Tribunal canadien des droits de la personne

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Contenu de la décision

Tribunal canadien des droits de la personne

Entre :

Barbara Barrie

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Postes Canada et l’Association des officiers des postes du Canada

les intimées

Décision sur requête

Numéros des dossiers : T2003/0414 et T2004/0514

Membre : Sophie Marchildon

Date : Le 18 juin 2014

Référence : 2014 TCDP 17



I.                   Le contexte

[1]               Le 26 mars 2014, la Commission a renvoyé les deux plaintes de Barbara Barrie datées du 29 avril 2013 devant le Tribunal pour que celui‑ci les instruise et rende une décision à leur égard. La première plainte, contre la Société canadienne des postes (Postes Canada) (20130538), était une plainte de discrimination fondée sur l’âge, déposée au titre des articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi). La seconde plainte, contre l’Association des officiers des postes du Canada (l’Association) (20130539), était une plainte de discrimination fondée sur l’âge, déposée au titre des articles 9 et 10 de la Loi. La Commission a demandé que les deux plaintes fassent l’objet d’une seule instruction.

II.                Les positions des parties

[2]                Le 24 avril 2014, le Tribunal a proposé aux parties de participer à une séance de médiation en vue de régler les différends avant que les plaintes ne soient entendues devant le Tribunal.

[3]               Le 14 mai 2014, on a reçu la dernière réponse des parties, laquelle a confirmé que toutes les parties avaient accepté de prendre part au processus de médiation.

[4]               Le même jour, le Tribunal a établi que les parties avaient jusqu’au 11 juin 2014, au plus tard, pour déposer leur mémoire de médiation.

[5]               Le 22 mai 2014, l’intimée, l’Association, a écrit une lettre au Tribunal pour lui demander d’autoriser les parties à terminer les négociations, qui devaient reprendre la semaine du 9 juin 2014, avant de déposer leur mémoire de médiation et de participer au processus de médiation.  L’Association souligne que les questions dont le Tribunal est saisi font l’objet de discussions dans le contexte des négociations collectives.

[6]               Le 23 mai 2014, l’intimée, Postes Canada, a demandé que le délai prévu pour le dépôt de son mémoire de médiation soit prorogé jusqu’au vendredi 11 juillet 2014, en raison des dates des vacances et des conflits horaires dans le calendrier des litiges entre leurs clients donneurs d’instructions et leurs avocats. Le même jour, l’Association a expliqué qu’elle ne demandait pas que le délai fixé au 11 juin 2014 soit prorogé jusqu’à une date particulière; elle demandait plutôt que le Tribunal laisse le présent dossier en suspens en attendant que les négociations collectives prennent fin. L’Association a souligné qu’il était prévu que les parties reprennent les négociations en juin 2014. Toutefois, l’Association affirme qu’il est peu probable qu’on parvienne au renouvellement de la convention avant l’automne.

[7]               Le 27 mai 2014, Postes Canada a souscrit à la demande de l’Association. Le même jour, la plaignante a répondu qu’elle s’opposait à la demande de mise en suspens du dossier de l’Association. La plaignante soutient que sa plainte est fondée sur la formulation de la convention collective qui a été signée en septembre 2009 et qui a pris fin le 31 mars 2014. Elle ajoute que, quelle que soit l’issue des négociations actuellement en cours, cela n’aura aucune pertinence ou incidence en ce qui concerne sa situation, vu que la nouvelle convention couvrira la période commençant le 1er avril 2014. La plaignante affirme que la convention collective ne peut pas avoir d’effets rétroactifs et redresser des situations passées. En outre, la plaignante partira à la retraite le 12 septembre 2014. Pour finir, la plaignante n’a aucune objection en ce qui concerne l’échéance du 11 juin 2014, et elle appuie la demande de Postes Canada en vue d’obtenir la prorogation du délai prévu pour déposer son mémoire de médiation.

[8]               Le 2 juin 2014, en réponse à la lettre du Tribunal datée du 23 mai 2014 et à la réponse de la plaignante datée du 27 mai 2014, la Commission a déclaré qu’elle ne consentait pas à la demande de l’Association. La Commission est d’avis qu’il convient de procéder à la médiation comme prévu, en tenant pour acquis que toutes les parties y consentent encore.

[9]               Dans la réponse du 2 juin 2014, l’Association fait valoir que, du point de vue de la politique publique, il en va de l’intérêt de toutes les parties concernées (Postes Canada et l’Association) qu’on parvienne à un accord à l’amiable au moyen des négociations collectives. Nonobstant l’interprétation que la plaignante et la Commission peuvent potentiellement faire de la convention collective, et plus particulièrement de la clause en cause, l’Association affirme que les parties aux négociations collectives doivent avoir priorité pour remédier à toute allégation de discrimination.

[10]           Deuxièmement, l’Association exprime respectueusement son désaccord à l’égard de l’allégation de la plaignante selon laquelle tout règlement auquel on parviendrait à la table des négociations n’aurait aucune incidence sur elle. L’Association soutient que les parties pourraient parvenir à un règlement qui aura une incidence sur la plaignante et pourrait avoir un effet rétroactif.  

[11]           Pour finir, l’Association soutient qu’aucune partie ne subira de préjudice découlant du retard proposé, et que, dans les circonstances, le fait de mettre le dossier en suspens est un moyen raisonnable et sensé de traiter de la question en litige.

III.             Analyse

[12]            Premièrement, il est bien établi que le Tribunal est maître de sa propre procédure et que le fait de se prononcer sur l’ajournement d’une affaire relève bel et bien de son pouvoir discrétionnaire. Je conclus que les principes qui ont été définis dans la décision Baltruweit c. Canada (Service canadien du renseignement de sécurité), 2004 TCDP 14 (CanLII), s’appliquent en l’espèce :

[15] Il est bien établi que les tribunaux administratifs sont maîtres de leur procédure. Par conséquent, ils disposent d’importants pouvoirs discrétionnaires lorsqu’il s’agit de se prononcer sur des demandes d’ajournement. Ce principe est analysé plus en détail par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Prassad c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1989] 1. R.C.S. 560. Dans cette affaire, l’appelant avait demandé l’ajournement de son enquête d’immigration en attendant que le Ministre rende sa décision à l’égard de sa demande visant à lui permettre de demeurer au Canada. L’arbitre a rejeté la demande d’ajournement.

[16] Dans son jugement, la Cour suprême a affirmé que les tribunaux administratifs, en l’absence de règles précises établies par loi ou règlement, sont maîtres chez eux et fixent leur propre procédure. Cependant, dans l’exercice de fonctions judiciaires ou quasi judiciaires, ces tribunaux sont tenus de respecter les règles de justice naturelle. [Voir aussi Re Cedarvale Tree Services Ltd. and Labourers’ International Union of North America, (1971), 22 D.L.R. (3d) 40, 50 (C.A. Ont.), Pierre c. Ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration, [1978] 2 C.F. 849, 851 (C.F. 1re inst.)].

[13]           Cela étant dit, lorsqu’il examine une demande d’ajournement, le Tribunal doit également tenir compte du paragraphe 48.9(1) de la Loi, qui prévoit que « [l]’instruction des plaintes se fait sans formalisme et de façon expéditive dans le respect des principes de justice naturelle et des règles de pratique. »  L’exercice par le Tribunal de son pouvoir discrétionnaire est assujetti aux règles de l’équité procédurale et de la justice naturelle, de même qu’au régime de la Loi. Cette dernière exige du Tribunal qu’il instruise la plainte quand la Commission lui en fait la demande et, aussi, qu’il accorde aux parties la possibilité pleine et entière de présenter leurs arguments et leurs observations. L’article 2 de la Loi fait état d’un intérêt public prépondérant à l’égard de l’élimination des pratiques discriminatoires. Conformément à cet article, les allégations de discrimination doivent être instruites de façon expéditive et en temps opportun. Voir la décision  Blain c. Gendarmerie royale du Canada, 2012 TCDP 13, aux paragraphes 12 et 14. 

[14]           En outre, j’adopte également les motifs que le Tribunal a prononcés dans la décision Marshall c. Cerescorp Co, aux paragraphes 11 et 12 :

Conformément au paragraphe 48.9(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, l’instruction des plaintes par le Tribunal doit se faire sans formalisme et, élément particulièrement pertinent quant à la présente requête, de façon expéditive dans le respect des principes de justice naturelle et des règles de pratique. Cependant, comme le Tribunal est maître de ses propres procédures, il peut néanmoins ajourner une instance lorsqu’il juge approprié d’exercer son pouvoir discrétionnaire (voir Léger c. La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada [1999] D.C.D.P. no 6 (TCDP), au paragraphe 4; Baltruweit c. Service canadien du renseignement de sécurité, 2004 TCDP 14, au paragraphe 15). Le Tribunal doit exercer ce pouvoir discrétionnaire en respectant les principes de justice naturelle (Baltruweit, au paragraphe 17). Le Tribunal peut devoir tenir compte de questions de justice naturelle telles que la non-accessibilité de la preuve, la nécessité d’ajourner pour trouver un avocat ou la communication tardive de la partie adverse.

[…] Pour que l’intimé obtienne un ajournement, il doit établir qu’il subirait un déni de justice naturelle si l’instruction devant le Tribunal poursuivait son cours normal. L’intimé ne m’a pas convaincu qu’il subirait nécessairement un tel préjudice si je n’accordais pas l’ajournement.

[15]           Pour finir, quand il est question d’un ajournement de l’instruction du Tribunal, compte tenu de la nature quasi-constitutionnelle de la Loi et de son objet, ainsi que de l’importance que l’accès à la justice et les droits de la personne ont dans notre société, les ajournements ne devraient être accordés que dans des cas exceptionnels, et conformément aux principes dont il a été question ci‑dessus.

IV.             Décision sur requête

[16]           Compte tenu de ce qui précède et après réflexion, l’Association, qui a présenté la demande d’ajournement, n’a pas démontré que, dans le cas où l’instruction ne serait pas ajournée comme elle l’a demandé, elle subirait un déni d’équité procédurale ou de justice naturelle ou qu’elle n’aurait pas la possibilité pleine et entière de présenter ses arguments et ses observations. Je ne dispose pas de tous les renseignements, et il est possible que certaines questions en litige puissent se voir circonscrites ou examinées dans le contexte des négociations collectives, ce qui traiterait les plaintes ou une partie des plaintes. Toutefois, il est également vraisemblable que la convention collective ne traite pas de toutes les questions dont le Tribunal est saisi, et, plus important encore, il n’existe aucune garantie que les parties parviendront à une entente du simple fait que les négociations prendront fin. Le fait de mettre le dossier en suspens générera des retards inutiles dans le traitement du dossier.

[17]           Par conséquent, la demande d’ajournement de l’Association est rejetée.


 

[18]           Les parties recevront bientôt une lettre dans laquelle on les informera des dates établies pour la communication de la preuve et le dépôt de leur exposé des précisions.

 

Signée par

Sophie Marchildon

Juge administrative

Ottawa (Ontario)

Le 18 juin 2014

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