Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien des droits de la personne

Entre :

Fallan Davis

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

Commission

- et -

Agence des services frontaliers du Canada

l'intimée

Décision sur requête

Membre : Wallace G. Craig

Date : Le 21 octobre 2011

Référence : 2011 TCDP 18

 


I.                   Questions examinées quant à la compétence

[1]               Le matin du 18 novembre 2005, Teiohontathe Fallan Davis (Teiohontathe) revenait chez elle des États-Unis. Elle était seule, conduisant un vieux véhicule utilitaire sport (VUS) noir. Teiohontathe s’est arrêtée au point d’entrée de l’île de Cornwall à Cornwall (Ontario) de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), où elle était bien connue des agents de l’ASFC parce qu’elle est résidente de la réserve Akwesasne et qu’elle voyage souvent, traversant la frontière plusieurs fois par jour.

[2]               L’ASFC est un organisme établi par la Loi sur l’Agence des services frontaliers du Canada (la loi sur l’ASFC). Son mandat est établi à l’article 5 de la loi sur l’ASFC :

 (1) L’Agence est chargée de fournir des services frontaliers intégrés contribuant à la mise en œuvre des priorités en matière de sécurité nationale et de sécurité publique et facilitant le libre mouvement des personnes et des biens — notamment les animaux et les végétaux — qui respectent toutes les exigences imposées sous le régime de la législation frontalière. À cette fin, elle :

a) fournit l’appui nécessaire à l’application ou au contrôle d’application, ou aux deux, de la législation frontalière;

 

[…]

[3]               Il est bien connu que les personnes qui entrent au Canada passent par un processus à une étape ou à deux étapes lors du passage à la douane et au bureau d’immigration. La première étape est un examen primaire lors duquel un agent de l’ASFC pose des questions préliminaires au voyageur, après lesquelles on peut permettre au voyageur de continuer sa route. Cependant, si l’agent détermine, en fonction des exigences des douanes ou de l’immigration, qu’un examen plus approfondi est nécessaire, il renvoie le voyageur à un autre agent pour un deuxième examen.

[4]               Teiohontathe a fait l’objet d’un examen primaire rapide, suivi d’un deuxième examen très long, au cours duquel elle a dû rester debout à l’extérieur alors qu’il faisait très froid, pendant que son VUS était balayé par le système mobile d’inspection des véhicules et du fret (VACIS), et pendant que plusieurs agents ont fouillé son VUS par la suite. À la fin de ce processus d’examen primaire et secondaire, le VUS de Teiohontathe lui a été rendu et elle a pu entrer au Canada.

[5]               Dans son exposé des précisions, l’ASFC déclare que le VUS de Teiohontathe a été [traduction] « visé par une inspection de routine » avec l’aide du VACIS, et aussi que son VUS était le type de véhicule qui avait été ciblé pour inspection ce jour‑là par un agent du renseignement de l’ASFC en raison d’une inspection récente d’un VUS qui avait révélé un compartiment secret qui pouvait être utilisé pour de la contrebande.

[6]               Dans une plainte qu’elle a déposée à la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission), Teiohontathe a soutenu que les agents de l’ASFC ont fait preuve de profilage racial et ont enfreint ses droits au sens de l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personnes (la LCDP) en la visant pour une deuxième inspection avec le VACIS, et qu’en raison de sa race, de son âge ou de son sexe, elle a fait l’objet de soupçons ou d’agression accrus et a subi des commentaires dégradants insultants et de nature raciste.

[7]               Le membre Réjean Bélanger du Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) a instruit la plainte de Teiohontathe pendant les périodes allant du 30 novembre au 4 décembre et du 14 décembre au 18 décembre 2009, mais il n’a pas terminé l’instruction. Le membre Bélanger a suspendu l’audience en raison de l’argument de l’ASFC selon lequel il faisait preuve de partialité démontrable envers la plaignante et qu’il devrait se récuser. Une requête officielle de l’ASFC a été entendue le 13 octobre 2010 et, le 28 mars 2011, le membre Bélanger a rendu une décision rejetant la requête. Il s’est par la suite retiré à titre d’arbitre et, en temps voulu, la présidente du Tribunal m’a nommé pour que je poursuive l’instruction.

[8]               Le 24 août 2011, l’avocat de l’ASFC a présenté des arguments écrits et oraux à l’appui de sa requête en ordonnance rejetant la plainte de Teiohontathe contre l’ASFC au motif que l’ASFC ne fournit pas des « services » au sens de l’article 5 de la LCDP lorsqu’elle applique les lois du Canada sur les douanes et l’accise et que, par conséquent, l’ASFC n’est pas assujettie à l’article 5 de la LCDP et à la compétence du Tribunal.

[9]               L’avocat de l’ASFC a exposé la question et la position de l’ASFC de façon concise :

[traduction] Les tâches et les fonctions des agents de l’ASFC lorsqu’ils ont posé des questions à la plaignante à son entrée au Canada et lorsqu’ils ont examiné et balayé son véhicule constituent‑ils la « fourniture […] de services » au sens de l’article 5 de la LCDP?

L’ASFC soutient que les tâches et les fonctions des agents de l’ASFC lorsqu’ils ont appliqué la Loi sur les douanes de la façon dont on se plaint en l’espèce ne constituent pas la « fourniture […] de services » au sens de l’article 5 de la LCDP et que, par conséquent, le Tribunal n’a pas compétence pour instruire la plainte de la plaignante.

[10]           Teiohontathe était présente à l’audition de la requête et, bien qu’elle ne fût pas représentée par un avocat, des observations ont été présentées en son nom par Mme Dana Thompson (Kakweraias), qui a résumé l’histoire de la nation Akwesasne et de la collectivité de Teiohontathe, Kanion’ke:haka. La nation Akwesasne chevauche la frontière du Canada et des États-Unis, la plaçant sous plusieurs compétences, celles de l’Ontario et du Québec au Canada, et celle de l’État de New York aux États-Unis, entraînant pour le peuple Akwesasne de nombreuses traversées des frontières. Teiohontathe traverse la frontière de façon régulière, parfois jusqu’à 10 fois par jour, lorsqu’elle amène sa fille à l’école, qu’elle visite des membres de sa famille, qu’elle s’occupe de ses affaires personnelles et lorsqu’elle mène ses activités.

[11]           Dans son énoncé des précisions, l’ASFC reconnaît que [traduction] « le point d’entrée de l’île de Cornwall est situé sur la réserve Mohawk d’Akwesasne. Environ 80 % des voyageurs qui traversent la frontière à cet endroit sont des résidents de la réserve d’Akwesasne. À la demande de la collectivité Mohawk, l’une des voies de circulation située au point d’entrée de l’île de Cornwall (la voie d’inspection primaire 4 ou P4) est réservée pour l’utilisation exclusive des résidents de la réserve d’Akwesasne et est ouverte lors des moments les plus achalandés ».

[12]           La Commission était représentée par un avocat à l’audition de la requête et elle était d’avis que l’interaction de l’ASFC avec Teiohontathe au point d’entrée de Cornwall le 18 novembre 2005 constituait des « services » au sens de l’article 5 de la LCDP et, par conséquent, que le Tribunal a compétence pour entendre la plainte. Teiohontathe a adopté l’argument de la Commission au sujet de la question de la compétence.

[13]           L’article 5 de la LCDP prévoit :

Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, pour le fournisseur de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public :

                a) d’en priver un individu;

                b) de le défavoriser à l’occasion de leur fourniture.

[14]           L’article 3 de la LCDP précise que les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience.

[15]           L’ASFC soutient que le terme « services » sous-entend qu’un avantage est offert à titre de services au public et que les actions d’application de la loi telles que celles entreprises par les agents de l’ASFC auprès de Teiohontathe ne constituaient pas des services parce qu’elles ne sont pas offertes au public et qu’elles ne sont pas le résultat d’un processus qui a lieu dans le contexte d’une relation publique.

[16]           L’ASFC cite l’arrêt Canada (Procureur général) c. Watkin, 2008 CAF 170, à titre de jurisprudence à l’appui de sa position et mentionne en particulier les paragraphes 31, 33 et 34 :

[31]      Sur ce point, je suis d’accord pour dire que, comme les mesures du gouvernement sont généralement prises au profit du public, l’exigence prévue à l’article 5, suivant laquelle elles doivent être « destinées au public » est habituellement satisfaite dans les affaires mettant en cause une discrimination attribuable à des mesures prises par le gouvernement (voir, par exemple, les décisions Rosin, précitée, au paragraphe 11, et Saskatchewan Human Rights Commission c. Saskatchewan (Department of Social Services) , (1988), 52 D.L.R. (4th) 253, aux p. 266‑268). Toutefois, la première étape à franchir lorsqu’on applique l’article 5 consiste à déterminer si les actes reprochés constituent des « services » (Gould, précité, le juge La Forest, au paragraphe 60). À cet égard, les « services » visés à l’article 5 s’entendent de quelque chose d’avantageux qui est « offert » ou « mis à la disposition » du public (Gould, précité, le juge La Forest, au paragraphe 55). Or, comment pourrait-on prétendre que des mesures visant à faire respecter la loi sont « offertes » ou « mises à la disposition » du public, d’autant plus qu’elles ne s'inscrivent pas « dans le cadre d'une relation publique » (idem, le juge Iacobucci, au paragraphe 16). Je conclus donc que les mesures d’application de la loi en litige dans le cas qui nous occupe ne sont pas des « services » au sens de l’article 5.

[33]      Il faut tenir compte des actes précis à l’origine de l’allégation de discrimination pour pouvoir déterminer s’il s’agit de « services » (Gould, précité, le juge Iacobucci, au paragraphe 16, le juge La Forest, au paragraphe 60), et du fait que les mesures prises par un organisme public pour le bien du public ne peuvent transformer en un service ce qui de toute évidence ne l’est pas. À moins d’être des « services », les mesures prises par le gouvernement ne tombent pas sous le coup de l’article 5. Attendu que, dans le cas qui nous occupe, les mesures d’application de la loi qui font l’objet de la plainte ne constituent pas des « services » et ce, peu importe le sens que l’on attribue à ce mot, la Commission n’a pas compétence pour statuer sur la plainte.

[34]      Pour en arriver à cette conclusion, j’ai constamment tenu compte du fait que la Loi, qui est vouée à la promotion et à la défense des droits de la personne, doit recevoir une interprétation large, libérale et téléologique afin d’en maximiser la portée. Il ne s’agit cependant pas de donner au mot « services » une interprétation généreuse pour atteindre cet objectif; on ne doit pas attribuer à ce mot un sens qu’il ne peut recevoir (Gould, précité, le juge La Forest, au paragraphe 50, et le juge Iacobucci, au paragraphe 13).

[17]           Je conclus que les paragraphes 31, 33 et 34 doivent être lus dans le contexte du paragraphe 22 :

[22]      À mon avis, en appliquant la Loi sur les aliments et drogues de la manière qui lui est reprochée, Santé Canada ne fournissait pas des « services … destinés au public » au sens de l’article 5. Les agissements en question sont des mesures coercitives destinées à assurer le respect de la Loi. Le fait que ces mesures ont été prises dans l’intérêt public n’en fait pas des « services ». [Non souligné dans l’original.]

[18]           L’avocat de la Commission a soutenu que l’arrêt Watkin n’est pas contraignant. Ses arguments peuvent se résumer ainsi :

         L’arrêt Watkin laisse entendre que des mesures d’application de la loi dans d’autres cas pourraient constituer des « services » au sens de l’article 5 de la LCDP. Watkin, au paragraphe 31 : « Je conclus donc que les mesures d’application de la loi en litige dans le cas qui nous occupe ne sont pas des « services » au sens de l’article 5 ».  [Non souligné dans l’original.]

         La Cour d’appel fédérale n’a pas cité ou mentionné le Règlement sur les enquêtes sur les droits de la personne en matière des douanes et de l’accise dans sa discussion générale des activités d’application de la loi et cette différence critique limite l’application de l’arrêt Watkin.

         La relation entre Teiohontathe et l’ASFC est qualitativement différente de celle des parties dans l’arrêt Watkin. En l’espèce, Teiohontathe soutient qu’elle doit, de façon routinière, traverser la frontière afin de poursuivre les activités normales de sa vie de tous les jours et que, par conséquent, elle a une [traduction] « relation publique » continue avec l’ASFC puisqu’elle a des interactions régulières face-à-face avec les agents de l’ASFC, jusqu’à 10 fois par jour. Les relations de ce type sont celles qui relèvent de la portée des « services ».

         Dans l’arrêt Watkin, la Cour d’appel fédérale a commencé sa décision en faisant le commentaire préliminaire suivant : « […] je signale qu’il est difficile de déceler dans la plainte déposée par l’appelant une authentique allégation de violation des droits de la personne, car elle semble motivée par des mobiles purement commerciaux ». Par contraste, la situation de Teiohontathe est exactement le type de situations pour lesquelles les protections en matière de droits de la personne ont été créées et, si la requête de l’ASFC est accueillie et que la plainte de Teiohontathe est rejetée pour défaut de compétence, le résultat sera que les personnes qui subissent des insultes raciales et d’autres types de discriminations lorsqu’elles traversent la frontière n’auront plus de recours en matière de droits de la personne, un résultat très sérieux qui ne devrait être imposé que si le législateur modifie la LCDP ou la loi sur l’ASFC afin d’ajouter un libellé clair qui entraîne une telle conclusion.

[19]           Je suis convaincu que la qualification des mesures d’application de la loi de Santé Canada à titre de « […] mesures coercitives destinées à assurer le respect de la loi » limite l’arrêt Watkin à ses propres faits. Bien que l’arrêt Watkin puisse être persuasif, il n’est pas déterminant en l’espèce.

[20]           Tenant compte du fait que la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Watkin n’a pas défini la signification d’« application de la loi », je dois examiner si les agents de l’ASFC qui effectuent des examens primaires et secondaires des voyageurs et de leurs véhicules fournissent des « services » dans le cadre de leur mandat de fournir des « services frontaliers intégrés ».

[21]           Ce faisant, je tiens compte du fait que l’ASFC a le mandat d’administrer les « lois relatives aux programmes », en particulier la Loi sur les douanes, qui implique inévitablement le recouvrement des taxes appropriées sur les biens auprès des citoyens et des entreprises respectueux de la loi. La Loi sur les douanes établit une relation dynamique entre le public et les agents de l’ASFC dans un processus complet. À l’étape initiale des examens primaire et secondaire, les agents de l’ASFC doivent faciliter l’entrée au Canada des voyageurs respectueux de la loi et de tous les biens qu’ils importent. En s’acquittant de cette tâche, les agents de l’ASFC ont un devoir adjuvant de traiter de façon appropriée les fraudeurs de taxes ou de droits, ce qui peut comprendre la saisie, la confiscation ou des amendes.

[22]           Cependant, si ce processus routinier présente des circonstances qui établissent un soupçon, pour des motifs raisonnables, qu’un voyageur est en possession de biens ou de substances illicites, alors l’agent doit agir conformément aux dispositions de la partie VI de la Loi sur les douanes. La partie VI est intitulée « Contrôle d’application, pouvoirs des agents » et elle prévoit le processus à suivre lors de la fouille d’un voyageur.

[23]           Dans le cas de voyageurs qui introduisent des biens illicites ou des substances illégales, les agents de l’ASFC doivent suivre les procédures établies dans le Code criminel et la Charte des droits et libertés.

[24]           Ce qui est plus important que ce qui précède, c’est l’intérêt public de base envers les activités de l’ASFC. Les Canadiens dépendent des agents de l’ASFC pour faciliter l’entrée au Canada de tous les voyageurs légitimes, tout en interdisant l’entrée aux indésirables. L’ASFC est perçue comme étant un service associé aux services policiers, et on s’attend à ce qu’elle se comporte ainsi. Les deux services participent au maintien de la paix et de l’ordre au Canada. Il y a beaucoup de similitudes dans leurs fonctions.

[25]           L’avocat de la Commission a résumé un régime réglementaire qui synchronise l’examen des activités de l’ASFC par rapport à la LCDP avec la Direction des recours, Direction générale de l’admissibilité de l’ASFC.

[26]           Le paragraphe 43(4) de la LCDP prévoit :

Le gouverneur en conseil peut fixer, par règlement :

a)      la procédure à suivre par les enquêteurs;

b)      les modalités d’enquête sur les plaintes dont ils sont saisis au titre de la présente partie; […]

[27]           Le 15 février 1983, le Gouverneur général en conseil, sur la recommandation du ministre de la Justice, a pris le Règlement sur les enquêtes sur les droits de la personne en matière des douanes et de l’accise.

[28]           Les articles 3 et 9 du Règlement sur les enquêtes sur les droits de la personne en matière des douanes et de l’accise sont pertinents quant aux questions soulevées dans la requête de l’ASFC :

3.   Sur réception d’une plainte relative aux actes d’un fonctionnaire chargé de l’application ou de l’exécution d’une loi portant sur les douanes et l’accise, la Commission doit signifier au sous-ministre :

a)         une copie de la plainte;

b)         un avis citant le nom de l’enquêteur désigné conformément au paragraphe 35(1) de la Loi ;

c)         un projet d’enquête

(i)         qui énumère les documents pertinents qui sont censés être sous la garde du ministère et que l’enquêteur peut demander à examiner, et

(ii)        qui identifie les fonctionnaires que l’enquêteur peut demander à interroger.

9.  L’enquêteur doit, à la fin de son enquête relative à une plainte, aviser le receveur régional des douanes ou le directeur régional de l’accise, de ses conclusions et des recommandations qu’il compte présenter à la Commission.   

[Non souligné dans l’original.]

[29]           La Commission soutient que le Règlement sur les enquêtes sur les droits de la personne en matière des douanes et de l’accise sous-entend nécessairement que les agents de l’ASFC fournissent un « service » au sens de l’article 5 de la LCDP et établissent un droit public de déposer des plaintes en matière de droits de la personne quant à la façon dont les agents de l’ASFC traitent les voyageurs dans l’administration ou dans l’application des douanes fédérales et du droit d’accise.

[30]           À l’appui de son argument, la Commission a présenté une copie d’un affidavit de Lucinda Reading, conseillère principale de programme, Direction des recours, Direction générale de l’admissibilité, à l’ASFC, datée du 4 mars 2009. Dans cet affidavit, Mme Reading décrit ses tâches :

[traduction] Je suis responsable de traiter avec la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) et de coordonner la gestion des plaintes en matière de discrimination liées au service, y compris le contrôle des ententes ou d’autres questions qui peuvent découler des plaintes présentées par les membres du public contre l’ASFC.

[31]           Au paragraphe 4 de son affidavit, Mme Reading décrit la relation officielle entre la Commission et l’ASFC :

[traduction] L’ASFC et la Commission ont signé un protocole d’entente général en date du 7 décembre 2005. Une copie de ce protocole d’entente se trouve en annexe aux présentes comme pièce  « A ». L’ASFC et la Commission ont signé un autre protocole d’entente opérationnel (en date du 31 mars 2006) qui définit les procédures, les rôles, les responsabilités et les échéances prévus pour guider l’examen et le traitement des plaintes déposées contre l’ASFC à la Commission. Une copie du protocole d’entente opérationnel est annexée aux présentes comme pièce « B ». L’ASFC s’attend à ce que la Commission effectue ses enquêtes pour les plaintes présentées contre l’ASFC conformément au protocole d’entente et au protocole d’entente opérationnel.

[32]           L’introduction du protocole d’entente du 7 décembre 2005 établit l’objectif de la collaboration entre l’ASFC et la Commission :

[traduction] L’Agence des services frontaliers du Canada (l’Agence) et la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission), ci-après appelées les «participantes », ont signé un protocole d’entente le 7 décembre 2005, dans lequel elles s’entendent pour collaborer afin d’éviter la discrimination en milieu de travail et dans la fourniture de services au public général, ainsi que de prendre des mesures pour traiter efficacement toute plainte de discrimination qui peut être présentée soit au sein de l’Agence ou de la part du public général. Ce protocole d’entente établit les procédures afin de guider les participantes dans l’appui de ces objectifs. [Non souligné dans l’original.]

[33]           L’avocat de la Commission a soutenu que, lors de l’adoption de la LCDP, une loi qui interdit la discrimination dans la fourniture de « services », et dans la création subséquente de l’ASFC, une agence dont le titre la décrit à titre de fournisseur de « services », le législateur a dû avoir l’intention d’appliquer l’interdiction de discrimination aux activités de l’ASFC.

[34]           Je conclus que le Règlement sur les enquêtes sur les droits de la personne en matière des douanes et de l’accise et les protocoles d’entente établissent que c’était bel et bien l’intention du législateur.

[35]           La Commission a aussi soutenu que l’ASFC s’identifie comme étant un fournisseur de services dans les publications suivantes :

                     L’ASFC a publié un « engagement envers l’excellence du service », dont les composantes sont « le respect et la courtoisie », « l’application équitable de la loi », « le respect de la vie privée et la confidentialité », « le service bilingue », « l’exactitude des renseignements » et « la révision des mesures prises et des décisions ».

                     Le site Web de l’ASFC précise que « l’excellence du service est une priorité clé à l’Agence des services frontaliers du Canada ».

                     Le code de conduite de l’ASFC établit, entre autres choses, qu’« [i]l vous est interdit de vous engager dans des pratiques discriminatoires basées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'orientation sexuelle, l'état matrimonial, la situation de famille, la déficience ou l'état de personne graciée ». En marge, il est fait référence à l’article 2 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[36]           Enfin, la Commission a soutenu que le fait d’appliquer l’article 5 de la LCDP à l’ASFC suivrait les décisions en matière de droits de la personne provinciales qui portaient sur les services policiers qui, selon la Commission, s’appliquent de façon semblable au comportement des agents de l’ASFC :

[traduction] Les deux participent aux activités de base quotidiennes en matière d’administration et d’application de la loi, activités qui visent au moins en partie à soutenir des priorités en matière de sécurité et de sûreté du public. Les deux ont des interactions directes face-à-face avec le public. Les deux ont le pouvoir d’interroger et de fouiller des membres du public dans les circonstances appropriées.

[37]           Pendant la présentation des observations orales pour la présente requête, j’ai exprimé des doutes lorsque l’avocat de la Commission a soutenu que les décisions des tribunaux provinciaux en matière de droits de la personne selon lesquelles les forces policières fournissent un service généralement disponible au public étaient pertinentes. Cependant, après avoir examiné attentivement les décisions citées, je conclus qu’il y a une acceptation générale dans la jurisprudence dans tout le Canada selon laquelle les policiers fournissent des « services » au sens des lois provinciales en matière de droits de la personne, et que la similitude entre les fonctions d’application de la loi des policiers et celle des agents de l’ASFC ne doit pas être écartée parce que, comme l’avocat de la Commission l’a expliqué, [traduction] « le contraire ne tiendrait pas compte de la directive de la Cour suprême du Canada selon laquelle les lois en matière de droits de la personne doivent être interprétées de façon constante et harmonieuse, lorsque possible ».

II.                Décision

[38]           L’ASFC a été créée en 2003 afin de fournir des services frontaliers intégrés, qui vont de la facilitation de l’entrée des personnes et des biens au maintien des priorités en matière de sécurité nationale et de sécurité du public. L’une des principales activités de l’ASFC est l’administration ou l’application des lois en matière de douanes fédérales et de l’accise, qui est en grande partie une fonction de perception des taxes. L’application de la loi est axée sur les processus, de façon telle que lorsqu’il y a un désaccord avec une entreprise commerciale ou un voyageur, l’ASFC entreprend un examen impartial de l’action de l’application de la loi et administre les lois applicables de façon objective et non discriminatoire.

[39]           L’ASFC a une relation publique directe avec tous les Canadiens qui reviennent au Canada. Il s’agit d’un organisme public qui fournit des services frontaliers pour le bien du public. Elle déclare, de façon non équivoque, son engagement envers « l’excellence du service » pour assurer la sécurité des frontières du Canada, et cette « excellence du service » revêt une importance vitale envers la collectivité commerciale, les citoyens canadiens et les visiteurs du Canada.

[40]           Par implication et inférence nécessaires, le Règlement sur les enquêtes sur les droits de la personne en matière des douanes et de l’accise établit que les agents de l’ASFC fournissent un « service » au sens de l’article 5 de la LCDP lorsqu’ils administrent ou qu’ils appliquent la loi sur l’ASFC. Le Règlement sur les enquêtes sur les droits de la personne en matière des douanes et de l’accise établit un droit public de déposer une plainte en matière de droits de la personne portant sur la façon dont les agents de l’ASFC traitent les voyageurs lorsqu’ils administrent ou qu’ils appliquent la loi en matière des douanes et d’accise fédérale.

[41]           Conformément au Règlement sur les enquêtes sur les droits de la personne en matière des douanes et de l’accise et aux protocoles d’entente datés du 7 décembre 2005 et du 31 mars 2006, la Commission et l’ASFC ont créé un processus fonctionnel et synchronisé visant à prévenir la discrimination [traduction] « dans la fourniture de services au grand public, ainsi qu’à prendre des mesures afin de traiter de façon efficace toute plainte de discrimination qui pourrait être présentée au sein de l’Agence ou par le grand public ».

[42]           Lors des examens primaire et secondaire de Teiohontathe et de son véhicule, les agents de l’ASFC fournissaient des « services » au sens de l’article 5 de la LDCP. La plainte de Teiohontathe selon laquelle elle a été visée de manière particulière et a été victime de discrimination en raison de son sexe et de sa race doit être traitée lors d’une instruction par le Tribunal.

III.             Ordonnances

[43]           La requête de l’Agence des services frontaliers du Canada visant le rejet de la plainte de Teiohontathe est rejetée.

[44]           L’instruction de la plainte de Teiohontathe par le Tribunal se poursuivra.

 

 

Signée par

Wallace G. Craig

Membre du tribunal

OTTAWA (Ontario)

Le 21 octobre 2011

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T1342/7208

Intitulé de la cause : Fallan Davis c. Agence des services frontaliers du Canada

Date de la décision sur requête du tribunal : Le 21 octobre 2011

Date et lieu de l’audience : Le 24 août 2011

Cornwall (Ontario)

Comparutions :

Janet (Katenies) Davis et Kakweraias, pour la plaignante

Brian Smith, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Sean Gaudet et Susan Keenan, pour l'intimée

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