Tribunal canadien des droits de la personne

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D. T. 5/ 88 Décision rendue le 6 avril 1988

TRIBUNAL D’APPEL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE Loi canadienne sur les droits de la personne (S. C. 1976- 77, c. 33 version modifiée)

TRIBUNAL D’APPEL

ENTRE: BRAZEAU TRANSPORT INC. appelante ET JEAN- LOUIS PELLETIER intimé ET CLAUDE MARLEAU

ès qualité de membre du Tribunal des droits de la personne

DEVANT: Pierrette Sinclair, Présidente Henriette Guérin, Membre Jacques Chiasson, Membre

COMPARUTIONS: Me Rolland Forget Procureur de l’appelante Me Anne Trottier Procureurs de l’intimé et de la Me Ester Savard Commission Canadienne des droits de la personne >

CANADA TRIBUNAL D’APPEL PROVINCE DE QUEBEC

ENTRE: BRAZEAU TRANSPORT INC. appelante ET JEAN- LOUIS PELLETIER intimé ET CLAUDE MARLEAU

ès qualité de membre du Tribunal des droits de la personne

DEVANT: Pierrette Sinclair, Présidente Henriette Guérin, Membre Jacques Chiasson, Membre

DECISION I - CONSTITUTION DU TRIBUNAL

Le 30 mars 1987, le président du Comité du tribunal des droits de la personne constituait le présent tribunal aux fins d’entendre le pourvoi d’appel logé par l’appelante Brazeau Transport Inc. à l’encontre d’un jugement en faveur de l’intimé Jean- Louis Pelletier, par Me Claude D. Marleau le 20 février 1987.

L’appel fut entendu le 1er septembre 1987 à Montréal, devant Mme Henriette Guérin, M. Jacques Chiasson et Me Pierrette Sinclair.

> 3 Le tribunal d’appel entend l’appel sur des questions de droit ou de fait ou des questions mixtes de droit ou de fait, en vertu du paragraphe 42.1 (4) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (S. C. 1976- 77, c. 33 et ses modifications) et il peut rejeter l’appel ou y faire droit et substituer ses décisions ou ordonnances en vertu du paragraphe 42.1 (6) de la mime loi.

II - LES FAITS

Il s’agit d’une plainte déposée par monsieur Jean- Louis Pelletier en février 1982, ’alléguant qu’on lui a refusé un emploi pour un motif illicite en vertu de la Charte, à savoir son âge.

Le tribunal de première instance a apprécié la preuve concernant les faits en litige et il en est venu à la conclusion que l’appelante Brazeau Transport a posé un acte discriminatoire à l’endroit de l’intimé, Jean- Louis Pelletier, refusant de l’embaucher au motif de son âge, contrairement à l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne et que cette discrimination ne découlait pas d’exigences professionnelles justifiées au sens de l’article 14 de la Loi.

L’appelante fonde son appel sur trois motifs. Tout d’abord elle invoque que les délais écoulés entre le dépôt de la plainte et la décision ont causé préjudice à l’appelante et ont fait perdre juridiction au tribunal. Bien qu’il ait invoqué dans ses représentations au tribunal la question des délais et les difficultés qu’ils ont fait encourir à l’appelante, le procureur de cette dernière n’a pas plaidé la question de l’absence de juridiction du

tribunal, ce qui nous amène à considérer que ce motif d’appel a été abandonné. Le tribunal d’appel n’a pas alors à décider si l’appel est le moyen approprié de soulever cette question.

Comme deuxième moyen d’appel, l’appelante expose que le tribunal > 4 a commis plusieurs erreurs de droit et d’interprétation des faits. L’appelante a demandé au tribunal d’appel d’intervenir au motif que le juge de première instance a commis une erreur de droit flagrante et importante en refusant de considérer la preuve de la politique d’embauche faite par le directeur des Ressources humaines du Groupe Transport Brazeau, pour une période antérieure à l’exercice de ses fonctions.

Le tribunal d’appel, ayant pris connaissance du jugement de première instance, des notes sténographiques, des témoignages, de la jurisprudence pertinente et ayant entendu les plaidoiries des procureurs des deux parties, en vient à la conclusion que l’appréciation de la preuve par le juge de première instance n’est pas entachée d’une erreur manifeste ou évidente. Le tribunal d’appel n’est donc pas justifié d’intervenir et de substituer ses propres conclusions à celles du juge de première instance. (1)

A notre avis, même si le juge de première instance avait considéré cette preuve, l’issue du débat n’en aurait pas été changée. Une fois la preuve de discrimination faite, Brazeau Transport pouvait apporter la preuve que le refus d’emploi découlait d’exigences professionnelles justifiées, en vertu de l’article 14 (a) de la Loi. Cependant la compagnie appelante ne peut prétendre que sa politique d’embauche à l’interne constituait une exigence professionnelle justifiée en rapport avec l’âge. Le critère objectif de ce que constitue une exigence professionnelle justifiée a d’ailleurs été établi par la Cour Suprême dans l’arrêt Etobicoke and Ontario Human Rights Commission. Le juge McIntyre le définit ainsi:

"Lorsqu’un plaignant établit devant une commission d’enquête qu’il est de prime

1) Guillaume Kibale v. Transport Canada 8 C. H. R. R., D/ 640, juin 1987; > 5

abord, victime de discrimination, en l’espèce que la retraite obligatoire à soixante ans est une condition de travail, il a droit à un redressement en l’absence de justification de la part de l’employeur. La seule justification que peut invoquer l’employeur en l’espèce est la preuve, dont le fardeau lui incombe, que la retraite obligatoire est une exigence professionnelle réelle de l’emploi en question. La preuve, à mon avis, doit être faite conformément à la règle normale de la preuve en matière civile, c’est- à- dire suivant la prépondérance des probabilités." (2)

Le tribunal est donc d’avis que même si la preuve de la politique d’embauche pour la période concernée était admise, cette preuve ne justifierait pas le présent tribunal d’intervenir.

De plus, soulignons qu’il y a contradiction apparente entre d’une part, l’allégation de l’appelante que le seul motif du non- embauche était l’application de sa politique interne d’embauche et le fait qu’elle était à la recherche de candidatures extérieures par la voie des journaux.

De plus, même si l’appelante prétend que la décision d’embaucher relevait du directeur régional à Toronto, il est établi par la preuve que le directeur de la succursale a posé des gestes qui laissaient croire qu’il possédait l’autorité, tels la recherche de candidats extérieurs, les rencontres et discussions avec l’intimé, l’envoi de l’intimé à son examen médical. Ces actions du directeur de la succursale engageaient Brazeau Transport Inc.

2) (1982) 1 R. C. S. 202, à la page 208, sub nom. Ontario Human Rights Commission v. Etobicoke; voir également: Ontario Human Rights Commission and O’Malley v. Simpson Sears Ltd., (1985) 2 R. C. S. 536; et, Bhinder and The Canadian Human Rights Commission v. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, (1985) 2 R. C. S. 561;

> 6 Le tribunal d’appel confirme donc que le plaignant a été discriminé pour un motif illicite.

III - LES DOMMAGES

Comme troisième motif l’appelante invoque que le tribunal a commis plusieurs erreurs dans la fixation des dommages.

Le pouvoir du tribunal d’accorder des dommages se retrouve aux articles 41 et 42 de la Loi. Le tribunal d’appel est d’avis tout comme le juge de première instance que le plaignant doit recevoir compensation. Cependant la période pour laquelle le dédommagement est accordé ne paraît pas justifiée au tribunal d’appel.

De l’avis du tribunal d’appel le plaignant avait droit à un délai raisonnable pour se chercher un autre emploi. Il est également admis qu’une personne se doit, dans un tel cas, de faire des efforts raisonnables pour trouver un travail et ainsi mitiger les dommages. (3)

Dans les circonstances propres à ce dossier, il nous apparaît qu’une période d’un an est un délai raisonnable qui aurait da permettre à M. Pelletier, compte tenu de son expérience et des habilités qu’il avait déjà exercées, de se trouver un nouvel emploi.

3) Torres v. Royalty Kitchenware Limited, 3 C. H. R. R., D/ 858, par. 7735 et suivants;

> 7 Le tribunal d’appel accorde à M. Pelletier une indemnité globale de 16,900.00$. De ce montant, il y a lieu de déduire la somme de 1,831.52$ qui représente les gains du plaignant pendant cette période. Le tribunal croit que la somme de 15,068.48$ constitue dans les circonstances une réparation juste et un redressement de la discrimination dont le plaignant a été

victime. De plus, le présent tribunal ne croit pas devoir intervenir dans l’appréciation du préjudice moral subi par le plaignant et confirme l’attribution du montant de 2,500.00$ à titre d’indemnité, faite par le juge de première instance. Ces dommages moraux justifiés par l’article 41 (3) de la Loi ont été accordés par le tribunal de première instance au regard de la preuve. Quoique le montant octroyé soit élevé, tenant compte des représentations du procureur de l’appelante, ces dommages ne nous Paraissent pas à ce point exagérés qu’il faille intervenir.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL D’APPEL: CONFIRME le jugement de première instance en ce qui concerne la discrimination et modifie la somme accordée comme dommages en ce qu’il:

ORDONNE en vertu de l’article 41 (2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne à l’appelante, Brazeau Transport Inc., de payer à l’intimé, M. Jean- Louis Pelletier, une somme de 15,068.48$ à titre d’indemnité avec les intérêts au taux légal à compter du 18 février 1982;

> 8 CONFIRME le jugement de première instance en ce qu’il ordonne en vertu de l’article 41 (3) (b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, à l’appelante, Brazeau Transport Inc., de payer à l’intimé, M. Jean- Louis Pelletier, une somme de deux mille cinq cents dollars (2,500.00$) à titre d’indemnité pour préjudice moral.

EN FOI DE QUOI NOUS AVONS SIGNE A: Montréal, ce 10 mars 1988 Mme Henriette Guérin, Membre Sept- Iles, ce 15 mars 1988 M. Jacques Chiasson, Membre Montréal, ce 10 mars 1988 Me Pierrette Sinclair, Présidente

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