Tribunal canadien des droits de la personne

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Canadian Human Rights Tribunal

Titre : Tribunal's coat of arms

Tribunal canadien des droits de la personne

Référence : 2013 TCDP 14

Date : le 24 mai 2013

Numéros des dossiers : T1822/5212

Entre :

Janet Gover

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

L’Agence des services frontaliers du Canada

l'intimée

Décision sur requête

Membre : Robert Malo

 



I.  Contexte

[1]  Le 30 janvier 2005, la plaignante, Mme Janet Gover, a déposé une plainte à l’encontre de l’intimée l’Agence des services frontaliers du Canada, plainte dans laquelle elle fait référence à des allégations de violation des articles 7, 10 et 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[2]  La plaignante mentionne ce qui suit au début de sa plainte :

[traduction]

J’ai des motifs raisonnables de croire que j’ai été victime de discrimination et que mon employeur n’a pris aucune mesure d’adaptation qui tienne compte de ma déficience. J’ai des motifs raisonnables de croire que j’ai fait l’objet de préjugés, de discrimination et de harcèlement systémiques. Par conséquent, je renvoie (sans m’y limiter) aux allégations de violation des articles 7 (sept), 10 (dix) et 14 (quatorze) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[3]  Pour une meilleure compréhension du présent dossier, je renvoie aux dispositions susmentionnées de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, lesquelles sont ainsi libellées :

Article 7 :  Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

  • * a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

  • * b) de le défavoriser en cours d’emploi.

Article 10 :  Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite et s’il est susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus, le fait, pour l’employeur, l’association patronale ou l’organisation syndicale :

  • * a) de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite;

  • * b) de conclure des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l’engagement, les promotions, la formation, l’apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d’un emploi présent ou éventuel.

Article 14 :   (1) Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de harceler un individu :

  a) lors de la fourniture de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public;

  b) lors de la fourniture de locaux commerciaux ou de logements;

  c) en matière d’emploi.

  (2) Pour l’application du paragraphe (1) et sans qu’en soit limitée la portée générale, le harcèlement sexuel est réputé être un harcèlement fondé sur un motif de distinction illicite.

  • * 1980-81-82-83, ch. 143, art. 7.

Article 14.1 :  Constitue un acte discriminatoire le fait, pour la personne visée par une plainte déposée au titre de la partie III, ou pour celle qui agit en son nom, d’exercer ou de menacer d’exercer des représailles contre le plaignant ou la victime présumée.

  • * 1998, ch. 9, art. 14.

[4]  Avant de procéder à l’enquête et à l’audition du dossier de la plaignante, l’intimée  demande au Tribunal de délivrer une ordonnance afin de confirmer la portée de la plainte déposée par la plaignante par le dépôt de la requête figurant dans l’intitulé du présent jugement.

[5]  Plus particulièrement,  l’intimée demande au Tribunal de limiter l’audition de la plainte de la plaignante à la question de l’appareil téléphonique dont le Tribunal a été saisi par la Commission canadienne des droits de la personne et de ne pas discuter des questions relatives au traitement/salaire. 

[6]  Cette requête est donc déposée dans le but avoué d’obtenir un éclaircissement quant au mandat qui a été confié par la Commission canadienne des droits de la personne au Tribunal canadien des droits de la personne en vertu des dispositions de l’alinéa 44(3)a) et de l’article 49 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

II.  La requête

A.  Requête de l’intimée

[7]  Dans la requête qu’elle a déposée au Tribunal, l’intimée mentionne que la plainte originale de la plaignante soulevait deux questions devant la Commission canadienne des droits de la personne  soit :

  • (a) Traitement/salaire;

  • (b) Appareil téléphonique;

[8]  Selon l’intimée, la Commission a fait enquête sur les deux volets de la plainte de la plaignante, mais n’aurait référé au Tribunal que le volet « appareil téléphonique », et ce, en se fondant sur le rapport d’enquête dont il est fait mention au paragraphe 14 de l’affidavit de C. Deborah Hagarty,  qui figure à l’annexe A, onglet B.

[9]  L’intimée, toujours en se fondant sur le rapport d’enquête de la Commission susmentionné, déclare ce qui suit au paragraphe 10 de son mémoire relatif à la présente requête :

[traduction]

Sur le fondement de ces conclusions, le rapport d’enquête comporte les recommandations suivantes :

Il est recommandé que la Commission, en vertu de l’alinéa 44(3)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, demande au président du Tribunal canadien des droits de la personne d’instruire la plainte parce que :

  • · la preuve indique que l’intimée a lésé la plaignante en refusant de doter son poste de travail d’un appareil téléphonique.

  • · Compte tenu de l’ensemble des circonstances relatives à la plainte, il est justifié que le Tribunal fasse enquête.

[10]  L’intimée mentionne ensuite ce qui suit au paragraphe 12 de son mémoire :

[traduction]

La Commission a examiné le rapport d’enquête ainsi que les observations produites par les parties en réponse au rapport. Dans une lettre datée du 3 mai 2012, la Commission a avisé les parties qu’elle avait décidé de renvoyer l’affaire.

[11]  De plus, l’intimée renvoie les parties à la lettre de décision de la Commission, dont le libellé est semblable à celui du rapport d’enquête de la Commission, qui figure dans l’affidavit de Mme Hagarty, à l’onglet A. Il s’agit d’une lettre de la Commission canadienne des droits de la personne adressée à la plaignante, madame Janet Gover, qui se lit comme suit :

[traduction]

Madame Gover :

Je vous écris pour vous informer de la décision qu’a rendue la Commission canadienne des droits de la personne à l’égard de votre plainte (20041101) contre  l’Agence des services frontaliers.

Avant de rendre sa décision, la Commission a examiné le rapport qui vous avait été communiqué ainsi que les observations déposées en réponse à ce rapport. Après avoir examiné ces éléments d’information, la Commission a décidé, en vertu de l’alinéa 44(3)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de demander à la présidente du Tribunal canadien des droits d’instruire la plainte visée par le rapport au motif que :

La preuve indique que l’intimée a lésé la plaignante en refusant de doter son poste de travail d’un appareil téléphonique;

Compte tenu de l’ensemble des circonstances relatives à la plainte, l’instruction de la plainte par le Tribunal est justifiée.

De plus amples renseignements vous seront communiqués par le Tribunal à propos du déroulement des procédures.

[12]  La question suivante constitue l’élément central de l’argumentation de l’intimée :

Le renvoi au Tribunal porte-t-il uniquement sur la plainte relative à la question de l’appareil téléphonique?

 

[13]  Subsidiairement, l’intimée soulève dans son argumentation, à l’appui de sa requête, le point suivant :

[traduction]

La Commission n’a aucunement fait mention de la question du traitement/salaire dans sa décision et elle mentionne que le rapport d’enquête constituera ses motifs. Sur cette question, l’intimée a renvoyé à l’arrêt Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, au paragraphe 37 (Référence : mémoire de l’intimée, page 7, paragraphe 22).

[14]  Dans un deuxième temps, l’intimée, en citant les décisions Powell c. United Parcel Service Canada Ltd., 2006 TCDP 27, Kowalski c. Ryder Integrated Logistics, 2009 TCDP 22 et la décision Côté c. Procureur général du Canada, 2003 TCDP 32, mentionne que la jurisprudence du Tribunal reconnaît qu’il est possible de ne renvoyer que certaines parties d’une plainte.

[15]  De façon générale, l’intimée mentionne que seule la question de l’appareil téléphonique a été renvoyée au Tribunal, car la question du traitement/salaire n’a fait l’objet d’aucune mention explicite, je renvoie aux paragraphes 33 et 34, à la page 10 du mémoire de l’intimée.

[traduction]

33.  Comme la question du traitement/salaire n’a pas été renvoyée à la Commission, le Tribunal n’en a pas été saisi aux fins d’enquête. Le Tribunal n’a pas compétence quant à celle-ci. Si, malgré cela, le Tribunal permettait que la question du traitement/salaire soit instruite, la fonction d’examen de la Commission qui est prévue dans la Loi perdrait tout son sens.

34. La Loi n’accorde pas aux plaignants un accès direct au Tribunal. La Commission, qui est un organisme administratif, est chargée de décider quelle plainte doit être traitée, doit faire l’objet d’une enquête et/ou doit être renvoyée au Tribunal. Le Tribunal ne peut instruire que les plaintes qui ont été renvoyées à la Commission.

[16]  Finalement, l’intimée fait valoir que le Tribunal doit voir à ce que les plaintes dont il est saisi soient traitées rapidement compte tenu de l’interprétation de la lettre de la Commission, susmentionnée, et que seule la question de l’appareil téléphonique a été renvoyée pour instruction au Tribunal; celui-ci n’a pas été saisi de la question du traitement/salaire . L’intimée affirme que, si sa requête était accueillie, les procédures engagées dans le présent dossier pourraient se dérouler plus rapidement.

B.  Réponse de la plaignante

[17]  En réponse à l’argumentation présentée par l’intimée à l’appui de sa requête, la plaignante affirme que le fait de ne pas avoir mentionné explicitement quelle partie de la plainte serait instruite démontre que la Commission avait l’intention de renvoyer dans son intégralité la plainte déposée par la plaignante. Elle adopte donc une position contraire à celle de l’intimée dans sa requête. 

[18]  La plaignante affirme également que l’intimée a mal interprété le rapport d’enquête de la Commission et que la Commission a clairement mentionné qu’elle avait tenu compte de tous les arguments qui avaient été formulés « ainsi que du rapport d’enquête et des observations formulées par les parties postérieurement à l’enquête ».

[19]  Selon la plaignante, la jurisprudence de la Cour fédérale indique que la Commission doit énoncer et motiver clairement sa décision de rejeter les [traduction] « observations postérieures à l’enquête, surtout lorsque des omissions dans ces observations sont alléguées ».

[20]  À l’instar de l’intimée, la plaignante renvoie à la lettre du 3 mai 2012 qui lui a été adressée. Il convient de souligner que la plaignante avait déjà déposé une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission devant la Cour fédérale et qu’elle a ultérieurement abandonné cette plainte.

[21]  Dans sa conclusion, la plaignante affirme ce qui suit :

[traduction]

50. La Commission a décidé en l’espèce de renvoyer la plainte au Tribunal en se servant d’une formulation large qui englobe toutes les parties de la plainte. L’intimée invoque l’absence d’un renvoi explicite pour prétendre que la question du traitement/salaire a été rejetée. Toutefois, cela n’est pas compatible avec l’importance des droits en litige, le rôle de la Commission, ou le régime législatif énonçant les pouvoirs de la Commission de renvoi et de rejet. Ces facteurs indiquent que la Commission doit utiliser des termes clairs et explicites lorsqu’elle exerce son pouvoir discrétionnaire et son pouvoir de rejet. En l’espèce, l’absence de termes explicites énonçant le rejet d’une quelconque partie de la plainte et le caractère général du renvoi démontrent que la Commission avait l’intention de renvoyer la plainte dans son intégralité. Si la Commission avait voulu rejeter la question du traitement/salaire, elle l’aurait clairement dit, conformément à sa façon de procéder. 

51. De plus, la Commission a affirmé qu’elle avait tenu compte des observations formulées par les parties après l’enquête. La Commission n’a en aucun temps dit qu’elle rejetait l’une ou l’autre de ces observations, et on peut donc présumer que celles-ci ont éclairé la Commission dans son évaluation visant à savoir s’il était justifié de renvoyer l’affaire pour instruction. L’intimée se fie entièrement au rapport de l’enquêteur pour interpréter le renvoi de la Commission. Le rapport de l’enquêteur est d’une valeur limitée sur le plan de l’interprétation si la Commission a tenu compte d’autres observations.

52. Par conséquent, la requête de l’intimée devrait être rejetée dans son intégralité.

C.  Position de la Commission canadienne des droits de la personne

[22]  La Commission canadienne des droits de la personne s’oppose à la requête et en demande le rejet pour les raisons suivantes .

[23]  Dans son argumentation, la Commission renvoie à deux lettres qu’elle a envoyées la même journée, soit le 3 mai 2012; l’une de ces lettres est adressée à la plaignante et comporte la note suivante :

[traduction]

La preuve indique que l’intimée a lésé la plaignante en refusant de doter son poste de travail d’un appareil téléphonique : et

Compte tenu de l’ensemble des circonstances de la plainte, l’instruction de la plainte par le Tribunal est justifiée. [Non souligné dans l’original.]

[24]  De plus, la Commission renvoie à une deuxième lettre, laquelle est datée du 3 mai 2012 et est adressée au président du Tribunal canadien des droits de la personne. La lettre est ainsi libellée :

[traduction]

Le 3 mai 2012, la Commission a renvoyé la plainte de Mme Gover au Tribunal pour instruction. La lettre du président intérimaire au président du Tribunal est instructive. Elle est ainsi libellée :

La Commission canadienne des droits de la personne a examiné la plainte (20041101) de Janet Gover contre l’Agence des services frontaliers du Canada.

La Commission a décidé, en vertu de l’alinéa 44(3)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de vous demander d’instruire la plainte, car elle est convaincue, compte tenu des circonstances, que l’instruction est justifiée. [Non souligné dans l’original.]

Affidavit de Saikali, Dossier de requête de la Commission, onglet 2, pièce « D »

[25]  La Commission réitère de façon non équivoque que « la plainte de Mme Gover a été renvoyée dans son intégralité, et non pas partiellement, au Tribunal afin que celui-ci l’instruise, car rien dans la décision de la Commission et dans les lettres citées n’indique que seule la « question de l’appareil téléphonique » a été renvoyée pour enquête. (Référence : observations de la Commission canadienne des droits de la personne, page 5, paragraphe 11).

[26]  Dans son argumentation, la Commission fait référence aux arrêts Kowalski c. Ryder Integrated Logistics, 2009 TCDP 22, et Lacroix c. GRC, 2009 TCDP 35. (Dossier de requête de l’intimée, onglets F et G). 

[27]  La Commission attire l’attention du Tribunal sur le fait que, selon elle, l’argumentation de l’intimée vise en fait à lui demander de réviser le processus par lequel la Commission lui renvoie des plaintes. Or, la Cour fédérale, dans Commission des droits de la personne c. Lemire et autres, 2012 CF 1162, aux paragraphes 52 à 58 (dossier de requête de la Commission, onglet 5) a clairement affirmé que le Tribunal n’a pas cette compétence.

[28]  La Commission affirme ce qui suit (observations de la Commission canadienne des droits de la personne, page 7) :

[traduction]

15. Nous prétendons que ce que l’intimée demande en l’espèce est en quelque sorte un examen du processus décisionnel de la Commission et de la manière selon laquelle elle a traité la plainte. Il s’agit simplement d’une attaque indirecte contre la Commission en ce qui concerne ses décisions et la manière selon laquelle elle a traité la plainte.

16. Ce faisant, l’intimée ne tient pas compte des rôles distincts de la Commission et du Tribunal prévus dans la LCDP. La Cour suprême du Canada a récemment confirmé à nouveau, dans l’arrêt Halifax, les divers rôles et les diverses fonctions de la Commission à titre d’organisme administratif et du Tribunal à titre d’organisme juridictionnel. À ce titre, le Tribunal n’a aucun pouvoir sur l’exercice par la Commission de son pouvoir discrétionnaire, prévu à l’alinéa 44(3)a) de la LCDP, de renvoyer une plainte pour enquête.

Halifax (Regional Municipality) c. Nouvelle-Écosse (Human Rights Commission), 2012 CSC 10, au paragraphe 50. (Dossier de requête de la Commission, onglet 7).

17. Tout récemment, la Cour fédérale a confirmé que le rôle du Tribunal consiste à instruire les plaintes et qu’il ne peut pas subsidiairement remettre en question le processus décisionnel de la Commission. Le raisonnement suivi par la Cour fédérale dans Lemire est instructif. Dans le cadre d’un contrôle judiciaire d’une décision du Tribunal, le juge a conclu ce qui suit :

[55]   La LCDP instaure deux institutions distinctes; chacune d’elle se voit assigner un rôle particulier, lequel est décrit dans la Loi. En outre, la Loi met en place un mécanisme complet de traitement des plaintes liées aux droits de la personne. La Commission est au cœur de ce mécanisme; sous le régime de la Loi, la Commission joue le rôle d’organisme habilité à recevoir, à administrer et à traiter les plaintes relatives à des actes discriminatoires. La Loi n’octroie au Tribunal aucun mandat en ce qui a trait à l’application de ce mécanisme; elle indique uniquement, à l’article 50, que le Tribunal « instruit la plainte » lorsque la Commission formule une requête à cette fin. Ces facteurs donnent à penser que le législateur n’entendait pas que le Tribunal dispose du pouvoir de déclarer la Loi inopérante sur le fondement de la manière dont elle est administrée.

[56] Plus précisément, le Tribunal n’a pas compétence en ce qui concerne l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Commission aux termes du paragraphe 44(3) (rejet ou renvoi d’une plainte) et de l’article 47 (nomination d’un conciliateur) de la LCDP. Un contrôle judiciaire de la Cour fédérale est la voie qu’il convient de suivre pour contester une décision de la Commission touchant de telles questions.

[57] Au moment d’exercer son pouvoir discrétionnaire, le Tribunal ne peut pas subsidiairement remettre en question une décision que la Commission a rendue conformément au pouvoir qui lui a conféré par la loi, cette contestation doit prendre la forme d’un contrôle judiciaire :

[58] La préoccupation soulevée quant au fait que la Commission ait renvoyé la plainte en cause au Tribunal même si la majeure partie des documents litigieux avaient été retirés d’Internet constitue, dans les faits, un commentaire sur la décision de la Commission de demander au Tribunal de tenir une enquête. Le Tribunal n’a pas le mandat de formuler de tels commentaires. [Non souligné dans l’original.]

(Lemire, précité, aux paragraphes 55 à 58)

[29]  Finalement, la Commission a également renvoyé à la décision Côté c. Canada (Gendarmerie royale du Canada), 2003 TCDP 32, au paragraphe 12, (Dossier de requête de la Commission, onglet 6). Il s’agit d’une décision du membre instructeur Hadjis du Tribunal canadien des droits de la personne.

[30]  En conclusion, la Commission mentionne ce qui suit :

[traduction]

23. Essentiellement, nous prétendons respectueusement que rien dans la décision de la Commission ne donne à penser que, comme le prétend l’intimée, seule la « question de l’appareil téléphonique » a été renvoyée au Tribunal pour enquête.  L’intimée invoque des éléments non pertinents, notamment des commentaires formulés par les enquêteurs de la Commission qui ne lient pas le Tribunal. Les instances tenues devant le Tribunal sont des instances de novo. À ce titre, le  Tribunal a compétence pour enquêter sur la plainte de Mme Gover dans son intégralité et non pas uniquement sur certaines parties de la plainte.

III.  Décision

[31]  Après avoir examiné de façon exhaustive les arguments écrits des parties, de même qu’après avoir consulté la jurisprudence pertinente que les parties ont citée, le Tribunal arrive à la conclusion qu’il n’y a  pas lieu de faire droit à la requête déposée par l’intimée dans le présent dossier.

[32]  À cet égard, le Tribunal estime que le point principal dont il y a lieu de tenir compte afin de trancher la requête de l’intimée est la lettre du 3 mai 2012 adressée par la Commission canadienne des droits de la personne à la présidente du Tribunal, Mme Shirish P. Chotalia, à laquelle il est certainement très utile de faire référence.

[traduction]

Mme Chotalia,

Je vous écris pour vous informer que la Commission canadienne des droits de la personne a examiné la plainte (20041101) de Janet Glover contre  l’Agence des services frontaliers.

La Commission a décidé, en vertu de l’alinéa 44(3)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de vous demander d’instruire la plainte parce qu’elle est convaincue que, compte tenu de l’ensemble des circonstances, l’instruction de la plainte par le Tribunal est justifiée.  [Non souligné dans l’original.]

Vous trouverez ci-jointe une copie du formulaire de plainte. Le formulaire no 1, qui comporte des informations sur la plaignante et l’intimée, sera transmis par la Division des services du contentieux.

La plaignante et l’intimée seront informées qu’ils recevront du Tribunal de plus amples renseignements sur cette instance.

Je vous prie d’accepter, Madame, l’expression de mes sentiments distingués.

David Langtry 

[33]  La lecture du deuxième paragraphe de cette lettre révèle que la Commission a décidé, en vertu des dispositions de l’alinéa 44(3)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de demander au Tribunal d’instruire [traduction] « la plainte, parce qu’elle est convaincue que, compte tenu de l’ensemble des circonstances, l’instruction de la plainte est justifiée ».

[34]  De plus, une copie du formulaire de plainte a été jointe à la lettre.

[35]  Curieusement, aucune mention de cette lettre directement adressée à la présidente du Tribunal canadien des droits de la personne ne figure dans les arguments formulés par l’intimée à l’appui de sa requête visant à faire limiter la portée de la plainte qui a été renvoyée au Tribunal.

[36]  Les documents annexés à la requête de l’intimée comprennent bien une lettre datée également du 3 mai 2012, mais adressée à la plaignante et libellée dans des termes quelque peu différents de celle de la lettre adressée à la présidente du Tribunal canadien des droits de la personne.

[37]  Cette nuance apparait vitale quant à la survie de la requête de l’intimée. 

[38]  En effet, il ressort que, sur le plan juridique, seule la lettre adressée par la Commission canadienne des droits de la personne à la présidente du Tribunal canadien des droits de la personne confère au Tribunal tous les pouvoirs que la Loi prévoit à l’alinéa 44(3)a) et à l’article 49 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

44. (3) Sur réception du rapport d’enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :

a) peut demander au président du Tribunal de désigner, en application de l’article 49, un membre pour instruire la plainte visée par le rapport, si elle est convaincue :

(i) d’une part, que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci est justifié,

(ii) d’autre part, qu’il n’y a pas lieu de renvoyer la plainte en application du paragraphe (2) ni de la rejeter aux termes des alinéas 41c) à e);

49 (1) La Commission peut, à toute étape postérieure au dépôt de la plainte, demander au président du Tribunal de désigner un membre pour instruire la plainte, si elle est convaincue, compte tenu des circonstances relatives à celle-ci, que l’instruction est justifiée.

(2) Sur réception de la demande, le président désigne un membre pour instruire la plainte. Il peut, s’il estime que la difficulté de l’affaire le justifie, désigner trois membres, auxquels dès lors les articles 50 à 58 s’appliquent.

(3) Le président assume lui-même la présidence de la formation collégiale ou, lorsqu’il n’en fait pas partie, la délègue à l’un des membres instructeurs.

(4) Le président met à la disposition des parties un exemplaire des règles de pratique.

(5) Dans le cas où la plainte met en cause la compatibilité d’une disposition d’une autre loi fédérale ou de ses règlements d’application avec la présente loi ou ses règlements d’application, le membre instructeur ou celui qui préside l’instruction, lorsqu’elle est collégiale, doit être membre du barreau d’une province ou de la Chambre des notaires du Québec.

(6) Le fait qu’une partie à l’enquête soulève la question de la compatibilité visée au paragraphe (5) en cours d’instruction n’a pas pour effet de dessaisir le ou les membres désignés pour entendre l’affaire et qui ne seraient pas autrement qualifiés pour l’entendre.

[Non souligné dans l’original.]

[39]  En effet, aucun document, autre que la lettre adressée directement à la présidente du Tribunal et à aucune autre personne, n’est utile ou nécessaire pour attribuer au Tribunal le pouvoir de procéder à une enquête qui lui est confiée par la Commission canadienne des droits de la personne. 

[40]  Le Tribunal s’appuie notamment sur une récente décision qui a été rendue par Mme Sophie Marchildon, juge administrative au Tribunal canadien des droits de la personne, dans Premakumar Kanagasabapathy c. Air Canada, 2013 TCDP 7.

[41]  Dans cette décision la juge administrative Marchildon a eu à débattre des mêmes questions que celles du présent dossier.

[42]  Concernant la question de la nature déterminante de la lettre adressée à la présidente, Mme Marchildon mentionne ce qui suit au paragraphe 29 de sa décision : 

[29] À mon avis, compte tenu du libellé du paragraphe 49(1), la « meilleure preuve » de la demande d’instruction qu’a présentée la Commission à la présidente est ceci : la lettre que la Commission a envoyée à la présidente pour lui demander d’instruire la plainte. Dans la présente instance, la lettre de demande d’instruction est signée par le président par intérim, mais, chose plus importante encore, elle est adressée à la présidente du Tribunal. Il s’agit du document qui met en branle tout le processus d’instruction du Tribunal. Il s’agit donc du document qui permet d’établir si la plainte a été renvoyée dans son intégralité ou non.

[43]  Dans le même ordre d’idée, la juge administrative Marchildon fait également référence à différentes décisions, dont Côté c. Procureur général du Canada, 2003 TCDP 32 et Kowalski c. Ryder Integrated Logistics, 2009 TCDP 22, qui traitent également de questions similaires à celles du présent dossier.

[44]  Dans Kowalski, le membre instructeur Hadjis s’est exprimé comme suit en ce qui a trait à la compétence du Tribunal d’instruire des plaintes en vertu de l’article 49 de la Loi :

[7] Le Tribunal tire sa compétence pour instruire des plaintes de l'article 49 de la Loi, en vertu duquel le président du Tribunal doit instruire une plainte sur réception de la demande de la Commission (paragraphe 49(2)). La portée des instructions du Tribunal est ainsi limitée aux questions soulevées dans les plaintes qui accompagnent une telle demande.

[8] La Commission a-t-elle renvoyé toute la plainte de M. Kowalski au Tribunal en l'espèce? La Commission n'a pas mentionné, dans sa lettre au président du Tribunal, qu'elle avait décidé de limiter la portée de la plainte. Cela donne donc à penser que la Commission a renvoyé au Tribunal la plainte complète, comme M. Kowalski l'a présentée le 20 avril 2007.

[45]  Dans la décision Kowalski, le membre instructeur Hadjis fait également référence à l’affaire Côté c. Procureur Général du Canada, 2003, TCDP 32, dans laquelle le libellé de la lettre de la Commission au président du Tribunal ne permettait aucunement de supposer que seulement certaines parties de la plainte étaient renvoyées. Par conséquent, le membre instructeur Hadjis a conclu que le Tribunal était saisi de la plainte dans son intégralité.

[46]  Il est utile de mentionner que, contrairement à la décision Kowalski, dans le présent dossier, tout comme dans la décision Côté, rien n’indique que la Commission a décidé de ne pas traiter certaines allégations figurant dans la plainte dont elle était saisie.

[47]  De plus, en ce qui a trait à l’argument voulant que le Tribunal doive tenir compte des motifs invoqués par la Commission canadienne des droits de la personne à l’appui de sa décision, j’estime qu’il est inutile que le Tribunal traite des facteurs étayant les rapports d’enquête qui figurent dans le dossier de la plaignante, car, si le Tribunal faisait cela, il se trouverait à réviser les motifs de la Commission, ce qu’il n’a pas le pouvoir de faire selon la décision rendue par la Cour fédérale dans Warman c. Lemire, [2012] A.C.F. 1233, aux paragraphes 56 à 58.

[48]  Par conséquent, compte tenu du libellé de la lettre datée du 3 mai 2012 adressée à la présidente du Tribunal de l’époque, Mme Shirish P. Chotalia, laquelle ne fait aucune distinction en ce qui a trait à l’une ou l’autre partie de la plainte et ne fait aucune mention d’un rejet d’une quelconque partie de la plainte, j’en viens donc à la conclusion que la plainte, y compris la question du traitement/salaire, a été renvoyée dans son intégralité au Tribunal aux fins d’enquête et audition.

[49]  Par conséquent, la requête de l’intimée est rejetée.

Signée par

Robert Malo

Membre du tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 24 mai 2013

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