Tribunal canadien des droits de la personne

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Contenu de la décision

Tribunal canadien des droits de la personne

Entre :

Ruth Walden et autres

les plaignants

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

Commission

- et -

Procureur général du Canada

(Représentant le Conseil du Trésor du Canada et

Ressources humaines et Développement des compétences Canada)

l'intimé

L’Institut professionnel de la fonction publique du Canada

la partie intéressée

Décision sur requête

Membre : Matthew D. Garfield

Date : Le 24 octobre 2011

Référence : 2011 TCDP 19

 


Introduction

[1]               Le 30 septembre 2011, j’ai accordé la requête de l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC) en obtention du statut de partie intéressée à l’instance en l’espèce, selon certaines conditions. L’IPFPC peut contre‑interroger des témoins et présenter des observations, mais peut seulement présenter des preuves après avoir obtenu l’autorisation préalable du Tribunal. Voici mes motifs pour cette décision sur requête.

Instance principale

[2]               L’instance porte sur la conclusion d’une autre formation du Tribunal selon laquelle :

[…] les plaignants [qui sont maintenant 417] ont établi que le refus des intimés, depuis mars 1978, de reconnaître la nature professionnelle du travail effectué par les évaluateurs médicaux [presque exclusivement des femmes] proportionnellement à la reconnaissance professionnelle accordée au travail des conseillers médicaux [principalement des médecins de sexe masculin] constitue un acte discriminatoire au sens des articles 7 et 10. L’acte a eu pour effet de priver les évaluateurs de la reconnaissance professionnelle et de la rémunération équivalente à leurs qualifications et de les priver du paiement de leurs droits professionnels ainsi que des possibilités de formation et d’avancement professionnel au même titre que les conseillers.

[Walden c. Canada (Développement social), 2007 TCDP 56, au paragraphe 143]

Les évaluateurs médicaux et les conseillers médicaux traitent des demandes présentées dans le cadre du programme de prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada.

[3]               Tant la décision du Tribunal sur la responsabilité que sa décision sur la réparation ont fait l’objet de contrôles judiciaires, dont l’un a été rejeté dans le cas de la décision sur la responsabilité et dont l’autre a été accueilli dans le cas de la décision sur la réparation. La question de la réparation a été renvoyée afin que deux questions soient résolues : la première portant sur l’indemnisation pour préjudice moral et la deuxième portant sur l’indemnisation pour la perte de revenu (y compris les avantages sociaux). Les parties ont négocié une entente pour la question du préjudice moral et ont demandé au Tribunal une ordonnance sur consentement réglant cette question. La question de la perte de revenu reste pendante.

Requête en obtention du statut de partie intéressée

[4]               L’IPFPC a présenté une requête en obtention du statut de partie intéressée, avec tous les droits : c’est‑à‑dire le droit de présenter des preuves, de contre‑interroger les témoins et de présenter des observations (orales et écrites). Les plaignants qui sont représentés par Me Armstrong et par Me Harrison ainsi que la Commission acceptent que l’IPFPC obtienne le statut de partie intéressée. Les plaignants qui se représentent eux‑mêmes ne se sont pas prononcés sur la question. L’intimé s’oppose à la requête.

Motifs de la requête

[5]               L’IPFPC soutient que l’article 50 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H‑6 (la LCDP), donne au Tribunal une grande discrétion pour rendre une telle décision. Il soutient que le statut de partie intéressée (parfois appelé statut d’intervenant) a été accordé par le passé par le Tribunal dans les situations où :

a)      l’expertise de l’éventuelle partie intéressée aiderait le Tribunal;

b)      sa participation ajouterait à la position juridique des parties;

c)      l’instance pourrait avoir des répercussions sur les intérêts de la partie requérante.

L’IPFPC soutient que le fait de satisfaire à l’un de ces critères est suffisant pour obtenir le statut.

[6]               La partie requérante soutient qu’elle a satisfait aux trois critères ou conditions. Quant au premier critère, l’IPFPC a 91 ans d’expérience à titre d’association, puis de syndicat, représentant des fonctionnaires fédéraux. Aujourd’hui, l’Institut compte environ 57 000 membres employés par environ 27 employeurs différents dans sept compétences. Dix‑huit des unités de négociation, qui comportent plus de 40 000 membres, relèvent de la sphère du gouvernement fédéral. Ces membres de la fonction publique fédérale [traduction] « sont hautement qualifiés et instruits et sont composés principalement de scientifiques et d’autres professionnels ». Notamment, l’IPFPC est l’agent négociateur des évaluateurs médicaux (des infirmiers et infirmières) (en date du 20 juillet 2011), des conseillers médicaux (des médecins), et en effet, de tous les sous‑groupes du groupe professionnel Services de santé (SH). Ce groupe comprend donc les évaluateurs médicaux dans la fonction publique fédérale.

[7]               L’IPFPC soutient que son expertise aidera le Tribunal à déterminer le montant de perte de revenu et la méthode pour arriver à cette décision. [traduction] « À titre d’agent négociateur avancé et qui a de l’expérience dans la fonction publique fédérale, l’Institut compte un effectif professionnel qui a de l’expertise dans les domaines de la classification, des négociations collectives et des taux de rémunération de la fonction publique fédérale. Les plaignants ne possèdent pas cette expertise et cette connaissance. » L’IPFPC souligne aussi qu’il possède de l’expertise en matière de droits de la personne et une [traduction] « expérience manifeste » de la présentation de plaintes en matière de droits de la personne devant le Tribunal et les cours.

[8]               L’agent négociateur soutient aussi que sa participation ajoutera à la position juridique des parties. Il cite un certain nombre d’exemples. L’IPFPC soutient que sa participation ne chevauchera pas celle des parties, bien qu’il reconnaisse que beaucoup de ses positions seront semblables à celles des plaignants et de la Commission.

[9]               Quant au troisième critère, il soutient qu’il a un intérêt à titre d’agent négociateur et que certains de ses membres participent évidemment à l’instance. Il est l’agent négociateur actuel pour les évaluateurs médicaux, qui comprennent la majorité des plaignants (certains d’entre eux ont pris leur retraite) et pour les évaluateurs médicaux qui ne sont pas plaignants en l’espèce, mais qui pourraient néanmoins avoir droit à une indemnisation à titre de « victimes » au sens de la LCDP.

[10]           L’IPFPC note que la convention collective du groupe SH est venue à échéance le mois dernier. La conclusion du Tribunal au sujet de la question de la perte de revenu sera pertinente quant à la négociation de la nouvelle convention collective, bien que les deux processus soient distincts. L’IPFPC reconnaît que le Tribunal doit déterminer le montant approprié pour la perte de revenu passée en fonction de la LCDP, de la jurisprudence et de la preuve dont il est saisi. [traduction] « Néanmoins, même un paiement forfaitaire pour la perte de revenu passée pourrait affecter les dispositions sur le taux de rémunération de la prochaine convention collective des évaluateurs médicaux et, par conséquent, les clauses de la prochaine convention collective pourraient être affectées par une décision du Tribunal. »

[11]           L’IPFPC soutient aussi que la position de l’intimé au sujet de la négociation n’est pas cohérente et n’est pas claire [traduction] « en ce qui a trait au rôle de la négociation collective et du taux de rémunération négocié en fonction de la conclusion du Tribunal sur la perte de revenu ». Par conséquent, il [traduction] « reste préoccupé par le fait que ses intérêts et ceux de ses membres pourraient être affectés par une ordonnance du Tribunal ».

[12]           L’agent négociateur soutient aussi que ses intérêts et ceux de ses membres sont en jeu en l’espèce, en particulier compte tenu du fait que la pratique discriminatoire se poursuit aujourd’hui – c’est‑à‑dire que les évaluateurs médicaux reçoivent toujours un salaire en fonction du taux de rémunération de la classification des administrateurs de programmes. Cela malgré le fait que le Tribunal a ordonné le 25 mai 2009 que le poste d’évaluateur médical soit reclassifié dans un nouveau sous‑groupe en sciences infirmières (NU‑EMU) et que « le travail visant à la mise en place de ce nouveau sous‑groupe NU commence dans les 60 jours suivant la date de la présente décision » : voir Walden c. Canada (Développement social), 2009 TCDP 16, au paragraphe 60. Selon l’IPFPC, cela équivaut à une [traduction] « victoire à la Pyrrhus ».

La position de l’intimé

[13]           L’intimé soutient que, pour obtenir le statut de partie intéressée, un demandeur doit satisfaire au critère à deux volets suivant :

a)      le demandeur doit démontrer que son expertise aidera à trancher les questions dont le Tribunal est saisi;

b)      le demandeur doit démontrer qu’il ajoutera de façon importante à la position juridique des parties qui ont un point de vue semblable.

L’intimé soutient que l’IPFPC ne satisfait à aucun des deux volets.

[14]           Maintenant que la question du préjudice moral semble être réglée (en fonction de la question de savoir si tous les plaignants qui se représentent eux‑mêmes ont souscrit à l’entente), la question qu’il reste au Tribunal à trancher est distincte : le montant de la perte de revenu (y compris les avantages sociaux). L’intimé soutient que l’expertise que l’IPFPC dit posséder (c’est‑à‑dire dans les domaines de la classification, de la négociation collective, des taux de rémunération dans la fonction publique fédérale et des droits de la personne) n’aideront pas le Tribunal.

[15]           En ce qui a trait à son expertise en matière de classification, l’intimé soutient que le Tribunal a déjà rendu une décision et a ordonné la création d’un nouveau sous‑groupe en sciences infirmières. Cet aspect de l’ordonnance n’a pas fait l’objet d’un contrôle judiciaire. [traduction] « En fait, les plaignants ont soutenu devant le Tribunal que la mesure de redressement appropriée serait de les inclure dans la classification des sciences infirmières [dans un nouveau sous‑groupe : NU‑EMU]. » L’IPFPC ne devrait pas pouvoir [traduction] « lancer une attaque collatérale sur l’ordonnance précédente quant à reclassification […] » Par conséquent, son expertise dans ce domaine n’aidera pas le Tribunal.

[16]           L’intimé soutient que l’expertise de l’IPFPC en négociation collective n’aidera pas en l’espèce. Le Tribunal ne peut pas ordonner une indemnisation pour toute période au‑delà de la date à laquelle la pratique discriminatoire a cessé, conformément à la LCDP. De plus, il peut seulement ordonner un paiement forfaitaire à titre de mesure de redressement monétaire.

[17]           Quant aux taux de rémunération de la fonction publique, l’intimé soutient que ceux‑ci sont à la disposition du public et sont affichés en ligne. [traduction] « […] l’IPFPC n’offre aucune expertise qui s’ajoute à ce qui est déjà à la disposition du public ou qui peut être obtenu par l’entremise du Secrétariat du Conseil du Trésor. »

[18]           En ce qui a trait à l’expertise en matière de droits de la personne, l’intimé soutient que le Tribunal lui‑même ainsi que la Commission ont une expertise reconnue par la loi dans ce domaine.

[19]           L’IPFPC n’ajouterait pas non plus à la position juridique des parties, selon l’intimé. [traduction] « Les observations [de l’agent négociateur] indiquent que sa position est virtuellement identique à celle des plaignants et de la Commission. »

[20]           L’intimé soutient aussi que la nouvelle décision du Tribunal au sujet de la perte de revenu passée n’affectera pas les intérêts de l’IPFPC. Rien dans l’instance à ce jour n’affecte la réputation de l’agent négociateur et, en effet, l’IPFPC n’est que récemment devenu l’agent négociateur des plaignants qui sont évaluateurs médicaux pour le RPC. De plus, il n’existe aucune convention collective en vigueur entre le Conseil du Trésor et l’IPFPC pour les évaluateurs médicaux. Les évaluateurs médicaux sont toujours payés au taux de rémunération PM. De plus, [traduction] « la négociation collective est un processus distinct du réexamen du Tribunal au sujet de la perte de revenu passée. » De plus, l’intimé soutient que, bien que l’IPFPC représente les évaluateurs médicaux et d’autres sous‑groupes en sciences infirmières, aucun de ces groupes n’est partie en l’espèce. Par conséquent, le Tribunal n’a pas compétence pour rendre une ordonnance visant ces groupes.

[21]           En conclusion, l’intimé soutient que les plaignants représentés par Me Armstrong ont été bien représentés. [traduction] « Essentiellement, l’intérêt de l’IPFPC vise à demander, avec les plaignants, une indemnité pour perte de revenu passée qui est fondée sur un taux de rémunération aussi élevé que possible afin que l’IPFPC puisse ensuite utiliser ce nouveau taux de rémunération passée comme moyen de négociation dans la prochaine négociation collective. »

Analyse

Les dispositions légales et la loi

[22]           L’article 50 de la LCDP donne au Tribunal le pouvoir d’ajouter des parties intéressées à la procédure. L’article ne prévoit aucune condition pour l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire. L’article 8 des Règles de procédure du Tribunal traite des aspects procéduraux d’une telle requête. Il existe de nombreux précédents du Tribunal traitant de requêtes en obtention du statut de partie intéressée.

[23]           En bref, la jurisprudence indique que le statut de partie intéressée a déjà été accordé par le Tribunal dans les situations où :

a)      l’expertise de l’éventuelle partie intéressée aiderait le Tribunal;

b)      sa participation ajouterait à la position juridique des parties;

c)      l’instance pourrait avoir des répercussions sur les intérêts de la partie requérante.

[24]           J’accueille la requête, avec conditions, parce que je suis convaincu que l’IPFPC a démontré qu’il satisfait aux trois critères. Pour la question de l’expertise pouvant aider le Tribunal, je suis convaincu que l’IPFPC, comme il l’a démontré dans l’historique donné ci‑dessus, a de l’expertise dans des domaines pour lesquels les plaignants et la Commission n’ont pas d’expertise, qui aidera le Tribunal à déterminer le montant de perte de revenu et la méthode pour arriver à cette conclusion. L’exercice auquel le Tribunal doit participer n’est pas simple. L’IPFPC aidera à titre de partie intéressée. De plus, bien que les positions de l’IPFPC soient, pour la majeure partie, identiques ou semblables à celles des plaignants et de la Commission, il y a des moments où il prend une approche différente, certaines approches étant plus nuancées que d’autres.

[25]           Quant au troisième motif, je suis convaincu que l’instance aura des répercussions sur les intérêts des membres de l’IPFPC. L’IPFPC est l’agent négociateur des évaluateurs médicaux plaignants et non plaignants qui peuvent être reconnus à titre de « victimes » au sens de la LCDP et qui ont droit à une indemnisation. Pour cette seule raison, je conclus que l’IPFPC a un intérêt dans cette phase de l’instance.

[26]           Il est vrai que l’IPFPC n’est devenu l’agent négociateur que très récemment. Cependant, la pratique discriminatoire n’a pas cessé, elle est continue. Bien que le poste d’évaluateur médical a été reclassifié, les plaignants (et les « victimes » si elles sont incluses) sont, entre autres, toujours rémunérés au taux discriminatoire de PM. L’ordonnance du Tribunal datée du 25 mai 2009 n’a pas été mise en œuvre complètement.

[27]           Je conviens aussi avec l’IPFPC que la position de l’intimé au sujet du chevauchement entre l’instance en l’espèce et la négociation collective n’est pas cohérente. Bien que je reconnaisse que les deux processus sont distincts et que le Tribunal doit trancher une question distincte (le montant de perte de revenu/avantages sociaux, supposant que la question du préjudice moral a été acceptée par tous les plaignants), il y a un chevauchement. La conclusion du Tribunal au sujet de la perte de revenu peut influencer les positions prises par le Conseil du Trésor et par l’agent négociateur dans les négociations collectives à venir. Bien entendu, il revient aux parties de la négociation collective de voir si cela se produira lors de la négociation ultime des taux de rémunération.

Conclusion

[28]           Compte tenu de ce qui précède, j’ai ordonné le 30 septembre 2011 que l’IPFPC obtienne le statut de partie intéressée, sous réserve de certaines conditions. Je suis convaincu qu’il peut apporter des contributions nécessaires et représenter les intérêts de ses membres en contre‑interrogeant des témoins et en présentant des observations – orales ou écrites. S’il devient évident qu’il doit aussi présenter des preuves, l’IPFPC pourra en demander l’autorisation.

[29]           L’obtention du statut de partie intéressée de l’IPFPC ne devrait pas être interprétée comme une invitation à rouvrir les questions qui ont déjà été réglées. Par exemple, quant à la question de la classification dans le sous‑groupe NU‑EMU, j’hésite à aller à reculons et à rouvrir cette question, comme l’IPFPC semble le suggérer, en supposant que j’aie le pouvoir de le faire, parce que cette question a été tranchée par une formation précédente du Tribunal et n’a pas fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire par l’une des parties. Cette question sera traitée lors de la conférence de gestion d’instance à venir.

 

 

Signée par

Matthew D. Garfield

Membre du tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 24 octobre 2011

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T1111/9205, T1112/9305 et T1113/9405

Intitulé de la cause : Ruth Walden et autres. c. Procureur général du Canada (représentant le Conseil du Trésor du Canada et Ressources humaines et Développement des compétences Canada)

Date de la décision sur requête du tribunal : Le 24 octobre 2011

 

Comparutions :

Laurence Armstrong, pour 382 plaignants

Marlene Harrison, pour 9 plaignants

Aucune observation reçue, pour 26 plaignants se représentant eux-mêmes

Daniel Poulin, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Lynn Marchildon, pour l'intimé

Peter Engelmann, pour la partie intéressée

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