Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

D. T. 10/ 88 Décison rendue le 8 juin 1988

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE (S. C. 1976- 1977, c. 33, version modifiée)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

DEVANT: PERRY W. SCHULMAN, C. R.

ENTRE: EDWARD H. RINN et KEN D. RUSSELL Plaignants - ET KEEWATIN AIR LIMITED Mis en cause

DÉCISION DU TRIBUNAL

ONT COMPARU JAMES HENDRY et MICHAEL TRAYNOR, avocats du plaignant Edward H. Rinn, du plaignant Ken D. Russell et de la Commission canadienne des droits de la personne; ROBIN KERSEY, avocat du mis en cause.

DATE ET LIEU DE L’AUDIENCE: du 25 au 29 janvier 1988 à Winnipeg (Manitoba)

TRADUCTION >

TABLE DES MATIERES

Introduction

Examen de la preuve sur la responsabilité Keewatin Air Limited

Edward H. Rinn

Kenneth Russell

Andrew Grant

Judy Saxby

Frank Robert May

Position de Wes White

Conclusions

Dommages- intérêts

Évaluation provisoire

Décision

- 1 INTRODUCTION

Le 21 janvier 1988, j’ai été désigné pour siéger comme tribunal des droits de la personne (Pièce T- 1) en vertu du paragraphe 39 (1.1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Cette désignation avait pour objet d’examiner la plainte de M. Edward H. Rinn en date du 1é janvier 1984 (Pièce C- 3), version modifiée le 12 novembre 1985 (Pièce C- 4), et la plainte de M. Ken D. Russell en date du 21 février 1984 (Pièce C- 1), version modifiée le 13 novembre 1985 (Pièce C- 2), déposées contre Keewatin Air Limited, où l’un et l’autre allèguent qu’il a eu discrimination en matière d’emploi pour des motifs de distinction fondés sur l’état matrimonial et sur la situation de famille.

En vertu du paragraphe 32( 4) de la Loi précitée, les plaintes ont été jointes.

Au début, l’avocat du mis en cause a rejeté les pièces C- 2 et C- 4 au motif que les plaintes modifiées n’ont pas été déposées en temps voulu. A noter que, dans chaque cas, les faits énoncés dans la plainte initiale et dans la plainte modifiée sont identiques. La seule différence, c’est que la plainte mentionne expressément l’état matrimonial, qui est l’un des motifs de distinction énoncés dans l’article 3 de la Loi, tandis que l’acte de procédure modifié indique l’état matrimonial et la situation de famille.

Après avoir entendu les thèses des parties sur l’objection préliminaire, je me suis réservé de prendre une décision. L’audience a continué parce que, quel que soit le résultat de la motion, il me fallait instruire les pièces C- 1 et C- 3. Le lendemain, juste avant que les avocats des plaignants ne déclarent terminée la présentation de la preuve de leurs clients, j’ai rejeté

> - 2 l’objection préliminaire et j’ai informé l’avocat du mis en cause que celui- ci aurait a réfuter les plaintes modifiées. J’ai dit que je fournirai ultérieurement les motifs de ma décision. Une fois que toute la preuve a été produite, l’avocat du mis en cause m’a avisé que, réflexion faite, il retirait son objection préliminaire, ce qui m’a dispensé du besoin de fournir des motifs.

Six personnes ont témoigné à l’audience. Les avocats des plaignants ont appelé: M. Edward Rinn, M. Andrew Grant et M. Ken Russell, et celui du mis en cause: Mme Judy Saxby, M. Frank Robert May et M. Bernie Gloyn.

Le mis en cause a employé M. Rinn comme pilote, du 15 juin au 15 décembre 1982, et, du 29 mars au 13 décembre 1983 (en plus de périodes de service qui se situent du 1er juin 1976 au 1er septembre 1977 et du 24 avril au 18 mai 1978). Il a employé M. Russell comme pilote, du 15 novembre 1981 au 13 décembre 1983. Il a mis simultanément fin à l’emploi des deux, en leur remettant respectivement les pièces C- 12 et C- 21, où il invoque pour cet acte la raison suivante:

(traduction)

"Comme vous ne le savez que trop, nos revenus ont considérablement baissé a cause des contraintes économiques actuelles et j’estime que cette mesure regrettable est inévitable."

Le point litigieux dont je suis saisi en matière de responsabilité est le suivant: est- ce là le seul motif de la cessation d’emploi? Ou bien l’état matrimonial (ou la situation de famille) de l’un des plaignants ou des deux en est- il aussi l’une des causes contribuantes?

> - 3 Pour en arriver a ma décision, j’ai appliqué les principes suivants 1. la preuve incombe aux plaignants; 2. le fardeau de la preuve est suivant la prépondérance des probabilités; 3. pour établir le bien- fondé de la plainte, il suffit de prouver que

l’une des raisons de la cessation d’emploi d’une personne a trait au fait qu’elle est mariée ou a une famille; 4. il suffit que le plaignant prouve que la cessation d’emploi a eu lieu

à cause de la personne a qui il est marié; 5. pour évaluer la crédibilité d’un témoin, je n’ai pas besoin d’accepter

l’ensemble de sa déposition. Je peux en accepter une partie et en rejeter une autre; 6. pour apprécier la conduite du mis en cause en fonction des évènements

de décembre 1983, je dois faire bien attention aux dangers qu’il y a à la lui reprocher rétrospectivement.

J’ai décidé de récapituler la situation à laquelle les parties ont été confrontées en décembre 1983, en la présentant dans l’ordre suivant

a) une vue d’ensemble des opérations de la Compagnie, b) l’examen du témoignage du plaignant Rinn, c) l’examen du témoignage du plaignant Russell, d) l’examen de la déposition du témoin Grant, e) l’examen du témoignage de Mme Saxby, f) l’examen du témoignage de M. May.

> - 4 KEEWATIN AIR LIMITED

Son avocat l’a pertinemment décrite comme (traduction) une compagnie d’aviation du genre petite épicerie de famille. Elle a été constituée en société commerciale canadienne, en 1970. Ses actionnaires sont: M. Robert May, Mme Saxby (sa femme) et les parents de M. May. Les administrateurs sont: M. May, Mme Saxby et le père de M. May Elle a été financée par des

sommes d’argent avancées par les parents de M. May et par une série de prêts bancaires. A ses débuts, elle exploitait a Ilford (Manitoba) deux avions monomoteurs Cessna 185. Vers 1974, elle s’est installée a Rankin Inlet, qui est situé à environ 930 milles au nord de Winnipeg. La Commission canadienne des transports lui a d’abord accordé une classification du groupe A et elle a fait ce que M. May a appelé un travail hors réseau. Par là, il voulait dire que pendant l’été, elle a offert ses services dans des secteurs tels que le projet de recherche sur les poissons et a approvisionné quelques camps organisés par un centre d’exploration de l’uranium. Bell Telephone et la Commission canadienne de l’énergie du Nord l’ont aussi engagée pour déplacer du personnel. En 1979, elle a reçu une classification du groupe B. A ce moment- là, elle disposait de ses Cessna 185, elle a acheté un avion DeHaviland Beaver et a continué à faire le même travail.

A partir de juillet 1982, la Compagnie a conclu une entente avec l’un de ses pilotes, M. Jim Smith, en vue d’exploiter un avion Beech 18 qu’il était en train d’acheter. En ao t 1982, elle a aussi fait l’acquisition et mis en service un avion turbomoteur appelé le Tradewind, qui a modernisé ses opérations et lui a permis d’offrir a sa clientèle un appareil plus s r et des services, tout le long de l’année. Elle a continué à exploiter le Beech 18 jusqu’en octobre 1983. Dans l’intervalle, elle a acheté un second avion turbomoteur appelé le Westwind et l’a mis en service, en ao t 1983.

> - 5 Austin Airways amenait à Rankin Inlet pour le compte de la Compagnie de la Baie d’Hudson , du fret destiné à ses comptoirs de l’Extrême- Nord. A partir de l’été 1983, Keewatin Air a acquis le transport de ce fret, de Rankin Inlet à d’autres lieux situés dans la zone de Keewatin. En 1982 et en 1983, 90 % de ses recettes provenaient d’affaires avec l’État. L’une d’elles consistait à fournir 24 heures sur 24 un service d’évacuation sanitaire pour les personnes gravement blessées ou malades nécessitant d’être transportées de l’une des sept localités de ladite zone dans les hôpitaux de Churchill, de Thompson ou de Winnipeg.

En été 1982, Keewatin Air possédait deux résidences à Rankin Inlet ainsi qu’un hangar. M. Jim Smith, qu’elle employait comme pilote depuis juin 1978, et sa femme, Linda, comme expéditionnaire depuis mars 1982, occupaient l’une d’elles. A côté, se trouve le duplex nouvellement construit, qui n’était pas alors terminé. Quand la Compagnie a engagé M. Rinn, son logement inférieur n’était pas fini. Il restait à installer la tuyauterie des toilettes et à terminer les placards de la cuisine. Il y avait aussi des matériaux de construction sur l’emplacement. Toutefois, l’une des chambres du bas était terminée et il a pu y emménager. Un ou deux mois plus tard, ledit logement était fini. A l’automne 1982, un plombier est venu installer un réseau de distribution aérien sous coffrage pour la tuyauterie. L’intérieur du duplex était donc fini, mais il manquait un revêtement extérieur en vinyle. Le duplex a une superficie de 1 000 pieds carrés répartie également entre les deux niveaux. Il a deux chambres à coucher en bas et trois, en haut.

> - 6 En 1983, la Compagnie a aussi apporté des modifications au hangar.

Elle a engagé un entrepreneur pour y installer à l’intérieur un isolant et un revêtement en aluminium et ensuite, un électricien pour installer des câbles à canalisation par- dessus ledit revêtement. Elle a fait appel à des menuisiers locaux pour construire un congélateur de plain- pied et un appareil de réfrigération, afin de faciliter le chargement et le déchargement des marchandises destinées à la Baie et amenées par Austin Airways. Elle a aussi fait construire une adjonction au hangar pour y mettre une chaudière et a fait venir de Winnipeg, un autre homme de métier pour installer dans le hangar un système de chauffage à eau chaude. Elle a enfin fait construire une autre adjonction pour que les pilotes aient à l’aéroport une salle d’attente et l’expéditionnaire, un bureau.

Voici quel était, en 1982 et en 1983, l’effectif des pilotes au service de la Compagnie. M. Smith et M. Russell ont été employés sans interruption pendant toute cette période. M. Rinn l’a été, de juin 1982 à décembre 1983, sauf pendant la période de décembre 1982 a mars 1983 où il a été mis à pied. En octobre 1983, M. Wes White a été engagé comme pilote. En décembre 1983, il a occupé le poste de chef pilote. Je reviendrai ultérieurement sur cette nomination. Pendant ces deux années, les autres pilotes ont été: M. Greg Lamb (du 19 mars au 11 avril 1982), M. Trevor Kilbourn (du 15 avril au 15 ao t 1982), M. Simon Kugak (du 21 avril au 2 mai 1982), M. Mike Gatey (du 14 juillet au 18 ao t 1982), M. Dave Lemoine (du 20 juin au 10 septembre 1983).

Les états financiers de Keewatin Air pour 1982 et 1983 sont déposés comme pièce R- 5. Je parlerai plus longuement de sa situation financière quand j’examinerai les témoignages de Mme Saxby et de M. May. Parmi les

> - 7 renseignements d’ordre financier qui ont été fournis, figurent des documents relatifs aux heures de vol de chacun des avions en 1981, en 1982 et en 1983, ainsi qu’aux commissions qui ont été versées aux pilotes pendant ces années- là, entre autres.

EDWARD H. RINN

M. Rinn a 34 ans et est actuellement employé par Transport Canada comme spécialiste d’information de vol. Il a travaillé pour Keewatin Air à Ilford, du 1er juin 1976 au 21 septembre 1977 et a Rankin Inlet, du 24 avril au 18 mai 1978. En juin 1982, il s’est marié et a habité avec sa femme à Whitehorse. Après avoir été mis à pied par Lister Outdoor Sports, où il avait un emploi de mécanicien de moteurs hors- bord, il a téléphoné à M. May pour s’informer des psosibilités d’emploi dans sa compagnie. Il lui a dit qu’il serait intéressé par un emploi d’été ou un poste permanent, auquel cas il ferait venir sa femme a Rankin Inlet. M. May lui a offert le poste à long terme et lui a dit que la Compagnie lui fournirait comme condition d’emploi, un logement pour personnes mariées dans son duplex. M. Rinn est venu seul et sa femme l’a rejoint, environ un mois après. Il a emménagé dans la chambre à coucher du sous- sol non terminé du duplex. Après l’arrivée de sa femme, le couple a d’abord partagé un frigidaire et une cuisinière avec les occupants du logement de l’étage, M. Ken Russell et sa fiancée, parce que la cuisine de celui du bas n’était pas encore terminée. Quant à ces derniers, ils partageaient avec eux la salle de bain, qui se trouvait au sous- sol. Avant longtemps, la Compagnie a fourni aux Rinn un frigidaire et une cuisinière et ils ont acheté quelques meubles à des amis a Rankin Inlet. Quand M. Rinn est arrivé, il était titulaire d’une licence de pilote professionnel de première classe et avait à son

actif plus de 3 000 heures de vol. En 1982, il a volé comme copilote sur le Tradewind et comme commandant de bord sur le DeHaviland Beaver.

> - 8 Pendant l’été 1982, de nombreuses personnes sont venues du Sud pour faire des rénovations ou des constructions dans les divers projets de Keewatin Air. Des ingénieurs d’entretien sont aussi venus de Winnipeg pour effectuer des travaux sur les avions et, de temps en temps, ils ont utilisé la seconde chambre à coucher du sous- sol du duplex. M. May a demandé à Mme Rinn de préparer les repas de ces visiteurs. Il lui a dit que la Compagnie fournirait les aliments et la paierait pour les cuisiner.

Keewatin Air a mis à pied M. Rinn, de décembre 1982 a mars 1983. A ce moment- là, Mme Rinn était enceinte et son accouchement était prévu pour la mi- février 1983. Leur enfant est né, le 17 février 1983, et la Compagnie l’a rappelé, le 29 mars 1983.

En 1982, M. Rinn et M. Russell ont d suivre a Winnipeg, une formation sur le Tradewind. En 1983, M. Rinn a assumé les fonctions de copilote sur le Tradewind et de commandant de bord sur le DeHaviland Beaver, comme il l’avait fait en 1982. En 1983, il est allé a Winnipeg pour y recevoir une formation complémentaire. Les difficultés qu’il a éprouvées sont décrites aux pages 38 a 42 du volume I de la transcription. En ao t 1983, M. Russell a pris un congé pour se marier et M. Rinn a donc été commandant de bord sur le Tradewind.

En 1983, Mme Rinn a de nouveau fait la cuisine pour les visiteurs de la Compagnie pendant un certain temps. L’arrangement que M. May a passé avec elle était semblable à celui de l’année précédente. Subséquemment, elle a obtenu un emploi a terme au gouvernement et quand, plus tard, il lui a demandé de préparer les repas des visiteurs, elle a refusé. En 1983, on a eu besoin de la seconde chambre a coucher du logement du bas pour l’enfant des Rinn. Cette année- là, tous les visiteurs ont été logés à l’étage du duplex.

> - 9 Le 12 décembre 1983, M. May a remis à M. Rinn la lettre de cessation d’emploi qui constitue la Pièce C- 12. A la page 3 des présents motifs, j’ai indiqué la raison qui en a été donnée. M. Rinn a dit qu’il en a remis une semblable à M. Russell. M. May a indiqué qu’il a pris cette décision après avoir examiné l’ensemble des opérations et conclu que les revenus avaient baissé au point qu’il lui fallait se séparer des deux. De la ligne 26 de la page 64 à la ligne 7 de la page 65, M. Rinn déclare:

(traduction)

"Bob May a demandé à Ken Russell et à moi- même de monter à l’étage du duplex et il nous a informés qu’en raison du ralentissement économique de l’industrie, il se voyait forcé de nous mettre à pied. Je lui ai dit: je vois, quand serons- nous rappelés? parce qu’une mise à pied suppose normalement qu’il y aura un rappel. Et il a dit qu’il n’y aurait pas de rappel, qu’il n’avait pas la moindre idée du temps que ces conditions économiques dureraient et qu’il pourrait avoir à remiser l’avion."

M. Rinn a déclaré qu’il n’a reçu aucune plainte de la Compagnie concernant son travail. Pour en attester la qualité, il a obtenu et déposé une lettre de référence émanant de l’officier infirmier de zone, Services médicaux, Zone de Keewatin, Churchill (Manitoba) (Pièce C- 14).

Au moment de la cessation d’emploi, M. May a dit à M. Rinn et à M. Russell qu’ils pouvaient continuer a voler pour le compte de la Compagnie jusqu’à la fin du mois, mais que s’ils étaient occupés à faire leurs bagages, ils n’y seraient pas tenus. Toutefois, ce serait pour eux l’occasion de gagner quelques revenus supplémentaires. Ils toucheraient leur salaire

> - 10 jusqu’à la fin du mois. Le lendemain, M. May a demandé à M. Rinn d’effectuer un vol de recherche, quelques Inuits étant perdus sur la terre, près de Eskimo Point. M. Rinn et M. Russell ont fait ledit vol avec la G. R. C. Un ou deux jours plus tard, M. White a demandé à M. Rinn de voler sur le Tradewind et celui- ci a refusé. M. White a dit: nous avons besoin de quelqu’un et M. Rinn lui a répondu vous n’aurez pas besoin de moi dans deux semaines, vous n’avez donc pas besoin de moi maintenant (p. 68). M. White est parti et est revenu plus tard en disant qu’il lui paierait un salaire de commandant de bord pour participer à un vol EVASAN en qualité de copilote. Il a de nouveau refusé. A ce moment- là, M. Smith était à Winnipeg avec le Westwind. Les Services médicaux ont comme politique que dans les cas d’évacuation sanitaire, il faut deux pilotes au moins. S’ils savent qu’une compagnie d’aviation ne les a pas, ils font appel à une autre.

M. May a quitté Rankin Inlet, le 13 décembre 1983 ou vers cette date. Le 14 ou le 15 décembre, M. Rinn est allé à l’étage du duplex et a remarqué certains documents. Il a déclaré:

(traduction)

"... il y avait quelques curriculum vitae de pilotes. Ils ont attiré mon attention parce que je venais juste d’être mis à pied et j’ai trouvé louche que quelqu’un les épluche alors qu’il y avait pénurie de travail.... Ils étaient répartis en trois piles. Sur chacune, une vignette adhésive jaune était collée. Sur l’une, on avait marqué oui, sur une autre non et sur la troisième possible. Et dans la pile marquée oui, on avait tracé un cercle autour de l’état matrimonial des postulants; or, ils étaient tous célibataires. Le nombre d’heures de vol était également marqué d’un cercle sur la formule de demande." (Pages 70 et 71)

> - 11 A ce moment- là, M. Russell et M. White logeaient à l’étage du duplex. Ni l’un ni l’autre n’étaient présents quand M. Rinn a examiné les documents.

Le 16 janvier 1984, M. Rinn a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (Pièce 3).

Au cours d’un contre- interrogatoire, l’avocat de Keewatin Air a établi qu’en décembre 1983, quand M. Rinn a vu les trois piles de curriculum

vitae, il n’a pas regardé ceux qui se trouvaient dans les piles marquées non et possible. Il a vu le dessus de chacune d’elles sur lequel une vignette était collée avec le mot non ou possible. Il a seulement regardé la première page des six à dix curriculum qui se trouvaient dans la pile marquée oui. Il a déclaré ne pas en avoir parlé a M. White ni à M. May ni à Mme Saxby, mais peut- être à M. Jim Smith.

Pendant le contre- interrogatoire, l’avocat a insinué à M. Rinn qu’après avoir pris part à la recherche avec la G. R. C., en décembre 1983, il avait abandonné l’avion sans verrouiller les commandes, sans couvrir le moteur avec sa bâche, sans bloquer les hélices et sans même brancher le chauffe- bloc. Il a insinué la même chose a M. Russell. Les deux l’ont nié. Keewatin Air n’a présenté aucune preuve à l’appui de cette grave allégation.

KENNETH RUSSELL

M. Russell a 29 ans et est employé par Air Canada comme second officier. Quand, en novembre 1981, il a commencé à travailler pour Keewatin Air, il avait à son actif environ 1 900 heures de vol et était titulaire d’une licence de pilote professionnel de première classe. En février 1982, il a

> - 12 demandé et obtenu sa licence de pilote de ligne. Il était célibataire quand il a été engagé. A ce moment- là, Keewatin Air louait une maison pour son personnel à la Commission de l’énergie du Nord canadien. Le duplex était alors en construction. Il a emménagé à l’étage quand le logement a été prêt. M. Russell s’est fiancé en ao t 1982. Sa fiancée a obtenu un poste de professeur à l’école de Rankin Inlet et a habité avec lui à l’étage du duplex. Pendant l’été 1982, l’entrepreneur électricien et son aide sont venus à Rankin Inlet et ont logé au dit étage où les Russell se trouvaient déjà. Il y a eu aussi d’autres visiteurs. Parfois, Mme Rinn leur faisait la cuisine; parfois, c’était Mme Russell. M. Russell nous a dit:

(traduction)

".. après le départ des visiteurs, ma femme et moi finissions toujours par nettoyer la salle de bain et changer les draps des lits. Elle faisait la lessive et le nettoyage nécessaires. Donc, en fait, c’était nous qui faisions le travail avec très peu d’aide de la part des autres employés." (page 213).

Les Russell se sont mariés, le 13 ao t 1983, et ont quitté Rankin Inlet pendant deux semaines. En octobre 1983, la Compagnie a engagé M. White comme pilote. Autant que M. Russell le sache, il était célibataire. Il habitait à l’étage du duplex avec les Russell et occupait l’une des chambres à coucher. M. Russell nous a informés que, de temps en temps, des entrepreneurs venaient du Sud. Ils logeaient principalement à l’étage du duplex. Ils s’annonçaient peu de temps avant leur arrivée jamais plus d’une semaine, je ne pense pas. (page 227). Pendant l’été et l’automne 1983, ils sont venus:

(traduction)

"très régulièrement. A un certain moment, nous avons eu six personnes ici: deux dans une chambre à coucher, trois dans la chambre pourvue de couchettes où on avait ajouté un matelas sur le sol. Trois types y

>-

- 13 étaient entassés et M. May prenait le canapé. C’était ininterrompu, car deux hommes installaient le revêtement de la maison et les autres ouvriers travaillaient assez lentement. Ils étaient là pour longtemps et, à ce moment- là, il a aussi eu des préposés à l’entretien des avions qui allaient et venaient." (page 227)

Pendant cette période, comme plus tôt:

(traduction)

"il y a eu un va- et- vient. Nous lavions les draps, nous en mettions des propres dans les lits et nous passions l’aspirateur, quand c’était nécessaire. L’endroit était toujours très propre. Une seule fois, quand nous étions si nombreux, nous avons été forcés de fermer la porte de la chambre à coucher, d’ouvrir la sortie arrière pendant deux jours pour changer l’air, à cause de l’odeur qui y régnait." (page 228).

Il a dit que M. May venait à Rankin Inlet, selon les besoins. Il allait n’importe où et restait, de trois jours à une semaine. Cela arrivait peut- être une fois par mois. Il logeait aussi à l’étage du duplex. Quand son avocat a demandé à M. Russell quels effets les allées et venues des personnes de passage avaient sur lui et sur sa femme, il a répondu:

(traduction)

"aucun effet sur nos relations, rien de ce genre. Pour nous, cette zone d’incertitude sur la part de responsabilités qui nous incombait à l’égard de ces gens- là constituait le principal problème. Étions- nous censés nous en occuper? En vérité, ils ne prenaient guère soin d’eux- mêmes.

> - 14 Il nous semblait aussi un peu injuste qu’ils logent tous avec nous, plutôt que (ce qui, selon moi, aurait été très faisable) de partager un peu le fardeau avec les occupants du logement d’en bas ou de l’autre maison. Au moment où nous étions si nombreux, un jour où nous étions sortis, Linda a apporté un matelas, l’a juste mis dans l’autre chambre en disant: c’est là- dessus que le prochain type couchera parce que nous en avons assez. Ils ne voulaient plus héberger des gens, ils l’avaient fait assez longtemps!. J’ai seulement trouvé que c’était un peu injuste." (p. 228 et 229)

M. Russell a déclaré qu’une ou deux fois, il a abordé le sujet avec M. May.

(traduction)

"Je répète que je considérais qu’il y avait là un problème et je voulais savoir s’il y avait quelque chose à faire; c’est tout. Je n’ai guère obtenu de réponse. Je lui ai demandé s’il pouvait trouver une solution et, en gros, il m’a répondu: ne pourriez- vous pas obtenir un logement du gouvernement puisque Jane est professeur? Ne pourriez- vous pas déménager?" (page 229).

M. Russell a dit que lorsque sa femme, Jane, a été engagée, on l’a avisée qu’il n’y aurait pas de logement disponible pour elle et elle a

répondu que c’était sans importance parce que nous avions fait un arrangement satisfaisant avec Keewatin Air. Quand ce problème a surgi, lui et sa femme se sont informés de nouveau, et on leur a répété qu’il n’y avait aucun logement à leur offrir.

> - 15 Le 12 décembre 1983, M. Russell a reçu de M. May, un avis de cessation d’emploi identique à celui remis a M. Rinn (Pièce C- 21). Il a dit qu’il en a été très surpris. Il se rappelle que M. Rinn a demandé quelle serait la date de rappel et que M. May a répondu: il n’y en aura aucune. M. Russell a déclaré n’avoir jamais reçu aucune plainte concernant son travail de pilote et il a produit des lettres de référence (Pièces C- 23 et C- 24). L’avocat de Keewatin Air a reconnu au nom de son client (traduction) que M. Russell a toujours été un excellent pilote pendant tout le temps où la Compagnie l’a employé. (page 233). A ce moment- là, M. Russell n’était pas au courant de la présence des curriculum vitae, à l’étage du duplex. Le lendemain de son licenciement, on lui a demandé, comme à M. Rinn, d’effectuer un vol de recherche pour la G. R. C. Il y a pris part. Après avoir parlé a Linda Smith et l’avoir informée qu’il était mis a pied ou licencié, il lui a dit: (traduction) nous sommes libres d’accepter ou non de voler. Veuillez donc ne pas m’appeler au milieu de la nuit pour une évacuation sanitaire. (p. 236). Comme je l’ai déjà dit, il a nié avoir négligé l’avion après la recherche avec la G. R. C.

ANDREW GRANT

M. Andrew Grant est employé comme pilote par Air Ontario. Il ressort des dossiers de Keewatin Air qu’il a travaillé pour elle en qualité de copilote, du 1er février au 1er mai 1984, date à laquelle il en est parti (Pièce P- 3). Selon ses dires, au début de la première semaine de janvier 1984, il a reçu un appel téléphonique d’un certain Wes White, qui s’est présenté comme le chef pilote de Keewatin Air et lui a dit qu’il était à la recherche de pilotes et entrait en rapport avec ceux qui avaient présenté leur curriculum vitae à la Compagnie. Environ un an avant, M. Grant lui avait envoyé le sien, sans y être invité. D’après lui, M. White voulait savoir ce

> - 16 qu’il faisait actuellement et s’il pourrait se libérer facilement pour entrer au service de sa compagnie. M. White a précisé qu’il cherchait un pilote ayant à son actif entre 1 200 et 1 500 heures de vol. M. Grant lui a répondu qu’il avait une qualification de vol aux instruments pour avion multimoteur, qui était sur le point d’expirer. Il a demandé des renseignements sur la Compagnie, en particulier le lieu de son Bureau central et ses rapports avec Winnipeg (si elle en avait). La réponse à cette question l’intéressait parce qu’il avait une amie dans cette ville. Il nous a déclaré:

(traduction)

" J’ai dit que ce serait vraiment commode pour moi si nous y venions avec l’avion parce que je pourrais rendre visite à mon amie.

Je suppose que ce n’était pas la chose à dire au téléphone, car on m’a immédiatement demandé: ’vous ne pensez pas à vous marier,

n’est- ce pas? Parce que nous cherchons des pilotes célibataires! ’ J’y pensais, mais j’ai dit que non parce que je tenais à l’emploi. Cela a été tout et après nous avons parlé d’une date d’entrevue et du temps minimum qu’il me faudrait pour venir." (C’est moi qui souligne). (page 182).

L’entrevue a eu lieu, le 6 janvier 1984, au Bureau central de la Compagnie à Winnipeg. M. May et M. White ont interrogé M. Grant. Celui- ci nous a dit que l’entretien avait porté sur ses titres de compétence et sur ses perspectives de carrière. Pour sa part, il cherchait un bon poste. Il voulait acquérir de l’expérience et ne pas avoir à changer tout le temps de place. Il a ajouté:

> - 17 (traduction)

" Nous avons discuté du renouvellement de ma qualification de vol aux instruments, qu’il me fallait obtenir rapidement parce qu’ils avaient besoin d’un pilote, immédiatement. Ils .... en cherchaient un pour tout de suite. Je suppose qu’ils devaient en manquer. Je ne sais pas... Quant au sujet de mon état matrimonial, de mon amie et de mon logement à Winnipeg, je me rappelle qu’il avait été discuté au téléphone, auparavant, et que c’était en ma faveur d’avoir un endroit où rester à Winnipeg, car ils n’auraient pas ainsi besoin de me loger quand je m’y trouverais ... Au moment de l’entrevue, cette question n’a pas été traitée en détail. Tout ce qui a été dit, c’est que j’étais célibataire et qu’ils cherchaient des pilotes célibataires parce que, dans le passé, cela n’avait pas bien marché avec des pilotes mariés." (C’est moi qui souligne) (Page 184).

On a dit à M. Grant qu’il serait logé dans le duplex. Il a été engagé à un salaire mensuel régulier de 1 200 $, qui était légèrement inférieur à celui qu’il gagnait a Big Trout Air Services. Il nous a dit que pendant que M. White était à Rankin Inlet, il n’avait avec lui aucune personne à charge. Pendant cette période, la Compagnie a engagé trois autres pilotes qui n’en avaient pas non plus.

Pour prendre ses fonctions à Rankin Inlet, M. Grant est parti dans un avion que M. White pilotait. Il nous a dit qu’après une heure en sa compagnie, il avait compris clairement qu’il remplaçait quelqu’un. Selon lui, M. White l’a averti de la réception qu’il risquait de recevoir à Rankin Inlet:

> - 18 (traduction)

"que je ne serais probablement pas le bienvenu; qu’il y avait là- bas un tas de micmacs; que c’est une petite localité où les gens savent tout ce qui se passe et sont au courant des affaires de tout le monde; qu’il y a eu des difficultés avec deux pilotes mariés qu’on na préféré s’en débarrasser et engager des types célibataires à cause du logement, des difficultés de logement.

Vous savez, j’étais censé ne pas faire attention à tout ce qu’on m’a dit au sujet de Wes White lui- même, et de toute autre chose du même genre, j’étais simplement censé ne pas en tenir compte." (page 195).

(C’est moi qui souligne). M. Grant nous a aussi dit qu’au cours des premières semaines de son emploi, M. May est arrivé de Winnipeg. Comme dans l’intervalle il s’était fiancé, il lui a demandé:

(traduction)

"ma fiancée pourra- t- elle venir me voir prochainement? Et il m’a répondu affirmativement. On m’a aussi dit, à ce moment- là, en termes des plus clairs, que je ne devais même penser a me marier tant je serais employé par Keewatin Air parce qu’il y avait eu des difficultés dans le passé et que la Compagnie ne pouvait pas loger un pilote marié. (p. 193) (C’est moi qui souligne).

> - 19 Au cours d’un contre- interrogatoire, M. Grant a déclaré que ses rapports avec M. White ont commencé à se détériorer, au cours des deux dernières semaines de son emploi. Selon lui, on ne lui a fait part d’aucun mécontentement pour ses services. A un certain moment, sa fiancée est venue le voir à Rankin Inlet et a été logée dans la maison du personnel pendant deux semaines. Elle a aimé les conditions de vie dans cette localité. M. Grant a reconnu que M. May lui a dit qu’elle pouvait prendre l’avion de la Compagnie et séjourner dans la maison du personnel.

L’avocat de Keewatin Air a insinué à M. Grant que, lors de l’entrevue, M. May lui a dit qu’il ne pourrait pas donner à sa fiancée une chambre séparée si elle décidait de vivre à Rankin. Il l’a nié. L’avocat lui a aussi déclaré:

(traduction)

"M. May vous a dit exactement en ces termes: ’ne demandez même pas si vous pourrez louer une autre chambre. Nous en aurons besoin. ’"

M. Grant l’a également nié. L’avocat a alors affirmé:

(traduction)

"Je crois comprendre qu’il vous a dit qu’il y a déjà eu ici des difficultés avec Jane Russell: un malentendu manifeste sur le fait que le duplex est une maison du personnel et non pas un logement privé." (page 202).

> - 20 M. Grant a répondu qu’il ne se rappelle pas que M. May ait jamais mentionné le nom de Mme Russell. Aucune des parties n’a présenté une preuve relative à une quelconque confrontation entre M. May et Mme Russell ou Mme Rinn à propos du logement. Il a aussi nié qu’il a quitté son emploi en provision d’un congédiement. Il a dit:

(traduction)

" non, non, je n’ai pas compris cela. Non, j’ai entendu quelque chose au sujet d’une seconde chance, mais je n’ai pas réellement pensé que j’en avais besoin d’une. Je savais ce que j’avais besoin de faire." (page 205).

M. Grant a aussi nié, quand l’avocat de Keewatin Air lui a insinué:

(traduction)

"vous ne vous rappelez pas avoir dit à M. May qu’en raison des croyances religieuses de votre amie ... vous n’aviez pas l’intention de cohabiter avant le mariage?" (page 206).

JUDY SAXBY

Je récapitule maintenant la preuve sur la responsabilité qui a été présentée au nom de la Compagnie. Mme Saxby a produit et examine pour nous un certain nombre de ses documents financiers. Elle a dit, entre autres:

(traduction)

" En 1983, la situation financière de la Compagnie nous a causé de sérieuses inquiétudes, spécialement quand l’année tirait à sa fin." (page 311).

> - 21 Il y a eu plusieurs grosses dépenses de trésorerie inattendues, notamment la mise en service de l’avion Westwind. Le co t a été plus du triple de ce qui était prévu. Elle a ajouté que certaines des recettes sur lesquelles la Compagnie comptait ne se sont pas matérialisées. Elle a dit:

(traduction)

"Basiquement, la compagnie a franchi un pas gigantesque en passant à l’aviation à turbine. Les co ts des avions turbomoteurs sont considérables, infiniment plus élevés que ceux des avions à piston, spécialement pour les moteurs." (page 311).

Nous étions à la limite de nos possibilités avec la banque et jusqu’alors, chaque fois que nous avions eu des difficultés, nous avions pu obtenir des fonds en nous adressant aux parents de Bob mais, à ce moment- là, nous avions dépassé ce stade, et de loin.

Les recettes n’entraient pas, je crois que je l’ai déjà dit. Les co ts augmentaient et, vers la fin de l’année, les bénéfices de la Compagnie avaient dramatiquement baissé par rapport à ce qu’ils étaient auparavant. Bien franchement, nous avions peur, très peur." (page 312).

Mme Saxby nous a dit qu’en décembre 1983, son mari est allé à Pelly Bay et à Spence Bay pour voir quelles possibilités il y avait pour l’aviation, de faire des affaires pendant les prochains mois. (traduction) Nous cherchions désespérément assez de travail pour garder la Compagnie en état de marche. Tout se ramène à cela. (page 315).

> - 22 A propos des états financiers de la Compagnie (Pièce R- 5), Mme Saxby a dit qu’elle faisait des bénéfices, mais très faibles par rapport à ceux de l’année précédente. L’inquiétude s’est accrue parce qu’en 1983, elle a adopté une approche du marché tout à fait différente. Elle s’est mise à utiliser des avions turbomoteurs qui sont beaucoup plus chers à entretenir que les avions à piston. Le remplacement d’un turbomoteur co te de 80 000 à

120 000 $, tandis que celui d’un moteur à piston en co te environ 8 000. Quand les états financiers du 30 novembre ont été établis, la Compagnie avait des problèmes de moteurs. (traduction) Nous regardions l’hiver venir, nous n’avions aucune raison de penser qu’il y aurait davantage de vols en janvier, en février et en mars 1984 que nous en avions eus en 1983, c’est- à- dire un nombre d’heures minimal. (page 350).

Au cours d’un contre- interrogatoire, Mme Saxby a aussi reconnu que lors d’un entretien avec l’enquêteur de la Commission canadienne des droits de la personne, la discussion a porté sur les cercles qui avaient été tracés ou non sur certains curriculum vitae. Elle a dit à l’enquêteur que, dans un cas au moins, elle a encerclé les mots état matrimonial sur une formule de demanda d’emploi parce qu’elle se rappelle que la personne lui a menti à ce sujet. Elle a donné comme explication qu’en l’occurence, elle a agi ainsi parce que le candidat s’est montré malhonnête.

FRANK ROBERT MAY

M. May a donné des détails sur l’évolution financière de la Compagnie, en 1982 et en 1983. Il nous a dit qu’en 1982, elle a acheté l’avion Westwind. L’acte de vente est daté du 9 décembre 1982 (Pièce R- 8) et le prix est 124 000 dollars canadiens. Elle l’a acheté au meilleur prix à

> - 23 l’administrateur judiciaire d’une compagnie d’aviation, qui avait des ennuis financiers.

(traduction)

".... Il ressortait manifestent de ses registres d’entretien qu’elle l’avait plutôt négligé sur ce point. Il était donc délabré, je pense que c’est peut- être la meilleure façon de le décrire.

Mais il était possible de le rajeunir et nous l’avons donc acheté." (Page 366).

Le Westwind n’a pas été mis en service avant ao t 1983. La Compagnie a préféré y apporter quelques modifications, sa cabine étant petite et basse. Elle a passé un contrat avec un atelier de Cleveland pour ôter le toit de l’avion et surélever toute la cabine d’environ 10 pouces, afin d’augmenter sa capacité de fret. Elle voulait aussi le repeindre et faire installer un autre système de chauffage et une autre quille. Des problèmes imprévus ont surgi:

(traduction)

"Quand nous avons soulevé le plancher du fret, nous nous sommes aperçus que l’avion avait été positivement massacré par le système de chauffage qu’on y avait mis. Et il exigeait .... nous étions très en retard quand nous avons commencé parce qu’il nous a fallu reconstruire tout le plancher de l’avion. Nous avons d faire venir un ingénieur aéronautique pour le redessiner (page 370).

> - 24 -

M. May a d’abord été chef pilote de la Compagnie. Lorsqu’elle a étendu ses opérations, il a préféré engager quelqu’un pour ce poste plutôt que de remplir des fonctions pour lesquelles il se jugeait moins apte. En ce qui concerne les difficultés éprouvées par M. Rinn dans son travail, il a admis que le programme de formation de la Compagnie était spécial et insuffisant.

M. May nous a dit que M. White s’est marié et que sa femme est arrivée à Rankin Inlet, en ao t 1984. Il a dépeint la situation financière de la Compagnie comme presque désespérée (page 377). Selon lui, le co t d’entretien du Beech 18 de M. Jim Smith était astronomique et, au printemps 1983, il a fallu amener le Tradewind à Hamilton Aviation qui se trouve à Tuscon. La Compagnie voulait perfectionner les moteurs en remplaçant les vieux modèles du PT6 par un modèle un peu plus moderne, et changer le système de prise d’air. Le travail aurait d être fait en trois semaines, mais il a pris plus de deux mois. Il y a eu une sérieuse interruption des recettes.

(traduction) Nous nous étions lancés dans un programme de construction plutôt ambitieux pour essayer d’améliorer notre équipement. Dans tous les cas, les co ts ont dépassé les prévisions. Nous avons eu des moments très difficiles avec notre banque. J’ai entendu votre examen des états financiers et je pense que ceux- ci ont tendance à minimiser la panique que nous ressentions. (Page 378).

A mesure que l’année s’écoulait, la situation se détériorait. (pages 378 et 379).

> - 25 Vers la fin de 1983, le transport du fret destiné a la Baie a diminué. (traduction) Je savais au jour le jour ce que nous faisions, c’est- à- dire que je restais constamment en contact avec notre base. Je savais quelles étaient les recettes. Elles n’étaient vraiment pas suffisantes pour un avion, et encore moins pour deux. (page 379).

C’est seulement vers la mi- novembre 1983 que la Compagnie a envisagé de procéder à des mises a pied.

(traduction) Nous comptions régler le problème, non pas nous retirer des affaires juste à ce moment- là. Nous cherchions solutions et, tandis que j’étais là- bas pour trouve une, BLI, le Westwind, est rentré d’un vol avec un moteur qui avait .... une hélice était incontrôlable, elle était raide. J’ai appelé l’ingénieur de Winnipeg avec qui nous avons un contrat. Il est venu immédiatement et a confirmé mes soupçons que le problème était sérieux....... de toute évidence, le filtre à huile, était plein de métal et il était non moins évident qu’il y avait des avaries internes." (page 379).

"..... En présence de ce genre de problème, vous devez voir s’il y a du métal et s’il y en a, automatiquement, l’avion est retenu au sol pour un examen complémentaire." (page 380).

>-

- 26 L’ingénieur qui est venu à Rankin Inlet a (lit qu’il fallait enlever le moteur et en mettre un autre, mais que l’avion ne pourrait pas voler. Ledit moteur avait été auparavant révisé à Dallas par la firme Aviall. M. May lui a téléphoné et lui a dit que son moteur commençait a faire du M métal. Elle lui a répondu qu’il fallait le lui amener et qu’elle le réviserait. M. May lui a demandé une garantie pour couvrir le travail. Aviall lui a loué un moteur, dont le prix de détail est 85 000 dollars américains. M. May lui a expédié le moteur défectueux. Après l’avoir examiné, elle a refusé de donner une garantie en prétendant qu’à un certain moment, le moteur a été mal entreposé parce que le palier de l’arbre hélice était rouillé, ce qui a probablement causé la panne. Elle a donné un prix estimatif de 90 000 dollars américains pour réparer le moteur. Pendant que Keewatin Air cherchait des solutions, elle a continué à payer à Aviall des frais horaires de location de 25 $, plus 2 000 $ par mois.

En décembre, M. May est allé avec M. Rinn et M. Russell à Pelley Bay et à Spence Bay pour tenter de trouver de nouvelles affaires. C’est a peu près à ce moment- là que Mme Saxby lui a communiqué les statistiques financières de novembre et il a conclu que la Compagnie était dans le pétrin. Il a alors décidé qu’elle devrait commencer a mettre à pied du personnel. Il a donc fait préparer à Winnipeg les Pièces C- 12 et C- 21 qui lui ont été envoyées par avion, alors qu’il se trouvait a Rankin Inlet. Au sujet de la réunion qu’il a eue avec M. Rinn et M. Russell, M. May a déclaré:

> - 27 ( traduction)

"Je leur ai juste dit (ce qu’ils savaient déjà) que les revenus ont baissé, que j’ai cherché une solution et n’ai pas pu en trouver et que, malheureusement, il me faut me séparer deux ... Je leur ai assuré qu’ils seraient payés jusqu’à la fin du mois, même si les recettes allaient être très limitées parce qu’au moment de Noël, nos affaires ici sont traditionnellement très ralenties du fait que les employés du gouvernement sont en vacances ou ne se rendent pas dans les localités, de peur de s’y trouver des bloqués pour Noël. C’est donc une période très calme..... Ed a demandé quand ils devraient partir et j’ai répondu que cela ne présentait aucune urgence. Il a dit que Jocelyn (c’est sa femme) a un emploi à terme avec le gouvernement .... J’ai répondu très bien, rien ne presse, vous pouvez rester jusqu’à ce qu’elle ait terminé, vous êtes les bienvenue ici.

Pour ce qui est de Ken, je ne lui ai pas dit qu’il était urgent de partir, mais la situation était un peu différent parce qu’il m’avait informé que lui et sa femme allaient prendre des vacances et qu’ils ne reviendraient pas. Je ne lui ai donc pas offert de rester après..... Je ne lui ai pas dit de partir; j’ai juste pensé, par correction, qu’il préférerait trouver un autre logement pour sa femme." (pages 386 et 387).

Maintenant, je me souviens qu’Ed m’a demandé si cette cessation d’emploi était permanente et je lui ai dit: oui, dans votre cas, vous pouvez considérer qu’elle l’est. (page 388).

>-

- 28 M. May a déclaré:

(traduction)

"Nous n’avions vraiment pas beaucoup de chances d’obtenir des affaires en 1984 et, vu notre état d’esprit, nous cherchions à réduire nos dépenses au minimum et à tenir le coup, si vous voulez." (page 392).

Il a dit qu’il a décidé d’engager un pilote pour le poste de copilote. Il a pensé qu’il pourrait en trouver un jeune qui accepterait un salaire fixe et moindre, dans l’espoir d’acquérir de l’expérience sur un multimoteur à turbine. A peu près au même moment, la compagnie s’est trouvée avec le Tradewind hors de service pendant un certain temps. Il avait besoin d’une inspection des câbles aériens, ce qui comporte le démontage d’une aile.

M. May nous a dit qu’il ne sait rien à propos des curriculum vitae que M. Rinn prétend avoir vus sur une table, à l’étage du duplex. Il en a entendu parler pour la première fois quand M. Rinn a mentionné dans son témoignage les cercles qui étaient tracés sur certaines parties. A aucun moment, il n’a donné de telles instructions à un employé de la Compagnie.

Au sujet de l’engagement de M. Grant, M. May nous a dit:

(traduction)

"Je me rappelle avoir parlé, vers la fin de décembre, à Wes White. Il était préoccupé parce que nous avions réellement besoin d’un copilote. Je lui ai dit: très bien, vous êtes le chef pilote, trouvez quelqu’un.

> - 29 Et il m’a téléphoné .... je pense que c’est au début de la nouvelle année, et il m’a dit qu’il s’est entendu avec Andrew Grant pour qu’il nous rencontre à Winnipeg et qu’il aimerait que j’assiste à l’entrevue, ce que j’ai fait (page 398 et 399).

M. May a nié avoir donné comme instructions à M. White d’aviser les candidats éventuels que Keewatin Air préféré les pilotes célibataires. Sa réponse a été: (traduction) oh, c’est stupide. C’est impossible, je ne lui ai certainement jamais dit cela. (page 399). Il a ajouté qu’il a écouté le témoignage de M. Grant et qu’il a été étonné d’entendre ce que M. White lui a dit, au cours de la conversation téléphonique initiale.

M. May se rappelle l’entrevue de M. Grant. Quand on lui a demandé si rien n’a été dit au sujet de l’état matrimonial, il a répondu:

(traduction)

"eh bien, Andrew nous a dit qu’il a une amie dans la ville et qu’il est réellement impatient de travailler dans le Nord, et il a demandé quand il pourrait descendre jusqu’à Winnipeg, à quelle fréquence il viendrait pour l’entretien des avions, ce genre de choses. Et je pense que pendant la conversation, je n’étais vraiment intéressé que par un seul point: le taux mensuel fixe de 1 200 $, que nous avions retenu.

Nous n’avions pas, je n’avais simplement pas idée si, à ce moment- là, c’était un salaire raisonnable pour notre industrie et je lui ai demandé s’il lui suffirait. J’ai dit: comprenez (parce que cela nous préoccupe réellement) que nous sommes en train de faire des mais nous voulons aussi être justes!.. Avez- vous l’intention de

> - 30 marier ou quelque chose du genre? Et, si oui, aurez- vous assez? Il répondu: non, je ne projette pas de me marier et je suis s r que cela conviendra parfaitement." (pages 399 et 400).

M. May a répondu aux allégations de M. Grant relatives à leur conversation a Rankin Inlet. Il a dit qu’il se la rappelle très bien et qu’il n’a certainement jamais prétendu que M. Grant ne devrait même pas penser à se marier tant qu’il serait employé par Keewatin Air. Il a décrit cette conversation de la façon suivante:

(traduction)

"Il (Andrew) m’a longuement parlé de son amie et il m’avait déjà dit, en une autre occasion, que la mère de celle- ci une catholique dévote et qu’ils s’abstenaient .... ils n’avaient pas de relations sexuelles (c’est ce qu’il m’a dit). De toute évidence, il tenait à m’en parler.

Puis, il m’a dit que sa carrière passe en premier et qu’il ne pourrait absolument pas se marier avant deux ans, ce qui était pénible. Je ne sais vraiment pas pourquoi il me racontait tout cela, mais je pense que c’est seulement parce qu’il se sentait seul et voulait se confier à quelqu’un." (page 400).

Alors que, là- bas, j’étais en train de lui parler de quelque chose d’autre, il m’a dit qu’il aimerait que son amie vienne le voir à Rankin et m’a demandé si j’étais d’accord. Je lui ai répondu: bien s r, et il m’a alors dit qu’elle... enfin, qu’il se demandait si elle ne pourrait pas trouver un emploi, ici. J’ai répondu: oui, je pense

> - 31 qu’elle le pourrait probablement, car il m’avait expliqué, une autre fois, qu’elle occupait un poste comportant des responsabilités dans une firme à Winnipeg. Je ne pense pas que cela a de l’importance, mais, de toutes façons, elle avait une certaine formation dans plusieurs secteurs et on manque toujours de ce genre de gens à Rankin Inlet.... Mais, j’ai dit: le problème, Andrew, c’est que la plupart des postes qui sont maintenant disponibles, ici, sont à terme et qu’en général, on ne fournit pas de logement pour ce genre de postes à des personnes autres que des Inuits. Vous savez, il y a un programme que je comprends, qui donne la préférence à la population locale.

J’ai vu son regard s’éclairer parce que c’était évidemment un problème et j’ai dit Andrew, ne me demandez même pas si vous pouvez louer une chambre pour votre amie parce que j’en aurai probablement besoin prochainement pour un autre pilote et nous en aurons encore besoin pour un autre. Il a répondu: ah oui, je comprends. (pages 401 et 402).

M. May a parlé d’autres employés de la Compagnie qui, en 1984, avaient des personnes à charge avec eux. Il a confirmé qu’engager et congédier le personnel font partie du travail du chef pilote. Il a engagé M. White dans le dessein de le promouvoir au poste de chef pilote. Il a reconnu qu’effectivement: (traduction) il n’a été confirmé officiellement dans ces fonctions que plus tard, mais qu’il les remplissait avant. (page 424). La date officielle se situe aux alentours du 15 décembre.

En réponse à des questions posées par le tribunal, M. May a dit qu’il était préoccupé par le manque d’intérêt manifesté par M. Rinn:

> - 32 (traduction)

"il semblait avoir un peu de difficulté à prendre contact avec le sol et cela m’ennuyait. Peut- être simplement pas capable de manier les vitesses.

C’était d’ordre général .... Son esprit était ailleurs." (page 457).

A propos des témoignages de M. Rinn et de M. Russell sur les visiteurs qui logeaient dans le duplex, M. May a déclaré:

(traduction)

"J’ai tout écouté! On dépeint le duplex comme une sorte de hall d’hôtel. Je pense que la période où c’est réellement arrivé (c’est- à- dire où il y a eu autant de gens) n’a probablement pas duré plus de cinq ou six jours, selon moi .... mais ce n’était pas aussi mal que çà a l’air, vous savez, c’était parfois un peu incommode, je l’admets." (pages 460 et 461).

M. May n’a pas pu se rappeler si M. Russell a soulevé devant lui la question de l’injustice relative de la situation. Il a dit:

(traduction)

"je me rappelle que nous en avons parlé de façon générale, par moments, et je me suis vraiment rendu compte que, parfois, quand on amenait une personne complètement inconnue, c’était un peu difficile. Mais, chacun faisait de son mieux pour s’adapter aux circonstances et tous comprenaient pourquoi ils devaient le faire." (page 461).

> - 33 J’ai interrogé de près M. May sur la pureté de sa décision de ne pas offrir l’emploi de copilote à M. Russell. Je commenterai cette partie de la preuve ultérieurement.

Au cours de l’interrogatoire principal et du contre- interrogatoire, Mme Saxby et M. May ont été longuement interrogés sur la situation financière de la Compagnie, en particulier vers la fin de 1983. Les questions ont porté sur son revirement de fortune en 1984, mais j’ai décidé de ne pas donner de poids a cette partie de la preuve, car elle aurait trop d’effet sur le résultat, en y réfléchissant après coup, ce que M. May ne pouvait pas faire, en décembre 1983. Disons simplement pour l’instant que la Pièce R- 5 et la Pièce C- 5 peuvent être utilisées pour brosser un tableau

pessimiste de la situation de la Compagnie ou bien pour en brosser un moins pessimiste et qui donne quelques raisons d’espérer pour l’avenir. M. May et Mme Saxby ont adopté le point de vue pessimiste. Toutefois, il convient de se rappeler que c’était eux qui prenaient les décisions et payaient les factures.

WES WHITE

Dans la présente décision et au cours de la preuve, on a beaucoup parlé de certains événements relatifs à des actes et à des propos attribués à M. Wes White. Or, il n’a pas été appelé a témoigner a l’audience. Comme il est la personne qui aurait pu éclaircir ceux qui sont contestés dans le présent cas, j’ai examiné s’il conviendrait ou non de tirer une conclusion défavorable à l’une ou à l’autre des parties (en particulier, au mis en cause) pour ne pas l’avoir appelé comme témoin, afin qu’il nie ou explique les éléments de la preuve qui se rapportent à lui. Je me suis remis en mémoire les précédents qui indiquent quand il pourrait être pertinent de le faire. J’ai conclu que:

> - 34 étant donné que le mis en cause n’emploie plus M. White, qu’un témoin n’appartient à personne, que les plaignants ont bénéficié d’une enquête menée par la Commission des droits de la personone et que les plaignants ont cité comme témoin M. Andrew Grant, qui est aussi un ancien employé de la Compagnie, je ne dois tirer aucune conclusion contre l’une ou l’autre des parties du fait qu’elles n’ont pas appelé M. White à témoigner.

CONCLUSIONS

L’avocat du mis en cause adopte comme position qu’en l’espèce, il n’y a aucune question de droit à trancher; le règlement du cas doit dépendre de conclusions de fait. Il conteste, pour divers motifs, la crédibilité des témoins appelés par les plaignants. Il a allégué dans sa plaidoirie et dans son contre- interrogatoire que celle de M. Rinn est amoindrie parce que, dans son témoignage oral, il n’a pas relaté avec exactitude ses antécédents de vol tels qu’ils figurent dans la Pièce R- 1. Il souligne que quand M. Rinn a fourni, le 15 juin 1982, un certificat relatif aux accidents ayant entraîné des blessures ou des dommages de plus de 100 $ (Pièce R- 1), il a omis de révéler ceux qu’en décembre 1979, il a causé à un Cessna 185 par suite d’un atterrissage difficile sur la glace, dommages qui se sont élevés à 3 000 $. L’avocat du mis en cause a aussi critiqué M. Rinn pour la manière dont il a rapporté des dépenses dans ses déclarations d’impôt sur le revenu. Par exemple, dans celle de 1982 (Pièce C- 15), il a écrit comme dépense, des frais de scolarité de 567,90 $, alors que la Compagnie lui a remboursé 354 $ de ce poste. Malgré les faits que l’avocat mentionne, j’estime que M. Rinn est un témoin véridique qui a fait tout son possible pour se montrer exact et juste dans sa déposition. Il y a eu plusieurs incidents qu’il aurait pu, comme M. Russell, enjoliver et il s’en est abstenu. En outre, pour plusieurs points

> - 35 de son témoignage, parce qu’il craignait de ne pas avoir donné une complète, M. Rinn est revenu sur le sujet, subséquemment, afin que le tribunal soit bien au courant de tous les faits. Voir, par exemple, la

page 130, la page 142 et les pages 177 à 179. Il a agi ainsi, bien que les renseignements qu’il voulait fournir soient susceptibles plus tard de montrer ses capacités de pilote sous un jour moins favorable.

J’estime aussi que M. Russell est un témoin fiable et qu’il a fait de son mieux pour décrire avec exactitude les évènements discutés.

L’avocat du mis en cause a aussi contesté la crédibilité de M. Grant au motif qu’il aurait pu en vouloir a la compagnie, en raison des circonstances dans lesquelles il a quitté son emploi. Dans son témoignage, M. Grant n’a pas été fautif et tout ce que M. May pouvait dire aurait été des ouï- dire qui, même pertinents, n’auraient été d’aucune utilité pour ce tribunal. Estimé que M. Grant a été un témoin véridique et désintéressé. Il n’a même fait là connaissance de M. Rinn et de M. Russell que peu de avant l’audience.

A l’exception d’une réserve que je fais, M. May a créé une très bonne impression à la barre des témoins. Les soucis que la situation financière de la compagnie lui a causés étaient sincères, j’en suis s r. Dans une certaine mesure, les témoignages de M. May et de M. Grant sont contradictoires à propos de ce qui a été dit pendant l’entrevue qui a eu lieu, au début de janvier 1984. Je pense que le récit de M. Grant manque de clarté et il n’attribue aucune parole en particulier à M. May ou à M. White. La version qu’en donne M. May est raisonnable et, bien que M. Grant ait indubitablement fait de son mieux pour relater la conversation, il est possible qu’il en ait interprété les termes dans le contexte de ce que M. White lui a dit pendant l’entretien

> - 36 qui a précédé l’entrevue. D’autre part, pour la conversation subséquente de M. May et de M. Grant a Rankin Inlet, qui a eu lieu quelques semaines après l’arrivée de ce dernier, M. May a fait preuve à l’audience d’une indifférence totale. Je pense que le souvenir qu’il en a est simplement inexact. Pour cette raison, je préfère le récit de M. Grant.

Ce qui me préoccupe vraiment au sujet de la déposition de M. May, c’est que quand il a quitté la barre des témoins, j’avais des réserves que je continue à avoir après un examen minutieux de l’ensemble de la preuve parce qu’il ne nous a pas dit toutes les raisons pour lesquelles il a mis fin a l’emploi de M. Russell. Le tribunal lui a demandé pourquoi il ne l’a pas réengagé ou ne lui a pas offert le nouveau poste de copilote, une fois que celui- ci est devenu libre. Les raisons qu’il en a données mont laissé convaincu qu’elles sont incomplètes.

J’accepte les témoignages de Mme. Saxby et de M. May comme quoi ils n’ont pas marqué d’un cercle l’état matrimonial des candidats sur les curriculum vitae que M. Rinn a trouvés, à l’étage du duplex. Comme M. Russell n’a pas vu ces documents, j’en conclus que M. White les a examinés à fond, les a classés en trois piles et a marqué avec un cercle l’état matrimonial et les heures vol, en prévision de son appel téléphonique à M. May relatif à l’engagement d’un copilote, après que M. Rinn et M. Russell ont refusé de voler de nouveau pour Keewatin Air.

Pour décider si M. Rinn et M. Russell ont été ou non licenciés, au moins en partie à cause de leur état matrimonial ou de leur situation de famille, il importe de vérifier le nombre des emplois qui étaient véritablement disponibles, le 12 décembre. Pendant la plus grande partie de 1982 et de

> - 37 1983, Keewatin Air a eu trois pilotes à temps plein (MM. Smith, Russell et Rinn), en plus de M. May qui était chef pilote. M. Rinn a été mis à pied, en décembre 1982, et rappelé, en mars 1983. A ce moment- là, un seul avion turbomoteur était en service. A l’automne 1983, avec deux avions turbomoteurs en service, le nombre de pilotes était quatre, spécialement pour répondre aux normes de Transport Canada qui sont énoncées dans la Régle de vol aux instruments. Avant l’engagement de M. White, il y avait trois pilotes en service actif (MM. Smith, Rinn et Russell); avec M. White, cela en faisait quatre. La cessation d’emploi de M. Russell et de M. Rinn a réduit le personnel à deux pilotes pour deux avions turbomoteurs.

J’accepte le témoignage de M. May comme quoi c’est seulement vers la mi- novembre 1983 qu’il a pensé à réduire le nombre des pilotes employés par la Compagnie. Il s’ensuit que j’accepte comme véridique sa déclaration selon laquelle il a engagé M. White dans l’intention de le promouvoir au poste de chef pilote, dés que ce serait réalisable. Quand l’idée lui est venue de procéder à cette réduction de personnel, à la fin de novembre ou au début de décembre 1983, j’estime qu’il aurait été pertinent, compte tenu de la situation financière de la Compagnie et des préoccupations de ses de ne mettre a pied qu’un seul pilote. M. May a essayé de défendre le licenciement des deux, en déclarant que l’engagement postérieur de M. Grant comme copilote a un salaire moindre était un fait nouveau qu’il ne prévoyait pas, le 12 décembre. Je ne crois pas cette allégation et je rejette ce point de vue. Il ressort de la preuve qu’après le 12 décembre, il y avait du travail pour M. Rinn et pour M. Russell. En outre, le 17 décembre 1983, M. White a piloté le Tradewind tout seul pour un vol d’évacuation sanitaire et, le 2é janvier 1984, il a fait de même avec le Westwind (Pièce R- 7). Le 6 janvier 1984, M. Rinn a d servir de copilote lorsqu’il s’est rendu en avion à

> - 38 Winnipeg. L’indisponibilité temporaire de M. Smith n’explique pas qu’on ait eu besoin des services de M. Rinn et de M. Russell après le 12 décembre. J’ai du mal à croire qu’on n’avait pas besoin d’un autre pilote, le 12 décembre, mais qu’on en avait réellement besoin, quelques jours plus tard, quand M. White a soulevé la question auprès de M. May. Rien ne prouve que, dans l’intervalle, il y a eu une recrudescence des affaires de la Compagnie. Personne n’a laissé à entendre que M. May a essayé de négocier une réduction des salaires des autres pilotes ou de rogner sur les co ts dans un autre secteur de l’exploitation. Au contraire, la promotion de M. White au poste de chef pilote a comporté une hausse de son salaire qui est passé à 1 800 $, plus les commissions. J’estime que les excuses invoquées par M. May pour ne pas avoir essayé d’entrer en rapport avec M. Russell quand le nouveau poste est devenu disponible, ne sont pas satisfaisantes. J’ai été spécialement peu convaincu, quand M. May a insinué qu’on l’a informé que M. Rinn et M. Russell ont négligé un avion. Il aurait d savoir que ces renseignements étaient faux, en raison des loyaux services rendus à sa Compagnie par ces deux pilotes. En conséquence, je déclare et je conclus que M. May n’a pas tout dit au sujet des raisons pour lesquelles il a mis fin aux services de M. Russell.

Dans sa plaidoirie, l’avocat du mis en cause ne rend pas la Compagnie

responsable des commentaires que M. Grant attribue a M. White. En réponse à ma question, M. May a dit qu’il ne sait pas où M. White a bien pu obtenir cette information. Il faisait allusion à la preuve relative au co t de formation d’un nouveau pilote et aux effets négatifs que le changement de personnel a sur des affaires, comme a des facteurs qui militent contre les actes que les plaignants attribuent à la Compagnie. L’avocat du mis en cause a déclaré aussi avec insistance que ni M. Russell ni M. Grant ni personne d’autre n’ont apporté la preuve que M. May a fait à l’un deux des remarques

> - 39 susceptibles d’être interprétées comme un parti pris contre les employés mariés ou comme une confrontation relative au logement dans le duplex ou aux ennuis causés par les hôtes désordonnés de la Compagnie qui y ont séjourné. Si ce dernier point de vue de l’avocat du mis en cause est exact et si les avocats des plaignants avaient terminé la présentation de la preuve de leurs clients sans aucun autre élément, on serait enclin à rejeter les plaintes pour manque de preuve, d’autant plus qu’il est évident que, de temps en temps, la Compagnie a engagé et logé des employés mariés ou ayant des personnes à charge, et qu’elle a aussi logé la fiancée de M. Grant pendant sa visite.

Toutefois, en l’espèce, il existe une preuve supplémentaire. M. White a été engagé dans le but d’être finalement chef pilote. Bien qu’il n’ait pas occupé ce poste avant le 15 décembre, il a d parfaitement connaître les raisons pour lesquelles M. Rinn et M. Russell ont été licenciés et avoir entendu parler de la discussion de M. May et de M. Russell au sujet de l’injustice relative de l’hébergement des visiteurs ainsi que de la répartition du travail qu’il entraînait. Pratiquement au moment où il a pris possession de son poste, il a trié les curriculum que la Compagnie avait reçus et cet acte prouve qu’il a su, dès le début, que celle- ci avait besoin d’un autre pilote. Il les a classés en trois piles, ceux qui composaient la pile oui provenant tous de célibataires, et il a marqué d’un cercle leur état matrimonial. Après avoir obtenu l’approbation de M. May pour l’engagement d’un copilote, il est entré en rapport avec M. Grant et, au cours de la conversation, il a déclaré:

(traduction)

"vous ne pensez pas à vous marier, n’est- ce pas? Parce que nous cherchons des pilotes célibataires."

> - 40 Environ un mois plus tard, pendant qu’ils faisaient route vers Rankin Inlet, M. White a dit a M. Grant qu’il y a eu des problèmes avec deux pilotes mariés et que la Compagnie a préféré s’en débarrasser et engager des pilotes célibataires à cause des difficultés de logement. Quelques semaines plus tard, au cours d’une conversation, M May a dit à M. Grant qu’il ne devait même pas penser à se marier tant qu’il serait employé par Keewatin Air parce que la Compagnie avait eu des difficultés dans le passé et ne pouvait pas loger un pilote marié. Cette preuve considérée dans le contexte de la perturbation (en 1983) des arrangements domestiques des Russell à l’étage du duplex, des remarques que M. Russell a faites à M. May à son sujet et de ma conclusion que ce dernier n’a pas indiqué toutes les raisons pour lesquelles il a licencié M. Russell, me convainc que l’une de

ces raisons a trait au logement nécessaire pour sa femme ou à des frictions constatées par suite de la présence de sa femme. La preuve établit aussi que des deux plaignants, M. Russell était, à ce moment- là, celui qui avait la plus longue période, de services ininterrompus et la plus grande compétence. A ce moment- là aussi, la Compagnie voulait déclasser le poste de M. Russell pour des raisons d’ordre économique (un changement qui s’est avéré seulement temporaire), mais elle ne lui a pas offert d’occuper le poste déclassé. Selon moi , la raison en est qu’elle s’est aperçue de l’inconvénient qu’il y avait à continuer d’employer un pilote marié.

Dans le cas de M. Rinn, j’estime que les circonstances sont différentes. La Compagnie voulait supprimer son poste, entièrement pour des raisons d’ordre économique. Je suis convaincu que son état d’homme marié et sa situation de famille n’ont pas contribué à cette décision.

> - 41 DOMMAGES- INTÉRETS

L’article 41 de la Loi Canadienne sur les droits de la personne prévoit ce qui suit:

"41. (1) A l’issue de son enquête, le tribunal rejette la plainte qu’il juge non fondée.

(2) A l’issue de son enquête, le tribunal qui juge la plainte fondée peut, sous réserve du paragraphe (4) de l’article 42, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire

a) de mettre fin à l’acte et de prendre des mesures destinées à prévenir les actes semblables, notamment

(i) d’adopter les programmes, plans ou arrangements spéciaux visés au paragraphe 15( 1), ou (ii) de présenter une demande d’approbation et de mettre en oeuvre un programme prévus à l’article 15.1,

ces mesures doivent être prises après consultation de la Commission sur leurs objectifs généraux;

b) d’accorder à la victime, à la première occasion raisonnable, les droits, chances ou avantages dont, de l’avis du tribunal, l’acte l’a privée;

c) d’indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction qu’il juge indiquée, des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l’acte; et

d) d’indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction qu’il fixe, des frais supplémentaires causés, pour recourir à d’autres biens, services, installations ou moyen d’hébergement, et des dépenses entraînées par l’acte.

(3) Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le paragraphe (2), le tribunal, ayant conclu

a) que la personne a commis l’acte discriminatoire de propos délibéré ou avec négligence, ou)

b) que la victime a souffert un préjudice moral par suite de l’acte discriminatoire,

peut ordonner à la personne de payer a la victime une indemnité maximale de cinq mille dollars.

> - 42 (4) Le tribunal qui l’issue de son enquête, juge fondée une plainte portant sur une déficience et estime que les locaux ou les installations de l’auteur de l’acte discriminatoire doivent être adaptés aux besoins des personnes atteintes de cette déficience

a) soit rend une ordonnance d’adaptation en vertu du présent article qui, à son avis, n’entraîne aucune contrainte financière ou commerciale excessive et est indiquée,

b) soit, s’il ne peut rendre une telle ordonnance, fait les recommandations qu’il estime indiquées,

le tribunal ne peut toutefois rendre d’autres ordonnances que celle qui est prévue au présent paragraphe. 1976- 77, c. 33, art. 41; 1980- 81- 82- 83, c. 143, art. 20.

On s’accorde à dire qu’il serait inopportun de rendre une ordonnance en vertu de l’alinéa 41( 2) a). Personne rien a demandé une en vertu de l’alinéa 41( 2) b) et il ne serait pas approprié d’en rendre une en faveur de M. Russell. Celui- ci n’a pas non plus présenté une réclamation en vertu de l’alinéa 41( 2) d).

L’alinéa 41( 2) c) prévoit qu’un tribunal peut ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire..... c) d’indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction qu’il juge indiquée, des pertes de salaire entraînées par l’acte. Bien que l’article soit permissif, le plaignant a droit au montant que la preuve justifie. Il est permissif parce qu’il peut y avoir des cas où il n’y a aucune perte de salaire. En l’espèce, les dommages- intérêts doivent être évalués comme dans une action délictuelle, c’est- à- dire selon le calcul de tous les salaires dont l’acte illégitime (dans le présent cas, l’acte discriminatoire) a privé le plaignant, sous réserve de l’obligation d’atténuer ses pertes qui lui incombe.

> - 43 La question qui se pose ici est la suivante en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, existe- t- il un plafond sur les dommages- intérêts pour pertes de salaire, qui peuvent être accordés à un plaignant?

L’avocat du mis en cause soutient qu’il y en a un et que ce tribunal ne doit pas adjuger un montant supérieur a celui qui serait adjugé dans une action civile pour renvoi injustifié. Dans le cadre de ce raisonnement, on pourrait dire que Keewatin Air aurait pu mettre fin à

l’emploi de M. Russell sans raison, en lui donnant un préavis de trois mois. 3 Si on applique cette période de préavis, et même si en réalité M. Russell aurait pu mettre deux ans ou plus à trouver un emploi avec un salaire comparable à celui gagné à Keewatin Air, il y a un plafond sur les dommages- intérêts. Il a seulement droit à une indemnité égale à trois mois de salaire. Ce plafond imposé sur les dommages- intérêts est proposé dans plusieurs décisions relatives au droits de la personne rendues en Ontario. 4 A mon avis, il serait inapproprié d’appliquer les principes relatifs à des cas de renvoie injustifié (ou de les avoir présents à l’esprit) quand on rend une sentence arbitrale pour pertes de salaire en vertu de l’alinéa 41( 2) c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne parce que ces principes ont trait à une action fondée sur l’inexécution d’un contrat, tandis que celle qui nous occupe ressemble à une action délictuelle.

L’avocat du mis en cause a aussi fait valoir qu’il existe un plafond sur les dommages- intérêts fonds sur une prévisibilité raisonnable. Selon lui, la question qui se pose est la suivante: à partir du jour du licenciement, jusqu’à quelle date faudra- t- il raisonnablement au plaignant pour trouver un emploi comparable? Cette date estimative doit constituer un plafond sur les

> - 44 dommages- intérêts. S’il met réellement plus longtemps pour y parvenir, on ne doit pas inclure la perte supplémentaire dans le calcul du montant qui lui est adjugé pour pertes de salaires. Ce raisonnement est basé sur le principe que le droit relatif à la responsabilité délictuelle impose un plafond sur les dommages- intérêts, qui est fondé sur les principes de prévisibilité. Ce point de vue est aussi fortement préconisé dans plusieurs décisions relatives aux droits de la personne rendues en Ontario. 5 A mon avis, il ne s’applique pas à une sentence arbitrale prononcée conformément à la Loi canadienne sur les droits de la personne. Pour ce qui est du droit relatif à la responsabilité délictuelle, les principes de prévisibilité n’imposent un plafond sur les dommages- intérêts que dans la mesure où le genre de préjudice doit être prévisible pour être indemnisable. Néanmoins, une fois qu’il est prévu, il n’est pas nécessaire que toute son importance le soit pour qu’il puisse être indemnisable. Je reconnais que dans le cas DeJager c. le ministère de la Défense nationale, 6 un tribunal composé de M. Wendy Robson, de M. Paul J. D. Mullin et de M. A. Wayne Mackay, a déclaré dans ses motifs qu’il imposait sur les dommages- intérêts un plafond fonds sur une prévisibilité raisonnable. Après avoir lu la décision, il me semble que le tribunal a adjugé le montant complet des salaires, mais au cas où je me tromperais, en toute déférence, je ne suis pas d’accord avec le principe qui y est énoncé.

Plusieurs décisions, semble- t- il, sont fondées sur les pertes réelles, comme je me propose de le faire dans le présent cas. 7 Dans Butterill et al c. Via Rail Canada Inc., 8 le tribunal composé de M. R. Dale Gibson, de M. Daniel G. Hill et de M. J. Francis Leddy déclare à la page D238, paragraphe 2059:

> - 45 A notre avis, le mot indemnité (à titre de compensation) utilisé dans la loi canadienne implique que les tribunaux doivent

appliquer les principes employés par les cours de justice qui accordent des compensations en droit civil dont le principe essentiel repose, dans l’octroi de dommages- intérêts, sur celui de la restitutio in integrum: la partie lésée doit être remise dans la position où elle aurait été si le tort qui lui a été causé ne s’étais pas produit, dans la mesure où l’argent peut dédommager la partie lésée et dans la mesure où celle- ci reconnaît son obligation de prendre des mesures raisonnables pour atténuer ses pertes."

Compte tenu des termes sans restriction de l’alinéa 41( 2) c) et de ce principe, je suis d’avis que le plaignant obtenant gain de cause à droit à être indemnisé pour ses pertes réelles sans qu’on impose aucun plafond sur le montant qui lui est accordé, en raison de ce dont j’ai déjà parlé.

Les avocats des plaignants m’ont demandé d’accorder des dommages- intérêts jusqu’à la date de l’audience, c’est- à- dire jusqu’en janvier 1988. Dans un cas pertinent, on peut légitimement le faire. Dans le cas Butterill 8, le tribunal a déclaré qu’il pourrait être approprié de prononcer une sentence prévoyant des dommages- intérêts après la le l’audience et jusqu’à la date de la réintégration. Dans des actions délictuelles, les tribunaux ont certainement évalué des pertes pécuniaires postérieures à la date du procès. Par exemple, dans l’affaire Conkin c. Smith et al, 9 la Cour Suprême du Canada a confirmé en fveur d’une personne de 20 ans qui avait eu une jambe amputée par suite d’un accident, les dommages- intérêts accordés en première instance, qui comprenaient un montant correspondant à la valeur actuelle de la différence entre le salaire que le plaignant aurait pu raisonnablement espérer gagner comme pilote et celui qu’il pouvait, raisonnablement s’attendre à gagner dans la profession pour laquelle il serait désormais apte.

> - 46 Je passe maintenant à l’évaluation de la réclamation de M. Russell pour pertes de gains. Quand il était employé par Keewatin Air, il gagnait 800 $ par mois, plus les commissions. Il avait été convents entre lui et son employeur qu’il ne recevrait jamais moins de 1 200 $ par mois. En 1983, ses gains ont été de 29 111,94 $ , en plus de la fourniture d’un logement non imposable. Les parties s’entendent pour considérer que lesdits gains, plus un intérêt composé annuel de 4 %, doivent représenter le montant qu’il aurait pu gagner s’il avait continué à travailler pour cette compagnie.

M. Russell n’est pas resté longtemps sans travail. Il avait l’intention de prendre des vacances à Noël 1983 et, comme plan a long terme, de devenir pilote d’Air Canada, comme son père. Il a rapidement obtenu un autre emploi Sound Air. En 1984, ses gains dans cette compagnie se sont élevés à 20 465,57 $ et, en 1985, a 21 711,32 $. Vers la fin de ladite année, Air Canada l’a engagé. Je suis convaincu que M. Russell a pris des mesures raisonnables pour atténuer ses pertes. Bien que jusqu’à maintenant ses gains a Air Canada soient inférieurs à ceux qu’il aurait obtenus s’il était resté au service du mis en cause, je pense que son droit a une indemnité prend fin avec son engagement par Air Canada et la réalisation de ses objectifs professionnels. En conséquence, je pense que M. Russell; aurait d recevoir pour les salaires dont l’acte discriminatoire l’a privé, un montant de 16 395,12 $, qui se décompose comme suit:

- en 1984, il aurait pu gagner 30 276,42 $ - en 1985, il aurait pu gagner jusqu’au 28 295,59 $

24 novembre 1985 - gains potentiels bruts au service

de Keewatin Air pour 1984 et 1985 58 572,01 $ - moins les gains réels pour 1984 (20 465,57 $)

38 106,44 $ - moins les gains réels pour 1985

jusqu’au 24 novembre 1985 (21 711,32 $) Différence: 16 395,12 $ > - 47 M. Russell réclame aussi, a titre de pertes de gains, une somme de 6 600 $ par an pour la perte du logement à Rankin Inlet auquel les conditions de son emploi lui donnaient droit. Les parties s’entendent pour dire que ledit logement doit ére évalué à 550 $ par mois. L’avocat de M. Russell me demande de traiter la fourniture et la perte de ce logement comme un poste de gains non imposables pour lequel son client a droit à une indemnité. A mes yeux, ledit logement comporte deux éléments. Vu les dimensions de l’espace fourni, le fait que M. et Mme Russell n’avaient pas l’usage exclusif de l’étage du duplex, le témoignage de Mme Saxby relatif au loyer que son mari et elle paient pour un appartement Winnipeg, l’inflation et tous les facteurs pertinents, j’estime sa valeur à 200 $ par mois. Je considère la différence entre 200 et 550 $ par mois (soit 350 $) comme une indemnité pour affectation dans le Nord qui n’a pas été payée par M. Russell ou pour son compte pendant les années 1984 et 1985. Dans le cas Scott c. Foster Wheeler Ltd. 7, le plaignant a été engagé en Ontario pour aller travailler en Jamaique comme soudeur pendant toute la durée d’existence d’un certain projet. Son emploi a pris fin promptement. Sa réclamation a été admise aux termes du Code des droits de la personne de l’Ontario. La preuve a indiqué que les personnes engagées sur place ont reçu une indemnité hebdomadaire qu’elles pouvaient dépenser ou déposer en banque. Le tribunal a rejeté la réclamation du plaignant pour la perte de cette indemnité parce qu’il n’a pas réellement encouru les dépenses qu’elle était essentiellement destinée a couvrir. Pour le même principe, je rejette l’aspect de la réclamation de M. Russell affectation dans le Nord, mais je lui accorde un supplément de 200 $ par mois pendant 22 mois et 24 jours à titre de perte supplémentaire de gains.

> - 48 Si, le 13 décembre 1983, M. Russell avait subi une lésion corporelle l’empêchant de continuer à travailler pour Keewatin Air, dans toutes les circonstances de l’espèce et dans une action délictuelle, selon moi, un tribunal lui aurait accordé pour pertes de gains, un montant total de 20 951,83 $, qui se décompose comme suit:

- Pertes de gains pour 1984 et 1985 16 395,12 $ - Perte de l’indemnité de logement 4 556,71 $

Total 20 951,83 $ Comme les mêmes principes s’appliquent a une décision rendue

en vertu de l’alinéa 41( 2) c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, je ne dois pas lui accorder moins, dans la présente décision.

M. Russell a aussi réclamé une indemnité en vertu de l’alinéa 41( 3) b) de la Loi. On m’a renvoyé à plusieurs décisions qui, en vertu dudit article, accordent de 75 $ à 4 500 $. Les tribunaux qui les ont rendues ont été d’avis qu’il doit y avoir une présomption en faveur de l’octroi de domages- intérêts, lorsque la preuve le justifie. Pour que cette justification existe, il faut qu’on soit parvenu à la conclusion que le plaignant a souffert un préjudice moral par suite de l’acte discriminatoire. A ce sujet, M. Russell indique à la page 256 que son licenciement lui a porté un coup et l’a surpris. A la page 258, il déclare:

> - 49 (traduction)

"Q. D’accord, je veux vous demander.... comment l’avez- vous pris? Quelle vous a paru être la raison possible de ce congédiement?

R. J’ai pensé que c’était vraiment infect parce que, vous savez, il ne s’est jamais adressé à nous .... nous avons seulement essayé de lui parler des quelques petites difficultés que la Compagnie avait à ce moment- là.

Nous voulions juste, peut- être, trouver quelque solution, car nous étions plutôt dans une période de changement, et nous nous sommes simplement heurtés à un mur. Basiquement, on ne nous a propose aucune solution, on nous a simplement prié de partir; désillusionné à ce sujet..."

Il ressort du témoignage de M. May qu’on a entendu M. Russell proférer des mots grossiers après son licenciement inattendu. J’y vois la preuve qu’il a été froissé et je lui accorde un montant de 100$ à ce titre.

EVALUATION PROVISOIRE

Je pense qu’il convient aussi de faire une évaluation provisoire des dommages- intérêts à accorder à M. Rinn, au cas où il en appelerait du rejet de sa plainte. Il aurait aimé rester à Rankin Inlet jusqu’à ce que son enfant soit en âge de fréquenter l’école. En me fondant là- dessus, je présume qu’il réclamerait des dommages- intérêts jusqu’en ao t 1988. Il a considéré toutes les possibilités d’emploi; par exemple, la faisabilité d’ouvrir une boulangerie à Rankin Inlet. Il a dit qu’il n’aurait pas abandonné son emploi à Keewatin Air avant d’avoir un autre poste s r.

> - 50 L’avocat de la Compagnie déclare avec insistance que, dans le calcul des pertes de salaire de M. Rinn, je dois tenir compte des

dépenses que dans ses déclarations d’impôt sur le revenu de 1982 et de 1983, il a réclamé comme étant les co ts des commissions qu’il a gagnées pendant ces années- là (Pièces C- 15 et C- 16). Toutefois, d’après la loi, une sentence arbitrale doit être fondée sur les salaires et non pas sur les gains nets ou sur un quelconque montant inférieur au total des salaires. Il serait inopportun de faire la réduction de revenus arbitraire que l’avocat du mis en cause réclame.

Comme M. Russell, M. Rinn gagnait un salaire mensuel de 800$, plus les commissions, avec une garantie de 1 200 $ par mois. Pour 1983, ses gains à Keewatin Air se sont élevés a 20 748,87 $. Après son licenciement, il a téléphoné à plusieurs compagnies d’aviation, qui font des affaires au départ de Rankin Inlet ou d’autres lieux du Nord, afin de voir si elles n’auraient pas un emploi à lui offrir. Il a appris qu’un certain M. Quinn cherchait peut- être un pilote pour effectuer des vols entre les Iles de la Madeleine et Charlottetown. Il est entré en rapport avec lui et celui- ci lui a dit qu’il le rappellerait. M. Rinn a alors déménagé à Winnipeg avec sa famille et n’ayant aucune perspective d’emploi a l’horizon, il a décidé de retourner Whitehorse. A ce moment- là, M. Quinn lui a téléphoné et lui a offert un emploi, mais, pour l’avoir, il lui fallait être à Montréal, trois jours après. Comme il avait alors pris toutes les dispositions nécessaires pour son retour à Whitehorse, M. Rinn a refusé. Sa femme s’est rendue là- bas en avion et, lui, a transporté une partie de leurs affaires dans son camion. Pour le reste, il a fait appel au service le déménagement U- Haul.

> - 51 M. et Mme Rinn habitaient à Whitehorse avant de venir à Rankin Inlet. Ils y possédaient une maison qu’ils ont louée pendant leur absence. En 1983, ils l’ont mise en vente, mais sans succès. Quand ils sont retournés à Whitehourse, ils ont donné un mois de préavis au locataire et ils ont eu une difficulté à percevoir le loyer, ce mois- là. A son arrivée, M. Rinn est entré en rapport avec son ancien employeur, Lister Motor Sports. Celui- ci n’avait pas de poste libre immédiatement, mais M. Rinn en a obtenu un, en mars 1934. A la fin de ce mois, il a rempli une demande d’emploi comme inspecteur d’aviation civile à Transport Canada. En ao t 1985, il a reçue un appel téléphonique et, en octobre 1985, il a commencé à suivre un cours de formation pour devenir spécialiste d’information de vol, poste qu’il a obtenu et occupe toujours actuellement.

Les parties s’entendent pour établir que si M. Rinn avait continué a travailler A Keewatin Air, en 1984, ses gains auraient été de 21 578,82 $; en 1985, de 22 441,98 $; en 1986, de 23 339,66 $; en 1987, de 24 273,24 $ et pour les 24 jours de janvier 1988, de 1 659,89 $. En 1984, ses gains réels ont été de 19 737,50 $; en 1985, de 21 786,69 $; en 1986, de 25 807,88 $; et en 1987, d’environ 39 500 $.

Je suis convaincu que M. Rinn a fait un effort raisonnable pour atténuer son préjudice. J’évalue donc sa réclamation pour pertes de gains à 7 296,21 $, somme qui se décompose comme suit:

>-

- 52 - montant qu’il aurait pu gagner à 21 578.82 $

Keewatin Air en 1984 - montant qu’il aurait pu gagner a 22 441.98 $

Keewatin Air en 1985 - plus une allocation de logement pendant 4 800.00 $

deux ans, a 200 $ par mois Total des gains potentiels 48 820.80 $ - moins les gains réels en 1984 (19 737.50 $) - moins les gains réels en 1985 (21 786.69 $)

Montant provisoire adjugé pour pertes de salaire ( 7 296.61 $ Même si on arrivait a la conclusion que M. Rinn serait resté au service de Keewatin Air après 1985, sa réclamation pour pertes de salaires ne serait pas augmentée parce que ses gains réels, qui ont commencé en 1986, dépassent ceux qui étaient prévus pendant qu’il était employé dans cette compagnie.

M. Rinn réclame aussi la somme de 2 148,20 $ pour le rembourser des frais de déménagement qu’il a eus lorsque lui et sa famille ont quitté Rankin Inlet pour Whitehorse (Yukon) après son licenciement. La réclamation s’élève au total a 3 272,58 $, comme l’indique la Pièce C- 17, moins le montant de l’avantage que M. Rinn a obtenu lorsqu’il a demandé le remboursement desdits frais dans sa déclaration d’impôt sur le revenu de 1984 (Pièce C- 18). Or, ces frais, il ne les a prouvés de façon précise que jusqu’à concurrence de 1 577,58 $. Pour le reste, il s’agit de provisions ou d’indemnités irréelles

> - 53 portant, par exemple, sur des repas et basées sur les indemnités journalières accordées dans certaines industries. Quant à la réclamation, je serais prêt a considérer qu’elle comprend des dépenses encourues par M. Rinn, afin d’atténuer ses pertes. Vu la proportion dans laquelle elle a été prouvée et l’avantage fiscal qu’il en a vraisemblablement retiré, j’accorderais une indemnité provisoire de 1 000 $ pour les frais de déménagement.

Quand on lui a demandé quel lien il y avait, selon lui, entre son licenciement et son état matrimonial, M. Rinn a déclaré:

(traduction)

"J’ai pensé que j’étais licencié en partie parce que la Compagnie voulait plus de place pour les pilotes et qu’elle préférait avoir des célibataires plutôt que des hommes mariés, afin de disposer de plus de logement pour les gens de passage qui venaient pour ses opérations, c’est- à- dire.... les ingénieurs, les entrepreneurs et les pilotes saisonniers."

Au cours d’un contre- interrogatoire, M. Rinn a déclaré qu’il

ne pensait pas que quelqu’un ait jamais été heureux d’être licencié. Il n’a pas réagi plus fortement que n’importe qui d’autre. Il avait été mis à pied sans date de rappel par une autre compagnie. En l’absence d’une preuve supplémentaire, je rejetterais cette partie de la réclamation.

> - 54 DÉCISION

  1. Ayant jugé que, le 13 décembre 1983, le mis en cause a mis fin à l’emploi du plaignant Russell pour un motif proscrit par le paragraphe 3( 1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, je lui ordonne de payer à ce dernier une somme de 21 051,83 $, qui comprend une perte de gains de 20 951,83 $ et des dommages- intérêts d’ordre général de 100 $.
  2. Ayant jugé que, le 13 décembre 1983, le mis en cause a mis fin à l’emploi du plaignant Rinn pour un motif autre que ceux proscrits par le paragraphe 3( 1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, je rejette sa plainte.

Je tiens à remercier les avocats des parties pour l’aide qu’ils mont apportée. Ils ont présenté leur cause avec réflexion, avec minutie et avec efficacité. Leurs efforts ont simplifié ma tâche difficile.

SIGNE, à Winnipeg (Manitoba), 16 mai 1988. Tribunal > - 55 RENVOIS

  1. Keelan c. Morray Distributing Ltd. et al (1967), 62 D. L. R. (26) 466 et les causes citées dans The Law of Evidence in Civil Cases, par Sopika et Lederinan, pages 535 et 537.
  2. La différence entre les jugements rendus dans Pelletier c. Brazeau Transport Inc., le 20 février 1987, par le tribunal (Claude D. Marleau, président) et, le 6 avril 1988, par le tribunal d’examen (Pierrette Sainclair, Henriette Guérin et Jacques Chiasson) est un bon exemple de la façon dont la doctrine de la mitigation fonctionne pour réduire une sentence arbitrale.
  3. Il y a au moins deux écoles de pensée relativement aux facteurs qui doivent être pris en considération pour calculer la période de préavis. Le jugement Bardal v. Globe & Mail Ltd. (1960) O. W. N. 253 renvoie aux conditions d’emploi et a la nature des services à rendre ... aux états de services de l’employé, à son âge, à la disponibilité d’un emploi seniblable et prend en considération la formation, l’expérience et les qualités de l’employé. Le jugement Yosyk et al c. Westfair Foods Ltd. et al, non publié, du 18 février 1988, C. A. Man., déclare que le test a été déterminé par l’intention des parties, lorsqu’elles ont procédé à la dernière modification du contrat.
  4. 56 Mark c. Porcupine General Hospital and Arthur Moyle (1984), 6 C. H. R. R. D/ 2538; Olarte et al c. De Fillipis and Commodore Business Machines Ltd. (1983), 4 C. H. R. R. D/ 1705 à D/ 1736, paragraphes 14813 - 14815 et Mears et al c. Ontario Hydro et al (1984), 5 C. H. R. R. D/ 1937 à D1941, paragraphe 16603.
  5. Rand c. Sealy Eastern Limited (1982), 3 C. H. R. R. D/ 938 à D/ 957, paragraphe 8507. Cameron c. Nel- Gor Castle Nursing Home, (1984), 3 C. H. R. R., D/ 2170; Torres c. Royalty Kitchenware Limited et al (1982), 3 C. H. R. R. D/ 858.
  6. (1987), 8 C. H. R. R. D/ 3963.
  7. Funk c. Stowe - Woodward Inc. (1987) 8 C. H. R. R. D/ 4337 et les décisions mentionnées à la page D/ 4338, paragraphe 33966; Scott c. Foster Wheeler Ltd. (1966), 7 C. H. R. R. D/ 3193; modifié 8 C. H. R. R. D/ 4179.
  8. (1980), 1 C. H. R. R. D/ 233; infirmé pour d’autres motifs (1982), 2 C. F. 830.
  9. (1978), 88 D. L. R. (3e) 317.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.