Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien des droits de la personne

Entre :

Pierre Croteau

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada

l'intimée

Décision

Numéro du dossier : T1623/16910

Membre : Matthew D. Garfield

Date : Le 12 mai 2014

Référence : 2014 TCDP 16


Table des matières

Page

I. Introduction  1

II. Le contexte  1

III. L’emploi d’initiales  2

IV. Le plaignant  2

V. Le contexte de la présente affaire : l’entreprise ferroviaire  3

VI. La requête en non-lieu  5

A. La question du choix  5

B. Le droit relatif aux requêtes en non-lieu  6

i. La preuve prima facie dans les requêtes en non-lieu  7

C. Les motifs de la décision sur la requête en non-lieu  9

i. Allégations et faits particuliers dans la présente requête en non-lieu  10

VII. Les motifs de la décision sur le fond : Introduction  15

VIII. Le droit applicable  15

A. Le harcèlement  16

B. L’obligation d’accommodement  18

C. L’affaire Cruden  19

IX. Les conclusions relatives à la crédibilité  22

A. Le plaignant  23

B. Leslie Croteau et Cheryl Hames  26

C. Les témoins du CN  27

X. M. AB et la preuve d’expert qu’il a produite  28

XI. Les allégations de harcèlement  33

A. L’allégation no 1 : la conversation du 19 novembre 2003 entre KS et le plaignant  33

B. L’allégation no 2 : la réunion d’enquête de M. Mau le 15 décembre 2003  37

C. L’allégation no 3 : la reconstitution de la blessure à l’épaule du 8 janvier 2004  38

D. L’allégation no 4 : la blessure au genou du 10 mars 2004  39

E. L’allégation no 5 : la surveillance vidéo de M. Croteau et de sa famille  43

F. L’allégation no 6 : La réunion d’enquête du 11 mai 2004 avec Kevin Mau  46

G. L’allégation no 7 : Le refus de rembourser les frais de scolarité  49

H. L’allégation no 8 : TC s’est fondé à tort sur du ouï-dire et des renseignements erronés  51

I. L’allégation no 9 : La mesure disciplinaire prise à l’endroit de M. Croteau en 2006 pour les absences en mars 2004  52

XII. L’allégation concernant le manquement à l’obligation d’accommodement  53

A. Le diagnostic / les troubles médicaux de M. Croteau et les restrictions  54

B. Les mesures d’accommodement : historique et conclusions  57

C. La période d’accommodement d’avril 2007 à mai 2008  67

D. Les cinq tentatives de retour au travail  69

i. La tentative no 1 : l’observation du surveillant Joe Russell  69

ii. La tentative no 2 : le travail administratif/de bureau avec M. Tino et Mme Robinson  70

iii. La tentative no 3 : l’observation de la surveillante LG  70

iv. La tentative no 4 : commis au stock de radios  71

v. La tentative no 5 : le poste d’observation du surveillant  75

E. Le 6 mai 2008 : M. Croteau est « relevé de ses fonctions » – congé non payé  78

F. Les faits ayant eu lieu après le 6 mai 2008  79

G. Les efforts d’accommodement faits entre mai 2008 et juin 2013, y compris le rayon de la recherche d’emploi  82

H. Pourquoi les tentatives de retour au travail de M. Croteau ont-elles été infructueuses? Pourquoi la défense d’« EPJ/Mesures d’accommodement » du CN a-t-elle été retenue?  89

I. Les questions procédurales concernant les mesures d’accommodement et les pratiques exemplaires  93

XIII. La conclusion  97

 

 


I.  Introduction

  • [1] Le plaignant, Pierre Croteau, a commencé à travailler pour la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (le CN) en 1992, et il a gravi les échelons jusqu’au poste de chef de train sans incident. Malheureusement, comme nous le verrons dans les présents motifs de décision, les choses ont mal tourné à l’automne 2003. À cause d’accidents au départ et de l’apparition d’une déficience mentale, M. Croteau n’exerce plus ses fonctions de chef de train depuis 2004. En fait, il est en congé non payé depuis mai 2008.

  • [2] En 2003-2004, la relation entre l’employeur et l’employé s’est rapidement détériorée. Le plaignant a déposé une plainte de harcèlement interne contre deux superviseurs, de pair avec des griefs, une plainte auprès du commissaire à la protection de la vie privée du Canada, ainsi qu’une plainte relative au « devoir de représentation juste » au titre du Code canadien du travail à l’encontre de son syndicat. Il a aussi déposé une plainte (la plainte) auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission), se disant victime de discrimination et de harcèlement, en violation des articles 7 et 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H‑6, dans sa version modifiée (la LCDP) pour le motif de distinction illicite que constitue la déficience [1] .

  • [3] La Commission a renvoyé la plainte au Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) le 15 décembre 2010. Quelque temps avant le début des audiences, soit le 9 janvier 2012, le CN a déposé une requête visant à limiter la portée de l’instruction. À part cette requête et une requête ultérieure en non-lieu, la Commission n’a pas participé aux audiences. Pour ce qui est de la requête visant à limiter la portée de l’instruction, je l’ai entendue et rejetée sous réserve du droit de l’intimée de la renouveler à la fin de la plaidoirie du plaignant. Des activités de médiation ont également eu lieu avant et pendant les audiences.

  • [4] La plainte dont il est question en l’espèce comprenait onze allégations de harcèlement entre 2003 et 2007, ainsi qu’une allégation continue de manquement à l’obligation d’accommodement entre l’année 2004 et la fin des audiences en 2013. Ces dernières ont duré 36 jours, et cela incluait une requête en non-lieu à la fin de la plaidoirie du plaignant. Il y a eu de nombreuses interruptions au cours des audiences à cause des crises de panique du plaignant. La situation était toutefois gérable et le plaignant a pu revenir. Il y a aussi une multitude d’éléments de preuve de vive voix et documentaire (dix reliures de pièces) à analyser et à prendre en considération. Et, bien sûr, les parties ont déposé des observations finales et des recueils de jurisprudence.

  • [5] Du point de vue des parties et des témoins, les souvenirs s’estompent et il devient plus difficile de témoigner – certains faits remontent à 2003. Du point de vue du Tribunal, cela a rendu l’affaire plus complexe à trancher.

  • [6] À cause des allégations portées contre certains particuliers ou de certaines de mes conclusions, j’ai décidé d’employer des initiales ou des lettres pour identifier ces personnes, plutôt que leur nom entier, dans le souci de protéger leur vie privée.

  • [7] M. Croteau soutient que le CN a violé les droits que lui confèrent les articles 7 et 14 de la LCDP pour cause de déficience. L’article 7 est libellé ainsi :

II.  Le contexte

III.  L’emploi d’initiales

IV.  Le plaignant

Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a)  de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

b)  de le défavoriser en cours d’emploi.

Le paragraphe 14(1) est libellé ainsi :

Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de harceler un individu :

[…]

c)  en matière d’emploi.

  • [8] La portée de la plainte, telle qu’elle est définie par l’exposé des précisions et des stipulations additionnelles du plaignant, dans le cadre des observations finales de son avocat, est la suivante :

[Traduction] Le fondement essentiel de la cause de M. Croteau comporte des allégations relatives à des actes de harcèlement et à un comportement de l’intimée qui ont débuté en 2003 et qui se poursuivent encore aujourd’hui. M. Croteau prétend qu’il a été pris pour cible et harcelé, que sa réputation a été faussement attaquée et qu’il a été porté atteinte à sa vie privée et à celle de sa famille, en violation de ses droits à la protection de sa vie privée, par le CN à cause du fait qu’il devait prendre congé pour un problème médical personnel en 2003 et aussi de deux accidents du travail subis en 2004, le premier à l’épaule et le second au genou. M. Croteau soutient par ailleurs que l’effet cumulatif des agissements du CN l’a amené à souffrir d’un trouble anxieux, d’un trouble de stress post‑traumatique ainsi que d’un trouble d’adaptation, troubles pour lesquels le CN ne s’est pas acquitté de manière sérieuse de son obligation d’accommodement, ce qui a exacerbé et prolongé son état.

V.  Le contexte de la présente affaire : l’entreprise ferroviaire

  • [9] Je souhaite, au début de mes motifs, faire quelques commentaires sur le contexte singulier dans lequel s’inscrit l’entreprise de l’intimée – le transport ferroviaire de marchandises. Il s’agit d’une entreprise dangereuse quand les choses vont de travers. Les témoins du CN et les pièces produites traitent de l’aspect bien particulier qui l’emporte sur tous les autres au CN : la SÉCURITÉ de ses employés et du grand public. Derrick Colasimone, l’actuel directeur général, Division du Michigan, laquelle englobe Sarnia et Windsor, et un homme de très grande expérience dans le domaine ferroviaire, au sein duquel il a notamment travaillé comme chef de train et comme conducteur de locomotive, a exprimé avec éloquence la nature de ce domaine, l’importance de la sécurité et les dangers inhérents à l’exploitation d’une entreprise ferroviaire. Il s’agit, pour des raisons évidentes, d’un secteur très réglementé et soucieux de la sécurité. Comme il l’a déclaré : [Traduction] « notre mot d’ordre est “la sécurité favorise le rendement”. Quand on exploite une entreprise ferroviaire sécuritaire, tout le reste est facile […] C’est une industrie qui ne pardonne pas. Il est impossible de se faire mal “un peu”. » De plus, les entreprises ferroviaires transportent souvent des matières dangereuses. Toutes les règles énoncées dans le Livre des règles d’exploitation ferroviaire sont là pour une raison précise, et un grand nombre d’entre elles ont été écrites en lettres de sang (à la suite d’accidents mortels).

  • [10] J’ai entendu des témoignages concernant la réglementation exhaustive de l’industrie ferroviaire et la supervision qu’exerce Transports Canada. Et, bien sûr, le CN applique de nombreuses règles et exerce un nombre considérable d’activités de surveillance à l’interne, dont des contrôles d’efficacité réguliers. On considère que les chefs de train (qui sont chargés du fonctionnement général d’un train) et les conducteurs de locomotive (qui sont chargés du fonctionnement de la locomotive) occupent un poste essentiel à la sécurité (ES), qui doit comporter des exigences et des processus d’évaluation très élevés en matière d’aptitude au travail. Il existe d’autres postes de type ES, tels que ceux de coordonnateur de train, de chef de triage, etc. En deçà de ces postes, sur le plan de la désignation de sécurité, figurent les postes dits sensibles sur le plan de la sécurité (SS) (p. ex., les surveillants), et ils sont suivis des postes autres que ES ou SS et ne comportant aucune désignation sur le plan de la sécurité, comme les postes de bureau.

  • [11] J’ai également entendu des témoignages à propos des règles régissant la déclaration des blessures et des accidents par les équipes de train. Plus d’un témoin du CN a témoigné au sujet du fait que [Traduction] « aucune blessure n’est trop légère » pour être déclarée (une mesure qui est obligatoire, non facultative) et faire l’objet d’une enquête. Comme l’a fait remarquer M. Colasimone, n’importe quel manquement à une règle de sécurité risque de causer la mort. Il a donné comme exemple la [Traduction] « descente d’un train ». Un membre de l’équipe de train pourrait tomber sous un train.

  • [12] Je dis ce qui précède parce que, comme nous le verrons dans les présents motifs, et contrairement à l’argument du plaignant, [Traduction] « la question de la sécurité » n’était pas [Traduction] « un faux-fuyant, un écran de fumée ou une justification pour expliquer les actes de harcèlement et l’incapacité de prendre des mesures d’accommodement » à l’endroit du plaignant. Il n’existe pas une loi canadienne sur les droits de la personne qui s’applique à un lieu de travail en particulier et une autre à l’industrie ferroviaire, mais le contexte est important. En outre, la « sécurité » est expressément mentionnée comme un facteur dont il faut tenir compte au moment d’évaluer si une mesure d’accommodement proposée constituerait une « contrainte excessive » au sens du paragraphe 15(2) de la LCDP. Il m’est apparu très clairement après cette longue audition que, pour le CN, pour l’industrie ferroviaire en général ainsi que pour le gouvernement qui la réglemente, la « sécurité » représente un aspect prépondérant et déterminant.

  • [13] À la fin de la plaidoirie du plaignant, l’avocat de l’intimée a déclaré qu’il avait l’intention de déposer une requête en non-lieu. J’ai reçu des observations écrites sur le fait de savoir si, dans l’éventualité où la requête serait entendue, le CN aurait à décider s’il entendait de ne pas présenter d’éléments de preuve. J’ai jugé qu’il ne serait pas obligé de faire ce choix.

  • [14] Pour ce qui est de la question du choix à faire dans le cas d’une requête en non-lieu j’ai formulé quelques commentaires, que j’ai énoncés pour la première fois dans les motifs de la décision concernant l’affaire Fahmy c. GTAA, 2008 TCDP 12. Premièrement, le Tribunal est habilité à décider si un choix est requis et à entendre une requête en non-lieu : Filgueira c. Garfield Container Transport Inc., 2006 CF 785. Le juge Hughes a fait remarquer, au paragraphe 22, que le fait d’exiger un choix est une question de procédure, et non de droit ou de justice naturelle : « Il y a lieu d’accorder une latitude suffisante aux tribunaux administratifs en matière de procédure […] » Deuxièmement, il existe, au niveau du Tribunal, deux décisions réfléchies dans le cadre desquelles il a été exigé et non exigé qu’un choix soit fait avant l’audition d’une requête en non-lieu. Dans les deux décisions, les membres instructeurs respectifs ont convenu qu’il y avait lieu de trancher la question en fonction des circonstances de chaque espèce : Chopra c. Canada (Ministère de la Santé nationale et du Bien-être social), [1999] D.C.D.P. no 5, et Filgueira, 2005 TCDP 30 [2] . Dans le contexte civil, la plupart des ressorts au Canada n’exigent pas qu’un choix soit fait [3] . Bien que les deux décisions soient fondées sur des raisons de principe et de droit valables, pour les motifs énoncés dans la décision Fahmy, je suis davantage convaincu par les arguments en faveur du fait de ne pas exiger un choix.

  • [15] Bien qu’il ne faille pas exploiter les ressources d’un défendeur et les fonds publics pour payer des demandes frivoles ou vexatoires, les tribunaux ont mis la barre haute pour qu’une requête en non-lieu soit accueillie. Cela se fait de diverses façons : le critère de la preuve prima facie, qui oblige à présumer que l’on ajoute foi à la preuve du demandeur; le fait de forcer un défendeur à faire un choix (dans les ressorts où cela est exigé); l’adjudication des dépens à l’encontre d’une partie requérante déboutée. Les tribunaux ont clairement statué qu’il ne faudrait pas qu’il soit trop facile pour un défendeur de mettre fin à une poursuite à la suite d’une requête en non-lieu. On craint peut-être de retarder le processus si les requêtes en non-lieu infructueuses deviennent la norme. En revanche, comme l’a déclaré l’arbitre Wildsmith dans la décision Gerin c. IMP Group Ltd., [1994] N.S.H.R.B.I.D. no 4, au paragraphe 21 : [Traduction] « […] je signale que la requête en non-lieu est une protection potentielle contre les abus ».

  • [16] Le critère qui s’applique à la partie requérante est celui qu’a fixé le juge Hughes dans la décision Filgueira, aux paragraphes 24 et 25 :

VI.  La requête en non-lieu

A.  La question du choix

B.  Le droit relatif aux requêtes en non-lieu

i.  La preuve prima facie dans les requêtes en non-lieu

Une requête en non-lieu exige que la Cour ou le tribunal administratif examine la preuve en se demandant si, en supposant qu’il leur ajoute foi, les éléments de preuve sont suffisants pour établir à première vue qu’il y a eu discrimination. Ainsi que le juge McIntyre de la Cour suprême du Canada l’explique dans l’arrêt O’Malley (Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536) au paragraphe 28 :

Dans les instances devant un tribunal des droits de la personne, le plaignant doit faire une preuve suffisante jusqu’à preuve contraire qu’il y a discrimination. Dans ce contexte, la preuve suffisante jusqu’à preuve contraire est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de l’employeur intimé.

Dans l’affaire J.W. Cowie Engineering Ltd. c. Allen (1982), 26 C.P.C. 241, la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse a, notamment aux paragraphes 12 à 17, examiné la nature et le degré de preuve suffisants pour satisfaire au critère de la preuve suffisante jusqu’à preuve contraire. Le juge Jones, qui s’exprimait au nom de la majorité, expose succinctement le principe juridique applicable, au paragraphe 14 :

[Traduction] Il est évident que le simple fait qu’il existe certains éléments de preuve, aussi ténus soient-ils, n’empêche pas le juge du fond de faire droit à la requête.

  • [17] Une requête en non-lieu infructueuse ne veut pas dire que le demandeur aura gain de cause à la conclusion de l’audience proprement dite. Cela signifie simplement que la « barre haute » que l’on a fixée pour le rejet d’une demande au stade préliminaire n’a pas été atteinte.

  • [18] Il est important de noter les méthodes d’analyse différentes que l’on utilise pour une rendre une décision en matière de non-lieu et rendre une décision « sur le fond ». Comme l’a fait remarquer le membre instructeur Groarke dans une autre décision : Filgueira c. Garfield Container Transport Inc., 2005 TCDP 32, au paragraphe 12, dans une requête en non-lieu, l’analyse que l’on effectue est différente de celle que l’on mène « sur le fond » à la fin d’une audience. Les tribunaux ont très clairement mentionné qu’il n’y a pas lieu que le juge du procès ou l’arbitre procède à l’appréciation et à l’évaluation ordinaire de la preuve, y compris la crédibilité, que l’on effectue habituellement à la conclusion d’une instruction ou d’une audience. Dans le cas d’une requête en non-lieu, le juge ou l’arbitre évalue l’affaire prima facie – de manière très superficielle – « à première vue », ce que signifie littéralement l’expression latine prima facie. Aucun examen approfondi de la preuve ni aucune appréciation de la crédibilité des témoins n’ont lieu. En fait, la barre est fixée si haut que ce n’est que si la cause du plaignant est tout à fait invraisemblable ou tirée par les cheveux qu’il y a lieu de ne pas y ajouter foi [4] .

  • [19] La Cour d’appel de l’Ontario, dans l’arrêt FL Receivables Trust 2002-A (Administrator of) c. Cobrand Foods Ltd. (2007), 85 O.R. (3d) 561, a analysé le rôle que joue le juge du procès dans une requête en non-lieu. Elle a conclu que le juge, en faisant droit à la requête, avait appliqué le mauvais critère [Traduction] « […] en outrepassant son mandat limité […] » à l’égard de la requête. Le juge Laskin a écrit ce qui suit, aux paragraphes 35 et 36 :

[Traduction

  Dans une requête en non-lieu, le juge du procès procède à un examen restreint. Il y a deux principes pertinents qui guident cet examen. Premièrement, si le demandeur présente une preuve quelconque sur tous les éléments de sa demande, le juge se doit de rejeter la requête. Deuxièmement, pour évaluer si le demandeur a établi une preuve prima facie, le juge doit présumer que cette preuve est véridique et attribuer « le sens le plus favorable » aux éléments susceptibles de donner lieu à des inférences opposées […].

  Autrement dit, dans le cadre d’une requête en non-lieu, le juge du procès ne devrait pas décider si les inférences opposées dont dispose le défendeur au vu des éléments de preuve réfutent la preuve prima facie du demandeur. Le juge devrait tirer cette conclusion à l’issue du procès, et non dans le cadre de la requête en non-lieu. Voir John Sopinka, Sidney N. Lederman et Alan W. Bryant, The Law of Evidence in Canada, 2e éd., Toronto, Butterworths Canada, 1999, à la page 139.

Je présume que la Cour ne sous-entend pas que la « présomption de véracité » de la preuve inclut une preuve qui est invraisemblable à l’extrême, ou simplement absurde.

  • [20] Je tiens aussi à souligner qu’il y a une certaine confusion dans la jurisprudence quant au fait de savoir si le critère exige que la preuve engagerait ou pourrait engager la responsabilité. Les tribunaux judiciaires et administratifs ont suivi les deux approches et certains évitent carrément le problème. Dans la décision Filgueira, précitée, le juge Hughes cite en y souscrivant, au paragraphe 6, le passage suivant de Sopinka, Lederman et Bryant : « Le juge doit déterminer si l’arbitre des faits pourrait raisonnablement donner gain de cause au demandeur s’il ajoutait foi à la preuve présentée jusque-là dans le procès. » (Non souligné dans l’original.) Il semble évident que la Cour suprême du Canada a opté pour la seconde approche (« pourrait engager »), du moins en matière civile et pénale, et c’est celle que j’ai suivie en l’espèce [5] . Il n’y a pas lieu, selon moi, de s’en écarter dans les instances devant le Tribunal.

  • [21] Les 19 et 20 juillet 2012, j’ai entendu les arguments sur la requête en non-lieu. Le 9 octobre 2012, j’ai fait part aux parties de la décision suivante :

C.  Les motifs de la décision sur la requête en non-lieu

[Traduction] La requête en non-lieu est accordée en partie; plus précisément, pour ce qui est des allégations no 9 (calepin lors du cours de recyclage sur les règles) et no 10 (non-divulgation des bandes de surveillance). La requête a été tranchée conformément au paradigme de l’« examen restreint » d’une requête en non-lieu : c’est-à-dire que le juge se doit d’attribuer le sens le plus favorable à la preuve du plaignant et ne pas entreprendre d’apprécier et de soupeser la preuve et la crédibilité comme il le fait d’habitude à la fin d’une audience. Le CN peut produire des éléments de preuve au sujet des allégations de harcèlement et de « manquement à l’obligation d’accommodement » qui restent, mais il n’est pas obligé de le faire […].

  • [22] Il ressort de la décision qui précède que je n’ai fourni essentiellement aucun motif. Cela répond aux commentaires faits dans les diverses affaires de choix et de non-lieu quant à la question de savoir s’il y a lieu de fournir des motifs ou non, ainsi qu’à quel moment et dans quelle mesure, lorsqu’un choix n’est pas exigé. Dans la décision Potocnik c. Thunder Bay (City), [1996] O.H.R.B.I.D. no 16, au paragraphe 16, l’arbitre Slotnick cite en y souscrivant la démarche suivie dans la décision Tomen c. O.T.F. (no 3), (1989) 11 C.H.R.R. D/223, qui a consisté à ne pas donner de motifs. Au paragraphe 10, l’arbitre Slotnick a déclaré ce qui suit :

[Traduction] […] lorsqu’un arbitre n’exige pas un choix et finit par rejeter la requête en rejet de la plainte, la procédure qui convient consiste à ne pas fournir de motifs. Sans cela, la partie qui est sur le point de présenter sa preuve aurait l’avantage de bénéficier des réflexions de l’arbitre sur la preuve de la partie adverse.

Dans la décision Filgueira, précitée, le membre instructeur Groarke fait mention d’une intimée qui « sonderait le terrain » auprès du Tribunal. Je suis d’accord pour dire qu’il ne faudrait pas qu’une intimée tire avantage du fait de déposer une requête en non-lieu infructueuse en parvenant à [Traduction] « tâter le terrain » auprès d’un tribunal. L’arbitre ne devrait pas fournir de motifs, sinon pour dire si l’on a établi le critère d’une preuve prima facie. Telle est l’approche que j’ai suivie en l’espèce.

i.  Allégations et faits particuliers dans la présente requête en non-lieu

  • [23] Je passe maintenant à l’application du droit relatif aux requêtes en non-lieu aux allégations et aux faits qui sont en litige en l’espèce. Le CN soutient qu’il n’existe aucune preuve qui, si l’on y ajoute foi, est en mesure d’étayer une conclusion de responsabilité à son encontre au titre de l’article 7 ou de l’article 14 de la LCDP pour le motif de distinction illicite fondée sur la déficience. Les allégations reposent uniquement sur les [Traduction] « croyances subjectives » du plaignant. Ce dernier, il va sans dire, plaide le contraire.

  • [24] J’ai examiné avec soin les éléments de preuve, tant de vive voix que documentaire, que le plaignant et ses témoins ont présentés. Comme je l’ai précisé dans ma décision, j’étais d’avis qu’il existait des éléments de preuve qui, si l’on y ajoutait foi, pourraient engager la responsabilité dans le cas de neuf des onze allégations de harcèlement et de l’allégation de manquement à l’obligation d’accommodement [6] . Pour deux de ces onze allégations de harcèlement, j’ai conclu le contraire et je les ai rejetées.

  • [25] J’ai effectué l’analyse relative à la requête en non-lieu en fonction des paramètres juridiques suivants : donner l’interprétation la plus favorable à la preuve du plaignant ainsi qu’à celle de ses témoins, et faire abstraction des questions de crédibilité. Je mettrai l’accent sur les deux allégations que j’ai jugées irrecevables.

  • [26] L’inscription [Traduction] « je suis gai » dans le cahier d’exercices sur les règles : M. Croteau allègue qu’un superviseur, Don Schenk, a inscrit les mots [Traduction] « je suis gai » dans son cahier d’exercices lors d’un cours de recyclage sur les règles qui a eu lieu le 31 mai 2007. Il ne fait aucun doute que ces mots figuraient dans le cahier. Terrence Gallagher, gestionnaire supérieur des Ressources humaines, a fait enquête et a confirmé l’incident au plaignant dans sa lettre du 12 juin 2007. Il a écrit que les cahiers sont habituellement [Traduction] « réutilisés d’un cours à un autre » et revus avant d’être redistribués. [Traduction] « Dans ce cas-ci, malheureusement, l’inscription faite dans le cahier est passée inaperçue. Et il nous est impossible de déterminer qui a inscrit le commentaire dans le document ». Lors de son témoignage, M. Croteau a déclaré : [Traduction] « J’ai été content de la recevoir [la lettre] ». M. Gallagher lui a aussi téléphoné. Le CN devait prendre des mesures pour s’assurer qu’un tel incident ne se reproduise plus jamais.

  • [27] M. Croteau croit sans équivoque que c’est M. Schenk qui a inscrit ces mots. Il a déclaré qu’il y avait six autres employés dans la classe, mais il ne les connaissait pas. Il avait passé en revue le cahier (d’une longueur de 60 à 80 pages) avant le cours et n’y avait pas vu les mots en question. Pendant la pause, il était allé aux toilettes. À son retour, seul M. Schenk était présent. C’est à ce moment-là qu’il avait relevé l’inscription en question. Il admet qu’il ne sait pas si quelqu’un d’autre est revenu dans la pièce en son absence. Il est devenu visiblement contrarié et a été victime d’une crise de panique. M. Schenk s’en est rendu compte et lui a demandé ce qui n’allait pas. Le plaignant a refusé de lui remettre le cahier pour qu’il l’examine et a répété : [Traduction] « je ne suis pas gai et je ne démissionne pas ».

  • [28] Lors des audiences M. Croteau a déclaré que, même s’il avait été victime d’une [Traduction] « grave » crise de panique (à un niveau de 9,5 à 10, selon lui) au cours de l’incident, il avait néanmoins un souvenir clair de ce qui s’était passé et était sûr que M. Schenk avait écrit ces mots. Il a même laissé entendre qu’il y avait un lien entre l’incident et sa prétendue [Traduction] « diminution de salaire » (c’est-à-dire qu’on devrait lui payer la rémunération d’une journée complète même s’il travaillait pour moins que cela). Le plaignant a reconnu plus tard que M. Schenk n’était pas responsable des [Traduction] « problèmes de paie », pas plus qu’il n’était intervenu dans son régime de retour au travail (le RT), et qu’il s’était occupé seulement d’enseigner ce cours sur les règles.

  • [29] M. Croteau a également déclaré qu’étant donné que son frère avait été emporté par le sida douze ans avant l’incident, que Sarnia est une petite ville et que tous étaient au courant de la cause du décès de son frère, qu’il conduisait une Volkswagen Beetle rouge – qu’il a qualifiée de [Traduction] « voiture peu masculine » – et qu’il travaillait de façon [Traduction] « intermittente » à cause de son problème médical personnel, il pensait que les gens [Traduction] « tenaient pour acquis qu’il était gai ». Il a admis qu’aucun employé du CN n’a jamais fait un commentaire, désobligeant ou autrement, sur le sujet, à part l’incident du cahier qui a eu lieu en mai 2007.

  • [30] L’avocat du CN soutient que cette allégation de harcèlement est [Traduction] « absurde [et] bizarre » et qu’elle repose exclusivement sur la croyance subjective du plaignant. Subsidiairement, même si j’en venais à conclure que M. Schenk était l’auteur de cette inscription, ce dernier n’est pas désigné comme intimé, et le CN peut invoquer l’article 65 (responsabilité du fait d’autrui) de la LCDP.

  • [31] L’avocat du plaignant répond que le CN n’a pas satisfait au critère élevé fixé pour cette allégation soit jugée irrecevable et qu’il confond le critère applicable aux requêtes en non-lieu avec le critère qui s’applique habituellement après l’audience, lequel consiste à apprécier la preuve et la crédibilité. Le plaignant a satisfait au critère peu élevé que constitue le fait d’établir pour cette allégation une preuve prima facie.

  • [32] Pour ce qui est de la preuve et de l’argument susmentionnés, je conclus que le plaignant n’a pas établi, pour cette allégation, l’existence d’une preuve prima facie. L’allégation repose uniquement sur la perception et la croyance du plaignant, sans qu’une preuve donne même à penser que M. Schenk a écrit cette inscription.

  • [33] Subsidiairement, si je n’avais pas rejeté cette allégation à l’étape de la requête en non‑lieu, je l’aurais fait selon la prépondérance des probabilités à la conclusion des audiences. Il n’y avait aucune relation ni aucun antécédent antagoniste entre le plaignant et M. Schenk. Il n’avait aucune raison de poser ce geste. D’après la preuve, M. Schenk a été surpris par les chimères de M. Croteau, il a demandé ce qui n’allait pas et il a voulu voir le cahier. La note au dossier de M. Schenk, écrite quelques jours après l’incident, montre qu’il était à la fois surpris et préoccupé par ce qui s’était passé ainsi que par l’effet que cela avait eu sur M. Croteau. Après le cours, il avait même demandé au plaignant s’il voulait qu’il lui appelle un taxi pour rentrer chez lui. Je signale également qu’il aurait été très risqué pour lui d’avoir inscrit ces mots, étant donné que M. Croteau ou les autres employés auraient pu entrer dans la pièce à tout moment au cours de la pause.

  • [34] De plus, il n’y a aucune responsabilité au titre de la LCDP dans ce cas-ci, car, même si M. Schenk avait effectivement écrit ces mots dans le cahier, la preuve établit que le CN, aux termes du paragraphe 65(2) de la LCDP n’a pas donné son « consentement » à l’acte, il a « pris toutes les mesures nécessaires pour l’empêcher » et, par la suite, il a tenté « d’en atténuer ou d’en annuler les effets ». Le CN dispose de politiques anti-discrimination ou harcèlement exhaustives. De plus, il devait passer en revue les cahiers relatifs aux règles avant qu’on les réutilise dans une autre classe. Enfin, le CN s’est penché sur l’affaire quand il a été mis au courant de ce qui s’était passé. En fait, M. Croteau a déclaré qu’il avait apprécié l’enquête (non sollicitée par lui) que M. Gallagher avait menée, ainsi que la réponse (appel téléphonique et lettre) de ce dernier.

  • [35] La non-divulgation des bandes de surveillance : M. Croteau allègue que le CN ne lui a pas fourni la totalité des bandes de surveillance d’une enquête privée qu’il avait commandée. La preuve, au cours de la plaidoirie du plaignant, était que le CN lui avait montré les bandes de surveillance de mars 2004 pendant la réunion d’enquête avec le coordonnateur de train Kevin Mau le 11 mars 2004. Le CN avait offert de lui remettre une copie des bandes, mais M. Croteau aurait eu à payer des [Traduction] « frais de copie » à l’entreprise qui aurait produit les copies. Le CN ne tirait aucun profit des copies qui étaient faites. M. Croteau a déclaré que le CN offrait de vendre les bandes à des [Traduction] « tiers » à profit. La preuve, dans la plaidoirie du plaignant, montrait aussi qu’on avait dit à son épouse, qui a témoigné elle aussi, qu’elle pouvait recevoir une copie des bandes moyennant des frais. M. Croteau a témoigné qu’il n’était pas disposé à payer les bandes, en raison de sa situation financière et [Traduction] « par principe ». Il pensait qu’on aurait dû lui remettre les copies gratuitement. Il a également déclaré que les [Traduction] « problèmes de surveillance » faisaient partie des [Traduction] « problèmes au travail » qu’il fallait régler pour qu’il puisse se remettre sur pied et revenir au travail. Cela sous-entend que les frais exigés pour les copies l’avaient empêché d’obtenir les bandes et de régler les [Traduction] « problèmes de surveillance », lesquels l’empêchaient de réintégrer le lieu de travail. Je rejette cet argument.

  • [36] Après avoir examiné la preuve fournie sur cette allégation dans la plaidoirie du plaignant, dans le cadre de l’examen limité pour la requête en non-lieu, et en lui attribuant l’interprétation la plus favorable qui soit sans tomber dans l’absurdité, je ne puis laisser cette allégation dépasser le stade de la requête en non-lieu. Je conclus qu’il n’existe aucun lien entre la preuve relative à cette allégation et le harcèlement au sens de l’article 14 de la LCDP.

  • [37] Après avoir rejeté la requête en non-lieu concernant neuf des onze allégations de harcèlement ainsi que l’allégation d’une différence de traitement défavorable (le manquement à l’obligation d’accommodement), j’ai demandé à l’avocat de l’intimée s’il souhaitait présenter des éléments de preuve. Il va sans dire que Me McFadden a répondu que oui, et j’ai ensuite entendu les témoins du CN ainsi que la brève contre-preuve du plaignant. Voici donc mes motifs pour rejeter la plainte sur le fond après une audition complète, en soumettant les témoins et leurs témoignages, la preuve documentaire, etc., à l’examen auquel un juge procède habituellement après cette audition – c’est-à-dire, apprécié les éléments de preuve, y compris les questions de crédibilité.

  • [38] Le fardeau initial d’établir une preuve prima facie de discrimination sous le régime de la LCDP incombe au plaignant ou à la Commission : Commission ontarienne des droits de la personne et O’Malley c. Simpsons-Sears Limited, [1985] 2 R.C.S. 536, au paragraphe 28. Une fois cette preuve établie, il revient alors à l’intimé de justifier ou d’expliquer la pratique ou l’acte discriminatoire : Canada (P.G.) c. Lambie, [1996] A.C.F. no 1695, au paragraphe 16. L’explication de l’intimé ne devrait pas jouer un rôle dans la détermination de la question de savoir si le plaignant a établi une preuve prima facie de discrimination : Lincoln c. Bay Ferries Ltd., 2004 CAF 204, au paragraphe 22.

  • [39] Un autre aspect pertinent en l’espèce est le principe juridique suivant : « il n’est pas nécessaire que les considérations liées à la discrimination soient le seul motif de la conduite reprochée. Il suffit que la discrimination soit un des facteurs qui ont motivé la décision de l’employeur » : Morris c. Canada (Forces armées) (2001), 42 C.H.R.R. D/443 (T.C.D.P.), au paragraphe 69.

  • [40] La jurisprudence reconnaît qu’il est difficile de prouver une allégation de discrimination par preuve directe. La discrimination s’exerce souvent de manière très subtile et cachée. La discrimination flagrante est rare : Basi c. La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada No 1) (1988), 9 C.H.R.R. D/5029 (T.C.D.P.), au paragraphe 5038. Il incombe plutôt au Tribunal de prendre en compte la totalité des circonstances en vue de décider s’il existe ce qu’on a appelé, dans la décision Basi, de « subtiles odeurs de discrimination ».

  • [41] Dans les affaires de discrimination, la norme de preuve est la norme civile ordinaire de la prépondérance des probabilités. Selon cette norme, on peut conclure à la discrimination lorsque la preuve rend cette conclusion plus probable que n’importe quelle autre conclusion ou hypothèse possible : Premakumar c. Air Canada (No 2) (2002), 42 C.H.R.R. D/63 (T.C.D.P.), au paragraphe 81.

  • [42] Une partie de la plainte dont il est question en l’espèce comporte des allégations de harcèlement. Aux termes de l’article 14 de la LCDP, constitue un acte discriminatoire « s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de harceler un individu ». Bien que le mot « harcèlement » ne soit pas défini dans la LCDP, la jurisprudence des tribunaux judiciaires et des droits de la personne ont établi une définition admise : il s’agit de n’importe quel mot ou comportement qui est importun ou qui devrait être connu comme tel (selon une norme objective) [7] sur le fondement d’un motif de distinction illicite. Bien que la jurisprudence requiert en général la présence d’actes répétitifs ou persistants, les tribunaux judiciaires et administratifs considèrent également qu’un fait unique et sérieux suffit pour constituer du « harcèlement » [8] . Si le critère n’était que la croyance subjective et personnelle des plaignants, les intimés auraient bien de la difficulté à mener à bien leur défense.

  • [43] Établir une définition juridique pratique du « harcèlement » en dehors du cadre du harcèlement sexuel est une tâche complexe, car la seconde version du critère est celle qui a été créée en premier. La majeure partie de la jurisprudence traite du harcèlement sexuel ou racial. Cela dit, il y a bien sûr un élément commun. Quand on a affaire à des allégations de [Traduction] « harcèlement fondé sur la déficience », il est important de reconnaître que cela dénote plus que le simple fait d’être mal à l’aise ou d’être offusqué lors des entretiens délicats, parfois difficiles, entre la direction et les employés. Par exemple, un employeur a le droit de gérer ses employés ainsi que les questions qui se rapportent à l’exploitation de son entreprise, comme le fait d’établir, de surveiller et de faire appliquer des règles dans le lieu de travail. La clé est d’examiner si la conduite a violé la dignité de l’employé (p. ex., à cause d’un traitement dénigrant ou dégradant de l’employeur qui est lié au motif de la déficience) d’un point de vue objectif, de sorte que cette conduite a créé un milieu de travail hostile ou malsain [9] . Dans la décision Day c. Société canadienne des postes, 2007 TCDP 43, le membre instructeur Jensen a écrit, au paragraphe 184 :

VII.  Les motifs de la décision sur le fond : Introduction

VIII.  Le droit applicable

A.  Le harcèlement

La jurisprudence sur le harcèlement est fondée sur l’idée que la conduite à l’examen est, par sa nature, étrangère aux activités légitimes et aux objectifs économiques de l’employeur. Les remarques désobligeantes ou les remises en question constantes et inutiles de la déficience qui sont humiliantes et vexatoires sont des exemples de conduites jugées étrangères aux activités légitimes dans un milieu de travail. 

B.  L’obligation d’accommodement

  • [44] J’ai pris en considération les principes juridiques généraux et les éléments jurisprudentiels qui suivent (il ne s’agit pas d’une liste exhaustive) :

  • (1) l’obligation d’accommodement est une obligation et une démarche multipartite qui mettent en cause : l’employeur, l’employé et, s’il y a lieu, l’agent de négociation. J’ai écrit dans cette décision ainsi que dans d’autres que le processus devrait ressembler à un dialogue, et non à un monologue : Jeffrey c. Dofasco Inc., 2004 HRTO 5, conf. par (2007), 230 OAC 96 (C. div.). L’employé peut faire des suggestions quant à ses préférences, mais il doit accepter une solution raisonnable (à défaut d’être parfaite) que l’employeur propose et qui répond à ses besoins. Les limites sont celles de la contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité [10] , ou ce que l’on appelle par synonymie l’« accommodement raisonnable » : Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970. L’obligation d’accommodement n’est ni absolue ni illimitée : Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, 2007 CSC 4, au paragraphe 38 ;

  • (2) il est aussi mentionné, dans Renaud, que les plaignants ont le devoir de faciliter le processus d’accommodement. Dans l’arrêt Hutchinson c. Canada (Ministre de l’Environnement), 2003 CAF 133, la Cour d’appel fédérale a conclu que, lorsque l’employeur propose un accommodement raisonnable, le plaignant ne peut pas insister sur l’accommodement subsidiaire qu’il préfère, même si la mesure subsidiaire ne crée pas de contrainte excessive ;

  • (3) l’objectif est de répondre aux besoins de l’employé de façon à ce que ce dernier puisse accomplir les tâches essentielles de son emploi. À cette fin, il faudrait que les employeurs soient [Traduction] « innovateurs tout en étant pratiques » et fassent preuve d’imagination au moment d’examiner la meilleure façon d’atteindre cet objectif dans chaque cas : Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Comm.) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3 (Meiorin), au paragraphe 64;

  • (4) un employeur n’est pas tenu d’offrir un travail improductif de valeur nulle et n’a pas à changer les conditions de travail de manière fondamentale. « [I]l a cependant l’obligation d’aménager, si cela ne lui cause pas une contrainte excessive, le poste de travail ou les tâches de l’employé pour lui permettre de fournir sa prestation de travail » : Hydro-Québec c. Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et al., 2008 CSC 43, aux paragraphes 16 à 18;

  • (5) « l’équité dans le processus d’accommodement ne se limite pas à un examen juste de la capacité du plaignant à accomplir ses tâches. La notion d’équité comprend plutôt toutes les facettes du processus d’accommodement […] dans la mesure où cela ne cause aucune contrainte excessive ». Voir Day c. Société canadienne des postes, 2007 TCDP 43, au paragraphe 68; Meiorin, précité.

C.  L’affaire Cruden

  • [45] Cette affaire revêt une importance clé dans l’affaire qui m’est soumise. Dans la décision Procureur général du Canada c. Cruden et al., 2013 CF 520 (appel récemment plaidé), le juge Zinn a annulé une décision du Tribunal : Cruden c. Agence canadienne de développement international et Santé Canada, 2011 TCDP 13. Mme Cruden avait porté plainte contre les parties pour lui avoir refusé une affectation en Afghanistan en partie à cause d’une évaluation médicale qui concluait qu’à cause du diabète de type I dont elle souffrait, elle était médicalement inapte pour cette affectation.

  • [46] Même si le Tribunal a conclu que le fait de répondre aux besoins de Mme Cruden en Afghanistan aurait occasionné à l’ACDI une « contrainte excessive », il a néanmoins confirmé ses plaintes contre l’ACDI et Santé Canada « par suite de sa conclusion selon laquelle l’ACDI ne s’était pas bien acquittée de son obligation “procédurale” quant à la prise de mesures d’accommodement ». En d’autres termes, de l’avis du Tribunal, dans l’exigence de l’obligation d’accommodement que prévoit la LCDP il existe un élément procédural distinct qui peut être violé de façon indépendante et donner lieu à des mesures de réparation, « même lorsque [l’]employeur n’est pas en mesure d’offrir des mesures d’accommodement sans contrainte excessive ». Le juge Zinn n’a pas souscrit à cette interprétation de la LCDP et a annulé la décision du Tribunal.

  • [47] Comme l’avocat du CN, Me McFadden, le fait remarquer avec raison, il existe parmi les tribunaux une certaine divergence quant aux façons d’aborder cette question (la décision du juge Zinn dans l’affaire qui précède, ainsi que celle de la Cour divisionnaire de l’Ontario dans l’affaire ADGA Group Consultants Inc. c. Lane et al., 91 O.R. (3d) 649); par des tribunaux des droits de la personne (il a cité plusieurs décisions de la Commission ontarienne des droits de la personne, dont Lane et une du présent Tribunal datant d’avant l’affaire CrudenDay c. Société canadienne des postes, 2007 TCDP 43); ainsi que par des arbitres du travail. L’une des façons consiste à accorder une indemnité pour « préjudice moral » ou des dommages-intérêts généraux pour manquements procéduraux à l’obligation d’accommodement, et ce, même dans les cas où, au fond, l’intimé n’était pas en mesure de répondre aux besoins du plaignant sans s’imposer de contraintes excessives. L’autre façon, établie par le juge Zinn dans la décision Cruden, est de mettre fin à l’instruction une fois qu’il a été établi que l’intimé n’était pas en mesure de répondre dans une large mesure aux besoins du plaignant sans s’imposer de contrainte excessive.

  • [48] Il s’agit là d’une décision très importante, maintenant en appel devant la Cour d’appel fédérale, et dont les ramifications s’étendent bien au-delà de la présente affaire. Il s’agit de l’énoncé contraignant et présent du droit, et je le suivrai et l’appliquerai en l’espèce.

  • [49] Me Bolter, l’avocat du plaignant, soutient que la décision Cruden étaye, notamment, la thèse selon laquelle il n’existe aucun droit procédural distinct après que le Tribunal a conclu que l’intimé a satisfait au critère de la contrainte excessive. Cependant, la « procédure » est quand même importante pour un certain nombre de raisons. Au paragraphe 69, le juge Zinn a déclaré ce qui suit :

Au paragraphe 66 de Meiorin [un arrêt clé de la Cour suprême du Canada qui porte sur la défense de l’EPJ et de l’obligation d’accommodement] […], la Cour suprême déclare simplement qu’une cour de justice ou un tribunal administratif peut examiner la procédure adoptée dans le cadre du processus d’accommodement comme outil pratique qui permet d’établir si un employeur a réussi à prouver – selon la preuve au dossier – l’existence d’une contrainte excessive : [il cite ensuite le passage de l’arrêt de la Cour suprême du Canada]. [Non souligné dans l’original.]

Il poursuit en ajoutant ce qui suit au paragraphe 70 :

Cela ne veut pas dire que la procédure utilisée par un employeur lorsqu’il examine la possibilité de prendre des mesures d’accommodement n’a jamais d’importance; en fait, dans la pratique, si un employeur n’a effectué aucune analyse sur la prise de mesures d’accommodement possibles ou n’a pas cherché à accorder de telles mesures lors de la présentation d’une demande en ce sens par un employé, il lui sera probablement très difficile de convaincre un tribunal, éléments de preuve à l’appui, qu’il n’aurait pas pu fournir de mesures d’accommodement à l’employé sans subir une contrainte excessive […] C’est là l’effet bien réel et très concret du fait que le fardeau de la preuve en ce qui concerne l’existence d’EPJ incombe à l’employeur. [Non souligné dans l’original.]

Autrement dit, comme le soutient l’avocat du CN, un employeur peut ne rien faire et [Traduction] « avoir vu juste ». Il s’agit sans nul doute d’une stratégie juridique dangereuse, mais il est loisible à un employeur d’y recourir, selon la décision Cruden.

  • [50] L’exception importante à ce qui précède au sujet d’une obligation d’accommodement procédurale distincte a été énoncée par le juge Zinn, au paragraphe 79 :

[…] la LCDP ne prévoit pas d’acte discriminatoire indépendant et distinct qui repose uniquement sur le processus relatif à l’octroi de mesures d’accommodement ou la façon dont une politique ou une directive est appliquée dans le cadre du processus, sauf bien sûr si le processus lui-même ou l’application de la politique ou de la directive sont mis en œuvre de façon réellement discriminatoire. [Non souligné dans l’original.]

Un exemple de l’exception qui précède pourrait être le cas où une entreprise dirait : [Traduction] « pour ce qui est des demandes d’accommodement fondées sur une déficience physique, nous les examinerons sans délai; par contre, pour ce qui est des demandes d’accommodement fondées sur une déficience mentale, nous avons besoin d’une vérification de casier judiciaire avant de mettre en œuvre n’importe quelle mesure de retour au travail. »

  • [51] En appliquant la décision Cruden à ma décision, j’examinerai le processus d’accommodement que le CN a utilisé comme un outil pratique sur le plan de la preuve afin de décider si ce processus a satisfait à la défense de l’EPJ ou de l’obligation d’accommodement de l’intimé. De plus, je déciderai si l’exception dont traite le juge Zinn au paragraphe 79 s’applique à l’affaire dont je suis saisi.

  • [52] En tant qu’arbitre, je suis conscient que la salle d’audience est un milieu artificiel où les témoins réagissent de manière particulière et différente aux tensions que crée le fait de témoigner, etc. C’est donc dire que leur comportement n’est qu’un indice de crédibilité parmi d’autres. Ce qui est le plus important, c’est la teneur de leur témoignage et ce qu’ils ont fait, dit et écrit (car les éléments de preuve documentaire sont importants eux aussi) dans le cadre des faits passés qui constituent le fondement du sujet de la plainte qui m’est soumise, ainsi que la manière dont leur témoignage se compare à la totalité des éléments de preuve présentés. Je tiens également à ajouter que le fait de trouver qu’un témoin est crédible ou non ne veut pas dire que tout ce qu’il dit ou écrit est accepté ou rejeté. J’ai tenté de donner un sens à la totalité des éléments de preuve et de tirer des conclusions de fait sur ce qui s’est réellement passé.

  • [53] En ce qui concerne ce qui précède, j’ai fait de mon mieux pour établir si la véracité du récit du plaignant (et du CN) est [Traduction] « conforme à la prépondérance des probabilités, suivant laquelle une personne informée et dotée de sens pratique reconnaîtrait volontiers comme raisonnable à cet endroit et dans ces conditions » (Farnya c. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354, à la page 357 (B.C.C.A.)).

  • [54] Comme dans bien des affaires, la crédibilité a joué en l’espèce un rôle important. Dans mes motifs, je fais des commentaires sur la crédibilité de divers témoins. Ici plus précisément, je souhaite commenter principalement (mais non exclusivement) la crédibilité du témoin le plus important aux audiences : le plaignant. C’est ce dernier qui a introduit la présente instance (de pair avec d’autres procédures internes/externes), en se basant sur une multitude de faits qui ont eu lieu au fil d’une dizaine d’années. C’est lui qui a le fardeau de preuve prima facie initial d’établir le bien-fondé de ses allégations.

  • [55] La crédibilité du plaignant a été mise en doute pendant toute la durée des audiences, tant en ce qui concerne ce qu’il a déclaré à la barre que ce qu’il a écrit dans des courriels et des lettres, le tout juxtaposé aux éléments de preuve d’autres témoins. Je conclus que, dans bien des cas, il n’a pas été digne de foi et que son témoignage n’était pas fiable. Il a été à la barre pendant plusieurs jours. Le contenu d’un grand nombre de ses réponses était invraisemblable. Il a répondu souvent de manière évasive aux questions que posait l’avocat du CN. M. Croteau n’a pas répondu initialement à de nombreuses questions; il a parfois été nécessaire de les reposer à plusieurs reprises, surtout en contre-interrogatoire. Souvent, il n’a donné une réponse claire qu’après que j’ai reformulé la question de l’avocat. Lors des audiences, Me McFadden a commenté ce fait. Il lui est parfois arrivé de se contredire en l’espace de quelques minutes, et il s’est certainement contredit lors du contre-interrogatoire, par rapport à ce qu’il avait dit dans l’interrogatoire principal. La langue n’était pas un problème, car M. Croteau s’exprime couramment en anglais, tant de vive voix que par écrit. Je ne crois pas que ses troubles liés à l’anxiété posaient problème non plus. Il a semblé comprendre les questions. Quand il lui arrivait de subir une crise de panique, lui ou moi décidions de faire une pause au cours des débats, et il a toujours été capable de reprendre là où on s’était arrêté.

  • [56] En ce qui concerne les commentaires qui précèdent, je tiens à souligner que je ne crois pas que M. Croteau induisait délibérément en erreur le Tribunal. Je suis arrivé à la conclusion que, en général, il croit véritablement ce sur quoi il a témoigné. Selon son point de vue et conformément à ce qu’il croit, le CN l’a harcelé, le CN n’a pas pris de mesures d’accommodement à l’égard de sa déficience et ne lui a pas permis de retourner au travail, et lui, en revanche, a pris part sans réserve et de bonne foi au processus de retour au travail.

  • [57] J’exposerai maintenant quelques-uns des exemples les plus frappants d’éléments de preuve qui ont une incidence sur sa crédibilité et sur la fiabilité de son témoignage. Il est important de comprendre que, comme l’a dit Me McFadden, [Traduction] « le siège de l’irréalisme » commence par la courte conversation du 19 novembre 2003 entre M. Croteau et KS, l’agente de gestion des risques (l’AGR) : [Traduction] « Tout ce qui lui est arrivé par la suite, c’est parce que [KS] était en colère contre lui parce qu’il n’avait pas fait état de son problème médical personnel au cours de cette conversation de deux ou trois minutes ». C’est là la genèse de ses [Traduction] « problèmes liés au travail », et cela, du fait de la manière subjective dont il a perçu KS (et le surintendant TC) ainsi que le CN en général, se répercute sur sa cause tout entière. Parfois, M. Croteau a semblé faire preuve de paranoïa et a fait une description du CN qui ressemblait presque à un complot – des membres du personnel, nommés et non nommés, qui essayaient de [Traduction] « ruiner » sa vie. Cela incluait le syndicat qui l’avait soutenu au départ et sur lequel il comptait pour communiquer avec le CN, en agissant notamment comme intermédiaire pour transmettre des renseignements et des documents. À un moment donné dans son témoignage, il a déclaré que son allié de naguère, le syndicat, était de connivence avec le CN contre lui.

  • [58] Les exemples les plus frappants de la paranoïa ou de la peur que KS suscitait chez lui ont été révélés quand il a fait les déclarations suivantes qui ont eu l’effet d’une bombe lors de son témoignage :

IX.  Les conclusions relatives à la crédibilité

A.  Le plaignant

  • (1) depuis 2004, il pense tous les jours (cinq à six fois par jour) que KS [Traduction] « pourrait enlever [ses deux fils] ou leur faire du mal ». Et ce, même si KS, selon ses dires, a quitté Sarnia pour Oakville en avril 2004 et, plus tard, le CN en 2007, qu’il n’a plus eu de contacts avec elle au CN depuis mai 2004, qu’il ne l’a pas vue depuis son audience d’arbitrage devant le Bureau d’arbitrage et de médiation des chemins de fer du Canada (le BAMCFC) en juillet 2008, et qu’elle n’a jamais menacé de faire du mal à lui ou à sa famille ;

  • (2) il craint, encore maintenant, d’aller à Toronto, car KS pourrait se présenter à son domicile, à Sarnia, en son absence, se faisant passer pour une vendeuse d’assurances, pour faire du mal à sa famille. Il a fait remarquer que son épouse ignore de quoi KS a l’air ;

  • (3) encore aujourd’hui, ses symptômes d’anxiété se déclenchent chaque fois qu’il rencontre quelqu’un qui a les mêmes nom et prénom que KS, ou une femme aux cheveux blonds. Je signale qu’il n’a pas assisté à l’audience quand KS a témoigné ;

  • (4) il pense souvent à KS lorsqu’il s’approche de son domicile ou qu’il le quitte.

  • [59] Si j’ai dit ce qui précède, ce n’est pas pour dénigrer ou minimiser les sentiments de M. Croteau. Ce dernier craint profondément KS, encore aujourd’hui et, par extension, le CN en général. Nous verrons cela plus tard au moment d’analyser s’il est réaliste de penser que M. Croteau pourrait un jour retourner travailler au CN. M. AB a déclaré que les craintes susmentionnées pourraient être considérées comme des symptômes d’un trouble de stress post‑traumatique (le TSPT), mais qu’ils n’étaient pas le signe d’un trouble délirant.

  • [60] Dans son témoignage, M. Croteau a déclaré que, lors de la réunion d’enquête qu’il a eue avec Kevin Mau et ses représentants syndicaux le 11 mai 2004, KS (qui n’était pas présente à la réunion) l’a poussé dans le couloir, avec une certaine vigueur. KS a déclaré que cela ne s’était jamais produit. M. Mau n’a pas témoigné, et le plaignant n’a pas appelé à témoigner le représentant syndical qui était présent, M. Scarrow. Selon les témoignages que j’ai entendus, M. Scarrow est un dirigeant syndical d’une grande expérience, qui [Traduction] « n’a pas froid aux yeux ». Si KS avait bousculé le plaignant de la manière décrite, M. Scarrow ou d’autres personnes présentes seraient intervenus. Ce présumé incident n’a pas été documenté par le syndicat. Ce dernier a fait des observations sur des questions moins sérieuses, mais pas sur celle‑là. Je ne crois pas que KS a bousculé M. Croteau.

  • [61] Leslie Croteau est l’épouse du plaignant. J’ai trouvé qu’elle était un témoin digne de foi. Elle a admis que ce qu’elle savait au sujet de la plupart des faits ayant eu lieu au CN découlait de ce que son époux lui avait dit. Cependant, elle a bel et bien assisté à la réunion du 1er mars 2005, en compagnie du gestionnaire des Ressources humaines Terrence Gallagher, de son époux et du syndicat. Elle a également eu une conversation téléphonique avec KS le 23 avril 2004. Nous traiterons plus loin, dans les présents motifs, de cette conversation téléphonique.

  • [62] Mme Croteau a aussi parlé de la façon dont les faits qui avaient eu lieu avaient transformé son époux, en tant que personne, époux et père. Elle a également parlé de l’effet qu’avait eu le fait de découvrir qu’on avait surveillé son époux en mars et en avril 2004, une surveillance qui avait également porté sur elle et leurs deux enfants.

  • [63] Cheryl Hames est la belle-sœur du plaignant. Elle a parlé d’une brève conversation qu’elle aussi avait eue avec KS le 23 avril 2004. Je conclus qu’elle aussi a été un témoin digne de foi.

  • [64] Le CN a produit sept témoins :

B.  Leslie Croteau et Cheryl Hames

C.  Les témoins du CN

  • (5) KS – anciennement au service du CN à des postes différents, mais à titre d’AGR lors des incidents en 2003 et en 2004;

  • (6) Vanessa Paquet – actuellement au service du CN, elle a exercé les fonctions de coordonnatrice des retours au travail et d’AGR entre 2004 et 2008

  • (7) Terrence Gallagher – actuellement au service du CN, et gestionnaire des Ressources humaines s’étant occupé de la plainte de harcèlement interne de M. Croteau ainsi que des questions de retour au travail;

  • (8) Derrick Colasimone – occupe actuellement un poste supérieur : directeur général de la Division « Michigan » du CN (qui comprend Sarnia);

  • (9) Suzanne Fusco – actuellement agente des relations avec les employés au CN, et a travaillé aux Ressources humaines entre 2004 et 2008;

  • (10) Kathy Smolynec – cadre supérieure, au Service de santé et de sécurité au travail (SST);

  • (11) Laura Waller – coordonnatrice des retours au travail.

  • [65] Je conclus que les témoins du CN étaient dignes de foi et que leurs témoignages généralement fiables. Ils ont répondu de manière succincte aux questions, et leur témoignage de vive voix concordait de façon générale avec la preuve documentaire produite, ainsi qu’avec la prépondérance de la preuve en l’espèce. Certains de ces témoins ont été très francs, notamment MM. Gallagher et Colasimone. J’analyserai leur témoignage sous les diverses rubriques ultérieures qui figurent dans les présents motifs.

  • [66] Le plaignant a consulté M. AB, un psychologue d’expérience, au cours de séances d’une durée totale approximative de 150 heures, depuis le mois d’août 2004. Il ne fait aucun doute que, parmi tous les spécialistes des soins de santé qui ont vu M. Croteau, c’est M. AB qui a entretenu avec lui la relation la plus longue et la plus approfondie.

  • [67] Le plaignant a demandé que M. AB soit reconnu comme qualifié pour fournir une preuve d’expert sur les aspects suivants : [Traduction] « trouble de l’anxiété; TSPT; trouble d’adaptation; crises de panique et effets de ces dernières sur des individus et, plus précisément, M. Croteau; causes de ces troubles; capacité des personnes souffrant d’un TSPT à revenir au travail de façon générale, et, plus précisément, M. Croteau; les mesures à prendre pour que le plaignant puisse retourner au travail; [et] commentaires sur les EMI du Dr Chad. »

  • [68] L’avocat du CN s’est opposé à ce que M. AB soit qualifié comme expert. Il ne s’est pas opposé à ce que ce dernier témoigne à titre de psychologue soignant du plaignant, mais il a fait valoir que le Tribunal devrait [Traduction] « hésiter à se fier aux choses qu’il a dites ». Les motifs du CN à cet égard sont les suivants :

X.  M. AB et la preuve d’expert qu’il a produite

[Traduction] 

  • (1) le diagnostic que M. [AB] a posé au sujet de M. Croteau est, de son propre aveu, en contradiction avec les exigences du DSM‑IV [11] et avec l’opinion prépondérante dans la profession de la psychiatrie/psychologie (du moins en ce qui concerne le trouble de stress post-traumatique);

  • (2) la relation professionnelle qu’il entretient avec M. Croteau a dépassé les bornes et s’est muée en un rôle de défense sans réserve en faveur de M. Croteau, et il n’a pas l’objectivité que les arbitres exigent des spécialistes en médecine;

  • (3) dans son témoignage, M. [AB] a refusé de changer d’avis ou d’opinion, même après s’être rendu compte que les faits sur lesquels reposaient au départ son opinion étaient différents de ce qu’il avait compris.

  • [69] Compte tenu des deuxième et troisième arguments qui précèdent, je refuse de reconnaître que M. AB est qualifié pour fournir une preuve d’expert sur les questions demandées. Cependant, je prendrai en considération son témoignage, à titre de psychologue soignant de M. Croteau, et je lui accorderai le poids qui convient.

  • [70] Pour arriver à cette conclusion, j’ai passé en revue l’arrêt clé de la Cour suprême du Canada qui porte sur la nature et la recevabilité des preuves d’expert : R. c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9 – de même que les quatre critères qui y sont énoncés. Détail intéressant, les critères n’incluent pas une exigence distincte d’indépendance et d’impartialité. Cependant, c’est ce qu’infèrent les tribunaux canadiens : voir, par exemple, R. c. Abbey, 2009 ONCA 624, au paragraphe 87, note de bas de page no 8, autorisation d’interjeter appel rejetée par [2010] C.S.C.R. no 125; ainsi qu’Es-Sayyid c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CAF 59, au paragraphe 43, autorisation d’interjeter appel rejetée par [2012] C.S.C.R. no 116.

  • [71] Il ne fait aucun doute, selon moi, que M. AB est un psychologue bien informé, qui s’exprime clairement. Malgré l’absence d’écrits savants et d’exposés présentés dans le cadre de conférences qui, habituellement, figurent dans le curriculum vitæ d’un expert, cela ne m’a pas préoccupé pour ce qui était de son aptitude à fournir une preuve d’expert sur les questions demandées. Il a une vaste expérience de ces dernières. Il exerce à titre privé depuis 2000 et il a également travaillé dans un hôpital. Il a déclaré avoir réalisé plus d’un millier d’évaluations, principalement dans le contexte des accidents de la route, et au moins le tiers de ces évaluations avaient trait à des questions de retour au travail. Une bonne partie de son travail lui vient de compagnies d’assurances et de la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail. Il a déclaré qu’il ne voit habituellement pas ses clients après un EMI.

  • [72] Les points qui me préoccupent sont les éléments 2 et 3 des observations de l’avocat du CN. Je conclus effectivement que M. AB a « dépassé les limites » de sa profession et s’est mis dans la peau d’un défenseur, perdant ainsi le degré d’objectivité que l’on exige d’un expert. Peut-être que c’était inévitable, voire souhaitable, d’un point de vue clinique. En contre‑interrogatoire, M. AB a convenu que, pour nouer la relation avec un patient – et avec M. Croteau en particulier –, il est important que ce dernier croie que l’on ajoute foi à ce qu’il dit. M. AB a joué un rôle important dans la guérison de M. Croteau, comme ce dernier l’a attesté.

  • [73] M. Croteau a déclaré qu’il espère un jour être un [Traduction] « ami » de M. AB, le jour où il n’aura plus besoin de son aide professionnelle. Notamment, à la réunion du 3 décembre 2008 qui avait pour but de discuter de nouvelles allégations de harcèlement avec Mme Fusco, M. Schenk, M. Croteau et M. AB, ce dernier a été présenté comme [Traduction] « l’ami » de M. Croteau, qui était là pour l’aider. Cela, indépendamment du fait que M. AB, depuis 2004, soignait M. Croteau et que ses honoraires avaient été payés au départ par l’assureur et ensuite par le CN. Non seulement M. Croteau l’a-t-il présenté comme son [Traduction] « ami », mais pas une seule fois a-t-il dit qu’il était son psychologue; M. AB ne l’a toutefois pas corrigé et a omis de faire état du rôle professionnel qu’il jouait.

  • [74] Il est arrivé à quelques reprises dans son témoignage que M. AB donne l’impression d’être plus un défenseur qu’un expert. Par exemple, lors de son contre-interrogatoire sur la perception qu’avait M. Croteau du CN et du conflit au travail, quand on l’a invité à admettre qu’il arrive parfois que les deux parties soient à blâmer, il a répondu par l’affirmative. Cependant, quand on lui a demandé : [Traduction] « Est-il possible que [M. Croteau] se trompe, qu’il était en partie ou totalement à blâmer? », le témoin a répondu : [Traduction] « Oui, c’est possible en théorie, mais non probable, pour l’avoir connu pendant plus de 100 heures, en tant qu’observateur qui n’était pas sur place, il ne semblait pas avoir joué un rôle important dans les incidents […] et on [ne devrait pas] le blâmer pour cela. »

  • [75] Je suis d’accord aussi avec l’avocat du CN pour dire qu’il y a eu plusieurs exemples dans lesquels M. AB a refusé de changer son témoignage au sujet de l’opinion qu’il avait de la conduite du plaignant, même lorsqu’on lui a présenté de solides preuves contraires. Me McFadden soutient qu’aux yeux de M. AB, [Traduction] « aucun fait contraire n’importe » quand il est question de M. Croteau, ce qui dénote donc l’absence d’objectivité et de neutralité dont doit faire preuve un expert qui témoigne devant un tribunal judiciaire ou administratif. L’avocat a parlé à M. AB du fait que son client lui avait caché, de façon moins qu’honnête, des renseignements clés en avril 2008. À la suite du troisième EMI, et des recommandations connexes, du Dr Chad, le CN a proposé un régime de travail de transition (le RTT), qui consistait à observer le travail du surveillant de nuit. M. Croteau s’y est opposé, disant, notamment, que ce qui l’inquiétait c’était qu’il observerait un surveillant différent dans chaque quart de travail et que ces personnes seraient au courant de renseignements confidentiels sur son état de santé. Mme Paquet a renvoyé une lettre à M. Croteau le 25 avril 2008, disant que ce ne serait pas le cas. Mais M. Croteau a omis de révéler ce renseignement important à M. AB quand ils se sont rencontrés. Il a demandé à M. AB, le 30 avril 2008, d’écrire au CN une lettre réitérant ses inquiétudes initiales.

  • [76] Pour ce qui est de la question qui précède, lors du contre-interrogatoire, Me McFadden a dit à M. AB que le plaignant avait été [Traduction] « malhonnête » avec lui. M. AB a répondu : [Traduction] « Je ne peux pas expliquer pourquoi il m’a dit cela ». Me McFadden lui a ensuite demandé s’il n’était pas inquiet du fait que M. Croteau le prenne [Traduction] « pour dupe ». Le témoin a fait une pause et a finalement répondu : [Traduction] « Oui, il y a manifestement là une contradiction et je ne peux pas l’expliquer ». L’avocat de l’intimée a alors déclaré qu’on [Traduction] « se servait de lui », ce à quoi le témoin a répondu qu’il ne se souciait pas du fait d’être utilisé [Traduction] « de manière irrégulière parce que je le connais depuis plus de huit ans. Je présume qu’il doit y avoir une explication quelconque. » Me McFadden a alors dit au témoin que ce ne serait pas [Traduction] « hautement éthique » de la part de M. Croteau de se servir de M. AB [Traduction] « pour propager une non-vérité » à propos du CN. M. AB a répondu ce qui suit : [Traduction] « S’il a fait cela, oui, cela me préoccuperait ». Il a ensuite semblé évasif et nerveux et a parlé de cette question d’une manière abstraite, presque philosophique, dans le contexte d’une [Traduction] « relation professionnelle » dans le cadre de laquelle il n’avait aucune raison de douter de cette personne. Il a déclaré qu’il accordait [Traduction] « aux gens le bénéfice du doute. Il doit y avoir une explication dans ce cas-ci […] J’ignore ce qui s’est passé, mais je présume qu’il existe une explication quelconque ».

  • [77] De plus, il ressort une impression de manque d’objectivité et un ton de défense du sommaire, daté du 4 novembre 2011, que M. AB a fait de son travail avec le plaignant. À la page 4, il emploie des phrases comme [Traduction] « quand le programme [de RT] a été mis au rancart » et [Traduction] « quand le CN a fermé la porte pour ce qui est du plan [de RT] ». Aussi, à la page 2, il a dit de M. Croteau qu’il s’était lancé dans [Traduction] « une lutte pour obtenir justice » par rapport au CN [Traduction] « au cours des sept dernières années ». À la page 5, il conclut que son client aurait eu gain de cause [Traduction] « si on lui avait donné seulement une bonne chance de réussir ». Dans son témoignage et dans sa lettre, M. AB a fait d’autres références à [Traduction] « des mesures de soutien appropriées » et à [Traduction] « un soutien approprié ». Tous ces commentaires amèneraient quelqu’un à penser que M. AB défendait la cause de M. Croteau et en attribuait la faute au CN ou l’en blâmait.

  • [78] Je signale aussi la perception d’un intérêt financier; c’est-à-dire que le plaignant demande dans le cas présent une indemnisation pour les séances passées impayées et ultérieures avec M. AB. Le plaignant a déclaré que M. AB cherchait seulement à obtenir un paiement pour les séances passées s’il recevait pour elles une indemnisation par suite d’une ordonnance rendue dans le cadre de la présente instance.

  • [79] Au vu de ce qui précède, je conclus que M. AB n’a pas satisfait aux exigences relatives aux témoins experts. Cela étant, je n’ai pas considéré que son témoignage était un témoignage d’expert. Cependant, celui qu’il a fait en tant que psychologue soignant de M. Croteau, y compris le diagnostic posé et le traitement de ce dernier, l’interaction du psychologue avec le CN dans des réunions, les conversations téléphoniques, les lettres, etc., au sujet de M. Croteau, bénéficieront de la considération et du poids qui conviennent.

  • [80] Je traiterai maintenant des neuf allégations de harcèlement du plaignant qui restent, ainsi que des questions qui en découlent, au regard de l’article 14 de la LCDP. Comme l’a déclaré Me Bolter dans sa plaidoirie, et comme l’illustrent le témoignage et les documents du plaignant, et cela est compréhensible, M. Croteau a parfois employé le mot « harcèlement » (dans le sens ordinaire et générique qu’un profane emploierait) comme s’il englobait non seulement le « harcèlement », tel que nous le définirions dans les instances relatives à la LCDP, mais aussi le fait de ne pas répondre aux besoins découlant de sa déficience sans aller jusqu’à la contrainte excessive dans le cadre de son retour au travail au CN. Ces neuf allégations de harcèlement ont été celles que le plaignant a expressément invoquées à l’audience et que son avocat a plaidées (et que le CN a défendues et plaidées).

  • [81] Le plaignant allègue que, le 19 novembre 2003 ou vers cette date, il s’est présenté au bureau de KS en vue d’obtenir un formulaire d’invalidité de courte durée (l’ICD) pour son problème médical personnel. Il soutient qu’elle a insisté pour savoir de quel problème médical personnel il s’agissait et qu’elle avait été impolie et insistante et s’était mise de plus en plus en colère quand il avait refusé de le lui dire. Il prétend également qu’elle avait claqué son tiroir. La porte de son bureau était apparemment ouverte durant cet échange, qui a duré cinq à dix minutes environ. Il a fini par s’en aller, car KS n’était pas la personne qui détenait les formulaires de demande de congé non lié au travail de la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail (la CSPAAT), et la raison de son congé n’était pas liée au travail. Il ne lui a jamais révélé son problème médical personnel.

  • [82] KS a témoigné et a nié cette allégation. Elle a été étonnée et manifestement troublée quand, de nombreux mois plus tard, on lui a présenté sa plainte de harcèlement interne sur cette situation. Elle a déclaré qu’elle n’avait aucun conflit antérieur avec M. Croteau et qu’elle s’était plutôt occupée de prendre pour lui des mesures d’accommodement après une blessure subie dans un accident de taxi. La conversation avait été brève, de quelques minutes. Sa porte était ouverte, de sorte que, s’il y avait eu une telle altercation, d’autres l’auraient entendue.

  • [83] KS est entrée au service du CN en 1985. Elle occupé divers postes sur le terrain, dont ceux de coordonnatrice de train, de chef de train et de conductrice de locomotive, avant de joindre les rangs de la direction. Elle a clairement affirmé qu’à titre de gestionnaire d’expérience et d’AGR à l’époque, elle avait été formée pour ne pas s’enquérir des problèmes médicaux personnels d’un employé, qu’il y avait un [Traduction] « mur de briques » entre Medisys/SST et le [Traduction] « personnel sur le terrain » comme elle lorsqu’il était question des renseignements médicaux personnels des employés. Elle a affirmé qu’elle avait un [Traduction] « souvenir » de la réunion, quelque neuf ans plus tard : [Traduction] « Peut-être cinq minutes dans mon bureau. Il est entré et a déclaré qu’il avait besoin d’un formulaire pour une absence. Je devais confirmer si cette absence était liée au travail ou non parce que le processus [et le formulaire] était tout à fait différent. » S’il s’agissait d’une absence liée au travail, KS s’en occupait; sinon (en cas de blessure/maladie), l’employé faisait affaire avec Debbie Robinson.

  • [84] Dans la déclaration qu’elle a faite au Service des ressources humaines du CN, lors de l’enquête sur la plainte de harcèlement interne, elle a écrit ce qui suit :

XI.  Les allégations de harcèlement

A.  L’allégation no 1 : la conversation du 19 novembre 2003 entre KS et le plaignant

[Traduction] Je me souviens que Pierre est entré dans mon bureau au sujet d’une situation personnelle. Je me souviens aussi de lui avoir demandé si c’était lié au travail et il avait déclaré que non; je l’ai donc orienté vers Debbie pour les renseignements concernant les nouveaux formulaires […] La seule conversation que j’ai eue avec Pierre au sujet de sa situation c’était si celle-ci était liée au travail ou non. Le suivi que nous faisons est très différent, selon que nous avons affaire à une blessure ou à un accident de travail.

[…]

L’une des premières choses que j’ai apprises à titre d’AGR c’est que, si un employé avait un problème personnel, je n’avais pas le droit de savoir quoi que ce soit sur ce dernier. Jamais je ne lui aurais posé ces questions personnelles si je savais que je n’avais pas d’affaire à le savoir […] Je crois que sa visite a duré moins d’une minute.

  • [85] KS a déclaré que [Traduction] « jamais » elle n’aurait demandé à un employé quelle était la nature de sa maladie : [Traduction] « Nous savions que ce n’était pas de nos affaires et nous n’étions pas autorisés à poser la question ». Elle a ajouté qu’elle s’était occupée de 500 employés se trouvant dans une situation semblable, qui voulaient obtenir des formulaires, et qu’elle leur demandait si le problème était lié au travail ou non : [Traduction] « Je n’ai jamais franchi cette ligne, je n’en aurais tiré aucun avantage, il n’y avait aucune raison de le demander ». Elle a déclaré qu’aucun des 500 employés en question n’avait jamais allégué qu’elle avait posé de telles questions déplacées, à part M. Croteau.

  • [86] Il s’agit là de la situation classique, qui repose entièrement sur les dires de l’un et ceux de l’autre. Il n’y a pas eu d’autre élément de preuve présenté sur ce fait. Cependant, l’épouse et la belle-sœur de M. Croteau ont témoigné à propos de conversations téléphoniques qu’elles ont eues le 23 avril 2004 avec KS, et dans lesquelles cette dernière demandait où M. Croteau se trouvait. Mme Croteau a déclaré que KS avait non seulement été impolie et agressive, mais qu’elle avait révélé des renseignements médicaux personnels et voulu savoir [Traduction] « ce qui cloch[ait] chez lui maintenant ». Je conclus que Mme Croteau et Mme Hames ont été des témoins dignes de foi. Il est possible que, le 19 novembre 2003, KS ait été indiscrète, curieuse de savoir quel était le motif médical personnel pour lequel on avait eu besoin d’un formulaire, et qu’elle ait demandé à M. Croteau de le divulguer. Cependant, en me fondant sur mes doutes quant à la crédibilité et à la fiabilité du plaignant, et après avoir entendu le témoignage de KS, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que cette dernière a été agressive, autoritaire, impatiente, voire impolie, au cours de la conversation qu’elle a eue dans le bureau avec M. Croteau, y compris au moment de vérifier si la maladie était liée au travail ou non, mais qu’elle ne lui a pas demandé de révéler le problème médical personnel. Cela, à l’évidence, n’engage aucune responsabilité au regard de l’article 14 de la LCDP. Je souhaite également ajouter que, pendant toutes les audiences, M. Croteau a fait des commentaires sur le comportement des gens : Untel [Traduction] « avait été impoli », etc. Pour M. Croteau, et cela se comprend, les bonnes manières et l’étiquette sont importantes, et cela a peut-être eu un effet sur la perception qu’il avait de cet incident.

  • [87] Subsidiairement, même si elle s’était effectivement enquise de la nature de sa maladie (à part le fait de savoir si elle était liée au travail ou non), une telle question ne constituerait pas un geste de harcèlement fondé sur la déficience sous le régime de la LCDP, et ce, pour les raisons suivantes : une telle question, à laquelle M. Croteau n’a pas répondu, serait davantage une tentative d’atteinte à la vie privée. Cela ne serait pas considéré comme une [Traduction] « conduite malvenue » de nature importante ou singulière, ou de nature persistante et répétée pour le motif illicite de la déficience, ou comme une conduite ayant créé un milieu de travail malsain, selon la norme objective.

  • [88] C’est là une allégation importante, car il s’agit de la genèse, selon le plaignant, de ce qui a suivi, tant pour ce qui est du harcèlement que pour le défaut de répondre convenablement à ses besoins du fait de sa déficience. Comme l’a déclaré l’avocat du plaignant, Me Bolter : [Traduction] « il s’agit là du moment décisif dans sa relation avec [KS] », et avec le CN aussi, si je puis me permettre. Bien que la divulgation ultérieure de la surveillance vidéo ait exacerbé la situation, c’est cette réunion qui a déclenché la détérioration de sa vie professionnelle.

  • [89] Me McFadden a qualifié l’allégation du plaignant au sujet de l’incident ayant eu lieu le 19 novembre 2003 de [Traduction] « siège de l’irréalisme. Il croit réellement que cela et tout ce qui lui est arrivé après novembre 2003 […] était dû au fait que [KS] était en colère contre lui parce qu’il n’a pas révélé son problème médical personnel lors de cette conversation de deux ou trois minutes qui a eu lieu vers le 19 novembre 2003. » L’avocat a aussi ajouté ce qui suit : [Traduction] « Cela a un effet d’écho : dans chaque cas, il revient à cette conversation. Cela a établi l’existence d’une animosité ou d’une vengeance de la part de [KS] contre lui, qui infecte le reste du CN. Et cela se poursuit jusqu’en 2007, année où cela faisait longtemps qu’elle était partie. »

  • [90] Il ressort clairement du témoignage de M. Croteau que la genèse de sa plainte est la conversation qu’il a eue le 19 novembre 2003 dans le bureau de KS. En fait, il a soutenu que les faits ayant eu lieu par la suite, y compris avec d’autres gestionnaires du CN, étaient liés à KS ou avaient été influencés par elle : une tentative ou une vengeance, assimilable à un complot, pour le harceler et mettre fin à son emploi au CN. À un moment dans son témoignage, il a déclaré que quatre employés lui avaient dit que KS cherchait à obtenir son congédiement. Quand on lui a demandé de les nommer, il a répondu qu’il ne connaissait qu’un seul des quatre. Cependant, il n’a pas voulu le nommer de crainte que le CN exerce des représailles contre lui. Par souci d’équité et de justice naturelle, je n’accorde aucun poids à cette preuve.

  • [91] Le coordonnateur de train Kevin Mau a tenu une réunion d’enquête le 15 décembre 2003 à propos du défaut de M. Croteau de [Traduction] « protéger ses affectations » relativement à deux appels manqués. Il s’agissait là d’une violation de la politique relative aux terminaux du CN. C’était presque un mois après l’incident ayant eu lieu le 19 novembre dans le bureau de KS. Un représentant syndical avait assisté à une partie de la réunion. Le plaignant allègue que c’est KS qui était responsable du fait que M. Mau l’avait fait venir pour une enquête. Il ne s’agissait pas de la première réunion d’enquête à laquelle prenait part le plaignant. Il a reconnu l’existence de la politique (il est interdit de manquer plus d’un quart de travail sur 28) et de la pratique au CN. M. Croteau a également déclaré que le CN était [Traduction] « très sévère » à propos de ces questions de présence à ce moment-là, avec tous ses employés. Il n’a aucune preuve que M. Mau était au courant de son problème médical personnel ou de la conversation qu’il y avait eu le 19 novembre dans le bureau de KS, ou même que les deux en avaient parlé ou avaient parlé de M. Croteau. En particulier, ce dernier a considéré comme du « harcèlement » le fait que M. Mau lui ait dit qu’il pouvait être congédié pour manque d’assiduité.

  • [92] À part ce que M. Croteau croyait personnellement, aucune preuve ne donne à penser que cette réunion d’enquête était liée à la conversation qu’il avait eue avec KS le 19 novembre 2003 qui, selon ce que j’ai conclu, n’était pas contraire à la LCDP. L’enquête du 15 décembre 2003 était conforme à une politique de pratique courante, non discriminatoire, du CN. Quant au commentaire de M. Mau selon lequel il pouvait être congédié pour manque d’assiduité, je conclus qu’il a été fait essentiellement dans le contexte de pratiques exemplaires qui exigent que les gestionnaires tiennent leurs employés au courant des conséquences d’un manquement à une politique (non discriminatoire), une politique concernant, en l’occurrence, l’assiduité. Il n’y avait ici aucune animosité ou menace, expresse ou implicite. Je signale que M. Mau n’a pas témoigné. Au cours des audiences, j’ai mentionné lors de la gestion de l’instance qu’il n’était pas nécessaire que Me McFadden appelle M. Mau ou TC à témoigner, mais qu’il pouvait le faire s’il le souhaitait. Il a décidé de ne pas les appeler. Me Bolter aurait pu décider lui aussi de les appeler à témoigner, mais il ne l’a pas fait.

  • [93] Le 8 janvier 2004, M. Croteau s’est blessé à l’épaule en tirant sur un frein à main. Il allègue que KS a exigé indûment qu’il participe à une reconstitution immédiate de l’accident et qu’elle l’a [Traduction] « interrogé ». Il a reconnu dans son témoignage que le CN avait pour politique de procéder à une reconstitution le plus rapidement possible après l’incident, aussi minime que soit la blessure ou l’accident. Cela faisait partie du principe de la « sécurité d’abord » du CN.

  • [94] M. Croteau a déclaré que le processus de reconstitution a duré en tout au moins plusieurs heures. Il a quand même reconnu que la reconstitution elle-même n’avait duré que cinq minutes environ. Ce qu’il avait trouvé de particulier, c’était qu’il s’agissait de la première fois, à sa connaissance, que KS prenait part au processus. M. Croteau a aussi reproché le fait qu’on avait laissé son épouse attendre dans l’automobile. Il a également déclaré que KS avait dit qu’il n’avait pas tiré comme il faut sur le frein et que M. Brownlee avait déclaré : [Traduction] « N’allez pas là [K] ». Il a affirmé qu’il commençait à se sentir [Traduction] « ciblé » par le CN à ce stade et qu’il avait téléphoné à son syndicat.

  • [95] Je ne vois là aucun harcèlement au sens de la LCDP. KS suivait la politique de pratique courante du CN qui s’appliquait lorsqu’on déclarait un accident. Sa présence aux reconstitutions était un élément important de son travail d’AGR. Cette présence n’avait aucun lien avec sa conversation du 19 novembre 2003 avec M. Croteau (qui, selon ce que j’ai conclu, n’était pas de nature discriminatoire). La reconstitution a duré à peine cinq minutes. Quant au délai d’attente, M. Croteau était rentré chez lui et s’était rendu compte qu’il n’avait pas remis son rapport d’accident et avait donc dû revenir au terminal. KS, Mme Paquet, M. Colasimone et Mme Fusco ont eux aussi témoigné au sujet de la politique et de la pratique du CN : ce dernier tient à ce que l’on fasse une reconstitution dans chaque cas si c’est possible, et le plus tôt possible après l’incident. Aucun accident n’est trop minime pour procéder à une reconstitution, et ce, à bord du même train et avec le même équipement si cela est possible. De plus, Paul Sutor, qui était présent, ne s’était pas plaint de la reconstitution.

  • [96] Au sujet du commentaire de M. Brownlee : [Traduction] N’allez pas là [K] », je ne puis dire, sans disposer de plus d’éléments, s’il avait un ton négatif et discriminatoire. De plus, aucune mesure disciplinaire n’a été imposée relativement à l’utilisation que M. Croteau avait faite du frein à main, et aucune enquête du type « interrogatoire » n’a été ordonnée. Si KS avait voulu prendre M. Croteau pour cible ou en défaut, cela aurait été pour elle l’occasion de le faire. Au lieu de cela, elle a juste fait son travail, soit découvrir pourquoi un accident avait eu lieu et tenter d’éviter qu’il se reproduise.

  • [97] M. Croteau s’est blessé au genou en descendant d’un train le 10 mars 2004. Il convient de noter qu’il s’agissait-là de sa seconde blessure en deux mois. Le plaignant a déclaré que KS l’avait interrogé sur l’incident et avait critiqué son dossier d’accidents : il y en avait douze en dix ans. KS a déclaré qu’il y en avait eu onze entre octobre 1993 et janvier 2004 : [Traduction] « un chiffre exceptionnellement élevé. C’est la raison pour laquelle il était inscrit sur la liste pour avoir une conversation avec [TC] ». Il ressort de la preuve qu’à la fin de sa réunion avec KS, cette dernière a offert qu’on le conduise à l’hôpital, ce qu’il a refusé, et elle lui rappelé de ramener les formulaires médicaux que son médecin remplirait. M. Croteau a déclaré que, comme KS l’avait [Traduction] « angoissé », il ne lui avait pas ramené directement les formulaires comme elle le lui avait dit, mais avait plutôt demandé au syndicat de le faire pour lui.

  • [98] Je souligne qu’aucune reconstitution n’a eu lieu juste après l’accident, car il avait déclaré qu’il avait mal et voulait se rendre à l’hôpital. Et il l’a fait. Le médecin lui a remis un billet prescrivant une période de restriction de trois jours. Cependant, M. Croteau allègue que KS avait fait preuve de harcèlement en le faisant rester sur place et en lui posant des questions sur un ton accusateur au sujet de son plus récent accident et qu’elle lui avait dit que son dossier d’accidents était mauvais. Il a déclaré aussi qu’elle avait crié après lui pendant qu’il descendait rapidement les escaliers : [Traduction] « comme un hurlement, elle était hors de ses gonds ».

  • [99] Après avoir entendu le témoignage du plaignant et de KS et après avoir passé en revue la preuve documentaire, je ne conclus pas que le CN et son employée, KS, l’ont harcelé. Premièrement, KS avait émis des doutes au sujet de l’authenticité de sa blessure, en se fondant sur la manière dont il avait dit et écrit ce qui s’était passé : c’est-à-dire qu’il s’était tordu le genou pendant qu’il descendait du train, par opposition à après être descendu du train. Je ne sous‑entends pas que M. Croteau a été moins qu’honnête à ce sujet. Et cette question comporte un aspect sémantique. Je conclus toutefois que KS n’a pas agi déraisonnablement en l’interrogeant et même en ayant des doutes sur la véracité de ce qu’il avait déclaré, compte tenu des contradictions manifestes que comportaient ses versions. S’il s’était agi de son premier accident en dix ans, j’aurais peut-être considéré la situation sous un angle différent, mais il s’agissait de son douzième accident en dix ans, et de son deuxième en deux mois. De plus, c’était son travail, en tant qu’AGR, de poser des questions sur ce genre de situation. J’ai entendu lors de l’audience un témoignage selon lequel il n’est pas rare que des employés tentent d’éviter d’être responsables d’un accident. Je ne sous-entends pas que M. Croteau l’a fait, mais juste que, compte tenu des circonstances, il n’était pas déraisonnable que KS le questionne et il ne s’agissait certes pas d’un acte de harcèlement fondé sur le motif de distinction illicite qu’est la déficience sous le régime de la LCDP.

  • [100] Je ne suis pas disposé, compte tenu de mes doutes généraux quant à la crédibilité ou à la fiabilité du plaignant, et après avoir entendu le témoignage de KS, à conclure que cette dernière a [Traduction] « hurlé » après lui. Elle a peut-être perdu patience, mais cela, en soi, ne constitue pas un geste de harcèlement au sens de la LCDP.

  • [101] Pour ce qui est des questions qu’elle a posées sur son dossier d’accidents, là encore je ne conclus pas qu’il y a eu violation de la LCDP. La preuve documentaire présente chacun des accidents que le plaignant a subis : douze en dix ans. Une bonne part du temps d’audience a été consacrée à la revue de chaque incident ou accident. Je conviens que quelques-uns de ces douze accidents peuvent être qualifiés de mineurs et qu’ils ne sont pas attribuables à une négligence de sa part ou à un défaut de se conformer aux règles en vigueur, mais pas tous les douze, et sur une période de dix ans.

  • [102] Me Bolter me demande de tirer une inférence défavorable du fait que le CN a omis de produire les dossiers informatiques comparatifs illustrant les accidents subis par certains employés pendant une période déterminée. Divers témoins du CN ont déclaré que ces renseignements étaient disponibles. Cependant, le CN n’a pas dit pourquoi il ne les avait pas produits. Je trouve curieux que cela n’ait pas été fait, mais je refuse d’en tirer une inférence défavorable. (Je signale que Me Bolter aurait pu demander une ordonnance de production.) Plusieurs témoins du CN m’ont fait part de ce qu’ils pensaient d’un dossier de douze accidents en dix ans. M. Gallagher a décrit la situation de manière particulièrement colorée, disant que c’était [Traduction] « épouvantable ». Il a affirmé que [Traduction] « un accident par année ou plus, c’est un dossier très, très mauvais. Rares sont les employés qui ont un dossier comme celui-là ». La déclaration par ouï-dire de TC était qu’il n’avait jamais été victime d’un accident au cours de ses trente années de carrière au CN. Mme Paquet a déclaré que le dossier du plaignant était [Traduction] « élevé et constant ; beaucoup d’accidents et au moins tous les ans ou aux deux ans […] Il a un comportement très peu sécuritaire ». Et ces commentaires-là viennent de gestionnaires chevronnés du CN, dont la plupart ont acquis une vaste expérience en tant que « roulants » (personnel roulant), c’est-à-dire en tant que chefs de train ou conducteurs de locomotive, lesquels doivent tous garder à jour leur formation et leurs qualifications en tant que membres d’une équipe de train.

  • [103] Parmi les témoins du CN, c’est M. Colasimone qui a le plus d’expérience en tant que membre d’une équipe de train sur le plan des activités et de la gestion, et il occupe un poste de cadre supérieur au sein du secteur opérationnel au CN. J’accorde une grande importance à son témoignage. Lui aussi a exprimé assez clairement son opinion sur un tel dossier d’accidents. Quand on lu a demandé : [Traduction] « Est-il fréquent que des employés membres du personnel roulant ne subissent aucun accident ? », il a répondu : [Traduction] « Très fréquent, plus de la moitié ». Ensuite, [Traduction] « Si vous voyiez un employé avec un dossier comme celui-ci, 12 en 10 ? », il a répondu : [Traduction] « Cela me préoccuperait beaucoup. Cet employé deviendrait un “employé ciblé” et il aurait une discussion avec lui et lui ferait le dessin du [Traduction] « bonhomme-allumettes » que l’on utilise pour les accidents [12] . Cependant, cela n’a pas eu lieu dans le cas de M. Croteau. À part le fait que KS lui parle de son dossier avec lui le 10 mars 2004 et exige qu’il s’entretienne avec TC, ce qu’il a fait, rien d’autre n’a eu lieu : on n’a certainement pas fait de lui un « employé ciblé ». Quand on lui a demandé comment M. Croteau avait [Traduction] « pu durer » avec un dossier comme celui-là pendant plus de dix ans, M. Colasimone a répondu : [Traduction] « [d]es styles de gestion différents. Il est manifestement passé à travers les mailles du filet. Personnellement, je ne peux pas imaginer que cela se produise ». Il a également reconnu qu’il s’agissait d’un [Traduction] « dossier de sécurité épouvantable » et que, sous sa surveillance, le plaignant aurait été un « employé ciblé ». Je n’en ai aucun doute. De plus, il ne semble pas qu’il se trouvait [Traduction] « sur l’écran radar » – un sujet de discussion lors de la conférence téléphonique nationale hebdomadaire sur la sécurité avec la direction, à laquelle participait M. Creel, le haut dirigeant numéro deux, juste en dessous du chef de la direction de l’entreprise.

  • [104] Même s’il semble que le plaignant soit [Traduction] « passé au travers des mailles du filet » (si l’on fait exception du fait que KS lui a demandé de s’entretenir avec TC au sujet de son dossier de sécurité en 2004), je conclus que M. Croteau avait de réels problèmes de sécurité et un mauvais dossier de sécurité en tant que chef de train au CN. Je suis conscient que cela contredit la perception qu’a le plaignant de lui-même : [Traduction] « l’un des employés les plus sûrs » au CN.

  • [105] Il s’agit peut-être là de l’allégation la plus importante pour ce qui est de l’effet qu’elle a eue sur M. Croteau et sur son état de santé mentale. S’il n’éprouvait pas de graves troubles liés à l’anxiété avant d’entendre parler de la surveillance lors de la réunion d’enquête du type « interrogatoire » tenue avec M. Mau le 11 mai 2004, ces troubles ont très certainement commencé à ce moment-là, et ses symptômes ont empiré au fil du temps.

  • [106] Après s’être blessé au genou le 10 mars 2004, le plaignant a remis à son syndicat un billet de médecin précisant initialement qu’il pouvait revenir au travail pour exécuter des tâches allégées; peu de temps après, il a remis un autre billet contenant des restrictions médicales contradictoires, disant qu’il ne pourrait pas retourner au travail du tout avant le 29 mars 2004. Ces billets n’ont pas été remis directement au CN, mais plutôt au syndicat. Durant l’absence de 20 jours, M. Croteau n’a pas communiqué directement avec la direction du CN, mais il a plutôt communiqué avec son syndicat. Il ressort de la preuve que KS a mis en doute la légitimité du congé de maladie de M. Croteau, et que le CN a retenu les services d’une agence privée d’enquête pour soumettre l’employé à une surveillance vidéo durant son absence. Il y a eu deux périodes de surveillance, l’une en mars 2004 et l’autre un mois plus tard.

  • [107] La surveillance a capté, notamment, M. Croteau en train de jouer au soccer avec ses enfants dans un parc, M. Croteau en train de jouer au basketball avec quelques amis adultes, ainsi que des scènes de sa maison, prises de la rue, et diverses images de M. Croteau ou de son épouse au volant de leurs automobiles. Toutes les images de surveillance ont été prises de jour et dans des lieux publics.

  • [108] Le plaignant a déclaré qu’il croyait que KS et M. Schenk avaient autorisé la surveillance et que celle-ci avait été menée parce qu’on le soupçonnait d’être gai, à cause de son problème médical personnel et à cause du fait, généralement notoire à Sarnia, que son frère avait été emporté par le sida. Il ressort de la preuve que, bien que KS ait recommandé que l’on exerce une surveillance, celle-ci a vraisemblablement été autorisée par Tony Marquis, le directeur général. Bien qu’il n’ait pas pris part à la décision de surveiller M. Croteau, M. Colasimone, qui occupe actuellement le poste qu’occupait M. Marquis en 2004, a témoigné qu’il avait autorisé la surveillance de certains employés dans le passé et qu’il avait pris part à quelques douzaines d’opérations de ce genre. Souvent, cela se faisait si l’entreprise avait des soupçons au sujet des activités, des blessures ou des absences du travail d’un employé. Parfois, l’obtention de plusieurs ordonnances auprès de médecins différents suscitait des soupçons. M. Gallagher et Mme Fusco ont également parlé des raisons ou des situations qui pouvaient amener le CN à faire surveiller un employé. Il est clairement ressorti de la preuve que le CN n’ordonnait pas à la légère la surveillance d’un employé, qui est un exercice coûteux. Mais, manifestement, la suite des événements ayant eu lieu en mars et en avril 2004 et mettant en cause M. Croteau, dont sa période de 20 jours d’absence sans permission, son bref retour suivi d’un autre congé, ainsi que les billets de médecin contradictoires et l’impossibilité de le joindre, a éveillé cumulativement les soupçons de KS et de la haute direction. En fin de compte, il n’a pas été sanctionné pour la période d’absence sans permission de 20 jours. J’accepte le fait qu’il a demandé au syndicat d’informer le CN de la situation parce qu’il ne voulait pas avoir directement affaire à KS. Le syndicat agissait comme son mandataire ou représentant, ou comme « intermédiaire » entre lui et KS.

  • [109] Même si, en fin de compte, le CN ne s’est pas servi des bandes de surveillance pour prendre des mesures disciplinaires contre M. Croteau, les scènes le montrant en train de jouer au soccer et au basketball auraient été un motif raisonnable pour éveiller les soupçons d’un employeur et mettre en doute la validité des absences du travail d’un employé. Je prends connaissance d’office que le soccer et le basketball sont des activités qui obligent à pivoter et à tourner sur soi-même dans des directions différentes, des gestes qui peuvent être incompatibles avec la prétention d’être incapable de travailler en raison d’une blessure au genou.

  • [110] Je tiens aussi à traiter du fait qu’il avait été impossible de joindre M. Croteau au téléphone. KS a déclaré avoir essayé 58 fois de joindre le plaignant par téléphone. Sa liste des dates et des heures des appels a été déposée en preuve. M. Croteau dit qu’elle ment; jamais elle n’a fait ces appels. Il avait un numéro à domicile et deux numéros de téléphone cellulaire. Lorsqu’elle avait appelé à ses deux numéros de téléphone cellulaire, les téléphones paraissaient éteints parce qu’elle ne tombait que sur le message type disant que la personne n’était pas disponible, mais sans possibilité de laisser un message dans une messagerie vocale. Il y a deux points que je trouve curieux. Premièrement, que KS aurait eu le temps – car elle a déclaré qu’elle était fort occupée au cours de cette période – de téléphoner 58 fois à M. Croteau. Deuxièmement, et ce, bien avant le 58e appel, qu’elle n’aurait pas eu recours à un autre moyen pour communiquer avec lui – p. ex., par courrier recommandé. Finalement, il est curieux que M. Croteau n’ait pas de messagerie vocale associée à son téléphone afin d’être sûr de pouvoir recevoir des messages importants de son employeur. Cela dit, malgré le zèle peut-être excessif de KS, après avoir écouté avec soin son témoignage et passé en revue la pièce énumérant les détails de ses appels, je conclus effectivement qu’elle a fait ces 58 appels à M. Croteau, mais sans succès.

  • [111] Je conclus qu’il n’y a pas eu de violation de la LCDP dans le fait d’ordonner la tenue de la surveillance, ni dans les méthodes que l’enquêteur privé a utilisées. Manifestement, KS et ses supérieurs doutaient de l’authenticité des absences et de la blessure de M. Croteau. Leurs soupçons s’appuyaient sur des motifs raisonnables, dont l’enchaînement des événements, y compris la teneur différente des billets de médecin, la difficulté à le joindre, etc. Nous n’avons pas affaire ici à un acte de harcèlement qui repose sur le motif illicite de distinction fondé sur la déficience. Manifestement, M. Croteau et sa famille ont été contrariés. Son épouse a elle aussi témoigné à ce sujet. Et je ne les mets pas en doute. Je puis comprendre qu’il doit être très troublant d’apprendre que l’on a été suivi et filmé par un enquêteur privé. Et je puis comprendre aussi que M. Croteau juge qu’il n’y avait aucune raison objective et justifiable pour exercer une telle surveillance. Mais j’arrive toutefois à une conclusion contraire. Le fait qu’un employeur, un assureur ou la CSPAAT ordonne la surveillance d’une personne qui prétend être blessée ou handicapée n’est pas une violation de la LCDP, dans la mesure où il existe des motifs raisonnables pour le faire et où la décision de procéder à une surveillance ne repose pas sur des facteurs discriminatoires.

  • [112] Quant au rapport du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada (le CPVP) sur la plainte déposée par M. Croteau contre le CN à cause de la surveillance, il a été conclu que le CN avait ordonné la surveillance prématurément, sans recourir d’abord à des méthodes moins restrictives. Le CPVP n’a pas conclu que le CN avait harcelé M. Croteau ou n’avait pas de fondement licite pour les surveiller, sa famille et lui. Et, en tout état de cause, la décision rendue par le CPVP au titre de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, L.C. 2000, ch. 5, n’est pas déterminante quant à l’issue de l’instruction relative à une violation de la LCDP.

  • [113] M. Croteau s’est élevé contre les méthodes de l’enquêteur privé, y compris le fait de filmer son épouse et ses enfants en son absence. L’enquêteur n’a pas témoigné. J’ignore pourquoi il a décidé de faire cela, mais j’ai regardé les bandes de surveillance. Toutes les images ont été filmées dans des lieux publics. Je présume qu’une surveillance indirecte a eu lieu pendant que l’enquêteur vérifiait si Mme Croteau allait rencontrer son époux. Mais, à l’évidence, c’était M. Croteau qui faisait l’objet de la surveillance, et l’inclusion de la famille et d’autres personnes était simplement un fait accessoire. J’ai passé en revue les rapports écrits de l’enquêteur à cet égard. Il s’agissait d’une agence privée d’enquête agréée – un tiers dont le CN avait retenu les services. Rien ne donne à penser que le CN a dit à cette agence de surveiller Mme Croteau ou ses enfants ou, en général, de quelle façon exécuter le travail de surveillance. Là encore, je souligne que je suis conscient de l’effet que cela a eu sur M. Croteau (et sur son épouse) quand il a appris, le 11 mai 2004, qu’il avait fait l’objet d’une surveillance. Les effets ont été immédiats et palpables, et ont consisté, notamment, à déménager l’un de ses fils dans la chambre à coucher de l’autre. En outre, cela a porté atteinte à l’image qu’il avait de lui-même, celle d’un employé soucieux de la sécurité, travaillant et honnête, et cela a dénoté que d’autres personnes au CN avaient des soupçons à son égard et avaient peut-être une opinion contraire de lui.

  • [114] Il s’agit de l’occasion à laquelle M. Croteau a appris pour la première fois qu’on l’avait surveillé. M. Croteau a été convoqué à une réunion d’enquête du type « interrogatoire », comme l’exigeaient la politique du CN et la convention collective, au sujet des 20 jours de congé qu’il avait pris sans permission, du 10 au 30 mars 2004. M. Croteau allègue que la tenue de cette réunion d’enquête était une forme de harcèlement. Il conteste également sa durée excessive. Il allègue également que M. Mau a fait remarquer qu’il avait de [Traduction] « beaux enfants » et il a jugé que ce commentaire était de nature menaçante, [Traduction] « sinistre », mais pas de nature sexuellement déplacée. En outre, il allègue que KS l’a [Traduction] « bousculé » dans le couloir, alors qu’elle n’était pas présente à la réunion d’enquête.

  • [115] Lors de la réunion, on a montré à M. Croteau les images de la vidéo de surveillance. M. Mau l’a confronté au sujet du fait qu’on le voyait jouer au soccer et au basketball pendant qu’il était en congé à cause d’une blessure au genou. Le plaignant a reconnu que M. Mau avait déclaré : [Traduction] « il n’y avait rien dans les scènes filmées que le CN pouvait utiliser ».

  • [116] M. Mau n’a pas témoigné. Cependant, après avoir examiné le rapport d’enquête et pris en considération le témoignage de M. Croteau ainsi que la plainte interne écrite sur cette question, je suis d’avis que la réunion, que la convention collective obligeait à tenir avant la prise de n’importe quelle mesure disciplinaire, avait pour objet de traiter des soupçons raisonnables qu’avait le CN à propos des 20 jours de congé sans permission, y compris pourquoi il avait été impossible de joindre M. Croteau durant cette période, pourquoi il avait consulté des médecins différents et ce qu’il avait fait pendant son congé. Je ne décèle aucun signe de harcèlement dans cette réunion d’enquête. Il n’était pas pris pour cible parce qu’il était blessé, malade ou atteint d’une déficience. Je conviens avec Me McFadden que le message non harcelant que le CN lui transmettait (à lui et à n’importe quel autre employé) était le suivant : [Traduction] « si vous décidez de prendre un congé sans permission, s’il est impossible de vous joindre et s’il semble que vous êtes à la recherche d’un médecin complaisant, il est possible qu’on vous mette sous surveillance » et que l’on vous convoque à une réunion d’enquête du type « interrogatoire ».

  • [117] Il est vrai que la réunion a été exagérément longue – près de cinq heures, inclusion faite des trois pauses d’une vingtaine de minutes – et qu’on a dépassé l’espace prévu dans le formulaire pour un nombre maximal de 98 questions et dû remplir une seconde feuille, ce qui avait donné en tout 125 questions posées. Après avoir passé en revue la transcription de l’enquête, et, même si je m’étais attendu à voir des questions sur la manière dont la blessure au genou proprement dite était survenue et plus qu’une seule question sur les parties de soccer ou de basketball, il ressort clairement de ces questions que le CN avait des doutes sur la véracité de ses 20 jours d’absence du travail, ainsi que sur son manque de communication et sur l’impossibilité de le joindre au cours de cette période (c’est-à-dire que KS avait tenté de le joindre par téléphone à 58 reprises). Je signale qu’en contre-interrogatoire, le plaignant a tout d’abord nié que M. Mau l’avait questionné sur le fait d’avoir joué dans le parc avec ses enfants. Cependant, quand on lui a montré le document, il s’est rétracté. Il est clair aussi que M. Mau voulait vérifier s’il n’exploitait pas une entreprise (peut-être comme pilote) pendant qu’il était en congé sans permission. Il ne fait aucun doute que le CN avait des soupçons à propos de l’authenticité de sa blessure ou de ses absences. Comme je l’ai déjà mentionné, indépendamment de l’issue et de la conclusion, le CN avait des motifs raisonnables, non assimilables à du harcèlement, pour tenir cette réunion d’enquête du type interrogatoire.

  • [118] Certes, M. Gallagher a témoigné qu’à son avis, il était [Traduction] « réellement stupide » et [Traduction] « absolument inutile » de montrer la bande de surveillance : [Traduction] « pourquoi montrer la bande si l’on n’obtient rien […] ». Cependant, si l’on examine son témoignage dans son intégralité, certaines choses ressortent clairement. Premièrement, M. Gallagher n’avait vu que [Traduction] « 10 minutes environ » des bandes tournées sur les parties de soccer. C’était sa première semaine dans la région et il ne connaissait pas les personnes concernées. Il a déclaré : [Traduction] « Robert Bruder m’a demandé de les regarder et de dire ce que j’en pensais, afin de justifier une enquête pour fraude, pour déclaration frauduleuse au sujet de sa maladie ». Il a regardé les bandes un vendredi et on lui a dit que M. Croteau revenait au travail le lundi suivant. Il est clair à mes yeux qu’il pensait qu’il était [Traduction] « réellement stupide » de lui montrer la surveillance quelques jours avant son retour au travail. Dans son nouvel interrogatoire, il a déclaré : [Traduction] « je n’aurais pas considéré cela comme stupide et inutile si M. Croteau revenait au travail un mois plus tard ou s’il n’y avait aucune date [de retour] connue ». Il ne disait pas que le fait de mettre M. Croteau sous surveillance était [Traduction] « réellement stupide » ou qu’il s’agissait d’une mesure prise dans un but illégitime.

  • [119] Au sujet de l’allégation concernant les [Traduction] « beaux enfants » de M. Croteau, M. Mau n’a pas témoigné. Cependant, bien que je croie que, d’un point de vue subjectif, M. Croteau ait pu se sentir menacé par cette remarque [Traduction] « sinistre », d’un point de vue objectif ce commentaire me semble n’être rien de plus qu’un compliment, une façon de rompre la glace dans le cadre d’une réunion du type « interrogatoire » stressante. Je signale que M. Croteau a déclaré n’avoir jamais eu de conflits personnels avec M. Mau. Il n’y avait là aucune animosité. Quant à l’allégation concernant le fait que KS l’avait bousculé dans le couloir, j’ai déjà tiré une conclusion sur cet incident dans la section de la présente décision ayant trait à la crédibilité.

  • [120] M. Croteau allègue que son superviseur avait approuvé sa demande de remboursement de frais de scolarité, avant que TC lui dise que le CN ne l’approuverait pas. Il allègue qu’il s’agit là d’un geste de harcèlement fondé sur le motif de la déficience parce qu’il était pris pour cible du fait de ses absences légitimes du travail.

  • [121] Le 30 mars 2004, TC a déclaré au plaignant que le CN jugeait qu’il avait pris un congé sans permission, que KS avait tenté de communiquer avec lui et qu’il ne communiquait pas avec l’entreprise.

  • [122] Le 2 juillet 2004, TC avait dit à M. Croteau, au téléphone : [Traduction] « j’en ai parlé avec nos agents des RH et nous ne sommes pas réellement disposés à offrir une aide pour suivre des cours ». Quand il lui avait demandé pourquoi pas, il avait répondu : [Traduction] « [e]h bien, cela dépend de la personne. Cela dépend du fait de savoir si la personne peut être promue. Cela dépend des cours qu’elle suit. Je leur ai fait réviser la demande et ils l’ont refusée ».

  • [123] Lors de la réunion du 5 juillet 2004 tenue dans le bureau de TC et enregistrée en secret par M. Croteau, TC a dit au plaignant qu’il devait [Traduction] « faire montre des techniques de gestion appropriées, venir au travail, être productif, ne pas se blesser, et tout cela fait partie du travail de gestionnaire ». Le plaignant a répondu : [Traduction] « Absolument. Et, si vous parlez à qui que ce soit autour d’ici, je suis probablement l’une des personnes les plus soucieuses de la sécurité qui se trouve ici. J’observe les règles. Je suis à la lettre les instructions qu’on me donne […] ».

  • [124] Plus loin, TC a déclaré qu’il travaillait au CN depuis 30 ans et qu’il ne s’était jamais blessé. Il a ensuite fait remarquer que la CSPAAT de l’Ontario était plus souple – [Traduction] « c’est presque du communisme » – que les commissions d’indemnisation des accidents du travail des provinces de l’Ouest (le CN a sermonné TC pour avoir fait cette remarque). TC a ensuite fait remarquer : [Traduction] « je n’ai même pas vu les bandes, car j’ai entendu dire que vous jouiez à la balle ou au soccer avec vos enfants ou quelque chose du genre […] et vous êtes en congé avec des indemnités pour accident de travail […] ce n’est qu’un exemple mineur. On vous oriente au départ vers des fonctions allégées et, tout à coup, voilà que ça change pour tout à fait inapte au travail, et nous ne pouvons plus communiquer avec vous pendant un mois ».

  • [125] On a posé une question à M. Colasimone au sujet du programme d’aide aux études du CN et de sa décision d’approuver, et ensuite de rejeter, le remboursement des frais de scolarité. Le témoin a affirmé qu’il ne comprenait pas pourquoi la demande n’aurait pas été acceptée une fois que le formulaire avait été signé et approuvé :

B.  L’allégation no 2 : la réunion d’enquête de M. Mau le 15 décembre 2003

C.  L’allégation no 3 : la reconstitution de la blessure à l’épaule du 8 janvier 2004

D.  L’allégation no 4 : la blessure au genou du 10 mars 2004

E.  L’allégation no 5 : la surveillance vidéo de M. Croteau et de sa famille

F.  L’allégation no 6 : La réunion d’enquête du 11 mai 2004 avec Kevin Mau

G.  L’allégation no 7 : Le refus de rembourser les frais de scolarité

[Traduction] Pas de commentaire, sans plus d’informations. Il manque quelque chose. Nous nous targuons de faire ce que nous disons que nous allons faire. Il manque des détails dans cette histoire. Il faudrait que la demande atteigne au moins le niveau du surintendant adjoint et que l’on discute avec le DG; c’est beaucoup d’argent … il faut répondre aux critères et il faut certainement que l’entreprise en tire un avantage.

Je signale qu’il semble que la demande n’a jamais été approuvée au niveau du surintendant adjoint, juste par son superviseur, et pour un cours seulement.

  • [126] Après avoir examiné les témoignages de vive voix et les éléments de preuve documentaire et pris en considération les arguments juridiques, je ne conclus pas que l’allégation qui précède a été établie. Les motifs susmentionnés ne constituent pas du harcèlement fondé sur la déficience. J’accepte le fait qu’à cause des faits qui ont eu lieu, la direction du CN (au niveau du surintendant adjoint ou à un échelon supérieur) n’a pas cru que M. Croteau faisait montre d’un comportement [Traduction] « propice à une promotion » ou avait les qualités requises pour être gestionnaire, à ce moment-là. Cela ne veut pas dire que le CN ne serait pas arrivé plus tard à une conclusion différente. Par exemple, si le fait de communiquer par l’entremise du syndicat n’est pas un geste irrégulier, du point de vue du CN, ce n’était probablement pas une « bonne pratique de gestion ». Autrement dit, l’employé qui aspire à devenir gestionnaire, mais qui craint de faire affaire directement avec la direction n’est pas un [Traduction] « bon candidat ». Me Bolter soutient que TC a fait des [Traduction] « présomptions erronées » et que [Traduction] « l’employeur est revenu sur l’entente pour les mauvaises raisons », ce qui constitue du harcèlement. Cela est peut-être bien vrai pour ce qui est des deux premiers éléments de son argument, mais non pour le troisième : qu’il y a eu ici du harcèlement fondé sur la déficience. Cela peut être, tout au plus, une rupture de contrat ou un délit, mais cela déborde le cadre de mon mandat et je ne tire aucune conclusion de cette nature.

  • [127] Je suis conscient que M. Croteau a pu être troublé par le fait que le CN a approuvé – et ensuite rejeté – sa demande d’aide aux études. Il ne fait aucun doute que M. Croteau était ambitieux et avait de lui-même une image très différente en tant qu’employé que celle qu’avait le CN. Par exemple, il a déclaré à TC qu’il était l’un des employés du groupe qui était le plus soucieux de la sécurité. À un moment donné dans son témoignage, il a dit qu’il aspirait à atteindre un jour le sommet de la direction du CN – le poste de chef de la direction, comme son modèle, le chef de la direction (et aujourd’hui à la tête de l’entreprise rivale, le Canadien Pacifique) Hunter Harrison.

  • [128] Cette allégation est liée à la précédente. M. Croteau allègue que TC, en [Traduction] « revenant » sur l’accord du superviseur général Paul Sutor, s’était fondé à tort sur du ouï-dire et des renseignements erronés provenant des agents des Ressources humaines et des Relations de travail du CN.

  • [129] Il est vrai que l’on avait fait part à TC de quelques déclarations relatées et renseignements inexacts. Par exemple, lorsqu’il a déclaré que M. Croteau recevait des indemnités pendant la période où on l’avait vu jouer au soccer et au basketball, c’était techniquement faux. Cependant, à ce moment, le plaignant avait présenté une demande de prestations de la CSPAAT. Mais, au‑delà de cela, il y a le fait qu’un gestionnaire est en droit d’obtenir des renseignements auprès du Service des ressources humaines ou du Service des relations de travail au sein d’une organisation. Et, il est possible qu’il reçoive quelques renseignements erronés et qu’il s’en serve, mais, en l’absence d’une intention irrégulière ou d’un effet défavorable visant à exercer de la discrimination ou à harceler, la LCDP n’est pas en cause. Il n’y a aucune preuve, hormis la conviction de M. Croteau, que le CN (par l’intermédiaire de KS, de TC ou d’autres) a refusé cette aide relative aux frais d’un seul cours parce qu’on le punissait ou qu’on le prenait pour cible du fait de sa déficience. Les motifs à l’appui de cette conclusion sont expliqués à la section précédente, qui porte sur l’allégation no 7.

  • [130] En janvier 2006, le CN a imposé une suspension différée de 14 jours (qui n’a jamais été appliquée et a été retirée de son dossier) pour avoir omis de communiquer avec le CN au cours des 20 jours d’absence sans permission en mars 2004. Kevin Mau l’avait convoqué à une réunion d’enquête de type « interrogatoire » le 11 mai 2004. M. Croteau allègue que la mesure disciplinaire elle-même et le moment où celle-ci a été imposée constituent un geste de harcèlement.

  • [131] Selon mon examen de la preuve, il n’y a que la conviction personnelle de M. Croteau que la mesure disciplinaire a été imposée et différée en vue de le harceler, et cette mesure est liée au conflit qu’il a eu avec KS le 19 novembre 2003. KS avait quitté Sarnia parce qu’elle avait été promue au terminal d’Oakville en avril 2004.

  • [132] Pour ce qui est de la sanction disciplinaire elle-même, Me Bolter a convenu que, d’un point de vue technique, son client avait été absent sans permission au cours de cette période de 20 jours. La sanction avait été différée, ce qui voulait dire qu’elle serait appliquée en cas de récidive. Elle n’a jamais été appliquée, et elle a par la suite été effacée de son dossier du personnel. Même si le CN a eu tort d’imposer cette sanction différée, je ne vois ici aucune violation de la LCDP pour harcèlement, aucun lien péjoratif établi avec le motif illicite que constitue la déficience.

  • [133] Quant au moment où la sanction a été imposée, en contre‑interrogatoire, M. Croteau a convenu avec réticence que le CN avait attendu parce qu’il avait été absent du travail entre le 14 mai 2004 et le 26 février 2007, période durant laquelle il avait reçu des prestations d’ICD et ensuite d’invalidité de longue durée (ILD). Et il a convenu que le syndicat avait peut-être demandé au CN d’attendre. J’ajoute qu’il n’a subi aucun préjudice du fait de ce délai dans la suspension différée.

  • [134] M. Croteau a déposé un grief auprès du BAMCFC. Un arbitre l’a rejeté.

  • [135] En conclusion, après avoir examiné la preuve concernant les allégations de harcèlement de manière individuelle et ensuite de manière globale, et après avoir appliqué les principes énoncés dans la jurisprudence, je conclus qu’il n’y a eu aucune violation des droits que l’article 14 de la LCDP confère à M. Croteau.

  • [136] Après avoir passé en revue la quantité considérable de preuve, je conclus que le plaignant a établi une preuve prima facie d’une différence de traitement défavorable, contraire à l’alinéa 7b) de la LCDP. Cela exige une explication et une justification de la part du CN. L’intimée a produit des éléments de preuve en vue d’établir l’existence d’une exigence professionnelle justifiée (EPJ) au titre de l’alinéa 15(1)a) de la LCDP et, dans le cadre de cette défense, qu’elle avait fourni des mesures d’accommodement raisonnables ou, comme il est précisé dans la loi – sans s’imposer de contrainte excessive – aux termes du paragraphe 15(2). De ce fait, l’allégation relative à l’article 7 s’articulait principalement autour de la capacité qu’avait le CN de montrer qu’elle avait pris des mesures d’accommodement raisonnables en vue de répondre aux besoins liés à la déficience de M. Croteau.

  • [137] Le diagnostic et les troubles médicaux du plaignant sont essentiels pour comprendre ce qui s’est passé durant de cette période de dix ans entre le moment de la blessure/maladie/déficience et la fin des audiences. Ses troubles médicaux ont influencé ses réactions par rapport aux employés et aux événements au CN, ce qui a fait obstacle à un retour au travail fructueux. Il est difficile de déterminer la mesure dans laquelle les pensées, les réactions et la conduite de M. Croteau sont attribuables à son état de santé mentale pendant toute cette période, mais il est certain que ses troubles médicaux, les effets qui en ont découlé et les conséquences souvent destructrices sont réels, et non imaginés.

  • [138] Qu’a-t-on diagnostiqué chez M. Croteau, et ce diagnostic a-t-il changé pendant les dix années écoulées entre 2003 et 2013? Son équipe de spécialistes de la santé comprenait son médecin de famille, le Dr Gannon, et son psychologue, M. AB. En outre, le Dr Larry Chad, psychiatre et chef adjoint de la psychiatrie au Toronto East General Hospital, a effectué trois examens médicaux indépendants (EMI) et a joué un rôle de premier plan. Du côté du CN, les autres personnes qui sont intervenues sur le plan médical ont été le Dr Léger, son médecin chef, ainsi que des infirmières du Service de SST du CN (autrefois appelé Medisys, une entreprise privée dont le CN retenait les services par contrat). Il y a eu d’autres employés du CN qui s’occupaient de questions de retour au travail, mais ils se trouvaient de l’autre côté du « mur » de la confidentialité érigé pour protéger les renseignements médicaux confidentiels des employés, comme l’agent de gestion des risques, le gestionnaire des ressources humaines, le coordonnateur des retours au travail, ainsi que divers gestionnaires ou superviseurs opérationnels.

  • [139] Après avoir examiné les documents médicaux du Dr Chad, du Dr Gannon et de M. AB, ainsi que les références qui y sont faites dans les documents du service de SST du CN, je qualifierai son diagnostic et son état de « troubles anxieux ». Ces derniers englobent les symptômes décrits, comme les crises de panique, les palpitations cardiaques, les nausées, les vomissements et les symptômes d’un TSPT.

  • [140] Les restrictions mises par le CN dans les PTT concernant le retour au travail de M. Croteau ont également une certaine importance. Les quatre restrictions en question étaient fondées sur les renseignements médicaux reçus du Dr Gannon, du Dr Chad et de M. AB. Elles n’avaient pas changé à la fin des audiences, comme l’a confirmé le plaignant par l’intermédiaire de son avocat. Ces quatre restrictions sont les suivantes :

H.  L’allégation no 8 : TC s’est fondé à tort sur du ouï-dire et des renseignements erronés

I.  L’allégation no 9 : La mesure disciplinaire prise à l’endroit de M. Croteau en 2006 pour les absences en mars 2004

XII.  L’allégation concernant le manquement à l’obligation d’accommodement

A.  Le diagnostic / les troubles médicaux de M. Croteau et les restrictions

  • (1) ne peut occuper un poste essentiel ou sensible sur le plan de la sécurité, ni accomplir de telles fonctions;

  • (2) ne peut faire fonctionner du matériel ferroviaire en mouvement;

  • (3) ne peut assumer des responsabilités concernant la sécurité d’autres personnes;

  • (4) ne peut travailler seul.

  • [141] Bien qu’il soit difficile de mettre le doigt sur le moment exact où ces problèmes sont apparus, la genèse du conflit de travail sous-jacent, pour ce qui est du moins des allégations de harcèlement, semble être la courte réunion qui a eu lieu le 19 novembre 2003 dans le bureau de KS. Ce qui semble aussi admis, c’est que les troubles anxieux ont nettement empiré ou se sont amplifiés quand on a révélé à M. Croteau l’existence des bandes de surveillance lors de la réunion d’enquête tenue le 11 mai 2004. Je ne saurais trop insister sur l’importance que ce fait eu par rapport à l’état mental de M. Croteau. Sans ce fait, il est probable que l’escalade des faits ayant eu lieu dans les années suivantes n’aurait pas eu lieu et que la vie de M. Croteau aurait connu une issue différente et plus positive, tant au travail qu’à la maison. Je souscris au témoignage de M. AB, à savoir que la méfiance de M. Croteau à l’égard du CN a atteint le stade où ses troubles anxieux sont devenus chroniques et se sont [Traduction] « généralisés » au-delà des [Traduction] « problèmes liés au travail » si souvent cités dans les rapports et les documents du Dr Chad, du Dr Gannon et de M. AB.

  • [142] Dans le cas des troubles anxieux, comme dans celui d’un grand nombre d’affections, les médecins et d’autres fournisseurs de soins de santé se fient à ce que le patient leur dit et à la manière dont il [Traduction] « présente » son état. Et, bien sûr, dans le domaine de la santé mentale, il existe des tests qu’il est possible de faire passer. En gardant cela à l’esprit, il vaut la peine d’examiner si le Dr Chad, le Dr Gannon et M. AB seraient arrivés à une conclusion différente au sujet du diagnostic, du pronostic et du traitement de M. Croteau en vue d’un retour au travail au CN, ce qui inclut la question de savoir s’il aurait un jour pu retourner au travail avec succès au CN, si ceux-ci avaient été au courant de certains faits cruciaux.

  • [143] En ce qui concerne les renseignements qui précèdent ainsi qu’à titre d’exemple, M. Croteau a fait savoir qu’il éprouvait un sentiment constant de peur ou de paranoïa face à l’idée que KS puisse kidnapper ses deux fils, et il m’a demandé de lui accorder des dommages‑intérêts spéciaux afin qu’il puisse vendre sa maison et déménager car, notamment, il craint de laisser le CN savoir où il vit. Il a clairement exprimé qu’il craignait [Traduction] « que le CN et KS sachent où [il vivait] ». Quand on lui a demandé s’il souhaitait déménager parce que la maison était associée à cette période négative dans sa vie ou parce que le CN lui ferait du mal, il a répondu : [Traduction] « les deux ». M. AB a déclaré qu’il n’était pas au courant de cela, et que de telles peurs n’avaient jamais été évoquées lors des 150 séances qu’ils avaient eues ensemble. Il n’y a eu aucune mention de cela dans les trois EMI du Dr Chad.

  • [144] Je soupçonne aussi que, si le Dr Chad – le seul psychiatre à avoir vu le plaignant – avait été mis au fait de ces questions, celles-ci auraient occupé une place importante dans ses EMI, et que son diagnostic ou ses recommandations auraient été différents quant aux perspectives de retour au travail de M. Croteau en tant que chef de train au CN.

  • [145] Je signale que le CN était en droit de se fier aux avis médicaux du Dr Chad et du Dr Gannon, ainsi qu’à l’opinion psychologique de M. AB. Il est possible d’inférer, à partir de la LCDP, que l’employeur a le devoir de chercher à obtenir des renseignements pertinents sur l’employé et ses besoins en matière d’accommodement, et que l’employé a le devoir correspondant de faciliter la collecte de ces renseignements complets et exacts.

  • [146] Par ailleurs, à ce stade-ci, comme M. Croteau est toujours un employé du CN pendant qu’il est en congé non payé et que le CN est encore tenu de répondre aux « besoins » qu’entraîne sa déficience, les éléments qui précèdent sont pertinents pour ce qui est de savoir s’il serait possible de répondre à ces « besoins » sans s’imposer de contrainte excessive, l’objectif étant qu’il soit capable d’accomplir les fonctions essentielles du travail pour lequel il a été embauché, soit celui de chef de train.

  • [147] Je tiens aussi à signaler que, ni dans les documents médicaux, ni dans le témoignage de M. AB, ni dans les observations de l’avocat du plaignant, on a laissé entendre que M. Croteau n’était pas en mesure de comprendre ce qu’il disait ou faisait, y compris au cours des audiences. L’avocat du plaignant a déclaré qu’il croyait que son client était apte à retenir ses services et à lui donner des directives pendant tout le processus. Même si M. Croteau a subi de nombreuses crises de panique au cours des audiences, des crises pour lesquelles nous avons souvent fait des pauses, il a été en mesure de participer du début jusqu’à la fin, et cela inclut son propre témoignage durant plusieurs jours. Cela ne vise pas à minimiser les réels symptômes dont il subissait les effets durant ses crises de panique.

  • [148] Par souci d’équité pour le plaignant, même si ce dernier allègue que l’on a omis de façon générale et continue de répondre aux besoins liés à sa déficience jusqu’à la fin des audiences, il reconnaît que le CN y a tout de même répondu à certains moments entre les années 2007 et 2013. Cependant, son avocat n’a pas été en mesure d’énumérer ces mesures d’accommodement précises.

  • [149] Le 8 janvier 2004, M. Croteau s’est blessé à l’épaule en se servant d’un frein à main. Deux mois plus tard, le 10 mars 2004, il s’est blessé de nouveau, cette fois-ci au genou, en descendant d’un train. Il s’est rendu à l’hôpital et le premier médecin qui l’a vu lui a remis un billet précisant qu’il devait prendre congé pour quatre jours, et qu’il pouvait retourner au travail avec les allègements nécessaires. Je signale que KS tentait de le joindre parce qu’elle lui avait trouvé des tâches modifiées. Essentiellement, le CN était, à ce stade, prêt à répondre à ses « besoins ». Comme il a été mentionné plus tôt, M. Croteau a pris un congé de 20 jours, du 10 au 31 mars. Il a demandé à son syndicat de communiquer avec le CN au sujet de son absence et de fournir les documents requis. Il y a eu un problème de communication, c’est le moins que l’on puisse dire, parce que KS a tenté de le joindre (elle a fait 58 appels téléphoniques). Le CN a considéré qu’il s’était absenté sans permission. Il est retourné au travail du 1er au 18 avril 2004 et, ensuite, a pris de nouveau congé à cause d’un problème médical personnel (non lié à la blessure à l’épaule ou au genou) le 19 avril. Il est revenu le 21 avril, pour repartir le 14 mai 2004.

  • [150] Le 23 avril 2004, KS a eu une conversation [Traduction] « discourtoise » avec l’épouse du plaignant (qui a qualifiée KS de « salope ») et une autre avec la belle-sœur du plaignant. Dans les deux cas, KS voulait savoir où se trouvait M. Croteau. À ce stade, sur sa recommandation et avec l’accord de la haute direction, on a ordonné de surveiller M. Croteau à deux reprises – la première fois en mars et la seconde en avril, à son insu, jusqu’au 11 mai 2004. À ce stade, le CN avait des doutes au sujet des blessures de M. Croteau ainsi que de ses absences du travail.

  • [151] Entre le 14 mai 2004 et le 26 février 2007, le plaignant n’a pas travaillé au CN. Il a par la suite épuisé ses prestations d’ICD et ensuite d’ILD. Il était considéré comme tout à fait inapte au travail. Il a aussi reçu des prestations d’assurance-emploi. Entre 2004 et 2007, il y a eu une période de trois semaines pendant laquelle M. Croteau n’a pas reçu de prestations d’invalidité et où il a été possible de répondre à ses besoins. À part cette brève période, le CN n’était pas légalement tenu, sous le régime de la LCDP, de répondre aux besoins liés à la déficience du plaignant au cours de cette période de trois ans. Durant ce temps, le CN, qui avait reçu le premier EMI du Dr Chad, dans lequel figurait le diagnostic et l’avis d’expert selon lequel le problème était [Traduction] « lié au travail […] sans aucune restriction due à des facteurs psychiatriques », a déclaré qu’il ferait disparaître les [Traduction] « problèmes liés au travail » – KS et TC – de l’équation en termes d’éventuels rapports avec le plaignant.

B.  Les mesures d’accommodement : historique et conclusions

Le Dr Chad et le premier compte rendu d’EMI daté du 10 juin 2004

  • [152] Le Dr Chad a écrit que [Traduction] « M. Croteau a déclaré qu’avant le mois d’avril ou, mai de 2003, il se sentait bien, tant sur le plan physique qu’affectif ». Il n’avait eu [Traduction] « auparavant pas de dépression sérieuse, de changements d’humeur ou de crises d’anxiété, pas de contacts psychiatriques, n’avait jamais été suicidaire et n’avait jamais été hospitalisé sur le plan psychiatrique ». Il a également écrit : [traduction] « M. Croteau a déclaré que son patron [KS] ne s’est pas occupé de son cas avant novembre 2003 ».

  • [153] Selon le Dr Chad, M. Croteau a déclaré qu’il avait deux crises d’anxiété par jour et qu’il n’arrivait pas à se concentrer : [Traduction] « Je ne peux même pas vider le lave-vaisselle sans le faire de travers. » Cela posait un problème, à cause du travail dangereux que font les chefs de train. Il a ensuite écrit : [Traduction] « M. Croteau considère que son anxiété découle essentiellement du stress lié au travail et de sa peur d’être congédié ». À la page 7, le médecin a écrit : [Traduction] « On a demandé à M. Croteau s’il pensait être capable de travailler pour un autre patron à ce stade-ci, et il a répondu “absolument”. Il a dit qu’il pense pouvoir travailler si ses problèmes de travail sont réglés ». La notion du [Traduction] « règlement des problèmes de travail » deviendra un élément clé du diagnostic et des tentatives de retour au travail. Le Dr Chad a signalé que le plaignant avait fait remarquer que, depuis décembre 2003, [Traduction] « son patron [KS] a commencé à s’en prendre à lui à cause de ses problèmes d’assiduité et de ses accidents ». Le Dr Chad a aussi écrit que M. Croteau avait déclaré qu’un [Traduction] « avocat s’occupait de sa poursuite pour harcèlement et de sa poursuite pour intimidation auprès des Droits de la personne ».

  • [154] Le Dr Chad a mentionné que le plaignant donnait l’impression d’être [Traduction] « raisonnablement clair » et [Traduction] « cohérent ». [Traduction] « Dans l’ensemble, il ne paraît pas très déprimé ou anxieux […] Il n’y avait aucun signe de réflexion psychotique ». Du point de vue diagnostique, selon le DSM‑IV, le Dr Chad a déclaré que l’axe I ([Traduction] « Trouble de l’adaptation avec anxiété mixte et état dépressif et problème professionnel ») s’applique. Il a écrit ce qui suit, aux pages 13 et 14 :

[Traduction] L’historique dénote que M. Croteau a acquis un trouble de l’adaptation avec anxiété mixte et état dépressif par rapport à son stress général lié au travail, aux problèmes avec son patron, et à la douleur associée à [son problème médical personnel]. Il ne répond pas à ce stade-ci aux critères diagnostiques qui s’appliquent à un épisode dépressif majeur. De la même façon, il ne répond pas à ce stade-ci aux critères diagnostiques d’un trouble de l’anxiété. C’est-à-dire que les problèmes liés au travail sont pour lui d’importants facteurs précipitants qui l’amènent à se sentir déprimé, anxieux, ainsi qu’à arrêter de travailler et à continuer de s’absenter du travail. Il a aussi un problème professionnel.

[…]

Il est possible que M. Croteau continue d’éprouver quelques symptômes mixtes, légers et intermittents, d’anxiété et de dépression, mais ces derniers ne sont généralement pas d’une nature ou d’une gravité qui l’amèneraient à l’empêcher totalement de travailler à ce stade-ci, si l’on réglait les problèmes liés au travail.

  • [155] Là encore, à la page 14, le Dr Chad a écrit ce qui suit :

[Traduction] Les symptômes psychiatriques actuels de M. Croteau ne sont pas assez graves pour l’empêcher de retourner travailler à temps plein, dès que les problèmes liés au travail seront réglés. Sans cela, il serait probablement trop anxieux pour travailler de manière sécuritaire et efficace, du fait de son anxiété et de ses problèmes de concentration.

  • [156] Enfin, il a conclu ce qui suit :

[Traduction] Si l’on réglait les problèmes liés au travail, M. Croteau devrait être capable de travailler de façon régulière et à temps plein à ce stade-ci sans aucune restriction due à des facteurs psychiatriques. Il souscrit à cela. […] Le pronostic d’une amélioration constante est bon, à condition que l’on règle ses problèmes liés au travail. [Non souligné dans l’original.]

  • [157] Il est important de signaler qu’en date du 10 juin 2004, le Dr Chad, psychiatre, dit au CN que M. Croteau pourrait retourner travailler à temps plein en tant que chef de train [traduction] « sans aucune restriction due à des facteurs psychiatriques » dans la mesure où [Traduction] « on règle les problèmes liés au travail ». À ce stade, les [Traduction] « problèmes liés au travail » sont le conflit entre le plaignant, KS et TC.

  • [158] Le 25 août 2004, M. Croteau a eu sa première séance avec M. AB. Le 5 novembre 2004, ce dernier a écrit : [Traduction] « il semble que le retour au travail de M. Croteau soit en suspens, à cause de problèmes de nature plus juridique, et pas tant de nature psychologique ».

Le deuxième compte rendu d’EMI daté du 4 janvier 2005

  • [159] Sept mois plus tard, le Dr Chad a vu de nouveau le plaignant pour un deuxième EMI. À ce moment-là, M. Croteau était encore en congé et recevait des prestations. Il avait déposé sa plainte de harcèlement interne et avait porté plainte auprès du CPVP au sujet du problème de la surveillance. Le Dr Chad a signalé que le plaignant avait dit qu’il avait de la difficulté à dormir la nuit et qu’il était aux prises avec des crises de panique et des problèmes de concentration.

  • [160] Aux pages 8 et 9, le Dr Chad a déclaré ce qui suit : [Traduction] « On a demandé à M. Croteau pourquoi il n’était pas encore retourné au travail, et il a répondu que c’était parce que les problèmes de travail n’avaient pas été réglés. Il a dit que, si le CN l’autorisait maintenant à revenir, il ne voudrait pas le faire avant que les problèmes de travail soient réglés. Si les deux patrons [KS et TC] dont il se plaignait n’étaient pas là, il retournerait maintenant. […] “Je n’ai pas l’intention de me soumettre à une vengeance”. »

  • [161] Le Dr Chad a posé le diagnostic suivant aux pages 13 et 14 :

[Traduction] Il semble être victime de stress et avoir acquis un trouble de l’adaptation avec anxiété mixte et état dépressif. […] Il ne répond pas à tous les critères diagnostiques qui s’appliquent à un trouble de l’anxiété. Il ne répond pas aux critères diagnostiques qui s’appliquent à un trouble de stress post‑traumatique. […] Si l’on tient compte du fait que les problèmes liés au travail sont les principaux facteurs précipitants et perpétuants de son stress, de son anxiété et du fait qu’il ne continue pas de travailler, il a aussi un problème professionnel.

[…]

M. Croteau continue peut-être de souffrir de quelques symptômes mixtes, légers et intermittents d’anxiété et de dépression, mais ces derniers ne sont généralement pas d’une nature ou d’une gravité qui l’empêcherait de travailler à ce stade-ci. […] Il devrait pouvoir rencontrer son employeur à ce stade-ci et s’occuper des problèmes liés au travail.

[…]

Si M. Croteau retournait au travail à ce stade-ci, sans que les problèmes liés au travail aient été réglés, il pourrait avoir de la difficulté à accomplir ses tâches ordinaires à cause de l’anxiété, de quelques problèmes de concentration et de quelques difficultés de durée d’attention. Le fait de ne pas régler les problèmes liés au travail ne fera que perpétuer ses symptômes d’anxiété mixte et de dépression et prolonger son absence du travail […]

[…]

Si l’on règle les problèmes liés au travail, il ne sera pas nécessaire d’imposer de restrictions précises au sujet du retour au travail de M. Croteau, sur une base régulière et à plein temps. […] M. Croteau n’a pas besoin de médicaments psychotropes à ce stade-ci. Il n’est pas nécessaire de l’orienter vers un psychiatre pour le moment. […] La principale intervention nécessaire à ce stade-ci consiste à régler ses problèmes liés au travail. Il semble s’agir davantage d’un problème lié au travail que d’un problème de déficience psychiatrique. [Non souligné dans l’original.]

  • [162] En janvier 2005, le CN ayant reçu la deuxième EMI du Dr Chad, l’AGR Bob Leonard a écrit au plaignant pour dire qu’il aimerait le rencontrer en vue de parler de son retour de travail. Ce geste s’est heurté à une vive opposition de la part du plaignant et du syndicat, qui le représentait. Ils ne voulaient même pas parler du retour au travail. M. Croteau a dit qu’il pensait que le CN essayait de l’obliger à revenir trop tôt pour travailler comme chef de train. Je ne souscris pas à cela. Il ressort clairement de la preuve que l’on proposait simplement de tenir une réunion préalable à un retour au travail. Je suis d’accord avec Me McFadden, qui a déclaré que cela constituait un refus injustifiable de participer au [Traduction] « dialogue d’accommodement » et que cela aurait pu se solder par de graves conséquences pour M. Croteau, lesquelles auraient pu aller jusqu’à son congédiement.

  • [163] Le 1er mars 2005, une réunion importante a eu lieu en vue de discuter de la plainte de harcèlement interne du plaignant contre KS et TC. Selon la note au dossier, le syndicat voulait discuter d’un retour au travail, mais M. Gallagher a répondu que la réunion avait pour but de traiter de la plainte de harcèlement interne de M. Croteau. Il est à noter qu’à ce moment-là, le plaignant était également au courant de la surveillance que le CN avait exercée par l’entremise d’une agence privée d’enquête et qu’il manifestait clairement des signes de troubles anxieux. La réunion a eu lieu avec M. Gallagher, le plaignant et son épouse, ainsi que trois membres supérieurs du syndicat. Lors de cette réunion, M. Croteau a présenté sa [Traduction] « liste de souhaits » en vue de régler la plainte de harcèlement interne. [Traduction] « Je me fiais à ce que voulait le syndicat » a déclaré M. Croteau à la barre. Me McFadden a laissé entendre qu’il essayait de [Traduction] « se cacher derrière le syndicat » et d’en rejeter le blâme sur lui. Le plaignant a dit que non. M. Gallagher a d’emblée dit qu’il ne s’agissait pas d’une liste [Traduction] « souple » et il les a incités à faire un peu de [Traduction] « marchandage, de négocier ». Après avoir passé en revue les témoignages du plaignant et de M. Gallagher, de même que la liste figurant dans la note au dossier déposée en tant que preuve, je conclus que M. Croteau voulait, notamment :

  • (1) que KS et TC soient sanctionnés et peut-être même congédiés;

  • (2) des excuses du CN ainsi que de KS et de TC, envers lui et sa famille;

  • (3) un dédommagement pour perte de revenus et de prestations.

  • [164] Dans la note au dossier, M. Gallagher a écrit : [Traduction] « J’ai demandé des éclaircissements au sujet de la réparation que M. Croteau souhaitait obtenir. Après une délibération assez longue, M. Croteau a donné la réponse suivante : “À titre de réparation, une mesure dissuasive d’un dollar serait peut-être trop et un million de dollars ne serait peut-être pas assez, nous ne saurons pas tant que le processus n’est pas terminé”. » Le plaignant a parlé du sens de ce passage : [Traduction] « Si M. Gallagher faisait une enquête appropriée en matière de droits de la personne, en fin de compte, je n’étais pas à la recherche d’argent. C’est le syndicat qui me l’a dit. » Me McFadden a répondu en demandant au plaignant comment il s’attendait à ce que le CN réagisse à une telle proposition. Sa réponse a été la suivante : [Traduction] « C’est une bonne question. Mon intention était de secouer un peu le service des RH. » L’avocat du CN a posé la question suivante : [Traduction] « Votre intention était de concevoir un règlement qui était en quelque sorte ridicule de façon à ce qu’on ne vous parle plus? » Le plaignant a exprimé son désaccord. Quand je suis intervenu et ai laissé entendre que cela pouvait ressembler à un obstacle pour le CN, le plaignant a répondu [Traduction] « Vous avez peut-être raison. Le syndicat m’a laissé tomber peu de temps après […] Je puis comprendre que le CN considérerait peut-être cela comme un signe que ce type ne veut pas régler le problème, retourner au travail. » Moi aussi je puis comprendre comment M. Gallagher et le CN sont arrivés à cette conclusion – que, pour guérir et retourner au travail, il fallait que le CN souscrive à la [Traduction] « liste de souhaits » qui précède.

  • [165] Ce qu’il y a de remarquable au sujet des renseignements qui précèdent, c’est que, tout juste quelques semaines plus tôt, M. Croteau et le syndicat refusaient ne serait-ce que de tenir une réunion pour discuter d’un retour au travail. Pourtant, M. Croteau a déclaré à la réunion du 1er mars 2005 que, si le CN souscrivait à la [Traduction] « liste de souhaits », il retournerait travailler comme chef de train immédiatement et sans restrictions. Me McFadden l’a contre‑interrogé sur ce point et a posé la question suivante : [Traduction] « La note précise que, si les conditions sont remplies, vous seriez de retour au travail en mars 2005 et que vous exerceriez vos tâches complètes, sans restriction, à titre de chef de train; pourtant, vous avez dit aujourd’hui que vous ne le pouviez pas, vous étiez en mauvais état à ce moment-là? » M. Croteau a répondu : [Traduction] « Je vois ce que vous voulez dire. » Cela m’amène à douter de sa crédibilité et de sa bonne foi quant à un retour au travail au cours de cette période. Cela ajoute également foi à l’argument du CN selon lequel M. Croteau avait toujours un [Traduction] « plan de rechange » – poursuivre sa plainte de harcèlement interne, [Traduction] « attendre le rapport du CPVP », [Traduction] « s’adresser au BAMCFC [grief] », et attendre que ses prestations d’invalidité s’épuisent –, mais pas retourner au travail. Je signale aussi qu’à la page 2 de son éventuel « contrôle judiciaire » du refus de la demande d’arbitrage auprès du BAMCFC (envoyé à la Cour fédérale, au Conseil canadien de la magistrature, au CPVP, etc., mais jamais déposée en tant que demande de contrôle judiciaire), M. Croteau a écrit ce qui suit : [Traduction] « Depuis les trois dernières années, je collabore avec mon syndicat quant aux décisions prises au sujet de son plan d’action, qui est de faire en sorte que je demeure relevé de mes fonctions à cause de ma maladie pendant que je reçoit des prestations d’invalidité de longue durée et que j’attends l’issue de l’enquête du Commissariat à la vie privée. »

  • [166] Le plaignant a contesté l’enquête pour harcèlement de M. Gallagher, tant en ce qui concerne la conclusion que le processus suivi. D’après l’examen que j’ai fait de la preuve, je conclus que l’enquête de M. Gallagher (et celle de Mme Fusco, qui y a travaillé avant de partir en congé) était équitable et raisonnable, tant pour ce qui est de son déroulement que de sa conclusion. Les étapes du processus d’enquête ont été les suivantes : le Service des ressources humaines du CN a reçu la plainte écrite, plus longue et plus détaillée que la plupart des autres, et l’a examinée; il a communiqué avec les auteurs présumés pour obtenir leur réponse écrite; Mme Fusco a établi un tableau comparant qui avait dit quoi sur des sujets différents; une réunion a eu lieu le 1er mars 2005, en compagnie de son épouse et de représentants du syndicat; M. Gallagher a clairement dit qu’il accepterait à la suite de la réunion d’autres observations du syndicat, qui n’ont jamais été envoyées; M. Gallagher a également invité le syndicat à communiquer d’autres éléments de preuve, s’il y en avait, à l’appui de la plainte, ce qu’il a fait (bandes de conversations enregistrées entre M. Croteau et TC); M. Gallagher a invité un collègue d’un rang supérieur, qui n’était pas au courant de la plainte, à écouter les bandes et à faire part de son opinion.

  • [167] M. Croteau a eu une possibilité raisonnable de présenter son dossier de harcèlement à M. Gallagher. Ce dernier est arrivé à une conclusion différente de celle de M. Croteau. M. Gallagher a conclu que les allégations de harcèlement portées contre KS et TC n’avaient aucun fondement. Dans le pire des cas, KS avait peut-être été [Traduction] « autoritaire » et [Traduction] « agressive » à l’endroit de M. Croteau, mais cela ne constituait pas un geste de harcèlement. Je suis conscient que M. Croteau n’a pas souscrit à la conclusion de M. Gallagher, mais, à un certain point, il faut que le processus prenne fin.

  • [168] Au cours de cette période, comme il a été signalé, M. Croteau était en congé et recevait des prestations d’invalidité et n’était donc pas capable de travailler. Cependant, le CN a bel et bien pris certaines mesures pour favoriser son éventuel retour au travail au cours de cette période. Premièrement, le CN s’était occupé des [Traduction] « problèmes liés au travail » que le Dr Chad avait relevés; c’est-à-dire, KS et TC. KS avait été promue à un poste à Oakville à l’été 2004, et M. Mau prendrait la place de TC si jamais il devait y avoir une interaction quelconque entre le plaignant et ce dernier. Deuxièmement, le CN s’efforçait de trouver du travail au plaignant. Le CN a proposé un poste adapté à ses besoins, celui de surveillant Incendie/Sécurité à Sarnia, le 15 mars 2005. M. Croteau a voulu montrer cette offre au Dr Gannon pour voir si elle correspondait à ses restrictions. Deux semaines plus tard, le 28 mars 2005, la Great-West, compagnie d’assurance-vie, a accepté sa demande d’ILD. M. Croteau a pris neuf mois avant de répondre à ce projet de PTT. En décembre 2005, le CN a déclaré que le poste lui-même n’existait plus.

  • [169] Le 30 novembre 2005, M. AB a déclaré qu’il était d’accord pour dire que [Traduction] « un retour graduel au travail, au sein d’un poste non sensible sur le plan de la sécurité, tout en vérifiant sa symptomatologie, est justifié […] ». Le 14 décembre 2005, signalant la [Traduction] « grave crise de panique » que M. Croteau avait récemment subie en tentant de retourner au travail, il a recommandé que son client reste en arrêt de travail pendant quelques mois.

  • [170] Pendant près de trois ans (2004-2007), M. Croteau a été en congé et a reçu des prestations d’invalidité. La première réunion importante tenue après l’épuisement de ses prestations a eu lieu le 4 avril 2007, à la gare de triage Mac, à Concord, au nord de Toronto. Étaient présents M. Croteau, M. King, le représentant du syndicat, M. Gallagher, ainsi que les infirmières de la SST Jackie Andersen et Marge McCauley (par téléphone). M. Croteau, comme il l’avait souvent fait, a enregistré en secret la réunion. La bande a été écoutée lors des audiences. La réunion avait pour but de discuter du retour au travail du plaignant. Dès le départ, il a été très évident que M. Croteau voulait ressasser ses allégations de harcèlement antérieures, que M. Gallagher avait rejetées au moment où son enquête avait pris fin, en avril 2005. En avril 2007, la première de ces allégations (la conversation tenue le 19 novembre 2003 dans le bureau de KS) datait de trois ans et demi. À la décharge de M. King, celui-ci a dit au plaignant de – au propre (et au figuré) – [Traduction] « fermer ses dossiers [de plainte] » sur cette question et de se concentrer sur le retour au travail. M. Croteau a répliqué : [Traduction] « Je veux juste que l’on traite de cette série-là de mensonges. » À ce moment-là, M. Croteau était en congé depuis trois ans, et recevait une fraction du revenu qu’il recevait avant ses prestations d’invalidité. On peut comprendre son obsession, sa persistance, son entêtement – quel que soit le mot que l’on utilise pour décrire cet état – à ne pas laisser tomber cette question. Dans son témoignage, M. AB a dit de M. Croteau qu’il était une personne qui [Traduction] « ne va pas renoncer, pas dans un sens négatif […] Il est comme un chien à qui l’on donne un os, il ne le lâchera pas […] Il a des principes extrêmement bien arrêtés. Quand il a une idée en tête, il ne la lâche pas » À ce stade, le CN avait interprété de manière raisonnable le premier et le deuxième EMI du Dr Chad, à savoir que les [Traduction] « facteurs psychiatriques » en cause étaient les [Traduction] « problèmes liés au travail » que représentaient KS et TC. Cependant, en rétrospective et avec le recul nécessaire, il est évident que les [Traduction] « questions liées au travail » dépassaient le cadre de la prévention de tout rapport de KS et de TC avec M. Croteau et englobaient la surveillance, de même que le processus d’enquête pour harcèlement et son issue et ses conclusions.

  • [171] À la réunion du 4 avril 2007, les participants ont discuté de plusieurs sujets :

C.  La période d’accommodement d’avril 2007 à mai 2008

  • (1) M. Gallagher a confirmé à M. Croteau que la sanction disciplinaire différée de 2006 avait été effacée de son dossier, et il a envoyé une lettre à cet effet aussitôt après la réunion. M. Croteau a reconnu que [Traduction] « c’était un bon départ »;

  • (2) M. Croteau voulait qu’on lui paie le [Traduction] « tarif relatif à la loco‑commande » applicable à une journée de travail complète à son retour au travail, même s’il effectuait moins que le quart normal de huit heures. M. Gallagher a dit qu’il examinerait cela. Il l’a fait et a transmis un courriel à Denis Fournier, au Service de la paye du CN. M. Croteau a déclaré qu’on lui avait « promis » qu’il serait rémunéré à ce tarif. L’examen que j’ai fait de la preuve dénote le contraire. Sur la bande, on peut entendre M. King dire qu’ils aimeraient que le CN examine cette possibilité et M. Gallagher a accepté de l’étudier;

  • (3) les participants ont discuté de la question du retour au travail et de l’emplacement. D’après la bande, M. Croteau a dit : [Traduction] « Je retournerai au travail à Sarnia ». Après avoir écouté la bande et examiné les autres éléments de preuve (de vive voix et documentaire), je conclus que le CN pensait raisonnablement que M. Croteau n’était intéressé qu’à un retour au travail au terminal de Sarnia, et à nulle part d’autre.

  • [172] Il ne fait aucun doute qu’il s’agissait là d’une réunion émotive. M. Croteau pleurait et était secoué de sanglots. Selon le témoignage du plaignant, peu après cette réunion, le syndicat (qui, selon ce qu’il a dit, pensait que le rapport d’enquête de M. Gallagher était [Traduction] « exact ») l’a [Traduction] « laissé tomber » et la relation entre le syndicat et M. Croteau est devenue négative et antagoniste, ce qui a amené le plaignant à déposer une plainte relative au devoir de juste représentation prévu par l’article 37 du Code canadien du travail auprès du Conseil canadien des relations industrielles (le CCRI).

  • [173] Le plan du CN, en collaboration avec le plaignant et le syndicat, était de faciliter le retour au travail du plaignant, l’objectif éventuel étant de le réintégrer dans le poste de chef de train qu’il occupait avant son accident/sa déficience. Cette mesure était conforme au diagnostic et aux restrictions que le Dr Chad et le Dr Gannon avaient établis. Aucun délai n’était gravé dans la pierre, mais, de toute évidence, il était nécessaire de faire des progrès si l’on voulait atteindre cet objectif éventuel.

  • [174] Le CN a convenu de payer le plaignant pour qu’il consulte M. AB dans le cadre d’un programme de [Traduction] « désensibilisation ». Au début, M. Croteau a eu de la difficulté ne serait-ce que pour entrer dans le terminal du CN à Sarnia. Le CN a fini par payer les séances de counseling de M. AB pendant une période d’environ un an, ce qui était un délai plus long que celui qui avait été anticipé et approuvé au départ. Dans le cadre de ce programme, M. Croteau devait tout d’abord travailler avec M. AB sur des aspects de base : se rendre [Traduction] « sur les lieux » et subir ensuite un [Traduction] « débreffage ». M. AB serait rémunéré pour se rendre sur place avec le plaignant. L’espoir était que le plaignant s’améliorerait au point d’être capable d’entreprendre un PTT. À mesure que M. Croteau pourrait en faire davantage, on lui assignerait des tâches additionnelles. L’évaluation serait continue, et le [Traduction] « mur » de confidentialité demeurerait érigé entre le service de SST, le service de retour au travail et le secteur opérationnel.

  • [175] En août 2007, le CN a proposé que le plaignant soit jumelé au surveillant Joe Russell lors du quart de nuit. Un PTT, contenant les quatre conditions/restrictions antérieurement mentionnées, a été créé. Le 15 août 2007, il y a eu une conférence téléphonique entre Mme Paquet, le plaignant et M. AB en vue de discuter du PTT.

  • [176] Le poste de surveillant est un poste sensible sur le plan de la sécurité et il était limité par les restrictions imposées à M. Croteau. Cependant, ce dernier ne ferait qu’« observer » le surveillant. Ce plan de retour au travail assorti d’accommodements n’a duré qu’un seul quart de travail. Le médecin en chef du CN, le Dr Léger, qui, selon la loi et le Manuel du règlement médical des chemins de fer (Manuel du règlement médical), a le dernier mot au sujet des PTT, a essentiellement opposé son veto. Il estimait qu’étant donné que l’« observation » suppose que l’employé est capable d’exercer les fonctions du poste, il avait des préoccupations au sujet des éléments sensibles sur le plan de la sécurité de l’emploi par rapport à M. Croteau.

  • [177] Le 22 août 2007, Mme Paquet a eu une conversation téléphonique avec M. AB, qui a accepté que l’on affecte le plaignant à un poste administratif et qui a dit à Mme Paquet qu’il [Traduction] « s’attend[ait] à ce que l’employé réintègre son emploi de chef de train ». Le 17 septembre 2007, le service de la SST a reçu une mise à jour médicale précisant que des tâches administratives conviendraient davantage au plaignant, compte tenu de son état et de ses restrictions. Une réunion a eu lieu entre M. Gallagher, Mme Paquet, Will Nolan et le plaignant. Un PTT de huit semaines a été mis au point; ce dernier consisterait à exécuter des tâches administratives sous la surveillance du superviseur Brian Tino et, plus tard, de Debbie Robinson, qui ont [Traduction] « copié-collé » et [Traduction] « mis en place » des tâches que M. Croteau exécuterait. Il s’agissait manifestement d’un projet artificiel. (Je signale qu’il n’y avait plus de tels postes à Sarnia.) Cependant, comme Mme Paquet l’a fait logiquement remarquer dans son témoignage, il y a encore, pour le CN, une certaine [Traduction] « valeur » à ce qu’un employé faisant l’objet de mesures d’accommodement retourne sur les lieux, qu’il y avait un aspect thérapeutique au fait que l’employé revienne au lieu de travail. Ce travail adapté a duré environ un mois.

  • [178] Conformément aux rapports médicaux et aux mises à jour, il a été décidé qu’il serait utile d’atteindre l’objet éventuel et ultime d’un retour au travail à titre de chef de train, de faire en sorte que le plaignant soit [Traduction] « sur le terrain » plutôt que dans un bureau à effectuer des [Traduction] « tâches administratives » artificielles. Un PTT a été créé, qui permettrait à M. Croteau d’observer la surveillante LG le matin et le jour; cette dernière occupait elle-même ce poste à titre de mesure d’accommodement. Là encore, l’objectif était d’« observer » d’abord, et ensuite d’exécuter soi-même les tâches de surveillant et, en fin de compte, de retourner au travail à titre de chef de train.

  • [179] M. Croteau a entrepris ce travail d’observation le 17 octobre 2007. Il a duré moins de deux mois à cause d’un sérieux [Traduction] « conflit de personnalités » entre le plaignant et LG. Le plaignant a déclaré que LG l’avait qualifié de [Traduction] « dérangé mentalement » et l’avait accusé de faire des courses personnelles durant les heures de travail. LG l’avait accusé de toujours [Traduction] « dire du mal » de l’entreprise et d’autre chose. Il était clair que cela ne fonctionnait pas et qu’il fallait les séparer.

  • [180] Le 1er novembre 2007, le service de la SST a reçu une mise à jour médicale précisant que le plaignant devait réduire ses heures de travail à six heures par jour pendant une période de trois à quatre semaines. Comme dans le cas des autres recommandations de nature médicale, le CN a obtempéré.

  • [181] Le PTT suivant a été le poste de commis au stock de radios, lequel consistait à regrouper et à renuméroter les radios dans le sous-sol. Cela a eu lieu du 13 décembre 2007 au 12 avril 2008 – soit quatre mois. Il ressort clairement du témoignage de M. Croteau et de la preuve documentaire que ce dernier trouvait ce travail ennuyeux et qu’il voulait assumer plus de responsabilités. De plus, il a témoigné qu’il lui arrivait parfois de ne pas avoir plus d’une demi‑heure à une heure de travail productif par jour. Il a ajouté que, souvent, il lisait des revues techniques. Il s’agissait manifestement d’un projet artificiel, de peu de valeur pour le CN, sinon pour – comme Mme Paquet l’a déclaré plus tôt – le réintégrer dans le cycle du travail sur les lieux et avec d’autres employés du CN. Comme elle l’a fait remarquer avec raison, souvent le simple fait de ramener physiquement l’employé sur les lieux mêmes du travail constitue un obstacle. D’autres employeurs n’auraient peut-être pas considéré cela comme un exercice utile. À la décharge du CN, ce l’était.

  • [182] En décembre 2007, le CN était en train de se dire que les progrès de M. Croteau avaient atteint un plateau et qu’il n’était pas plus près du stade où il reviendrait travailler comme chef de train qu’il l’était en avril 2007. Brian Tino, qui était en [Traduction] « bons termes » avec M. Croteau et qui l’avait supervisé durant ses PTT axés sur des tâches administratives et le stock de radios, a envoyé le 14 décembre 2007 un courriel à Mme Andersen, au service de la SST, avec copie à plusieurs personnes du CN qui s’occupaient du programme de retour au travail de M. Croteau. Il demandait à Mme Anderson de faire en sorte que l’on [Traduction] « examine tous les rapports médicaux concernant M. Croteau afin de déterminer son statut à venir ». Il s’inquiétait du manque apparent de progrès et du [Traduction] « peu d’amélioration » : [Traduction] « […] [N]ous avons progressé jusqu’à six heures et nous semblons être bloqués à ce niveau ». Il disait qu’il fallait que la situation soit évaluée afin de voir s’il [Traduction] « atteindra jamais » le stade des fonctions qu’il exerçait à titre de chef de train [Traduction] « à Sarnia » avant son accident/sa déficience. Il s’agissait clairement là d’un sentiment de frustration compréhensible quant au manque de progrès et à l’indécision quant aux prochaines mesures à prendre. Toutefois, il suivait la bonne voie : réévaluer le statut de M. Croteau, en tenant compte des troubles médicaux et des restrictions. Le CN a ensuite décidé d’obtenir le troisième EMI. Comme l’a déclaré Mme Smolynec, il n’est pas fréquent au CN que l’on commande des EMI coûteuses pour des dossiers de retour au travail; en faire trois, c’est très inusité. Mais, à la décharge du CN, le projet est allé de l’avant et le Dr Chad a effectué son troisième EMI. Je signale que le plaignant s’est opposé à ce troisième EMI, insistant pour dire qu’il [Traduction] « s’améliorait tout le temps ».

  • [183] Le CN a également reçu un formulaire du CN dûment rempli – le Rapport médical sur la santé mentale – du Dr Gannon, daté du 17 janvier 2008. Fait surprenant, ce dernier a écrit : [Traduction] « L’état du patient s’améliore – le pronostic est bon ».

  • [184] Dans une lettre datée par erreur du 29 novembre 2008, mais qui, d’après M. AB, a été rédigée par lui après le 29 novembre 2007 (et non 2008), mais avant le 20 avril 2008, ce dernier a déclaré ce qui suit :

D.  Les cinq tentatives de retour au travail

i.  La tentative no 1 : l’observation du surveillant Joe Russell

ii.  La tentative no 2 : le travail administratif/de bureau avec M. Tino et Mme Robinson

iii.  La tentative no 3 : l’observation de la surveillante LG

iv.  La tentative no 4 : commis au stock de radios

[Traduction] Comme vous le savez, M. Croteau continue d’avoir des crises de panique au travail.

[…]

Lorsque j’ai parlé de ces crises avec M. Croteau, nous avons déterminé qu’elles présentaient certaines caractéristiques communes, qu’elles semblent être provoquées par certains événements ou certaines activités liées à des « opinions politiques exprimées au travail », comme entendre d’autres travailleurs se plaindre des conditions de travail, avoir affaire aux superviseurs, lire des avis perturbants au tableau d’affichage, etc.

M. AB a recommandé que M. Croteau soit placé à l’extérieur d’un [Traduction] « environnement de bureau » et dans la gare, avec les trains, car cela [Traduction] « pourrait être bénéfique, en ce sens qu’en le faisant travailler à l’extérieur on l’éloignerait des choses qui déclenchent ses crises de panique ».

Le troisième rapport d’EMI daté du 3 février 2008

  • [185] En janvier 2008, après cinq mois de tentatives de retour au travail, le CN ne voyait aucune véritable amélioration quant aux progrès que réalisait M. Croteau par rapport à l’objectif ultime de le réintégrer dans l’emploi de chef de train qu’il occupait avant de commencer à souffrir d’une déficience. On avait l’impression que M. Croteau avait atteint un plateau sur le plan de son amélioration; d’où la décision d’obtenir un troisième EMI.

  • [186] À la page 5, le Dr Chad a écrit ce qui suit :

[Traduction] M. Croteau a déclaré que son objectif était de réintégrer son emploi de chef de train […] M. Croteau a déclaré qu’essentiellement, s’il obtenait des excuses et une indemnisation quelconque pour l’argent qu’il avait perdu, il se sentirait mieux […] il a expliqué qu’il ne démissionnerait pas, parce qu’il « [n’avait] rien fait de mal ». […] M. Croteau a déclaré que tous ses patrons avaient changé […] il a toutefois expliqué qu’il voulait davantage de responsabilités [13] .

  • [187] À la page 7, le Dr Chad a écrit ce qui suit : [Traduction] « M. Croteau a déclaré qu’il voulait réintégrer ses fonctions de chef de train. « Être en fait le président et chef de la direction ». Il a expliqué qu’il aimerait gravir les échelons au CN […] M. Croteau a déclaré qu’il continue d’avoir six crises de panique par jour quand il travaille ».

  • [188] Le Dr Chad a fait un changement de diagnostic dans son troisième EMI. Il a jugé que, selon le DSM‑IV, M. Croteau correspondait surtout à la catégorie du trouble de l’adaptation avec anxiété et diagnostic différentiel de trouble panique et de problème professionnel. Dans l’axe IV, M. Croteau a été considéré comme présentant [Traduction] « des facteurs de stress récents […] qui comprennent ses problèmes liés au travail ainsi que quelques contraintes d’ordre pécuniaire ».

  • [189] À la page 12, le Dr Chad a ajouté ce qui suit :

[Traduction] L’historique dénote que M. Croteau est devenu de plus en plus anxieux en 2003‑2004 par rapport au harcèlement qu’il percevait au travail […] Comme il continue de ressentir des crises de panique, le diagnostic différentiel inclurait un trouble panique. Il semble toutefois y avoir une amélioration notable dans le cas de ses crises de panique depuis qu’il est retourné au travail en septembre 2007 […] J’ai le sentiment que, si on lui confiait graduellement plus de responsabilités, cela réduirait son degré d’anxiété et activerait son délai de rétablissement par rapport à ses crises de panique […] son anxiété semble principalement rattachée aux problèmes liés au travail, et il sera nécessaire de les régler dans le contexte du travail. [Non souligné dans l’original.]

  • [190] À la page 13, le Dr Chad a conclu ce qui suit :

[Traduction] J’ai l’impression que M. Croteau devrait être en mesure d’augmenter graduellement son niveau de responsabilité au travail. Il devrait être apte à occuper un poste sensible sur le plan de la sécurité, assorti de responsabilités croissantes. Il serait peut-être utile pour lui, au début du moins, d’occuper un tel poste dans un rôle d’observation et ensuite, au départ du moins, d’être supervisé de plus près […] J’ai l’impression que le fait d’avoir restreint ses responsabilités a contribué involontairement à son niveau d’anxiété au travail ainsi qu’à ses crises de panique. J’ai l’impression qu’un relèvement graduel de ses responsabilités s’accompagnerait d’une diminution de son niveau d’anxiété.

  • [191] Je déduis des trois EMI que M. Croteau, selon le Dr Chad, a souffert d’un trouble de l’adaptation avec anxiété et problème professionnel qui, au moment où le troisième EMI a été effectué, incluait le diagnostic différentiel d’un trouble panique. Ce qui est aussi très notable est l’emploi fréquent de l’expression « problèmes liés au travail » dans les trois EMI. En premier lieu, cette expression semblait vouloir dire, aux yeux du Dr Chad, qu’il s’agissait seulement des rapports avec KS et TC, en se basant sur ce que M. Croteau lui avait dit. Cependant, une fois que ces deux gestionnaires n’ont plus été dans le décor, les « problèmes liés au travail » se sont poursuivis et se sont même aggravés au moment où il a été révélé que M. Croteau avait fait l’objet d’une surveillance et où a pris fin l’enquête de M. Gallagher, dont le plaignant n’a pas apprécié le résultat. Je reviendrai plus loin dans les présents motifs sur cette question clé que sont les « problèmes liés au travail ».

  • [192] Comme je l’ai déjà mentionné, le Dr Chad, dans son troisième EMI daté du 3 février 2008, a recommandé notamment que l’on confie davantage de responsabilités au plaignant comme moyen d’améliorer son évolution vers l’objectif éventuel d’un retour au travail à titre de chef de train. Il a suggéré que l’affectation soit à l’extérieur du bureau, à un poste non administratif, à des fonctions d’observation/jumelage, sous réserve bien sûr de l’examen et de l’accord du médecin chef du CN. Le Dr Chad a maintenu les quatre restrictions. Cela était également conforme à la lettre que M. AB avait écrite après le 29 novembre 2007. En réponse à son EMI, comme il l’avait fait dans le passé, le CN a suivi la recommandation et a créé un PTT qui consisterait à suivre et à observer le surveillant de nuit. Il faut se souvenir que le Manuel du règlement médical exige que les employés occupant un poste sensible sur le plan de la sécurité (comme les chefs de train) soient [Traduction] « exempts de symptômes » pendant six mois avant de réintégrer leurs fonctions.

  • [193] Le Dr Léger a approuvé le poste d’observation du surveillant. Selon le plan établi, le surveillant de nuit Charlie Knight formerait M. Croteau pendant que ce dernier le suivait et l’observait dans ses fonctions. Lorsque M. Croteau serait prêt à exercer les fonctions de surveillant, M. Knight passerait au quart de l’après-midi, car Joe Russell, qui s’occupait de ce quart, devait réintégrer son poste ordinaire. M. Croteau a clairement mentionné dans sa plainte auprès du CPVP, ainsi que dans son témoignage, qu’il pensait que le CN l’affectait au quart de nuit à cause de son arbitrage imminent devant le BAMCFC, vraisemblablement pour qu’il ne puisse pas s’y préparer. Comme l’a fait valoir Me McFadden, M. Croteau disait au Dr Chad, dans le troisième EMI, qu’il voulait plus de responsabilités et qu’il voulait en fin de compte revenir au travail en tant que chef de train. L’avocat de l’intimée a demandé, pour la forme : [Traduction] « qu’est-ce que cela voulait dire? S’occuper davantage du stock de radios? » Ici, le CN accédait à ses souhaits et suivait la recommandation du Dr Chad.

  • [194] Le 7 avril 2008, Mme Paquet a envoyé à M. Croteau une lettre concernant le travail d’observation du surveillant de minuit. Elle lui disait que, s’il avait [Traduction] « des questions ou des préoccupations à soumettre », il pouvait communique avec elle. Il lui a fait part le 8 avril de ses préoccupations : 1) il ne voulait pas suivre et observer une personne différente chaque nuit, et 2) ces personnes seraient au courant de ses renseignements médicaux confidentiels. Il a déclaré qu’il n’était pas en mesure d’occuper un poste de nuit dans un délai aussi bref, de sorte que la date du début de son travail a été repoussée. Mme Paquet, le 25 avril 2008, a réécrit pour lui dire qu’il ne travaillerait pas avec une personne différente chaque nuit, mais qu’il s’agirait en fait d’une seule et même personne, que M. Tino serait toujours sa personne ressource, et que seules ses restrictions seraient communiquées et uniquement s’il le fallait. Elle a également traité de ce qu’elle considérait comme une [Traduction] « menace » dans sa lettre. De plus, elle a précisé que son arbitrage devant le BAMCFC ne devrait avoir aucune incidence sur son programme de retour au travail.

  • [195] À l’insu de Mme Paquet, le 16 avril 2008, M. Croteau avait produit une lettre dans laquelle le Dr Gannon disait d’éviter de l’affecter au quart de nuit. Cette lettre a naturellement été transmise au service de la SST. Ce dernier a ensuite informé Mme Paquet de cette nouvelle restriction (qui n’avait jamais été évoquée auparavant dans l’EMI du Dr Chad, ni par le Dr Gannon ou M. AB). Il est à noter qu’au cours du contre‑interrogatoire de M. AB, celui-ci a déclaré que, selon son interprétation de la lettre du Dr Gannon, ce dernier ne disait pas seulement [Traduction] « pas de quart de nuit », mais il voulait dire aussi affecter M. Croteau au quart du matin/de jour. Je ne souscris pas à la manière dont M. AB interprète la lettre du Dr Gannon.

  • [196] Le plaignant allègue qu’il ne pouvait pas effectuer le quart de nuit parce que, dans les postes adaptés qu’il avait occupés auparavant, il s’était habitué à des quarts moins tardifs, il souffrait d’une profonde insomnie et il ne pouvait pas s’entretenir avec son épouse lors du quart de nuit (de 22 heures à 6 heures). Le CN soutient qu’il a subitement soulevé cette objection et s’est organisé pour que le Dr Gannon signe une lettre à cet effet parce qu’il voulait compter sur le temps disponible durant la journée pour préparer son audience prochaine devant le BAMCFC. M. Croteau a déclaré qu’il s’était déjà occupé de la paperasse et des préparatifs. Son épouse a déclaré qu’ils étaient fort occupés au cours de cette période – [Traduction] « Bien des choses se passaient ». J’ai quelque compassion pour la position de M. Croteau au sujet de ses raisons pour s’opposer au quart de nuit. Quoi qu’il en soit, comme dans le passé, aussi « fortuite » ou « suspecte » qu’ait pu sembler cette restriction soudaine au sujet du quart de travail, le CN a accédé à la demande étayée par des motifs d’ordre médical. M. Croteau n’a finalement effectué le quart de nuit que pendant une semaine.

  • [197] Le CN a ensuite pris des dispositions avec le surveillant M. Knight pour que M. Croteau l’accompagne lors du quart de l’après-midi et, quand M. Croteau serait prêt à occuper le poste de surveillant, M. Knight reviendrait alors au quart de nuit afin que M. Croteau puisse avoir le quart de l’après-midi (14 heures à 22 heures). Une offre d’emploi a été transmise à M. Croteau au sujet du quart de l’après-midi. Le 30 avril 2008, le service de la SST a reçu une autre mise à jour médicale – cette fois-ci de M. AB – précisant que le plaignant ne pouvait pas travailler l’après-midi et suggérant plutôt qu’il travaille avec un chef de triage (un poste essentiel sur le plan de la sécurité, dont le titulaire peut être appelé à effectuer n’importe quel quart de travail). Habituellement, le CN se fiait aux notes des médecins. Il s’agissait de la première fois qu’il se fiait uniquement à la seule recommandation du psychologue M. AB pour ce qui était de l’imposition de restrictions de travail ou d’un changement à ces dernières. Quoi qu’il en soit, le CN a accepté et, à ce stade, M. Croteau n’avait effectué que deux quarts d’observations de surveillant dans l’après-midi.

  • [198] Il était clair aux yeux du CN, à ce moment-là, que la préférence de M. Croteau et la seule autorisation médicale étaient le poste d’observation d’un surveillant le matin ou l’après-midi. Il ressort clairement de la preuve que le CN n’était pas disposé à accepter cette option, car LG était affectée au poste de surveillant à titre de mesure d’accommodement. En raison du conflit personnel qu’il y avait eu plus tôt entre les deux, les remettre ensemble n’était pas une solution viable. Je suis d’accord. De plus, le CN ne pouvait pas remplacer un employé bénéficiant de mesures d’accommodement par un autre. Cela dit, Mme Paquet a laissé entendre que Mme Reaume, la représentante du syndicat, pourrait peut-être parler avec LG pour voir si celle-ci accepterait d’être déplacée à un autre quart. Le syndicat n’a jamais répondu à Mme Paquet.

  • [199] À ce stade, le CN commençait à être à court de solutions pour M. Croteau. M. Gallagher a déclaré dans un courriel daté du 30 avril 2008 qu’il voulait tenir une conférence téléphonique le plus tôt possible en vue de discuter des prochaines étapes. Cela n’a jamais eu lieu. Le CN n’a fourni aucune explication. Au lieu de cela, le 6 mai 2008, Mme Paquet a envoyé une lettre à M. Croteau et lui a téléphoné, l’informant qu’étant donné qu’il n’y avait pas de travail productif disponible pour lui qui respectait les quatre restrictions, il était « relevé de ses fonctions » ou en congé non payé. Le CN continuerait de lui chercher un travail qui correspondrait à ses restrictions. Pour M. Croteau, cela a été un moment dévastateur, comme il l’a déclaré; une situation chargée d’émotions, c’est certain. Mme Paquet a déclaré que, dans l’appel, mais non dans la lettre, elle avait demandé à M. Croteau s’il était disposé à quitter Sarnia, mais qu’il n’avait pas répondu. Elle avait aussi suggéré qu’il s’entretienne avec Mme Reaume, sa représentante syndicale, afin de voir s’il était possible de prendre des dispositions avec LG pour la déplacer du quart de travail du matin/de jour.

  • [200] M. Croteau a été contre-interrogé sur la question de savoir s’il avait répondu à la question de Mme Paquet quant au fait de quitter Sarnia :

v.  La tentative no 5 : le poste d’observation du surveillant

E.  Le 6 mai 2008 : M. Croteau est « relevé de ses fonctions » – congé non payé

[Traduction]

R.  Cela me dit quelque chose.

Q.  Elle déclarera que vous n’avez pas répondu avant l’audience de janvier.

R.  J’ai dit « ce serait sans problème » j’en suis sûr. J’aurais dit : « faites quelque chose ».

Q.  Elle déclarera que vous n’avez rien dit.

R.  Pourquoi est-ce que je n’aurais pas répondu?

Q.  À l’audience de janvier, le membre instructeur Garfield a demandé si vous n’aviez jamais dit au CN que, vous avez dit « je ne crois pas leur avoir dit, mais jamais je n’aurais dit “non” ». Maintenant vous dites que vous l’avez fait?

R.  […] Ça me dit quelque chose, ce n’est pas gravé dans la pierre.

Ces réponses de M. Croteau sont alambiquées, vagues et contradictoires. Je puis comprendre que cet appel téléphonique l’a beaucoup troublé. Je préfère le témoignage de Mme Paquet sur ce point. Selon la prépondérance des probabilités, je conclus que M. Croteau n’a pas répondu à cette question lors de l’appel, ni par la suite, avant l’audience tenue en 2012.

F.  Les faits ayant eu lieu après le 6 mai 2008

  • [201] Le 14 juillet 2008, l’arbitre Picher a rejeté le grief pour harcèlement déposé devant le BAMCFC pour cause de délai (règle du manque de diligence). Soit dit en passant, c’est au cours de cette audience d’arbitrage que M. Croteau a vu KS pour la première fois depuis 2004.

  • [202] Le 13 août 2008, Mme Reaume a demandé à Mme Paquet un nouveau PTT, précisant que toutes les restrictions relatives au quart de travail étaient maintenant levées. Le CN a répondu qu’il aurait besoin que le médecin de M. Croteau fournisse des restrictions médicales mises à jour, ce que le Dr Gannon a fait deux semaines plus tard : pas de restrictions quant aux quarts de travail, mais tout de même une restriction relative au travail critique sur le plan de la sécurité. (Je signale qu’en même temps qu’il tentait d’obtenir un travail adapté, M. Croteau tentait aussi d’obtenir des prestations d’ILD, ce qui voulait dire qu’il était essentiellement incapable de travailler. Je signale également qu’à ce moment-là, sa famille et lui avaient de graves ennuis financiers.)

  • [203] M. AB a écrit une lettre ultérieure au CN, datée du 27 août 2008, pour dire que [Traduction] « les difficultés psychologiques de M. Croteau l’empêchent de réintégrer son emploi antérieur, soit chef de train, au CN, mais il est maintenant capable de retourner au travail dans le cadre de fonctions modifiées ». Dans sa dernière lettre, déposée en preuve, datée du 20 avril 2009, M. AB a écrit au CN [Traduction] « pour clarifier [sa] position au sujet de ses capacités de travail ». Il a réitéré que [Traduction] « la seule restriction quant au lieu de travail [du plaignant] est de ne pas travailler dans le cadre d’un poste sensible sur le plan de la sécurité ». Sans toutefois qualifier cela de [Traduction] « restriction en soi », il a recommandé d’affecter M. Croteau à un quart de travail de jour.

  • [204] Le 22 septembre 2008, M. Croteau a déposé une plainte au titre de l’article 37 du Code canadien du travail à l’encontre de son syndicat pour manquement au devoir de représentation juste. Il a témoigné qu’à ce moment-là, il avait le sentiment que son syndicat complotait et était [Traduction] « de mèche » avec le CN contre ses intérêts. Le CCRI a rejeté sa demande le 12 mai 2009. Fait intéressant, à la page 5, le CCRI a écrit ce qui suit : [Traduction] « le Conseil n’est pas un arbitre de griefs et ne décide pas si le CN s’est conformé à ses obligations en matière de droits de la personne. Mais le Conseil signale toutefois, et M. Croteau ne l’a pas contesté, qu’il y a eu un nombre élevé de tentatives pour lui trouver un travail qui correspondrait à ses limites en constant changement ». Je souscris à ces observations.

La réunion avec le plaignant, Mme Fusco et d’autres le 3 décembre 2008

  • [205] Le 14 octobre 2008, M. Croteau a formulé d’autres allégations, à savoir qu’il avait été victime de harcèlement au CN après le 14 juillet 2008. Mme Fusco a communiqué avec lui et lui a envoyé l’ordre du jour d’une réunion fixée au 3 décembre 2008, à la gare de triage Mac, à Concord, en vue de discuter de ces nouvelles allégations.

  • [206] La réunion a duré environ 18 minutes. Y ont pris part Mme Fusco, M. Schenk, M. Croteau et M. AB (qui, comme je l’ai mentionné plus tôt, a été présenté comme un « ami » et non en fonction de son rôle professionnel). M. Croteau a clairement dit dès le départ qu’il voulait ressasser les allégations de harcèlement qui remontaient à 2003. Mme Fusco a déclaré que M. Gallagher les avait examinées en détail et que le dossier avait été clos en avril 2005 – plus de trois ans et demi plus tôt. M. Croteau a répondu : [Traduction] « si [le CN] ne peut pas admettre qu’il y a eu des gestes de harcèlement avant juillet 2008, dans ce cas nous n’avons plus de sujet de discussion ». Il était visiblement contrarié et a qualifié le CN de [Traduction] « menteur ». Cependant, M. AB et lui ont confirmé qu’il n’y avait pas eu de nouvelles allégations de harcèlement. Mme Fusco a ensuite [Traduction] « changé le ton de la réunion et confirmé avec Pierre qu’il était actuellement en congé de maladie et qu’il était soumis à des restrictions ». La réunion a pris fin peu de temps après.

  • [207] Le 16 décembre 2008, Mme Fusco lui a envoyé une lettre de suivi concernant la réunion du 3 décembre 2008 où elle a répondu ce qui suit :[ Traduction] « […] dans laquelle vous avez demandé que j’examine vos restrictions afin de déterminer s’il y aurait ou non pour vous un travail convenable à Sarnia ». [Non souligné dans l’original.] Il a répondu par lettre, avec quelques préoccupations et éclaircissements, le 5 janvier 2009. Comme nous le verrons plus loin, pendant que le CN poursuivait ses efforts en vue de trouver pour M. Croteau un travail disponible et convenable, il n’y a pas eu d’autres communications de la part du CN sur le sujet avant les audiences du tribunal en 2012. Aucune mise à jour de la part du CN, rien.

  • [208] Depuis qu’il a été mis en congé non payé en mai 2008, M. Croteau travaille à temps partiel à Sarnia, dans un commerce appelé Princess Auto. Il a déclaré qu’il avait été victime d’une crise de panique importante quand l’un des directeurs avait été congédié. À sa décharge, en 2009, il est retourné étudier au Collège Lambton. Il avait également présenté sa candidature pour divers emplois, y compris au sein de la Garde côtière canadienne. Je conclus qu’il a fait des efforts louables et raisonnables pour atténuer sa perte de rémunération.

  • [209] Comme Me McFadden l’a reconnu avec raison, étant donné que M. Croteau demeure au service du CN, ce dernier est encore tenu de répondre aux besoins liés à sa déficience sans aller jusqu’à s’imposer une contrainte excessive ou, en d’autres termes, prendre des mesures d’accommodement raisonnables.

  • [210] Comme nous le verrons plus loin, le CN est d’avis qu’avant que M. Croteau témoigne en janvier 2012, il ignorait, ou on ne pouvait pas raisonnablement considérer qu’il savait – que M. Croteau était disposé à quitter Sarnia. Je suis d’accord. Il ressort clairement de la réunion du 4 avril 2007 (et, d’ailleurs, aussi de celle du 3 décembre 2008) qu’il ne voulait rester qu’à Sarnia. Au vu de la preuve dont je suis saisi, je conclus que Mme Fusco a confirmé ses restrictions à la réunion du 3 décembre 2008 et qu’elle s’entretiendrait avec Mme Paquet pour [Traduction] « voir s’il n’y aurait pas pour lui, à Sarnia, des postes non essentiels à la sécurité qui seraient disponibles ». À aucun moment il ne l’a corrigée et il lui a suggéré que le CN cherche ailleurs qu’à Sarnia. Elle lui a envoyé une lettre de confirmation et une lettre de [Traduction] « suivi », toutes deux datées du 16 décembre 2008 : [Traduction] « nous allons continuer d’examiner les postes disponibles à Sarnia par rapport aux nouveaux renseignements médicaux qui nous sont fournis ». Dans sa réponse du 5 janvier 2009, il l’a corrigée sur quelques points, mais non sur la question importante selon laquelle le rayon de recherche d’un emploi se limitait à Sarnia.

  • [211] Dans le courriel que Mme Reaume a transmis au CN en date du 13 août 2008, pour analyser un éventuel retour au travail de M. Croteau, elle aussi s’est concentrée sur les postes disponibles à Sarnia. Il est évident dans la preuve que le syndicat était lui aussi d’avis que tout ce qui intéressait M. Croteau était un travail adapté, à Sarnia.

  • [212] Quand est-il devenu évident que M. Croteau était disposé à travailler ailleurs qu’à Sarnia? La réponse à cette question est : à l’audience tenue en janvier 2012. Lors de son témoignage, il a affirmé qu’il aurait travaillé à l’extérieur de Sarnia et qu’il considérait que le CN aurait dû s’en rendre compte. À un moment donné, il a insisté sur le fait qu’il l’avait dit au CN. Il s’est ensuite rétracté et a déclaré que le CN aurait dû déduire qu’il était disposé à quitter Sarnia à partir de ses lettres, comme le commentaire fait dans l’une d’elles selon lequel il voulait revenir au CN.

  • [213] J’ai pris note de ce changement à l’audience et j’ai prescrit que M. Croteau fasse part au CN des paramètres de recherche appropriés. C’est ainsi que Mme Cialone a écrit à M. Croteau une lettre, datée du 22 mai 2012, disant qu’elle croyait comprendre que M. Croteau était maintenant intéressé à un poste adapté, situé même à l’extérieur de Sarnia. Elle a laissé entendre qu’un [Traduction] « centre de grande taille situé à proximité, comme Toronto [la gare de triage Mac est le plus gros terminal du CN], était celui qui offrirait les meilleures possibilités […] s’il n’y a aucun poste de ce genre disponible, le CN pourrait étendre sa recherche à d’autres régions. Veuillez préciser si vous êtes disposé ou non à déménager dans la région de Toronto […] ». M. Croteau a répondu par l’entremise de son avocat, dans une lettre datée du 5 juin 2012. Me Bolter a déclaré que son client était d’avis que jamais il n’avait rejeté l’idée de prendre en considération un travail à un autre endroit. Il a déclaré que l’endroit que M. Croteau préférait était Sarnia [Traduction] « ou le plus près possible de Sarnia », mais qu’il était disposé à déménager à Toronto pour un poste [Traduction] « raisonnablement stable ». Au paragraphe suivant, il a ensuite mentionné un poste [Traduction] « à Toronto ou ailleurs ». À ce stade, il était évident que M. Croteau était disposé à déménager dans la région de Toronto. Jusqu’où ce « ou ailleurs » s’étendait dans son esprit, je n’en ai pas été certain avant le dernier jour du volet « témoignages » des audiences – le 12 juin 2013. Dans son témoignage en réplique, M. Croteau s’est exprimé de manière claire et non ambiguë, pour la première fois, sur la question : il était disposé à déménager n’importe où, [Traduction] « d’un océan à l’autre » au Canada.

  • [214] Ce qu’il y a d’intéressant c’est que, indépendamment de l’ambiguïté concernant l’extension du rayon de recherche au-delà de Sarnia et des problèmes de communication entre le plaignant et le CN sur ce point, ce dernier était en fait à la recherche d’un travail disponible et convenable pour M. Croteau ailleurs qu’à Sarnia, pendant qu’il était en congé non payé.

  • [215] Laura Waller, coordonnatrice de retour au travail au CN, qui avait pris en charge depuis peu les dossiers de sa collègue Tania Cialone (partie en congé de maternité), a témoigné à l’audience. Ont également été introduits en preuve des courriels de Mme Waller et de Mme Cialone sur les efforts de retour au travail qui avaient été faits pendant que M. Croteau se trouvait en congé non payé. Mme Waller a témoigné au sujet des conférences téléphoniques nationales mensuelles que faisait le CN au sujet des [Traduction] « cas complexes » et visant à trouver des postes adaptés pour des employés accidentés ou atteints d’une déficience. Sont représentés lors de ces appels le Service de SST, le Service des ressources humaines, le Service des relations de travail ainsi que le groupe de retour au travail de Mme Waller. Ces personnes passent en revue les dossiers des employés concernés afin de tenter de leur trouver un emploi adapté disponible. Le service de SST ne communique pas aux autres participants le diagnostic ou d’autres renseignements médicaux confidentiels. Mme Waller a déclaré que les employés en question demeurent habituellement inscrits sur la liste pendant quelques années, de façon à ce que le groupe apprenne à bien connaître leur situation et leurs restrictions. Aucun procès‑verbal de réunion, aucune feuille de calcul ou aucune confirmation écrite de la teneur de ces conférences téléphoniques n’ont été produits en preuve. L’avocat du CN a déclaré que ces éléments de preuve documentaire contenaient des renseignements privilégiés, car ce service avait été fusionné aux services juridiques du CN. Me Bolter n’a pas contesté que ces conférences téléphoniques mensuelles avaient lieu; il a plutôt souligné que l’on ignore si le nom de M. Croteau a été mentionné lors de chaque conférence téléphonique et que les réunions n’ont pas [Traduction] « porté sur ses besoins et ses problèmes uniques ». Bien que je trouve curieux qu’aucun renseignement écrit sur ces [Traduction] « conférences téléphoniques complexes » n’ait été produite aux audiences, je souscris au témoignage de Mme Waller. Cette dernière est digne de foi.

  • [216] Mme Waller a déclaré qu’elle est à la recherche d’un emploi de bureau pour un employé soumis à des restrictions semblables à celles de M. Croteau, mais sans succès, depuis 2008, dans la région du Grand Toronto. Certaines de ces recherches, concernant des tâches de bureau ou sédentaires, ont également eu lieu en 2009 et en 2010. Elle a fait remarquer ce qui suit :

G.  Les efforts d’accommodement faits entre mai 2008 et juin 2013, y compris le rayon de la recherche d’emploi

[Traduction] [À la gare de triage, pour ce qui est d’un travail adapté] c’est très difficile maintenant, parce qu’il n’y a pas beaucoup de postes ouverts qui ne sont pas sensibles ou critiques sur le plan de la sécurité […] il n’y a pas eu d’autres emplois annoncés, de sorte qu’il n’y a malheureusement pas beaucoup de mouvement dans la liste des mesures d’accommodement […] cela fait plus d’un an ou davantage [depuis le dernier emploi de bureau adapté à la gare de triage Mac] […] Le seul bulletin qui a été publié est celui des TCA [Syndicat des travailleurs et travailleuses canadien(ne)s de l’automobile] [pour les postes de répartiteur d’équipe].

  • [217] Me McFadden lui a demandé combien il y avait eu de postes de bureau (non critiques ou essentiels sur le plan de la sécurité) disponibles depuis le 6 mai 2008. Elle a répondu : [Traduction] « à Sarnia, aucun. À la gare de triage Mac, il y a eu des emplois de bureau dans le secteur de la répartition d’équipe [emplois non sensibles ou critiques sur le plan de la sécurité] qui ont été comblés par les TCA [membres]. Aucun n’a été comblé par une personne bénéficiant de mesures d’accommodement à la gare de triage Mac; en Ontario, pas un seul ». Elle a dit qu’au CN, il n’y a pas de placements entre unités de négociation dans le cas des emplois de bureau. Et, il y a fort peu d’emplois de bureau pour commencer. Elle a ajouté que, compte tenu des restrictions de M. Croteau (p. ex., pas de fonctions critiques ou sensibles sur le plan de la sécurité), [Traduction] « cela exclut un nombre assez élevé d’emplois, comme le secteur du transport, le secteur technique et certains éléments du secteur mécanique. Il ne reste donc que les emplois de type bureau ».

  • [218] Mme Waller a également témoigné en détail au sujet des efforts qu’elle avait faits pour M. Croteau ainsi que des postes adaptés disponibles qui correspondaient peut-être aux quatre restrictions, et pourquoi ces postes ne faisaient pas l’affaire :

  • 1) système d’inspection des voies : le poste comprenait des tâches effectuées à l’ordinateur, ce n’était pas un emploi physique, c’était plus un travail de bureau, il y avait un peu de déplacements; mais le CN n’avait besoin de personne; le poste n’a jamais été doté. Elle a pensé qu’il s’agissait d’une question de financement;

  • 2) travail de concierge : pas disponible parce que le CN confie ce genre de travail à forfait dans l’Est du Canada. À la décharge du CN, la gestionnaire a communiqué avec le vice-président, Est du Canada, pour voir si l’on pouvait faire quelque chose. La réponse reçue était que le CN ne s’occupe pas de services de conciergerie dans cette région. Elle n’était au courant d’aucune possibilité d’emploi en dehors de l’Est du Canada;

  • 3) poste de surveillant à Sarnia : pas de poste disponible dans l’après-midi entre 2009 et 2011, et pas de poste de surveillant disponible pour le moment pour le quart du soir (nuit);

  • 4) postes vacants à Sarnia entre janvier 2008 et novembre 2010: elle n’était au courant d’aucuns. Cette liste provenait de Mme Cialone et précisait que ces postes n’étaient pas applicables parce qu’ils étaient de nature cruciale ou sensible sur le plan de la sécurité ou alors exigeaient une attestation de métier de journalier désigné Sceau rouge;

  • 5) Emplois de répartiteur d’équipe : les TCA avaient le droit de présenter leur candidature en premier; si le poste n’était pas doté, le CN pouvait chercher dans une autre unité de négociation. Tous les emplois étaient comblés par les TCA [M Croteau n’était pas membre de ce syndicat];

  • 6) surveillant Incendie/Sécurité à Windsor : elle voulait cet emploi pour un autre travailleur pour lequel il fallait prendre des mesures d’accommodement, et cet emploi ne convenait pas à M. Croteau à cause des restrictions auxquelles il était soumis. L’emploi n’existait qu’à Windsor. Si M. Croteau l’avait pris, Mme Cialone aurait dû en trouver un autre pour l’employé déplacé. Comme l’a fait remarquer avec raison Me McFadden, la LCDP n’exige pas que les mesures d’accommodement que l’on prend pour un employé atteint d’une déficience consistent à en déplacer un autre de l’emploi qu’il occupe.

Mme Waller a fait remarquer qu’il est toujours [Traduction] « plus difficile » de trouver du travail adapté dans les terminaux de petite taille : moins d’emplois de bureau, moins d’emplois en général à ces endroits.

  • [219] Mme Waller a reconnu que les documents figurant dans le dossier de Mme Cialone commencent en 2011 et vont jusqu’à novembre 2012 ; il n’y a rien dans le dossier qui date d’avant 2011, précisément de 2008 à 2011. (Mais, je signale qu’un courriel de Mme Cialone, daté du 24 novembre 2008, au sujet du dossier de M. Croteau, a été introduit en preuve.) Quand on lui a demandé si elle trouvait cela surprenant, elle a répondu : [Traduction] « pas nécessairement […] il n’y avait peut-être aucune mesure requise ; rien ne s’est passé. Je suppose que nous pourrions améliorer le processus pour préciser “pas de mesure prise à cause de restrictions externes” ». Elle a manifestement rejeté l’idée selon laquelle Mme Cialone était [Traduction] « passive » ou ne faisait pas preuve de [Traduction] « créativité » dans les efforts qu’elle avait faits pour le compte de M. Croteau : [Traduction] « Non, Tania faisait des recherches assez actives […] Nous agissons bel et bien de manière active ». Elle a également signalé que les quatre restrictions de M. Croteau n’avaient pas changé et que le Service de SST avait jugé qu’elles étaient permanentes. Cela est précisé dans la lettre datée du 22 mai 2012 que Mme Cialone a envoyée au plaignant. Le témoin a reconnu qu’elle ignorait ce que le CN avait fait pour lui entre mai 2008 et 2011, car cela ne figurait pas dans le dossier.

  • [220] En réponse à une question sur le rayon de recherche d’un emploi, selon la lettre du 5 juin 2012 de Me Bolter, Mme Waller a dit qu’il semblait que M. Croteau préférait encore Sarnia, mais qu’il envisagerait de déménager à Toronto :

[Traduction] Ce n’est pas clair s’il veut dire « à l’extérieur de l’Ontario ». Je voudrais probablement éclaircir ce point […] J’ai étendu la recherche à l’ensemble de l’Ontario, mais pas au-delà. Je ne suis pas vraiment sûre qu’il veuille sortir de la province. Ce n’est pas clair [le 12 juin 2013, M. Croteau a finalement précisé : « d’un océan à l’autre »] […] Je n’ai pas regardé dans l’Ouest pour lui.

  • [221] Me McFadden lui a ensuite fait confirmer que la connaissance qu’elle avait des efforts faits par Mme Cialone en vue de trouver un travail productif et convenable pour M. Croteau reposait sur les documents soumis au Tribunal, mais que, en 2011, elle avait tenté de faire retourner au travail d’autres employés, ce qui fait qu’elle savait bien quels étaient les postes disponibles à ce moment-là. Mme Waller a répondu par l’affirmative et a affirmé aussi qu’elle savait ce qui avait été disponible entre le mois de mai 2008 et l’année 2011. Elle a confirmé que les seuls postes appropriés qui étaient disponibles au cours de la période de 2008 à 2011 étaient les postes de répartiteur d’équipe et qu’ils avaient tous été comblés par les TCA. Je signale que Mme Cialone a envoyé un courriel à des gestionnaires du CN dans tout l’Ontario le 13 mai 2011 pour s’enquérir des emplois de bureau disponibles pour M. Croteau : [Traduction] « le CN recherche très activement un travail adapté pour un employé qui est en congé depuis de nombreuses années ».

  • [222] J’accepte le témoignage de Mme Waller et la preuve documentaire que le CN a déposée au sujet des efforts qu’il a faits pour trouver du travail convenable et disponible dans les limites des restrictions de M. Croteau entre le mois de mai 2008 et la fin des audiences, en juin 2013. M. Croteau n’a pas dit clairement avant les audiences qu’il envisagerait de travailler à l’extérieur de Sarnia. De plus, lors des audiences, la clarté de son intention a évolué, depuis son témoignage fait en janvier 2012 jusqu’au témoignage en réplique du plaignant ([Traduction] « d’un océan à l’autre ») le 12 juin 2013, en passant par la lettre de son avocat datée du 5 juin 2012. Indépendamment de cette évolution graduelle, le CN se trouvait loin devant M. Croteau pour ce qui était de son propre rayon de recherche d’un emploi adapté. Le CN s’est acquitté ici de son obligation d’accommodement prévue par la loi.

  • [223] Je n’admets pas que M. Croteau a dit au CN (avant les audiences tenues en 2012) qu’il déménagerait à l’extérieur de Sarnia ou qu’il faudrait considérer que le CN le savait. Il était clair d’après les gestes et les paroles de M. Croteau entre 2007 et 2012 qu’il voulait retourner au travail à Sarnia, et à Sarnia seulement. De plus, je signale que M. Croteau a présenté de longs documents écrits au CN ainsi qu’à divers tribunaux administratifs et organismes sous la forme de lettres, sa plainte interne de harcèlement, son grief d’arbitrage auprès du BAMCFC, sa plainte au titre de l’article 37 contre le syndicat, etc. Et ces documents écrits allaient du plus grand au plus minutieux. Il n’a aucune difficulté à s’exprimer par écrit. S’il avait voulu travailler à l’extérieur de Sarnia, pour cette question de grande importance pour lui, M. Croteau l’aurait dit. Il suffisait d’une phrase, exprimée de manière non équivoque, au CN. Mais, comme il a été mentionné plus tôt, bien que ce soit pertinent en tant que question de crédibilité, pour ce qui est de l’issue, cela n’aurait fait aucune différence. Pourquoi? Parce que le CN, de sa propre initiative, avait fait des recherches au-delà de Sarnia et que rien de convenable n’était disponible.

  • [224] Quant aux efforts d’accommodement faits par le CN entre 2007 et le 6 mai 2008, je conclus également qu’il a établi sa défense légale d’une EPJ assortie de mesures d’accommodement sans aller jusqu’à la contrainte excessive. Les efforts de retour au travail ont compris cinq tentatives d’accommodement, sans compter la tentative infructueuse de surveillant Incendie/Sécurité de mars 2005. Le CN a agi de bonne foi. Il voulait que M. Croteau réintègre l’emploi pour lequel il avait été embauché et formé, et qu’il avait en fait exercé durant des années, celui de chef de train. Le CN a toujours suivi les recommandations médicales et a tenté de travailler de manière constructive avec le plaignant et ses représentants syndicaux.

  • [225] La première de ces questions n’est pas simple. Nous avons affaire à un être humain, pas à une machine. Il souffrait (et souffre) manifestement de graves troubles liés à l’anxiété. De cela, je n’en ai aucun doute. Mais je crois que les efforts de retour au travail ont été infructueux pour les raisons suivantes :

H.  Pourquoi les tentatives de retour au travail de M. Croteau ont-elles été infructueuses? Pourquoi la défense d’« EPJ/Mesures d’accommodement » du CN a-t-elle été retenue?

1) M. Croteau n’a pas participé pleinement au processus d’accommodement :

  • [226] M. Croteau n’a pas pleinement collaboré au processus en tout temps et ne s’est parfois pas conformé à son obligation légale de prendre part au dialogue ayant trait aux mesures d’accommodement. Par exemple, aux audiences il a énuméré des emplois dans lesquels, à son avis, le CN aurait dû songer à l’intégrer. Mais ces emplois débordaient le cadre de ses qualifications ou de ses restrictions, comme un poste d’électricien qui requiert une attestation Sceau rouge après plusieurs années d’études et d’apprentissage. Il voulait observer le travail du chef de triage. Mais il s’agit d’un emploi essentiel à la sécurité. Pourquoi le CN lui ferait-il observer un poste essentiel à la sécurité pour lequel il n’avait jamais été embauché? En janvier 2005, M. Croteau (et le syndicat) ne voulaient même pas tenir une réunion pour discuter de son retour au travail. Le 1er mars 2005, il a assisté à la réunion avec le syndicat et M. Gallagher, où il a déclaré : [Traduction] « un dollar est peut-être trop et un million de dollars n’est peut-être pas assez » et a présenté une liste d’exigences qui, avec raison, a donné au CN l’impression qu’il n’était pas un employé qui voulait vraiment retourner au travail, à moins que cela se fasse à ses conditions seulement. Si le CN acceptait ses conditions, il serait apparemment retourné au travail ce même mois.

  • [227] En outre, il a modifié un document du CN et a fait en sorte que son superviseur le signe. M. Gallagher a déclaré que cela aurait pu avoir pour résultat qu’on lui attribue la moitié des points d’inaptitude qui sont nécessaires pour donner lieu à un congédiement. Me McFadden a fait valoir que cela aurait pu mener à une sanction disciplinaire sérieuse, dont son congédiement du CN. Je conviens avec Me McFadden que, si le CN avait vraiment voulu [Traduction] « se débarrasser » de M. Croteau comme ce dernier le craignait, celui-ci avait fourni à l’entreprise plein de munitions et d’occasions. De plus, M. Croteau n’a pas été honnête lors de la réunion du 30 avril 2008 avec M. AB, et en lui faisant écrire au CN pour inclure une restriction relative au quart de travail dans le cadre du retour au travail à un poste d’observation du surveillant, en se fondant sur des renseignements relatifs à deux points que le plaignant savait, tout juste cinq jours plus tôt, d’après la lettre de Mme Paquet, être faux.

  • [228] Il est vrai qu’il n’a pas refusé d’effectuer des tâches adaptées, mais lorsqu’il les a exécutés, c’était comme s’il n’exécutait que les mouvements uniquement. Cela peut être dû en partie à la nature artificielle de certains des emplois offerts pour un retour au travail. Il s’agit là d’une des conclusions que je tire de la preuve présentée au cours de ces 36 jours d’audiences.

2) Sa crainte/paranoïa/méfiance était axée au départ sur KS, mais s’est étendue ensuite au CN :

  • [229] J’emploie ces termes non pas dans leur sens clinique ou médical (p. ex., paranoïa), mais dans leur sens ordinaire, de tous les jours, celui que donnent les dictionnaires. Durant toutes les audiences, il m’a paru clair que M. Croteau avait (et a toujours) profondément peur de KS. La crainte de l’enlèvement en était un exemple évident. Je ne dis pas cela pour rabaisser ou dénigrer M. Croteau. Je ne crois pas qu’il invente cela. Le problème est que, même si KS et TC ont quitté la scène très rapidement à l’insistance du CN et n’ont plus eu de rapports avec M. Croteau, leur incidence (celle de KS surtout) subsiste : en fait, son image le hante encore. Cette peur/paranoïa au sujet de KS s’est finalement muée en une profonde méfiance envers tout ce qui concerne le « CN ». Les « problèmes liés au travail », souvent répétés dans les EMI du Dr Chad ainsi que dans les rapports et les lettres du Dr Gannon et de M. AB, s’étendaient au-delà de KS et de TC. Cela a été mis en évidence quand le plaignant a déclaré qu’il voulait une indemnisation pour couvrir ses frais de déménagement parce qu’il ne voulait pas que le CN sache où il vivait. La méfiance s’étendait au syndicat lui aussi et à sa conviction que ce dernier complotait avec le CN contre ses intérêts. Lors des audiences, il n’a pas voulu accepter d’explications et de motifs bénins pour les gestes du CN; c’est le cas, par exemple, du fait que le CN a payé les séances que M. AB a passées avec lui et bien au-delà du temps initial (et du coût) qu’il avait alloué.

3) M. Croteau voulait une entente, ou les « problèmes liés au travail » ne seraient pas réglés

  • [230] Il y avait ici un raisonnement circulaire en jeu : comme un manège, ou comme dans le film Le jour de la marmotte. Je crois M. Croteau, quand il a témoigné et écrit qu’il devait se remettre sur pied pour pouvoir retourner au travail. Mais la question est la suivante : de quoi avait-il besoin pour pouvoir se remettre sur pied et retourner au travail? Je n’accepte pas qu’il ait été simplement question d’un meilleur processus : p. ex., plus de réunions avec Mme Paquet, une meilleure enquête pour harcèlement de la part de M. Gallagher (et pas nécessairement une conclusion ou des constatations différentes). Non, ce qu’il souhaitait obtenir en plus de ces choses, c’était qu’on CONVIENNE – que KS et TC étaient « coupables » de l’avoir harcelé, que le CN était « coupable » de l’avoir mis (lui et, accessoirement, sa famille) sous surveillance, qu’il reçoive des excuses et une indemnité, que l’on prenne des mesures disciplinaires à l’endroit de KS et de TC, etc. La liste des exigences présentée à la réunion du 1er mars 2005, je crois, était des conditions qui, dans l’esprit de M. Croteau, étaient sincèrement nécessaires pour qu’il se rétablisse et retourne travailler au CN. Rien de moins ne ferait l’affaire.

  • [231] Il y a eu un échange intéressant en contre‑interrogatoire entre Me McFadden et M. AB. L’avocat a dit au témoin qu’il ressortait clairement de la preuve que M. Croteau voulait des excuses, et que le fait que le CN écarte KS et TC, pour qu’ils n’aient plus de rapports avec le plaignant, n’était pas suffisant. Mais, a demandé Me McFadden, s’ils n’avaient rien fait de répréhensible? Comment, dans ce cas, le CN règlerait-il les « problèmes liés au travail » de M. Croteau? M. AB a répondu : [Traduction] « Je suis aussi thérapeute conjugal. Grâce à une communication franche, le fait d’essayer légitimement de se comprendre l’un l’autre, parfois cela fonctionne. Des excuses sont-elles nécessaires? Peut-être que s’ils s’asseyaient tous dans une pièce […] ». Sans vouloir manquer de respect à M. AB et à ses compétences en tant que psychologue et thérapeute conjugal, bien qu’il puisse s’agir là d’une ordonnance thérapeutique qui fonctionne parfois, cela n’aurait pas réussi dans le cas présent. Plus de conversations, les PTT, les lettres, les rencontre formelles ou la réouverture de l’enquête pour harcèlement n’auraient pas fait de différence, sauf si le CN CONVENAIT en fin de compte avec M. Croteau des torts perçus dont il avait censément été victime de la part de KS, de TC, du CN, du syndicat, etc. Sans cela, il n’y aurait pas de guérison, et sans la guérison dont M. Croteau avait parlé à plusieurs reprises, il n’y aurait aucun retour au travail fructueux.

  • [232] Les progrès de M. Croteau sur le plan de son retour au travail avaient atteint un plateau. Bien entendu, la situation était meilleure qu’en août 2004, où il ne pouvait même pas se rendre sur place sans subir une grave crise de panique. Mais, pour ce qui était de faire de réels progrès, au point d’être raisonnablement capable de retourner au travail en tant que chef de train, son rétablissement était loin de cet objectif, malgré les éléments de preuve médicale contraires. Je dis cela parce que le Dr Chad, le Dr Gannon et M. AB n’ont pas été pleinement informés par M. Croteau de ses véritables sentiments et craintes au sujet de KS et du CN en général. M. AB n’était même pas au courant, par exemple, de la crainte qu’avait M. Croteau que KS enlève ses enfants.

4) Il n’y avait aucun travail convenable et disponible pour M. Croteau

  • [233] Finalement, il n’y avait aucun travail convenable et disponible qui correspondait aux quatre restrictions de M. Croteau, de même qu’à sa restriction géographique. Comme il a été mentionné plus tôt, le CN avait même devancé les besoins de M. Croteau, en ce sens qu’il avait étendu le rayon de recherche d’un emploi au-delà de Sarnia. Comme l’ont révélé le témoignage de Mme Waller (et, dans une moindre mesure, celui de M. Colasimone) et la preuve documentaire, au CN il n’y avait (au dernier jour des audiences) rien de disponible en ce qui concerne un emploi de bureau.

  • [234] Au vu de ce qui précède, je conclus que le CN a établi une défense fondée sur une EPJ où des mesures d’accommodement au sens du paragraphe 15(1)a) et du paragraphe 15(2) de la LCDP.

  • [235] Comme je l’ai déjà mentionné, dans la décision Cruden, le juge Zinn a conclu qu’il n’existe pas d’obligation procédurale distincte dans le processus d’accommodement qui peut être violée et qui donnerait lieu à des mesures de réparation, malgré une conclusion de fond selon laquelle il existe une contrainte excessive. Les mesures d’accommodement doivent être raisonnables (sans aller jusqu’à la contrainte excessive); il n’est pas nécessaire qu’elles soient parfaites : Renaud.

  • [236] À la suite de cette longue instruction, bien que j’aie conclu que le CN a établi une défense fondée sur une EPJ et des mesures d’accommodement, il y a certains aspects du processus qu’il a suivi qui, même s’ils n’engagent pas une responsabilité au titre de la LCDP (car ils ne correspondent certes pas à l’exception que le juge Zinn a formulée au paragraphe 79 de la décision Cruden), sont néanmoins loin de correspondre à des « pratiques exemplaires » et à l’égard desquels je souhaite faire quelques commentaires.

I.  Les questions procédurales concernant les mesures d’accommodement et les pratiques exemplaires

1) De meilleures communications avec les employés bénéficiant de mesures d’accommodement/des changements au PTT

  • [237] J’accepte le témoignage de M. Croteau selon lequel le CN a apporté des changements au PTT le concernant à court préavis et sans tenir compte de son point de vue. Je me contenterai de dire qu’il faudrait tout mettre en œuvre pour éliminer de telles situations en général, et précisément relativement aux employés qui, comme M. Croteau, ont un diagnostic de troubles liés à l’anxiété. J’inclus également dans cette catégorie le temps qu’il a fallu pour faire savoir à M. Croteau, après la réunion du 4 avril 2007, s’il toucherait le [Traduction] « tarif relatif à la loco‑commande ». Ce fait a occasionné un stress excessif à propos d’un aspect fondamental de la relation employeur-employé – la rémunération – et ce, à un employé ayant de sérieuses difficultés financières. Les exemples qui précèdent n’ont pas été la cause des tentatives infructueuses de retour au travail.

2) Les communications avec les employés accidentés ou atteints d’une déficience et « relevés de leurs fonctions »

  • [238] Selon la preuve qui m’a été présentée, il n’y a pas eu de communication directe entre le CN et M. Croteau au sujet des efforts faits pour lui trouver un travail adapté après la réunion du 3 décembre 2008 avec Mme Fusco et M. Schenk ainsi que la lettre de suivi. Fait surprenant, il n’y a même pas eu de mise à jour officielle entre le 5 juin 2012 (date à laquelle Me Bolter a écrit sa lettre de réponse au CN au sujet de la disposition de son client à déménager dans la région de Toronto [Traduction] « ou ailleurs ») et la fin des audiences en juin 2013, à part le témoignage de Mme Waller. Je conviens avec Me Bolter que cela amène un employé à penser que rien n’est fait. Aucune preuve n’a été produite au sujet de la politique et des pratiques générales du CN sur le plan des communications avec les employés « relevés de leurs fonctions ».

3) Des renseignements médicaux récents ou mis à jour

  • [239] Les renseignements médicaux les plus récents que l’on trouve dans le dossier de M. Croteau et qui proviennent d’un médecin sont ceux du Dr Gannon. Ce dernier a écrit une lettre et une ordonnance toutes deux datées du 28 août 2008. On peut lire sur l’ordonnance : [Traduction] « son patient peut retourner au travail sans restrictions quant aux heures de quart ». Il a également rempli le formulaire du CN [Traduction] « Rapport médical sur la santé mentale (poste essentiel à la sécurité) » pour M. Croteau, en date du 2 octobre 2008. Le dernier compte rendu d’EMI du Dr Chad porte la date du 3 février 2008. La dernière lettre de M. AB au CN est datée du 20 avril 2009. M. AB a déclaré qu’il n’avait pas évalué l’aptitude de M. Croteau à un retour au travail depuis un certain temps. Il déclare que ce dernier [Traduction] « souffre de troubles anxieux sévères et chroniques ». Son état a évolué au stade chronique.

  • [240] Au cours des audiences, Me McFadden a dit au départ que son client subirait peut-être un autre EMI (le quatrième). Plus tard, aux audiences du 16 avril et du 13 juin 2013, l’avocat de l’intimée a déclaré que le CN ne le ferait probablement pas, mais consulterait plutôt le médecin de famille du plaignant au sujet des restrictions relatives au retour au travail de M. Croteau, etc. Je signale que le CN, au dernier jour des audiences, n’avait rien fait de cela. J’ignore s’il l’a fait depuis ce temps.

  • [241] Je suis conscient que, d’après la lettre du 5 juin 2012 de Me Bolter et de l’argument qu’il a invoqué pour le compte de son client au cours des audiences, à savoir que les quatre restrictions sont maintenues, le CN ne pense peut-être pas qu’il est nécessaire de tenter d’obtenir des renseignements médicaux à jour d’un médecin, étant donné surtout qu’il n’existe aucun travail disponible qui corresponde à ces restrictions. De plus, Mme Waller a déclaré que le service de SST a fait savoir que les quatre restrictions de M. Croteau étaient considérées comme permanentes, comme il est précisé dans la lettre de Mme Cialone, datée du 22 mai 2012, à M. Croteau. J’accepte également que, se fondant sur les nombreuses crises de panique que M. Croteau a eues au cours des audiences, le CN est d’avis que ce dernier n’a pas été exempt de symptômes pendant une période de six mois en prévision d’un travail crucial sur le plan de la sécurité, ainsi que l’exige le Manuel du règlement médical des chemins de fer, et que les conditions sous-jacentes qui ont amené à imposer la restriction concernant les tâches essentielles ou sensibles sur le plan de la sécurité, par exemple, n’ont pas beaucoup changé, sinon pas du tout.

  • [242] Pour ce qui est du paragraphe qui précède, de façon générale, les « pratiques exemplaires » voudraient dire le fait d’obtenir des renseignements médicaux à jour en vue de confirmer les restrictions de travail. Ces renseignements sont tirés des données que fournissent les médecins au départ. Cependant, en l’espèce, si le CN avait pris la mesure d’accommodement procédurale d’obtenir des renseignements médicaux à jour auprès du médecin de M. Croteau à partir de 2009, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que, au fond, cela n’aurait fait aucune différence du point de vue de l’issue au regard de l’objectif ultime : le retour au travail de M. Croteau au CN. Je dis cela pour les motifs exposés à la section précédente : « Pourquoi les tentatives de retour au travail de M. Croteau ont-elles été infructueuses? Pourquoi la défense fondée sur d’“EPJ/Mesures d’accommodement” du CN a-t-elle été retenue? »

  • [243] Compte tenu de ce qui précède, la plainte n’a pas été justifiée et elle est donc rejetée. La présente affaire a été longue à instruire et a comporté de nombreux éléments de preuve, s’étendant sur une décennie de faits. Je sais que M. Croteau sera déçu. J’ai prêté l’oreille avec beaucoup d’attention aux arguments que ce dernier a présentés (ainsi que le CN). Lors de son témoignage, M. Croteau a dit : [Traduction] « J’espère que le Tribunal me permettra de trouver la paix ». Ceci étant dit avec beaucoup de compassion et d’empathie, j’espère que M. Croteau saura trouver la paix et se rétablir grâce à l’amour et au soutien de sa famille, à sa force et à sa détermination interne, ainsi qu’à l’aide de M. AB. Il est un homme sérieux et intelligent, qui a encore de nombreuses années devant lui.

XIII.  La conclusion

Signée par

Matthew D. Garfield

Membre du tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 12 mai 2014

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T1623/16910

Intitulé de la cause : Pierre Croteau c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada

Date de la décision du tribunal : Le 12 mai 2014

Date et lieu de l’audience : Du 9 au 13 janvier 2012

Du 21 au 24 février 2012

Du 27 au 29 février 2012

Du 23 au 25 mai 2012

Du 28 mai au 1 juin 2012

Du 13 au 16 novembre 2012

Sarnia (Ontario)

Les 19 et 20 juillet 2012

Du 3 au 5 avril 2013

Les 15, 16 et 18 avril 2013

Du 12 au 14 juin 2013

London (Ontario)

Le 25 juin 2013

Par téléconférence

Comparutions :

Andrew C. Bolter, pour le plaignant

Aucune comparution , pour la Commission canadienne des droits de la personne

Michael G. McFadden, pour l'intimée



[1]  Sa plainte était également fondée sur le motif du sexe (orientation sexuelle perçue). La Commission a fait enquête sur ce motif mais ne l’a pas soumis au Tribunal.

[2]  Il y a eu quelques décisions du Tribunal sur cette question après Fahmy : Wiseman c. Canada (Procureur général), 2009 TCDP 19 (pas de choix exigé) et Khalifa c. Pétrole et gaz des Indiens du Canada, 2009 TCDP 27 (choix exigé).

[3]  Voir J. Sopinka, S.N. Lederman et A.W. Bryant, The Law of Evidence in Canada, 2e éd., Toronto, Butterworths, 1999, aux p. 139 à 141, où figure une analyse sur l’obligation (ou non) de faire un choix dans le cas d’une requête en non-lieu au Canada et en Angleterre.

[4]  Voir le commentaire de l’arbitre Ratushny au sujet d’un témoignage [traduction] « tiré par les cheveux » dans Abary c. North York Branson Hospital (1988), 9 C.H.R.R. D/775 (Comm. d’enq. de l’Ont.), au par. 38202.

[5]  Voir Sopinka, Lederman et Bryant, précité, aux p. 138 et 139.

[6]  Je signale que le « manquement à l’obligation d’accommodement » n’est pas un « acte discriminatoire » au sens de la LCDP. La preuve prima facie au regard de l’alinéa 7b) serait une différence de traitement défavorable.

[7] Stadnyk c. Canada (Commission de l’emploi et de l’immigration), 2000 CanLII 15796 (CAF), au par. 11.

[8]  Plus la conduite est grave et plus ses conséquences sont manifestes, moins la répétition sera exigée; à l’inverse, moins la conduite est grave et moins ses conséquences sont manifestes, plus la persistance devra être démontrée : le « critère de la proportionnalité inverse » : Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Forces armées) (Franke), [1999] 3 C.F. 653 (1re inst.), aux par. 43 et 45.

[9] Voir Hill c. Air Canada, 2003 TCDP 9.

[10]  Voir la décision Adamson c. Air Canada, 2014 CF 83 (en appel), où le juge Annis a conclu que les facteurs de contrainte excessive que sont la santé, la sécurité et le coût ne constituent pas une liste exhaustive.

[11]  Le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, 4e édition, publié par l’American Psychiatric Association est la classification type des troubles mentaux dont se servent les spécialistes de la santé mentale aux États-Unis et au Canada. Le DSM‑V a été publié en mai ou en juin 2013.

[12]  Le témoin a déclaré que, quand le CN avait des doutes au sujet de la sécurité d’un employé particulier, ce dernier devenait un « employé ciblé ». Le CN surveillait cet employé, le rencontrait à intervalles réguliers et lui procurait toute l’aide ou les activités de formation supplémentaires dont il avait besoin. On discutait de cet employé lors de la conférence téléphonique nationale hebdomadaire sur la sécurité avec la direction (souvent avec le vice-président principal participant à l’appel), y compris les représentants des opérations et l’AGR, de façon à s’assurer que l’employé revienne à un niveau acceptable sur le plan de la sécurité.

[13] Comme il a été mentionné plus tôt, en 2004, KS se trouvait à un poste différent à Hamilton/Oakville et le CN faisait remplacer TC par M. Mau pour qu’il n’ait pas de contacts avec M. Croteau.

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