Tribunal canadien des droits de la personne

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D.T. 13/95 Décision rendue le 28 septembre 1995

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE L.R.C. 1985, chap. H-6 (version modifiée)

TRIBUNAL D'APPEL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE: JAMES RUSSELL LAMBIE

l'appelant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

FORCES ARMÉES CANADIENNES

l'intimée

DÉCISION DU TRIBUNAL D'APPEL

TRIBUNAL: ELIZABETH LEIGHTON, présidente CLAUDE PENSA, membre RAJ SAUNDER, membre

ONT COMPARU: Pascale-Sonia Roy, avocate de l'appelant

Rosemary Morgan, avocate de la Commission canadienne des droits de la personne

Brian Saunders, avocat de l'intimée

DATES ET LIEUX DE L'AUDIENCE: Les 9 novembre, 5 et 6 décembre 1994, et le 14 février 1995, Winnipeg (Manitoba) Les 6 et 7 avril 1995, Ottawa (Ontario) TRADUCTION

LES FAITS DE L'APPEL

Dans une plainte déposée devant la Commission canadienne des droits de la personne, en date du 12 décembre 1988, James Russell Lambie, alors lieutenant-colonel dans les Forces armées canadiennes, a allégué que son employeur, les Forces armées canadiennes, avait exercé de la discrimination à son égard. Il a soutenu que les Forces armées canadiennes ont refusé de le nommer commandant de la base et de lui accorder la promotion nécessaire au rang de colonel, en raison de son état matrimonial. La plainte initiale était fondée sur les articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne; au début de l'audience de première instance, le renvoi à l'article 10 a été retiré.

L'audience de première instance s'est déroulée en trois séances, à Ottawa (Ontario):

les 8 et 9 septembre 1992 les 28 et 30 septembre, et le 1e octobre 1992 les 20 et 21 janvier 1993

La preuve produite à l'audience de première instance comportait une description des faits survenus au printemps 1987, en particulier à la fin de mai et au début de juin de cette année-là, ainsi qu'un aperçu de la procédure de nomination et de promotion des officiers au sein des Forces armées canadiennes. Le lieutenant-colonel Lambie a allégué qu'on lui avait refusé la nomination de commandant de la base à la BFC Greenwood, ainsi que la promotion nécessaire au rang de colonel, parce que, au moment de cette promotion et de cette nomination, il était séparé de sa première femme (ils étaient en instance de divorce) et vivait en concubinage avec la femme qui devait devenir sa deuxième épouse.

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Les Forces armées canadiennes ont nié que le refus de la nomination et de la promotion du lieutenant-colonel Lambie était fondé sur des considérations touchant son état matrimonial.

Suivant la décision datée du 23 mars 1993 et rendue le 23 avril 1993 par le tribunal de première instance, le lieutenant-colonel Lambie a établi prima facie que les Forces armées canadiennes avaient exercé en cours d'emploi de la discrimination à son égard. Le tribunal a conclu que l'état matrimonial du lieutenant-colonel Lambie a constitué une cause immédiate pour laquelle le plaignant n'a pas obtenu la nomination ni, par conséquent, la promotion (par. 3(1) et art. 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne). Cette conclusion posée, il a examiné le déplacement du fardeau de la preuve sur l'intimée, les Forces armées canadiennes, qui consistait à donner une explication valable qui rendrait acceptables les actes reprochés (Loi canadienne sur les droits de la personne, s. 15 c)). Il a rejeté la plainte, expliquant qu'il était convaincu que, en l'espèce, l'état matrimonial du [lieutenant-colonel Lambie] n'a pas été pris en considération de manière inopportune par les officiers en cause et qu'il n'était pas disposé à conclure qu'il y a eu collusion [de la part de l'intimée, les Forces armées canadiennes] dans le dessein de camoufler un acte fautif de la part du général Ashley ou le fait que celui-ci ait pris en considération, de manière inappropriée, l'état matrimonial du plaignant. Le général Ashley est la personne qui a pris la décision finale relativement à la dotation du poste de commandant de la base, BFC Greenwood.

Le 12 avril 1993, le lieutenant-colonel Lambie a interjeté appel de cette décision; un tribunal d'appel des droits de la personne a été constitué et a entendu des observations le 9 novembre 1993, à Winnipeg (Manitoba). Ces observations portaient sur la demande présentée par le lieutenant-colonel Lambie afin de produire de nouveaux éléments de preuve (par. 56(4) de la Loi canadienne sur les droits de la personne).

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Le 31 mars 1994 (la dissidence est datée du 29 mars 1994 et ne porte que sur la nécessité de constituer un nouveau tribunal d'appel), le tribunal d'appel des droits de la personne a rendu sa décision : le lieutenant-colonel Lambie était autorisé à appeler deux autres témoins nommés qui témoigneraient de vive voix, et les Forces armées canadiennes avaient le droit de présenter une contre-preuve, [TRADUCTION] notamment le droit d'appeler de nouveaux témoins et de rappeler des personnes qui avaient déjà témoigné. L'appel, qui devait être entendu par un tribunal d'appel différent, devait comporter l'audition des nouveaux témoignages de vive voix ainsi que des observations des parties, sur le fondement du dossier existant et de la nouvelle preuve.

Le 3 mai 1994, le procureur général du Canada a présenté un Avis de requête introductive d'instance à la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada afin d'obtenir notamment une ordonnance visant à annuler la décision susmentionnée rendue par le tribunal d'appel des droits de la personne les 29 et 31 mars 1994, ainsi qu'une ordonnance en vertu de laquelle l'appel du lieutenant-colonel Lambie devait être entendu par un tribunal d'appel différent, uniquement sur le fondement du dossier dont était saisi le tribunal original. La demande a été entendue par le juge Rothstein, qui l'a rejetée le 23 novembre 1994, communiquant ses motifs écrits le 2 décembre 1994, à Ottawa (Ontario).

Ce jour-là, le 2 décembre 1994, un appel de la décision rendue par le juge Rothstein a été interjeté devant la Cour d'appel fédérale. Il n'avait pas été entendu le jour où le présent tribunal d'appel des droits de la personne a terminé l'audition de la preuve et des observations, le 7 avril 1995. Le présent tribunal d'appel avait été constitué le 25 octobre 1994 (pour remplacer le tribunal d'appel constitué le 21 avril 1994); il a entendu la preuve et les observations en trois

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séances, à Winnipeg (Manitoba) et à Ottawa (Ontario), les 5 et 6 décembre 1994, le 14 février 1995 et les 6 et 7 avril 1995.

LA COMPÉTENCE DU PRÉSENT TRIBUNAL D'APPEL

L'avocate du lieutenant-colonel Lambie a indiqué que le présent tribunal d'appel pouvait et devait, en raison de l'appel en instance devant la Cour d'appel fédérale, formuler deux conclusions. La première devrait résulter de la vaste compétence qu'il a de se prononcer sur toute la preuve qu'il a entendue ainsi que sur le dossier établi, comme s'il s'agissait d'une nouvelle audience. Cependant, cet argument a été affaibli par l'observation suivante, à savoir que la décision rendue par le tribunal initial selon laquelle le plaignant avait établi prima facie le bien-fondé de sa plainte n'était pas en cause et qu'elle devrait donc être simplement considérée comme telle. La deuxième (conclusion devrait se fonder simplement sur le dossier, comme si la décision du tribunal initial avait été portée en appel et que le tribunal d'appel n'était saisi que des observations des avocats et du dossier existant.

Cette observation a été faite, présume-t-on, afin d'éviter les problèmes auxquels pourrait donner lieu l'appel en instance intejeté de la décision du juge Rothstein.

Nous estimons que le présent tribunal d'appel devrait fonder sa décision sur toute la preuve produite devant le tribunal initial ainsi que la nouvelle preuve que nous venons d'entendre.

L'avocat de l'intimée a prétendu que, comme il s'agit d'un appel, le tribunal d'appel ne devrait intervenir que s'il conclut à une erreur tangible et manifeste de fait ou de droit. Une telle

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décision devrait se fonder sur le dossier et les témoignages de vive voix entendus par le présent tribunal d'appel.

Comme le présent tribunal était saisi de ce qu'on peut décrire comme un amalgame d'éléments de preuve, il convient de consulter la Loi canadienne sur les droits de la personne afin d'éclaircir la nature d'un tribunal d'appel.

Les paragraphes 56(2) à 56(5) de la Loi portent ce qui suit:

"(2) Sous réserve des autres dispositions du présent article, les tribunaux d'appel sont constitués comme les tribunaux prévus à l'article 49 et sont investis des mêmes pouvoirs; leurs membres ont droit à la rémunération et aux indemnités prévues au paragraphe 49(4).

(3) Le tribunal d'appel peut entendre les appels fondés sur des questions de droit ou de fait ou des questions mixtes de droit et de fait.

(4) Le tribunal d'appel entend l'appel en se basant sur le dossier du tribunal, dont la décision ou l'ordonnance fait l'objet de l'appel et sur les observations des parties intéressées; mais il peut, s'il l'estime indispensable à la bonne administration de la justice, recevoir de nouveaux éléments de preuve ou entendre des témoignages.

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(5) Le tribunal d'appel qui statue sur les appels prévus à l'article 55 peut soit les rejeter, soit y faire droit et substituer ses décisions ou ordonnances à celles faisant l'objet des appels."

Deux décisions mentionnées dans Carson et al c. Air Canada, (1984) 5 C.H.R.R.. D/1857, portent sur la question des pouvoirs des tribunaux d'appel. Dans une décision provisoire rendue dans l'affaire Butterill, Foreman et Wolfman c. Via Rail Canada Inc., (1980) 1 C.H.R.R. D/233, un tribunal a statué que les tribunaux d'appel ont un vaste pouvoir discrétionnaire qui leur permet de substituer leur propre opinion à celle du tribunal initial, pouvoir plus vaste que celui des tribunaux des droits de la personne. La Cour d'appel fédérale a confirmé cette conclusion dans l'arrêt publié de Butterill, Foreman et Wolfman c. Via Rail Canada Inc., (1982) 3 C.H.R.R.D/ 1043; le juge en chef Thurlow a indiqué ce qui suit, aux p. D/1044-1045 :

[...] "mais, en tout état de cause, eu égard à l'alinéa 42.1(6)b) de la Loi, je ne pense pas qu'on puisse soutenir que le tribunal d'appel n'est pas habilité à substituer son jugement à celui du tribunal des droits de la personne."

Plus loin, à la p. D/1046, il ajoute ce qui suit:

"Il incombait au tribunal d'appel de trancher ces questions à partir des éléments de preuve consignés dans le dossier du tribunal des droits de la personne et à partir des éléments de preuve supplémentaires qu'il jugerait recevables."

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Il est un principe de droit constant selon lequel, pour respecter l'esprit de la législation en matière de droits de la personne, il faut lui donner une interprétation large et libérale. Les tribunaux d'appel sont habilités à entendre de nouveaux témoignages de vive voix et, le cas échéant, à prendre la décision et à rendre l'ordonnance que, selon eux, le tribunal initial aurait dû prendre ou rendre.

LES FAITS

Ainsi que l'indiquent les Faits de l'appel, la plainte originale déposée par le lieutenant-colonel Lambie résultait d'un incident survenu à la fin du printemps 1987. A ce moment-là, le lieutenant-colonel Lambie suivait un cours de français à Winnipeg, le lieu de sa nomination dans les Forces armées canadiennes, au Quartier général - Commandement aérien. Il vivait en concubinage avec la femme qui devait devenir sa deuxième épouse; la procédure de divorce du lieutenant-colonel Lambie et de sa première femme n'était pas encore terminée.

Le lieutenant-colonel Lambie a témoigné que, le 28 mai 1987, il a eu une conversation avec un ami personnel, qui était un supérieur, le général Garland; à cette époque, ce dernier était commandant adjoint du Commandement aérien et, en raison de l'absence du commandant du Commandement aérien, le général Ashley, il était responsable. Toutefois, Ashley devait revenir le 1er juin 1987.

Selon Lambie, la conversation a été brève et directe - il devait être nommé commandant de la base de BFC Greenwood et serait donc promu au rang de colonel.

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Le lendemain, soit le 29 mai 1987, une seconde conversation a eu lieu entre Lambie et Garland. D'après Lambie, cette conversation a porté sur sa situation personnelle - son divorce imminent, la nécessité qu'il se présente à la BFC Greenwood, d'abord comme commandant célibataire de la base, son intention de marier sa conjointe de fait, l'intention de cette dernière de prendre un congé lorsqu'elle le rejoindrait à la base Greenwood en sa qualité d'épouse légitime (détail que Garland lui avait suggéré de ne pas mentionner à Ashley). En outre, il a appris qu'il y avait trois candidats à cette nomination et, comme les deux premiers n'étaient pas disponibles pour accepter, Lambie, le troisième sur la liste des recommandations, serait nommé et promu en conséquence.

Le 3 juin 1987, le lieutenant-colonel Lambie, s'attendant à apprendre sa nomination officielle et sa promotion, a reçu, selon son témoignage, un autre appel téléphonique du général Garland. Contrairement à ses attentes, il s'est vu opposer ce qu'il a décrit comme une dénégation catégorique du fait que les conversations qu'il avait eues avec le général Garland avaient jamais eu lieu, et il a appris qu'une autre personne était nominée commandant à la base Greenwood à sa place.

Le lieutenant-colonel Lambie a été, a-t-il précisé, d'abord stupéfié de cette nouvelle puis finalement blessé et en colère. Il a tenté de découvrir comment un changement aussi, soudain avait pu survenir. Les lettres qu'il a adressées à ses supérieurs sont restées sans réponse, ou la réponse reçue ne fournissait pas, à ses yeux, une explication suffisante. Il a déposé un grief, mais il n'a pas reçu une explication adéquate; toutefois, il a appris d'autres renseignements sur l'incident qui ont accentué son impression d'avoir été victime de discrimination fondée sur son état matrimonial. Finalement, il a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne.

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Il faut considérer cet incident dans le contexte de ce qui a été décrit, dans les témoignages, comme la culture des Forces armées canadiennes. Cette culture est fondée sur la nécessité militaire historique de la chaîne de commandement. Elle est donc fortement caractérisée par des structures et des procédures innombrables, tant écrites que non écrites. Les règles non écrites sont un ensemble sans organisation et changeant de règlements touchant souvent l'aspect social du milieu militaire.

Les règles écrites concernent tous les aspects du travail au sein de l'armée. Par exemple, le cheminement de carrière des officiers par la voie des nominations et des promotions dans les rangs se fonde sur les rapports d'évaluation du personnel rédigés tous les ans et faisant l'objet d'un examen dans le cadre d'un système de classement au mérite. En 1987, le lieutenant-colonel Lambie s'est classé onzième sur la liste du classement au mérite des lieutenants-colonels. Au cours de cette année, les dix premiers ont été promus. Ces promotions étaient chose faite en mai 1987, car l'examen avait eu lieu l'automne précédent. On savait que les postes auxquels étaient promus les candidats devenaient vacants habituellement après une nomination en général de trois ans. Au mois de mai, les postes vacants prévus étaient dotés. La vacance à la base Greenwood n'était pas prévue; le commandant de la base avait été promu alors qu'il n'avait pas complété sa période de trois ans. Il était donc nécessaire de considérer les autres colonels disponibles pour cette nomination (il fallait être colonel pour être commandant de la base) ou les lieutenants-colonels qui pouvaient être promus au rang de colonel au moment de la nomination. Deux officiers étaient très bien en vue, les colonels Faulkner et Kirkwood, qui étaient tous deux en poste à Ottawa. Pour des raisons personnelles, le colonel Faulkner avait fait connaître son désir de ne pas quitter Ottawa. Comme la nomination du colonel Kirkwood était récente, on ne pensait pas qu'il quitterait Ottawa. En raison de son rang sur la liste de classement au mérite, le suivant à être promu, le lieutenant-colonel Lambie était le candidat probable pour la promotion et la nomination en cause.

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Le capitaine Roxanne Rees, membre des Forces armées canadiennes depuis vingt ans, était à l'époque en cause, soit à l'automne 1986, l'officier d'état-major du gestionnaire de carrières du Personnel, le colonel Peter Hamilton, à Ottawa. Le colonel Hamilton était responsable de toutes les questions relatives au personnel touchant les colonels, en sa qualité de gestionnaire de carrières direct. Le capitaine Rees l'aidait à exécuter ses fonctions et faisait tous les travaux d'écriture connexes. Le bureau du colonel Hamilton comportait une salle d'information sur les murs de laquelle étaient suspendus des panneaux de plexiglass portant tous les postes au monde qui étaient occupés par des colonels. A cette époque, quelque 367 colonels y figuraient ainsi que tous les lieutenants-colonels dont la promotion était prévue. Le colonel Hamilton est décédé le 7 mars 1987. Il a été remplacé par le colonel Friesen, qui est arrivé au début de mai 1987.

Selon le témoignage du capitaine Rees, quelques jours avant son décès, le colonel Hamilton l'avait appelée dans son bureau et lui avait demandé, chose plutôt étrange, de l'écouter attentivement et de prendre des notes concernant ses plans pour chaque colonel dans l'armée, un par un. Au cours de son examen, il avait dit au capitaine Rees d'indiquer le nom du colonel Lambie comme celui de commandant de la base à Greenwood. Après le décès du colonel Hamilton, le commodore Cairns l'a remplacé pendant quelque temps. Le colonel Hamilton était un ami de longue date du colonel Lambie et il était heureux de cette nomination parce que son heure de gloire était enfin arrivée. Il a lui-même mis le nom du colonel Lambie sur le panneau et a demandé au capitaine Rees de remplir les documents, à des fins d'approbation, qu'exigeait le chef d'état-major de la défense. Cette procédure donne lieu à une formule locale, la formule de message de promotion, préparée par le capitaine Rees qui la remet au colonel Hamilton, lequel la transmet ensuite au commodore Peter Cairns, directeur général - officier des carrières militaires. Puis, elle est communiquée, au sous- ministre adjoint (Personnel) puis au chef d'état-major de la défense. Le document revient du chef

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d'état-major de la défense portant une signature, ce qui veut dire qu'à cette étape le colonel Lambie devait aller à Greenwood en qualité de commandant de la base. Toutefois, le capitaine Rees a reconnu qu'il y avait des cas où ce document est envoyé et où la situation change. La nomination ne devient officielle que lorsque le gestionnaire de carrières téléphone au commandant du Commandement pour annoncer la promotion, après quoi le commandant communique avec le colonel Hamilton et lui dit que la promotion a été annoncée. C'est à ce moment-là que le message peut être communiqué à titre officiel.

Lorsque le capitaine Rees a reçu de nouveau la formule normalisée, celle-ci est restée inactive dans les dossiers pendant quelques mois, ce qui n'était pas inhabituel. Elle a ajouté qu'en mai le commodore Cairns lui a demandé de téléphoner au commandant du Commandement aérien et de lui annoncer la promotion du lieutenant-colonel Lambie, ce qui était inhabituel parce qu'elle ne faisait pas normalement ce type d'appel téléphonique. Lorsqu'elle a fait l'appel, le général Garland, commandant adjoint, était responsable, et elle a transmis le message. L'annonce n'était pas encore faite quelques jours plus tard, elle a donc téléphoné de nouveau, après quoi le commodore Cairns est venu à son bureau et lui a dit de [TRADUCTION] retenir le dossier Lambie. Il lui a dit de détruire le document et de préparer les documents concernant la nomination du colonel Wally Kirkwood comme commandant de la base à Greenwood. Les notes que le capitaine Rees avait prises au cours de sa réunion avec le colonel Hamilton, dans la salle d'information, n'ont pas été produites et n'étaient probablement plus disponibles.

Dans les rapports d'évaluation du personnel du lcol. Lambie, la case concernant l'état matrimonial comportait le mot [TRADUCTION] séparé. Au cours du contre-interrogatoire, le capitaine Rees a reconnu qu'avant la réception du document officiel, les supérieurs peuvent toujours

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modifier leur décision, à savoir si la personne est effectivement celle qui convient. Il n'est pas rare qu'une affectation et une promotion soient modifiées, mais habituellement pas aussi tard dans le processus que dans le cas du lcol. Lambie. Le capitaine Rees présumait que le colonel Hamilton avait parlé au général Ashley afin d'obtenir son approbation relativement à la nomination de Lambie. Elle a convenu que la promotion et l'affectation du commandant de l'époque de Greenwood, le colonel Donald, au rang de général, en date du 11 mai 1987 (pièce R- 12) précéderait probablement l'annonce de la promotion du colonel Lambie.

Du point de vue du général Ashley, le commandant du Commandement aérien responsable de la nomination du nouveau commandant de la base Greenwood, sa décision était fondée sur les candidats que lui avaient recommandés le général Garland, le général Curleigh, le général Patrick et le colonel Friesen, lequel, en juin 1987, remplaçait le colonel Hamilton. En outre, sa décision était influencée par son propre préjugé en faveur de la nomination d'un membre de l'armée de mer à la base Greenwood, même si l'intéressé pouvait aussi bien être membre de l'armée de mer que pilote (ce qu'était Lambie), dans la mesure où il avait l'expérience voulue sur terre ou en mer et était le candidat le mieux qualifié disponible à l'époque. Il a entendu parler de la nécessité de cette nomination le 1er juin 1987, et la nomination a été faite le 3 juin suivant. Le colonel Kirkwood a été nommé. Il était colonel, membre de l'armée de mer, ayant l'expérience nécessaire, et, selon Lambie, il était hautement qualifié pour la nomination, mais il n'était pas, jusqu'à il y a ces deux jours, disponible pour la nomination.

Inutile de dire qu'il y a eu beaucoup de discussions parmi les généraux du Quartier général - Commandement aérien, à Winnipeg, au cours de ces deux premiers jours de juin 1987. Selon ces généraux, la discussion portait sur les candidats à cette nomination, car des listes et des listes avaient

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été dressées. Même si Garland a mentionné qu'il avait recommandé le lieutenant-colonel Lambie si le choix devait s'arrêter sur un pilote, tout porte à croire que le premier critère était de trouver le meilleur candidat pour le poste et, le second, le fait qu'il s'agisse d'un membre de l'armée de mer à une base qui pouvait recevoir un officier de cette catégorie (toutes les bases pouvaient avoir un pilote comme commandant, seules sept pouvaient nommer un membre de l'armée de mer). Naturellement, toutes les personnes en cause ont indiqué que l'état matrimonial n'avait jamais constitué un facteur - il n'avait même jamais été mentionné!

Le présent tribunal a entendu de nouveaux témoignages, notamment celui de Jacqueline Deborah Robertson qui, en 1987, travaillait comme secrétaire du chef d'état-major, Opérations, le brigadier général Patrick. Elle était une employée civile, secrétaire de niveau ST-4; elle occupait ce poste depuis 1982 et a quitté le ministère de la Défense nationale en 1988. Elle faisait de la dactylographie et du classement, elle s'occupait des réservations de voyage et prenait les appels téléphoniques. Elle travaillait de près avec le chef de cabinet. Selon son témoignage, elle a lu l'avis de l'affectation et de la promotion du lcol. Lambie, car le brigadier général Patrick était l'un des destinataires. Elle l'a remis au général Patrick. Elle a entendu une conversation entre les généraux Garland et Patrick au sujet de la promotion du lcol. Lambie, au cours de laquelle le général Patrick a dit que Lambie était accoté avec une femme et qu'il ne voulait pas qu'il aille à la base Greenwood. Il voulait un commandant qui était bel et bien marié et non pas accoté. Selon elle, le général Garland a dit qu'on ne devait pas tenir compte de l'état matrimonial de Lambie et qu'il ne pouvait pas ne pas retenir son nom parce que Lambie irait à Greenwood seul et que la femme avec laquelle il vivait le suivrait plus tard. En outre, ils avaient vraiment l'intention de se marier. Le général Patrick n'était pas d'accord. Mme Robertson a dit qu'elle a été stupéfiée lorsqu'elle a entendu cette conversation.

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Eric N. Patrick est un membre à la retraite des Forces armées canadiennes et a fait un nouveau témoignage devant le présent tribunal. Il a exécuté son dernier jour de service en août 1992. Entre 1986 et 1988, il était chef d'état-major, Opérations, au Quartier général - Commandement aérien, à Winnipeg. Selon son témoignage, il a eu une conversation avec le général Garland au sujet de la nomination du commandant de la base à Greenwood, le 29 mai 1987, dans son bureau, au Quartier général - Commandement aérien. Il n'y avait aucun message relatif à la promotion concernant le lcol. Lambie. Au cours de sa conversation avec le général Garland, il n'a pas utilisé le terme accoté et dans aucun cas il n'aurait parlé ainsi. Il a nié avoir eu une conversation avec les généraux Ashley et Garland, dans le couloir, à l'extérieur du bureau du commandant adjoint. Dans son témoignage, il a soulevé des doutes sur la capacité de Mme Robertson d'entendre les conversations qui se déroulaient dans son bureau à lui.

Dans son nouveau témoignage, le colonel Friesen nie l'existence pure et simple d'un message concernant l'affectation et la promotion du colonel Lambie.

FARDEAU DE LA PREUVE

Dans les plaintes déposées en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, il incombe au plaignant d'établir, prima facie, le bien-fondé de la discrimination fondée sur l'un des motifs de distinction illicite.

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La preuve prima facie a été définie dans l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpsons-Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536, à la page 558, de la façon suivante :

"[...] celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l'absence de réplique de l'employeur intimé."

La prépondérance des probabilités est la norme de preuve servant à déterminer si le plaignant a établi prima facie le bien-fondé de sa plainte.

Foreman et al c. VIA Rail Canada Inc., (1980) 1 C.H.R.R.D/111 Bhinder c. Compagnie des chemins de fer nationaux, (1981) 2 C.H.R.R. D/546

Quand le plaignant a établi prima facie le bien-fondé de sa plainte, le fardeau se déplace, et il incombe à l'intimé d'établir une justification, toujours selon la prépondérance des probabilités.

Holden c. Compagnie des chemins de fer nationaux, (1991) 14 C.H.R.R. D/12 (citant Commission ontarienne des droits de la personne c. Municipalité d'Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202 et Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpsons-Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536)

La justification présentée par l'intimée ne doit pas être un simple prétexte, une explication donnée afin d'éviter que le tribunal conclut à un acte discriminatoire. Dans l'affaire Grover c.

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Conseil national de recherches du Canada, (1992) 18 C.H.R.R. D/1 (p. D/46), le tribunal cite l'arrêt Basi (Basi c. Chemins de fer nationaux du Canada (no 1), (1988) 9 C.H.R.R. D/5029) :

"La réponse de l'employeur connue, il incombe en dernier lieu au plaignant de démontrer que l'explication fournie ne constitue qu'un prétexte et que les actes de l'employeur ont réellement été motivés par des considérations discriminatoires.

Pour faire cette démonstration, le plaignant doit établir, à l'aide de preuves directes, que la discrimination est ce qui a motivé la décision de l'employeur, ce qui n'est pas une mince tâche. La discrimination n'est pas un phénomène qui se manifeste ouvertement, comme on serait porté à le croire. Il est rare en effet qu'on puisse prouver par des preuves directes qu'un acte discriminatoire a été commis intentionnellement.

Comme le plaignant dispose rarement de preuves directes dans des causes comme celle-ci, il appartient alors à la Commission d'établir si le plaignant a été ou non en mesure de prouver que l'explication est un prétexte en faisant des déductions à partir de ce qui, le plus souvent, constitue des preuves circonstancielles. [Souligné par le Tribunal]"

Comment le tribunal peut-il déterminer que cette explication est un prétexte? Dans la décision Basi, le président a cité l'ouvrage de B. Vizkelety, intitulé Proving Discrimination in Canada (Toronto, Carswell, 1987). L'auteur suggère le critère suivant

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on peut conclure à la discrimination quand la preuve présentée à l'appui rend cette conclusion plus probable que n'importe quelle autre conclusion ou hypothèse possible.

DÉFINITIONS

Le présent tribunal d'appel est saisi d'une allégation de discrimination fondée sur un motif de distinction illicite visée à la Loi canadienne sur les droits de la personne, à savoir l'état matrimonial.

La DISCRIMINATION en soi a été discutée dans la décision Carson et al c. Air Canada, (1984) 5 C.H.R.R. D/ 1857, tant sous l'angle de la jurisprudence anglaise que de la jurisprudence américaine, ainsi que du point de vue plus strictement législatif de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le tribunal d'appel souligne ce qui suit (paragraphes 15977-15978) :

"15977 Discutant de ce qui constitue de la discrimination, lord Reid déclarait dans la décision de la Chambre des lords, Post Office v. Crouch, (1974) 1 All E.R. 229, à la page 238:

La discrimination suppose une comparaison. Ici, je crois qu'elle pourrait signifier, soit qu'en raison de la discrimination le travailleur est en plus mauvaise position qu'il ne le serait si la discrimination à son endroit n'avait pas eu lieu, soit qu'en raison de la discrimination il est en plus mauvaise position que quelqu'un d'autre

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dans une situation comparable mais qui n'a pas été victime de discrimination. La signification qui est choisie ne fait peut-être pas beaucoup de différence, mais je préfère la dernière qui me paraît être un sens plus naturel du mot, et le plus approprié au cas à l'étude. (traduction)

15978 Dans une décision américaine, en examinant la signification des mots discriminer et discrimination, M. le juge Burton déclarait en référence aux ordonnances générales de la ville de Dayton, Ohio :

Discriminer signifie faire une distinction favorable ou défavorable à l'endroit d'une personne oui d'une chose en fonction du groupe, de la classe ou catégorie auquel la personne appartient, plutôt qu'en fonction du mérite réel. Discrimination signifie l'acte de faire une distinction favorable ou défavorable à l'endroit d'une personne ou d'une chose en fonction du groupe, de la classe ou catégorie auquel cette personne ou chose appartient, plutôt qu'en fonction du mérite individuel. (traduction) Courtner v. The National Cash Registry Co., 262 N.E. 2d 586 (1970)."

Le tribunal conclut en disant que la discrimination présume une distinction entre les personnes qui n'est pas fondée sur le mérite.

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La Loi canadienne sur les droits de la personne prévoit, aux articles 7 et 3, qu'il y a acte discriminatoire relativement à l'emploi lorsqu'il n'y a aucune exception prévue par la Loi à ce qui constituerait par ailleurs une pratique discriminatoire illicite.

7. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects : a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu; b) de le défavoriser en cours d'emploi.

3.(1) Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.

La jurisprudence a établi qu'il suffit que la discrimination soit l'un des fondements de la décision de l'employeur.

Holden c. Chemins de fer nationaux du Canada, (1991) 14 C.H.R.R. D/12, citant Sheehan c. Upper Lakes Shipping Ltd., (1978) 1 C.F. 836 (C.A.F.)

Comme l'indique la décision Carson et al. c. Air Canada, (1984) 5 C.H.R.R. D/1857, à la p. D/1866, si un tribunal des droits de la personne constate que [l'allégation de discrimination fondée sur un motif de distinction illicite] d'un plaignant était un facteur étroitement relié au

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comportement de l'intimé envers le plaignant, même si d'autres facteurs sont aussi en cause, il y a alors un cas de discrimination illégale qui paraît, de prime abord, bien fondé.;

Dans son article intitulé Human Rights Legislation in Canada : Its origin, development and interpretation (1976, 15 U.W.0. Law Review 21, à la page 32), le professeur Ian Hunter, de l'université Western Ontario, souligne ce qui suit :

[TRADUCTION]

"[...] les commissions d'enquête canadiennes ont toujours conclu qu'il suffit que l'intimé ait présent à l'esprit le motif de distinction illicite, même si ce dernier a joué un rôle mineur dans la décision finale."

Dans l'arrêt Schaap c. Canada (Forces armées canadiennes), (1990) 12 C.H.R.R. D/451, la Cour d'appel fédérale a examiné la définition de l'expression ÉTAT MATRIMONIAL. Le juge Hugessen a noté qu'il ne croit :

"pas que l'objet des lois sur les droits de la personne soit de favoriser l'institution du mariage (pas plus, d'ailleurs, que celle du célibat). Au contraire, j'estime qu'en incluant l'état matrimonial au nombre des motifs de distinction illicite tels la race, l'origine ethnique, la couleur ou la déficience, la loi indique clairement qu'aucun de ces motifs ne doit servir à justifier l'une quelconque des décisions visées par les art. 5 à 10 inclusivement. Ces décisions doivent être fondées sur la valeur ou les qualités des individus et non sur des stéréotypes de groupe."

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Le juge Pratte, son collègue, a défini l'expression de la façon suivante :

"j'estime que l'expression état matrimonial contenue dans la Loi canadienne des droits de la personne, [S.C. 1976-77, c. 33] ne désigne pas l'état d'une personne mariée mais plutôt celui d'une personne par rapport au mariage, savoir si elle est célibataire, mariée, divorcée ou veuve."

Il poursuit en examinant la question de 1'état de personnes vivant en union de fait:

"Ceci étant dit, une seule question demeure à mon avis : peut-on dire que la discrimination dont les requérants ont été victimes était fondée sur leur état, matrimonial, compte tenu qu'il n'y a pas eu discrimination simplement parce que les requérants n'étaient pas mariés, mais plutôt parce que chacun d'eux n'était pas marié à la femme avec laquelle il vivait? Vu l'approbation qu'a donné la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Brossard (Ville) supra, à la p. 295 [D/5523 C.H.R.R.] et suivantes au passage des motifs du juge MacGuigan dans Parrêt Cashin c. Canadian Broadcasting Corp. (No. 2), supra, à la p. 30 [D/5347 C.H.R.R.] et suivantes où était examiné un problème similaire, il est maintenant clair que cette question doit recevoir une réponse affirmative."

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LES QUESTIONS EN LITIGE

Les question soulevées par l'appel devant le tribunal d'appel sont directes

  1. Le tribunal initial a-t-il fait une erreur tangible ou manifeste lorsqu'il a conclu que le lieutenant-colonel Lambie avait établi, prima facie, le bien-fondé de sa plainte?
  2. Si la réponse à la première question est négative, le tribunal initial a-t-il fait une erreur tangible ou manifeste lorsqu'il a conclu que les Forces armées canadiennes avaient donné une explication légitime du comportement formant le fondement du bien-fondé prima facie de la plainte?
  3. Si la réponse à la deuxième question est affirmative, quels redressements peut-on offir à l'appelant?

Ces questions seront examinées compte tenu de toute la preuve dont a été saisi le tribunal d'appel.

PREUVE PRIMA FACIE

Le tribunal initial a constaté que le plaignant, le lieutenant-colonel Lambie, avait produit suffisamment d'éléments de preuve à cet égard [le fait que son employeur, les Forces armées canadiennes, ont, en cours d'emploi, exercé de la discrimination fondée sur un motif de distinction

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illicite, à savoir l'état matrimonial] pour étayer ses prétentions, en l'absence de réplique de la part de l'intimée [et] a établi, prima facie, le bien-fondé de la plainte.

Le tribunal initial a eu l'avantage d'entendre les témoignages de vive voix du plaignant, le lieutenant-colonel Lambie, du capitaine Rees, du colonel Reynolds, du major Laird et des généraux Chisholm, Doshen et Sutherland.

La conclusion du tribunal initial se fondait sur le fait que celui-ci a accepté la preuve qu'un choix avait été exercé dans le cours de l'emploi de Lambie, ainsi que le témoignage du lieutenant-colonel Lambie concernant ses entretiens avec le général Garland sur son état matrimonial en corrélation avec le choix exercé en cours d'emploi.

Le tribunal initial a compris le droit concernant la suffisance de la preuve nécessaire pour conclure au bien-fondé de la plainte, et il a cité l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536.

Le tribunal d'appel constate que le tribunal original n'a fait aucune erreur tangible ou manifeste en concluant que le plaignant avait établi, prima facie, le bien-fondé de la plainte de discrimination exercée par l'intimée. Naturellement, après avoir lu le dossier et entendu le témoignage de vive voix de Mme Robertson, le tribunal d'appel confirme la conclusion du tribunal initial sur ce point.

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LE TRIBUNAL INITIAL

Après avoir conclu au bien-fondé de la plainte de discrimination exercée contre le lieutenant-colonel Lambie par les Forces armées canadiennes, le tribunal initial a examiné la preuve de l'intimée. Il a souligné que l'intimée doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, que l'état matrimonial du plaignant n'est pas une cause immédiate pour laquelle le plaignant n'a pas obtenu la nomination et la promotion ni une cause immédiate pour laquelle le général Ashley a décidé de ne pas retenir la candidature du plaignant au poste de commandant de la base de Greenwood. Il a ajouté, à la page 13 de la décision, que le noeud de la présente affaire réside dans la décision prise par le général Ashley aux fins de combler le poste de commandant de la base de Greenwood.

Le tribunal poursuit en disant que l'intimée a longuement fait état de la manière dont le général Ashley avait pris sa décision. Ainsi, il a précisé le nom des personnes qui avaient été consultées, les raisons pour lesquelles elles l'avaient été, l'importance de ces personnes dans le processus décisionnel et, ce qui est le plus déterminant [...] les facteurs qui avaient été pris en considération avant de prendre la décision. Ensuite, simplement, il ajoute foi à la preuve de l'intimée [la procédure étant] logique et raisonnable dans les circonstances. Ce fait suffit pour indiquer que le tribunal est convaincu que, en l'espèce, l'état matrimonial du plaignant n'a pas été pris en considération de manière inopportune.

Le tribunal initial n'a pas accepté le témoignage du général Ashley sur des points cruciaux et a plutôt conclu à des incohérences dans son témoignage. Nous estimons que le tribunal initial a fait erreur lorsqu'il a statué que, même si le témoignage du général Ashley contient des contradictions, le tribunal n'est pas disposé à conclure qu'il y a eu collusion dans le dessein de

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camoufler un acte fautif de la part du général Ashley ou le fait que celui-ci ait pris en considération, de manière inappropriée, l'état matrimonial du plaignant. En termes clairs, ce qu'il aurait fallu examiner, c'était la question de savoir si une déduction raisonnable des faits permettait de conclure que le lcol. Lambie avait été éliminé du processus en raison de son état matrimonial. Le noeud de l'affaire, comme l'a noté le tribunal initial, consiste à examiner la décision prise par le général Ashley dans la dotation du poste de commandant de la base à Greenwood ainsi que ses motifs. S'il a tenu compte, dans quelque mesure que ce soit, de l'état matrimonial du lcol. Lambie, on peut dire que ce dernier a été victime de discrimination. A notre avis, l'idée selon laquelle la preuve avancée par l'intimée est un prétexte, semble étayée et, pour en venir à cette conclusion, nous prenons dûment note de toute la preuve produite devant le tribunal initial, après avoir examiné attentivement les motifs avancés par ce dernier. Nous nous appuyons également sur la nouvelle preuve produite devant nous. Nous croyons également que le tribunal initial avait suffisamment de preuves pour étayer sa conclusion que, selon la prépondérance des probabilités, le bien-fondé de la plainte de discrimination avait été établi prima facie. Le tribunal a accepté le témoignage du lcol. Lambie sur sa discussion avec le général Garland concernant son état matrimonial pour ce qui était de sa nomination prévue. Il a ajouté foi au témoignage du lcol. Lambie selon lequel il avait reçu l'assurance que la nomination et la promotion étaient dans la poche, sous réserve de simples formalités. Nous sommes portés à croire le témoignage de Mme Robertson, du moins dans la mesure où il nous convainc que l'état matrimonial a été discuté entre les parties en cause, si ce n'est les détails précis de son témoignage au sujet desquels on pourrait avoir des réserves. La (Crédibilité de son témoignage sur ce point précis, c'est-à-dire que l'état matrimonial a été discuté, correspond aux faits, et est corroboré par ceux-ci, qui semblent permettre de conclure que le lcol. Lambie est venu sur le point d'être nommé, mais que tout s'est arrêté abruptement. A notre avis, d'après la prépondérance des probabilités, selon les faits révélés en preuve, le lcol. Lambie a fait l'objet de

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discrimination de la part de son employeur, les Forces armées canadiennes, lorsque celles-ci lui ont refusé une nomination et une promotion en cours d'emploi.

REDRESSEMENTS

L'article 53 de la Loi canadienne sur les droits de la personne a été interprété de la façon suivante, il faut que les redressements soient efficaces et compatibles avec la nature quasi constitutionnelle des droits protégés. (Robichaud c. Conseil du Trésor, [1987] 2 R.C.S. 84, à la page 92).

Maintenant retiré des Forces armées canadiennes, le lcol. Lambie ne peut être nommé à un poste de commandant de base, comme il l'aurait probablement été s'il n'avait pas fait l'objet de discrimination; naturellement, il ne peut y avoir d'autres possibilités d'avancement auxquelles cette nomination aurait pu donner lieu.

Cependant, le tribunal d'appel a effectivement compétence pour tenter de placer, aujourd'hui, le lcol. Lambie dans la situation où il se serait trouvé s'il n'avait pas fait l'objet de discrimination. Par conséquent, il rend l'ordonnance suivante :

  1. L'intimée s'engage à modifier le dossier de carrière du lcol. Lambie, afin qu'il indique sa promotion au rang de colonel, en vigueur le 1er juillet 1987.
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  3. Les parties s'engagent à nommer, dans les trente jours suivant la date de la présente décision, un arbitre acceptable par tous qui déterminera et calculera les montants suivants
    1. le versement rétroactif, par l'intimée au plaignant, de la différence de salaire, en fonction de sa promotion au rang de colonel;
    2. la différence des prestations de retraite, ou la modification à y apporter, versée par l'intimée au plaignant, en raison de sa promotion au rang de colonel;
    3. tous les autres avantages revenant au plaignant en sa qualité d'officier au rang de colonel, notamment les prestations du RARM et du régime d'assurance des officiers généraux.
  4. L'intimée s'engage à verser au plaignant une indemnité pour les congés et le temps pris pour élaborer et préparer sa plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne, ainsi que pour assister aux audiences. L'arbitre choisi pour déterminer et calculer les paiements et les avantages mentionnés au paragraphe 2 facilitera ce calcul.
  5. Si les parties ne peuvent s'entendre sur un arbitre acceptable par tous dans les trente jours ou si elles ne peuvent, avec l'arbitre choisi, déterminer et calculer les paiements susmentionnés concernant le salaire, l'indemnité et les avantages dans les 90 jours suivant la date de la nomination de l'arbitre, le tribunal d'appel conserve sa compétence pour entendre d'autres preuves sur ces questions.
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  7. L'intimée s'engage à verser au plaignant des intérêts sur la différence de salaire et des avantages qui sera calculée, découlant du refus de promotion au rang de colonel; ces intérêts courent à compter du 1er juillet 1987 jusqu'au départ à la retraite du plaignant et sont calculés au taux d'intérêt simple de la Banque du Canada.
  8. L'intimée s'engage à verser au plaignant des intérêts sur la différence des prestations de retraite qui sera calculée, lesquels courent à compter du départ à la retraite du plaignant jusqu'à la date d'acceptation définitive des calculs par les parties et sont calculés au taux d'intérêt simple de la Banque du Canada.
  9. L'intimée s'engage à verser au plaignant la somme de 1 500 $ pour préjudice moral.
  10. L'intimée s'engage à verser au plaignant des intérêts sur la somme prévue au paragraphe 7, au taux d'intérêt simple de la Banque du Canada.
  11. - 29 -

  12. L'intimée s'engage à verser au plaignant ses frais relatifs à la procédure du tribunal d'appel, après calcul effectué selon le tarif de la Cour fédérale.

Fait à London (Ontario), le septembre 1995.

Elizabeth Leighton, présidente

Claude Pensa, membre

Raj Saunder, membre

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