Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien des droits de la personne

Entre :

Harjinder Kaur Rai

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

Commission

- et -

La Gendarmerie royale du Canada

l'intimée

Décision sur requête

Membre : Sophie Marchildon

Date : Le 20 mars 2013

Référence : 2013 TCDP 6

 



[1]               Le 16 mars 2012, conformément à l’alinéa 44(3)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (la Loi), la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) a demandé au président du Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) d’instruire la plainte déposée par Harjinder Kaur Rai (la plaignante) à l’encontre de la Gendarmerie royale du Canada (la GRC ou l’intimée). La plaignante allègue avoir été victime de discrimination fondée sur le sexe et la déficience au sens des articles 7, 10 et 14 de la Loi.

[2]               La décision qui suit a trait à une demande de l’intimée sollicitant la communication de documents détenus par la plaignante.

I.                   Le contexte

[3]               Entre autres choses, la plaignante allègue que l’intimée a négligé d’atténuer les effets du harcèlement et de la discrimination dont elle a été victime ou de prendre des mesures pour prévenir de tels actes. À cet égard, elle a soulevé dans sa plainte la question de sa santé mentale liée à la dépression et à l’anxiété et à leurs causes.

[4]               Le 24 janvier 2013, l’intimée a demandé à la plaignante de lui fournir deux types de documents importants : des documents médicaux et des documents relatifs à une action pour préjudice corporel liée à son accident de véhicule survenu en 2007.

II.                Les positions des parties

A.                Documents médicaux depuis le 1er avril 2007

[5]               Selon l’intimée, la plaignante a allégué avoir subi des actes de harcèlement, à compter de l’an 2000, qui lui ont causé des problèmes de santé. Toutefois, l’intimée prétend que les documents médicaux transmis et produits par la plaignante remontent à 2009 seulement.

[6]               L’intimée souhaite examiner s’il existe d’autres problèmes de santé ayant miné la santé mentale de la plaignante dans les circonstances donnant lieu à sa plainte. Plus précisément, le 1er avril 2007, la plaignante a survécu à un accident de la route. Elle a pris six semaines de congé pour se rétablir de cet accident. Selon l’intimée, l’accident semble marquer le début des problèmes physiques et émotionnels de la plaignante.

[7]               L’intimée soutient que les documents que la plaignante a déjà produits démontrent que son diagnostic de douleur chronique lié à son accident de la route comporte un élément psychologique. Selon l’intimée, le Dr Badii, l’expert médical de la plaignante dans sa demande d’indemnisation de dommages résultant d’un accident de la route survenu en 2008, a indiqué que les difficultés de la plaignante à se remettre de ses blessures aux tissus mous et du développement d’une douleur chronique étaient liées à ses facteurs de risque préexistants (sexe féminin, antécédents de stress et de dépression). L’intimée soutient que le médecin avait recommandé à la plaignante de consulter un [traduction] « psychiatre ou un psychologue pour déterminer si les blessures physiques associées à un accident de la route et les symptômes psychiatriques ont eu une incidence d’une façon ou d’une autre sur sa capacité à faire face à des situations conflictuelles au travail et, par conséquent, s’il y a eu un effet négatif sur son aptitude à retourner au travail d’un point de vue psychiatrique ».

[8]               L’intimée demande également la divulgation des parties du dossier du Dr Bredenkamp, le médecin de famille de la plaignante, qui lui avaient été transmises dans une version épurée. Selon l’intimée, les parties épurées comportaient 18 pages vierges, plutôt que des lignes supprimées sur des pages de graphiques. Elle soutient que l’ensemble du dossier du DBredenkamp est pertinent.

[9]               Par souci de précision, la plaignante soutient qu’elle ne prétend pas ne pas avoir souffert de problèmes psychologiques avant 2008. Elle affirme plutôt ne pas avoir demandé à être traitée pour des problèmes psychologiques avant 2008. À cet égard, elle affirme avoir communiqué les dossiers des Drs Sanders et Babbage, psychiatres, et de M. Flamer, psychologue. L’intimée a aussi demandé les dossiers de M. Ratheberger, psychologue, mais la plaignante soutient avoir déployé des efforts afin d’obtenir ces dossiers auprès de ce dernier, qui a affirmé à l’avocat de la plaignante que ces dossiers n’existent pas. L’intimée a également demandé les dossiers de M. Nemetz, psychologue. Toutefois, la plaignante ne se souvient pas avoir consulté ce psychologue et n’a aucun dossier de celui-ci en sa possession.

[10]           En ce qui concerne son état de santé à la suite de l’accident de la route survenu en 2008, la plaignante affirme avoir divulgué les parties du dossier médical de son médecin de famille qui avaient trait aux blessures des tissus mous et à la douleur chronique qu’elle a développées après l’accident. Elle prétend aussi avoir communiqué les dossiers médicaux ou l’opinion des fournisseurs de soins qui avaient pris des notes au sujet de sa santé mentale, qu’elle avait en sa possession.

[11]           La plaignante soutient que l’intimée a omis de justifier pourquoi elle exige des documents médicaux concernant d’autres éléments de la santé de la plaignante. En outre, elle affirme que rien n’indique dans l’exposé des précisions de l’une ou l’autre des parties qu’une preuve médicale antérieure au 25 octobre 2008 est pertinente en l’espèce. Selon la plaignante, ce n’est pas l’intégralité de ses antécédents médicaux qui est en litige, mais seulement ses problèmes de santé mentale liés à la dépression et à l’anxiété et à leurs causes. Elle prétend que l’intimée a omis de justifier sa demande de documents antérieurs à l’accident de la route; cette dernière a simplement affirmé que la date [traduction] « semble marquer le début des problèmes physiques et émotionnels de la caporale Rai ».

[12]           La Commission convient que la dépression et l’anxiété de la plaignante sont en cause dans cette affaire et, à ce titre, l’intimée a droit à tous les documents pertinents relatifs à ces questions. Cela dit, elle ajoute que l’intimée n’a droit qu’aux documents liés aux problèmes de santé en cause et non à l’ensemble des dossiers médicaux de la plaignante.

B.                 Dossiers des psychiatres et psychologues épurés

[13]           La plaignante a produit des copies épurées des dossiers médicaux des Drs Sanders et Babbage et de M. Flamer, ses psychiatres et psychologues; et les a communiquées à l’intimée. De l’avis de cette dernière, comme la plaignante a mis sa santé mentale en cause dans sa plainte, l’intimée a droit à tous les dossiers médicaux de ces professionnels de la santé.

[14]           La plaignante fait valoir que pendant le traitement et dans le cadre de celui-ci, elle a eu certaines discussions avec ses psychiatres ou psychologues de la présente instance et que ces discussions sont assujetties au privilège relatif au litige. Ces discussions sont notées dans les dossiers des psychiatres ou psychologues et ont donc été épurées. Selon la plaignante, la divulgation de ces discussions lui causerait un préjudice important et porterait atteinte à la relation médecin-patient, à l’acte de procédure et à l’équité procédurale.

[15]           L’intimée soutient que le privilège relatif au litige s’applique au produit du travail de l’avocat et, en ce qui concerne un document auquel s’appliquerait ce privilège, il doit avoir été créé en vue d’un litige ou de son utilisation dans ce litige. De l’avis de l’intimée, un dossier médical ne peut pas avoir été créé en vue d’un litige ou de son utilisation dans un litige. Par conséquent, la plaignante a recours incorrectement au privilège relatif au litige comme motif justifiant le retranchement d’information des dossiers médicaux. L’ensemble des dossiers médicaux de ses psychiatres ou psychologues doivent donc être produits.

C.                Documents relatifs à l’action pour préjudice corporel

[16]           L’intimée soutient que la plaignante a produit une copie [traduction] « lourdement épurée » de la transcription de son interrogatoire préalable dans le cadre de son action pour préjudice corporel relativement à son accident de la route survenu en 2008. Elle demande la transcription complète. L’intimée demande aussi la liste des documents de la plaignante qui ont été créés pour cette action pour préjudice corporel et tout document étayant sa demande de dommages-intérêts dans le cadre de cette action, y compris la perte de la capacité de gains passée et à venir.

[17]           Selon l’intimée, la plaignante allègue avoir été victime de harcèlement à compter de l’an 2000, mais elle n’a pas signalé qu’elle souffrait de dépression et n’avait eu aucun problème au travail jusqu’à son accident de la route en 2008. Après l’accident, elle était incapable de travailler et elle a reçu un diagnostic de dépression et de syndrome de la douleur chronique. Elle a pris près d’un an de congé pour se rétablir et n’a jamais pleinement repris ses fonctions. Jusqu’à son accident, l’intimée soutient que la plaignante travaillait à plein temps et suivait un cheminement de carrière normal pour un membre de la GRC.

[18]           À la suite de l’accident de la route de la plaignante, cette dernière a déposé une demande de dommages-intérêts pour blessures à titre de dédommagement pour la perte de qualité de vie, la perte de salaire et la perte de possibilités. Comme la présente plainte allègue que la discrimination dont a fait l’objet la plaignante l’a fait sombrer dans la dépression et a empêché sa carrière de progresser, l’intimée soutient qu’il y a un chevauchement entre les allégations contenues dans sa plainte et celles de sa réclamation relative à l’accident de la route. Selon l’intimée, le plein effet de l’accident doit être examiné à fond afin d’assurer que le droit de l’intimée à un procès équitable est respecté.

[19]           La plaignante fait valoir que l’information produite sous la contrainte des règles de procédure, notamment l’interrogatoire préalable et les listes de documents, est visée par un engagement implicite envers la Cour, ce qui empêche une partie de se fonder sur cette information dans d’autres instances sans l’autorisation de la Cour.

[20]           La Commission convient que les documents relatifs à l’action de la plaignante faisant suite à son accident de la route en 2008 ne sont pas assujettis à une divulgation en raison de la règle implicite de confidentialité. Elle ajoute que malgré le fait que les documents demandés soient confidentiels, l’intimée est déjà en possession de certaines parties de la transcription de l’interrogatoire préalable de la plaignante. Selon la Commission, cela répond aux préoccupations liées à une double réparation en l’espèce.

[21]           La plaignante soutient également que la liste de documents établie pour une autre instance n’est pas pertinente aux fins de la présente instance. L’intimée peut estimer que certains documents qui y sont énumérés sont d’une certaine façon pertinents à la présente plainte, mais, selon la plaignante, cela indique que l’intimée fait une recherche à l’aveuglette.

[22]           La plaignante ajoute que la réclamation en dommages-intérêts dans son action pour préjudice corporel ne recoupe pas celle qui est formulée dans la présente plainte. À son avis, elle a divulgué toutes les parties de la transcription de son interrogatoire préalable qui se rattachent aux blessures qu’elle a subies, y compris lorsqu’elle affirme ne pas croire qu’elle souffrait de dépression et d’anxiété en raison de l’accident. La plaignante prétend que la partie défenderesse dans la poursuite intentée à la suite de l’accident de la route n’aurait pas accepté de l’indemniser pour les préjudices causés à sa santé mentale en raison de cet aveu.

[23]           En ce qui concerne la perte de salaire, la plaignante affirme avoir limité sa réclamation à cet égard à des pertes qui excluent celles qu’elle a subies pendant la période suivant son accident de la route, parce que ces pertes sont prises en compte dans son action pour préjudice corporel et qu’elle veut ainsi éviter la double réparation. Elle assure avoir divulgué toutes les parties de la transcription de son interrogatoire préalable qui se rapportent à ses réclamations pour pertes de salaire et avoir aussi présenté des rapports médicaux qui établissent une période de temps au-delà de laquelle les auteurs concluent que ses blessures ne sont plus liées à l’accident de la route. La plaignante a aussi fait appel à un expert pour le calcul de la perte de salaires aux fins de la présente plainte. Relativement à ces calculs, la plaignante a demandé à l’expert d’exclure la période du 24 octobre 2008 au 6 juillet 2009, soit la période au cours de laquelle la plaignante était en congé à la suite de son accident de la route.

[24]           L’intimée affirme que la plaignante a mal compris en quoi consiste l’indemnisation de la perte de capacité de gains passée ou à venir. Selon l’intimée, lorsqu’une perte de capacité de gains est indemnisée, l’indemnité est accordée pour la perte de capacité de gains au cours de la durée de vie du demandeur. Par conséquent, l’exclusion de toute réclamation pour perte de salaire pour la période d’octobre 2008 à juillet 2009 n’élimine pas la possibilité de la double réparation en l’espèce.

D.                Accord de règlement dans l’action pour préjudice corporel

[25]           L’intimée demande aussi une quittance signée qui a mis fin à l’action pour préjudice corporel de la plaignante à la suite de son accident de la route en 2008. Elle fait valoir que la quittance informera le Tribunal du montant que la plaignante a reçu des auteurs de dommages dans sa réclamation relative à l’accident et, par conséquent, permettra d’éviter la possibilité d’une double réparation. Sans la quittance, l’intimée soutient qu’il n’est pas possible de déterminer l’indemnisation que la plaignante a déjà reçue pour la perte de capacité de gains et la perte de revenus passée et future.

[26]           Selon la plaignante, les documents de règlement de son action pour préjudice corporel sont protégés par le privilège à l’égard du règlement. Elle soutient qu’elle ne peut pas renoncer à ce privilège sans le consentement de l’autre partie à l’action en justice, parce que ce privilège appartient aux deux parties au règlement. La plaignante ajoute que l’intimée a omis de présenter des observations expliquant pourquoi la divulgation de ces renseignements servait un intérêt public prépondérant en l’espèce.

[27]           L’intimée reconnaît que le privilège existe pour protéger les communications relatives au règlement, mais elle souligne qu’il existe des exceptions à cette règle. En particulier, une exception est prévue lorsque les documents de règlement sont nécessaires pour déterminer si un demandeur a déjà été indemnisé pour une perte de capacité de gains et une perte de revenus.

III.              Décision

[28]           Conformément au paragraphe 50(1) de la Loi, les parties devant le Tribunal doivent avoir la possibilité pleine et entière de présenter leur preuve. Par conséquent, pour des raisons d’équité et dans la recherche de la vérité, il est dans l’intérêt public de veiller à ce que tous les éléments de preuve pertinents soient communiqués aux parties qui comparaissent devant le Tribunal. S’il existe un lien rationnel entre un document et les faits, les questions ou les formes de redressement mentionnées par les parties, il devrait être divulgué en vertu des alinéas 6(1)d) et 6(1)e) des Règles de procédure du Tribunal (05/03/04) (les Règles) (voir Guay c. Canada (Gendarmerie royale du Canada), 2004 TCDP 34, au paragraphe 42 (Guay); Association des employé(e)s de télécommunication du Manitoba inc. c. Manitoba Telecom Services, 2007 TCDP 28, au paragraphe 4).

[29]           En ne perdant pas de vue ces principes, voici la décision du Tribunal concernant la demande de l’intimée relative à la communication de documents.

A.                Documents médicaux depuis le 1er avril 2007

[30]           À l’égard des dossiers médicaux, le Tribunal a reconnu que la plaignante a droit au respect de sa vie privée et à la confidentialité de ses dossiers médicaux (voir Beaudry c. Canada (Procureur général), 2002 CanLII 45930 (TCDP), au paragraphe 7. (Beaudry); McAvinn c. Strait Crossing Bridge Ltd, 2001 CanLII 25855 (TCDP), au paragraphe 3 (McAvinn)). Toutefois, ce droit à la vie privée et à la confidentialité peut cesser lorsque cette personne met son état de santé en cause (voir McAvinn, au paragraphe 4; Guay, au paragraphe 45; Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier du Canada et Femmes-Action c. Bell Canada, 2005 TCDP 9, aux paragraphes 9 à 11; voir aussi Frenette c. Métropolitaine (La), cie d’assurance-vie, [1992] 1 RCS 647 (Frenette), et M. (A.) c. Ryan, [1997] 1 RCS 157). Cela dit, « le besoin de découvrir la vérité et d’éviter une injustice n’écarte pas automatiquement la possibilité d’une protection contre une divulgation complète » (M. (A.), au paragraphe 33). Dans les cas où le Tribunal a ordonné la divulgation de dossiers médicaux, il a généralement imposé des conditions à la divulgation afin de protéger la vie privée et la confidentialité de l’information (voir, par exemple, Guay; McAvinn, Beaudry et Leslie Palm c. International Longshore and Warehouse Union, Local 500, Richard Wilkinson and Cliff Willicome, 2012 TCDP 11).

[31]           La plaignante a mis en cause sa santé mentale en ce qui a trait à la dépression et à l’anxiété. Par conséquent, conformément aux principes énoncés ci-dessus, tous les documents médicaux pertinents relatifs à ces états de santé doivent être communiqués à l’intimée. La plaignante a également mis en cause les facteurs causals de sa dépression et de son anxiété. Compte tenu des observations de l’intimée, je suis convaincue qu’il est possible que les blessures physiques de la plaignante, consécutives à son accident de la route, ont peut-être affecté sa santé mentale. Par conséquent, tous les documents médicaux pertinents relatifs au traitement des blessures physiques de la plaignante, consécutives à son accident de la route, doivent aussi être communiqués à l’intimée. Les documents médicaux relatifs à d’autres éléments de la santé de la plaignante qui ne sont pas mentionnés ci-dessus ne sont pas en cause en l’espèce et ne sont pas pertinents aux fins de la divulgation.

[32]           Compte tenu des observations de l’intimée, j’estime également que la demande de documents médicaux depuis le 1er avril 2007, soit la date de l’accident de la route de la plaignante, est raisonnable. Je suis convaincue que la demande de l’intimée à cet égard ne doit pas être interprétée comme étant une recherche à l’aveuglette, puisqu’elle repose sur des documents que la plaignante lui avait déjà communiqués. Si l’accident de la route de la plaignante a affecté sa santé mentale, son lien avec les allégations formulées dans la présente plainte doit être examiné afin de donner à l’intimée la possibilité pleine et entière de présenter sa preuve. La divulgation de ces documents pertinents fera également en sorte que le Tribunal dispose de tous les éléments de preuve pertinents et elle peut aider celui-ci dans l’élaboration d’une mesure de redressement appropriée si la plainte est accueillie.

[33]           La plaignante fait valoir que les Règles du Tribunal l’obligent uniquement à divulguer les documents en sa « possession » et ne contiennent aucune disposition au sujet des documents qui sont sous la « garde » d’une partie. Comme la plaignante n’a pas en sa possession les dossiers médicaux demandés par l’intimée, elle soutient qu’elle n’est pas tenue d’énumérer, d’obtenir et de divulguer de tels documents.

[34]           Cependant, le paragraphe 1(2) des Règles du Tribunal énonce que celles-ci doivent être « […] appliquées de façon libérale par le membre instructeur dans l’affaire dont il a été saisi, afin de favoriser les fins énoncées au paragraphe 1(1) ». Entre autres choses, l’objet des Règles est de permettre que « l’argumentation et la preuve soient présentées en temps opportun et de façon efficace » (alinéa 1(1)b) des Règles) et que « toutes les affaires dont le Tribunal est saisi soient instruites de la façon la moins formaliste et la plus rapide possible » (alinéa 1(1)c) des Règles). J’ajouterais que l’alinéa 1(1)c) des Règles est conforme au paragraphe 48.9(1) de la Loi.

[35]           Dans les circonstances de l’espèce, l’obligation qu’a la plaignante d’obtenir et de divulguer les documents médicaux pertinents fera en sorte que l’objet des Règles du Tribunal est atteint. C’est la plaignante qui a droit à la vie privée et la confidentialité à l’égard de ses dossiers médicaux. Sous réserve d’une assignation à comparaître et de la tenue d’une audience, seule la plaignante a le pouvoir d’obtenir les documents médicaux en question. Par conséquent, ordonner à la plaignante d’obtenir et de divulguer ses documents médicaux est la manière la plus informelle, rapide et efficace d’obtenir n’importe lequel de ces documents pertinents. Mis à part le coût éventuel afférent à l’obtention de ces documents, aucun préjudice ne semble être causé à la plaignante en procédant ainsi.

[36]           Par conséquent, il est ordonné à la plaignante de divulguer les documents médicaux depuis le 1er avril 2007 qui se rapportent aux symptômes ou au traitement de la dépression et de l’anxiété et au traitement des blessures physiques liées à son accident de la route. En se conformant à cette ordonnance, la plaignante doit également divulguer tout document pertinent mentionné par l’intimée à l’annexe A de sa demande de divulgation du 24 janvier 2013 ou confirmer que ces documents n’existent pas.

[37]           Pour protéger le droit de la plaignante à la confidentialité de ses dossiers médicaux, les documents doivent être communiqués aux avocats de l’intimée et de la Commission et ne doivent être communiqués à aucune autre personne sans l’autorisation préalable du Tribunal et sans que la plaignante ait été avisée. En outre, les documents ne peuvent servir à des fins autres qu’à la présente enquête et doivent être remis à la plaignante au terme de l’enquête.

[38]           Il convient de noter que cette décision ne porte que sur la question de la divulgation de documents médicaux. Toute question relative à l’admissibilité en preuve de ces documents peut être abordée à l’audition de la présente affaire.

B.                 Dossiers des psychiatres et psychologues épurés

[39]           Le privilège relatif au litige « […] concerne, quant à lui, les renseignements et documents recueillis ou établis dans le contexte du litige » (Blank c. Canada (Ministre de la Justice), 2009 CF 1221, au paragraphe 37 (Blank CF)). Il touche les communications « […] entre un avocat et des tiers, ou dans le cas d’une partie non représentée, entre celle‑ci et des tiers » (Blank c. Canada (Ministre de la Justice), 2006 CSC 39, au paragraphe 27 (Blank CSC)). Le critère qui permet de dire si un tel privilège relatif au litige devrait s’attacher à un document est celui‑ci : « […] 1) il s’agit d’une communication; 2) préparée ou obtenue; 3) pour l’« objet principal » d’un litige raisonnablement anticipé (Blank CF, au paragraphe 37; voir aussi Blank CSC, aux paragraphes 59 et 60).

[40]           Sans plus d’information au sujet des communications épurées entre la plaignante et ses psychiatres ou psychologues, le Tribunal ne peut déterminer leur [traduction] « but      principal ». La preuve par affidavit énonçant le fondement factuel de la revendication de privilège ou autorisant le Tribunal à voir les documents (qu’il s’agisse du membre actuel ou d’un autre membre) serait une procédure appropriée pour déterminer si le privilège s'applique (voir M. (A.), au paragraphe 39). À cet égard, j’aimerais solliciter l’opinion des parties sur cette façon de procéder. La plaignante doit présenter des observations sur cette question d’ici le 5 avril 2013. Il est demandé à l’intimée et à la Commission d’y répondre d’ici le 19 avril 2013. La réplique de la plaignante doit être reçue au plus tard le 26 avril 2013.

C.                Documents relatifs à l’action pour préjudice corporel

[41]           Selon la Cour suprême du Canada, « la loi impose aux parties à un litige civil un engagement envers la cour de ne pas utiliser les documents ou les réponses pour toute autre fin que la recherche de la justice dans l’instance civile au cours de laquelle ils ont été obtenus […] » (Juman c. Doucette, 2008 CSC 8, au paragraphe 27 (Juman). Ainsi que l’indiquait le Tribunal dans Bignell-Malcolm c. Bande indienne Ebb and Flow, 2008 TCDP 3, au paragraphe 24 :

Ce principe de confidentialité protège les intérêts privés des individus et préserve l’intégrité du processus du contentieux civil, car sans cette protection de la vie privée, les parties à une procédure pourraient ne pas divulguer tous les faits pertinents dans le cadre de la poursuite.

[42]           Cependant, l’engagement implicite peut devoir céder le pas devant un intérêt public plus impérieux (voir Juman, au paragraphe 30). Au nombre des exemples d’intérêt public figurent les exceptions légales (voir Juman, au paragraphe 39), la sécurité publique (voir Juman, au paragraphe 40), la mise en cause de la crédibilité d’un témoignage contradictoire (voir Juman, au paragraphe 41) ou la prévention de certains crimes (voir Juman, aux paragraphes 42 à 50). Dans l’ensemble, pour lever l’engagement implicite, il doit y avoir « [...] un intérêt public plus important que les valeurs visées par l’engagement implicite, à savoir la protection de la vie privée et le déroulement efficace du litige civil » (Juman, au paragraphe 32). Toutefois, la Cour suprême a donné l’avertissement que ce qui importe, « […] c’est de reconnaître que l’engagement n’atteindra pas le but visé, sauf si la personne interrogée est convaincue que le tribunal ne le modifiera que dans des circonstances exceptionnelles » (Juman, au paragraphe 32).

[43]           Je ne suis pas convaincue qu’il existe un intérêt public d’un poids plus important en l’espèce qui prime l’engagement implicite. Certes, l’intimée est préoccupée par la possibilité d’une double réparation, mais la transcription de l’interrogatoire préalable, une liste de documents et tout document étayant sa demande de dommages-intérêts dans la cadre de son action pour préjudice corporel ne seront pas utiles à cette fin. Comme l’action a été réglée, seule l’entente de règlement peut préciser le montant qui a été réellement reçu par la plaignante en guise d’indemnisation pour l’abandon de son action pour préjudice corporel. L’intimée a aussi demandé la divulgation de l’entente de règlement; cette question est examinée ci-après.

[44]           L’intimée a également soutenu qu’elle peut utiliser la transcription de l’interrogatoire préalable pour mettre en doute la bonne foi de la plaignante lors de l’instruction. Cette simple affirmation, sans autre chose de plus précis, ne me convainc pas non plus que l’intérêt public doit primer sur la règle de l’engagement implicite.

[45]           Par conséquent, la demande de documents de l’intimée concernant les documents relatifs à l’action pour préjudice corporel de la plaignante est rejetée.

D.                Entente de règlement dans l’action pour préjudice corporel

[46]           Les ententes de règlement peuvent être privilégiées ou confidentielles (voir Groupe d’aide et d’information sur le harcèlement sexuel au travail de la province de Québec inc. c. Barbe, 2003 TCDP 15; Leslie Palm c. International Longshore and Warehouse Union, Local 500 and Cliff Willicome and Richard Wilkinson, 2011 TCDP 12; Dos Santos c. Sun Life Assurance Co. of Canada, 2005 BCCA 4). Avant de statuer sur la demande de divulgation de l’entente de règlement et afin de veiller à ce que le Tribunal rende une décision pleinement éclairée à cet égard, il serait utile de recevoir les observations de l’autre partie à l’entente de règlement. Il a donc été ordonné à la plaignante de donner au Tribunal le nom et les coordonnées de la partie défenderesse dans son action pour préjudice corporel résultant de son accident de la route. Le Tribunal communiquera alors avec cette personne et sollicitera son opinion sur cette question, et donnera l’occasion à chaque partie de réagir à la position de cette dernière. Il est demandé à la plaignante de fournir l’information nécessaire au plus tard le 5 avril 2013.

 

 

 

Signée par

Sophie Marchildon

Juge administrative

Ottawa (Ontario)

Le 20 mars 2013

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T1795/2512

Intitulé de la cause : Harjinder Kaur Rai c. Gendarmerie royale du Canada

Date de la décision sur requête du tribunal : Le 20 mars 2013

Comparutions :

Allison Tremblay, pour la plaignante

Ikram Warsame, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Sarah Eustace, pour l'intimée

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