congés et de prendre sa retraite, il l’a fait de son propre chef et qu’il ne s’agit pas d’un congédiement déguisé. La preuve révèle effectivement que la Société n’a pas demandé à M. Brunskill de prendre sa retraite. En fait, M. Brunskill a mis l’intimée devant le fait accompli. Cette question, à savoir si le plaignant a été forcé de prendre sa retraite, sera abordée ultérieurement.

IV.  Cadre juridique

[56]  M. Brunskill doit rencontrer le fardeau de son dossier. C’est ce qui est traditionnellement appelé une preuve prima facie de discrimination.

[57]  Avant de continuer l’analyse, je tiens à faire miens les commentaires de mon collègue Susheel Gupta, dans sa décision Emmett c. Agence du Revenu du Canada, 2018 TCDP 23 [Emmett] et qui, notamment, reprend l’analyse du membre Cousineau dans la décision Vik v. Finamore (No. 2), 2018 BCHRT 9. Sans reprendre l’entièreté de leurs propos, l’utilisation de l’expression « une preuve prima facie de discrimination », lorsqu’il est question du fardeau qui repose sur les épaules du plaignant afin de prouver son dossier, n’est pas utile. Elle est notamment source de confusion et peut mener à une interprétation erronée de l’analyse applicable en matière des droits de la personne. Elle peut également donner l’impression aux plaignants que cela est identique à une conclusion de discrimination alors que la LCDP prévoit, par exemple, qu’un employeur peut justifier la discrimination; si la discrimination est justifiée, il n’y a pas tout simplement pas existence de discrimination (voir article 15 LCDP). À l’inverse, pour les intimées, cette expression peut donner l’impression d’avoir discriminé avant même d’avoir pu justifier leurs actions et conduites.

[58]  Dans la même veine, j’estime que les maximes latines éloignent le Tribunal du public qu’il dessert, incluant souvent des personnes n’ayant pas de formation juridique. Cela n’aide en rien à comprendre le processus du Tribunal ainsi que l’analyse applicable. Cela ne veut pas dire que l’analyse doit cependant changer. Le point est qu’un langage simple devrait être privilégié.

[59]  Tel que rappelé dans la décision Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpson-Sears, [1985] 2 RCS 536, au para. 28 [Simpson-Sears], pour qu’un plaignant rencontre le fardeau de son dossier, il doit « faire une preuve suffisante jusqu'à preuve contraire qu'il y a discrimination. Dans ce contexte, la preuve suffisante jusqu'à preuve contraire est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l'absence de réplique de l'employeur intimé ».

[60]  En vertu de l’article 7(b) LCDP, M. Brunskill doit donc démontrer les trois aspects suivants :

(1)  qu’il avait un motif de distinction illicite protégé par la LCDP (dans le cas en l’espèce, la déficience);

(2)  qu’il a été défavorisé en cours d’emploi (conformément à l’alinéa 7(b) LCDP);

(3)  que le motif de distinction illicite protégé (la déficience) a été un facteur dans le traitement défavorable qu’il a subi en cours d’emploi;

(voir notamment Moore c. Colombie-Britannique (Éducation), [2012] RCS 61, au para.33 [Moore])

[61]  Tel qu’énoncé dans la décision Commission des droits de la personne et de la jeunesse c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39 et 44 à 52 [Bombardier], le standard applicable est celui de la preuve prépondérante et il n’est pas nécessaire de démontrer que le motif de distinction illicite protégé par la LCDP a été le seul facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable subit par le plaignant.

[62]  La discrimination n’est habituellement pas exercée directement ou intentionnellement. Tel qu’évoqué dans la décision Basi c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 1988 CanLII 108 (TCDP) [Basi], une preuve directe de discrimination n’est pas nécessaire, de même qu’il n’est pas nécessaire de démontrer une intention de discriminer (voir également Bombardier, précité, aux paras. 40 et 41). Il est du rôle du Tribunal d’analyser les circonstances de la plainte, et ce, afin de déterminer s’il existe de subtiles odeurs de discrimination.

[63]  Lorsque le Tribunal analyse des preuves circonstancielles, la discrimination peut être inférée lorsque la preuve qui est présentée au soutien des allégations de discrimination rend une telle inférence plus probable que les autres inférences ou hypothèses possibles (voir Basi, précité; Chopra c. Canada (Ministère de la Santé nationale et du bien-être social), 2001 CanLII 8492 (TCDP)). La preuve de discrimination, même circonstancielle, doit néanmoins être tangiblement liée à la décision ou à la conduite reprochée à l’intimée (voir Bombardier, au para. 88).

[64]  Lorsque le Tribunal doit décider si le plaignant a rencontré le fardeau de son dossier, il doit considérer la preuve dans son ensemble. Cela inclut également la preuve qui a été soumise par l’intimée. En d’autres mots, la preuve déposée devant le Tribunal par le plaignant et l’intimée ne doit pas être analysée en silos. Conséquemment, il pourrait être décidé que M. Brunskill n’a pas rencontré le fardeau de son dossier si (1) en l’absence d’une réponse de l’intimée, il échoue à présenter une preuve suffisante et qui rencontre le fardeau de son dossier, ou (2) l’intimée a été en mesure de présenter une preuve qui réfute les allégations du plaignant, et ce faisant, ne permet pas à ce dernier de rencontrer le fardeau de son dossier.

[65]  Enfin, si le plaignant est en mesure de rencontrer le fardeau de son dossier, malgré la preuve qu’aurait pu soumettre l’intimée afin de réfuter les allégations (ce qui constitue, dans les faits, la première étape du test), l’intimée a ensuite l’occasion de justifier l’acte discriminatoire (ou les actes discriminatoires) en se prévalant d’une défense prévue dans la LCDP, plus précisément à l’article 15. S’il y a une justification, il n’y a tout simplement pas de discrimination.

[66]  L’article 15(1)(a) de la LCDP prévoit que ne constitue pas un acte discriminatoire « les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l’employeur qui démontre qu’ils découlent d’exigences professionnelles justifiées ». Les faits prévus à l’article 15(1)(a) LCDP sont des exigences professionnelles justifiées si la Société démontre que les mesures destinées à répondre aux besoins de M. Brunskill constituent une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité (voir paragraphe 15(2) LCDP).

[67]  La Cour suprême, dans la décision Simpson-Sears, au paragraphe 28, a rappelé quel est le fardeau que doit rencontrer l’employeur en matière d’accommodement et de contrainte excessive. Elle mentionne que l’employeur est tenu de démontrer qu’il a pris les mesures raisonnables possibles sans subir une contrainte excessive. Ce fardeau incombe à l’employeur puisque c’est lui qui détient les informations nécessaires afin de démontrer l’existence d’une contrainte excessive. Je suis tout à fait d’accord que les plaignants n’ont que rarement  voire jamais accès à ces informations de l’employeur.

[68]  L’accommodement jusqu’à la contrainte excessive ou autrement nommée, l’accommodement dit raisonnable, a fait l’objet d’une étude détaillée par le membre Matthew D. Garfield, dans sa décision Croteau c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2014 TCDP 16. J’estime qu’il est à propos de reprendre intégralement le paragraphe 44 de sa décision :

 (1) l’obligation d’accommodement est une obligation et une démarche multipartite qui mettent en cause : l’employeur, l’employé et, s’il y a lieu, l’agent de négociation. J’ai écrit dans cette décision ainsi que dans d’autres que le processus devrait ressembler à un dialogue, et non à un monologue : Jeffrey c. Dofasco Inc., 2004 HRTO 5, conf. par (2007), 230 OAC 96 (C. div.). L’employé peut faire des suggestions quant à ses préférences, mais il doit accepter une solution raisonnable (à défaut d’être parfaite) que l’employeur propose et qui répond à ses besoins. Les limites sont celles de la contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité [10] , ou ce que l’on appelle par synonymie l’« accommodement raisonnable » : Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970. L’obligation d’accommodement n’est ni absolue ni illimitée : Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, 2007 CSC 4, au paragraphe 38 ;

(2) il est aussi mentionné, dans Renaud, que les plaignants ont le devoir de faciliter le processus d’accommodement. Dans l’arrêt Hutchinson c. Canada (Ministre de l’Environnement), 2003 CAF 133, la Cour d’appel fédérale a conclu que, lorsque l’employeur propose un accommodement raisonnable, le plaignant ne peut pas insister sur l’accommodement subsidiaire qu’il préfère, même si la mesure subsidiaire ne crée pas de contrainte excessive ;

(3) l’objectif est de répondre aux besoins de l’employé de façon à ce que ce dernier puisse accomplir les tâches essentielles de son emploi. À cette fin, il faudrait que les employeurs soient [Traduction] « innovateurs tout en étant pratiques » et fassent preuve d’imagination au moment d’examiner la meilleure façon d’atteindre cet objectif dans chaque cas : Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Comm.) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3 (Meiorin), au paragraphe 64;

(4) un employeur n’est pas tenu d’offrir un travail improductif de valeur nulle et n’a pas à changer les conditions de travail de manière fondamentale. « [I]l a cependant l’obligation d’aménager, si cela ne lui cause pas une contrainte excessive, le poste de travail ou les tâches de l’employé pour lui permettre de fournir sa prestation de travail » : Hydro-Québec c. Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et al., 2008 CSC 43, aux paragraphes 16 à 18;

(5) « l’équité dans le processus d’accommodement ne se limite pas à un examen juste de la capacité du plaignant à accomplir ses tâches. La notion d’équité comprend plutôt toutes les facettes du processus d’accommodement […] dans la mesure où cela ne cause aucune contrainte excessive ». Voir Day c. Société canadienne des postes, 2007 TCDP 43, au paragraphe 68; Meiorin, précité.

[Emphase dans l’original]

[69]  C’est à la lumière de ces préceptes que j’analyserai les faits prouvés dans le présent dossier.

V.  Analyse

A.  Le plaignant et le fardeau de son dossier

(i)  Est-ce qu’il y a existence d’un motif de distinction illicite protégé par la Loi?

[70]  Comme le Tribunal l’a mentionné antérieurement, le motif de distinction illicite invoqué par le plaignant est celui de la déficience. Comme l’a confirmé l’intimée dans ses arguments finaux, le motif allégué n’est pas contesté.

[71]  La définition de « déficience » se retrouve à l’article 25 LCDP qui stipule que :

déficience Déficience physique ou mentale, qu’elle soit présente ou passée, y compris le défigurement ainsi que la dépendance, présente ou passée, envers l’alcool ou la drogue.

[72]  Tel que rappelé dans la décision Temple c. Horizon International Distributors, 2017 TCDP 30, aux paragraphes 38 à 40, le motif de la « déficience » a fait l’objet d’interprétation notamment dans la décision Audet c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2005 TCDP 25, au para. 39 [Audet]. Dans Audet, l’interprétation de la « déficience » qu’a faite la Cour fédérale d’appel dans Desormeaux c. La Corporation de la Ville d’Ottawa, 2005 CAF 31, au paragraphe 15, est reprise. La Cour l’a défini comme étant « […] tout handicap physique ou mental qui occasionne une limitation fonctionnelle ou qui est associé à la perception d’un handicap ».

[73]  Dans le cas spécifique de M. Brunskill, sa blessure s’inscrit assurément dans cette interprétation de la déficience.

(ii)  Est-ce que le plaignant a été directement ou indirectement défavorisé en cours d’emploi?

[74]  Pour les motifs qui suivent, j’estime que le plaignant a été défavorisé en cours d’emploi.

[75]  Lors des audiences, l’intimée a tenté de mettre en preuve que le plaignant n’a pas été défavorisé en cours d’emploi et, par le fait même, n’a subi aucun effet préjudiciable. Dans ses arguments finaux, elle a maintenu la position que le plaignant n’a pas été en mesure de prouver avoir été défavorablement traité en cours d’emploi et, conséquemment, n’a pas réussi à compléter le deuxième aspect essentiel de l’analyse.

[76]  La Société a également invoqué les arrêts Simpson-Sears et Moore, arrêts clés en matière des droits de la personne qui viennent notamment mettre en place les préceptes en la matière, et plus particulièrement l’analyse applicable en matière de discrimination. Elle a expliqué que la première étape est celle de déterminer si le plaignant a rencontré son fardeau prima facie. Comme je l’ai mentionné précédemment, je préfère me demander si le plaignant a rencontré le fardeau de son dossier plutôt que de référer à cette idée de fardeau prima facie.

[77]  Cependant, l’intimée a brièvement mentionné que lorsque le Tribunal doit décider si le plaignant a rencontré le fardeau de son dossier, il est limité à analyser la preuve que le plaignant a déposée à l’audience (soit son témoignage et ses documents) et à écarter ou à ignorer la preuve déposée par l’intimée. En d’autres mots, le Tribunal devrait isoler la preuve du plaignant et, à la lumière de cette preuve uniquement, se demander s’il a rencontré le fardeau de son dossier. C’est également cohérent avec la position de la Société dans son exposé des faits (voir, par exemple, le paragraphe 30).

[78]  Comme je l’ai rappelé antérieurement, lorsque le Tribunal doit analyser la preuve qui est déposée à l’audience, il doit l’analyser dans son ensemble, comme un tout cohérent. L’arrêt Simpson-Sears énonce qu’afin que le plaignant rencontre le fardeau de son dossier, il doit :

[…] faire une preuve suffisante jusqu'à preuve contraire qu'il y a discrimination. Dans ce contexte, la preuve suffisante jusqu'à preuve contraire est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l'absence de réplique de l'employeur intimé.

[79]  Lorsque je lis ce passage de l’arrêt Simpson-Sears, je comprends que si l’intimée ne présente aucune réplique, le plaignant doit tout de même soumettre au Tribunal une preuve suffisante afin de justifier un verdict en sa faveur. J’estime que cela tombe sous le sens. La preuve que le plaignant doit déposer à l’audience doit être tangible, suffisante, afin de permettre au Tribunal de rendre un verdict en sa faveur. J’ajoute que cela respecte le seuil de la balance des probabilités, tel que rappelé dans l’arrêt Bombardier.

[80]  Cela veut également dire que si l’intimée ne présente aucune preuve et que le plaignant ne présente pas une preuve suffisante à l’audience, le Tribunal pourrait tout autant rejeter sa plainte, ce dernier n’ayant pas rencontré le fardeau de son dossier selon la balance des probabilités.

[81]  Cela dit, lorsque le Tribunal regarde la situation dans son ensemble, entre les mois d’octobre 2013 et septembre 2014, il appert que M. Brunskill a été traité défavorablement par la Société. Le Tribunal n’entreprendra pas l’exercice de décortiquer chaque événement allégué par le plaignant ou la Société afin de déterminer s’il y a existence d’un traitement défavorable. Dans l’ensemble, M. Brunskill a défavorablement été traité en cours d’emploi.

[82]  Lorsque M. Brunskill est de retour au travail suivant un protocole d’entente en mars 2013, le poste qu’il devait occuper était celui de facteur. Cependant, à cause de la blessure qu’il a subie alors qu’il était au travail, il ne peut reprendre sa fonction de facteur. Il en informe la Société. La Société accepte d’accommoder M. Brunskill et lui trouve un travail modifié, soit un poste de commis DRS à l’établissement de Malton. Ce travail a débuté le 20 mars 2013.

[83]  À la suite de la restructuration de la Société et de l’abolition du poste de commis DRS qu’occupait le plaignant, celui-ci se retrouve sans poste le 13 septembre 2013. Il est ainsi exclu du milieu de travail, le temps que l’intimée lui trouve un poste qui pourrait l’accommoder et qui rencontrerait ses restrictions médicales. Il bénéficie de prestations d’ICD.

[84]  L’intimée lui a rapidement trouvé un poste modifié, soit celui de commis VES. Pour occuper ce poste, M. Brunskill devait suivre une formation et atteindre des objectifs précis. Le plaignant, comme demandé, s’est présenté à la formation le 30 septembre 2013. Malheureusement, le plaignant n’a pas atteint les objectifs nécessaires afin de poursuivre la formation. Le 10 octobre 2013, il s’est retrouvé, à nouveau, exclu du milieu de travail de la Société puisqu'elle ne pouvait l’accommoder.

[85]  Cette situation demeure la même jusqu’en avril 2014. Le 13 avril 2014, les prestations d’ICD du plaignant prennent fin. M. Brunskill demeure toujours exclu de l’environnement de travail de la Société puisqu’elle estime ne pas être en mesure de l’accommoder.

[86]  Le plaignant fait une demande de prestations d’ILD : il essuie un refus de la Financière Sunlife le 26 mai 2014. Il n’occupe toujours pas de poste chez l’intimée et demeure exclu de l’environnement de travail jusqu’en septembre 2014. Le 10 septembre 2014, la Société lui trouve un poste modifié qui respecte ses restrictions médicales. Il est essentiel de mentionner qu’entre le 14 avril 2014 et le 10 septembre 2014, le plaignant n’a occupé aucun poste et ne bénéficiait d’aucun salaire de la compagnie ni de prestations d’ICD ou d’ILD.

[87]  Le 10 septembre 2014, il commence son travail à son poste de commis des services postaux, retour à l’expéditeur, à Port Credit. Le plaignant quitte ce poste le 24 octobre 2014. En effet, un courriel que M. Brunskill a déposé en preuve (pièce C-6) montre qu’il a effectivement pris tous ses congés disponibles en date du 24 octobre 2014, incluant ses congés annuels, ses congés préretraite ainsi que ses congés personnels bonifiés de crédits complémentaires. M. Brunskill est donc absent du milieu de travail entre le 24 octobre 2014 et le 26 janvier 2015, date à laquelle il transmet son avis de retraite.

[88]  Cela étant dit, la Société a allégué dans ses arguments finaux que le plaignant n’a pas été défavorisé en cours d’emploi. Elle a notamment tenté d’expliquer trois des situations spécifiques soulevées par le plaignant, soit le non-paiement du plaignant alors qu’il travaillait à Port Credit en septembre et octobre 2014, sa rétrogradation à un poste à temps partiel ainsi que le fait que le plaignant aurait été poussé vers la retraite de par les agissements de la Société (congédiement déguisé). J’ai pris en considération les représentations de l’intimée. Cependant, je juge qu’il n’est pas nécessaire de décortiquer autant la preuve afin de conclure à l’existence d’un traitement défavorable en cours d’emploi. Le traitement défavorable doit être analysé sous un aspect différent.

[89]  À ce sujet, rappelons-nous que l’alinéa 7(b) LCDP stipule que :

7 Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

[…]

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

[90]  Cela dit, un employeur peut présenter une défense, et ce, en vertu de l’alinéa 15(1)(a) LCDP. Il est prévu que « [n]e constitue pas des actes discriminatoires » « les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences » qui découlent d’exigences professionnelles justifiées. En d’autres mots, le Tribunal peut simplifier la défense prévue à l’alinéa 15(1)(a) LCDP de la manière suivante : l’employeur qui refuse, exclu, suspend, restreint, ou qui met en place des conditions ou des restrictions à un employé pourrait être justifié de le faire s’il est capable de démontrer qu’il s’agissait là d’une exigence professionnelle.

[91]  Si nous lisons la défense prévue à l’alinéa 15(1)(a) LCDP en conjonction avec l’alinéa 7(b) LCDP, il m’apparait évident que le refus, l’exclusion, la suspension, la restriction, la condition ou la préférence sont, dans les faits, des situations qui peuvent défavoriser le plaignant en cours d’emploi et qui peuvent, cependant, être justifiées si l’employeur est en mesure de démontrer l’existence d’exigences professionnelles.

[92]  Selon la preuve déposée à l’audience, le Tribunal considère que le fait d’exclure M. Brunskill de son milieu de travail en octobre 2013 constitue un traitement défavorable en cours d’emploi. Il faut rappeler que M. Brunskill devait réintégrer son poste de facteur en mars 2013. Néanmoins, en raison de sa blessure, il n’a pu réintégrer, dans les faits, son poste de facteur. Lorsque M. Brunskill informe la Société de cette situation, elle accepte intrinsèquement de l’accommoder.

[93]  La Cour d’appel fédérale, dans sa décision Tahmourpour c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 192, para 12 [Tahmourpour] exprime, entre autres, que pour que le traitement défavorable soit discriminatoire, il doit être préjudiciable, dommageable ou mauvais. M. Brunskill a été clair à l’audience quant au fait qu’il avait apprécié son poste modifié à Malton entre les mois de mars et septembre 2013. Il serait difficile de concevoir pour le Tribunal qu’il s’agit là d’un traitement défavorable. Il faut également reconnaître que la Société l’a immédiatement accommodé en mars 2013, jusqu’en septembre 2013.

[94]  Malheureusement, le poste a été aboli et c’est à ce moment que la Société trouve un autre poste qui respecterait ses restrictions médicale soit le poste de VES. Il faut encore reconnaître que la Société a tout de même agi rapidement dans les circonstances. Encore une fois, il est malheureux que ce plan n’ait pas fonctionné en raison des difficultés de M. Brunskill à compléter la formation.

[95]  Le Tribunal constate que c’est à la suite de cet échec à la formation et l’exclusion du plaignant de l’environnement de travail en date du 10 octobre 2013, et ce, jusqu’au mois de septembre 2014, que la situation se détériore et que le traitement défavorable devient évident. Pendant cette période de temps, M. Brunskill est définitivement exclut de l’environnement de travail puisqu’aucun autre poste chez la Société ne lui est offert. Il est ainsi nécessaire pour lui de bénéficier des prestations d’ICD afin de subvenir à ses besoins, tout en attendant que l’intimée lui trouve un poste respectant ses restrictions médicales.

[96]  Il est important de rappeler que l’objet de la LCDP est prévu à son article 2 :

2 The purpose of this Act is to extend the laws in Canada to give effect, within the purview of matters coming within the legislative authority of Parliament, to the principle that all individuals should have an opportunity equal with other individuals to make for themselves the lives that they are able and wish to have and to have their needs accommodated, consistent with their duties and obligations as members of society, without being hindered in or prevented from doing so by discriminatory practices based […] disability […]

2 La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant : le droit de tous les individus, dans la mesure  compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l’égalité des chances d’épanouissement et à la prise de mesures visant à la satisfaction de leurs besoins, indépendamment des considérations fondées sur […] la déficience […].

[Le Tribunal souligne]

[97]  De ces deux versions (anglaise et française) de l’article 2 LCDP se dégage, à mon avis, un sens commun : celui de l’épanouissement d’un individu, un individu qui peut créer la vie qu’il est capable d’avoir et qu’il désire avoir.

[98]  À partir du 10 octobre 2013, alors que M. Brunskill était exclu de son poste de facteur et de l’environnement de travail, il n’a pas pu jouir de cette opportunité égale avec les autres individus de se créer la vie qu’il était capable d’avoir ni la vie qu’il voulait avoir. M. Brunskill a témoigné à plusieurs reprises qu’il désirait retourner travailler. Il a même proposé des alternatives en juillet 2014 qui, selon la Société, n’étaient pas compatibles avec ses restrictions médicales. Et lorsque l’employeur lui a proposé des alternatives, M. Brunskill n’a pas refusé et s’est déplacé aux endroits, aux dates et aux heures prescrites par l’employeur, pensons notamment au poste de commis VES en septembre 2013 ou le poste de commis, retour à l’expéditeur, à Port Credit, en septembre 2014.

[99]  Le plaignant a exprimé à de nombreuses reprises durant l’audience comment il a souffert pendant des mois à partir du 10 octobre 2013, à attendre qu’un poste adapté lui soit offert par l’intimée. Dans ses mots, le plaignant a vécu la situation comme un « divorce » entre lui et son employeur. Il s’est également demandé comment la Société pouvait le traiter si cruellement, toujours pour reprendre ses propres paroles. M. Brunskill a été en mesure de démontrer qu’il était prêt, à tout moment, à retourner travailler. Le Tribunal a compris que pour M. Brunskill, travailler pour la Société prenait une place importante dans sa vie. J’estime qu’il s’agit là, au sens de la décision de la Cour d’appel fédérale dans Tahmourpour, d’un traitement ayant des effets préjudiciables ou mauvais pour M. Brunskill.

[100]  Le traitement défavorable devient encore plus dommageable à partir du 14 avril 2014 alors que M. Brunskill ne bénéficie plus de prestations d’ICD ni d’aucune autre source de revenus. Le Tribunal ne peut ignorer les effets préjudiciables et mauvais que le plaignant a subis suivant son exclusion du milieu de travail. Le plaignant a témoigné à cet effet de ses difficultés financières, de ses difficultés à se loger et à se nourrir, ainsi que de ses frustrations qui grandissaient contre son employeur. Il a également envoyé des correspondances, par exemple à des représentants du syndicat, afin de les informer qu’il n’avait pas les moyens de mettre de l’essence dans sa voiture pour aller travailler ou de s’acheter de la nourriture (voir, par exemple, pièce C-5).

[101]   À la lumière de tout ce qui précède, comment le Tribunal ne pourrait-il pas considérer que le traitement qu’a subi M. Brunskill au sein de la Société, après le 10 octobre 2013 jusqu’au mois de septembre 2014, n’était pas défavorable? Je suis satisfait que le plaignant a été en mesure de rencontrer son fardeau à cet effet.

 

 

(iii)  Le motif de distinction illicite protégé a-t-il été un facteur dans le traitement défavorable qu’il a subi en cours d’emploi?

[102]  Comme j’ai jugé que M. Brunskill a été défavorisé en cours d’emploi puisqu’il a effectivement été exclu de son environnement de travail par la Société, le Tribunal doit maintenant se demander si ce traitement défavorable était lié à un motif de distinction illicite protégé par la LCDP, dans ce cas-ci, la déficience. Pour les raisons qui suivent, j’estime que ce lien existe.

[103]  Il n’est pas nécessaire pour le Tribunal de se lancer, encore une fois, dans une grande analyse du lien entre le traitement défavorable en cours d’emploi et le motif de distinction illicite.

[104]  Je juge que dans les circonstances, le lien est on ne peut plus clair. M. Brunskill a été exclu de son environnement de travail parce qu’il avait subi une blessure au dos qui l’empêchait de retourner dans son poste de facteur. En d’autres termes, le plaignant n’était plus en mesure de remplir sa prestation de travail de facteur en raison de sa blessure. L’employeur a été en mesure d’accommoder le plaignant pendant plusieurs mois dans un poste qui correspondait bien à ses restrictions médicales (notamment entre mars 2013 et octobre 2013), mais ultimement, le plaignant s’est retrouvé sans poste à partir du 10 octobre 2013, puis même sans salaire, à partir du 14 avril 2014. Il a été exclu de l’environnement de travail de la Société pour une seule raison : sa déficience. Comme l’intimée ne pouvait pas, selon elle, accommoder le plaignant selon ses limites médicales, ce dernier a dû rester à la maison, demander des prestions d’ICD et attendre que son employeur lui trouve un poste modifié respectant ses limitations médicales. Tout ça ne serait jamais arrivé, n’eût été sa blessure au dos, qui était préexistante à son retour au travail en mars 2013.

[105]  En conclusion, je suis d’avis que M. Brunskill a été en mesure de rencontrer le fardeau de son dossier et qu’il est maintenant nécessaire d’analyser la défense de l’intimée en vertu de l’alinéa 15(1)(a) et du paragraphe 15(2) LCDP.

B.  Si le plaignant a été en mesure de rencontrer le fardeau de son dossier, est-ce que l’intimé a rencontré son fardeau quant aux exigences professionnelles justifiées?

[106]  Puisque le Tribunal a jugé que M. Brunskill a rencontré le fardeau de son dossier, il appartient maintenant à l’intimée de démontrer que l’exclusion du plaignant de l’environnement de travail découlait d’exigences professionnelles justifiées (EPJ), au sens de l’alinéa 15(1)(a) et du paragraphe 15(2) LCDP. Pour les motifs qui suivent, je juge que la Société n’a que partiellement rencontré son fardeau quant aux exigences professionnelles justifiées.

[107]  Le paragraphe 15(2) LCDP précise que :

Les faits prévus à l’alinéa (1)a) sont des exigences professionnelles justifiées […] s’il est démontré que les mesures destinées à répondre aux besoins d’une personne ou d’une catégorie de personnes visées constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité.

[Le Tribunal souligne]

[108]  Il est important de mentionner que la LCDP prévoit de manière précise, à son paragraphe 15(2), comment une partie intimée peut démontrer l’existence d’une EPJ. En l’espèce, le paragraphe 15(2) LCDP peut être adapté aux circonstances, et ce, de la manière suivante : Est-ce que la Société a été en mesure de démontrer que l’exclusion de M. Brunskill de l’environnement de travail était une exigence professionnelle justifiée c’est-à-dire, a-t-elle été en mesure de démontrer que les mesures destinées à répondre aux besoins de M. Brunskill créaient, pour elle, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité?

[109]  Lors des audiences, les parties n’ont pas déposé ni abordé la décision de la Cour suprême, British Columbia (P.S.E.R.C.) v. BCGSEU, [1999] 3 RCS 3 [Meiorin], qui est pourtant la référence en la matière. Elles n’ont pas non plus discuté, dans leurs arguments finaux, des différentes étapes de l’analyse quant à l’existence d’une EPJ, élaborée dans cette décision.

[110]  Je connais toutefois bien l’analyse en trois étapes développée par la Cour Suprême dans Meiorin, puisqu’il s’agit d’une décision faisant partie du Cahier de jurisprudence du Tribunal. Afin de faire la preuve d’une EPJ, il faut démontrer, selon la balance des probabilités que (1) la norme a été adoptée dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail en cause, (2) la norme a été adoptée en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail, et (3) la norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail. Lors de cette étape, il lui faut démontrer qu’il était impossible de composer avec les employés qui ont les mêmes caractéristiques que M. Brunskill sans qu’elle subisse une contrainte excessive.

[111]  Malgré l’existence de cette analyse dans Meiorin, j’estime que le paragraphe 15(2) LCDP est clair et spécifique. Il m’est tout à fait possible de juger, en regardant la preuve dans son ensemble (voir Bombardier, précité, notamment au para. 67), si la Société a démontré que les mesures destinées à répondre aux besoins de M. Brunskill créaient, pour elle, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité. Rappelons que la décision Meiorin impliquait des dispositions du British Columbia Human Rights Code dont le langage diffère de celui de la LCDP en ce qui a trait à la notion d’EPJ. Tout comme le prévoit, par exemple, l’Ontario Human Rights Code à son paragraphe 11(2), la LCDP prévoit clairement ce qui doit être démontré afin de prouver une EPJ.  

[112]  Cela étant dit, le plaignant et l’intimée se sont concentrés davantage sur le dernier aspect du test de Meorin et ils ont omis de traiter des deux premières étapes. Cette dernière étape, comme l’explique la Cour suprême dans son arrêt Moore, précité, au paragraphe 49, exige d’analyser si la Société a démontré « qu’[elle] n’aurait pu prendre aucune autre mesure raisonnable ou pratique pour éviter les conséquences fâcheuses pour l’individu ». Dans ce contexte, une grande partie de la  preuve entendue par le Tribunal concernait cette question de savoir si la Société a pris toutes les mesures raisonnables ou pratiques qui lui était possibles de prendre afin d’éviter les conséquences fâcheuses pour M. Brunskill.

[113]  Il va sans dire que la décision Meiorin peut être utile dans différentes circonstances et s’appliquer dans différents dossiers, même devant notre Tribunal. Par exemple, le membre Susheel Gupta, dans sa récente décision Karimi c. Zayo Canada Inc. (anciennement MTS Allstream Inc.), 2017 TCDP 37, a utilisé l’analyse en trois étapes de la décision Meiorin. Toujours dans cette décision, le membre s’est basé sur l’interprétation de la Cour suprême  quant à la contrainte excessive, l’obligation d’accommodement et l’approche unifiée en matière de discrimination directe ou indirecte. Enfin, je suis également en accord avec cet élément de « bonne foi », qui se retrouve de manière explicite dans la version anglaise de « bona fide occupational requirements » et reprise dans l’analyse de Meiorin, notamment à la deuxième étape de l’analyse. Mes propos ne visent pas à exclure, à tout coup, cette analyse. Meorin constitue le test de base d’EPJ. Cela dit, j’estime que ce test doit être adapté aux faits en l’espèce. 

[114]  Par exemple, la Cour d’appel fédérale (CAF) a jugé, dans l’arrêt Hutchinson c. Canada (Ministre de l’Environnement), 2003 CAF 133 [Hutchinson] au paragraphe 74, que les faits différaient de ceux dans Meiorin, ce qui est également le cas dans le présent dossier. En effet, tout comme dans Hutchinson, le rapport entre la Société et M. Brunskill n’est pas dicté par une politique préexistante ou par une norme explicite préexistante. Comme l’a exprimé la CAF, le rapport entre les parties s’appuie plutôt sur :

[…] une ligne de conduite selon laquelle les parties se fondaient sur une interprétation des droits et obligations qu'elles avaient respectivement. Cette interprétation peut trouver son origine dans les droits qui sont garantis ou dans les obligations qui sont imposées par la convention collective, le régime législatif régissant l'emploi dans la fonction publique, la législation en matière de droits de la personne, la législation en matière de santé et de sécurité au travail ou les politiques ministérielles. Il serait fort difficile d'extraire de cette matrice une politique cohérente distincte qu'il serait possible d'assujettir à une analyse méthodique comme dans l'arrêt Meiorin. Cela ne veut toutefois pas dire que l'analyse qui a été faite dans l'arrêt Meiorin n'est pas pertinente aux fins de la ligne de conduite à adopter. Mais cela donne à entendre que l'analyse peut avoir un point de départ différent.

[Le Tribunal souligne]

[115]  Dans le cas en l’espèce, ni M. Brunskill ni la Société n’ont déposé de politique ou de norme préexistante qui, à première vue, seraient neutres, mais qui dans leurs effets, créeraient une situation discriminatoire. Ces faits se distinguent donc de la norme minimale explicite qui était en question dans l’arrêt Meiorin. Les circonstances s’appuient plutôt sur cette idée de ligne de conduite entre les parties élaborée dans Hutchinson : cette idée cadre beaucoup mieux avec la situation impliquant M. Brunskill et la Société.  

[116]  Lorsque M. Brunskill revient au travail le 20 mars 2013 après la signature du protocole d’entente, il a informé l’intimée qu’il ne pouvait pas fournir sa prestation de travail de facteur en raison d’une blessure, sans toutefois fournir de documentation médicale. La Société, à la suite des informations fournies par M. Brunskill, accepte de le transférer dans un poste modifié répondant à ses besoins.

[117]  Le poste modifié identifié, soit un poste de commis DRS à l’établissement de Malton, répondait bien aux besoins de M. Brunskill. Tant le plaignant que la Société ont expliqué au Tribunal que ce poste était idéal. Pendant ce temps, la Société a référé le plaignant à GW/MS afin d’identifier ses restrictions médicales et afin de déterminer si le besoin d’accommodement était permanent ou si, éventuellement, M. Brunskill pourrait reprendre son ancien poste, soit celui de facteur.

[118]  En août 2013, l’intimée reçoit la confirmation des restrictions médicales du plaignant. Par chance, le poste modifié qu’occupe le plaignant correspondait bien à ses limitations et cela confirmait qu’il ne pouvait reprendre sa fonction de facteur. Bien que le poste ait été aboli en septembre 2013 à la suite d’une restructuration des services de l’intimée, ce que cette dernière savait depuis un bon moment déjà, rien dans la preuve ne démontre que les mesures d’accommodement prises par la Société l’ont été de mauvaise foi. Je juge que l’intimée, pour la période de mars 2013 à septembre 2013, a rempli son obligation d’accommodement à l’égard du plaignant.

[119]  Après l’abolition du poste de commis DRS à l’établissement de Malton, la Société identifie rapidement un autre poste modifié pour le plaignant, soit celui de commis VES. Ce poste respecte ses restrictions médicales. M. Brunskill doit suivre une formation, notamment afin d’améliorer ses aptitudes de saisie au clavier. Il est impliqué dans l’accommodement et suit la formation comme requise. Malheureusement, il n’atteint pas les objectifs nécessaires afin de poursuivre la formation.

[120]  La preuve révèle que l’intimée lui a également fourni de la formation additionnelle afin d’améliorer davantage ses aptitudes, mais en vain. Le plaignant n’a pas mis en preuve des éléments permettant de réfuter ces faits et la preuve ne révèle pas non plus que sa déficience fut un enjeu dans l’atteinte de ces objectifs. La Société croyait sincèrement que ce poste modifié répondrait aux besoins du plaignant, lui a fourni de la formation additionnelle afin d’atteindre les objectifs en matière de saisie au clavier et, malencontreusement, le plaignant n’a pas réussi la formation. Il a donc été, à nouveau, exclu de l’environnement de travail le temps qu’un accommodement soit mis en place par la Société. J’estime que cette dernière a rempli son obligation d’accommodement à ce moment.

[121]  En regardant la preuve dans son ensemble, j’estime que c’est après l’échec de la formation comme commis VES que la situation est devenue problématique, plus précisément à partir du 10 octobre 2013. La preuve révèle que le plaignant a déposé une demande à GW/MS afin de recevoir des prestations d’ICD. Je comprends que l’intimée invite les employés à recevoir ces avantages afin de minimiser les impacts d’une absence au travail en raison d’une blessure. Il est vrai que le plaignant a pu bénéficier de la totalité de son salaire lorsqu’il recevait ses prestations d’ICD. Cela dit, la réception par le plaignant de prestations d’ICD n’exempte pas l’employeur de son obligation d’accommodement. À ce sujet, je trouve la preuve de la Société particulièrement lacunaire. Selon le paragraphe 15(2) de la LCDP, c’est à elle que revient le fardeau de démontrer qu’elle n’aurait pu prendre aucune autre mesure raisonnable ou pratique pour éviter les conséquences fâcheuses pour M. Brunskill. Le Tribunal estime qu’elle ne s’est pas déchargée de ce fardeau selon la balance des probabilités.

[122]  La Société a présenté son processus d’accommodement, se basant presque entièrement sur le témoignage de Mme Petronis. Mme Petronis a une vaste expérience au sein de la Société et le Tribunal tient à mentionner que son témoignage était particulièrement crédible et fiable. De plus, elle a été impliquée dans le dossier du plaignant lui-même et a donc une connaissance spécifique dans le présent dossier.

[123]  Quant au processus d’accommodement, Mme Petronis a notamment parlé de l’existence d’un comité (appelé le comité de l’article 54) qui se rencontre une fois par mois afin de discuter de tous les employés nécessitant des accommodements. L’objectif de ce comité est de trouver, dans la mesure du possible, un accommodement permanent aux employés ayant des besoins spécifiques. Ce comité est composé de membres du personnel de la direction de la Société ainsi que des représentants locaux et régionaux du syndicat ayant reçu de la formation en matière d’accommodements. Bien que le comité ne se rencontre qu’une seule fois par mois, si une situation survient entre les rencontres, les membres du comité peuvent se contacter afin d’en discuter. Cela permet notamment d’accommoder une personne le plus rapidement possible et ensuite, la situation peut être discutée en profondeur lors de la rencontre subséquente du comité.

[124]  Mme Petronis a témoigné que le comité est tout de même très efficace afin de déterminer, d’un commun accord, la meilleure solution à adopter à l’égard d’un employé ayant des besoins spécifiques. Il n’existe que quelques situations lors desquelles le comité ne s’est pas entendu. Ultimement, c’est la Société qui prend la décision quant à l’accommodement d’un employé. Si les représentants du syndicat sont en désaccord avec la Société, ils peuvent alors déposer un grief de la décision prise.

[125]  Rappelons qu’à partir du 10 octobre 2013, le plaignant est clairement exclu de l’environnement de travail, et ce, jusqu’au 10 septembre 2014. Il s’agit d’une période de 11 mois : il a fallu 11 mois à la Société afin d’identifier un poste modifié respectant les restrictions médicales du plaignant. La preuve révèle que le plaignant, entre le 10 octobre 2013 et le 13 avril 2014 ainsi que quelques jours de septembre 2013, a bénéficié de prestations d’ICD. Cette période d’invalidité est ponctuellement approuvée par GW/MS. M. Brunskill demeure néanmoins exclu de l’environnement de travail et aucun accommodement ne lui est offert par la Société. La situation devient plutôt critique à l’expiration des prestations d’ICD et devient urgente à la suite du refus de la Financière SunLife de fournir au plaignant des prestations d’ILD le 26 mai 2014.

[126]  Le Tribunal est en accord avec l’intimée qu’il était raisonnable de demander, en mai 2014, après le refus de la Financière SunLife, une mise à jour des restrictions médicales du plaignant. Le Tribunal comprend que sa situation médicale était considérée comme temporaire et qu’une mise à jour était nécessaire. La Société a dû attendre jusqu’au 14 juillet 2014 avant de recevoir des informations additionnelles concernant la situation médicale de M. Brunskill et qui, dans les faits, n’était pas officiellement une mise à jour de ses restrictions médicales. Dr Grewal mentionne plutôt que Dr Matthew est absent du bureau et sera en mesure de fournir les informations recherchées à son retour en août 2014. Il fournit également deux options de poste que pourrait occuper le plaignant au sein de la Société. Les restrictions médicales du plaignant ne seront connues que le 26 août 2014, restrictions qui sont plus limitatives que celles d’août 2013.

[127]  La Société a tenté de mettre en preuve que M. Brunskill est celui qui a retardé le processus d’accommodement en ne fournissant pas, rapidement, une mise à jour de ses restrictions médicales. En conséquence, elle estime qu’il n’a pas collaboré au processus d’accommodement et qu’elle ne devrait pas être tenue responsable de ce délai. Le Tribunal est sceptique quant à cet argument.

[128]  Le Tribunal est bien au fait qu’il existe un intervalle de temps entre la fin des prestations d’ICD en date du 14 avril 2014 ainsi que le refus de la Financière SunLife d’accorder des prestations d’ILD au plaignant, daté du 26 mai 2014. Il existe également un intervalle de temps entre la lettre de Dr Grewal, du 14 juillet 2014, offrant des options de poste et informant l’intimée que Dr Matthew est absent du bureau jusqu’en août 2014, ainsi que la réception de la mise à jour des restrictions médicales en date du 26 août 2014.

[129]  Est-ce que tous ces délais sont attribuables au plaignant, de sorte que le Tribunal devrait considérer qu’il n’a pas facilité le processus d’accommodement? (voir Croteau, précité, au para. 44, qui réfère à Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970). Je ne suis pas de cet avis.

[130]  La preuve révèle que M. Brunskill, lorsque demandé, a fait des démarches afin d’obtenir une mise à jour de ses restrictions. Il avait jusqu’au 20 juin 2014 pour fournir une mise à jour de ses restrictions médicales. En toute franchise, le délai demandé est court (entre la fin du mois de mai 2014 et le 20 juin 2014), en prenant pour acquis que la personne ayant besoin d’accommodements doit prendre un rendez-vous avec son médecin, se faire évaluer et que le médecin doit remplir de la documentation, et ce, en quelques jours/semaines seulement. La GW/MS devait également évaluer la situation, comme elle l’a toujours fait. Il faut du temps pour accomplir ces tâches.

[131]   Cela dit, le 25 juin 2014, le plaignant a informé son conseiller en gestion d’invalidité de GW/MS que son médecin était absent et qu’il allait tenter de trouver d’autres arrangements. Une extension lui est donnée jusqu’au 3 juillet 2014, soit une extension de 8 jours. C’est durant cette période que M. Brunskill aurait eu de la difficulté à obtenir les informations demandées de la part de son médecin puisque ce dernier refusait de remplir la documentation nécessaire. Même si le Tribunal était prêt à accepter cette preuve peu détaillée, cette situation mène-t-elle automatiquement à la conclusion que le plaignant n’aurait pas facilité le processus d’accommodement, ce qui exonérerait l’intimée de toute responsabilité? Encore une fois, je ne suis pas de cet avis.

[132]  Le plaignant a, somme toute, respecté les demandes de la Société. Il a été en mesure de fournir, en fin de compte, une lettre d’un médecin le 14 juillet 2014. Bien que le contenu de la lettre n’ait pas été satisfaisant pour GW/MS et l’intimée puisqu’elle ne contenait pas de mise à jour des restrictions médicales, des démarches ont tout de même été faites par le plaignant. Le Tribunal ne peut juger que cela constitue un manque de collaboration de la part du plaignant, surtout puisqu’il a été confirmé que son médecin de famille était absent. Nécessairement, un délai supplémentaire allait être engendré. Il n’est pas possible pour le Tribunal d’écarter ces faits qui ne peuvent être contrôlés ni par le plaignant, ni par GW/MS, ni par l’intimée. Considérant les circonstances, une extension lui a donc été accordée jusqu’au 25 août 2014, mois durant lequel le médecin de famille est revenu au bureau. Enfin, le 26 août 2014, la mise à jour des restrictions médicales de M. Brunskill a été reçue.

[133]  Je suis d’avis que les délais écoulés entre la fin du mois de mai, juin, juillet et ultimement, août 2014, ne constituent pas un bris, de la part du plaignant, de son devoir de faciliter le processus d’accommodement.

[134]  Il est nécessaire d’ajouter que la Société, dans ses arguments, a également mis l’accent sur le fait qu’elle attendait que M. Brunskill fournisse une mise à jour de ses restrictions médicales. Cela a donc engendré des délais additionnels dans le processus d’accommodement. La Société était toujours en possession des restrictions médicales du plaignant émanant de GW/MS et datant du 21 août 2013. Il ne peut également être ignoré que la GW/MS a également approuvé l’invalidité du plaignant pendant 30 semaines. Elle jugeait donc que la situation médicale de M. Brunskill était continuellement la même, sans interruption entre octobre 2013 et avril 2014 et justifiait ainsi son absence du milieu travail. Elle a régulièrement approuvé cette invalidité.

[135]  Il est ainsi clair qu’entre août 2013 et avril 2014, les restrictions de M. Brunskill sont inchangées, restrictions confirmées par GW/MS à plusieurs reprises. Bien que la Société ait demandé une mise à jour des restrictions médicales du plaignant, elle pouvait toujours se fier, le temps que cette mise à jour soit fournie, sur les restrictions médicales datant d’août 2013 et confirmées jusqu’au 13 avril 2014. L’obligation d’accommodement n’est pas fixée dans le temps. Cette obligation est continuelle. La Société devait continuer de faire des recherches avec les informations qu’elle détenait.

[136]  En fait, Mme Petronis a témoigné à l’effet que la recherche d’accommodement s’est poursuivie malgré l’absence de mise à jour en utilisant les anciennes restrictions médicales connues. C’est aussi ce que l’intimée a plaidé dans ses arguments finaux. Ce faisant, la Société, en se basant sur les anciennes restrictions, a continué d’effectuer des recherches. Le Tribunal comprend donc que les anciennes restrictions médicales demeuraient utiles et pertinentes pour la Société dans ses recherches d’un accommodement pour le plaignant après mai 2014.

[137]  J’ajoute que Mme Petronis a également témoigné à l’effet que la Société a évalué les deux options offertes par Dr Grewal se retrouvant dans sa lettre du 14 juillet 2014  (ces options étaient les postes de commis DRS et de conducteur MSC), toujours en se basant sur les restrictions médicales connues au dossier, soit les mêmes entre août 2013 et avril 2014.

[138]  Le Tribunal a du mal à saisir comment la Société peut mettre, d’un côté, l’accent sur les délais engendrés par l’attente de la mise à jour des restrictions du plaignant et, d’un autre côté, présenter une preuve à l’effet qu’elle a continué, finalement, de faire des recherches avec les restrictions médicales connues du plaignant, soit celles datant d’août 2013. Il y a là une grande incohérence dans les arguments de l’intimée.

[139]  La Société n’a pas mis en preuve qu’avant que les prestations d’ICD du plaignant n’expirent, elle a tenté de le contacter afin de lui demander, en prévision de la fin des prestations, de fournir une mise à jour de ses restrictions médicales. La preuve révèle plutôt que la Société a décidé de lui envoyer les documents afin de recevoir des prestations d’ILD. Personne n’a pensé à l’idée que M. Brunskill pouvait se voir refuser des prestations d’ILD. Qu’allait faire la Société si c’était le cas? Rien dans la preuve ne me permet de déterminer que la Société ait été proactive ni qu’elle ait anticipé la possibilité que le plaignant se voit refuser de telles prestations. La preuve révèle que la mise à jour des restrictions médicales a été demandée à la suite du refus de la Financière SunLife, vers la fin du mois de mai 2014. Le Tribunal n’a pas l’impression que l’intimée avait prévu le coup. Les différentes étapes de la gestion du dossier de M. Brunskill et du processus d’accommodement semblent s’enchainer mécaniquement, en vase clos, sans qu’il n’y ait de chevauchement ni d’anticipation dans les étapes et actions à prendre par la Société. Les parties se retrouvent donc dans un vide, en attendant qu’une mise à jour soit transmise.

[140]  Cela étant dit, il est également étonnant que l’intimée n’ait pas soumis de preuve plus détaillée quant à la contrainte excessive. La Société a effectivement mis en preuve qu’il n’existe que 20 postes de commis DRS dans la grande région de Toronto, postes qui auraient répondu aux restrictions médicales de M. Brunskill. Mme Petronis a témoigné à l’effet qu’il n’y avait pas de poste de commis DRS disponibles dans la région, et c’est tout. La Société n’a pas soumis d’autres données sur les autres types de postes disponibles dans l’entreprise, sédentaires ou non, qui ont été évalués. Elle n’a pas démontré que durant les 11 mois durant lesquels le plaignant a été exclu de l’environnement de travail, aucune retraite, congé maladie, départ, congédiement, ne sont survenus notamment dans des postes plutôt sédentaires et qui auraient pu accommoder les besoins du plaignant.

[141]  Elle n’a pas non plus déposé à l’audience d’autres alternatives qui auraient pu être envisagées par le comité et ses membres, notamment des tâches administratives ou des postes disponibles à l’extérieur de la grande région de Toronto. La Société n’a pas non plus déposé de preuve quant aux coûts qu’elle aurait dû assumer en envisageant certaines de ces alternatives. Elle n’a pas non plus déposé de preuve quant à des enjeux majeurs en matière de santé ou de sécurité. En comparaison, par exemple, avec les démarches et la preuve qui ont été déposées par Hydro-Québec dans le dossier Hydro-Québec c. Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ), 2008 CSC 43, la preuve de la Société quant à la contrainte excessive est déficitaire, voire presque absente.

[142]   Le Tribunal a également été particulièrement frappé par le témoignage de Mme Petronis qui a mentionné, lors de son témoignage, que la Société, d’une certaine façon, assume que leurs employés ayant besoin d’accommodements veulent demeurer dans les environs de leur domicile. Si c’est effectivement le cas, cela en dit long sur la manière dont la Société conçoit son obligation d’accommodement. La Société n’a pas jugé nécessaire, alors qu’elle savait que le plaignant était exclu de l’environnement de travail depuis le 10 octobre 2013, d’évaluer la possibilité de lui offrir un poste à l’extérieur de Toronto. Comment est-il possible de faire de telles suppositions sans poser la question aux employés en question? Le Tribunal juge que la Société a fait preuve d’une rigidité et d’un hermétisme dans la conception de son obligation d’accommodement.

[143]  Le Tribunal ne peut passer sous silence l’exclusion, disons-le, totale de M. Brunskill du processus d’accommodement de la Société. Il ressort de la preuve que la Société n’a jamais impliquée le plaignant d’une quelconque manière, dans son processus d’accommodement. Mme Petronis n’a pas mentionné que le plaignant avait pris part aux discussions avec l’employeur. M. Brunskill a également témoigné qu’il était gardé dans l’ignorance quant au processus et aux développements dans son dossier. Il avait de la difficulté à recevoir des mises à jour et des informations de la part de son employeur. Il a manifesté à plusieurs reprises qu’une fois exclu du milieu de travail, il n’était pas clair pour lui à qui il devait se rapporter. Selon la preuve au dossier, il gardait des contacts avec les représentants du syndicat. Cela est encore plus évident lorsque M. Brunskill témoigne à l’effet qu’il a notamment accepté d’aller à Port Credit afin d’avoir « un pied dans la Société », et ce, afin de pouvoir personnellement identifier des postes qu’il pourrait être en mesure d’occuper, notamment en consultant le tableau des postes disponibles. Cela ne fait que confirmer que la Société maintient ses employés ayant été exclus du milieu de travail et étant en attente d’un accommodement, dans l’ignorance.

[144]  Cette façon de faire de la Société accroit la situation de vulnérabilité des employés ayant besoin d’accommodements, alors que ces personnes se retrouvent déjà dans une situation de vulnérabilité en raison de leurs besoins spécifiques. Rappelons que la jurisprudence est claire que le processus d’accommodement est multipartite et implique l’employeur, l’employé et l’agent de négociation, le cas échéant. Le processus doit davantage s’apparenter à un dialogue qu’un monologue (Croteau, précité, au para. 44). Bien que la Société s’engage dans une discussion avec des représentants du syndicat, notamment dans le comité de l’article 54, il est évident que l’employé est exclu de ces discussions. L’employé est au cœur de l’accommodement, mais il ne prend pourtant pas part au dialogue avec les autres parties impliquées. Cela est inconcevable pour le Tribunal. La Société est venue témoigner à l’effet qu’elle assume que ses employés ayant des besoins spécifiques veulent demeurer près de leur domicile. Si l’employé avait été impliqué dans le dialogue, ce genre d’option aurait pu être étudié, plutôt que de se baser sur des suppositions ou des postulats teintés de généralisations.

[145]  Le Tribunal est conscient que l’employeur est celui qui est dans la meilleure position afin d’identifier un accommodement. La jurisprudence est également claire que l’employé peut proposer des options, mais qu’il ne peut pas insister sur un accommodement subsidiaire (voir notamment Hutchinson, précité). L’employeur n’a pas non plus l’obligation de modifier de manière fondamentale les conditions de travail. Comme l’a précisée la Cour suprême dans sa décision Hydro-Québec c. Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ), 2008 CSC 43, aux paras 16 et 17 :

[16] Le critère n’est pas l’impossibilité pour un employeur de composer avec les caractéristiques d’un employé. L’employeur n’a pas l’obligation de modifier de façon fondamentale les conditions de travail, mais il a cependant l’obligation d’aménager, si cela ne lui cause pas une contrainte excessive, le poste de travail ou les tâches de l’employé pour lui permettre de fournir sa prestation de travail.

[17] En raison du caractère individualisé de l’obligation d’accommodement et de la diversité des circonstances qui peuvent survenir, toute règle rigide est à éviter. Si une entreprise peut, sans en subir de contrainte excessive, offrir des horaires de travail variables ou assouplir la tâche de l’employé, ou même procéder à autoriser des déplacements de personnel, permettant à l’employé de fournir sa prestation de travail, l’employeur devra alors ainsi accommoder l’employé. Ainsi, dans Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal[2007] 1 R.C.S. 1612007 CSC 4 (CanLII), l’employeur avait autorisé des absences non prévues à la convention collective. De même, en l’espèce, Hydro-Québec a tenté pendant plusieurs années d’adapter les conditions de travail de la plaignante : aménagement physique du poste de travail, horaires à temps partiel, attribution d’un nouveau poste, etc.

[146]  En fin de compte, il appartient à la Société, l’employeur, de démontrer qu’elle n’aurait pu prendre aucune autre mesure raisonnable ou pratique pour éviter les conséquences fâcheuses pour M. Brunskill (voir notamment Moore, précité, au para. 49 et Simpson-Sears, précité, au para. 28). Pour les motifs précédemment énumérés, je juge que la Société ne s’est pas déchargée de son fardeau entre le 10 octobre 2013 et le 9 septembre 2014. Par contre, lorsque la Société a offert à M. Brunskill ce poste de commis de poste à Port Credit débutant le 10 septembre 2014, j’estime qu’elle a rempli son obligation d’accommodement.

[147]  Comme précisé précédemment, l’employé peut proposer des options, mais ne peut insister sur un accommodement subsidiaire. La Société était bien consciente que le poste offert au plaignant était à temps partiel. Elle a expliqué au Tribunal qu’elle allait continuer de faire des recherches afin de trouver un travail à temps plein qui répondrait aux besoins du plaignant. La preuve révèle même que la Société avait entamé des démarches avec GW/MS afin de déterminer si les restrictions médicales de M. Brunskill étaient permanentes. Je conclus donc que cette option a été proposée de bonne foi par l’intimée.

[148]  Cela dit, l’accommodement n’a duré qu’environ 1 mois et demi, puisqu’à la mi-octobre 2014, M. Brunskill a décidé de prendre tous ses congés personnels, vacances, congés de préretraite, etc., et de ne plus se présenter à son travail. Comme expliqué précédemment, ce poste modifié a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Le plaignant était en colère et croyait sincèrement que la Société tentait de le rétrograder ou de le forcer à prendre sa retraite.

[149]  Il faut mentionner que la colère du plaignant était déjà bien présente avant sa décision de prendre sa retraite. Dans tout le témoignage de M. Brunskill, ce sentiment d’injustice, ce bris de confiance à l’égard de la Société était manifeste. Je suis sensible au fait que le plaignant était dans l’attente d’un accommodement depuis octobre 2013. Je comprends qu’il avait des difficultés à entrer en contact avec la Société, qu’il s’est senti exclu, trahi et il est impossible pour le Tribunal d’ignorer les difficultés financières auxquelles il devait faire face.

[150]  La relation entre lui et la Société semblait déjà être tendue, et ce, depuis son retour au travail en mars 2013. Bien que cela ne fasse pas partie de l’étendue de la plainte, j’ai entendu le témoignage de M. Brunskill quant à des événements avant mars 2013, incluant son congédiement. Un grief a été déposé et les parties se sont entendues, d’où la signature d’un protocole d’entente. Bien que je ne puisse me positionner sur ce qui s’est déroulé avant cette date, il m’apparait clair que cela avait déjà affecté la relation d’emploi et de confiance entre M. Brunskill et la Société. Néanmoins, je dois analyser la preuve qui a été déposée à l’audience et la conduite des parties entre mars 2013 et janvier 2015. Je juge que l’accommodement qui a été offert par la Société le 10 septembre 2014 était raisonnable, et ce, bien que le poste modifié était à temps partiel. La preuve ne soutient pas la thèse du plaignant voulant que l’intimée tentait de le rétrograder contrairement à la convention collective en vigueur. Cette option n’était pas parfaite, mais elle était raisonnable (voir notamment Moore, précité).

[151]  M. Brunskill a également tenté de mettre en preuve que la Société, de par ses agissements, l’avait forcé à prendre sa retraite. Je ne suis pas de cet avis. Je conçois qu’il ait été malheureux que l’intimée n’ait pas été en mesure de trouver un accommodement avant septembre 2014. À ce sujet, j’ai jugé que la Société n’avait pas été en mesure de rencontrer son fardeau entre le 10 octobre 2013 et le 9 septembre 2014. Cela ne veut toutefois pas dire que la Société se retrouve dans l’impossibilité de corriger la situation pour l’avenir. Bien que tardivement, elle a finalement pu trouver un travail modifié respectant les restrictions médicales du plaignant. Le Tribunal ne peut ignorer ce fait.

[152]  La décision qu’a prise M. Brunskill, soit de prendre tous ses congés, et de quitter la Société était quelque peu hâtive. Je suis en accord avec l’intimée sur le fait que la décision était quelque peu déraisonnable. Bien que la solution ne fût pas parfaite, M. Brunskill était de retour dans le milieu de travail et dans un poste qui répondait à ses restrictions médicales. À tout le moins, il pouvait s’investir dans un travail significatif en échange d’un salaire, bien que ce salaire n’en était pas un à temps complet.

[153]  La preuve révèle également que sur la paie de M. Brunskill du 23 octobre 2014, sa paie nette était négative. Le Tribunal a déjà expliqué les raisons pour lesquelles cette paie était négative. Le scénario se reproduit encore à la paie du 6 novembre 2014 alors que sa paie nette est de 177, 54$. Cela dit, je peux comprendre que M. Brunskill ait été inquiet et paniqué en voyant ces talons de paie. Qui ne l’aurait pas été? Cela dit, la Société a tenté de minimiser les impacts de cette situation en lui faisant une avance de 1000$ (pièce R-1, table 17). Cependant, M. Brunskill avait déjà quitté son poste et avait entrepris les démarches afin d’écouler tous ses congés disponibles, et ce, afin de prendre sa retraite en janvier 2015.

[154]  Je suis en accord avec l’intimé que M. Brunskill a pris une décision personnelle en décidant de quitter la Société. La preuve n’appuie pas la thèse que la Société ait tenté de le rétrograder ou de le forcer à prendre sa retraite. Bien que je n’exclue pas la gamme d’émotions que pouvait vivre M. Brunskill, j’estime qu’il aurait été bénéfique pour lui de faire preuve de persévérance. En prenant ses congés et en prenant sa retraite, le plaignant s’est exclu du processus d’accommodement. Dès la mi-octobre 2014, M. Brunskill s’est retiré du milieu de travail et la Société n’était donc plus en mesure de poursuivre ses démarches. Je rappelle que l’option proposée à Port Credit n’était pas parfaite, mais qu’elle était, somme toute, raisonnable dans les circonstances. Il ne peut être ignoré que la Société a fourni une avance monétaire au plaignant afin de minimiser les effets de la compensation des sommes versées en trop. Cela aurait pu soulager le plaignant, mais il était déjà trop tard : il était déjà en processus d’écoulement de ses congés.

VI.  Redressements

[155]  Puisque j’ai déterminé que la Société n’a pas été mesure de démontrer que l’exclusion de M. Brunskill de l’environnement de travail découlai d’exigences professionnelles justifiées au sens de l’alinéa 15(1)(a) et du paragraphe 15(2) LCDP, plus précisément entre le 10 octobre 2013 et le 9 septembre 2014, il est maintenant nécessaire pour le Tribunal de déterminer les remèdes appropriés en vertu des paragraphes 53(2), (3) et (4) LCDP.

[156]  Dans un premier temps, la preuve révèle qu’entre les 10 octobre 2013 et 13 avril 2014, le plaignant a bénéficié de prestations d’ICD. La preuve révèle que les prestations d’ICD équivalaient à 70% de son salaire et qu’il a pu augmenter ses prestations à 100% de son salaire en y appliquant des crédits complémentaires. En d’autres mots, M. Brunskill a reçu, pour ces périodes, la totalité de son salaire.

[157]  Je suis d’accord avec l’intimée que la perte de salaire de M. Brunskill, dans ce cas particulier, est nulle. Compenser le plaignant pour ces périodes constituerait une double indemnisation. J’ajouterais que si le Tribunal avait jugé que des pertes de salaire devaient être indemnisées, le Tribunal aurait eu à déterminer à partir de quelle date le Tribunal considérait que la Société ne rencontrait pas son fardeau quant aux exigences professionnelles justifiées. Dans ce cas-ci, puisque je juge qu’il n’y a pas de perte de salaire, au sens de l’alinéa 53(2)(c) LCDP, pour ces périodes, il n’est pas nécessaire pour le Tribunal de déterminer cette date précisément.

[158]  Cependant, en date du 14 avril 2014, j’estime que le plaignant doit être indemnisé pour le salaire dont il a été privé. La Société a demandé au Tribunal de ne pas la tenir responsable des pertes de salaire du plaignant, notamment pour cette période de 2014 puisque le plaignant n’a pas collaboré au processus d’accommodement. Pour les raisons mentionnées précédemment, je rejette cet argument.

[159]  Cela dit, M. Yannick Daoust, travaillant pour le centre de pension de la Société, a déposé à l’audience un tableau avec des informations fortes pertinentes dont, entre autres, le salaire qu’aurait dû recevoir M. Brunskill en 2014 (pièce R-2). Son salaire en 2014 aurait dû s’élever à 55 077,00$. Comme le Tribunal considère que la Société ne s’est pas acquittée de son fardeau d’accommodement entre le 14 avril 2014 et le 10 septembre 2014 inclusivement, le plaignant a droit à une compensation salariale équivalente à 107 jours de travail, soit une somme de 16 145,86, et ce, en application de l’alinéa 53(2)(c) LCDP.

[160]  Quant aux autres bénéfices desquels auraient pu être privés M. Brunskill pour cette même période, par exemple, des sommes liés à sa pension de retraite, le Tribunal comprend de la preuve, et comme l’a répété la Société à plusieurs reprises durant l’audience, que M. Brunskill était considéré comme un employé à temps plein, même s’il était exclu du milieu de travail. Ce faisant, il n’aurait pas perdu d’avantages en raison de son exclusion. Le Tribunal ne détient pas beaucoup d’informations à ce sujet et même s’il avait été prêt à compenser le plaignant pour des avantages dont il aurait été privé incluant notamment sa pension, le fardeau de prouver ces dommages était de la responsabilité de M. Brunskill. Je juge que la preuve qui a été soumise à cet égard est insuffisante et ne me permet pas d’ordonner ce genre de compensation.

[161]  Il n’y a pas non plus eu de preuve suffisante déposée par le plaignant quant aux potentiels bonus qu’il aurait pu recevoir s’il avait occupé un poste, notamment celui de facteur. Conséquemment, il m’est impossible d’ordonner compensation à ce sujet.

[162]  À partir du 10 septembre 2014, puisque la Société a été en mesure rencontrer son fardeau en accommodant raisonnablement le plaignant, je n’ordonnerai aucune compensation à partir de cette date. Comme j’ai également jugé que M. Brunskill n’a pas été forcé de prendre sa retraite, il n’est pas nécessaire pour moi d’entamer une analyse sur les pertes salariales potentielles et futures ni sur la question de la mitigation des dommages.

[163]  M. Brunskill a également demandé 20 000$ en dommages moraux ainsi que 20 000$ pour un acte délibéré ou inconsidéré (en vertu de l’alinéa 53(3)(e) et du paragraphe 53(3) LCDP). J’accorderai au plaignant 12 000$ en dommages moraux et 10 000$ en indemnité spéciale pour des actes inconsidérés.

[164]  Quant aux dommages moraux, j’ai mentionné à plusieurs reprises les diverses  émotions qu’a vécues M. Brunskill et qu’il a décrites pendant son témoignage : frustration, colère, incompréhension. Il a vécu ce bris de relation entre lui et la Société comme un divorce. Le mot « divorce » est important dans les circonstances. M. Brunskill a été un employé pour la compagnie depuis 1992. La Société est l’employeur d’une grande partie de la vie du plaignant. Ce sentiment d’abandon par l’employeur a eu des impacts sur le plaignant et lui a causé des préjudices. Tout au long de son témoignage, j’ai pu constater combien le plaignant s’est senti rejeté et abandonné par son employeur. Lors des audiences, il avait de la difficulté à contenir sa colère et le Tribunal a dû intervenir à plusieurs reprises pour le calmer.

[165]  Cela dit, il ne s’agit pas là des éléments les plus décisifs dans la décision d’octroyer des dommages moraux à M. Brunskill. Il est important de mentionner que le plaignant était, en date du 14 avril 2014, sans revenu. Il a témoigné qu’il n’avait pas assez d’argent pour se déplacer, payer son logement, mettre de l’essence dans sa voiture, nourrir ses animaux et surtout, se procurer de la nourriture pour manger. La preuve à ce sujet n’a pas été contredite par la Société. M. Brunskill est « mort de faim » pendant des semaines alors qu’il était sans salaire. Il s’est isolé, a perdu plusieurs de ses biens; il a même dû se débarrasser des documents qu’il avait au soutien de cette actuelle plainte. Comment le Tribunal ne pourrait-il pas considérer tous ces éléments comme étant préjudiciables? L’intimée n’a pas été en mesure de réfuter ses allégations. Considérant la souffrance du plaignant, le Tribunal lui accorde des dommages moraux de 12 000$ en application de l’alinéa 53(2)(e) LCDP.

[166]  Quant à l’indemnité spéciale, il est évident pour le Tribunal que la situation est devenue particulièrement urgente en date du 14 avril 2014 alors que le plaignant n’a plus eu de salaire. L’intimée, tout comme le syndicat, étaient au courant de la situation. L'intimée a manqué de sensibilité dans ce dossier, notamment en n'étant pas proactive et novatrice dans ses démarches afin de trouver un accommodement. La Société est une grande institution qui gère bon nombre d’employés. Elle n’a pas besoin qu’un Tribunal lui rappelle ses obligations en matière d’accommodements. La Société aurait dû savoir qu’en excluant M. Brunskill de l’environnement de travail, en le tenant à l’écart des discussions le concernant et en le maintenant dans l’ignorance, la Société agissait de manière injuste et inéquitable.

[167]  J’ajoute que la Société devrait être bien au fait que l’obligation d’accommodement demande d’être innovante et de faire participer toutes les parties impliquées dans le processus (employeur, employé et syndicat, le cas échéant). Elle ne doit pas baser son processus sur des hypothèses ou des postulats émanant de ses employés ou de son administration. Il a été très frappant d’entendre, de la part de Mme Petronis, que la Société assume que les employés ayant besoin d’accommodements veulent travailler près de leur domicile. N’aurait-il pas été plus judicieux que la Société pose tout simplement la question à ses employés qui nécessitent des accommodements? J’estime qu’il s’agit d’une conduite inconsidérée de la part de l’intimée. Pour ces raisons, le Tribunal accorde 10 000$ en dommages au plaignant pour la conduite inconsidérée de la Société, en vertu du paragraphe 53(3) LCDP.

[168]  Le Tribunal possède la discrétion nécessaire afin d’accorder des intérêts sur les dommages accordés. J’accorderai sur la perte de salaire des intérêts qui seront calculés à taux simple sur une base annuelle en se fondant sur le taux officiel d’escompte fixé par la Banque du Canada (données de fréquence mensuelle), et ce, conformément au paragraphe 53(4) LCDP et de la Règle 9(12) Règles de procédures du Tribunal canadien des droits de la personne (03-05-04). Ces intérêts devront être calculés en date du 14 avril 2014.

[169]  Quant aux dommages moraux et à l’indemnité spéciale, j’accorderai des intérêts calculés à taux simple sur une base annuelle en se fondant sur le taux officiel d’escompte fixé par la Banque du Canada (données de fréquence mensuelle), et ce, conformément au paragraphe 53(4) LCDP et de la Règle 9(12) Règles de procédures du Tribunal canadien des droits de la personne (03-05-04). Ces intérêts devront être calculés en date du 10 octobre 2013.

VII.  Décision

[170]  Pour ces raisons, le Tribunal juge que la plainte de M. Brunskill est partiellement fondée.

[171]  Conséquemment, le Tribunal ordonne que la Société verse à M. Brunskill la somme de 16 145,86$ pour perte de salaire, en application de l’alinéa 53(2)(c) LCDP;

[172]  Le Tribunal ordonne que la Société verse à M. Brunskill la somme de 12 000$ en dommages pour préjudice moral ainsi que la somme de 10 000$ comme indemnité spéciale en raison des actes inconsidérés, en vertu de l’alinéa 53(2)(e) et du paragraphe 53(3) LCDP;

[173]  Les intérêts sont calculés à taux simple sur une base annuelle en se fondant sur le taux officiel d’escompte fixé par la Banque du Canada (données de fréquence mensuelle), et ce, conformément au paragraphe 53(4) LCDP et de la Règle 9(12) Règles de procédures du Tribunal canadien des droits de la personne (03-05-04). Ces intérêts devront être calculés en date du 10 octobre 2013 quant aux dommages pour préjudice moral et pour l’indemnité spéciale. Quant aux pertes de salaires, les intérêts devront être calculés en date du 14 avril 2014.

Signée par

Gabriel Gaudreault

Membre du Tribunal

Ottawa, Ontario

Le 17 mai 2019

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T2224/4617

Intitulé de la cause : Glenn Brunskill c. Société canadienne des postes

Date de la décision du tribunal : Le 17 mai 2019

Date et lieu de l’audience : 11 – 14 septembre 2019

Brampton (ON)

Comparutions :

Glenn Brunskill, pour lui même

Aucune comparution pour la Commission canadienne des droits de la personne

Stephanie Sangster, pour l'intimée

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