Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien des droits de la personne

Entre :

Jozef Otto Antalik et al.

les plaignants

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

La Commission

- et -

British Columbia Maritime Employers Association

- et -

International Longshore and Warehouse Union

les intimés

Décision sur requête

Membre : Wallace G. Craig

Date : Le 27 mars 2013

Référence : 2013 TCDP 8

 



I.                   Introduction

[1]               Le 20 décembre 2012, l’intimée British Columbia Maritime Employers Association (la BCMEA) a déposé une requête préliminaire en vue d’obtenir le rejet des plaintes de discrimination (les plaintes) déposées contre elle par plusieurs débardeurs (les plaignants). À l’appui de sa demande, la BCMEA a présenté un affidavit d’Eleanor Marynuik, vice‑présidente, Ressources humaines, BCMEA, souscrit le 12 décembre 2012 (l’affidavit de Mme Marynuik).

[2]               Le 16 janvier 2013, International Longshore and Warehouse Union (le syndicat) a déposé une lettre officielle datée du 2 janvier 2013, qui constituait sa demande de rejet des plaintes. La demande du syndicat est fondée sur les faits figurant dans l’affidavit de Mme Marynuik.

[3]               Le 21 janvier 2013, la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) a déposé son mémoire dans lequel elle demandait le rejet de la requête.

[4]               Le 23 janvier 2013, le syndicat a déposé une lettre supplémentaire en réponse au mémoire de la Commission.

II.                Les Plaintes

[5]               Dans les plaintes, il est allégué que les plaignants ont été victimes de discrimination fondée sur l’âge, en violation des articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi), en raison de la cessation de leur emploi à l’âge de 65 ans. Chacun des plaignants a été obligé de prendre sa retraite pendant la période allant du 1er mai 2009 au 1er juin 2010.

Article 7

Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :
a)         de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;
b)         de le défavoriser en cours d’emploi.

Article 10

Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite et s’il est susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus, le fait, pour l’employeur, l’association patronale ou l’organisation syndicale :
a)         de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite;

[…]

[6]               Les intimés invoquent l’alinéa 15(1)c) pour justifier la cessation de l’emploi des plaignants à l’âge de 65 ans.

Article 15(1)
Ne constituent pas des actes discriminatoires :
[…]

c)         le fait de mettre fin à l’emploi d’une personne en appliquant la règle de l’âge de la retraite en vigueur pour ce genre d’emploi;

III.             Le fondement des requêtes en rejet des plaintes

[7]               Le syndicat a formulé ainsi la question dont le Tribunal est saisi :

[traduction]

Lors du dépôt des plaintes et de leur renvoi au Tribunal par le Commission, il y avait de l’incertitude quant à la constitutionnalité de l’alinéa 15(1)c). Cette incertitude a été éliminée lorsque la Cour d’appel fédérale s’est prononcée dans l’affaire Association des pilotes d’Air Canada c. Robert Neil Kelly et al., 2012 CAF 209 (Air Canada). Par conséquent, la seule question à trancher par le Tribunal est celle de savoir si 65 ans était l’âge de la retraite en vigueur au sens de l’alinéa 15(1)c). […] (Le texte n'est pas en caractères gras dans l'original)

L’analyse statistique figurant dans l’affidavit de Mme Marynuik, aux paragraphes 27 à 30, établit que l’âge de la retraite en vigueur pour les débardeurs était de 65 ans ou moins pendant la période pertinente.

[8]               La BCMEA invoque aussi l’arrêt Air Canada, en mentionnant que [traduction] « […] pendant toute la période pertinente, la retraite obligatoire était permise en vertu de la (Loi), et elle continue de l’être. » (Le texte n'est pas en caractères gras dans l'original)

IV.             La décision de la Cour d’appel fédérale dan l’arrêt Air Canada

[9]               L’arrêt Air Canada rendu par la Cour d’appel fédérale est déterminant pour ce qui est des questions soulevées dans les requêtes préliminaires des intimés en vue d’obtenir le rejet des plaintes. La Cour a examiné la question de savoir si l’alinéa 15(1)c) portait atteinte à la protection offerte par la Constitution contre les mesures discriminatoires fondées sur l’âge, mais était néanmoins constitutionnellement valide, vu qu’il se défendait au regard de l’article premier de la Charte.

[10]           Dans l’arrêt Air Canada, la Cour d’appel fédérale a statué que, conformément à la règle du stare decisis, elle devait se conformer à la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229, [1990] A.C.S. no 122 (McKinney), et que le Tribunal et la Cour fédérale étaient liés par l’arrêt McKinney.

[11]           L’arrêt McKinney portait sur une disposition du Code des droits de la personne de l’Ontario, qui autorisait la mise à la retraite obligatoire. La Cour suprême du Canada a statué que, même si la disposition portait atteinte à la protection offerte par la Constitution contre les mesures discriminatoires fondées sur l’âge, elle était néanmoins constitutionnellement valide, car elle se défendait au regard de l’article premier de la Charte.

[12]           L’arrêt Air Canada portait sur la retraite obligatoire à l’âge de 60 ans des pilotes George Vilven et Robert Kelly selon les modalités d’une convention collective et d’un régime de pension établis entre Air Canada et l’Association des pilotes d’Air Canada. Chacun des pilotes a déposé une plainte en vertu de la Loi : M. Vilven, en 2004, et M. Kelly, en 2006. Le Tribunal a entendu leurs plaintes ensemble en 2007. Air Canada et l’Association des pilotes d’Air Canada se sont fondés sur l’exception à la règle en matière de discrimination fondée sur l’âge prévue à l’alinéa 15(1)c). Le Tribunal a décidé que, compte tenu des circonstances particulières de l’affaire, l’arrêt McKinney n’était plus une décision ayant force obligatoire; et, lorsqu’elle a examiné l’affaire, la Cour fédérale a confirmé la décision du Tribunal, mais n’a pas déclaré que l’alinéa 15(1)c) était invalide. Elle a plutôt effectué une analyse détaillée expliquant pourquoi l’affaire McKinney ne s’appliquait pas aux plaintes de MM. Vilven et Kelly.

V.                Le résumé du litige

A.                La compétence du Tribunal pour statuer sur la requête préliminaire des intimés visant le rejet des plaintes

[13]           La BCMEA a cité la décision Canada (Commission des droits de la personne) c. Société canadienne des postes, 2004 A.C.F. n439, 2004 CF 81 (confirmée par 2004 CAF 363) comme précédent expliquant la compétence qu’a le Tribunal pour entendre des requêtes préliminaires. La Cour fédérale a conclu que, même s’il n’y a pas de disposition particulière dans la Loi à ce sujet, le Tribunal a compétence pour rejeter, sur requête préliminaire, une plainte qui lui est renvoyée par la Commission.

[14]           Je conclus que j’ai compétence pour examiner les requêtes préliminaires des intimés. J’accepte la déclaration de l’avocat du syndicat, lorsqu’il affirme que [traduction] « la question à trancher est restreinte et les faits qui sous-tendent les requêtes sont simples. »

B.                 L’affidavit de Mme Marynuik : faits pertinents

[15]           L’affidavit de Mme Marynuik établit les faits et les circonstances qui suivent :

1.                  La BCMEA est l’agent négociateur représentant ses sociétés membres.

2.                  Les débardeurs employés par les sociétés membres de la BCMEA font le chargement et le déchargement de la cargaison de navires dans tous les ports de la Colombie‑Britannique.

3.                  Les débardeurs en Colombie‑Britannique ne travaillent pas dans d’autres ressorts.

4.                  La BCMEA négocie une convention collective cadre avec le syndicat et administre l’application de la convention collective en collaboration avec diverses sections locales du syndicat.

5.                  Les plaignants, qu’il s’agisse de membres du syndicat ou de travailleurs occasionnels, étaient protégés par la convention collective.

6.                  Les dates de dépôt de chacune des plaintes de discrimination :

           Jozef Antalik – 15 avril 2010

           Werner Hofer – 15 septembre 2009

           Dennis Horgan – 20 janvier 2010

           Bob Kopeck – 22 septembre 2010

           Kenneth Geroge Martens – 25 novembre 2010

           David Williams Gibbs – 19 novembre 2010

           Enricco Diricco – 25 novembre 2010

7.                  Pendant la période allant de 1989 à l’automne 2010, les plaignants étaient employés conformément à une convention collective qui ne comportait pas de limite d’âge pour la retraite. La convention collective comportait toutefois une disposition portant sur les pensions, à l’article 13 - PENSIONS. [traduction] « 13.01 Les mécanismes de pension s’appliquant aux employés visés par la présente convention sont énoncés dans le Waterfront Industry Pension Plan et la Waterfront Industry Pension Agreement. » Les mécanismes de pension s’appliquant aux membres du syndicat, dont les plaignants, ont été établis en vertu de la convention collective et sont régis par le Waterfront Industry Pension Plan (WIPP).

8.                  Pendant la période allant de 1989 à l’automne 2010, selon le WIPP, l’âge de la retraite en vigueur était 65 ans. Les plaignants ont eu 65 ans aux dates suivantes et, le premier jour du mois suivant, ils ont cessé de pouvoir effectuer le travail de débardeur :

           M. Hofer – 17 avril 2009

           M. Horgan – 24 juin 2009

           M. Diricco – 7 juillet 2009

           M. Gibbs – 14 décembre 2009

           M. Kopeck – 1er janvier 2010

           M. Antalik – 19 mars 2010

           M. Martens – 15 mai 2010

9.                  En septembre 2010, les fiduciaires du WIPP ont présenté des modifications au régime de pension au Surintendant des institutions financières du Canada, lesquelles modifications permettaient aux débardeurs qui atteignaient l’âge de 65 ans après le 31 octobre 2010 de prendre leur retraite ou de continuer à travailler et de prendre leur retraite après 65 ans. Dans le WIPP modifié, il est indiqué que l’âge de la retraite en vigueur est 65 ans.

10.              Le 2 novembre 2010, la BCMEA a informé les débardeurs qu’à compter du 1er novembre 2010, ils pouvaient travailler après l’âge de 65 ans; la BCMEA a aussi informé tous les travailleurs qui avaient pris leur retraite entre le 1er novembre 2009 et le 1er novembre 2010 qu’ils pouvaient choisir de reprendre le travail. Le plaignant M. Gibbs n’a pas répondu et le plaignant M. Antalik a répondu, mais a choisi de ne pas travailler.

11.              En 2010, 4 662 débardeurs travaillaient pour des employeurs membres de la BCMEA.

12.              Jusqu’au 1er novembre 2010, la totalité des débardeurs avait pris leur retraite au plus tard à l’âge de 65 ans, comme le prévoyait le WIPP, et un grand nombre d’entre eux avaient pris leur retraite avant 65 ans.

13.              Pendant la période allant de 1989 à l’automne 2010, les contremaîtres du syndicat avaient des mécanismes de pension semblables à ceux des débardeurs, qui prévoyaient la mise à la retraite obligatoire au plus tard à 65 ans.

14.              L’affidavit de Mme Marynuik comporte une analyse statistique du nombre total de débardeurs, qu’il s’agisse de membres du syndicat, de travailleurs occasionnels versant des cotisations à la fiducie de bien‑être ou de travailleurs occasionnels – que l’on envoyait quotidiennement travailler pour les employeurs membres de la BCMEA – qui ont pris leur retraite à 65 ans ou avant pendant la période allant du 1er janvier 2005 au 31 octobre 2010. L’analyse est fondée sur les données tirées du système interne de renseignements sur les ressources humaines pour le Waterfront de la BCMEA, lequel comprend des renseignements tels que les dates de naissance et les dates auxquelles le statut des débardeurs est passé de celui d’employé actif à celui d’employé retraité.

[16]           Je conclus qu’Eleanor Marynuik connaît très bien le secteur du débardage en Colombie‑Britannique, particulièrement en ce qui a trait à la convention collective entre la BCMEA et le syndicat, et les modalités d’emploi des débardeurs. Son affidavit est étayé par la preuve, convaincant et exhaustif.

[17]           L’affidavit de Mme Marynuik fournit un fondement factuel pour la période au cours de laquelle les plaignants ont pris leur retraite; et il sous‑tend les requêtes en rejet des plaintes présentées par la BCMEA et le syndicat. De plus, l’affidavit de Mme Marynuik tient compte des allégations de discrimination des plaignants et les contredit.

[18]           Dans sa lettre du 23 janvier 2013, dans laquelle il a répondu aux observations écrites présentées par la Commission sur cette requête, M. Bruce Laughton, c.r., l’avocat du syndicat, a mentionné que [traduction] « La requête vise essentiellement à affirmer que les plaignants n’ont aucune chance d’avoir gain de cause sur le fond, étant donné qu’ils ne peuvent pas contester que 65 ans est l’âge de la retraite en vigueur pour les personnes qui sont dans une situation semblable à la leur. [...] Cette requête n’empêche en rien les plaignants de traiter de la question. Ils ont le droit de déposer leurs propres affidavits et de présenter des faits qui contesteraient la thèse du syndicat. […] ni les plaignants ni la Commission ne se sont prévalus de cette possibilité. […] »

C.                Est-ce que 65 ans était l’âge de la retraite en vigueur pendant la période pertinente?

[19]           Selon l’article 7 et l’alinéa 10a) de la Loi, il est discriminatoire de refuser de continuer d’employer un individu du fait de son âge ou de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite qui annihilent les chances d’emploi d’un individu du fait de son âge.

[20]           La mise à la retraite des plaignants était prescrite par les dispositions en matière de pension figurant dans la convention collective; les dispositions sont indissociables de leur emploi et de leur retraite en tant que débardeurs; les dispositions permettaient aux débardeurs d’avoir la certitude qu’ils toucheraient un revenu et auraient droit à une pension. Je conclus que la conséquence de ces dispositions contractuelles établies depuis longtemps, soit la mise à la retraite obligatoire des plaignants, n’était pas un acte discriminatoire fondé sur l’âge au regard des articles 7 et 10 de la Loi.

[21]           Plus important encore, les intimés ont soutenu [traduction] « [...] que l’exception au principe de l’âge de la retraite en vigueur prévue à l’alinéa 15(1)c) s’applique eu égard aux circonstances des plaignants. […] [une] exception […] qui suffit pour trancher les plaintes sur le fond. »

[22]           Pour que l’exception soit admise, les intimés doivent indiquer un groupe de comparaison comportant des postes semblables à ceux qu’occupaient les plaignants ou bien se fonder sur le caractère singulier du secteur du débardage en Colombie-Britannique. Il n’y a pas de groupe de comparaison comportant des postes semblables à des terminaux portuaires dans la province. Cependant, en raison de la position singulière et dominante qu’occupent la BCMEA et le syndicat, je conclus que le groupe de comparaison correspond à l’ensemble des débardeurs membres du syndicat qui sont employés par la BCMEA. Une décision anormale de ce genre a été jugée appropriée dans la décision Vilven c. Air Canada, [2009] A.C.F. no 475, confirmée en appel dans l’arrêt Air Canada.

[23]           La précision, dans la section portant sur le WIPP dans la convention collective, que l’âge normal de la retraite est 65 ans dans le secteur du débardage en Colombie‑Britannique, est logique : elle a pour effet de définir que l’âge de la retraite en vigueur est de 65 ans; et les données statistiques figurant dans l’affidavit de Mme Marynuik me convainquent que l’âge de la retraite en vigueur était de 65 ans au cours de la période allant de 2005 à 2010.

VI.             La décision sur requête

Pour les motifs qui précèdent et compte tenu des conclusions que j’ai tirées, je conclus qu’en obligeant les plaignants à prendre leur retraite à l’âge de 65 ans, les intimés n’ont pas commis un acte discriminatoire au sens des articles 7 et 10 de la Loi. Par conséquent, les requêtes des intimés sont accueillies et les plaintes sont rejetées.

Signée par

Wallace G. Craig

Membre du tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 27 mars 2013

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossiers du tribunal : T1734/8911, T1735/9011, T1736/9111, T1737/9211, T1738/9311, T1739/9411, T1740/9511, T1741/9611, T1742/9711, T1744/9911, T1745/10011, T1750/10511

Intitulé de la cause : Josef Otto Antalik et al. c. British Columbia Maritime Employers Association et International Longshore and Warehouse Union

Date de la décision sur requête du Tribunal : Le 27 mars 2013

Comparutions :

Werner Hofer, David Gibbs, pour les plaignants

Daniel Poulin, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Marino Sveinson, pour British Columbia Maritime Employers Association

Bruce Laughton, Q.C., pour International Longshore and Warehouse Union

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