Tribunal canadien des droits de la personne

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D.T. 4/95 Décision rendue le 10 février 1995

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE L.R.C. (1985), chap. H-6 (version modifiée)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE: JOHN MURRAY EDWARDS

le plaignant

et

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

et

KLEYSEN TRANSPORT LTD.

l'intimée

DÉCISION DU TRIBUNAL

TRIBUNAL : JUDITH H. ALEXANDER, B.A., LL.B. Présidente

ONT COMPARU : ODETTE LALUMIERE avocate de la Commission canadienne des droits de la personne

DENIS W. HAYES avocat de l'intimée

MARCEL GRÉGOIRE avocat du plaignant

DATES ET LIEU les 29 et 30 novembre 1994 DE L'AUDIENCE : Dauphin (Manitoba)

TRADUCTION

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LA PLAINTE

Dans une plainte déposée le 16 mars 1991 auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la «Commission»), John Murray Edwards («Edwards» ou le «plaignant») a allégué que Kleysen Transport Ltd. («Kleysen» ou l'«intimée») avait commis à son endroit un acte discriminatoire, fondé sur sa déficience (diabète), qui est interdit par l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la «Loi»). Voici le détail de la plainte:

[TRADUCTION]

Kleysen Transport Ltd. («Kleysen») a commis à mon endroit un acte discriminatoire interdit par l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne en me licenciant à cause de ma déficience. En mai 1989, j'ai commencé à travailler pour Kleysen comme conducteur de camion, mais j'ai été en congé à partir d'octobre 1989, parce que je suis devenu diabétique. Mon état a été équilibré grâce à un régime, sans insuline. En mai 1990, mon médecin m'a dit que j'étais en état de reprendre le travail et j'en ai informé mon surveillant, Al Martin. Il m'a dit qu'étant donné mes antécédents médicaux, Kleysen n'avait pas besoin de moi et il a refusé ma demande d'examen par un médecin de l'entreprise. (pièce HRC-1)

Par une lettre datée du 1er septembre 1994, j'ai été chargée par le président du Comité du Tribunal des droits de la personne d'examiner la présente plainte.

LES FAITS

Le plaignant, John Murray Edwards, habite à Dauphin, au Manitoba. Durant les dernières années, diverses entreprises l'ont employé comme conducteur de camion, la plupart du temps à titre d'employé saisonnier.

Kleysen l'a employé comme conducteur à Winnipeg, au Manitoba, du 7 mai au 4 novembre 1989. A ce qu'il paraît, son rendement a été jugé satisfaisant par son employeur, Kleysen.

A l'époque de sa demande d'emploi à l'entreprise Kleysen en mai 1989, Edwards a remis à l'entreprise une formule d'examen médical indiquant un diabète léger. En novembre 1989, Edwards a consulté son médecin, le docteur Gilbert Bretecher, qui l'a informé que son taux de glycémie était élevé et que sa diète et son programme d'exercices n'avaient pas permis de bien équilibrer son diabète. Il a recommandé à nouveau une diète et des exercices. Le même mois, Edwards a demandé un congé de maladie à son employeur, Kleysen, qui le lui a accordé. Pendant une partie des mois qui ont suivi, Edwards a touché une indemnité d'invalidité de la Great West Life.

Edwards a continué de consulter le docteur Bretecher tous les mois. En janvier 1990, ce dernier lui a prescrit un médicament pour son diabète en plus du régime alimentaire et des exercices, mais il n'a jamais prescrit d'insuline.

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Le 30 avril 1990, Edwards a été informé par le docteur Bretecher que son diabète était de mieux en mieux équilibré et qu'il serait probablement en état de retourner au travail le 1er juin 1990.

Le 15 mai 1990, Edwards s'est rendu en voiture de Dauphin à l'établissement de Kleysen Transport à Winnipeg, une distance d'environ 200 milles. Aux bureaux de Kleysen, il a rencontré Allan Martin, directeur de la sécurité du personnel de Kleysen. Les deux hommes se sont connus lorsqu'Edwards a conduit des camions pour Kleysen. Durant cette rencontre, Edwards a signé un avis au service du personnel indiquant sa démission. La question centrale en l'espèce porte sur ce qui a été dit et ce qui s'est passé à cette réunion le 15 mai 1990.

FARDEAU ET NORME DE LA PREUVE

Il a été établi par la jurisprudence que le fardeau de présentation de la preuve incombe au plaignant et qu'il doit présenter une preuve suffisante à première vue.

La preuve suffisante à première vue est celle qui se rapporte aux allégations et qui, si le tribunal y ajoute foi, l'autorise à donner gain de cause au plaignant, si la preuve n'est pas réfutée par l'intimé. C'est seulement si la preuve est jugée suffisante à première vue que le fardeau se déplace vers l'intimé.

La norme de preuve dans les affaires de discrimination est la norme applicable en matière civile, soit la prépondérance des probabilités.

QUESTIONS DE FAIT

Il n'a pas été contesté en l'espèce que, si un acte discriminatoire a été commis, il s'est produit durant la rencontre entre Edwards et Martin le 15 mai 1990. Toutefois, il existe deux versions radicalement divergentes de ce qui s'est passé à cette réunion.

Version du plaignant

Edwards a témoigné qu'il s'était rendu à l'établissement de Kleysen ce jour-là parce qu'il se sentait prêt à travailler et qu'il avait l'intention de reprendre son emploi de conducteur. Il est entré dans le bureau de Martin et y a remarqué Martin et un autre homme. Son témoignage ne permet pas d'affirmer s'il a vu ou non le visage de l'autre homme.

Edwards a longuement témoigné sur sa conviction initiale que cette autre personne était un nommé Herb Reid et sur sa conviction ultérieure qu'il s'agissait en réalité de Grant Gerdis. Ces deux hommes étaient des employés de Kleysen. D'après Edwards, la deuxième opinion qu'il a émise (c'est-à-dire qu'il s'agissait de Gerdis) a été confirmée quand il a reconnu sa voix, quelques semaines plus tard.

Edwards a déclaré que Martin lui avait dit: [TRADUCTION] «Quelqu'un qui a un passé médical pareil, on n'en a pas besoin dans

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l'industrie du camionnage.» Martin n'a pas demandé de certificat médical. Edwards a témoigné que cela lui avait donné un choc, qu'il avait maintenu qu'il était en assez bonne santé pour conduire et qu'il avait proposé de se soumettre à l'examen médical de l'entreprise.

A ce moment-là, le troisième homme dans la pièce aurait lancé qu'Edwards devrait subir l'examen médical de l'entreprise.

Puis, Martin a remis à Edwards une fiche de départ (avis au service du personnel). Celui-ci a protesté contre le fait qu'aucun des choix, c'est-à-dire «mise à pied», «démission» et «licenciement», ne s'appliquait à lui car il voulait revenir au travail. Edwards a témoigné qu'après que Martin eut coché «démission», il avait pensé qu'il n'avait pas d'autre choix et qu'il avait signé le document. Martin a alors inséré dans la formule les mots [TRADUCTION] «Prière de verser la paie de vacances. Ne peut pas conduire pour des raisons d'ordre médical.»

Edwards a quitté le bureau et, trente ou quarante minutes plus tard, a téléphoné à Martin pour lui demander d'annuler la fiche de départ. Martin a refusé, selon ce qu'a témoigné Edwards.

Les éléments de preuve relatifs aux prestations d'assurance- chômage que Edwards a reçus et leur rapport avec la nature de ses intentions le 15 mai 1990 sont trop incertains pour être utiles.

Version de l'intimée

Cette version des faits qui ont eu lieu le 15 mai 1990 a été présentée à l'audience par le témoignage d'Allan Martin, de Grant Gerdis et, indirectement, de Kenneth E. Bass.

Selon Martin, il a téléphoné à Edwards vers la fin d'avril ou au début de mai 1990 pour l'inviter à venir à l'établissement de Kleysen à Winnipeg pour discuter de son emploi. Martin a témoigné qu'Edwards était venu à son bureau vers le milieu de mai et qu'il avait dit ne pas être en état de reprendre le travail. Edwards a ajouté qu'il avait des difficultés financières, qu'il ne recevait plus de prestations et que, s'il démissionnait, il aurait droit à des prestations d'assurance-chômage.

Les deux hommes ont discuté des choix portés sur l'avis au service du personnel et ont convenu que Martin devait cocher «démission». D'après Martin, Edwards ne s'y est pas opposé et n'a manifesté aucune hésitation à signer l'avis au service du personnel. Martin a nié qu'une autre personne se soit trouvée dans le bureau et a nié avoir reçu un appel téléphonique d'Edwards plus tard le même jour.

Martin a également nié avoir dit à Edwards que l'industrie du camionnage n'avait pas besoin de quelqu'un qui avait un passé médical comme le sien.

Grant Gerdis («Gerdis») a témoigné qu'il était le surveillant du personnel de Kleysen à l'époque en cause. Il a déclaré qu'il parlait de

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temps à autre avec Martin de questions concernant le personnel, qu'il connaissait Edwards quand ce dernier était employé par Kleysen, mais qu'il n'avait jamais assisté à une rencontre entre Martin et Edwards.

Kenneth E. Bass, agent des droits de la personne qui a enquêté sur cette plainte, a témoigné qu'aucune mention n'avait jamais été faite de la présence d'un témoin à la rencontre entre Martin et Edwards au cours de ses premières conversations avec Edwards ou avec son avocat. Ce témoignage n'était cependant pas concluant et la présence d'un témoin a été mentionnée lors de discussions postérieures avec M. Bass.

CONCLUSION

Les deux versions des faits qui ont eu lieu le 15 mai 1990 sont tout à fait contradictoires pour ce qui est de plusieurs questions: quelle était l'intention déclarée d'Edwards lorsqu'il s'est rendu à l'établissement de Kleysen, se sentait-il prêt à travailler, qui a suggéré qu'il démissionne, a-t-il signé de son plein gré l'avis au service du personnel, un tiers était-il présent et Edwards a-t-il téléphoné à Martin par la suite? Les deux versions divergent encore sur un dernier point crucial: Martin a-t-il dit que l'industrie du camionnage n'avait pas besoin de quelqu'un qui avait «un passé médical» comme celui d'Edwards?

Vu les témoignages relatés ci-dessus et la preuve indiquant que Kleysen connaissait le diabète d'Edwards dès le moment où elle l'a embauché et qu'elle n'avait adopté aucune ligne de conduite ou pratique dont l'effet était d'exclure des postes de conducteur les personnes présentant une déficience, j'accepte la version de l'intimée de ce qui s'est passé le 15 mai 1990. La crédibilité du témoignage d'Edwards a été entamée par ses réponses évasives, sa mémoire sélective, les contradictions de son témoignage, l'incompatibilité de ses déclarations et des documents, ainsi que l'absence de corroboration par d'autres témoins.

Acceptant la preuve de l'intimée, je conclus que Kleysen a accepté la démission volontaire d'Edwards et qu'elle l'a fait pour le satisfaire et non à cause de sa déficience.

Je conclus que, selon la prépondérance des probabilités, la plainte n'a pas été prouvée et que le plaignant n'a pas réussi à présenter de preuve d'acte discriminatoire qui soit suffisante à première vue.

En conséquence, la plainte est rejetée.

Fait à Oakville, en Ontario, le 20 janvier 1995.

Judith H. Alexander Présidente

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