Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien des droits de la personne
Entre :

Premakumar Kanagasabapathy

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Air Canada

l'intimée

Décision sur requête

Membre : Sophie Marchildon

Date : Le 20 mars 2013

Référence : 2013 TCDP 7

 



[1]               Le 18 juillet 2009, M. Premakumar Kanagasabapathy (le plaignant) a déposé une plainte contre Air Canada (l’intimée) en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C., 1985, ch. H-6 (la Loi). Le plaignant y allègue que, dans le cadre de son emploi, l’intimée lui a refusé des possibilités de promotion en guise de « représailles » et l’a traité différemment du fait de sa race, de sa couleur et de son origine nationale ou ethnique. Le 11 janvier 2012, en vertu de l’alinéa 44(3)a) de la Loi, la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) a demandé à la présidente du Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) d’instruire la plainte, dont la portée exacte est l’objet de la requête présentée par l’intimée.

[2]               L’intimée demande par voie de requête que soit rendue une ordonnance radiant certains paragraphes de l’exposé des précisions déposé par la Commission et le plaignant.

I.                   Le contexte

[3]               En application du paragraphe 6(1) des Règles de procédure du Tribunal canadien des droits de la personne (03-05-04) (les Règles), chaque partie doit signifier et déposer un exposé des précisions indiquant notamment a) les faits pertinents que la partie cherche à établir à l’appui de sa cause et b) sa position au sujet des questions de droit que soulève la cause. L’exposé des précisions de la Commission a été fourni le 30 août 2012. L’exposé des précisions du plaignant a été fourni le 13 septembre 2012.

[4]               Le 28 septembre 2012, l’intimée a déposé la présente requête en vue de faire radier certains paragraphes des deux exposés des précisions, au motif que les paragraphes en question font référence à des parties de la plainte initiale qui n’ont pas été renvoyées au Tribunal pour instruction, soit :

                     les allégations selon lesquelles le plaignant n’a pas eu de promotion;

                     les allégations selon lesquelles le plaignant a fait l’objet de représailles.

[5]               L’intimée soutient que, avant le renvoi de la plainte, l’enquêteur de la Commission avait regroupé les allégations constituant la plainte dans trois volets distincts :

Partie (i) :        Les allégations relatives à l’absence de promotions;

Partie (ii) :       Les allégations relatives aux représailles;

Partie (iii) :      Les allégations relatives au traitement défavorable, surtout en ce qui a trait au fait que le plaignant n’a pas réintégré le poste temporaire de planificateur de cabine.

[6]               Dans son rapport d’enquête, la Commission a conclu que la preuve n’étayait pas les allégations de discrimination pour ce qui est des parties (i) et (ii) de la plainte. Par la suite, l’intimée a soutenu que, selon ce qui était recommandé dans le rapport d’enquête, seules les allégations relatives à la partie (iii) de la plainte — celles qui portaient sur le [traduction] « poste de planificateur de cabine » — nécessitaient un renvoi au Tribunal pour instruction, et seule cette partie de la plainte devait être renvoyée au Tribunal. Les première et deuxième parties de la plainte n’ont pas été renvoyées pour instruction; elles excèdent donc le cadre du renvoi et les paragraphes de l’exposé des précisions qui portent sur celles-ci doivent par conséquent être radiés. L’intimée affirme que la radiation de ces paragraphes simplifiera l’instruction et permettra au Tribunal de se concentrer sur la partie de la plainte dont il est véritablement saisi.

[7]               À l’appui de cet argument, l’intimée se fonde sur une lettre datée du 11 janvier 2012, qu’elle a reçue du président par intérim (la lettre adressée à Air Canada), dans laquelle il est indiqué que la plainte est renvoyée pour instruction, parce que la décision de l’intimée de ne pas permettre au plaignant de réintégrer le poste de planificateur de cabine constituait peut-être un acte discriminatoire. Selon l’intimée, cela montre que le renvoi pour instruction était fondé sur les allégations relatives à la partie (iii).

[8]               La Commission s’oppose à la requête présentée par l’intimée. La Commission soutient que la totalité de la plainte a été renvoyée au Tribunal pour instruction, pas seulement une partie de celle-ci. La Commission nie avoir décidé de rejeter des parties de la plainte, ou avoir communiqué une telle décision aux parties. À cet égard, elle conteste la façon dont l’intimée interprète la lettre adressée à Air Canada. De plus, elle se fonde sur une autre lettre envoyée par le président par intérim le 11 janvier 2012 – celle-ci adressée à la présidente du Tribunal – dans laquelle ce dernier lui demande d’instruire la plainte (la lettre adressée à la présidente). Dans la lettre adressée à la présidente, le président par intérim demande simplement que la plainte soit instruite. Il ne fait état d’aucune allégation à propos du poste de planificateur de cabine ni d’aucune autre allégation.

[9]               La Commission fait valoir que la présente requête est essentiellement une attaque indirecte contre le processus décisionnel de la Commission et que l’intimée demande de manière inappropriée au Tribunal de procéder à un examen de ce processus. À cet égard, la Commission soutient que le Tribunal n’a pas compétence en matière de surveillance de la Commission. Quant aux conclusions tirées dans le rapport d’enquête, la Commission fait valoir qu’elles ne lient aucunement le Tribunal.

[10]           Le plaignant soutient que la totalité de la plainte a été renvoyée au Tribunal pour instruction; elle n’a pas été tronquée ni divisée en sections. Plus particulièrement, le plaignant fait valoir que l’allégation concernant le poste de planificateur de cabine est étroitement liée aux allégations de représailles. Si le Tribunal devait limiter la portée de la plainte selon l’ordonnance sollicitée, le plaignant subirait un préjudice, étant donné que le récit des faits à l’appui de ses arguments serait miné. Le plaignant allègue que, si la lettre de renvoi est ambiguë de quelque façon que ce soit, le Tribunal doit dissiper cette ambiguïté en sa faveur, en admettant les précisions qu’il souhaite invoquer. En outre, il fait valoir que l’instruction du Tribunal se déroule sans que ce dernier se fonde sur le rapport d’enquête de la Commission ou sur les motifs de renvoi de la plainte.

[11]           En réponse, l’intimée allègue que les recommandations formulées dans le rapport d’enquête et les observations des parties à l’égard du rapport sont nécessaires pour la décision de la Commission. Plus particulièrement, les motifs de la décision de la Commission sont exposés dans le rapport d’enquête lui-même; il s’agit du seul document auquel il est fait référence dans la Loi comme fondement de la décision de la Commission sur la façon de procéder. De plus, dans la lettre adressée à Air Canada, les recommandations formulées dans le rapport d’enquête étaient reproduites telles quelles, ce qui indique que la Commission accepte pour l’essentiel toutes les conclusions du rapport, y compris celle recommandant d’écarter les parties (i) et (ii) de la plainte. L’intimée invoque des décisions antérieures où le Tribunal ne s’est pas uniquement fondé sur le libellé strict de la décision de la Commission de renvoyer la plainte afin d’établir la portée du renvoi. Elle souligne également que le libellé de la lettre adressée à Air Canada est très différent de celui de la lettre adressée à la présidente. Dans la lettre adressée à Air Canada, on recommande l’utilisation d’une méthode contextuelle pour établir la portée du renvoi.

[12]           L’intimée soutient que le plaignant peut défendre sa cause à l’égard de la partie (iii) de la plainte (les allégations relatives au fait de ne pas avoir réintégré le poste de planificateur de cabine) sans se fonder sur les allégations figurant à la partie (i) (les allégations relatives à l’absence de promotions) ou la partie (ii) (les allégations de représailles). Elle fait également valoir qu’il vaudrait mieux, par économie des ressources judiciaires, ne pas consacrer les ressources du Tribunal à des allégations qui sont considérées comme n’étant pas étayées par la preuve et qui ne nécessitent pas un examen plus poussé.

[13]           Selon les observations de l’intimée, l’utilisation d’une méthode contextuelle pour établir la portée du renvoi requiert l’examen de la plainte, du rapport d’enquête et de la décision de la Commission. La lettre adressée à la présidente n’est pas une décision et n’a pas été communiquée aux parties. Cette lettre n’équivaut à rien de plus qu’un transfert administratif du dossier au Tribunal; lier le Tribunal au contenu de la lettre revient à ne pas tenir compte du contenu de la décision de la Commission qui a été communiquée aux parties.

[14]           Le 18 décembre 2012, dans un addenda aux observations déposées en réponse, l’intimée fait mention de la correspondance envoyée par le plaignant à la Commission avant le renvoi de la plainte devant le Tribunal, correspondance dans laquelle celui-ci semblait accepter les conclusions du rapport d’enquête selon lesquelles il n’était pas justifié de renvoyer les allégations figurant aux parties (i) et (ii) pour instruction. L’intimée fait valoir qu’elle s’est fondée sur ces assertions du plaignant.

[15]           Le 7 janvier 2013, en réponse à l’addenda déposé en réponse, le plaignant a reconnu que la correspondance en question ne mettait pas en doute le rapport d’enquête. Il soutient toutefois que la correspondance ne lie pas la Commission dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire dont elle dispose. Il fait également valoir qu’aucune préclusion n’a été créée de façon à l’empêcher de plaider une interprétation plus large de la lettre de renvoi au Tribunal. Enfin, il fait remarquer que, vu qu’il n’a pas accès au dossier complet dont la Commission était saisie, il ne peut pas savoir quelle incidence la correspondance a eue sur la décision de la Commission de renvoyer l’affaire au Tribunal.

II.                L’analyse

[16]           Dans la présente requête, l’intimée demande au Tribunal de définir la portée du renvoi dont il est saisi. Avant d’aborder les faits particuliers de l’espèce, il convient de faire certaines observations générales.

Le régime légal

[17]           En vertu de la Loi, la Commission peut charger un enquêteur d’enquêter sur une plainte. Un enquêteur présente son rapport à la Commission le plus tôt possible après la fin de l’enquête, soit le « rapport d’enquête » susmentionné (aux paragraphes 43(1) et 44(1)).

[18]           Selon l’article 44, sur réception du rapport d’enquête, la Commission a le pouvoir de prendre différentes décisions – et doit informer par écrit les parties à la plainte de la décision qu’elle a prise. Suivant le paragraphe 44(3), si elle est convaincue qu’il n’y a pas lieu de renvoyer la plainte à une autre autorité ou de la rejeter parce qu’elle est hors délai, qu’elle ne relève pas de sa compétence, ou qu’elle est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi, la Commission peut demander au président du Tribunal de désigner un membre pour instruire la plainte en application de l’article 49.

[19]           Le paragraphe 49(1) précise que la Commission peut présenter de telles demandes au président si elle est convaincue, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, que l’instruction est justifiée. Il convient de souligner que les demandes visées à l’article 49 peuvent être présentées en tout temps après le dépôt de la plainte.

La correspondance du président par intérim

[20]           La présente requête se résume donc à une incohérence présumée entre deux lettres signées le même jour par le président par intérim.

[21]           La « lettre adressée à la présidente » est réputée constituer une demande présentée au titre de l’article 49, par le président par intérim, et adressée à celle qui était alors la présidente du Tribunal. Il s’agit d’une lettre assez brève, qui informe la présidente que la Commission a examiné la plainte, puis mentionne ce qui suit :

[Traduction]

La Commission a décidé, en vertu de l’alinéa 44(3)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de vous demander d’instruire la plainte, car elle est convaincue, compte tenu de toutes les circonstances, qu’un examen est justifié.

[22]           Fait à noter, la « lettre adressée à la présidente » est muette au sujet des différentes allégations formulées dans la plainte, des recommandations de l’enquêteur, des conclusions formulées dans le rapport d’enquête ou des détails que celui-ci renferme.

[23]           La « lettre adressée à Air Canada » est très différente. La lettre adressée à Air Canada est bien entendu adressée à l’intimée, mais, en dehors de cela, elle est également beaucoup plus détaillée.

[24]           Le président par intérim explique tout d’abord que, avant de rendre sa décision, la Commission a examiné [traduction] « [...] le rapport qui vous a été communiqué antérieurement [...] » (vraisemblablement le rapport d’enquête), ainsi que les observations déposées en réponse au rapport. Il explique ensuite pourquoi la plainte n’a pas été rejetée parce qu’elle était hors délai. Vient ensuite le paragraphe clé :

[Traduction]

Il est également recommandé, conformément à l’alinéa 44(3)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, que la Commission demande à la présidente du Tribunal canadien des droits de la personne de désigner un membre pour instruire la plainte parce que :

     la crédibilité constitue une question et, comme l’enquêteur n’est pas en mesure d’apprécier la crédibilité, un examen plus approfondi s’impose;

     la décision de l’intimée de ne pas permettre au plaignant de réintégrer son poste de planificateur de cabine en raison d’un problème de rendement a peut-être servi de prétexte pour ne pas rétablir le plaignant dans le poste du fait de sa race et de son origine nationale ou ethnique.

[25]           Ce paragraphe a attiré l’attention de l’intimée, parce qu’il fait ressortir une partie des allégations figurant dans la plainte : les allégations relatives à la partie (iii). De plus, le paragraphe reproduit pratiquement la recommandation formulée dans le rapport d’enquête – le même rapport d’enquête dans lequel il a apparemment été conclu que les allégations relatives aux parties (i) et (ii) de la plainte n’étaient pas étayées par la preuve.

[26]           Cependant, malgré les différences constatées, la « lettre adressée à Air Canada » comporte des similitudes importantes avec la « lettre adressée à la présidente » :

                     aucune des lettres n’indique qu’une partie de la plainte a été rejetée;

                     aucune des lettres n’indique qu’on a demandé qu’une partie de la plainte fasse l’objet d’une instruction.

[27]           Malgré ces caractéristiques, l’intimée considère que la lettre adressée à Air Canada constitue une indication claire de la part de la Commission que [traduction] « [...] la totalité de la plainte n’a pas été renvoyée au Tribunal [...] ». L’intimée est plutôt d’avis que la Commission demandait que seules les allégations relatives à la partie (iii) de la plainte fassent l’objet d’une instruction (les allégations relatives au fait que le plaignant n’a pas réintégré le poste de planificateur de cabine).

[28]           Pour les motifs qui suivent, il m’est impossible de retenir les arguments de l’intimée et je dois rejeter la requête.

Le caractère déterminant de la lettre adressée à la présidente

[29]           À mon avis, compte tenu du libellé du paragraphe 49(1), la « meilleure preuve » de la demande d’instruction qu’a présentée la Commission à la présidente est ceci : la lettre que la Commission a envoyée à la présidente pour lui demander d’instruire la plainte. Dans la présente instance, la lettre de demande d’instruction est signée par le président par intérim, mais, chose plus importante encore, elle est adressée à la présidente du Tribunal. Il s’agit du document qui met en branle tout le processus d’instruction du Tribunal. Il s’agit donc du document qui permet d’établir si la plainte a été renvoyée dans son intégralité ou non.

[30]           La Commission peut présenter une demande d’instruction à l’égard d’une seule partie de la plainte. Comme le souligne l’intimée, il a été statué dans l’affaire Territoires du Nord‑Ouest que la Commission avait compétence pour renvoyer deux volets d’une plainte pour instruction par un tribunal pendant qu’elle poursuivait son enquête sur un troisième volet de la plainte (Territoires du Nord‑Ouest c. A.F.P.C. (1999) 162 F.T.R. 50)). Cependant, je suis d’avis que, si, en l’espèce, la Commission avait voulu demander l’instruction d’une partie de la plainte seulement, cette intention aurait été manifeste dans la lettre de demande d’instruction envoyée à la présidente. À titre d’exemple, dans la décision Johnston c. Forces armées canadiennes, 2007 TCDP 42, au paragraphe 6, on peut lire ce qui suit :

Le 11 juin 2003, la Commission a avisé le président du Tribunal qu’elle ne renvoyait que la partie de la plainte portant sur l’article 10 devant Tribunal, car elle avait jugé que la partie portant sur l’article 7 devait être rejetée. […]

[31]           De même, la décision rendue par la Cour fédérale dans l’affaire Territoires du Nord‑Ouest comporte l’observation suivante :

La Commission a informé le GTNO dans une lettre en date du 27 mai 1997 qu’elle avait décidé conformément à l’article 49 de la Loi de demander au président du Comité de constituer un tribunal pour enquêter sur les volets de la plainte relatifs aux articles 7 et 11.

[Paragraphe 8, Le texte n'est pas en caractères gras dans l'original.]

[32]           Il n’y a aucune restriction de ce genre dans la lettre de demande d’instruction envoyée à la présidente dans la présente instance. Je conclus donc que la totalité de la plainte a été renvoyée à la présidente pour instruction et que j’ai été désignée pour instruire la plainte dans sa totalité.

[33]           Compte tenu de l’importance primordiale que j’accorde à la lettre adressée à la présidente, le contenu de la lettre adressée à Air Canada ne peut pas l’emporter sur cette lettre.

[34]           En outre, le fait d’invoquer la lettre adressée à Air Canada pour justifier l’instruction d’une simple partie de la plainte pose problème pour d’autres raisons également. La lettre adressée à Air Canada n’est pas adressée à la présidente du Tribunal, ni à quelque agent de ce dernier. Il semble s’agir d’un avis écrit envoyé à l’intimée conformément à l’article 44, lequel l’informe de la décision prise en application de la disposition. Il s’agit donc d’un élément du mécanisme de traitement des plaintes de la Commission qui ne relève pas de la compétence du Tribunal. Comme l’a récemment confirmé la Cour fédérale dans la décision Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Warman, 2012 CF 1162 (appel en instance A‑456-12), au paragraphe 56 :

Plus précisément, le Tribunal n’a pas compétence en ce qui concerne l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Commission aux termes du paragraphe 44(3) (rejet ou renvoi d’une plainte) et de l’article 47 (nomination d’un conciliateur) de la LCDP. Un contrôle judiciaire de la Cour fédérale est la voie qu’il convient de suivre pour contester une décision de la Commission touchant de telles questions.

[35]           Une conclusion semblable a été tirée à l’égard de la capacité du Tribunal d’examiner le processus décisionnel de la Commission suivant l’alinéa 41(1)e) (Voir I.L.W.U. (Section maritime), section locale 400 c. Oster, 2001 CFPI 1115, au paragraphe 30.

[36]           L’intimée invite le Tribunal à s’imprégner de la méthode d’enquête, des conclusions et des recommandations formulées par l’enquêteur, du libellé du rapport d’enquête et des similitudes apparentes entre celui-ci et la lettre envoyée à l’intimée par la suite, qui l’avisait de la décision de la Commission. Comme je l’ai mentionné, cela n’est pas acceptable. Cependant, même si cela l’était, le Tribunal n’est d’aucune manière lié par le rapport d’enquête et les opinions de l’enquêteur. (Voir Bell Canada c. SCEP, [1999] 1 C.F. 113, [1998] A.C.F. n1609 (QL) (C.A.), QL 37; Alliance de la fonction publique du Canada c. Musée canadien des civilisations, 2006 TCDP 1, aux paragraphes 29 et 30; Emmett c. Agence du revenu du Canada, 2012 TCDP 3, aux paragraphes 4 et 5).

[37]           Dans une certaine mesure, l’objection de l’intimée est compréhensible. Elle a reçu une décision conformément à l’article 44, qui, selon son interprétation, restreignait la portée de la demande d’instruction. Une telle interprétation n’est toutefois pas confirmée par la mesure prise par la Commission en application de l’article 49. Il est raisonnable que l’intimée se demande pourquoi il en est ainsi, surtout compte tenu des conclusions formulées dans le rapport d’enquête, dont le libellé de la lettre adressée à Air Canada semble s’être inspiré. Mais c’est à la Cour fédérale, et non au Tribunal, que l’intimée doit poser cette question, dans une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission. Même si l’on accepte l’argument de l’intimée selon lequel la lettre adressée à la présidente n’est pas une décision en soi, mais un simple « transfert administratif », c'est cette lettre de demande adressée à la présidente qui donne compétence au Tribunal à l’égard de la plainte.

[38]           Le caractère déterminant de la lettre adressée à la présidente a été reconnu par le Tribunal dans la décision Côté c. A.G. Canada, 2003 TCDP 32, aux paragraphes 12 et 13, où le Tribunal a rejeté la thèse selon laquelle, étant donné les conclusions déjà formulées par la Commission quant à la portée de la plainte, la Commission n'était plus en mesure de renvoyer au Tribunal la plainte dans son intégralité. Dans la décision Côté, le Tribunal n’a pas accepté l’invitation de l’intimé à « [...] aller au‑delà de la décision de la Commission et de réexaminer celle-ci afin de déterminer si la CCDP était habilitée à faire un tel renvoi. » Il a mentionné que le pouvoir de surveillance sur les faits et gestes de la Commission et ses décisions est exclusivement du ressort de la Cour fédérale.

[39]           L’intimée se fonde sur la décision rendue par le Tribunal dans l’affaire Kowalski c. Ryder Integrated Logistics, 2009 TCDP 22, à l’appui de la proposition selon laquelle le Tribunal peut bel et bien aller au-delà de la lettre de demande d’instruction adressée à la présidente par la Commission afin de vérifier si, en fait, la plainte a été renvoyée pour instruction dans son intégralité. Dans la décision Kowalski, comme la Commission avait rendu une décision expresse selon laquelle certains aspects de la plainte ne « [...] seraient pas l’objet de plus amples considérations [...] », le Tribunal a jugé bon de s’écarter de la démarche suivie dans la décision Côté. Il a conclu que, même si, à première vue, la lettre de demande d’instruction envoyée à la présidente renvoyait la totalité de la plainte, ce document contredisait la correspondance antérieure envoyée aux parties, dans laquelle la Commission avait communiqué des « décisions explicites » de ne pas traiter de certaines parties de la plainte.

[40]           Je ne crois pas que la décision rendue dans Kowalski me permet de trancher la question dont je suis saisie. Tout d’abord, à mon humble avis, la décision Kowalski n’est pas tout à fait conforme à la démarche établie dans la décision Côté; les mêmes raisons qui militent contre l’étude par le Tribunal du dossier précédant le renvoi dans l’affaire Côté sont tout aussi valables dans le contexte des décisions rendues par la Commission avant le renvoi dans l’affaire Kowalski. Dans chacune de ces affaires, on demande au Tribunal d’« aller au-delà » d’une demande d’instruction claire présentée à la présidente, afin de trouver des ambiguïtés et des contradictions dans le traitement de la plainte par la Commission avant son renvoi. De plus, le pouvoir exclusif de surveillance à la Cour fédérale reconnu dans la décision Côté semblait être tout aussi présent dans la décision Kowalski pour corriger des divergences présumées entre la demande d’instruction et les « décisions explicites » rendues antérieurement.

[41]           S’il s’avère que mon interprétation de la décision Kowalski est incorrecte, j’ajouterais simplement qu’une distinction peut être faite entre les faits de cette affaire et ceux dont je suis saisie. Il n’y a rien dans le dossier dont je suis saisie qui me permette de penser que, à quelque moment que ce soit, la Commission avait décidé, en application d’une disposition de la Loi, que les allégations figurant aux parties (i) et (ii) de la plainte ne « seraient pas l’objet de plus amples considérations ». (Voir la décision Kowalski, au paragraphe 3.)

[42]           Enfin, dans son addenda aux observations déposées en réponse, l’intimée veut invoquer encore un autre événement qui a eu lieu à l’étape du traitement de la plainte par la Commission. Dans les observations qu’il a formulées à la Commission concernant le rapport d’enquête, le plaignant a apparemment convenu que les parties (i) et (ii) de la plainte étaient sans fondement, ce qui, de l’avis de l’intimée, équivaut à une déclaration concernant la portée de la plainte, sur laquelle l’intimée s’est fondée. Pour les motifs susmentionnés, je ne peux pas considérer qu’il s’agit d’un motif pour remettre en question la demande claire et non équivoque envoyée à la présidente du Tribunal canadien des droits de la personne le 11 janvier 2012. Tout au plus, ce dernier argument de l’intimée illustre bien les dangers que comporte la démarche qu’elle préconise, soit essentiellement de demander au Tribunal de réviser de facto par voie de certiorari la façon dont la Commission a traité et réglé la plainte. Pareille tentative ne sert ni le souci de l’économie des ressources judiciaires invoqué par l’intimée, ni l’instruction rapide prescrite par le législateur. Plus important encore, le Tribunal ne peut pas exercer un pouvoir de surveillance qu’il ne possède tout simplement pas.

[43]           Pour tous les motifs qui précèdent, la requête est rejetée.

Signée par

Sophie Marchildon

Juge administrative

Ottawa (Ontario)

Le 20 mars 2013

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T1771/0412

Intitulé de la cause : Premakumar Kanagasabapathy c. Air Canada

Date de la décision sur requête du tribunal : Le 20 mars 2013

Comparutions :

Davies Bagambiire, pour le plaignant

Ikram Warsame, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Christianna Scott, pour l'intimé

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