Tribunal canadien des droits de la personne

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Canadian Human Rights Tribunal

Titre : Tribunal's coat of arms

Tribunal canadien des droits de la personne

Référence : 2014 TCDP 27

Date : le 29 août 2014

Numéro du dossier : T1879/10912

Entre :

John Francis Zieger

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

Commission

- et -

Osborne Trucking Ltd

l'intimé

Décision

Membre : George E. Ulyatt

 


[1]  Le 12 janvier 2012, le plaignant, John Francis Zieger, a déposé une plainte contre l’intimée, Osborne Trucking Ltd., dans laquelle il alléguait qu’il avait été victime de discrimination de la part de l’intimée, son employeur, selon l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la LCDP).

[2]  Jamais, tout au long de l’instance, le plaignant ne fut représenté par avocat, et particulièrement à l’audience qui a eu lieu à Regina, en Saskatchewan, les 20 et 21 janvier 2014.

[3]  L’intimée, qui agissait initialement pour son propre compte, a produit Wayne Osborne, le directeur de la société, à l’audience. Cependant, l’intimée a par la suite retenu les services des avocats du cabinet McDougall Gauley LLP, qui ont en fait préparé l’exposé des précisions et assisté à l’audience.

[4]  Au début de l’audience, le plaignant n’a pas produit les documents qu’on lui avait dit de déposer au Tribunal. Le Tribunal a ajourné l’affaire pendant un certain nombre d’heures pour permettre au plaignant d’aller chercher les documents requis chez lui.

[5]  Après le début de l’audience, il est devenu évident que le plaignant était vague et qu’il avait énormément de difficulté à présenter sa preuve. Il a été convenu que l’épouse du plaignant, Bobbie Zieger, qui devait initialement comparaître comme témoin, plaiderait la cause du plaignant, mènerait l’interrogatoire principal du plaignant et le contre‑interrogatoire du témoin de l’intimée et présenterait la plaidoirie. Le Tribunal a clairement avisé le plaignant et Mme Zieger que, comme Mme Zieger jouerait un rôle si actif, elle ne pourrait pas témoigner.

[6]  L’audience a été brièvement ajournée et, à leur retour, le plaignant et Mme Zieger ont accepté d’aller de l’avant en sachant que Mme Zieger ne témoignerait pas.

[7]  Le plaignant a allégué qu’il avait été victime de discrimination du fait d’une déficience causée par une blessure subie alors qu’il travaillait pour l’intimée. La déficience faisant l’objet de la plainte découlait d’une blessure des tissus mous au bas du dos.

[8]  L’intimée est une petite société de camionnage située à White City, en Saskatchewan. Elle emploie plus ou moins cinq autres chauffeurs et exerce ses activités principalement en Saskatchewan, bien qu’il lui arrive régulièrement de faire des livraisons à l’extérieur de la province.

[9]  Le plaignant avait précédemment été employé par l’intimée en octobre et en novembre 2010. Cependant, il avait démissionné de son poste et avait été réembauché le 20 février 2011 en tant que chauffeur de camion titulaire d’un permis de classe 1A.

[10]  Le principal contrat de l’intimée avait été conclu avec Sysco Foods Ltd., aux termes duquel l’intimée effectuait la livraison de produits alimentaires à divers endroits à Regina et à Saskatoon, ainsi qu’à d’autres endroits en Saskatchewan et, à l’occasion, à l’extérieur de la province.

[11]  Le plaignant a témoigné que, le 14 juin 2011, il s’était fait une « entorse lombaire » alors qu’il déchargeait des palettes du camion. Il a déclaré qu’il s’était immédiatement rendu à l’hôpital à Moose Jaw en raison de spasmes musculaires, où il avait été traité. Le plaignant a envoyé des messages texte à l’intimée le 14 juin 2011, dont un à 6 h 20 min 6 s, dans lequel il disait : [traduction] « Merci Wayne, mon dos est en compote. Je suis à l’hôpital. »

[12]  L’intimée a envoyé un certain nombre de messages textes au plaignant, mais elle ne s’est jamais renseignée au sujet de l’état du plaignant. Cependant, le 14 juin 2011, à 7 h 48 min 50 s, le plaignant a répondu à une demande quant à l’endroit où il se trouvait en disant : [traduction] « Je suis encore à l’hôpital. Ça prend une éternité. »

[13]  Le 14 juin 2011, à 19 h 34 min 29 s, le plaignant a envoyé le message texte suivant à l’intimée : [traduction] « Désolé, le médecin m’a donné une piqûre et je dormais depuis ce temps‑là. Il a dit que je m’étais déchiré un muscle et il m’a mis au repos pour cinq jours. »

[14]  Le message texte suivant produit au Tribunal a été envoyé par l’intimée au plaignant le 20 juin 2011, à 16 h 35 min 39 s, et disait : [traduction] « J’ai besoin que tu travailles demain. Il faut que tu ailles à Saskatoon pour y laisser une remorque puis que tu reviennes. »

[15]  La preuve médicale, soit le rapport initial du médecin daté du 14 juin 2011 (pièce C‑4), précise que la blessure consiste dans des spasmes musculaires et comporte la mention suivante :

[traduction] Les effets de la blessure peuvent avoir une incidence sur les activités pendant cinq jours.

[16]  La preuve révèle que le retour au travail du plaignant auprès de l’intimée en février 2011 a été gâché par des désaccords entre Wayne Osborne et lui. Le plaignant avait l’impression que son employeur ne l’avait pas appuyé à maints égards, notamment en ne lui fournissant pas un assistant, en lui attribuant toujours des itinéraires conçus pour un seul chauffeur et en ne lui faisant pas exercer des fonctions modifiées.

[17]  Il ressort également de la preuve que, à une occasion, le plaignant a embauché son fils comme assistant et l’a payé de sa poche. L’intimée a contredit cette allégation en montrant qu’elle avait en fait remis directement au plaignant le salaire de son fils.

[18]  Le plaignant a aussi prétendu que Sysco, la principale cliente de l’intimée, avait saboté ses chargements afin de le discréditer et de lui causer d’autres désagréments.

[19]  La preuve ne permet pas d’établir clairement quand le plaignant est retourné au travail. Dans sa plainte, le plaignant mentionne que [traduction] « […] le message texte [de l’intimée] me dit que je dois travailler le jeudi 16 juin 2011 ». Le message texte présenté en preuve qui est daté du 20 juin 2011, à 16 h 35, est rédigé en ces termes : [traduction] « J’ai besoin que tu travailles demain. Il faut que tu ailles à Saskatoon pour y laisser […] ».

[20]  Le plaignant allègue qu’il a été absent du travail jusqu’au 24 juin 2011; l’intimée allègue que le plaignant est retourné au travail le 17 juin 2011; dans son rapport médical (pièce C‑4), Dr Sanderson mentionne que le plaignant lui a dit qu’il était retourné au travail le 23 juin 2011.

[21]  Wayne Osborne a tenu son propre registre des heures sur un calendrier, qui comportait les entrées suivantes relativement au plaignant :

Mardi 14 juin 2011, [traduction] « John a fait la livraison et a dit qu’il s’était blessé au dos »;

Mercredi 15 juin 2011, [traduction] « John est absent »;

Jeudi 16 juin 2011, [traduction] « John est absent »;

Vendredi 17 juin 2011, « John ROC »;

Samedi 18 juin 2011, pas d’entrée concernant John;

Dimanche 19 juin 2011, pas d’entrée concernant John;

Lundi 20 juin 2011, [traduction] « John ne s’est pas présenté au travail »;

Mardi 21 juin 2011, « John SKOON »;

Mercredi 22 juin 2011, « John ROC »;

Jeudi 23 juin 2011, « John ASS »;

Vendredi 24 juin 2011, [traduction] « John est absent et donne sa démission ».

[22]  Les problèmes entre le plaignant et l’intimée se sont aggravés le 24 juin 2011, lorsque l’intimée a avisé le plaignant qu’il y avait un retard de paiement de la part de son client principal, Sysco, et que la paie pour le 24 juin 2011 serait reportée au lundi 27 juin 2011.

[23]  Le plaignant avait essayé d’encaisser son chèque deux fois, et une série de courriels échangés entre les parties atteste l’existence de tensions accrues. L’intimée avait envoyé un message texte au plaignant pour lui dire qu’il devrait encaisser son chèque. Le 24 juin 2011, les choses sont arrivées au point critique entre le plaignant, l’intimée et l’épouse du plaignant. Le plaignant était d’avis qu’on s’en prenait à lui parce qu’il s’était blessé, et l’intimée était au comble de l’irritation envers le plaignant. Le plaignant soutient qu’il a été renvoyé par l’intimée et celle‑ci soutient que le plaignant a démissionné.

[24]  L’intimée a fourni des talons de chèque pour la période de paie du 18 juin 2011 au 1er juillet 2011 montrant qu’un paiement avait été effectué pour trois jours. Cela coïnciderait avec le paiement pour les 21, 22 et 23 juin dans le registre de l’employeur.

[25]  Lors de l’interrogatoire, en ce qui concerne la question de la connaissance que l’intimée avait de la blessure du plaignant, Wayne Osborne a déclaré [traduction] « Je ne savais pas qu’il (John) n’était pas en mesure de travailler […] Il exerçait toutes les fonctions de son poste. »

[26]  Le plaignant soutient que sa thèse selon laquelle il a été mis fin à son emploi est étayée par la décision rendue dans le cadre du Programme du travail de RHDCC, qui lui a accordé une indemnité de préavis (pièce C-12). L’intimée rejette cet argument, étant donné qu’elle n’a pas porté attention à la procédure.

[27]  Tout au long de l’audience, le plaignant a bien précisé qu’il ne demandait pas d’être indemnisé pour la perte de salaire ni d’être remboursé de ses dépenses, et qu’il voulait simplement que l’intimée lui présente ses excuses et soit tenue responsable de ses actes. Le plaignant a allégué qu’on lui avait [traduction] « volé sa vie » et qu’il était passé de [traduction] « personne ayant une vie sociale très active » à [traduction] « personne handicapée ».

[28]  Le plaignant réclames des dommages‑intérêts en vertu du paragraphe 53(2) de la LCDP.

[29]  L’avocat de l’intimée a présenté un exposé du droit sur les questions de la démission volontaire, de la répudiation du contrat de travail et du manquement au devoir d’atténuation.

[30]  Le Tribunal n’a pas à se pencher sur la question du manquement au devoir d’atténuation, étant donné que le plaignant n’a pas demandé d’être indemnisé pour la perte de salaire. Le plaignant a en fin de compte reçu des prestations de la Workers’ Compensation Board.

[31]  En l’espèce, vu le défaut par l’intimée de payer le plaignant comme elle était tenue de la faire, et compte tenu de la décision rendue dans le cadre du Programme du travail de RHDCC, le Tribunal est d’avis que l’intimée a mis fin à l’emploi du plaignant.

[32]  La principale question en litige en l’espèce est la déficience et la question de savoir si l’intimée était au courant de cette déficience.

[33]  La question de la déficience est un critère clé que le plaignant doit remplir. Pour avoir gain de cause dans une plainte relevant de l’alinéa 7a) de la LCDP, le plaignant doit établir le bien‑fondé de la plainte de discrimination. Dans la décision Chaudhary c. Smoother Movers, 2013 TCDP 15, le Tribunal a fait observer ce qui suit au paragraphe 33 :

[33]  Dans une affaire soumise au Tribunal, le plaignant doit établir l’existence d’une preuve prima facie de discrimination. Une preuve prima facie « […] est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur [du plaignant], en l’absence de réplique de [l’]intimé ». (Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 RCS 536, au paragraphe 28)

[…]

[35]  Aux termes de l’alinéa 7a) de la Loi, le fait, par des moyens directs ou indirects, de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite. Dans les plaintes relevant de l’alinéa 7a), le plaignant est tenu d’établir l’existence d’un lien entre un motif de distinction illicite et la décision de l’employeur de refuser de l’employer ou de continuer de l’employer (voir Roopnarine c. Banque de Montréal, 2010 TCDP 5, au paragraphe 49). Cela dit, il n’est pas nécessaire que la distinction soit le seul motif de la décision; il suffit qu’il s’agisse d’un seul des facteurs dans la décision (voir Holden c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [1990] A.C.F. n419 (C.A.F.) (QL), et Khiamal c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), 2009 CF 495, au paragraphe 61).

[34]  Dans la présente affaire, le motif de distinction illicite est la déficience. La question de ce qui constitue une déficience a été examinée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Desormeaux c. Ottawa (Ville), 2005 CAF 311, au paragraphe 15, où la Cour a mentionné ce qui suit :

Ainsi que l’expliquait la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Granovsky c. Canada, [2000] 1 R.C.S. 703, au paragraphe 34, et dans l’arrêt Ville de Montréal, précité, au paragraphe 71, la déficience au sens juridique consiste en un handicap physique ou mental, qui occasionne une limitation fonctionnelle ou qui est associé à la perception d’un handicap.

[35]  Pour avoir gain de cause, le plaignant doit tout d’abord établir à première vue :

  1. qu’il souffrait d’une déficience;

  2. que sa déficience a joué un rôle dans la décision de l’intimée de mettre fin à son emploi, en contravention de l’alinéa 7a) de la LCDP.

[36]  En l’espèce, le plaignant a établi qu’il souffrait d’une déficience. Cependant, il n’a pas établi que l’intimée était au courant de sa déficience et que sa cessation d’emploi était fondée en partie sur sa déficience ou que celle‑ci avait joué un rôle dans sa cessation d’emploi.

[37]  Le message texte que le plaignant a envoyé à l’intimée le 14 juin 2011 précisait qu’il serait absent du travail pendant cinq jours. Cet élément de preuve a été corroboré par le rapport médical, daté du 14 juin 2011, selon lequel la blessure pourrait avoir une incidence sur les activités du plaignant pendant cinq jours.

[38]  Le registre des heures de l’intimée et les talons de chèque révèlent que le plaignant a été payé pour trois jours au cours de la période de paie du 18 juin 2011 au 1er juillet 2011. Cela correspond effectivement au registre des heures de l’intimée. De plus, le rapport médical signé par Dr Sanderson précise ce qui suit : [traduction] « Il a pris quelques jours de congé et est retourné au travail le 23 juin. »

[39]  La preuve que le plaignant a présentée au Tribunal est insuffisante. Le plaignant n’a pas produit d’éléments de preuve que l’intimée savait ou aurait dû savoir qu’il souffrait d’une déficience le 24 juin 2011. En fait, la preuve démontrait le contraire.

[40]  L’avocat de l’intimée s’est montré disposé à permettre à Mme Zieger et au plaignant d’aller au-delà de ce qui serait normalement admis à l’audience et dans la plaidoirie.

[41]  Dans les circonstances, le plaignant n’a pas établi que sa cessation d’emploi était fondée sur un motif discriminatoire au sens de l’article 7 de la LCDP.

ORDONNANCE

[42]  Pour les motifs qui précèdent, j’ordonne que la plainte soit rejetée.

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T1879/10912

Intitulé de la cause : John Francis Zieger c. Osborne Trucking Ltd.

Date de la décision du tribunal : Le 29 août 2014

Date et lieu de l’audience : Les 20 et 21 janvier 2014

Regina (Saskatchewan)

Comparutions :

Bobbie Zieger, pour le plaignant

Aucune comparution pour la Commission canadienne des droits de la personne

Michael J. Phillips, pour l'intimé

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