Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien des droits de la personne

Entre :

Detra Berberi

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Procureur général du Canada

l'intimé

Décision sur requête

Membre : Shirsh P. Chotalia, c.r.

Date : Le 29 décembre 2011

Référence : 2011 TCDP 23

 



I.                   Introduction

[1]               Dans le dossier T1311/4108, le Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) a tenu une audience les 1er et 2 juin 2009 et a rendu une décision le 27 juillet 2009 : Detra Berberi c. Procureur général du Canada, 2009 TCDP 21 (Berberi). La plaignante demande maintenant au Tribunal de tenir une audience au sujet de l’offre de réparation qui avait été présentée et acceptée pendant l’audience de juin 2009. La plaignante soutient qu’elle n’a pas reçu les avantages de cette offre de réparation.

II.                Le contexte

[2]               Dans Berberi, la plaignante soutenait qu’on lui avait refusé un poste de CR-04 à la Gendarmerie royale du Canada (GRC) en raison de sa déficience et de son taux d’absentéisme dans le passé, en contravention de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne,  L. R. C., 1985, ch. H-6 (la Loi). La GRC a reconnu que la décision de ne pas employer la plaignante était en partie fondée sur la perception d’une déficience. L’audition de la plainte ne portait que sur la question des mesures de redressement qu’il convenait d’accorder. À l’audience, la GRC a offert à la plaignante un poste de CR-04, qu’elle a accepté. Le Tribunal a fait la remarque suivante dans sa décision :

[32]      Lors de l’audience, la GRC a offert à Mme Berberi un poste à durée indéterminée de commis aux finances/à l’administration (CR-04) au détachement de la GRC de Milton, qui comptait parmi les lieux de travail qu’elle privilégiait. La seule condition était que Mme Berberi obtienne une cote de sécurité « très secret ». La GRC a également proposé d’effectuer une évaluation de la capacité fonctionnelle de Mme Berberi et de faire les adaptations nécessaires afin qu’elle puisse remplir ses fonctions avec succès.

[33]      Mme Berberi a accepté cette offre et a convenu que cela correspondait à la réparation qu’elle avait demandée, soit un poste permanent à la GRC. Les parties ont convenu qu’il était inutile que le Tribunal rende une ordonnance.

[3]               Aucune mesure de redressement n’a été accordée à la plaignante pour perte de salaire, pour acte délibéré ou inconsidéré et pour ses autres dépenses, mais des mesures de redressement lui ont été accordées pour préjudice moral et pour ses frais juridiques.

[4]               Mme Berberi a déposé une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale. Entre autres, elle soutenait que le Tribunal avait commis une erreur en supposant que la GRC agirait de bonne foi et honorerait l’offre d’emploi. Dans Berberi c. Tribunal canadien des droits de la personne et Procureur général du Canada (GRC), 2011 CF 485, la Cour fédérale a déclaré :

[63]      À mon avis, la réponse à cette question se trouve dans la reconnaissance du Tribunal, au paragraphe 33 de la décision, que les « parties ont convenu qu’il était inutile que le Tribunal rende une ordonnance » en ce qui concernait l’offre d’emploi faite par la GRC, laquelle avait été acceptée par la demanderesse.

[64]      La demanderesse était représentée par un avocat lors de l’audience devant le Tribunal. Elle avait le choix de présenter une demande pour obtenir une ordonnance. Elle ne l’a pas fait.

[65]      Le Tribunal s’est acquitté de ses responsabilités dès qu’il a statué sur les questions de l’indemnisation, y compris pour le préjudice moral et pour les frais juridiques. La demanderesse pouvait solliciter une ordonnance du Tribunal en ce qui concernait la mise en œuvre de ces réparations. Elle n’a pas réussi à montrer que le Tribunal avait fait des suppositions erronées, et cet argument est rejeté.

[5]               La demande de contrôle judiciaire de Mme Berberi a finalement été rejetée et elle a interjeté appel de cette décision à la Cour d’appel fédérale.

[6]               Le 15 juillet 2011, la plaignante a présenté la demande en l’espèce au Tribunal. Les parties ont eu l’occasion de présenter des observations au sujet de la demande et on leur a offert de la médiation afin de régler le conflit. Cependant, les parties ont refusé la médiation.

III.             Les positions des parties

[7]               La plaignante soutient que l’offre de réparation, une fois acceptée, faisait partie de la décision du Tribunal. Elle soutient, pour le respect de la justice naturelle et de l’intégrité judiciaire et institutionnelle du Tribunal, qu’il est nécessaire et conforme à l’objet de la Loi que le Tribunal possède la compétence pour superviser le comportement des parties en ce qui a trait aux offres réparatrices présentées et acceptées au cours de la procédure dont il était saisi.

[8]               Subsidiairement, la plaignante soutient que l’audition de sa plainte devrait reprendre parce que la plainte n’a pas été correctement ou complètement tranchée. Selon la plaignante, la réticence de l’intimé de satisfaire aux modalités de l’offre de réparation frappe de nullité l’acceptation de Mme Berberi à l’audience de ne pas poursuivre une ordonnance en obtention d’un poste permanent à la GRC. Subsidiairement encore, la plaignante soutient que la présente demande devrait compter comme une nouvelle demande dans laquelle elle soutient que l’intimé poursuit la conduite discriminatoire qu’il a déjà reconnu avoir adoptée.

[9]               Tant l’intimé que la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) soutiennent que le Tribunal est functus officio en ce qui a trait à la plainte. Le Tribunal a rendu une ordonnance ou une décision finale et, par conséquent, la compétence du Tribunal de traiter de la question est épuisée. Cependant, tant l’intimé que la Commission reconnaissent que l’offre de réparation faisait partie de la décision du Tribunal.

IV.             Le droit

[10]           En vertu du principe de droit de functus officio, en règle générale, les tribunaux ne peuvent revenir sur une décision définitive, sauf lorsqu’il y a eu un lapsus lors de sa rédaction, ou lorsqu’il y a eu une erreur dans l’expression de l’intention manifeste du tribunal (voir Chandler c. Alberta Association of Architects, [1989] 2 R.C.S. 848, au paragraphe 19 (Chandler)). Dans Chandler, la Cour suprême a conclu que le principe de droit de functus officio s’applique aussi aux tribunaux administratifs, bien que « […] son application doit être plus souple et moins formaliste […] » (Chandler, au paragraphe 21). Ainsi, il est possible qu’un tribunal revienne sur une décision si sa loi habilitante porte à croire que cela lui permettra d’exercer les fonctions que ladite loi lui confère (voir Chandler, au paragraphe 22). En outre, le tribunal peut rouvrir sa décision s’il a omis de trancher une question qui avait été soulevée à bon droit dans la procédure et qu’il a le pouvoir de trancher en vertu de sa loi habilitante (voir Chandler, au paragraphe 23). Cependant, le tribunal ne peut revenir sur sa décision simplement parce qu’il a changé d’avis, parce qu’il a commis une erreur dans le cadre de sa compétence, ou parce que les circonstances ont changé (voir Chandler, au paragraphe 20). De plus, le fait qu’une mesure de redressement est préférée à une autre mesure de redressement ne permet pas au Tribunal de rouvrir la procédure afin de changer de choix (voir Chandler, au paragraphe 23).

[11]           Dans Grover c. Canada (Conseil national de recherche) (1994), 80 F. T. R. 256 (C.F.) (Grover), une demande de contrôle judiciaire d’une décision du Tribunal, la Cour fédérale devait décider si le Tribunal avait le pouvoir de rester saisi quant à l’ordonnance de redressement. Le Tribunal avait ordonné que le plaignant soit nommé à un poste précis, mais était resté saisi en attente d’autres preuves au sujet de l’application de l’ordonnance. La Cour fédérale a déclaré que bien que la Loi ne contienne aucune disposition autorisant expressément le Tribunal à réexaminer ses décisions, le fait qu’elle investisse le Tribunal de larges pouvoirs, ajouté au fait qu’elle devrait être interprétée de manière large de façon à donner pleinement effet aux droits qu’elle protège, permet au Tribunal de rester saisi de l’affaire sur certains points afin de veiller à ce que les plaignants jouissent effectivement de la réparation qu’il leur a accordée (voir Grover, aux paragraphes 29 à 36). La Cour fédérale a ajouté :

De toute évidence, la Loi prescrit que la réparation accordée soit efficace et, en conséquence, il faut dans certains cas que le tribunal soit habilité à voir à ce que ses ordonnances réparatrices soient vraiment exécutées. Par conséquent, les pouvoirs en matière de réparation que lui confère le par. 53(2) doivent être interprétés comme incluant le pouvoir de réserver sa compétence sur certains points afin de veiller à ce que les plaignants jouissent effectivement de la réparation qu’il leur a accordée. Lui refuser ce pouvoir participerait d’un formalisme excessif et irait à l’encontre du but de la législation qui est fondamentalement réparatrice. Dans le contexte d’une ordonnance réparatrice assez complexe, il est logique que le tribunal demeure compétent à l’égard des questions de réparation afin de faciliter l’exécution de son ordonnance. Cette solution est conforme au but général de la législation et va dans le sens de l’application souple que préconise le juge Sopinka dans l’arrêt Chandler, précité. Ce serait contrecarrer l’objectif de la législation que d’obliger le plaignant à demander l’exécution d’une ordonnance non ambiguë devant la Cour fédérale ou à déposer une nouvelle plainte pour obtenir la réparation intégrale accordée par le Tribunal. (Grover, au paragraphe 33)

[12]           De façon semblable, dans Canada (Procureur général) c. Moore, [1998] 4 C.F. 585 (Moore), la Cour fédérale devait décider si le Tribunal avait outrepassé sa compétence en réexaminant et en changeant une ordonnance de cessation et abstention. Ayant conclu que la plainte était justifiée, le Tribunal a rendu une directive générale dans son ordonnance et a donné aux parties l’occasion de s’entendre sur les détails de l’ordonnance alors que le Tribunal restait saisi de l’affaire. Après avoir examiné le raisonnement dans l’affaire Grover et dans l’arrêt Chandler, la Cour fédérale a déclaré :

Le raisonnement suivi dans ces affaires appuie la conclusion que le tribunal jouit d’un large pouvoir discrétionnaire pour rouvrir une affaire et je conclus que c’est le cas en l’espèce. La question de savoir si ce pouvoir discrétionnaire est exercé convenablement par le tribunal dépendra des faits de chaque instance. Cela est compatible avec le principe énoncé dans l’arrêt Chandler c. Alberta Association of Architects, qui a été invoqué par le demandeur et qui portait sur la décision d’un organisme autre que le Tribunal canadien des droits de la personne. (Moore, au paragraphe 49)

[13]           La Cour fédérale a jugé que le Tribunal était resté saisi et que rien ne donnait à penser que le Tribunal était d’avis que sa décision était finale et exécutoire d’une façon qui l’empêcherait de revenir sur une question comprise dans l’ordonnance. Par conséquent, sur le fondement de l’affaire Grover, la Cour fédérale a conclu que le paragraphe 53(2) de la Loi permettait au Tribunal de rouvrir sa procédure (voir Moore, au paragraphe 50).

[14]           La jurisprudence du Tribunal qui a examiné le principe de droit de functus officio et qui a interprété la décision Grover et l’arrêt Moore, a généralement conclu que, si le Tribunal n’est pas resté saisi d’une question, la décision du Tribunal est finale, à moins qu’une exception au principe de droit de functus officio puisse être établi (voir Douglas c. SLH Transport Inc., 2010 TCDP 25; Walden c. Canada (Développement social), 2010 TCDP 19; Warman c. Beaumont, 2009 TCDP 32; et Goyette c. Voyageur colonial Ltée, (16 novembre 2001), 1ère inst. 14/01 (TCDP)). Cependant, la jurisprudence récente de la Cour fédérale, rendue plusieurs années après la décision Grover et l’arrêt Moore et qui examinait le pouvoir de la Commission de réexaminer ses décisions, offre un meilleur guide sur l’application du principe de droit de functus officio aux tribunaux administratifs et aux commissions.

[15]           Dans la décision Kleysen Transport Ltd c. Hunter, 2004 CF 1413 (Kleysen), la Commission avait enquêté sur une plainte et l’enquêteur avait recommandé que la plainte soit rejetée. Cependant, la Commission n’avait pas tenu compte de certaines des observations du plaignant. La Commission a donc réexaminé la plainte et l’a renvoyée au Tribunal. L’intimé a demandé le contrôle judiciaire des actions de la Commission. La Cour fédérale a conclu que rien dans la Loi ne donnait à la Commission le pouvoir de réexaminer ses décisions. Cependant, « la Commission est manifestement investie d’un pouvoir discrétionnaire considérable pour ce qui concerne l’examen préliminaire et le traitement des plaintes » (voir Kleysen, au paragraphe 8). La Cour fédérale a aussi examiné la décision de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’arrêt Zutter c. British Columbia (Council of Human Rights) (1995), 122 D.L.R. (4th) 665 (B.C.C.A.) (Zutter). Dans l’arrêt Zutter, le British Columbia Council of Human Rights avait aussi omis de tenir compte d’observations d’un plaignant et la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique avait conclu que le conseil avait le pouvoir de réexaminer la plainte vu les circonstances. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans Zutter, en plus d’examiner la loi habilitante du conseil, a aussi tenu compte du contexte général de la situation et a conclu que l’absence de droit de porter en appel la décision du conseil et le fait que le conseil tentait de corriger une injustice étaient des facteurs contextuels qui appuyaient le pouvoir du conseil de réexaminer sa décision. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a aussi examiné dans Zutter l’objectif général de la législation en matière de droits de la personne et a déclaré [traduction] « ce serait une malheureuse ironie si le conseil, dont l’existence même et le mandat de redressement sont caractérisés par les valeurs fondamentales d’équité et de justice, n’avait pas compétence pour réparer une injustice » (Zutter, au paragraphe 23). Dans la décision Kleysen, la Cour fédérale, examinant les arrêts Zutter et Chandler, a conclu :

[16]           Dans la présente espèce, la Commission a décidé de réexaminer sa première décision lorsqu’elle s’est rendu compte qu’elle avait négligé de prendre en considération certaines des observations de M. Hunter. Si elle ne l’avait pas fait, M. Hunter aurait fort bien pu former une demande de contrôle judiciaire au motif que la Commission l’aurait traité injustement en omettant de prendre en considération la totalité de ses observations. À mon avis, la Commission a eu raison de décider d’examiner le point de savoir si sa première décision était bien fondée à la lumière des nouvelles observations, plutôt que d’imposer à M. Hunter la charge de former une demande devant notre Cour. (Kleysen, au paragraphe 12)

[17]            Dans la décision Merham c. Banque royale du Canada, 2009 CF 1127 (Mehram), le plaignant avait demandé le contrôle judiciaire d’une décision de la Commission. La Commission avait décidé de ne pas réexaminer sa décision précédente après présentation de nouveaux renseignements, parce que les renseignements ne démontraient pas de lien avec un motif de distinction illicite. La Cour fédérale a conclu que la décision de la Commission était raisonnable et elle a confirmé que la Commission avait le pouvoir de réexaminer ses décisions. En particulier, après avoir examiné la décision Kleysen et les arrêts Zutter et Chandler, la Cour fédérale a déclaré :

Par conséquent, compte tenu de la jurisprudence précitée, je conclus que la Commission a le pouvoir de réexaminer ses propres décisions, mais qu’il s’agit d’un pouvoir discrétionnaire qui doit être exercé de façon restreinte dans des circonstances exceptionnelles. (Merham, au paragraphe 25)

V.                Analyse

[18]           L’application du principe de droit de functus officio aux tribunaux administratifs doit être souple et ne doit pas être trop formaliste (voir Chandler, au paragraphe 21). Dans la décision Grover, lorsqu’elle s’est prononcée sur la question de savoir si le Tribunal pouvait superviser l’application de ses ordonnances de redressement, la Cour fédérale a reconnu que le Tribunal avait le pouvoir de rester saisi de ses ordonnances de redressement afin de garantir qu’elles étaient bel et bien appliquées. Dans la décision Moore, pour décider si le Tribunal pouvait réexaminer et changer une ordonnance de redressement, la Cour fédérale a précisé le raisonnement de la décision Grover et a déclaré que « le tribunal jouit d’un pouvoir discrétionnaire important de rouvrir une affaire […] » (Moore, au paragraphe 49). Conformément à la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Chandler, la Cour fédérale a ajouté que « [l]a question de savoir si ce pouvoir discrétionnaire est exercé convenablement par le tribunal dépendra des faits de chaque instance » (Moore, au paragraphe 49).  Dans les décisions Grover et Moore, bien que la Cour fédérale ait tenu compte du fait que le Tribunal était resté saisi de l’affaire lorsqu’elle a tranché la question de savoir si le Tribunal avait exercé son pouvoir discrétionnaire de façon appropriée pour rouvrir une affaire, finalement, il ne s’agissait pas du seul facteur dont la Cour a tenu compte. En plus d’examiner le contexte de chaque affaire, le Tribunal doit aussi examiner si « la loi habilitante porte à croire qu’une décision peut être rouverte afin de permettre au Tribunal d’exercer la fonction que lui confère sa loi habilitante » (Chandler, au paragraphe 22). Cette méthode d’analyser le pouvoir discrétionnaire du Tribunal de rouvrir une affaire est conforme au raisonnement de la Cour fédérale dans les décisions Kleysen et Merham. La question devient alors : compte tenu de la Loi et des circonstances en l’espèce, le Tribunal devrait-il rouvrir l’affaire afin d’exercer la fonction que lui confère la Loi canadienne sur les droits de la personne?

[19]           Le principal objectif de la Loi est de « […] déceler les actes discriminatoires et […] les supprimer » (Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84, au paragraphe 13). À ce sujet, le paragraphe 53(2) de la Loi accorde au Tribunal un large pouvoir discrétionnaire de redressement afin d’éliminer la discrimination lorsqu’une plainte de discrimination est justifiée (voir Grover, au paragraphe 31). Par conséquent, comme la Cour fédérale l’a déclaré, « il faut donc interpréter le paragraphe 53(2) de manière à faciliter l’indemnisation des victimes d’actes discriminatoires » (Grover, au paragraphe 32). La Loi ne prévoit pas un droit d’appel des décisions du Tribunal, et le contrôle judiciaire n’est pas le forum approprié pour demander l’application d’une décision du Tribunal. Comme la Cour fédérale l’a expliqué à la plaignante : « la demanderesse pouvait solliciter une ordonnance du Tribunal en ce qui concernait la mise en œuvre de ces réparations ». (Berberi c. Tribunal canadien des droits de la personne et Procureur général du Canada (GRC), 2011 CF 485, au paragraphe 65). Lorsque le Tribunal rend une ordonnance de redressement en application du paragraphe 53(2), cette ordonnance peut devenir une ordonnance de la Cour fédérale afin d’être appliqué, au sens de l’article 57 de la Loi. L’article 57 permet aux décisions du Tribunal d’être « […] exécutées à elles seules par l’entremise de procédures d’outrage parce que, comme pour les décisions des cours supérieures, le législateur estime qu’elles méritent le respect que les procédures d’outrage sont censées assurer » (Canada (Commission des droits de la personne) c. Warman, 2011 CAF 297, au paragraphe 44). Cependant, comme la Cour fédérale l’a déclaré : « ce serait contrecarrer l’objectif de la législation que d’obliger le plaignant à demander l’exécution d’une ordonnance non ambiguë devant la Cour fédérale ou à déposer une nouvelle plainte pour obtenir la réparation intégrale accordée par le Tribunal » (Grover, au paragraphe 33). Gardant ce cadre légal en tête, je me pencherai maintenant sur la situation précise pour laquelle la plaignante a demandé au Tribunal de rouvrir sa plainte.

[20]           En l’espèce, la plaignante ne conteste pas la finalité de la décision du Tribunal. La validité ou la justesse de la décision du Tribunal n’est pas en question, et la plaignante ne demande pas au Tribunal de changer les mesures de redressement qui sont précisés dans sa décision. Elle demande plutôt au Tribunal l’occasion de réclamer l’application efficace d’une offre de réparation, qui, selon toutes les parties, faisait partie de la décision du Tribunal en l’espèce. En ce sens, l’offre de réparation n’était pas une entente privée entre les parties. Comme la plainte était justifiée, le Tribunal avait le pouvoir de rendre une ordonnance de redressement au sens du paragraphe 53(2) de la Loi, mais les parties ont convenu qu’une telle ordonnance n’était pas nécessaire (voir Berberi, au paragraphe 33). Cela dit, ne serait-il pas exagérément formaliste de refuser à une victime de discrimination l’occasion de demander l’application efficace d’une mesure de redressement pour la seule raison que le Tribunal n’a pas fait de cette mesure de redressement une « ordonnance »? Bien que le Tribunal ait laissé le soin aux parties d’appliquer la mesure de redressement, il s’attendait sans doute à ce que la mesure de redressement soit appliquée rapidement pour la plaignante. De plus, le Tribunal a traité de la question de la mesure de redressement dans ses motifs et a établi les conditions de cette mesure (voir Berberi, au paragraphe 32). Cependant, sans une ordonnance du Tribunal, la plaignante se retrouve sans mécanismes d’exécution au sujet de l’offre de réparation. Comme les pouvoirs de redressement du Tribunal devraient être interprétés de manière à « […] faciliter l’indemnisation des victimes d’actes discriminatoires » (Grover, au paragraphe 32) et comme la Loi « […] prescrit que la réparation accordée soit efficace […] » (Grover, au paragraphe 33), il serait contraire au mandat de redressement de la Loi de refuser à la victime de discrimination en l’espèce l’occasion de rouvrir sa plainte afin de demander l’application efficace de l’offre de réparation. De façon semblable au raisonnement de la Cour fédérale dans Zutter, il serait malheureusement ironique que le Tribunal, dont l’existence même et l’objectif de redressement sont caractérisés par les valeurs fondamentales de l’équité et de la justice, n’ait tout de même pas le pouvoir de réparer une possible injustice (voir Zutter, au paragraphe 23). Par conséquent, vu les circonstances en l’espèce, le Tribunal conclut qu’il a compétence pour rouvrir l’affaire afin de traiter des questions liées à l’application de l’offre de réparation. Le Tribunal organisera une téléconférence de gestion d’instance entre les parties pour déterminer de quelle façon il procédera.

 

Signée par

Shirish P. Chotalia

Présidente du tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 29 décembre 2011

 

 

 

 

 

 

 

Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T1311/4108

Intitulé de la cause : Detra Berberi c. Procureur général du Canada

Date de la décision sur requête du tribunal : Le 29 décembre 2011

Comparutions :

Gavin G. Leeb, pour la plaignante

François Lumbu, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Shelley C. Quinn, pour l'intimé

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