Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

DÉCISION SUR LA DIVULGATION

 

[1]        Le 6 mars 2009, Leslie Palm a déposé cinq plaintes de discrimination distinctes contre la British Columbia Maritime Employers Association (la BCMEA) et Western Stevedoring Ltd (Western) (ensemble, les employeurs intimés), la section locale 500 du International Longshore & Warehouse Union (le syndicat), Richard Wilkinson et Cliff Willicome (ensemble, les autres intimés), soutenant que la discrimination avait eu lieu en février et en mars 2008.

 

[2]        Conformément à l’article 47 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la LCDP), la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) a nommé un conciliateur afin de tenter de régler les plaintes. Le 7 janvier 2011, Mme Palm a conclu une entente de règlement amiable avec deux des cinq intimés, la BCMEA (demande no 2008 1276) et Western (demande no 2008 1277). Conformément à l’article 48 de la LCDP, les règlements amiables (collectivement, le règlement) ont été renvoyés à la Commission, qui les a approuvés.

 

[3]        Le 14 juin 2011, les autres intimés ont demandé la divulgation du compte rendu du règlement, soutenant que le règlement n’est pas protégé par privilège et que ses conditions sont pertinentes quant aux plaintes par lesquelles ils sont visés.

 

[4]        Mme Palm, qui n’est pas représentée par un avocat, s’oppose à toute divulgation du règlement.

 

[5]        Les employeurs intimés acceptent qu’il y ait divulgation des dispositions du règlement portant sur la réparation pour perte de salaire ou les dépenses, et sur le dégagement de responsabilité de M. Wilkinson et M. Willicome. Ils soutiennent que cette divulgation devrait être faite au Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) seulement, et non aux autres intimés. Les employeurs intimés s’opposent à toute divulgation des dispositions du règlement qui portent sur les dommages‑intérêts non pécuniaires et de toute disposition portant sur les mesures de redressement systémiques.

 

[6]        La Commission s’oppose à la divulgation du règlement, mais soutient subsidiairement que, si la divulgation est ordonnée, elle devrait être restreinte aux dispositions du règlement pertinentes quant aux questions de la perte de salaire et des dépenses, ainsi qu’au dégagement de responsabilité de M. Wilkinson et de M. Willicome. La Commission soutient que la partie du règlement quant aux dommages‑intérêts non pécuniaires et aux mesures de redressement systémiques n’est pas pertinente. Si la divulgation est ordonnée, la Commission suggère que soit adoptée la procédure « O’Connor », selon laquelle la divulgation est faite au Tribunal, qui détermine ensuite quelles parties du règlement, le cas échéant, doivent être produites aux autres intimés.

 

[7]        Un examen attentif des cinq plaintes révèle qu’elles sont fondées sur une période de deux mois de bouleversements dans les opérations de Western au terminal Lynn Est du port de Vancouver. Il ne s’agit pas d’une situation qui entraîne des allégations distinctes de comportement discriminatoire de la part d’intimés qui ne sont pas liés. Plutôt, lorsqu’on les examine ensemble, les plaintes dressent le portrait d’un environnement de travail dans lequel existent des antécédents ancrés d’hostilité envers les femmes.

 

[8]        Bien que les plaintes ne soient pas identiques, elles comportent des ressemblances frappantes. Par exemple, chaque plainte comprend une référence précise à un rapport de Vince Ready déposé au syndicat le 21 janvier 2009 (le rapport Ready). Le syndicat a demandé à M. Ready d’examiner la discrimination au port et ce dernier s’est fondé principalement sur des entrevues confidentielles avec les membres du syndicat et sur leurs récits d’expériences de travail au port. Les employeurs intimés n’ont pas participé.

 

[9]        Il existe d’autres similitudes, telles qu’illustrées, par exemple, dans les extraits suivants des plaintes contre Western et le syndicat :

 

[traduction]

Western : « Western […] a agi de façon discriminatoire envers Mme Palm en raison de son sexe pendant son emploi au sein de Western, et en particulier pendant les mois de février et de mars 2008; Western a aussi omis d’atténuer de quelque façon que ce soit les actions discriminatoires et le harcèlement fondés sur le sexe imposés par ses employés de sexe masculin envers Mme Palm pendant les mois de février et de mars 2008. »

 

Le syndicat : « La section locale 500 de l’ILWU […] a agi de façon discriminatoire envers Mme Palm et l’a harcelée en raison de son sexe pendant toute la durée de son appartenance à la section locale 500, et en particulier pendant les mois de février et de mars 2008, au cours desquels elle était employée par Western Stevedoring Ltd […] et lors d’une enquête subséquente sur le comportement discriminatoire qui eu lieu à Western, enquête effectuée par la B.‑C. Maritime Employers Association […] La section locale 500 a aussi omis d’atténuer de quelque façon que ce soit les actions discriminatoires et le harcèlement fondés sur le sexe imposés par ses membres de sexe masculin envers Mme Palm pendant les mois de février et de mars 2008. »

 

L’environnement de travail hostile de Western :

« […] L’environnement de travail à Western est directement hostile envers les femmes et encourage une culture dans laquelle il est acceptable de déprécier et de sous‑estimer la présence, le travail et la position des femmes à titre de parties égales de l’effectif parce qu’elles sont des femmes.

 

Un rapport de janvier 2009 de Vince Ready sur la discrimination envers les femmes dans l’environnement de travail des débardeurs de Vancouver fustige toutes les parties, y compris Western, impliquées dans l’emploi au port parce qu’elles font preuve de discrimination envers les femmes et créent une culture hostile envers elles. Les questions précises qui contribuent à un environnement qui fait systématiquement preuve de discrimination envers les femmes comprennent : […] » (La plainte énumère 11 questions du rapport Ready.)

 

L’environnement de travail hostile du syndicat :   

« […] l’environnement à la section locale 500 est directement hostile envers les femmes et encourage une culture dans laquelle il est acceptable de déprécier et de sous‑estimer la présence, le travail et la position des femmes à titre de parties égales de l’effectif, et à titre de membres du syndicat, parce qu’elles sont des femmes.

 

Un rapport de janvier 2009 de Vince Ready sur la discrimination envers les femmes dans l’environnement de travail des débardeurs de Vancouver fustige toutes les parties, y compris Western, impliquées dans l’emploi au port parce qu’elles font preuve de discrimination envers les femmes et créent une culture hostile envers elles. Les questions précises qui contribuent à un environnement qui fait systématiquement preuve de discrimination envers les femmes comprennent : […] » (La plainte énumère ensuite 10 questions du rapport Ready, qui sont presque identiques à celles énumérées dans la plainte contre Western.)

 

[10]      Le 15 juin 2009, l’autorité exécutive du syndicat a adopté le rapport Ready et ses recommandations, dont deux sont pertinentes en l’espèce :

 

[traduction]

« […] que le syndicat et l’employeur développent une procédure de grief adaptée afin de traiter les griefs, qui comprennent des allégations de manquement à la Loi sur les droits de la personne; »

 

« […] que le syndicat tente de modifier la convention collective afin de refléter sa position quant à l’élimination du harcèlement et de la discrimination. »

 

Il convient de noter que M. Ready a fait précéder ses recommandations de la remarque suivante :

 

[traduction]

« Avant de me lancer dans mes recommandations, je sens aussi le besoin de noter que l’approche générale pour remédier à l’atmosphère actuelle du port de Vancouver doit faire partie d’un processus conjoint avec l’employeur. Je fais cette observation sans tenir compte du fait que c’est l’employeur qui a l’obligation légale de fournir un environnement de travail exempt de harcèlement et de discrimination. »

 

[11]      La requête en divulgation des autres intimés établit le résumé des faits suivants :

  • Les plaintes de Mme Palm envers les employeurs intimés et les autres intimés ont toutes été déposées le 6 mars 2009 et sont en grande partie identiques.
  • La BCMEA possède et opère le centre de placement de Vancouver, par lequel les membres du syndicat et les employés temporaires qui souhaitent devenir membres du syndicat obtiennent du travail. La majorité des emplois sont comblés par un placement quotidien, mais, en vertu de la convention collective, une compagnie peut demander un travailleur de façon régulière. Le travailleur relève alors directement de cette compagnie pendant un an.
  • Pendant la période pertinente, Mme Palm, M. Wellicome et M. Wilkinson étaient des employés qui travaillaient de façon régulière à Western Stevedoring, une compagnie membre de la BCMEA.
  • Mme Palm et son partenaire M. Russo étaient les deux pousseurs d’acier. M. Wellicome et M. Wilkinson et dix autres personnes étaient des pousseurs de pâte.
  • Le quart de travail des pousseurs d’acier commençait une heure plus tôt que les heures de travail régulières, donc les pousseurs d’acier recevaient généralement une heure de paie en heures supplémentaires chaque jour de la semaine.
  • L’attribution des heures supplémentaire lors de la fin de semaine était fondée sur le nombre d’heures que l’employé avait travaillées durant la semaine – l’employé qui avait le moins d’heures de travail pendant la semaine était la première personne à se voir attribuer des heures supplémentaires de fin de semaine.
  • Vers février 2008, une controverse entre les pousseurs d’acier et les pousseurs de pâte a vu le jour au sujet de l’accès aux heures supplémentaires. Il s’agissait du résultat d’une diminution du travail au port en raison du ralentissement de l’économie.
  • Les pousseurs d’acier ont cessé de commencer tôt aussi souvent et se sont donc retrouvés plus haut sur la liste pour le travail de fin de semaine. Comme moins de travail de fin de semaine était disponible, certains pousseurs de pâte n’ont pas été appelés à travailler alors que Mme Palm et M. Russo ont été appelés.
  • Lors de plusieurs réunions des employés réguliers, il y a eu des discussions animées au sujet du système d’attribution des heures supplémentaires. La plainte de Mme Palm porte sur cette période.
  • Le 28 mai 2008, Mme Palm a écrit une lettre à l’administrateur de la santé et de la sécurité de Western Stevedoring dans laquelle elle soutenait être victime de harcèlement de la part de ses collègues. Il n’y avait aucune allégation de discrimination fondée sur le sexe ou d’allégation selon laquelle le harcèlement était lié au sexe. Western Stevedoring a mené une enquête au sujet de la plainte de Mme Palm.
  • Le 2 septembre 2008, la BCMEA a fourni au syndicat un rapport final sur l’enquête quant à la plainte de harcèlement. L’enquête a conclu que M. Wilkinson avait mal inscrit les heures de travail de Mme Palm; que M. Wellicome avait dit à Mme Palm d’[traduction] « aller se faire foutre »; que certains pousseurs de pâte employés réguliers exerçaient considérablement de pression sur Mme Palm et sur tout autre employé qui n’était pas de leur avis, mais qu’il n’y avait [traduction] « aucune preuve ou allégation selon laquelle ce comportement était discriminatoire parce qu’il n’était pas fondé sur l’un des motifs de distinction illicites. »
  • Western Stevedoring a écrit une lettre de réprimande à M. Wellicome pour son comportement envers Mme Palm.

 

[12]      Les autres intimés soutiennent que, comme il y a un caractère commun aux circonstances dans les cinq plaintes de Mme Palm, les dispositions du règlement avec les employeurs intimés sont pertinentes quant aux plaintes présentées contre eux et ne devraient pas être protégées par privilège. Les autres intimés citent à ce sujet les décisions Bushey c. Sharma, 2003 TCDP 5 et Groupe d’aide et d’information sur le harcèlement sexuel au travail de la province de Québec Inc. c. Barbe, 2003 TCDP 15.

 

[13]      La Commission soutient que le règlement est protégé par privilège et que la divulgation ne peut pas être imposée, citant entre autres le paragraphe 47(3) de la LCDP. Compte tenu de la décision dans Barbe, je suis convaincu que le paragraphe 47(3) de la LCDP n’interdit pas la divulgation du règlement comme tel.

 

[14]      Les employeurs intimés soutiennent que deux décisions de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique expriment de façon plus appropriée les règles quant à la protection par privilège d’un règlement et soutiennent que la règle générale établie dans British Columbia Children’s Hospital c. Air Products Canada Ltd, 2003 B.J.C. No 591 (CA) (British Columbia Children’s Hospital) et dans la décision Dos Santos (Committee of) c. Sun Life Assurance of Canada, 2005 BCCA 4 (Dos Santos), est que les ententes de règlement sont protégées par privilège et ne devraient pas être divulguées sauf si elles sont tant pertinentes que nécessaires dans les circonstances du dossier afin d’atteindre l’intérêt souverain de la justice.

 

[15]      Dans la décision Dos Santos, on affirme qu’il peut y exister des exceptions au privilège général quant à la divulgation de règlements et on y établit le critère pour une telle exception :

[traduction]

« Cependant, le critère pour s’acquitter du fardeau d’établir une exception ne devrait pas être trop faible. La politique publique justifiant la protection par privilège d’un règlement est impérieuse. Elle est si impérieuse que même des menaces dans le contexte de négociations de règlement ne peuvent pas justifier une exception : Unilever, précité, aux pages 2449‑2450.

 

Pour établir une exception en l’espèce, le défendeur doit démontrer qu’un intérêt public divergent prime sur l’intérêt public envers le règlement. Il ne devrait y avoir exception que lorsque les documents demandés sont tant pertinents que nécessaires dans les circonstances du dossier afin d’arriver soit à une entente de la part des parties au règlement, soit à un autre intérêt impérieux et souverain quant à l’intérêt de la justice. » [Non souligné dans l’original.]

 

[16]      Dans la décision Dos Santos, le juge en chef Finch a ensuite conclu que la seule façon d’établir objectivement ce qu’un plaignant avait réellement reçu comme indemnisation pour perte de salaire était de reconnaître une exception pour les documents de règlement qui, autrement, auraient été protégés par privilège :

 

[traduction]

« Tant la pertinence que la nécessité des documents militent donc en faveur d’une exception.

 

J’ai aussi examiné si le fait de reconnaître une exception en l’espèce refroidirait les négociations pour le règlement. Je ne crois pas que c’est le cas. Comme dans d’autres cas où des règlements peuvent avoir un effet direct sur les droits et les responsabilités de tierces parties, les parties à ce règlement doivent tenir compte du fait que la nature confidentielle de leur entente ne sera pas respectée tant qu’elle affecte ces autres parties. […]

 

Le juge en chambre n’a pas commis d’erreur en concluant que le règlement n’était pas protégé par privilège quant aux documents demandés. Une exception au privilège existe en l’espèce. »

 

 

DÉCISION

 

[17]      Je conclus que les autres intimés ont satisfait au critère de la décision Dos Santos. Compte tenu des similitudes et de l’interdépendance frappantes des plaintes de Mme Palm, je conclus que les dispositions du règlement sont pertinentes quant aux plaintes déposées contre les autres intimés et sont nécessaires afin de permettre aux autres intimés de préparer correctement leurs réponses aux allégations de Mme Palm et pour permettre au Tribunal de rendre une décision juste au sujet des plaintes, si l’on en arrivait à une audience. Les dispositions du règlement portant sur le dégagement de responsabilité peuvent affecter directement le résultats des plaintes de Mme Palm contre M. Wilkinson et M. Willicome. Je conclus que les dispositions du règlement portant tant sur la perte de salaire que sur les dommages‑intérêts non pécuniaires sont pertinentes et nécessaires afin d’éviter qu’il y ait double réparation en ce qui a trait à la première question et pour permettre une certaine forme de proportionnalité dans les plaintes interdépendantes en ce qui a trait à la deuxième question.

 

[18]      En fonction des documents dont je suis saisi, en particulier les portions extraites du rapport Ready, il est clair que la discrimination systémique envers les femmes au port est un problème sérieux et de longue date. De plus, comme M. Ready le note dans son rapport, toute solution au problème doit impliquer tant l’employeur que le syndicat. Toutes les dispositions du règlement portant sur la plainte de Mme Palm en matière de discrimination systémique sont tant pertinentes que nécessaires afin d’atteindre un résultat juste vu les circonstances.

 

[19]      L’intérêt public envers le règlement juste et judicieux de ces plaintes l’emporte sur l’intérêt public divergent visant à encourager le règlement par une confidentialité générale.

 

ORDONNANCE

 

[20]      J’ordonne la divulgation du règlement aux autres intimés, divulgation qui doit être faite de la façon suivante :

 

a)         Dans les quatorze jours après le prononcé de la présente ordonnance, Harris & Company, le cabinet d’avocats des employeurs intimés, fournira une copie du règlement à Caroline & Gislason, le cabinet d’avocats des autres intimés;

b)         Ni Caroline & Gislason ni les autres intimés n’utiliseront la copie du règlement pour un tout autre objectif que la préparation à l’audience ou le règlement des plaintes de Mme Palm contre les autres intimés;

c)         Caroline & Gislason pourra communiquer les dispositions du règlement de façon orale aux autres intimés. Caroline & Gislason ne fera pas de copies du règlement, et ni Caroline & Gislason, ni les autres intimés ne communiqueront les dispositions du règlement à quiconque, sauf dans le cas d’une audience ou du règlement des plaintes de Mme Palm contre les autres intimés;

d)         Caroline & Gislason retournera la copie du règlement à Harris & Company dans les sept jours suivant les règlements des plaintes de Mme Palm contre les autres intimés.

 

La présente décision et ordonnance ne porte que sur la question de la divulgation du règlement. L’admissibilité finale des plaintes devra être déterminée par le membre présidant à l’audience.

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.