Tribunal canadien des droits de la personne

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Contenu de la décision

Tribunal canadien des droits de la personne

Entre :

Ashraf Karimi

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

MTS Allstream Inc.

l'intimée

Décision sur une requête en jonction des instructions portant sur deux plaintes

Numéros des dossiers : T1616/16210 et T1783/1312

Membre : Réjean Bélanger

Date : Le 7 février 2013

Référence : 2013 TCDP 4


 

Table des matières

I.......... Requête en jonction des instructions portant sur deux plaintes. 1

II........ Positions des parties. 1

A.           La plaignante. 1

B.           L’intimée. 4

C.           La Commission. 7

III....... Analyse. 8

IV....... Décision. 13

 


I.                   Requête en jonction des instructions portant sur deux plaintes

[1]               La présente décision fait suite à une requête de la plaignante, Ashraf Karimi, pour que soit rendue une ordonnance joignant, aux fins d’une seule instruction, deux dossiers (nos T1616/16210 et T1783/1312) du Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal).

[2]               Le 4 novembre 2010, conformément à l’alinéa 44(3)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C., 1985, ch. H‑6 (la Loi), la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) a demandé au président du Tribunal d’instruire la plainte déposée par Mme Karimi contre la société MTS Allstream Inc. (l’intimée). Dans cette première plainte (dossier du Tribunal n° T1616/16210), la plaignante affirme que l’intimée a commis un acte discriminatoire au sens de l’article 7 de la Loi

[3]               Le 1er février 2012, la Commission a demandé que soit instruite une deuxième plainte déposée par Mme Karimi contre l’intimée. Dans la deuxième plainte (dossier du Tribunal n° T1783/1312), la plaignante affirme que l’intimée a commis un acte discriminatoire au sens de l’article 7 de la Loi et qu’elle a exercé contre elle des représailles en réaction à sa première plainte, contrevenant ainsi à l’article 14.1 de la Loi.

[4]               À la suite d’une conférence téléphonique de gestion de l’instance tenue le 2 novembre 2012, toutes les parties ont confirmé que la requête en jonction des deux plaintes devrait être traitée au moyen d’observations écrites.

II.                Positions des parties

[5]               Après lecture des observations des parties sur cette requête en jonction des deux plaintes, le Tribunal résume ainsi leurs positions respectives.

A.                La plaignante

[6]               La requête de la plaignante en jonction des instances a pour objet de permettre une instruction commune de ses deux plaintes.

[7]               L’avis de requête de la plaignante expose les moyens suivants à l’appui de sa requête :

1)                  Les deux plaintes concernent les mêmes parties.

2)                  Les deux plaintes renferment des allégations de discrimination fondée sur la déficience et un non‑respect de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation.

3)                  Dans sa deuxième plainte, elle allègue avoir subi des représailles à la suite du dépôt de sa première plainte.

4)                  Pour les deux plaintes, les personnes appelées à témoigner sont les mêmes et les documents qui seront invoqués sont également les mêmes.

5)                  La plaignante fera témoigner le même témoin expert, un psychiatre, pour les deux plaintes.

6)                  Les deux plaintes soulèvent les mêmes points de droit.

7)                  Aucune des parties ne subira un préjudice si les deux plaintes sont instruites ensemble. La jonction des deux plaintes profitera aux deux parties.

8)                  Il est conforme à l’intérêt du Tribunal que les deux plaintes soient instruites ensemble, qu’il s’agisse du temps requis, des frais ou de l’uniformité des décisions qu’il rendra.

9)                  La Loi, en particulier pour ce qui concerne le paragraphe 40(4), ne traite pas explicitement des plaintes multiples déposées par un plaignant unique, mais donne à penser que, si les questions de fait et de droit sont les mêmes, des plaintes peuvent être instruites ensemble.

10)              Enfin, les Règles de procédure du Tribunal canadien des droits de la personne (les Règles de procédure) ont pour objet notamment, selon le paragraphe 1(1), de permettre que toutes les affaires dont le Tribunal est saisi soient instruites en temps opportun, d’une manière efficace et de la façon la plus rapide possible.

[8]               Les paragraphes 2 à 4 de l’affidavit de la plaignante déposé au soutien de la requête décrivent les allégations contenues dans ses deux plaintes :

[TRADUCTION]

2.         L’allégation principale contenue dans ma première plainte concerne une discrimination fondée sur le sexe. Une allégation secondaire concerne une discrimination fondée sur la déficience, ainsi que le non‑respect de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation.

 

3.         En ce qui concerne la déficience, j’allègue dans ma première plainte avoir été surchargée de tâches que je n’avais pas la capacité physique d’accomplir après être revenue d’un congé pour invalidité de courte durée. J’allègue aussi dans ma première plainte que l’intimée n’a pas respecté son obligation de prendre des mesures d’adaptation lorsqu’il ne m’a pas autorisée à travailler depuis mon domicile alors que d’autres employés étaient autorisés à le faire.

 

4.         La première allégation contenue dans ma deuxième plainte concerne une discrimination fondée sur la déficience et un non‑respect de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation. J’allègue subsidiairement que l’intimée a exercé des représailles contre moi après le dépôt de ma première plainte.

[9]               Les paragraphes suivants de l’affidavit de la plaignante résument les raisons pour lesquelles elle voudrait que ses deux plaintes soient instruites ensemble :

[TRADUCTION]

Témoins semblables

6.         Puisque les deux plaintes concernent les mêmes parties, à savoir moi‑même et MTS Allstream Inc., il est probable que les mêmes personnes seront appelées à témoigner aux deux audiences si les deux plaintes sont instruites séparément. À l’origine, deux personnes étaient indiquées comme intimées dans la deuxième plainte, mais elles ne sont plus parties à la deuxième plainte.

Documents semblables

7.         Les documents invoqués dans les deux plaintes seront semblables et comprennent pour l’essentiel les mêmes énoncés de politique de MTS Allstream, la convention collective applicable, les documents médicaux et les documents en matière de perte de salaire.

Même témoin expert

8.         Si les plaintes sont instruites séparément, mon témoin expert, le Dr Kiraly, sera appelé à témoigner à deux reprises, ce qui augmentera mes frais et lui causera davantage d’inconvénients. Est annexée au présent affidavit, sous la cote « A », une copie du rapport d’expert du Dr Kiraly. Le Dr Kiraly, un psychiatre, témoignera sur la mesure dans laquelle la discrimination fondée sur le sexe, alléguée dans ma première plainte, a pu précipiter l’apparition de mes problèmes de santé mentale, notamment la dépression, dont il est question dans ma deuxième plainte.

Questions de droit semblables

9.         Dans ma première plainte, comme dans la deuxième, j’allègue une discrimination fondée sur la déficience, de même qu’un non‑respect de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation, qui a été présent tout au long des périodes visées dans les deux plaintes. J’allègue aussi dans ma deuxième plainte que l’intimée a exercé des représailles à mon endroit à la suite de ma première plainte. Il me semble que ces questions de droit, qui sont apparentées, devraient être tranchées ensemble.

Absence de préjudice pour l’intimée

10.       L’intimée ne subira aucun préjudice si les plaintes sont instruites ensemble. L’instruction simultanée des deux plaintes aura en réalité pour effet de réduire la durée de l’instruction en évitant la répétition inutile d’informations, et de réduire les inconvénients pour les témoins de l’intimée.

11.       Par l’entremise de mon avocat, j’ai demandé à MTS Allstream Inc. de consentir à la jonction des deux plaintes, mais MTS Allstream Inc. a refusé, d’où la présente requête.

Il vaut mieux pour le Tribunal qu’il instruise simultanément les deux plaintes

12.       L’instruction simultanée des deux plaintes épargnera temps et argent au Tribunal en réduisant la durée totale de l’instruction.

13.       Le Tribunal devrait, simultanément pour les deux plaintes, analyser la discrimination fondée sur la déficience ainsi que le non‑respect de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation, et aussi analyser les questions de crédibilité que soulèvent les deux plaintes, ce qui évitera le risque de conclusions incompatibles.

B.                 L’intimée

[10]           La position de l’intimée concernant la requête de la plaignante est énoncée au premier paragraphe des observations de l’intimée :

[TRADUCTION]

1.         L’intimée MTS Allstream Inc. (« Allstream ») s’oppose à la requête de la plaignante en jonction des dossiers du Tribunal nos T1783/1312 (la « première plainte ») et T1616/16210 (la « deuxième plainte ») (ci‑après appelées collectivement « les plaintes ») en vue d’une instruction simultanée des deux plaintes. Allstream affirme respectueusement que la requête devrait être rejetée.

[11]           La position de l’intimée est exposée pour l’essentiel dans le passage suivant du paragraphe 4 de ses observations :

[TRADUCTION]

4.         [...] Les plaintes se rapportent toutes les deux à l’emploi de la plaignante chez Allstream, mais elles ne concernent pas les mêmes périodes ni les mêmes motifs de distinction, et elles comportent des allégations portant sur des personnes différentes.

[12]           Plus précisément, la liste qui suit reproduit ce qui me semble être les principales objections de l’intimée à la jonction des deux plaintes :

                     Dans la première plainte, la discrimination fondée sur le sexe était l’unique motif de distinction allégué (voir les observations de l’intimée, au paragraphe 5).

                     La première plainte faisait référence à la déficience alléguée de la plaignante, mais la plaignante n’y affirmait pas qu’elle avait été victime de discrimination ou qu’elle avait été défavorisée en raison de cette déficience alléguée (voir les observations de l’intimée, au paragraphe 5).

                     Le Tribunal n’a pas compétence pour examiner des allégations de discrimination fondée sur un autre motif, y compris la déficience, en ce qui concerne la première plainte (voir les observations de l’intimée, au paragraphe 6).

                     La discrimination alléguée dans les deux plaintes ne porte pas sur les mêmes périodes et ne concerne pas les mêmes personnes. Plus exactement, la première plainte renferme des allégations à l’encontre de M. Picard pour la période allant de mars 2005 à octobre 2008. M. Picard n’est pas mentionné dans la deuxième plainte. La deuxième plainte renferme des allégations à l’encontre de M. Rooney pour la période allant d’octobre 2008 à février 2010. M. Rooney n’est pas mentionné dans la première plainte (voir les observations de l’intimée, aux paragraphes 7 et 8).

                     Il n’est pas nécessaire de joindre les deux plaintes pour décider si des représailles ont été exercées (voir les observations de l’intimée, au paragraphe 9).

                     Les parties devront faire témoigner des témoins différents et présenter des preuves documentaires différentes pour chaque plainte, mais, comme il y a des différences notables entre les allégations contenues dans les deux plaintes, la plupart des éléments de preuve qui seront produits seront différents (voir les observations de l’intimée, au paragraphe 10).

                     [TRADUCTION] « [E]u égard aux allégations totalement différentes qui sont faites dans chacune des plaintes, il n’y a aucun risque d’incompatibilité des conclusions » (voir les observations de l’intimée, au paragraphe 11).

                     [TRADUCTION] « La jonction des plaintes n’épargnera ni temps ni argent aux parties » (voir les observations de l’intimée, au paragraphe 13).

[13]           L’intimée affirme que la jonction des deux plaintes lui causera un préjudice. Les points suivants constituent ce qui m’apparaît être les principaux arguments de l’intimée à cet égard :

                     Puisque la première plainte fait état d’une allégation de discrimination fondée sur le sexe uniquement, la jonction des deux plaintes élargirait les motifs de la première plainte pour y inclure des allégations de discrimination fondée sur la déficience (voir les observations de l’intimée, aux paragraphes 16 à 18).

                     [TRADUCTION] « Le Tribunal n’a pas compétence, quant à la première plainte, pour examiner une allégation de discrimination fondée sur la déficience » (voir les observations de l’intimée, au paragraphe 17).

                     [TRADUCTION] « [S]i la plaignante est autorisée à élargir les motifs de la première plainte […] Allstream se verra injustement obligée de contester de nouvelles allégations qui remontent à plus de cinq ans » (voir les observations de l’intimée, au paragraphe 19).

                     [TRADUCTION] « Si les plaintes sont instruites ensemble, Allstream affirme respectueusement que d’importantes protections procédurales seront nécessaires pour faire en sorte qu’il n’existe entre les plaintes aucune confusion pouvant porter préjudice à Allstream » (voir les observations de l’intimée, au paragraphe 20).

                     [TRADUCTION] « Outre qu’elles devront faire témoigner des témoins distincts et produire des preuves documentaires distinctes pour chacune des plaintes, les parties devront probablement présenter des arguments distincts pour chaque plainte. Comme il est indiqué plus haut, cela aura probablement pour effet de prolonger sensiblement la durée de l’instruction et de peser davantage sur les ressources restreintes du Tribunal » (voir les observations de l’intimée, au paragraphe 20).

C.                La Commission

[14]           Dans une lettre datée du 10 septembre 2012, la Commission a répondu ainsi à la requête en jonction des plaintes aux fins d’instruction :

[TRADUCTION]

La Commission ne prend pas position sur la requête sollicitant une instruction commune des deux plaintes dans la présente affaire. Cependant, en principe, si les deux plaintes concernent les mêmes parties, et si les faits présentent une certaine similitude dans la relation d’emploi, il peut être dans l’intérêt de la justice que les deux plaintes soient instruites ensemble devant le même membre instructeur.

Cela dit, les parties peuvent avancer les arguments de fait et de droit propres à justifier leurs positions respectives, et le Tribunal peut rendre la décision qu’il juge à propos de manière à assurer l’équité procédurale, la réduction des coûts et l’intérêt de la justice.

Nous portons à l’attention des parties l’affaire suivante concernant cette question : Karen Schuyler c. Oneida Nation of the Thames, 2005 TCDP 10 (CanLII). Le membre Hadjis a mentionné ce qui suit, au paragraphe 8 de sa décision :

[8] Le Tribunal a déjà eu à décider s’il devait autoriser la modification d’une plainte existante de discrimination afin d’ajouter une plainte d’exercice de représailles déposée en vertu de l’article 14.1 (voir p. ex., Kavanagh c. Procureur général du Canada (31 mai 1999), T505/2298 (T.C.D.P.); Bressette c. Conseil de bande de la Première nation de Kettle Point et de Stony Point, 2004 TCDP 2 (CanLII); Blondin c. Courrier Purolator Lté., 2005 TCDP 7 (CanLII)). Il a été souligné dans ces décisions qu’il est logique que la preuve relative à des actes commis en représailles du dépôt d’une plainte en matière de droits de la personne soit entendue dans le contexte de l’audience de cette même plainte. Toutefois, avant d’autoriser de telles modifications, le Tribunal doit être convaincu que l’intimé ne subira aucun préjudice en raison d’un avis insuffisant quant aux nouvelles allégations. L’intimé doit avoir l’occasion de se défendre d’une manière adéquate.

[15]           Dans une autre correspondance adressée aux parties et au Tribunal, en date du 1er octobre 2012, la Commission a joint une copie de la décision Anne Marsden c. Travaux publics et Services gouvernementaux Canada et Service administratif des tribunaux judiciaires, 2012 TCDP 21. La Commission explique ainsi la pertinence de cette décision :

[TRADUCTION]

Puisque la question de la jonction des plaintes est une question réelle entre les parties, j’annexe une décision récente du Tribunal qui porte sur une question semblable et qui pourrait être instructive.

III.             Analyse

[16]           Dans la décision Lattey c. Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, 2002 CanLII 45928 (TCDP), le Tribunal a fait observer que la question de savoir s’il convient d’instruire des plaintes ensemble ou séparément est, en l’absence de directives précises dans la loi, un point de procédure que le Tribunal a le pouvoir de trancher puisqu’il a le loisir de déterminer la procédure à suivre (voir la décision Lattey, au paragraphe 12; et la décision Cruden c. Agence canadienne de développement international et Santé Canada, et la décision Wheatcroft c. Agence canadienne de développement international, 2010 TCDP 32, aux paragraphes 10 et 11). Lorsqu’il statue sur des demandes de jonction de plaintes, le Tribunal considère notamment les facteurs suivants :

L’intérêt public qu’il y a à éviter la multiplicité des procédures, y compris la réduction des coûts, des délais, des inconvénients pour les témoins, du besoin de répéter la preuve et du risque de parvenir à des résultats contradictoires;

2.         Le préjudice que pourrait causer aux intimés une instruction commune, notamment en raison du prolongement de la durée de l’audience pour chaque intimé, étant donné la nécessité d’examiner des questions propres à l’autre intimé, ainsi que du risque de confusion que pourrait engendrer la présentation d’éléments de preuve n’ayant peut‑être pas rapport aux allégations mettant en cause particulièrement l’un ou l’autre intimé; et

3.         L’existence de questions de fait ou de droit communes.

(Décision Lattey, au paragraphe 12)

En dernière analyse, le Tribunal doit s’assurer que l’instruction des plaintes se fait sans formalisme et de façon expéditive dans le respect des principes de justice naturelle et des règles de pratique (voir le paragraphe 48.9(1) de la Loi; et l’alinéa 1(1)c) des Règles de procédure du Tribunal (03‑05‑04)).

[17]           Bon nombre des objections de l’intimée à la jonction des deux plaintes s’expliquent par la manière dont l’intimée interprète le formulaire de la première plainte. Se fondant sur ce formulaire, l’intimée a conclu que l’instruction de la première plainte devrait se limiter à la discrimination fondée sur le sexe et que le Tribunal n’a pas compétence, quant à la première plainte, pour examiner les allégations de discrimination fondée sur la déficience. L’intimée affirme qu’elle sera notablement entravée dans sa capacité de se défendre contre de nouvelles allégations qu’on laisserait se glisser dans la première plainte.

[18]           Cependant, ayant analysé la présente requête, je suis d’avis que le fait de s’en tenir à l’examen du formulaire de la première plainte donne un portrait incomplet de la situation. Outre les observations présentées par les parties dans la présente requête, le Tribunal dispose aussi des exposés des précisions produits par les parties concernant la première plainte. Dans les documents annexés à sa requête, et dans son exposé des précisions portant sur la première plainte, la plaignante explique la portée de sa première plainte en disant qu’elle comporte une allégation de discrimination fondée sur la déficience. Sur ce point, les observations suivantes formulées par le Tribunal dans une autre affaire sont instructives :

Le formulaire de plainte existe principalement pour les besoins de la Commission. Il est une première étape nécessaire qui soulève une série de faits qui requièrent une enquête plus à fond. Le formulaire de plainte fournit un point de départ important et il est approximatif en soi. Il n’a jamais eu pour but de servir aux fins d’une plaidoirie dans un processus adjudicatif qui mène à une audience. Ce sont les exposés des précisions, plutôt que la plainte initiale, qui énoncent les conditions plus précises de l’audience.

[...]

Dans la mesure où elles peuvent se retrouver dans les allégations et les faits soumis à la Commission et où elles ne portent pas préjudice à l’intimée, les modifications devraient être autorisées. Cela aide toutes les parties à « déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties ».

(Gaucher c. Forces armées canadiennes, 2005 TCDP 1, aux paragraphes 10 et 13, non souligné dans l’original)

[19]           La présente requête ne vise pas à modifier la première plainte ni, inversement, à radier des passages de l’exposé des précisions de la plaignante se rapportant à la première plainte. Aux fins de la présente requête, il n’est pas nécessaire au Tribunal de dire si une allégation de discrimination fondée sur la déficience fait dûment partie de la première plainte.

[20]           Que les deux plaintes soient instruites séparément ou ensemble, les allégations de la plaignante resteront les mêmes. Quant aux inquiétudes de l’intimée concernant la nécessité pour elle de se défendre contre de « nouvelles allégations » de discrimination fondée sur la déficience, elles pourront être dissipées grâce à l’échange d’exposés des précisions se rapportant à la deuxième plainte. À ce stade, l’intimée sera en mesure de réagir, avant l’instruction, à la fusion apparente des faits et des questions pour la première et la deuxième plaintes et de s’y opposer. Comme il est indiqué ci‑dessus, ce sont les exposés des précisions de chacune des parties qui énoncent les conditions plus précises de l’instruction. Je n’accepte donc pas l’argument de l’intimée selon lequel la jonction des deux plaintes lui causera un préjudice par suite de la fusion des faits et des questions propres à chacune des deux plaintes.

[21]           L’intimée fait aussi valoir que les questions de fait et de droit ne sont pas suffisamment semblables pour justifier une jonction des plaintes. Selon elle, les deux plaintes se rapportent à des périodes différentes et renferment des allégations qui concernent des personnes différentes. Elle ajoute que, puisque la plaignante allègue différents types de discriminations, les critères juridiques à appliquer varieront.

[22]           À mon avis, il y a dans la présente affaire des questions communes de fait et de droit et j’examinerai successivement chacun des arguments de l’intimée en la matière.

[23]           D’abord, même si les deux plaintes se rapportent à des périodes différentes, il s’agit de périodes continues. Sur cet aspect, j’ajouterais que  la deuxième plainte fait état de représailles qui auraient été exercées à la suite du dépôt de la première plainte. Puisque les allégations de représailles couvrent la période postérieure au dépôt de la première plainte, « il est logique que la preuve relative à des actes commis en représailles du dépôt d’une plainte en matière de droits de la personne soit entendue dans le contexte de l’audience de cette même plainte » (décision Karen Schuyler c. Oneida Nation of the Thames, 2005 TCDP 10, au paragraphe 8).

[24]           Deuxièmement, l’intimée fait valoir que, puisque les protagonistes à l’origine des deux plaintes ne sont pas les mêmes (voir les paragraphes 7 et 8 des observations de l’intimée), il n’y a pas véritablement de similitude dans les questions de fait soulevées par les deux plaintes. Je voudrais faire observer que cela n’est pas tout à fait exact étant donné que Jennifer Bazinet, qui était à un certain moment la directrice de la plaignante, est mentionnée dans les deux plaintes. Selon la plaignante, Mme Bazinet est intervenue dans certains des incidents qui sont mentionnés dans les deux plaintes. Sont reproduits ci‑après quelques extraits des allégations de la plaignante apparaissant dans chacune de ses plaintes, extraits où apparaît le nom de Jennifer Bazinet :

[TRADUCTION]

Formulaire de plainte n° 1 (à la page 4, paragraphe 3) :

Le 4 février 2008, la demande que j’avais faite en vue de suivre un cours de gestion de projet a été rejetée par la directrice, Jennifer Bazinet, dans mon nouveau service. La directrice m’a informée que le cours [TRADUCTION] « ne s’accordait pas avec [mes] compétences ni avec [mon] développement ».

Formulaire de plainte n° 1 (à la page 4, paragraphe 5) :

Le 5 mars 2008, Jennifer Bazinet et les Ressources humaines ont convoqué une réunion à mon intention [...], au cours de la réunion on m’a fait savoir que je devrais changer d’attitude.

Formulaire de plainte n° 2 (au paragraphe 10) :

Le 26 octobre 2009, Jennifer Bazinet, la supérieure immédiate de Mme Karimi, a dit à celle‑ci qu’il lui faudrait retourner au travail à plein temps la semaine suivante.

Formulaire de plainte n° 2 (au paragraphe 12) :

Le 19 novembre 2009, Mme Karimi a rencontré des représentants de MTS, dont Mme Bazinet [...]. Mme Karimi s’est fait dire que MTS ne la laisserait plus travailler trois jours par semaine comme c’était le cas depuis le 31 mars 2009. En dépit de la note du DMalkin datée du 22 octobre 2009 confirmant que Mme Karimi ne pouvait pas retourner au travail à temps plein [...]

Formulaire de plainte n° 2 (au paragraphe 22) :

Mme Karimi affirme que MTS doit répondre de toutes les mesures prises par M. Rooney. [...] M. Rooney est à l’origine des actes discriminatoires posés par Bazinet, Stammer et Van Horne.

[25]           Cela dit, globalement, il n’est pas pertinent, selon moi, que la première plainte renferme des allégations concernant des personnes différentes de celles mentionnées dans la deuxième plainte. MTS Allstream Inc. est l’intimée dans les deux plaintes, et les personnes désignées dans chacune des plaintes sont ses employés. La plaignante explique dans ses deux plaintes la manière dont chacune d’elles, à divers moments, a joué un rôle dans les actes discriminatoires allégués. Le fait d’entendre ces personnes s’exprimer au cours d’une seule instruction faciliterait l’examen et la compréhension de l’évolution de la situation dans laquelle se trouvait la plaignante.

[26]           Troisièmement, l’intimée fait valoir que les deux plaintes renferment des allégations portant sur plusieurs types de discrimination, qui requièrent l’application de critères juridiques différents. Cependant, les deux plaintes renferment des allégations à l’égard d’un acte discriminatoire au sens de l’article 7 de la Loi. La deuxième plainte renferme aussi une allégation au titre de l’article 14.1, mais elle ne modifie pas le critère juridique ni le fardeau de la preuve qui incombe à la plaignante dans les deux plaintes : elle doit présenter une preuve prima facie. Plus exactement, dans les deux plaintes, la plaignante doit présenter une preuve « […] qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de l’employeur intimé […] » (arrêt Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons‑Sears, [1985] 2 RCS 536, au paragraphe 28).

[27]           Finalement, l’intimée est d’avis qu’une seule instruction n’apportera aucun gain d’efficacité. Plus précisément, elle soutient qu’il en résultera plutôt longueur et complexité parce que les témoins ne seront pas les mêmes, que la preuve documentaire ne sera pas la même et que les arguments juridiques qui seront avancés pour chaque plainte ne seront pas non plus les mêmes.

[28]           Je suis d’avis que la tenue d’une seule instruction portant sur les faits allégués dans les deux plaintes épargnerait temps et argent aux deux parties, à certains des témoins et au Tribunal également. Aucun des témoins ne serait appelé à témoigner deux fois. Tel serait le cas pour au moins les témoins potentiels suivants : la plaignante, l’expert de la plaignante, le Dr Malkin, et Mme Jennifer Bazinet. Par ailleurs, le temps réservé aux observations liminaires et aux conclusions finales ainsi qu’à l’argumentation serait réduit. Globalement, je crois qu’une instruction unique pour les deux plaintes permettrait d’épargner du temps, et les deux plaintes pourraient dès lors être examinées d’une manière plus expéditive ainsi que le requièrent le paragraphe 48.9(1) de la Loi et l’alinéa 1(1)c) des Règles de procédure du Tribunal (03‑05‑04).

[29]           J’arrive donc à la conclusion que certaines des questions de fait et de droit soulevées sont les mêmes dans les deux plaintes. Leur jonction aurait pour effet d’abréger le temps requis pour l’instruction et ne causera aucun préjudice à l’intimée. Je suis donc d’avis qu’une instruction unique portant sur les deux plaintes est justifiée. Cependant, si je suis arrivé à la conclusion que les deux plaintes devraient être examinées au cours d’une seule instruction, cela ne veut pas dire que l’une ou l’autre d’entre elles est fondée, en fait ou en droit.

IV.             Décision

[30]           Pour les motifs susmentionnés, la requête de la plaignante en jonction de ses deux plaintes est accueillie. Le Tribunal instruira simultanément les deux plaintes.

Signée par

Réjean Bélanger

Membre du tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 7 février 2013

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