Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Tribunal canadien des droits de la personne

Entre :

Stacey Lee Tabor

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

La Première nation Millbrook

l'intimée

Décision sur requête

Membre : Sophie Marchildon

Date : Le 10 avril 2013

Référence : 2013 TCDP 9


[1]               Le 7 mars 2011, la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) a demandé à la présidente du Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal), en application de l’alinéa 44(3)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi), d’instruire les deux plaintes de Stacey Lee Tabor (la plaignante) déposées contre la Première nation Millbrook (l’intimée).

[2]               Dans sa première plainte, déposée à la Commission le 21 mai 2008, la plaignante soutient que l’intimée a fait preuve de discrimination, au sens des articles 7 et 10 de la Loi, fondée sur le sexe et sur l’état matrimonial. Dans sa deuxième plainte, déposée à la Commission le 16 janvier 2009, la plaignante soutient que l’intimée a exercé des représailles envers elle parce qu’elle avait déposé sa première plainte, au sens de l’article 14.1 de la Loi.

[3]               Pendant une téléconférence de gestion d’instance qui a été tenue le 25 février 2013, l’avocat de la plaignante a avisé le Tribunal de son intention de déposer une requête en modification des plaintes pour y ajouter d’autres allégations de représailles. La présente décision porte sur cette requête.

I.                   La modification des plaintes

[4]               Il est bien établi que le Tribunal a le pouvoir de modifier une plainte « aux fins de déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties » (Canderel Ltd. c. Canada, [1994] 1 CF 3 (CAF); cité dans Canada (Procureur général) c. Parent, 2006 CF 1313, au paragraphe 30). Pour décider s’il doit autoriser la modification, le Tribunal n’examine pas en détail le fond de la modification proposée. En règle générale, on devrait autoriser une modification, à moins qu’il soit manifeste et évident que les allégations faisant l’objet de la demande de modification ne sauraient être jugées fondées (voir Bressette c. Conseil de bande de la première nation de Kettle et Stony Point, 2004 TCDP 2, au paragraphe 6 [Bressette]; et Virk c. Bell Canada, 2004 TCDP 10, au paragraphe 7 [Virk]).

[5]               Cela dit, une modification ne peut pas servir à introduire fondamentalement une nouvelle plainte, étant donné que cela contournerait le processus de renvoi prévu par la Loi (voir Gaucher c. Forces armées canadiennes, 2005 TCDP 1, aux paragraphes 7 à 9; et, Cook c. Première nation d’Onion Lake, 2002 CanLII 45929 (TCDP), aux paragraphes 11). La modification proposée doit être liée, du moins par le plaignant, aux allégations qui ont donné lieu à la plainte initiale (voir Virk, au paragraphe 7; Tran, Cam-Linh (Holly) c. Agence du revenu du Canada, 2010 TCDP 31, au paragraphe 17-18; et Société du soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada (pour le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2012 TCDP 24, au paragraphe 16 [SSEFPN et al.])

[6]               De plus, il faut examiner s’il pourrait y avoir préjudice lorsqu’une modification est proposée. Une modification ne doit pas être autorisée « [si elle] cause un préjudice à l’intimé » (Parent, au paragraphe 40).

II.                La décision sur requête

[7]               La plaignante soutient que sa famille et elle ont été victimes de représailles depuis qu’elle a déposé sa plainte à la Commission en 2008. En somme, elle soutient que : l’admissibilité de sa famille aux prestations versées par le programme d’aide sociale de l’intimée n’a pas correctement été évaluée; l’intimée l’a accusée à tort d’avoir fraudé l’aide sociale et a résisté aux efforts déployés pour résoudre la question; l’intimée a refusé à la plaignante et à son fils le droit d’occuper la résidence du défunt père de la plaignante dans la réserve de la Première nation Millbrook; son mari et elle ont eu beaucoup de difficulté à obtenir du financement, auquel ils auraient dû avoir droit, pour accroître leurs qualifications professionnelles. La plaignante soutient que ces problèmes ne sont apparus qu’après qu’elle a déposé sa plainte en 2008.

[8]               À l’appui de ses allégations selon lesquelles elle a été victime d’autres actes de représailles commis par l’intimée, la plaignante a déposé un résumé des événements pour lesquels elle présente des allégations supplémentaires et a présenté des documents à l’appui de ces allégations. Entre autres, la plaignante soutient que les problèmes en ce qui a trait à la détermination des prestations d’aide sociale auxquelles sa famille avait droit ainsi que le refus de l’intimée d’accorder des prestations sociales à son mari ont débuté en 2008 et se poursuivent. Cette période correspond au dépôt de sa première plainte. Toutes ses allégations supplémentaires visent la même intimée que dans sa plainte initiale et elle soutient que les actes de représailles allégués sont liés au dépôt de cette plainte initiale. Pour cette question, la plaignante a présenté un argument soutenable quant aux représailles, a lié ces représailles aux allégations qui ont entraîné le dépôt de sa première plainte, et il n’est pas manifeste et évident que les allégations faisant l’objet de la demande de modification ne sauraient être jugées fondées.

[9]               L’intimée soutient que la plaignante, en présentant des allégations supplémentaires de représailles, n’a pas clairement indiqué les mesures de redressement qu’elle demande ni les motifs sur lesquels elle se fonde, au sens de l’alinéa 3(1)c) des Règles de procédure du Tribunal (03-05-04). Cependant, la plaignante soutient que les mesures de redressement qu’elle demande sont déjà établies dans la première plainte et que les allégations supplémentaires quant aux représailles visent à renforcer sa demande de redressement. D’après la Commission, la seule question à trancher dans la présente requête est celle de savoir si la plainte devrait être modifiée pour permettre l’ajout d’une deuxième plainte de représailles.

[10]           La plaignante a clairement établi les mesures de redressement qu’elle demande lors de la téléconférence de gestion d’instance qui a eu lieu le 25 février 2013 : faire modifier les plaintes pour ajouter des allégations supplémentaires de représailles. Par conséquent, conformément au calendrier établi pour la présentation d’observations écrites, la plaignante a fourni, le 28 février 2013, ses motifs justifiant sa demande de modification. L’intimée a présenté sa réponse le 6 mars 2013. La plaignante a déposé sa réponse les 11 et 15 mars 2013, et la Commission a présenté ses observations le 21 mars 2013. En réponse à une communication supplémentaire le 19 mars 2013, le Tribunal a aussi accordé à l’intimé l’occasion de fournir des observations supplémentaires quant à la requête en modification de la plainte et a précisé que le fond des allégations supplémentaires de représailles serait examiné à l’audience si la requête en modification de la plainte était accueillie. Par conséquent, par la tenue de la téléconférence de gestion d’instance et la présentation d’observations écrites des autres parties, l’intimée a été avisée des mesures de redressement demandées et des motifs de la requête en modification de la plaignante. L’intimée a eu la possibilité pleine et entière d’y répondre. L’intimée n’a subi aucun préjudice à ce sujet.

[11]           L’intimé soutient aussi que, plutôt de permettre à la plaignante de modifier sa plainte, le Tribunal devrait l’obliger à respecter la procédure quant aux plaintes qui est établie à l’article 40 de la Loi et exiger que la plaignante dépose une plainte de représailles distincte à la Commission. Selon l’intimée, le processus d’examen des plaintes de la Commission comprend des étapes procédurales qui pourraient régler la question avant qu’elle ne se rende au Tribunal. De plus, l’intimée soutient qu’elle ne devrait pas être privée de ces étapes procédurales. Dans un autre ordre d’idées, la Commission souligne que, si la modification n’est pas accordée, il sera peut-être nécessaire de tenir une audience distincte pour répondre aux allégations de représailles. La Commission soutient que cela irait à l’encontre des principes de l’administration de la justice et de l’économie judiciaire. La Commission ajoute que, de toute façon, l’intimée ne subira pas de préjudice si la modification est accordée, parce qu’elle aura amplement l’occasion de répondre aux allégations de représailles devant le Tribunal.

[12]           Dans le contexte d’une requête en modification d’une plainte pour y ajouter des allégations de représailles, le Tribunal a déjà déclaré : « [i]l ne devrait pas être nécessaire que des allégations voulant que des représailles aient été exercées à la suite d’une plainte donnent lieu à une instance distincte » (Bressette, au paragraphe 6). Comme la Commission d’enquête de l’Ontario l’a déclaré dans Entrop v. Imperial Oil Ltd. (No. 3), (1994) 23 C.H.R.R. D/186, au paragraphe 9 :

[traduction]

Il ne serait pas pratique, efficace et juste d’exiger qu’une personne ne soulève des allégations de représailles que dans le cadre d’une instance distincte. Cela l’obligerait à retourner au bout de la file pour qu’il y ait enquête, conciliation et traitement de questions qui sont fondamentalement liées à une instance déjà en cours. Dans la mesure où les représailles visent à intimider ou à forcer un plaignant à renoncer au respect de ses droits prévus par le Code, cela entraverait l’intégrité de la procédure initiale et dévaloriserait l’objet évident du Code de protéger les plaignants des conséquences négatives qui peuvent survenir parce qu’ils ont demandé la protection prévue par le Code.

[13]           Par conséquent, « il est logique que la preuve relative à des actes commis en représailles du dépôt d’une plainte en matière de droits de la personne soit entendue dans le contexte de l’audience de cette même plainte » (Karen Schuyler c. Oneida Nation of the Thames, 2005 TCDP 10, au paragraphe 8, voir aussi SSEFPN et al., au paragraphe 16).

[14]           Bien que l’intimée ne reçoive pas l’avantage d’une enquête et d’un rapport de la Commission au sujet des allégations supplémentaires de représailles soulevées par la plaignante, elle aura néanmoins l’occasion pleine et entière de répondre à ces allégations. Tout préjudice à ce sujet peut être soulevé par l’intimée par la présentation d’un exposé des précisions modifié en réponse à l’exposé des précisions modifié de la plaignante. Cela permettra aussi à l’intimée de souligner les allégations de la plaignante qui, à son avis, ne sont pas claires, sont difficiles à suivre ou portent sur le traitement allégué d’autres personnes que la plaignante.

[15]           Pour les motifs qui précèdent, la requête en modification des plaintes est accueillie. Les parties doivent déposer des énoncés des précisions modifiés en fonction d’un calendrier qui sera établi lors de la prochaine téléconférence de gestion d’instance le 12 avril 2013.

Signée par

Sophie Marchildon

Juge administrative

Ottawa (Ontario)

Le 10 avril 2013

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T1658/1311 et T1659/1411

Intitulé de la cause : Stacey Lee Tabor c. La Première nation Millbrook

Date de la décision sur requête du tribunal : Le 10 avril 2013

Comparutions :

Gary A. Richard, pour la plaignante

Sarah Pentney, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Ellen R. Sampson, pour l'intimée

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