Tribunal canadien des droits de la personne

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D. T. 12/ 88 Décision rendue le 9 ao t 1988

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE SIÉGEANT EN PREMIERE INSTANCE SOUS L’ÉGIDE DE LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE [S. C. (1976) 77. C. 33 ET SES AMENDEMENTS]

ENTRE Ginette Poliquin, Gihane Mongrain, Louise Labelle Les plaignantes et Le ministère de la Défense nationale

TRIBUNAL: NIQUETTE DELAGE

DÉCISION DU TRIBUNAL

COMPARUTIONS Anne Trotier Procureur de la Commission canadienne des droits de la personne

Johanne Levasseur Procureur du ministère de la Défense nationale

Gihane Mongrain Pour elle- même à titre de plaignante

DATES DE L’AUDIENCE: Les 18 et 19 janvier 1988 Les 15 et 16 février 1988

>LES FAITS

Après avoir examiné la preuve déposée devant lui par les parties au litige, le Tribunal fait les constatations suivantes: les trois plaignantes, Mmes Ginette Poliquin, Gihane Mongrain et Louise Labelle ont été, sur une base contractuelle, à l’emploi du ministère de la Défense nationale pendant un certain nombre d’années à la base militaire de St- Jean au Québec.

Mme Ginette Poliquin, commença à travailler comme professeur de français langue seconde en janvier 1981.

Dans le cas de Mme Gihane Mongrain, le premier contrat qu’elle a rempli démarra le 5 janvier 1981.

Pour ce qui est de Mme Louise Labelle, la première offre qu’elle a acceptée date de 1984, et elle a travaillé à compter du 4

janvier 1984. Dans chacun des cas, il s’agissait de dispenser des cours de français à des militaires dont la langue maternelle n’était pas le français. Mmes Poliquin, Mongrain et Labelle étaient identifiées comme étant des professeurs de français, langue seconde, et faisaient partie du groupe connu à la base militaire de St- Jean comme étant E- D Lat I.

Par qui ont- elles été nommées? Au point de départ, c’est la Commission de la Fonction publique qui détient le pouvoir de nommer des personnes à ces postes d’enseignants. Elle délégue son pouvoir aux sous- chefs ou encore aux agents de dotation ou de personnel des ministères qu’elle accrédite à cette fin. En vertu de cette délégation, un agent de dotation du ministère de la Défense nationale, par exemple, dispose de toute l’autorité voulue pour embaucher le personnel nécessaire à la poursuite des objectifs d’éducation de la base militaire de St- Jean au Québec.

2/... >... 2/

Mais, pour embaucher du personnel, il faut commencer par le recruter. Comment procède- t- on? Par voie de concours. Il y a trois types de concours:

1: CC ou Closed Competition, concours fermé, restreint aux employés et CCI, concours restreint aux employés avec inventaire. 2: OC ou Open Competition, concours ouvert. 3: WC ou Without Competition, aucun concours requis.

Le concours qui nous intéresse date de juillet 1983, et il s’agissait d’un CCI, et y posait sa condidature chaque personne qui avait décidé de se présenter pour constituer l’inventaire: donc, tous les employés E- D de l’enseignement des langues à l’emploi en vertu de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique étaient considérés pour la constitution d’une liste d’admissibilité.

A ce concours de 1983, Mme Poliquin se classa 1ére Mme Labelle se classa 6e Mme Mongrain se classa 11e.

Au moment qui retient notre attention pour les fins de cette cause, Mme Poliquin était toujours 1ère, Mme Labelle, 3e, et Mme Mongrain 8e sur ladite liste.

Ainsi, Mmes Poliquin, Mongrain et Labelle se virent offrir des emplois parce qu’elles faisaient partie de la liste d’éligibilité qui permettait de procéder à leur nomination déterminée en vertu de la loi. Or, ces emplois étaient à durée déterminée, par opposition aux emplois à durée indéterminée qui sont ceux que détiennent les permanents de la fonction publique fédérale.

C’est en vertu des articles 24 et 26 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique qu’étaient offerts des emplois à période déterminée. A noter qui une personne qui avait fait l’objet d’une nomination après avoir accepté

3/... >... 3/ une offre n’avait aucune garantie qu’une nouvelle nomination suivrait celle qui était parvenue à échéance ni qu’une nouvelle offre lui serait faite. Y avait- il un moyen pour Mmes Poliquin, Mongrain et Labelle de devenir des permanentes, des professeurs indéterminés? Oui, car depuis 1979, une politique du Conseil du Trésor fédéral est en vigueur. Elle prévoit qu’en autant que des personnes employées de façon déterminée travaillent de façon continue pendant cinq ans, elles peuvent devenir des permanentes, et être nommées indéterminées en vertu du décret d’exclusion pour les employés de longue durée. C’est le décret no 10 qui approuve l’exclusion de certaines personnes et de certains postes en raison de l’embauche de longue durée. Pour que ce décret S’applique, l’employé déterminé ne doit pas avoir connu d’interruption de plus de 60 jours dans l’accomplissement de ses prestations.

Qu’est- ce à dire, étant donné que Mmes Poliquin, Mongrain et Labelle, contrat pour des périodes spécifique, dites déterminées, voyaient leur engagement prendre fin à telle date, et un autre commençer à une autre date, le jour suivant, par exemple, ou après un week- end: dans ces cas- là elles terminaient le vendredi, et, pour entreprendre un nouveau contrat, elles rentraient le lundi, date déterminée pour le commencement d’une nouvelle prestation dont la durée pouvait varier.

C’est ainsi qu’en autant que le besoin de professeurs de français langue seconde se faisait sentir, des offres étaient faites, et si elles étaient acceptées par les personnes approchées, de nouveaux contrats se formaient. Les responsables du programme d’études du français langue seconde à la base militaire de St- Jean connaissaient les besoins environ 15 jours à l’avance, alors qu’ils étaient prévenus de l’arrivée de x nombre de

4/... >... 4/ militaires à la base.

Comment déterminait- on le nombre requis de professeurs? Les chiffres fixés par la base militaire de Trenton en Ontario, où se trouvait le quartier général de l’École des langues, ou commandement de l’instruction, prévoyaient que chaque professeur et demi enseignait à 10 étudiants par classe. En principe, pour 20 classses, par exemple, on comptait 30 professeurs, soit 27 professeurs et trois suppléants. Chacun d’entre aux devait donner, au moment où se déroulèrent les événements dont le Tribunal a été saisi, 40 heures de travail par deux semaines ou 20 heures de travail par semaine, et devait consacrer quatre heures de cours par jour à chaque groupe. Si les besoins le nécessitaient, un professeur pouvait donner deux heures supplémentaires; mais ces dernières devaient lui être remises dans les deux semaines suivant la prestation supplémentaire.

Durant le temps où Mmes Poliquin, Mongrain et Labelle firent

partie du personnel à durée déterminée de la base militaire de St- Jean, les autorités sur place jugèrent que le nombre préférable était de huit sinon sept étudiants par classe, et ce, pour des raisons d’efficacité: donc pour 18 salles de classe, on comptait 27 professeurs et trois suppléants. Sur 30 professeurs à l’oeuvre, 20 pouvaient être à période indéterminée, donc permanents, et neuf étaient alors des professeurs a période déterminées, donc contractuels.

En somme, si un professeur est sollicité d’un contrat à l’autre, la Commission de la fonction publique, en vertu de ladite politique du Conseil du Trésor fédéral, peut transformer le statut de cette personne en celui de fonctionnaire ou employé indéterminé, a condition, toutefois, qu’elle témoigne de cinq années de service continu, non pas cinq années de calendrier, mais

5/... >... 5/ cinq années de travail, sans bris de service de plus de 60 jours.

Les trois plaignantes ont chacune une histoire personnelle, et pour ce qui est de Mme Poliquin, voici: tout démarre vraiment, pour elle, le 8 mars 1985, alors que dans une lettre elle informe l’employeur qu’elle prendra son congé de maternité à compter du 15/ 4/ 85, son accouchement était prévu pour le 15/ 6/ 85. Du 15 au 19 avril inclusivement, elle puise dans sa bangue de congés de maladie, puis jouit de son congé annuel les 22 et 23 avril. Le 24 avril, elle prend congé pour profiter d’une disposition de la convention collective, en rapport avec la naissance d’un enfant et précise que son congé de maternité sans rémunération débutera le 25 avril 1985. C’est verbalement qu’elle annonce la durée de son congé de maternité. Il y eut une conversation entre Mme Poliquin et M. Champagne le 15 avril 1985 jour de son départ en congé de maternité non payé. Elle accoucha le 7 juin 1985.

Mme Mongrain a commencé à travailler, tel que mentionné plus tat, à l’école des langues le 5 janvier 1981. Elle a eu plusieurs contrats, dont le dernier entre le 24 juillet 1984 et 30 avril 1985. On lui offrit le 12 avril un autre contrat pour la période du 30 avril 1985 au 24 mai 1985, contrat qu’elle accepta le 18 mai, tout en annonçant qu’elle se prévalait du congé de maternité prévu à la convention collective des employés du ministère. Elle ne se présenta pas au travail entre le 30 avril et le 24 mai 1985.

Le 19 avril 1985, elle avait entrepris un congé de maternité, avec un billet du médecin, et ne se rendit donc pas au bout de son contrat au mois d’avril 1985. C’est en avril qu’elle informe que son retour aura lieu dans trois mois.

Le 22 mai, M. Perron , administrateur du personnel civil à la Base répond à sa lettre d’acceptation, en lui indiquant que le travail n’est plus

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... 6/ disponible. Or, Mme Mongrain approchait de la fin des cinq années de travail continu. Si des contrats lui étaient offerts de façon suivie jusqu’en janvier 1986, sans qu’aucun bris n’intervienne, la politique du Conseil du Trésor s’appliquerait à elle, et elle deviendrait permanente.

Mme Mongrain a accouché le 31 mai 1985 à la 42e semaine de sa grossesse.

Elle aurait pu travailler à la fin de juin 1985, mais elle ne l’a pas fait, et n’a pas communiqué avec son employeur d’aucune manière. Son relevé d’emploi mentionne que Mme Mongrain avait prévu être de retour le 25 novembre 1985. Mme Mongrain prévint longtemps d’avance la gestion du congé de maternité qu’elle comptait prendre, et on établit alors qu’elle ferait la même demande que Mmes Labelle et Poliquin.

A la fin d’ao t 1985, Mme Mongrain appelle à Ottawa. Pourquoi? Parce que les régles prévoyaient que les employés déterminées absents, donc en bris de contrat, tombaient sous le décret d’exclusion, et afin de faire partie de l’inventaire, il lui fallait entreprendre cette démarche. Le décret d’exclusion dont il est ici question est un décret distinct de l’autre qui, mentionné plustôt, a rapport à la politique mise au point par le Conseil du Trésor. Celui- ci permet plutôt d’embaucher des employés déterminés sur décret visant l’exclusion de l’application de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, donc en ne respectant pas tous les principes émis dans cette loi, et en ne procédant pas à l’établissement d’une liste d’éligibilité.

La période maximale d’emploi en vertu de ce décret est de six mois moins un jour. Une personne embauchée selon la Loi sur l’emploi dans la

7/... >... 7/ fonction publique, et qui cessait d’être employée au sens de cette loi- là, tombait sous le décret si elle connaissait une interruption d’emploi pendant cinq jours.

Quant à Mme Labelle, classée 6e au concours restreint de juillet 1983, sa dernière période d’emploi démarra le 29 septembre 1984 et devait se terminer le 24 mai 1985. Elle entreprit un congé de maternité le 28 janvier 1985, après avoir pris divers congés depuis le 6 janvier 1985. Son accouchement était prévu pour le 22 mars 1985; elle accoucha le 13 mars 1985.

Mme Labelle avait fixé son retour au travail après le 31 ao t 1985, donc à la fin d’un congé de maternité de 26 semaines, celui- là même que prévoit la convention collective. Son accouchement ayant eu lieu le 13 mars 1985, les 26 semaines la menaient au 11 septembre 1985.

Le 18 avril, elle reçut une offre d’emploi pour la période du 27 mai au 2 ao t 1985, à condition qu’elle se présente au travail. L’offre était donc assortie d’une clause de disponibilité. Elle

l’accepta, mais en invoquant la poursuite de son congé de maternité. Pourquoi avoir accepté, alors qu’elle n’avait nullement l’intention de travailler? Parce qu’elle savait que s’il y avait bris de contrat pour plus de 5 jours, le décret d’exclusion d’appliquerait. Son employeur répond: l’offre est caduque.

Un grief s’ensuit; il est déposé le 27 mai 1985, et s’en prend à la clause de disponibilité incluse dans l’offre du 18 avril 1985. Grief rejeté. Il y eu un appel, et, encore une fois, le grief fut rejeté. Les griefs des deux autres plaignantes connurent le même sort, car elles aussi avaient, reçu une offre conditionnelle le 18 avril 1985 pour la période du 27 mai au 2 ao t 1985.

D’où vient donc le problème auquel nous sommes confrontés? d’une mauvaise information, d’une mauvaise interprétation de la convention collective,

8/... >... 8/ semble- t- il.

Il faut remonter à septembre 1984 pour comprendre ce qui s’est passé. C’est le 17 septembre 1984, en effet, qu’eut lieu une réunion du comité mixte réunissant des fonctionnaires patrons, des fonctionnaires syndiqués et des employés à terme.

D’après ce que nous avons appris, y assistaient: messieurs Larocque et Bergeron, représentant les patrons, -( au procès- verbal de la dite réunion, le nom de M. Champagne se trouve inscrit, mais lui- même ne conserve aucun souvenir de cette réunion)- messieurs Beaulieu et Dubuc représentant le syndicat, deux observatrices, Mmes Poliquin et Landry, ainsi que Mme Labelle qui a dit y représenter les employés a terme.

Comme d’habitude dans ces réunions, on y débat de questions générales, et parmi les questions posées, il en est une que soumet Mme Labelle en parlant de la convention collective: Les employés à terme ont- il des droits en regard de la convention collective? La réponse est oui.

Or, Mme Labelle est enceinte depuis le 28 juin 1984, et estime que sa condition est apparente. Elle prévoit accoucher en mars 1985, soit six mois plus tard. Selon elle, sa question référait au congé de maternité prévu par ladite convention collective. Lors de son témoignage devant le tribunal, elle admet, cependant, que la question posée ne contenait aucune référence spécifique au congé de maternité dont il est question à l’article 15.06 de la convention en question.

Le 12 avril 1985, Mme Labelle qui venait d’accoucher le 31 mars 1985 de son quatrième enfant, et qui avait toujours envisagé de prendre 2é semaines de congé de maternité, est prévenue par son employeur que l’administration avait

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... 9/ fait une erreur en indiquant sur son dossier: retour: le 26 ao t 1985. Mme Labelle avait demandé son congé le 22 janvier 1985 pour la période du 28 janvier 1985 au 24 mai 1985, date de la fin de son contrat.

Lorsqu’une offre lui fut faite le 18 avril 1985 pour un travail a exécuter dans la période du 27 avril 1985 au 24 mai 1985, elle l’accepta à la suggestion du syndicat, le SECO, avec lequel, elle- même, ainsi que Mmes Poliquin et Mongrain eurent des rencontres après la réception, par chacune d’entre elles, des lettres datées du 18 avril 1985, toutes assorties de clauses de disponibilité.

Il fut alors décidé de porter plainte. Ni Mme Labelle, ni Mme Mongrain, ni Mme Poliquin ne communiquèrent avec leur employeur pour obtenir des clarifications au sujet de la clause de disponibilité qu’elles voyaient pour la première fois dans des offres les concernant.

Pourquoi une clause de disponibilité, demande- t- on devant le Tribunal, aux gestionnaires? Pour s’assurer de la présence au travail de la personne à qui une offre est faite. C’était une condition préalable. Or, la gestion savait qu’il y aurait absence du travail, et que cette absence excéderait la période contractuelle.

Alors, pourquoi avoir fait des offres quand même? Parce que, en vertu de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, nous apprit- on, on doit faire l’offre en tenant compte du rang sur la liste d’admissibilité. Avant d’offrir un emploi à la personne inscrite sur la liste, il fallait approcher les onze premières. Or, la liste en vigueur l’était depuis le 15 juillet 1983, et était valide pour un an avec possibilité de renouvellement pour une deuxième année, mais pas au delà. Donc la liste qui nous intéresse fut renouvelée jusqu’au 14

10/... >... 10/ juillet 1985, et après cette date, il n’était plus possible de faire des offres. La révision du programme de l’enseignement des langues était prévue, et on avait défendu de procéder à des nominations indéterminées.

Mme Labelle reçoit une autre offre le 12 juillet 1985 pour un contrat couvrant la période d’ao t 1985 à décembre 1985. Mais cette offre est faite sous le décret d’exclusion.

Rappelons de quoi il s’agit: les périodes d’emploi sous décret d’exclusion sont au maximum de six mois moins un jour. Le 31 juillet 1985, Mme Labelle refuse l’offre parce qu’elle ne touchera, tout bien calculé, que quelque $15 000 au lieu des $30 000 que peuvent rapporter une série de contrats pendant une année de travail dit continu. Mme Labelle écrit le 26 ao t 1985 à son employeur pour annoncer sa disponibilité a retourner au travail. La réponse qui lui parvient indique qu’il n’y a pas de travail, et que ses services ne sont pas requis. D’ailleurs, après le mois d’ao t 1985, avons- nous appris, aucune offre d’emploi immédiate n’est transmise aux contractuels, et ce, jusqu’au 30 septembre 1985, alors qu’une nouvelle offre sous décret d’exclusion parvient à Mme Labelle. Les cas de Mmes Poliquin et

Mongrain, après les offres du 18 avril 1985, suivent le même modèle d’offres, d’acceptations avec restriction, et ainsi de suite.

Ce qui est donc en cause, c’est un congé de maternité. Que dit la convention collective au sujet du congé de maternité? Tel que cité plus haut, l’article 15.06 stipule qu’après l’accouchement, la syndiquée a droit a 26 semaines de congé. Les plaignantes sont- elles syndiquées? Une personne nommée pour plus de six mois à un poste est couverte par la convention collective, avons- nous appris, et ce, pour la durée de son contrat. D’où le problème

11/... >... 11/ auquel firent face les trois plaignantes.

L’autre question qui se pose de toute évidence est la suivante: les plaignantes étaient- elles des employées au sens de la définition qu’en donne la convention collective, c’est- à- dire une personne faisant partie de l’unité de négociation. La notion d’employé réfère à la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Pour être employé au sens de la convention collective, il faut d’abord être employé au sens de ladite loi. Une personne qui, à la fin d’une période spécifiée de sept mois par exemple, entreprend une nouvelle période spécifiée de plus de six mois, continue d’être assujettie à la convention collective, et il y a continuité en vertu de cette même loi, mais pas de continuité au sens de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, nous a- t- on indiqué.

LE DROIT Tout au long de leurs plaidoiries, les deux procureurs que le Tribunal a entendues, ont débattu divers arguments. Ainsi, au nom de la Commission des droits de la personne, on a invoqué les articles 2, 3 et 4 de la Loi canadienne dur les droits de la personne: tout d’abord l’objet de la loi, puis les motifs de distinction illicite énumérés a l’article 3, alors que l’article 4 introduit le processus du dépôt d’une plainte et des conséquences pour qui est reconnu coupable d’un acte prohibé.

A l’article 7 se trouve défini ce qui constitue un acte discriminatoire, alors qu’aux articles 41 et suivants sont inscrites les ordonnances que peut rendre le Tribunal. Les trois plaintes déposées devant lui sont semblables, et leur libellé, à son humble avis, ne pose aucun problème, puisque les trois plaignantes allèguent les mêmes choses: tout d’abord, le retrait d’une offre d’emploi fait pour la période du 27 mai 1985 au 2 ao t 1985, du fait

12/... >... 12/ qu’elles n’étaient pas disponibles. Puis, elles font référence, dans leur second allégué, au cas d’une autre employée qui, bien que nondisponible, pour une raison différente de la leur, se vit appliquer un

autre traitement que le leur. D’où la plainte de discrimination de la part du même employeur à leur endroit.

Comme l’établit la décision de la Commission ontarienne des droits de la personne contre la municipalité d’Etobicoke, le fardeau de la preuve incombe à la personne qui se plaint. Elle doit établir une preuve prima facie, alors que la personne contre qui est dirigée cette plainte doit la repousser en démontrant l’absence de discrimination grâce à une justification raisonnable des gestes posés.

A la date où s’est faite l’offre, Mme Labelle, par exemple, était déjà en congé de maternité. Mmes Mongrain et Poliquin étaient, pour leur part, enceintes, et leur accouchement était prévu dans les prochaines semaines. Sachant qu’elles ne seraient pas disponibles, les trois plaignantes acceptent néanmoins l’offre d’emploi, tout en indiquant à l’employeur qu’elles seraient absentes pour la durée du contrat à venir. Ce qui amène l’employeur à retirer son offre le 22 mai 1985, d à l’absence de disponibilité des trois professeurs. Il s’agissait- la d’une politique du ministère applicable à tous ses employés.

Comme on l’a vu plus haut, nous sommes en présence d’une situation particulière, car les personnes à l’emploi du ministère de la Défense nationale pour des périodes déterminées sont des occasionnelles, des contractuelles et non des permanentes. On leur offre des contrats pour des périodes de temps déterminées, un mois, deux mois ou davantage, mais le titre d’employées cesse

13/... >... 13/ de leur être appliqué entre deux contrats, puisqu’un contrat arrivant à terme, il faut attendre le début d’un nouveau contrat pour pouvoir revendiquer le titre d’employées déterminées.

Ainsi, lorsque Mme Labelle, en septembre 1984, pose une question d’ordre général au comité mixte quant à l’application de la convention collective, elle reçoit une réponse générale: oui, la convention collective s’applique aux employés à terme. Et, comme on le sait déjà, dans cette convention, l’article 15.0é, le congé de maternité mentionné est de 26 semaines à compter de l’accouchement.

C’est dire que pour en bénéficier, il faut être employée au sens de la convention collective, et être employée pendant au moins six mois.

On est employé en vertu d’un contrat qui n’est conclu qu’en autant que les parties s’entendent sur un objet précis pour accomplir des choses précises. Le 18 avril 1985, l’offre transmise vise une prestation précise: dispenser des cours de français, langue seconde, à des militaires qui seront présents entre le 27 mai 1985 et le 2 ao t 1985la base militaire de St- Jean.

On connaît déjà les réponses de Mmes Poliquin, Mongrain et Labelle: oui, nous acceptons, mais nous n’enseignerons pas, parce que nous ne serons pas présentes. Absentes, pourquoi? Parce qu’elles seront en congé de maternité. Résultat: nous sommes en présence d’une

impossibilité. Un véritable dialogue de sourds s’est engagé et se poursuivra.

A vrai dire, c’est le système qui, ainsi fait, pose la difficulté, et on permettra au Tribunal de tenter une analogie entre ce système et celui de la pige qu’il connaît bien. Une personne pigiste se voit offrir des contrats pour l’exécution de travaux précis sur lesquels s’entendent l’offrant et la pigiste.

14/... >... 14/ Il n’y a pas de sécurité d’emploi dans la pige, c’est évident. On dépend des contrats offerts, et personne n’est obligé d’offrir des contrats. Une pigiste qui est enceinte, et qui ne peut pas accomplir la prestation pour laquelle elle s’est engagée, doit en avertir l’autre partie au contrat pour s’en dégager. Une pigiste qui compte sur les revenus que lui procurent des contrats fait tout ce qu’elle peut pour éviter d’avoir à se libérer d’un engagement. Et si aucun contrat ne lui est offert pendant une période de temps, elle n’en continue pas moins ses démarches pour trouver une source de revenus. C’est son habileté à se vendre qui lui vaut des contrats au point de départ, et, par la suite, la réputation qu’elle s’est créée lui rend habituellement la vie plus facile: on recherche sa collaboration! Mais, il arrive des périodes creuses, et la meilleure réputation au monde ne change rien au fait que des contrats ne sont pas disponibles. En période de crise économique, les pigistes peuvent souffrir ou, l’inverse, prospérer selon les circonstances et les spécialités qu’elles ont développées.

Pour les trois plaignantes, on peut, sans trop exagérer, prétendre à un régime qui s’apparente quelque peu à celui que vivent les pigistes. Mmes Poliquin, Mongrain et Labelle l’ont- elles réalisé? Ont- elles perçu ce qui risquait de leur arriver étant donné leur statut d’employées à terme? Ne s’étaient- elles pas rendu comte que le régime qu’elles vivaient depuis des années ne comportait aucune sécurité d’emploi? Qu’elles étaient à la merci de besoins précis que devait rencontrer l’école des langues de la base militaire de St- Jean? Le fait que des contrats se soient suivis pendant des années semble leur avoir inspiré confiance au point qu’elles ont perdu de vue les éléments insécurisants de leurs conditions d’emploi, surtout que la politique

15/... >... 15/ du Conseil du Trésor fédéral au sujet de l’acquisition de la permanence au bout de cinq ans de service continu était on ne peut plus attrayante, nous en convenons. Les employées à terme désireuses d’être intégrées dans la fonction publique en faisaient certes le but à atteindre dans un quelconque plan de carrière, car, fondamentalement, et les témoignages nous l’apprennent, les trois plaignantes recherchaient la permanence.

Le Tribunal s’est étonné, au cours des audiences du fait que des questions précises sur des sujets précis qui tenaient à coeur aux

trois plaignantes n’aient pas été posées par elles. Car, en fin de compte, décider de fonder une famille ou d’en enrichir une est un choix fondamental qui a des conséquences. De nos jours, on ne procède pas à l’aveuglette, sauf accident, ce qui est toujours possible. D’après ce que nous en savons, ces trois naissances ont été planifiées, et, en toute honnêteté, le Tribunal n’arrive pas à comprendre pourquoi les trois plaignantes n’ont pas posé de questions directes au sujet de leur état actuel ou à venir. Si l’on en croit les témoignages qu’elles ont rendus, elles s’estimaient bien informées à la suite de la réponse donnée à la réunion du comité mixte du 24 septembre 1984. Mais, nous y revenons, la question posée était générale. Par la suite, Mme Labelle aurait pu interroger son supérieur immédiat de façon spécifique. Elle ne l’a pas fait. Ses compagnes non plus. Mme Poliquin, pour sa part, prévient l’employeur de ses intentions en mars 1985. L’insertion d’une clause de disponibilité dans les trois offres du 18 avril 1985 témoigne, croyons- nous, de la décision de la direction de l’école des langues de St- Jean de s’assurer le concours de professeurs dont les services sont appréciés. Leur réputation est acquise. Ce sont de bons professeurs, et il nous apparaît normal qu’un employeur recherche des personnes sans

16/... >... 16/ doute chevronnées à ce moment- là dans le temps, et en qui il a confiance. Peut- on le lui reprocher? Nous ne le croyons pas. Loin de consulter le principal intéressé dans cet échange, Mmes Poliquin, Mongrain et Labelle s’adressent au syndicat qui leur suggère une réponse précise qu’elles adoptent en toute connaissance de cause, après avoir bien réfléchi, bien pensé nous disent- elles. Avec le résultat que les offres deviennent caduques.

Dans la logique des choses, et le Tribunal s’est informé sur le sujet au moment des audiences, il eut fallu qu’elles redeviennent des employés au sens de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, pour avoir droit au congé de maternité. Parce que telle était la nature du régime qu’elles vivaient depuis des années.

A Mme Labelle qui avait indiqué au service de l’administration qu’elle ne serait pas disponible avant septembre 1985, on envoya une lettre le 12 avril 1985 pour l’informer que l’inscription a son dossier d’un congé prolongé était une erreur commise par une personne qui avait, toutes fins utiles, traite Mme Labelle comme une employée permanente. Ce qu’elle n’était pas en 1985. Mais, de soutenir, mesdames Poliquin, Mongrain et Labelle, que faites- vous de Mme Landry?

Elle a été absente pendant toute la durée d’un contrat, entre le 27 mai et le 2 ao t 1985, et elle n’a pas eu de clause de disponibilité dans son offre du 18 avril 1985, alors que depuis quelques mois, elle s’absentait souvent.

Le cas de Mme Landry s’est inséré dans la plainte de mesdames Poliquin, Mongrain et Labelle par ce qu’on a porté à leur attention le traitement accordé à cette collègue de travail. Aucune des trois plaignantes n’avait de connaissance personnelle du cas Landry, comme elles en ont témoigné. A la suggestion

17/... >... 17/ du syndicat, elles invoquèrent le cas de Mme Landry afin d’établir la discrimination qui se serait exercée à leur endroit.

Les témoignages de la partie patronale fournissent un éclairage sur le sujet. Mme Landry était dépressive. Elle offrit sa démission qui fut refusée. On lui suggéra plutôt la consultation médicale appropriée, et Mme Landry se ressaisit quelque peu. Elle fut absente à divers moments pendant une période de temps assez prolongée. Les dates nous ont été fournies par la direction de l’école des langues de la base militaire de St- Jean, et au moment où on lui fit une offre pour la même période que celle qui est visée par le litige, on ne jugea pas à propos de l’assortir d’une clause de disponibilité aucune demande de congé n’avait été faite par Mme Landry depuis le début d’avril jusqu’au 18 avril 1985, date inscrite sur les offres d’emploi transmises à Mmes Poliquin, Labelle, Mongrain et Landry, entre autres. Mme Landry accepta, mais le jour où elle devait commencer à remplir sa prestation, conformément au contrat convenu, elle ne se présenta pas au travail. Et il en fut ainsi jusqu’au 2 ao t 1985, date de la fin de son contrat. Sa demande de congé fut signée le 2 ao t 1985.

M. Champagne, son supérieur immédiat, -( il était également celui des trois plaignantes au moment où se sont passés ces événements)- explique qu’il n’était pas sur place, car il était retenu ailleurs par son travail, puis par ses vacances annuelles. Personne, semble- t- il ne prit les mesures pour régler le cas de Mme Landry en ce sens que son contrat ne fut pas annulé lorsqu’il devint apparant qu’elle n’était pas sur place. Fut- elle remplacée, on doit présumer que oui. Les périodes estivales, comme on nous l’a expliqué, sont très occupées à la base, en plus d’être le cadre de vacances annuelles prises par les professeurs indéterminés; et en 1985, pour rencontrer les besoins, il

18/... >... 18/ fallut embaucher 60 professeurs à terme! Et restreindre les absences des professeurs permanents qui durent diviser leur période de vacances. Ceux qui avaient droit à quatre semaines ne purent en prendre que trois, la quatrième étant reportée à plus tard. D’où nombre de griefs! Il est évident que le cas Landry n’a pas fait l’objet d’un examen attentif à ce moment- là, et on peut imaginer pourquoi. Cela n’est pas une consolation pour les plaignantes, car disent- elles, avec raison croyons- nous, voici une personne qui ne fournit aucun travail, mais parce qu’elle n’avait pas de clause de disponibilité dans son offre, elle s’en est tirée à bon compte. Pour elle, pas de bris de période continue dans le calcul des années de travail. Il ne fait aucun doute, dans l’esprit du Tribunal que si sa demande de congé pour la période qui nous intéresse, soit le 27 avril 1985 au 2 ao t 1985 avait été faite avant le début du contrat, les choses ne se seraient pas passées comme cela.

Et maintenant, voyons les points de ressemblance entre ce cas et ceux des trois plaignantes, puisqu’elles l’ont invoqué dans leur plainte, et en font le fondement de leur prétention à une discrimination dont elles auraient été victimes.

Mme Landry est dépressive. Les trois plaignantes sont enceintes. A part, Mme Mongrain, qui le médecin recommanda du repos avant la fin de sa grossesse, les deux autres plaignantes semblent avoir connu des grossesses normales et sans problème. Malgré quelques absences, Mme Landry continue d’enseigner, et rien ne laisse présager une détérioration de son état, au point qu’elle ne puisse pas exécuter son contrat entre le 27 mai et le 2 ao t 1985. Aussi, l’offre qui lui est faite le 18 avril 1985, alors que la direction de l’école des langues est au courant de ses progrès, car elle la tient informée

19/... >... 19/ de ses visites chez une personne qui l’aide vraiment, eh bien, cette offre n’adopte aucune allure particulière. C’est l’offre habituelle. Aucune clause de disponibilité. Ce n’est qu’a son retour que M. Champagne constate, par lui- même, l’absence totale de Mme Landry entre le 27 mai et le 2 ao t 1985.

L’explication donnée par M. Champagne paraît tout à fait plausible au Tribunal, et compte tenu de tous ce qui s’est dit au sujet du cas Landry, le Tribunal estime qu’il n’y a pas de similarité entre ce cas et ceux de Mmes Poliquin, Mongrain et Labelle. D’autant plus que Mme Mongrain fit exactement la même chose: après avoir accepté un contrat pour la période du 30 avril au 24 mai 1985, elle ne se présenta pas du tout le 30 avril 1985. En fait, elle avait déjà quitté depuis le 19 avril 1985. Et son contrat (30 avril - 24 mai 1985) ne fut pas annulé.

La Commission, il est vrai, a fait valoir que l’amendement apporté par le législateur à la Loi canadienne sur les droits de la personne visait à prévoir spécifiquement que la grossesse et l’accouchement étaient couverts par le motif de distinction illicite, ici par le sexe, le législateur a nécessairement anticipé que les bénéficiaires, si on veut, les personnes protégées auraient tôt ou tard des périodes d’absence.

Tout en souscrivant à cette argumentation, le Tribunal ne s’en heurte pas moins au fait que tout repose sur la notion d’emploi. C’est la convention collective qui détermine ce à quoi les employés de l’état, les syndiqués, ont droit. Et pour bénéficier des avantages consentis par l’état au syndicat en question, il faut être employé. L’article 7 de la Loi canadienne stipule, en effet, que:

"constitue un acte discriminatoire le fait: a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un

individu, ou b) de défavoriser un employé dans le cadre de son emploi,

directement ou indirectement, pour un motif de

distinction illicite." 20/... >... 20/

Appliquons ces énoncés à la situation de Mmes Poliquin, Mongrain et Labelle.

1: Y a- t- il refus d’employer? Une offre est faite à des employés à un moment précis dans le temps, mais pour un contrat à venir. Parce que la direction de l’école des langues a besoin de professeurs, et qu’elle s’adresse à des professeurs qu’elle connaît et apprécie, mais qui ont manifesté de façon directe leur désir de ne pas travailler au moment où la direction a besoin d’elles, elle insère une clause de disponibilité pour attirer leur attention sur le sérieux de l’offre. On ne fait pas d’offre pour le plaisir. On en fait une parce l’on n’a pas le choix: tans de militaires s’en viennent, et le besoin de professeurs est établi; pour s’assurer de leur présence, on les prévient de la nécessité de se rendre disponibles. Peut- on blâmer un employeur d’exprimer ses exigences dans le contexte particulier qui nous intéresse? Le Tribunal ne le croit pas, et parce que ces échanges se situent dans un contexte contractuel, ils sont donc entourés d’un certain formalisme. Par leur réponse, les plaignantes ont annulé l’offre qui leur était faite. Elles ont, en effet, opposé une fin de non- recevoir à l’offre telle que formulée. Il n’y avait pas d’entente possible sur l’objet du contrat, et aucun contrat ne pouvait être formé.

On peut bien dire, quelques années plus tard, la direction de l’école des langues aurait dé procéder autrement. Au lieu de suivre a la lettre les procédures, elle aurait d , dans ce cas- là, adopter une attitude plus souple. Et c’eut été préférable crayons- nous. D’autant plus que les relations étaient cordiales entre les parties au point de départ. A distance et avec le recul du temps, on peut ainsi reprocher à l’une et à l’autre partie d’avoir fait preuve d’un manque de confiance pour le moins surprenant. Les faits sont les faits.

21/... >... 21/ Il nous faut vivre avec, et nous prononcer à leur sujet. A notre humble avis, aucune entente n’est intervenue entre les parties, et on ne peut les taxer, ni l’une ni l’autre, de mauvaise foi. Chacun avait son idée, et s’y est cantonné. Si on s’était vraiment parlé, si on s’était consulté, si on avait fait preuve de plus de souplesse, de compréhension, - que de si!, - nous n’en serions pas la aujourd’hui. Et puis, il y a autre chose à considérer: M. Champagne, supérieur immédiat, a fait état d’au moins deux griefs dirigés contre lui par le syndicat qui ne voulait pas que la gestion intervienne dans les domaines de sa compétence, notamment l’interprétation de la convention collective et des droits des employés. C’est dire qu’il n’a pas tenté de rejoindre les trois plaignantes. A notre humble avis, il y a eu un manque, et on ne peut que regretter la rigidité de certains éléments

qui ont mal servi les intérêts en cause. 2: Y a- t- il eu refus de continuer d’employer un individu? Le contrat des trois plaignantes vient à échéance le 24 mai 1985. Le 27 mai 1985, on sera en présence d’un nouveau contrat. Pris littéralement, les mots de la Loi canadienne sur les droits de la personne s’appliquent à une situation d’emploi sans interruption. Ainsi, une personne employée dans une entreprise annonce à son patron qu’elle est enceinte. Qu’elle le mentionne ou pas, son employeur sait très bien qu’elle aura a s’absenter quand ce ne serait que pour mettre au monde l’enfant qu’elle porte. Pour ce qui est de la durée de cette absence, elle pourra varier dépendant du régime en vigueur dans cette entreprise. Et puis, il y a des mamans, qui, pour toutes sortes de raisons qu’il ne nous appartient pas à ce moment- ci de discuter, retournent au travail assez rapidement. Dans ces cas- là, même si elles pourraient s’absenter plus longtemps, elle ne le

22/... >... 22/ font pas. Revenons à notre employée permanente dans son entreprise. Est- elle syndiquée? Que dit sa convention collective? Si elle n’est pas syndiquée, que dit la législation appropriée? Si l’employeur cherche par tous les moyens à ce défaire de ses service, et réussit, il refuse de continuer de l’employer au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne, cela ne fait aucun doute.

Dans les circonstances qui nous intéressent, les emplois ne durent pas. Ils ont un début et une fin. Le ministère soutient que Mme Labelle par exemple, en vertu du contrat qu’elle avait accepté, et dont la durée était de quelque huit mois (septembre 1984 à mai 1985) eut droit à un congé de maternité qu’elle prit dés janvier 1985. Elle accoucha en mars 1985, et prolongea son absence jusqu’à la fin de son contrat en mai 1985. Même si ses conditions de travail différaient de celles de son mari qui est un permanent de la fonction publique, et qui l’était déjà à l’époque, alors qu’elle ne l’était pas, elle ne semble pas en avoir tenu compte.

L’employeur avait- il donc une obligation de la ré- employer? D’après ce que nous en savons, non. Les offres étaient transmises en fonction de besoins précis, et pour rencontrer des objectifs tout aussi précis, les personnes capables de les satisfaire étaient approchées. Comme nous avons eu l’occasion de le mentionner précédemment, dans cette affaire tout repose sur la notion d’emploi; or, dans les circonstances qui nous ont été décrites et expliquées, aucune garantie d’emploi s’existe. Par ailleurs, il convient de rappeler que la nomination de personnes dont l’absence est connue d’avance, ainsi qu’en témoigne la gestion, aurait empêché l’embauche de trois suppléants prévus, et dont la présence était jugée indispensable au cas où un professeur tombait

23/... >... 23/

malade ou prenait congé, etc. Pour permettre à l’école des langues de fonctionner adéquatement, il fallait que les professeurs soient au poste, de cela le Tribunal est convaincu.

3: L’employeur a- t- il défavorisé l’employé dans le cadre de son emploi?

Mme Labelle, par exemple, a joui d’un congé de maternité. Son emploi terminé, le congé a pris fin. L’employeur n’avait rien contre le fait qu’elle soit devenue enceinte. Elle l’était déjà quand l’offre lui fut faite en 1984, et quand elle commança à travailler en septembre 1984, d’après elle, son état était évident. En avril 1985, alors qu’elle était en congé de maternité, une offre lui est faite, comme par le passé. Et parce qu’elle est absente depuis plusieurs mois, et qu’elle n’a pas donné sa prestation conformément au contrat, l’employeur dit à Mme Labelle: J’ai besoin de vous, votre présence est requise. La réponse qu’elle donne vise, nous le comprenons bien, à protéger ses conditions de travail, car pour bénéficier de la politique du Conseil du Trésor, elle ne peut être absente plus de 60 jours, sans compromettre l’accès à sa permanence qui a été située à 1989 ou possiblement plus tard. Quoi de plus naturel pour elle de répondre, comme elle l’a fait, après consultation du syndicat. Mais, comme elle le dit elle- même; je n’ai pas obtenu la meilleure information en agissant ainsi.

Elle s’en est rendu compte plus tard, et si elle s’était adressée à son employeur, qui sait ce qui serait arrivé? D’après ce que nous en savons, il existait des possibilités. Chose certaine, personne le lui a fait de reproche, n’a dit quelque chose de négatif au sujet de sa grossesse ou de son congé de maternité. Le système en place n’était peut- être pas impeccable à tous égards, tout le monde en convient, mais il fonctionnait. Et le rappel brutal de ce

24/... >... 24/ qu’était véritablement ce système a produit des effets certains sur Mme Labelle et sur ses deux collègues.

Elles se sont senties dépourvues, dépréciées et ramenées à leur véritable statut qu’elles avaient oublié temporairement, mais non de propos délibéré, nous en sommes convaincu, et nous rejoignons en cela le propos du procureur de la Commission.

LA JURISPRUDENCE

La Commission a cité une abondante jurisprudence pour défendre le point de vue des plaignantes qui jugent avoir fait l’objet d’une discrimination décriée par la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Tout d’abord, l’affaire Latif contre la Commission canadienne des droits de la personne et R. G. L. Fairweather, au sujet du rôle de la Commission dans la réception d’une plainte. Le Tribunal ne juge pas nécessaire d’insister sur les points soulevés par la Commission. A son humble avis, les plaignantes s’en étaient remises au syndicat, et elles ont agi selon ses directives, comme elles nous l’ont appris. Le fait

de citer le cas de Mme Landry, sans en avoir une connaissance personnelle s’est inscrit dans une ligne de pensée et d’action qu’ont jugé à propos d’endosser les plaignantes, et le Tribunal en a pris bonne note.

Quant à l’affaire The Winnipeg School Division No. 1 et Doreen Maud Craton, et The Winnipeg Teachers’ Association no 1 of the Manitoba Teachers’ Society, trouve- t- elle une application en l’espèce? Qu’elle conclue, avec justesse croyons- nous, à la primauté du Code des droits de la personne sur un texte 1égislatif avec lequel il serait en conflit, nul ne le conteste. En ce qui nous concerne, l’employeur a suivi les règles en matière de dotation: les circonstances qui ont entouré les décisions prises par les plaignantes, de

25/... >... 25/ même que la référence au cas de leur collègue, Mme Landry, alors qu’une formalité a été négligée par la gestion ne permettent pas de conclure à la discrimination, selon nous. Cette conclusion à laquelle le Tribunal est parvenu précisons- le, s’est dessinée indépendamment de la décision rendue en dernier ressort au niveau du ministère de la Défense nationale, au sujet des griefs déposés par les trois plaignantes; et, à cet égard, le Tribunal rejoint la Commission lorsqu’elle plaide qu’il n’y avait pas cause jugée, car, effectivement, le décideur n’avait pas la même juridiction que celle dont jouit le Tribunal(...) pas plus qu’il ne pouvait conclure que le retrait d’une offre constituait un acte discriminatoire.

En conséquence, le Tribunal souscrit également au raisonnement de la Cour dans l’affaire Edwin Erickson contre le Canadien Pacifique, tel que cité par la Commission. Il n’y a pas de res judicata, ici.

D’un autre côté, la revue des faits par la Commission, quant à la disponibilité des trois plaignantes, comporte des failles: Mme Labelle, par exemple, ayant fait connaître ses couleurs, découragea toute tentative de rapprochement avec la gestion. Quant à Mme Mongrain, elle aussi avait fait son lit; et Mme Poliquin, comme l’a souligné la Commission, s’exprima de telle sorte qu’elle non plus ne laissa aucun doute sur ses intentions, et sur l’interprétation qu’elle avait faite de ses conditions d’emploi.

De l’avis du Tribunal, la gestion n’a pas présumé, comme le soutient la Commission. Elle a tout simplement fait le point sur une situation qu’elle n’avait jamais vécue, et qui la plaçait dans une impasse en quelque sorte, surtout face aux contraintes qui lui étaient imposées de l’extérieur, l’évaluation de ses demandes de personnel étant faite à Trenton, et lesdites demandes n’étant pas toujours rencontrées. Cette situation se compliquait de

26/... >... 26/

l’interdiction faite, au niveau du ministère, de nommer de nouvelles personnes à des postes indéterminés étant donné la révision du programme des langues.

Le Tribunal note divers facteurs qu’il ne peut ignorer, et qui expliquent bien des choses selon lui. C’est la somme de ces facteurs qui fait que la gestion, bien que fautive à certains égards, n’a pas franchi le pas de la discrimination. Ainsi qu’elle l’a expliqué: une personne sollicitée pour accomplir un travail, et sachant qu’elle ne s’en acquittera pas, se contentait de refuser l’offre ainsi faite. Tel ne fut pas le cas ici.

Les plaignantes recherchaient, à ce qu’il semble, le meilleur des deux mondes. Et, contrairement à ce qu’a soutenu la Commission dans sa plaidoirie quand les employés permanents ou à terme annonçaient qu’ils prenaient des congés auxquels ils avaient droit, il fallait s’accommoder, autrement dit ça faisait partie des régles du jeu, les plaignantes ne pouvaient se classer dans la deuxième catégorie, parce qu’elles n’étaient pas des employées par rapport à la période qui nous intéresse. Assimiler leur condition à celles d’employés à terme dans le contexte mentionné ici est un pas trop vite franchi. Et comme l’a soutenu le procureur du ministère de la Défense nationale dans sa propre plaidoirie, les employés à terme étaient nommés pour combler les absences ou encore les lacunes, le ministère ne disposant pas de professeurs indéterminés suffisants pour rencontrer les besoins à certains moments. Si donc des professeurs permanents annonçaient leur absence à tel moment, il fallait que la gestion de l’école des langues de la base militaire trouve d’autres professeurs, et c’est ainsi qu’elle s’adressait à des occasionnels, des personnes recrutées pour une période de temps spécifiée.

27/... >... 27/

"Mais là, d’expliquer le procureur du ministère, ce qu’on demande Champagne, c’est qu’il accommode ceux qui lui permettent d’accommoder."

"Comme je disais à monsieur Champagne, jusqu’où on va aller comme ça? On demande pas d’accommoder, on demande pas à monsieur Champagne accommodez vous, on demande accommodez- vous de ceux qui vous permettent d’accommoder, et la je pense vraiment que c’est pas le sens de la Loi. Enfin, ma consoeur a également référé à l’affaire du CN pour donner une interprétation large à la Loi et aux droits qui y sont énoncés; mais encore la, je dois mentionner qu’il n’y a pas de droit à un emploi sans être en mesure de faire les fonctions."

Le Tribunal a pris bonne note des énoncés cités par la Commission lorsqu’elle a fait allusion à la décision O’Malley contre Simpson- Sears: le Code vise la suppression de la discrimination, (...), et sa façon principale consiste non pas à punir l’auteur de la discrimination, mais plutôt à offrir une voie de recours aux victimes de la discrimination. C’est le résultat ou l’effet de la mesure dont on se plaint qui importe. Si elle crée effectivement de la discrimination, si elle a pour effet d’imposer à une personne ou à un groupe de personnes des obligations, des peines ou des conditions restrictives non imposées aux autres membres de la société, elle est

discriminatoire. Et la Commission de rappeler la conclusion de la Cour Suprême, soit l’obligation d’accommodement.

Dans l’affaire de Bonnie Robichaud contre la Reine, de citer encore la Commission, on a adopté un point de vue large, libéral, réaliste en fonction des objectifs dont la Loi sur les droits de la personne vise la promotion. Toujours dans la même veine, la Commission cite la Cour Suprême dans l’affaire

28/... >... 28/ Action Travail des Femmes contre la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada qui a conclu, une fois de plus, que dans le but de garantir une portée à la loi, et s’assurer une voie de recours aux victimes, il fallait retenir une certaine interprétation plus large au profit d’une autre.

Après avoir pris connaissance de ces deux arrêts, le Tribunal, compte tenu de toute les circonstances qui ont entouré cette affaire, et des conséquances qu’une attitude différente de la part de la gestion de l’école des langues aurait entraînées, ne peut conclure que les offres ont été retirées aux plaignantes parce qu’elles étaient enceintes.

L’affaire Christine Marie Davies contre Century Oils (Canada) Inc. s’ajoute à la liste des décisions citées par la Commission. De l’avis du Tribunal les circonstances entourant l’offre d’emploi de la compagnie à Mme Davies qui était enceinte à ce moment- là, diffère substentiellement de celles qui nous intéressent ici. Mme Davies n’a pas dévoilé, au point de départ, à Mme McHugh son état, et n’a pas prévenu qu’elle désirait accepter une offre, même si elle savait qu’elle ne travaillerait pas parce qu’elle en avait ainsi décidé. C’eut été un non sens.

La Loi canadienne des droits de la personne ne peut vouloir imposer aux employeurs une obligation d’embaucher une personne qui ne se présentera pas au travail. Que la personne soit au travail, et qu’elle ait à s’absenter pour cause de maladie, de grossesse, ou autre raison acceptable, la Loi intervient, D’après ce que comprend le Tribunal, pour la protéger de décisions arbitraires de la part d’un employeur qui profiterait de son absence, par ailleurs légitime, pour se défaire d’elle.

29/... >... 29/

Dans le cas d’une grossesse, il importe qu’une personne ne soit pas pénalisée, et perde son emploi parce qu’elle a accouché, et qu’elle passe un nombre x de semaines à s’occuper du nouveau- né. Ici, les trois plaignantes n’étaient pas encore employées pour la période offerte. Or, elles réclamaient d’être employées même si elles ne voulaient pas remplir les tâches afférentes audit emploi.

Bien s r, elles songeaient à l’avenir; et, pour deux d’entre elles de façon plus immédiat, la perspective d’atteindre leur permanence en janvier 1986 les motiva, sans aucun doute, à répondre commes elles l’ont fait après avoir consulté le syndicat.

Mais voila! Rien ne les assurait d’un nouveau contrat. Et il fut démontré que les besoins ayant grandement diminué pour la période suivant le 2 ao t 1985, des offres furent dirigées vers quelques personnes qui avaient été en service entre le 27 mai et le 2 ao t 1985; la liste d’admissibilité étant arrivée à échéance le 14 juillet 1985, les plaignantes se retrouvèrent assises entre deux chaises.

Or, en aucun temps ont- elles déclaré ne pas comprendre le régime contractuel qu’elles vivaient depuis 1981 pour deux d’entre elles, et, depuis 1984, pour la troisième, Mme Labelle, dont le mari, rappelons- le, est un permanent de la fonction publique. Qu’elles aient joui de prolongations ou de renouvellements de contrats jusqu’en 1985, cela n’élimine pas la condition essentielle à toute offre d’emploi qui leur fut transmise au fil des ans: les besoins fluctuants par moment! Les lettres d’offres d’emploi y font constamment allusion.

30/... >... 30/

Quant à la défense économique soulevée dans l’affaire Paul A. Carson, telle que citée par la Commission, le Tribunal juge que cet argument n’ayant pas été soulevé au point de départ par le ministère de la Défense nationale, il n’y a pas lieu de s’y attarder. Ce que le ministère a plaidé, c’est le problème causé par l’absence de professeurs et la nécessité de les remplacer, de s’assurer en somme qu’en termes de postes, ceux dont il avait absolument besoin, pour répondre à la demande et fonctionner adéquatement, lui soient accessibles, afin de donner suite à un projet arrêté par le gouvernement canadien: faire en sorte que ses militaires arrivent a s’exprimer dans les deux langues officielles du pays.

Pour ce qui est de l’intention dont discutèrent les décisions O’Malley, Robichaud, Bhinder et d’autres décisions récentes de la Cour Suprême du Canada, le Tribunal partage l’opinion de la Commission: l’intention du mis- en cause n’est pas pertinente en l’espèce, et ce qu’il s’agit de déterminer c’est si ou ou non un refus d’emploi est survenu en raison d’un motif de distinction et de sexe.

Pour contrer les représentations des plaignantes et celles de la Commission, le ministère de la Défense nationale soutient que les plaignantes qui ont dit avoir tenté de restreindre la durée de leur absence du travail n’ont pu éliminer ce que leurs écrits précisaient: dans leur réponse du 30 avril 1985, toutes trois citent l’article 15.06 de la convention collective qui mentionne clairement le congé de maternité et sa durée: 26 semaines après l’accouchement!

Tout comme le ministère, le Tribunal juge que les plaignantes avaient l’intention ferme de ne pas travailler pendant une longue période de temps, et

31/...

>... 31/ en relisant le texte du procès- verbal de la réunion du 13 septembre 1984, celle du Comité mixte dont il a été question abondamment lors des audiences, on note la généralité des termes employés par Mme Labelle quant aux sujets sur lesquels elle a posé des questions. Aucune référence dans ce document au congé de maternité. Et au point 16, on parle de la convention collective qui s’applique aux employés à terme de plus de six mois. Sans plus.

Le syndicat se réservait le droit d’interpréter ladite convention, nous dit- on. M. Champagne en savait quelque chose, lui qui se fit rappeler à l’ordre par un grief à ce sujet précis; ce qui l’amena, par la suite, à éviter de franchir certaines limites qui lui étaient ainsi imposées.

Et l’on sait, parce que les trois plaignantes nous l’ont dit, que leur source de renseignements était le syndicat qui, malheureusement, n’a pas jugé, ni expliqué de façon satisfaisante les enjeux. Au point qu’au moins deux des plaignantes, Mmes Labelle et Poliquin, ont fait allusion à ce problème lors de leur témoignage.

Le droit au congé fut- il vraiment considéré comme étant un principe à faire respecter à tout prix, ainsi que le soutient le procureur du ministère? Cela semble bien être le cas. Mmes Poliquin, Montrain et Labelle n’ont pas tenu compte, dans leur réflexion, de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique à laquelle réfère chaque offre d’emploi qu’elles ont reçue au fil des ans. Ce poste vous est offert pour une période spécifiée du..... au..... D’aucune façon ceci ne doit être interprété comme une offre d’emploi permanent ou devant conduire à une offre d’emploi permanent. Nonobstant ce qui précède, votre période d’emploi pourrait être abrégée selon nos besoins en personnel.

32/... >... 32/

"Cette offre est assujettie à la Loi sur l’emploi dans la Fonction publique et aux conditions d’emploi des employés engagés a titre occasionnel pour une période déterminée".

Or, l’article 25 de cette loi précise bien de quoi il s’agit:

"Un employé nommé pour une période spécifiée cesse d’être un employé a l’expiration de ladite période." 1966- 67, c. 71, art. 25.

Tout comme l’a soutenu le procureur du ministère, le Tribunal ne croit pas que cette disposition législative aille à rencontre de la Loi canadienne sur les droits de la personne. L’affaire Mireille Dansereau contre l’ONF et Pierre- André Lachapelle citée par le Ministère, statue en effet sur le type d’engagement des plaignantes qui, comme Mme Dansereau, étaient embauchées pour un terme précis. Son emploi devait donc prendre fin de lui- même à l’expiration du temps convenu, de souligner la Cour dans cette affaire.

De la même façon, dans l’affaire Catherine LeBorgne contre

l’ONF, le Tribunal de première instance reconnaît l’existence de contrats de travail à durée déterminée, tout comme la Cour d’appel qui rejette la demande de Mme LeBorgne.

Quant à l’affaire Headley, citée par le ministère, elle est pertinente dans le sens où elle établit la juridiction de la gestion de procéder de telle ou telle manière. Le Tribunal juge bien fondée cette juridiction, et ne croit pas nécessaire d’insister d’avantage sur ce point en rapport avec les plaintes de Mme Poliquin, Mongrain et Labelle.

Pour mieux cerner les caractéristiques des emplois à durée limités, le ministère invoque, aussi, le Traité de droit administratif de Mes René Dussault et Louis Borgeat, Deuxième Édition, Tome II, les Presses de l’Université Laval,

33/... >...

33/ 1986. Il en tire, avec raison croyons- nous, les éléments qui lui permettent de préciser le lien juridique entre l’état- employeur et ses employés. L’offre unilatérale de la part de l’employeur peut contenir une condition, et quand la personne sollicitée est appelée à se prononcer sur une offre, elle ne peut ignorer la condition pas plus qu’il ne lui est possible de faire une contre proposition. Accepter ou refuser l’offre soumise: voila le choix!

Dans le cas qui nous intéresse, une fois que les trois plaignantes eurent accepté la dernière offre faite avant celle qui a donné lieu au litige, et une fois qu’elles eurent entrepris leur prestation, elles décidèrent de prendre un congé de maternité. Elles auraient souhaité le poursuivre au delà de la période prescrite en ne tenant pas compte de leurs conditions d’emploi. Mais cela n’était pas possible, comme nous avons pu le constater.

En fonction des circonstances particulières dans lesquelles elles évoluaient, circonstances que vivaient d’autres personnes qui désiraient s’absenter pour poursuivre des études par exemple, ou encore pour d’autres raisons tout aussi valables, les plaignantes, face à une offre d’emploi ne pouvaient agir différemment de ces personnes. Ces dernières, conscientes qu’elles ne seraient pas la pour enseigner, refusaient tout simplement l’offre transmise par le ministère qui était prévenu d’avance de toute façon, puisque de telles demandes doivent être faites d’avance.

La nature de l’emploi suppose donc la présence sur place pour accomplir le travail. Peut- on qualifier cela d’exigence professionnelle normale? C’est ce que soutient le ministère de la Défense nationale qui, pour nous en convaincre, réfère à l’affaire Bhinder, jugement rendu par la Cour Suprême du Canada,

34/... >... 34/

et dans lequel on reprend le critère retenu dans l’arrêt Etobicoke:

"une exigence imposée honnêtement en vue d’assurer l’exécution d’une manière raisonnablement diligente, s re et économique, et non pour des motifs étrangers qui visent les objectifs susceptibles d’aller à l’encontre du Code".

La Cour concluant: Il n’a y pas d’obligation d’accommodement, il faut relier ce prononcé à un autre également cité par le ministère. L’alinéa 14 a) a pour objet de faire prévaloir les exigences d’un emploi sur celles de l’employé. Il supprime toute obligation d’accommodement en disant que l’imposition d’une exigence réellement liée à un emploi ne contitue pas un acte discriminatoire. Le Législateur, en rétrécissant le champ de ce qui constitue un acte discriminatoire a permis le maintien d’exigences réellement liées à un emploi, même si elles ont pour effet d’écarter certains individus de ces tâches. L’alinéa 14 a) n’est pas incompatible avec l’objet déclaré de la Loi qui est d’empêcher les actes discriminatoires".

Et le ministère de conclure:

"l’exigence d’être disponible, si on a besoin de la justifier, je pense que l’exigence d’être la pour boucher le trou, car c’est justement ce qu’on cherche c’est boucher le trou, je pense que c’est tout à fait raisonnable, ça rencontre tout à fait ce que la Cour Suprême indiquait."

Pour compléter ce raisonnement, le ministère cite une décision de la Court of Queen’s Bench, en Alberta: The complainant violated a term or condition of his employment which compelled him to attend regularly, and, in particular on April 4, 1983, at his place of employment in accordance with the work shedule established by the appellant. Such term of condition of employment was a bona fide occupational qualification within the meaning of Section 7( 3) of the Act and within the following test established by the

35/... >... 35/ Supreme Court of Canada in the Ontario Human Rights Commission v. Borough of Etobicoke.

Autre citation du ministère: l’affaire Quinlan dans laquelle on rejeta la demande de la plaignante qui, après avoir été absente de son travail parce qu’atteinte d’un cancer de la bouche, n’en réclamait pas moins une gratification habituellement accordée aux employés a plein temps.

Le Tribunal, comme il l’a déjà mentionné, estime qu’en dehors de tout lien juridique entre les parties, la relation employeur/ employées n’ayant pas été établie, malgré l’acceptation, elle- même conditionnelle, de l’offre conditionnelle faite par l’employeur, les plaignantes ne peuvent créer à l’employeur des obligations, pas plus qu’elles- mêmes n’en avaient après avoir refusé de travailler. Cela est si vrai que dans sa dernière argumentation, la Commission elle- même, fait mention de la condition qui soutend tout le litige: Ce qu’on dit, c’est que quand on leur a fait une offre, il aurait fallu les traiter commes les autres, c’est- à- dire sans clause de disponibilité, sans les coincer, à dire qu’est- ce que je dois répondre, qu’est- ce que je dois pas répondre? Ultimement, les frustrer d’une

période d’emploi parce qu’on leur a imposé quelque chose qu’on n’avait jamais imposé à quelqu’un d’autre et ultimement, les priver de l’exercice de droits que la convention collective leur aurait reconnus eussent- elles été employées, et dont d’autres ont pu et auraient pu bénéficier si elles avaient pas eu cette fameuse clause à leur contrat. (Les soulignés sont de nous).

La question des dommages se serait posée si le Tribunal avait jugé différemment le litige actuel. Ceci dit: il estime nécessaire, a ce moment- ci, de rappeler la décision qu’il avait prise en décembre 1987, alors que les

36/... >... 36/ parties devaient se présenter devant lui ce qui n’a pas eu lieu à ce moment- là. Le Tribunal avait alors fixé au 15 décembre 1987 le terme de la période pour fin de computation de salaire non touché par les plaignantes en raison de la commission d’un acte discriminatoire, ainsi que le mentionne la Commission dans sa plaidoirie. Pour ce qui est d’une indemnisation pour le préjudice moral subi par les plaignantes, ainsi que la réclame la Commission, le Tribunal ayant jugé qu’il n’y a pas de discrimination pour motif de distinction illicite, il n’a pas à se prononcer sur les deux demandes soumises par la Commission au nom des plaignantes.

SIGNÉ A MONTRÉAL, CE 30e JOUR DU MOIS DE JUIN 1988 NIQUETTE DELAGE, présidente > JURISPRUDENCE CITEE PAR LES PROCUREURS DE LA COMMISSION DES DROITS

DE LA PERSONNE ET DU MINISTERE DE LA DEFENSE NATIONALE La Commission ontarienne des droits de la personne, Bruce Dunlop, Harold E. Hall et Vincent Gray (intimés) Appelants et la Municipalité d’Etobicoke (Appelante) Intimée, (1982) 1 S. C. R. p. 202.

K. S. Bhinder et la Commission canadienne des droits de la personne Appelants, et Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, Intimée, et Procureur général du Canada, Commission des droits de la personne de la Saskatchewan, Commission des droits de la personne de la Saskatchewan Commission des Droits se la personne de l’Alberta et Association canadienne pour les déficients mentaux, intervenants. (1985) 2 R. C. S. p. 561.

Normand Latif (Requérant) c. la Commission canadienne des droits de la personne et R. G. L. Fairweather (Intimés), (1980, 1 CF, p. 687.

The Winnipeg School Division No. 1 Appelante (Intimé) et Doreen Maud

Craton Intimée (Requérante) et The Winnipeg Teachers’ Association No. 1 of the Manitoba Teachers’s Society (Intimée), (1985) 2 S. C. R. p. 150.

Erickson v. Canadian Pacific, Express and Transport Ltd., Canadian Human Rights Reporter, Volume 8, Decision 628, Paragraphs 31242- 31375, May 1987.

Commission ontarienne des droits de la personne et Theresa O’Malley (Vincent) Appelantes et Simpsons- Sears Limited Intimée et Commission canadienne des droits de la personne, Commission des droits de la personne de la Saskatchewan, Commission des droits de la personne du Manitoba, Commission des droits de la personne de l’Alberta, Association canadienne pour les déficients mentaux, Coalition of Provincial Organizations of the Handicapped et Congrès juif canadien Intervenants, (1985) 2 S. C. R. p. 536.

Bonnie Robichaud et la Commission canadienne des droits de la personne Appelantes c. Sa Majesté La Reine, représentée par le Conseil du Trésor Intimée, (1987) 2 S. C. R. p. 84.

Christine Marie Davies c. Century Oils (Canada) Inc. Canadian Human Rights Reporter, Volume 8, Decision 602, Paragraphs 29817- 29837

Mireille Dansereau (Requérante) c. L’Office national du film et Pierre- André Lachapelle (Intimés) (1979) 1 F. C. p. 100.

Catherine Le Borgne et Claudine Bujold (Requérantes) c. l’Office national du film et M. Falardeau- Ramsay (Intimés) (1980) 1 F. C. p. 96.

Denise Headley et le local 613 du Syndicat de l’emploi et de l’immigration du Canada (de l’Alliance de la c. Comité d’appel de la Commission de la Fonction publique (intimé) (1987) 2 C. F., p. 235.

Ethel Quinlan v. Marina Restaurant Ltd. Canadian Human Rights Reporter, Volume 7, Decision 538, Paragraphs 27054 -27096.

... 2/ >... 2/ Action Travail des Femmes Appelante c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada Intimée et Commission canadienne des droits de la personne Mise en Cause et le procureur général du Canada Intervenant, et entre Commission canadienne des droits de la personne Appelante c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada Intimée et Action Travail des Femmes, Denis Lemieux, Nicole Duval- Hesler, Joan Wallace et le procureur général du Canada Mis en cause, (1987) S. C. R., p. 1114.

Paul S. Carson, Ramon Sanz, William Nash, Barry James et Arie Tall Plaignants (Intimés) et Air Canada Intimée (Appelante) Tribunal d’appel des droits de la personne, 26 Octobre 1983.

Décision innommée de la Court of Queen’s Bench en Alberta. D’autres décisions rendues en matière de Droits de la personne ont fait l’objet d’une mention pendant les plaidoiries, et le Tribunal a constaté qu’il ne disposait d’aucun de ces jugements. Il s’agit de Rodgers c. CN, de Granger, d’Andrews, de Big M. Drugmart, de Huck c. Cinémas Odeon, de

Tyson. Le Tribunal regrette donc de ne pouvoir citer la nomenclature de ces décisions.

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