Tribunal canadien des droits de la personne

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Contenu de la décision

Canadian Human Rights Tribunal

Entre :

Shelley Annette MacEachern

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Service correctionnel du Canada

l’intimé

Décision sur requête

No de dossier : T1823/5312

Membre instructrice : Ricki Johnston

Date : Le 23 octobre 2014

Référence : 2014 TCDP 31

 


I.                   Introduction

[1]               La plaignante, Shelley Annette MacEachern (la plaignante), travaille pour le Service correctionnel du Canada (l’intimé ou le SCC) et se dit diabétique. Le 7 mai 2012, la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) a demandé à la présidente du Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal), en vertu de l’alinéa 44(3)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H‑6 (la Loi), d’instruire la plainte que la plaignante avait déposée contre le SCC. La plaignante allègue qu’elle a été victime de discrimination en matière d’emploi, au sens de l’article 7 de la Loi, à cause d’une déficience, son diabète.

[2]               L’intimé a présenté une requête en vue d’obtenir de la plaignante qu’elle communique divers documents. Pour sa part, la plaignante a demandé l’autorisation de modifier la liste des mesures de redressement qu’elle souhaite se voir accorder en l’espèce. La décision qui suit porte sur ces deux requêtes.

II.                Contexte

[3]               Le 6 juillet 2010, la plaignante a déposé à la Commission une plainte dans laquelle elle allègue que, vers le début de janvier 2010, le SCC lui a refusé un emploi d’agent correctionnel (le poste de CX‑1) à l’Établissement de Grande Cache (l’ÉGC) en raison de sa déficience, le diabète.

[4]               L’intimé soutient avoir fondé sa décision de ne pas offrir à la plaignante le poste de CX‑1 sur un rapport établi par Santé Canada au sujet de l’aptitude de la plaignante à occuper ce poste compte tenu de son diabète. Selon lui, Santé Canada a conclu que la plaignante était apte à travailler comme CX-1, sous réserve de certaines restrictions quant au travail qui pouvait être accompli. L’intimé affirme avoir remis à la plaignante, le 14 avril 2010, une lettre l’informant qu’il ne pouvait prendre les mesures d’accommodement exigées par ces restrictions et qu’elle ne se verrait donc pas offrir le poste de CX-1.

[5]               Quant à la plaignante, elle a fait valoir devant le Tribunal que la décision de l’intimé de se fier au rapport de Santé Canada et, à titre subsidiaire, son défaut de prendre les mesures d’accommodement découlant des restrictions énoncées dans ce rapport constituent de la discrimination au sens de la Loi.

[6]               À l’époque où l’intimé a décidé de ne pas l’employer comme CX-1, la plaignante travaillait pour l’intimé à l’ÉGC en qualité de CR-4, poste qu’elle continue d’occuper depuis. Cependant, entre octobre 2013 et août 2014, la plaignante a été en congé d’invalidité pour des raisons qui n’avaient apparemment rien à voir avec son diabète.

III.             La requête en communication de l’intimé

[7]               Le 4 mai 2014, l’intimé a déposé une requête par laquelle il demandait la production de divers documents qui, selon lui, sont pertinents en l’espèce. Les parties ont présenté des observations en personne relativement à cette requête le 7 août 2014, à Grande Cache, en Alberta.

[8]               De façon générale, les documents dont l’intimé demande la communication relèvent de quatre catégories différentes.

[9]               La première catégorie se compose des dossiers médicaux se rapportant au suivi, au contrôle et au traitement du diabète de la plaignante, ou faisant mention de son diabète, de 2006 jusqu’au moment où a été prise la décision de ne pas lui offrir le poste de CX‑1. La plaignante soutient que l’intimé n’a pas droit à ces documents parce qu’ils ne sont pas pertinents en l’espèce et que leur communication constituerait une atteinte à son droit à la vie privée.

[10]           La deuxième catégorie de documents se compose des dossiers médicaux constitués de 2010 jusqu’à aujourd’hui et comportant tout renseignement relatif au suivi, au contrôle et au traitement du diabète de la plaignante, ou faisant mention de son diabète, ainsi que des autres dossiers médicaux concernant les mesures de redressement que réclame la plaignante, dont la restitution de ses crédits de congé et des dommages‑intérêts pour préjudice moral. Encore une fois, la plaignante affirme que ces documents ne sont pas pertinents, étant donné qu’ils concernent son état de santé suivant la décision de ne pas lui offrir le poste de CX‑1.

[11]           La troisième catégorie de documents demandés vise le dossier ou les documents se rapportant à la demande de prestations d’invalidité de la plaignante et tous les dossiers médicaux afférents au traitement associé à cette demande. La plaignante soutient que ces documents ne sont pas pertinents en raison de l’absence de lien entre sa demande de prestations d’invalidité et son diabète.

[12]           La quatrième catégorie de documents comprend un relevé à jour des prestations versées par les services de santé de l’Alberta de janvier 2013 jusqu’à aujourd’hui. La plaignante soutient que son état de santé suivant la décision de ne pas l’employer comme CX‑1 n’est pas pertinent et que les documents de cette catégorie n’ont donc pas à être produits.

IV.             Décision

[13]           Conformément au paragraphe 50(1) de la Loi, les parties à une instance du Tribunal doivent avoir la possibilité pleine et entière de faire valoir leur position. Pour se prévaloir de cette possibilité, les parties ont besoin, entre autres choses, que leur soient communiqués les renseignements qui pourraient être pertinents et qui sont en la possession ou sous le contrôle de la partie adverse avant l’instruction de l’affaire. Conjuguée aux faits et aux questions en litige soumis de part et d’autre, la communication de renseignements permet à chaque partie de connaître la preuve réunie par la partie adverse et, ainsi, de se préparer adéquatement à l’audience. C’est pourquoi un document devrait être divulgué conformément aux alinéas 6(1)d) et 6(1)e) des Règles de procédure (03-05-04) du Tribunal s’il existe un lien rationnel entre ce document et les faits, les questions ou les formes de redressement mentionnés par les parties à l’instance (voir Guay c. Canada (Gendarmerie royale du Canada), 2004 TCDP 34, au paragraphe 42 [Guay]; Rai c. Gendarmerie royale du Canada, 2013 TCDP 6, au paragraphe 28; et Seeley c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2013 TCDP 18, au paragraphe  6).

[14]           Cela dit, la demande de communication ne doit pas être spéculative ou équivaloir à une « partie de pêche ». Les documents demandés devraient être décrits de manière suffisamment précise. Autrement dit, la demande ne devrait pas obliger une partie ou une personne étrangère au litige à se soumettre à une recherche onéreuse et fort étendue de documentation (voir Guay, au paragraphe 43).

[15]           Selon la plaignante, les faits à l’origine de la présente plainte sont qu’elle est atteinte du diabète de type 1 et qu’elle a postulé un emploi de CX-1 à l’automne 2009. Elle a suivi la formation de septembre à décembre 2009. À la même époque, elle a dû se soumettre à une évaluation médicale auprès de Santé Canada dans le but de déterminer si son état de santé lui permettait de remplir les fonctions d’un CX‑1. Dans le cadre de cette évaluation, plusieurs des médecins traitants de la plaignante ont fourni des renseignements d’ordre médical à Santé Canada. Au final, Santé Canada a jugé que la plaignante était apte à travailler comme CX‑1 moyennant certaines restrictions. Santé Canada a ensuite remis un rapport supplémentaire modifié dans lequel il confirmait l’aptitude de la plaignante à occuper le poste de CX‑1, y ajoutant cependant d’autres conditions, dont celles de ne travailler ni seule, ni de nuit.

[16]           La plaignante a mis son état de santé en cause dans la présente affaire. Elle pose notamment la question de savoir si on peut prétendre que son diabète restreignait l’ampleur des tâches qu’elle était apte à effectuer en 2009 et en 2010 et continue de restreindre ce qu’elle peut effectuer maintenant. Elle conteste non seulement le rapport de Santé Canada et les restrictions posées relativement à son aptitude à occuper le poste de CX‑1, mais également la décision du SCC de ne pas tenir compte des dossiers médicaux et d’autres documents, en sus de ce rapport de Santé Canada, lorsqu’il a procédé à l’examen de son aptitude à occuper le poste de CX-1 sur le plan de l’état de santé, à la fin de 2009 et au début de 2010.

[17]           Par conséquent, je conclus que la première catégorie de documents se rapportant au suivi, au contrôle et au traitement du diabète de la plaignante, ou faisant mention de son diabète, de 2006 jusqu’au moment de l’évaluation faite par Santé Canada, en avril 2010, pourrait être pertinente et assujettie à la divulgation. En effet, les documents pourraient être pertinents en ce qui a trait à la question de savoir quel était l’état diabétique de la plaignante au moment de l’évaluation de Santé Canada et avant.   

[18]           Les documents de cette catégorie qui doivent être produits comprennent également les dossiers relatifs au suivi, au contrôle et au traitement du diabète de la plaignante, ou faisant mention de son diabète, qui ont été constitués par les dispensateurs de traitements qui ne figurent pas déjà dans la liste dressée par la plaignante, le cas échéant.

[19]           Il importe de souligner que, bien que la plaignante ait fourni une liste exhaustive de médecins, celle‑ci a reconnu dans les observations qu’elle a présentées en réponse à la présente requête que certains de ces dossiers sont vraisemblablement pertinents. Plusieurs des médecins dont le nom figure dans la liste semblent appartenir au même cabinet, ce qui fait qu’il ne sera probablement nécessaire de produire qu’un seul dossier médical.

[20]           Si les dossiers médicaux de la première catégorie se rapportent essentiellement aux antécédents de santé de la plaignante, ceux de la seconde catégorie concernent son état de santé depuis la perpétration de l’acte discriminatoire allégué. La plaignante a confirmé que ce qu’elle réclame au titre de la perte de revenus se limite à la différence entre les sommes qu’elle aurait gagnées à titre de CX‑1 et celles qu’elle a touchées comme CR‑4, que ce soit sous forme de salaire ou de prestations d’invalidité. Toutefois, la plaignante demande à la fois une indemnisation pour perte de revenus et la nomination au poste de CX‑1. Dans sa plaidoirie, la plaignante a fait valoir que son diabète ne l’empêchait pas de travailler sur une base permanente comme CX‑1 et qu’elle continuait à contester les restrictions énoncées dans le rapport de Santé Canada en ce qui concerne sa demande en vue d’être désormais employée comme CX‑1. Elle soutient qu’on devrait lui assigner le poste de CX‑1 sans restrictions, indépendamment des directives contenues dans le rapport de Santé Canada; à titre subsidiaire, elle ajoute que ces restrictions devraient être établies en fonction d’une nouvelle évaluation de son état de santé par le SCC. La plaignante demande par ailleurs le rétablissement de ses crédits de congés, dont les congés de maladie, et une indemnisation pour préjudice moral. En conséquence, l’état de santé de la plaignante depuis la perpétration de l’acte discriminatoire allégué a également été mis en cause.

[21]           Il s’ensuit, à mon sens, que les dossiers médicaux de la seconde catégorie, qui couvrent la période allant de la décision de ne pas offrir à la plaignante le poste de CX‑1, en avril 2010, jusqu’à aujourd’hui et qui comportent des renseignements se rapportant au suivi, au contrôle et au traitement du diabète de la plaignante, ou faisant mention de son diabète, ainsi que tous les autres dossiers médicaux concernant les mesures de redressement que réclame la plaignante, dont la restitution de ses crédits de congé et des dommages‑intérêts pour préjudice, pourraient être pertinents et assujettis à la divulgation. Ces dossiers comprennent ceux constitués par les médecins dont les noms figurent déjà dans la liste établie par la plaignante, entre 2010 et aujourd’hui, ainsi que ceux des dispensateurs de traitements qui n’y figurent pas, le cas échéant.

[22]           La troisième catégorie de documents est constituée du dossier de demande de prestations d’invalidité de la plaignante et des dossiers médicaux afférents. Alors qu’elle occupait le poste de CR‑4, la plaignante a été en congé d’invalidité d’octobre 2013 à août 2014. Il est important de noter que la plaignante ne cherche pas à être indemnisée pour la perte de revenus qu’elle a subie pendant cette période, mais plutôt pour la différence entre les prestations d’invalidité qu’elle aurait touchées au poste de CX‑1 et celles qu’elle a reçues en tant que CR-4. Quoi qu’il en soit, bien que la plaignante affirme que son diabète n’a rien eu à voir avec sa demande de prestations d’invalidité, l’intimé a le droit de vérifier si c’est réellement le cas. En outre, la plaignante continue d’exiger qu’on lui assigne le poste de CX‑1 sans restrictions; or, il est possible que l’évolution de son état de santé soit pertinente pour statuer sur le redressement demandé.

[23]           Par conséquent, je suis d’avis que les dossiers de la troisième catégorie pourraient être pertinents et assujettis à la divulgation, y compris le dossier de demande de prestations d’invalidité de la plaignante et les dossiers médicaux afférents au traitement associé à cette demande de prestations d’invalidité.

[24]           La quatrième catégorie de documents dont l’intimé demande la production comprend un relevé à jour des prestations versées par les services de santé de l’Alberta de janvier 2013 jusqu’à aujourd’hui. Pour les mêmes raisons que celles déjà exposées quant à la pertinence des dossiers médicaux courants de la plaignante, les documents de cette quatrième catégorie pourraient être pertinents, et donc, assujettis à la divulgation et à la production.

V.                Directives concernant la confidentialité des dossiers médicaux et autres documents relatifs à la déficience

[25]           L’obligation de la plaignante de communiquer les documents susmentionnés qui sont susceptibles d’être pertinents doit toutefois être pondérée par ses attentes légitimes en matière de vie privée, particulièrement en ce qui concerne les dossiers médicaux et les documents se rapportant à son invalidité.

[26]           Le Tribunal a reconnu qu’un plaignant a droit au respect de sa vie privée et à la confidentialité de ses dossiers médicaux (voir Beaudry c. Canada (Procureur général), 2002 CanLII 61851 (TCDP), au paragraphe 7 [Beaudry]; McAvinn c. Strait Crossing Bridge Ltd., 2001 CanLII 38296 (TCDP), au paragraphe 3 [McAvinn]). Toutefois, ce droit peut cesser d’exister quand cette personne invoque son état de santé (voir McAvinn, au paragraphe 4; Guay, au paragraphe 45; Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier et Femmes‑Action c. Bell Canada, 2005 TCDP 9, aux paragraphes 9 à 11; voir aussi Frenette c. Métropolitaine (La), cie d’assurance‑vie, 1992 CanLII 85 (CSC); et M. (A.) c. Ryan, 1997 CanLII 403 (CSC) [M. (A.)]). Cela dit, « le besoin de découvrir la vérité et d’éviter une injustice n’écarte pas automatiquement la possibilité d’une protection contre une divulgation complète » (M. (A.), au paragraphe 33). Dans les cas où il a ordonné que l’on communique les dossiers médicaux, le Tribunal a normalement assujetti cette communication à certaines conditions afin de protéger le respect de la vie privée et la confidentialité des renseignements, par exemple en précisant qui peut en prendre connaissance et en faire des copies (voir, à titre d’exemple, Guay, au paragraphe 48; McAvinn, aux paragraphes 19 et 20; Beaudry, aux paragraphes 7 et 9; Palm c. International Longshore and Warehouse Union, Section locale 500 et al., 2012 TCDP 11, au paragraphe 19; Rai c. Gendarmerie royale du Canada, 2013 TCDP 6, au paragraphe 37; et Yaffa c. Air Canada, 2014 TCDP 22, au paragraphe 15).

[27]           Par conséquent, les restrictions suivantes s’appliquent à l’égard de tous les documents communiqués conformément à la présente décision :

(1)               Les documents seront communiqués uniquement aux avocats de l’intimé; ceux-ci ne pourront en divulguer le contenu sans avoir obtenu l’autorisation du Tribunal et en avoir avisé la plaignante au préalable.

(2)               Les avocats du SCC utiliseront les documents pour se préparer à l’instruction de la présente affaire de même que lorsqu’ils communiqueront avec leur client en vue de demander les instructions nécessaires. Les documents ne pourront servir à d’autres fins que cette instruction.

(3)               Les dossiers médicaux qui n’ont aucun lien avec le suivi, le traitement ou le contrôle du diabète de la plaignante ou avec les mesures de redressement qu’elle demande) (restitution des crédits de congés, préjudice moral, etc.) devront être retranchés des documents communiqués.

[28]           Le Tribunal fixera la date et l’heure d’une conférence téléphonique de gestion de l’instance visant à discuter du processus de collecte et de communication des documents visés par la présente décision. 

VI.             Modification des mesures de redressement demandées par la plaignante

[29]           En réponse à la présente requête, la plaignante a demandé à modifier les redressements qu’elle réclame en l’espèce. Lors de l’instruction de la présente affaire, l’intimé n’a pas signifié qu’il s’y opposait, mais il a précisé qu’à son avis, certains des redressements demandés ne relevaient peut-être pas de la compétence du Tribunal et qu’il se réservait le droit de présenter des arguments à cet effet lors de l’audience. Autrement dit, le fait que l’intimé consente à la modification des redressements demandés ne signifie nullement qu’il reconnaît le caractère adéquat de ces redressements.

[30]           Compte tenu des observations faites par la plaignante et de la réponse de l’intimé, la demande présentée par la plaignante en vue d’être autorisée à modifier expressément la liste des redressements afin qu’ils correspondent à ceux mentionnés dans ses documents datés du 23 mai 2014 est accueillie.

 

Signé par

Ricki Johnston

Membre instructrice

Ottawa (Ontario)

Le 23 octobre 2014

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties inscrites au dossier

Dossier du Tribunal : T1823/5312

Intitulé : Shelley Annette MacEachern c. Service correctionnel du Canada

Date de la décision sur requête : Le 23 octobre 2014

Date et lieu de l’audience préliminaire :   Le 7 août 2014

                       à Grande Cache (Alberta)

Comparutions :

Shelley Annette MacEachern, en son propre nom

Aucune comparution, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Barry Benkendorf, pour l’intimé

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