Tribunal canadien des droits de la personne

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D.T. 16/95 Décision rendue le 13 décembre 1995

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE L.R.C. 1985, chap. H-6 (version modifiée)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE :

SATISH CHANDER NARENDRA NATH JOSHI

les plaignants

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

MINISTERE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ETRE SOCIAL

l'intimé

DÉCISION DU TRIBUNAL

TRIBUNAL: Keith C. Norton, c.r. - président Janet Ellis - membre Subhas Ramcharan - membre

ONT COMPARU: Prakash Diar et Eddie Taylor - avocats de la Commission Arnold Fradkin - avocat de l'intimé

DATES ET LIEU DE L'AUDIENCE: 6 au 8 décembre 1994 24 janvier 1995 6 au 9 février 1995 10 avril 1995 8 au 9 mai 1995 Ottawa (Ontario)

DÉCISION DE LA MAJORITÉ: Janet Ellis (avec l'appui de Subhas Ramcharan)

OPINION DISSIDENTE: Keith C. Norton, c.r.

TRADUCTION

INTRODUCTION

La présente affaire est le résultat de deux plaintes qui ont été déposées contre l'intimé, le ministère de la Santé nationale et du Bien- être social. Dans sa plainte fondée sur l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi), Satish Chander prétend que l'intimé a exercé une discrimination contre lui en le traitant différemment et en refusant de continuer de l'employer en raison de sa race, de sa couleur, de son origine nationale ou ethnique et de sa religion. Pour sa part, dans la plainte qu'il a déposée sur le fondement de l'article 7 de la Loi, Narendra Nath Joshi soutient que l'intimé a exercé une discrimination contre lui en le traitant différemment et en refusant de continuer de l'employer en raison de sa race, de sa couleur et de son origine nationale ou ethnique.

LES FAITS

Monsieur Chander est né dans le pays qui est aujourd'hui le Pakistan et il a grandi en Inde. Il a obtenu un baccalauréat ainsi qu'une maîtrise en science vétérinaire en Inde. Il a fait son doctorat en science vétérinaire en Allemagne de l'Ouest. Il a écrit sa première thèse de doctorat en allemand. Il est arrivé au Canada en 1968 où il a obtenu son deuxième doctorat, en science biomédicale cette fois, au Ontario Veterinary College de Guelph (Ontario). Le curriculum vitae de M. Chander, qui est l'auteur de trois thèses, renferme une longue liste d'articles publiés par celui-ci dans le domaine des infections et des maladies virales.

Après avoir terminé ses études, M. Chander a travaillé comme chercheur pendant un peu moins de dix ans pour Agriculture Canada. Par la suite, il a travaillé pour le ministère de la Santé nationale et du Bien-être social, tout d'abord comme employé nommé pour une période déterminée et ensuite comme employé permanent, à la Division des instruments médicaux, en juillet 1983. Sa classification était alors biologiste de niveau 2 (BI- 02).

Monsieur Chander a appris d'un de ses amis, M. Robert Kapitany, que la division Infection et Immunologie était à la recherche de personnel. Le chef de M. Chander à la Division des instruments médicaux n'était pas très heureux que celui-ci parte, car il estimait qu'il ne pouvait pas se passer de lui, mais M. Chander a dit qu'il voulait obtenir une promotion. Les employés à la division Infection et Immunologie étaient soit des biologistes de niveau 4 (BI-04) soit des médecins. Le supérieur de M. Chander a accepté de permettre son détachement à temps partiel.

Monsieur Joshi est né en Inde, et il a obtenu son baccalauréat en science vétérinaire dans ce pays. Il a fait sa maîtrise et son doctorat en microbiologie à l'Université McGill. Son doctorat en microbiologie portait sur la virologie vétérinaire et il a obtenu une bourse post-doctorale en immunologie au Ontario Veterinary College de Guelph en 1963.

Après avoir terminé ses études, M. Joshi a travaillé pour deux entreprises. Il a tout d'abord travaillé pendant dix ans pour Frank W. Horner Ltd. à Montréal. Titulaire d'un poste qui comportait des activités de recherche et d'expérimentation, il avait douze employés sous ses ordres, et il a isolé un organisme que l'on a appelé variété Joshi.

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Il a également identifié une substance antivirale produite par cet organisme, substance qui a été brevetée.

Monsieur Joshi a ensuite été directeur scientifique pendant six ans pour ICN Canada Ltd. Il avait trente-deux employés sous ses ordres et l'une de ses principales fonctions consistait à mettre au point des protocoles cliniques et à préparer des présentations aux autorités réglementantes. Il assurait la liaison en matière technique et réglementaire avec la Direction générale de la protection de la santé de Santé et Bien-être social Canada et la United States Food and Drug Administration.

Par la suite, M. Joshi a travaillé comme consultant privé; il préparait pour ses clients les sections précliniques et cliniques relatives à des drogues nouvelles de recherche ainsi que des présentations de drogue nouvelle. A titre de consultant privé, il effectuait le même genre de travail que lorsqu'il travaillait pour ICN Canada Ltd. Monsieur Joshi a été engagé par la division Infection et Immunologie pour une durée déterminée de six mois en avril 1988. Il a été embauché à titre d'évaluateur principal de la sûreté et de l'efficacité de drogues, BI-04. La durée de son emploi a été prolongée à deux reprises.

Les plaignants ont commencé à évaluer pour l'intimé des présentations de drogue, à partir d'août 1988 et à temps plein dans le cas de M. Chander, et à partir d'avril 1988 dans le cas de M. Joshi. Les fabricants soumettent au Bureau des médicaments humains prescrits des présentations dont certaines sont confiées à la division Infection et Immunologie. Pendant la période pertinente, environ huit personnes étaient chargées à la division Infection et Immunologie d'évaluer les présentations de drogue. Ces présentations sont les suivantes : présentations de drogue nouvelle de recherche (DNR), présentations de drogue nouvelle (PDN) ou présentations supplémentaires de drogue nouvelle (SPDN). Le fabricant qui désire effectuer des études cliniques sur les effets d'une drogue sur les êtres humains dépose une présentation de DNR. Lorsqu'il désire obtenir l'autorisation de modifier la notice d'une drogue nouvelle déjà approuvée, il présente une SPDN. Pendant la période en cause, les PDN et les SPDN étaient évaluées en fonction du principe premier arrivé premier servi, et à l'époque où les plaignants travaillaient pour l'intimé, l'arriéré dans l'évaluation des présentations était de cinq ans et demi.

Les évaluations des drogues étaient confiées à des évaluateurs individuels qui retournaient celles-ci à leur chef de division une fois qu'elles étaient terminées. Le chef faisait habituellement effectuer une deuxième évaluation des principales présentations et, parfois, une troisième évaluation. La procédure suivie était souple et pouvait parfois nécessiter l'avis de personnes de l'extérieur ou des séances d'information complémentaires avec les fabricants. L'évaluation comprend une appréciation de la sûreté et un avis sur les avantages par rapport aux risques. La procédure suivie semble être conçue pour encourager les divergences d'opinions parmi les évaluateurs.

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En août 1987, le chef de la Division était M. Joseph Valadares; il occupait ce poste par intérim. Sa principale préoccupation était l'arriéré et il a recruté du personnel. Il cherchait particulièrement des virologistes. Il a encouragé le patron de M. Chander à permettre le détachement de ce dernier. Monsieur Joshi a été engagé à la suite d'un concours; il a été choisi, parmi quatre ou cinq autres candidats, par un jury de sélection dont faisait partie M. Valadares. Le concours comportait deux volets : une partie écrite et des questions techniques orales liées à l'emploi. M. Valadares a offert le poste d'une durée déterminée à M. Joshi étant entendu que si M. Joshi obtenait une cote très satisfaisant, il n'y avait aucune raison pour laquelle il ne pourrait pas être intégré à l'équipe de virologistes au sein de la Division.

Monsieur Valadares s'intéressait particulièrement aux scientifiques possédant une formation en virologie en raison de l'intérêt croissant que suscitait le SIDA au Canada. Pendant la période pertinente, les connaissances et les données sur le VIH et sur le SIDA se faisaient de plus en plus nombreuses et beaucoup de fabricants de drogues étaient poussés à soumettre des présentations de drogues destinées au traitement des personnes souffrant du SIDA.

Monsieur Valadares était très satisfait de l'apport de chacun des plaignants au sein de sa Division. La preuve indique que le travail de M. Chander et de M. Joshi a fait l'objet d'éloges de la part de leur chef et d'autres personnes.

Monsieur Khan a fait parvenir à M. Valadares une note de service datée du 13 octobre 1988 et intitulée [TRADUCTION] Examen du rendement et évaluation provisoire, M. Satish Chander [HR-2 onglet 6]. La note est assez longue et détaillée; elle débute par une introduction où sont exposées les conditions du détachement. Monsieur Khan explique ensuite le lien, à son avis, entre la formation de M. Chander et son apport à l'équipe :

[TRADUCTION]

[...] Sa formation en rétrovirologie devrait nous aider à évaluer les données précliniques relatives aux agents antiviraux.

[...] La formation de M. Chander en médecine vétérinaire devrait l'aider à évaluer les données en pathologie et en toxicologie vétérinaires contenues dans les présentations précliniques et les présentations de drogue nouvelle.

Il est ensuite expressément question dans la note des présentations de drogue importantes que M. Chander a évaluées, notamment une présentation qui lui a gagné le respect de son auteur. On y signale certaines failles du plaignant, notamment l'incapacité de communiquer précisément ses opinions par écrit et l'obligation d'améliorer ses connaissances scientifiques par un examen de la documentation récente. La note indiquait qu'il fallait une surveillance continue à M. Chander mais se terminait de la manière suivante :

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[TRADUCTION]

[...] En dernière analyse, le jugement professionnel de M. Chander et sa productivité ne sont peut-être pas comparables à celles de quelques membres d'élite de notre Division; ils sont nettement équivalents ou même supérieurs à ceux d'un bon nombre des autres. Je recommande que vous envisagiez sérieusement de retenir la candidature de M. Chander pour un emploi d'une durée indéterminée au sein de notre Division.

Lorsqu'on examine la note de service dans son ensemble, on constate qu'il s'agit d'une recommandation très positive et très vigoureuse qui signale les points à améliorer mais qui conclut que le rendement de M. Chander était déjà équivalent ou même supérieur, de l'avis de M. Khan, à celui d'autres membres de la Division, même si M. Chander travaillait dans des conditions qui, suivant la note, [TRADUCTION] le soumettaient à un degré inhabituel d'inconfort et de stress.

Tout comme ce fut le cas pour M. Chander, le rendement au travail de M. Joshi a fait l'objet d'éloges. En février 1989, M. Johnson qui, trois mois plus tôt, était devenu directeur du Bureau des médicaments humains prescrits a mis de l'avant une proposition afin de réduire l'arriéré des DNR et des SPDN dans l'ensemble du Bureau avant la date cible du 1er avril 1989. Suivant cette proposition, [TRADUCTION] certains de nos évaluateurs les plus expérimentés et les plus fiables devaient être autorisés à faire des heures supplémentaires limitées. Dans la division Infection et Immunologie, deux évaluateurs ont été choisis, et l'un de ceux-ci était M. Joshi.

L'intimé a affiché un avis de concours pour des nominations d'une durée indéterminée pour le poste d'évaluateur principal de la sûreté et de l'efficacité de drogues, BI-04. Monsieur Joshi a déclaré dans son témoignage que quatre postes au total étaient libres chez l'intimé. La date limite de réception des candidatures des employés de la fonction publique était le 31 janvier 1989. Les plaignants étaient les deux candidats de la division Infection et Immunologie. A un certain moment, l'intimé a décidé d'inviter des personnes de l'extérieur à poser leur candidature et c'est peut-être pour cette raison que les entrevues pour ce concours n'ont pas eu lieu avant mai 1989.

Monsieur Chander a reçu un Examen du rendement et évaluation de l'employé (évaluation du rendement) couvrant la période de douze mois comprise entre avril 1988 et le 31 mars 1989. Monsieur Chander a accusé réception sans la commenter de cette évaluation du rendement qui avait été faite par le chef, M. Valadares. Ce document indique les objectifs qui étaient visés pendant cette période : évaluer dix DNR, une PDN, une SPDN, les lettres de données supplémentaires confiées, et effectuer toutes les autres tâches assignées. Monsieur Chander a évalué vingt-quatre DNR, deux PDN et deux SPDN, il avait commencé d'autres évaluations et il a terminé toutes les tâches additionnelles qui lui avaient été confiées. On retrouvait ce qui suit dans les commentaires:

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[TRADUCTION]

Le travail de M. Chander est de bonne qualité et il dépasse les attentes en ce qui concerne la réduction de l'arriéré de travail au sein de la division Infection et Immunologie.

Monsieur Chander a le sens des responsabilités et il est capable d'effectuer des tâches limitées dans le temps, dans les délais qui lui sont impartis.

Monsieur Chander se montre coopératif, il est désireux d'apprendre et il fait du bon travail. Il est loyal envers son surveillant et il s'entend bien avec ses collègues et avec le personnel de soutien.

La cote attribuée à M. Chander était entièrement satisfaisant.

Comme M. Chander, M. Joshi a reçu une très bonne évaluation du rendement. Celle-ci couvrait la même période que celle de M. Chander, soit la période comprise entre avril 1988 et le 31 mars 1989, et elle a été faite par le chef, M. Valadares. Suivant les objectifs qui lui avaient été fixés, M. Joshi devait évaluer six DNR, deux PDN et quatre SPDN, en plus de répondre aux demandes et d'accomplir d'autres fonctions. Monsieur Joshi a évalué neuf DNR, quatre PDN et cinq SPDN, il a présenté un article, il a collaboré à un exposé sur les nouvelles drogues contre le SIDA, et il a répondu aux demandes des fabricants. L'évaluation comportait notamment les commentaires suivants :

[TRADUCTION]

Monsieur Joshi s'est montré diligent dans son travail, loyal envers le chef de la Division et dévoué envers la Division. Il n'a pas ménagé ses efforts pour améliorer la productivité. Il accepte d'assumer des responsabilités et il n'a pas peur des nouveaux défis.

Monsieur Joshi est méticuleux, sérieux, pratique et désireux d'apprendre. C'est un travailleur consciencieux qui s'acquitte bien de ses fonctions. Comme il a déjà travaillé dans l'industrie pharmaceutique, il est très conscient des besoins des fabricants de médicaments et de leurs problèmes. Il fait preuve de tact lorsqu'il traite avec des représentants de l'industrie, des enquêteurs et des professionnels des soins de santé et il leur impose le respect. Le chef de la Division a beaucoup apprécié son apport, son attitude et sa loyauté sans faille. Il se montre très coopératif avec ses collègues et avec le personnel de soutien.

La cote globale de M. Joshi était entièrement satisfaisant.

Une bonne partie des éléments de preuve soumis en l'espèce concernaient une DNR particulière relative à la drogue connue sous le nom de fluconazole. Cette drogue était l'une des drogues qui étaient destinées au traitement du VIH et qui étaient évaluées par l'intimé.

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Messieurs Joshi et Chander ont été chargés d'évaluer la présentation de DNR pour cette drogue.

Dans une note de service datée du 27 octobre 1988, dont une copie a été produite pour identification, le directeur général de la Direction des médicaments a indiqué que, dans le cadre de la politique de traitement accéléré de toutes les présentations relatives à des médicaments contre le SIDA, on pouvait procéder à l'évaluation de la présentation du fluconazole sous sa forme actuelle.

Monsieur Chander a déclaré dans son témoignage qu'il était au courant de la politique que la Direction des médicaments avait fait connaître en novembre 1988 au sujet des drogues utilisées dans la prévention et le traitement des infections par le VIH et des maladies liées au SIDA; un exemplaire de cette politique a été versé comme pièce pour identification. Monsieur Chander a dit qu'il savait que les protocoles devaient être acceptés au Canada sans modification s'ils avaient été approuvés aux États- Unis, à la condition qu'ils respectent des normes acceptables et qu'ils comportent des données suffisantes sur leur sûreté.

La date limite pour l'évaluation des dix protocoles cliniques relatifs à la présentation de drogue nouvelle de recherche pour le fluconazole était le 3 avril 1989. Dans la note service qu'il avait adressée à MM. Joshi et Chander, M. Johnson a clairement indiqué que, suivant la politique du Ministère, toutes les drogues destinées au traitement du VIH devaient être évaluées aussi rapidement que possible, et il a insisté particulièrement sur le fluconazole. Il demandait dans la note qu'un rapport de la situation soit présenté chaque semaine jusqu'à ce que l'évaluation soit terminée et les commentaires finals produits.

Lors d'une réunion tenue le 23 mars 1989, il a été question de la présentation relative au fluconazole. Le nombre de personnes qui ont assisté à cette réunion n'est pas clair, mais MM. Joshi et Chander ainsi que MM. Khan et Gadd étaient présents. Messieurs Joshi et Chander ont fourni un résumé des discussions qui ont eu lieu lors de cette réunion et énuméré treize points qui y ont été soulevés [HR-2 encart, onglet 7]. Monsieur Joshi a préparé la liste des points soulevés; M. Chander a dit qu'il s'agissait d'une discussion de groupe et que sa contribution au document lui-même a consisté à y donner son approbation et à l'initialer. Il ne

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s'agissait pas du résumé d'une évaluation. Monsieur Chander a déclaré dans son témoignage que lorsqu'une évaluation est terminée, on en prépare un résumé qui comprend des commentaires et des recommandations. Ni M. Chander ni M. Joshi n'ont préparé un résumé de la présentation relative au fluconazole parce qu'ils en étaient encore au stade des discussions et qu'ils attendaient d'autres directives du chef de la Division ou du directeur.

La réunion a eu lieu de 10 h à 11 h 30, et la liste des points soulevés a été produite ce même jour. Au cours de l'après-midi, M. Joshi examinait la liste avec M. Chander dans le bureau de celui-ci lorsqu'ils ont reçu la visite de deux autres évaluateurs qui avaient assisté à la réunion du matin : MM. Gadd et Khan. Selon M. Joshi, MM. Gadd et Khan ne voulaient rien entendre au sujet des points soulevés et le harcelaient au sujet de sa liste. Monsieur Joshi a dit que ni M. Gadd ni M. Khan n'avaient indiqué lors de la réunion de la matinée qu'ils n'étaient pas d'accord avec les réticences exprimées par M. Joshi au sujet du fluconazole. Quand il a déclaré qu'il avait été harcelé, M. Joshi voulait dire que lorsqu'il a invoqué certains des éléments de preuve scientifiques, il a senti que MM. Gadd et Khan n'écoutaient pas et faisaient presque des efforts pour ne pas comprendre. Messieurs Gadd et Khan sont partis brusquement pour se rendre au bureau de M. Johnson.

Le contre-interrogatoire de M. Joshi au sujet du fluconazole portait en grande partie sur les connaissances en cause dans les points soulevés. Monsieur Joshi y a admis que MM. Gadd et Khan avaient reçu relativement à l'un des protocoles un avis médical et avaient des renseignements pour lui. Il a souligné qu'étant donné qu'il ne savait pas clairement quels renseignements MM. Khan et Gadd avaient fournis à l'expert médical, il n'a pas été immédiatement convaincu. L'intimé n'a pas fourni la preuve de connaissances qui réfutaient directement les points soulevés. Un bon nombre des points qui figuraient dans la liste n'ont pas été abordés lors du contre-interrogatoire. Chacun des plaignants a répondu avec vigueur aux questions d'ordre scientifique qui leur ont été posées lors du contre- interrogatoire.

Après la réunion du matin, il n'a plus été question des treize points soulevés dans la note de service, et MM. Joshi et Chander n'ont plus participé à l'évaluation de la présentation relative au fluconazole.

Monsieur Valadares a été informé qu'il devait y avoir rotation au poste de chef de la Division et il a donc été remplacé par M. Gadd le 1er avril 1989.

Monsieur Johnson a signé l'évaluation du rendement de M. Chander le 12 avril 1989 et sa cote entièrement satisfaisant a été confirmée. Monsieur Johnson y a fait le commentaire écrit suivant :

[TRADUCTION]

Monsieur Chander a été détaché au Bureau des médicaments humains prescrits à titre d'évaluateur des drogues. Il a terminé dans les délais toutes les évaluations qui lui

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avaient été confiées et en sa qualité de BI-2 -- je considère que son rendement est ENTIEREMENT SATISFAISANT.

Monsieur Johnson a signé l'évaluation du rendement de M. Joshi ce même jour, mais il a recommandé une cote satisfaisant plutôt que entièrement satisfaisant et a fait le commentaire suivant :

[TRADUCTION]

Monsieur Joshi a travaillé pendant un an pour le Bureau des médicaments humains prescrits. Il a terminé dans les délais l'évaluation de toutes les présentations. Malheureusement, j'ai eu des raisons de mettre en doute la pertinence clinique de certains de ses commentaires sur les DNR.

Dans la partie réservée aux remarques de l'employé, M. Joshi a signalé que la seule DNR dont M. Johnson avait eu directement connaissance était celle relative au fluconazole, et qu'il n'avait lui-même fait aucun commentaire clinique au sujet de cette DNR.

Monsieur Joshi a demandé à rencontrer M. Johnson pour discuter de son évaluation du rendement. La rencontre a eu lieu aux environs du 12 mai 1989. Étaient alors présents MM. Johnson et Brill-Edwards. Monsieur Joshi a tenté d'éclaircir la situation et il leur a signalé qu'il pouvait étayer scientifiquement ses réticences au sujet du fluconazole; toutefois, selon M. Joshi, M. Johnson lui aurait dit au sujet de ses inquiétudes relativement à la présentation de drogue :

[TRADUCTION]

«ces gens vont mourir de toute façon».

Monsieur Joshi a aussi abordé avec M. Johnson lors de cette rencontre la question du concours à venir et il a obtenu la réponse suivante :

[TRADUCTION]

«Vous êtes candidat au concours interne pour le poste de BI-04; nous choisirons le candidat qui peut le mieux travailler avec M. Ed Gadd et qu'Ed Gadd aime, et c'est tout».

Monsieur Joshi a déclaré dans son témoignage que M. Kapitany l'avait informé qu'il avait discuté avec M. Gadd quelques jours auparavant. Selon M. Joshi, M. Kapitany a dit que M. Gadd aurait déclaré :

[TRADUCTION]

«ces deux bronzés ne seront pas reçus».

Monsieur Joshi a déclaré dans son témoignage qu'il avait communiqué avec le représentant du syndicat, Michael Ryan, pour lui demander conseil après avoir été informé qu'il ne [TRADUCTION] réussirait pas à se faire admettre. Monsieur Ryan lui a conseillé de se présenter à l'entrevue et de régler après celle-ci le problème de la cote inférieure qui lui avait été accordée dans son évaluation du rendement.

Monsieur Chander a aussi appris juste avant l'entrevue que lui-même et M. Joshi ne seraient pas choisis au concours. C'est ce que lui ont dit MM. Kapitany et Joshi. Il ne pouvait pas se rappeler exactement les mots de M. Kapitany; il se souvenait toutefois que M. Kapitany s'intéressait aux perspectives qui s'offraient à lui, de sorte qu'il en avait parlé avec le nouveau chef par intérim, M. Gadd. Monsieur Kapitany a dit qu'il ne croyait pas que M. Chander avait de bonnes chances. Par la suite, M. Joshi a dit à M. Chander que Bob (Kapitany) lui avait dit que M. Gadd avait déclaré :

[TRADUCTION]

«ces deux bronzés ne seront pas choisis».

Malgré

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cela, M. Chander a décidé de se concentrer simplement sur l'entrevue d'emploi pour tenter d'y obtenir de bons résultats.

Monsieur Kapitany a témoigné après avoir reçu un subpoena de la Commission. Monsieur Kapitany est un scientifique qui, en 1983, travaillait au Bureau des instruments médicaux; il a travaillé avec M. Chander pendant dix-huit mois et il a ensuite été engagé par la division Infection et Immunologie pour occuper un poste de niveau BI-04. Il a déclaré que son travail, dans les deux postes qu'il avait occupés, était [TRADUCTION] semblable en ce sens que lorsque je travaillais à la Division des instruments médicaux, j'évaluais des présentations relatives à des instruments médicaux, et lorsque je travaillais à la division Infection et Immunologie, j'évaluais des présentations relatives à des antiinfectieux.

Monsieur Kapitany s'est rappelé avoir eu une très brève discussion avec M. Gadd au sujet des professionnels qui composaient la Division. Il s'est souvenu que M. Gadd lui a demandé [TRADUCTION] est-ce bien là le genre de personnes que nous voulons avoir dans la Division?, et il a présumé qu'il faisait allusion à MM. Chander et Joshi parce qu'il ne pouvait pas voir de qui d'autres il pouvait s'agir. Monsieur Kapitany ne pensait pas que la conversation avait quoi que ce soit à voir avec le concours, mais qu'il s'agissait d'une discussion générale. Il a aussi cru que M. Gadd avait voulu dire qu'il fallait modifier la composition de la division Infection et Immunologie afin qu'elle comprenne des infectiologues, des médecins qualifiés et des pédiatres.

Monsieur Kapitany ne se rappelait pas avoir indiqué à M. Joshi que M. Gadd avait dit :

[TRADUCTION]

«ces deux bronzés ne seront pas reçus».

Il ne se souvenait pas non plus avoir dit :

[TRADUCTION]

«vous deux, vous ne serez pas reçus»;

il ne pouvait toutefois pas nier avoir fait une telle déclaration. Monsieur Kapitany était pessimiste quant aux chances des plaignants et il était certain de le leur avoir clairement indiqué avant l'entrevue d'emploi; il a toutefois déclaré dans son témoignage que son pessimisme était probablement dû à la discussion générale qu'il avait eue avec M. Gadd. Cette explication est incompatible avec la preuve. Il n'était pas question de médecins dans l'avis de concours; M. Valadares était à la recherche de virologistes et il avait été heureux d'embaucher les plaignants un an seulement auparavant; enfin, l'expérience professionnelle de M. Kapitany était remarquablement semblable à celle de M. Chander. Nous ne croyons pas que MM. Gadd et Kapitany ont discuté de la composition de la division Infection et Immunologie sans parler du concours imminent. Nous ne croyons pas non plus que M. Gadd a parlé avec M. Kapitany de modifier la composition de la Division de manière que celle-ci soit composée de personnes possédant des qualifications que n'avait pas M. Kapitany.

Monsieur Kapitany a manifesté des signes évidents d'un stress émotionnel important. Il a été assigné comme témoin par la Commission et a déclaré s'être senti bafoué et menacé par les avocats de la Commission. Il s'est présenté à l'audience en compagnie de son avocat qui a abordé dans les arguments qu'il nous a soumis la présence de son client et la manière

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dont il était interrogé. Monsieur Kapitany a clairement indiqué par l'intermédiaire de son avocat et, ensuite, sans qu'on le lui demande, lors de son témoignage, qu'il ne voulait pas se soustraire de quelque manière que ce soit à son obligation de témoigner à l'audience; il estimait toutefois qu'on exerçait des pressions sur lui pour qu'il témoigne d'une certaine manière, c'est-à-dire d'une manière utile pour la Commission. Il a ajouté qu'après avoir reçu le subpoena, il a téléphoné à M. Chander et lui a demandé de penser aux conséquences pour sa carrière s'il était contraint de témoigner.

La Commission et l'intimé ont fait grand cas de la partie du témoignage de M. Kapitany où il est question des deux déclarations qu'il aurait répétées à M. Joshi. L'intimé a soutenu que sans corroboration des propos où le mot [TRADUCTION] bronzés aurait été utilisé, rien ne permettait de lier ces plaintes à la race. La Commission a fait valoir que M. Kapitany n'avait nié aucune de ces déclarations et que cela prouvait, en quelque sorte, que M. Gadd avait fait l'une de ces déclarations ou les deux.

L'intimé a soutenu qu'on ne peut pas croire le témoignage de M. Joshi parce que M. Kapitany ne se rappelait pas lui avoir dit [TRADUCTION] ces deux bronzés ne seront pas reçus. L'intimé a aussi fait valoir que M. Joshi n'avait pas répété exactement ces propos à Michael Ryan ou à l'enquêteur de la Commission canadienne des droits de la personne. Monsieur Joshi a dit qu'il avait répété exactement ces propos et à l'enquêteur et à Michael Ryan. Nous concluons que chacun des plaignants avait entendu dire avant l'entrevue d'emploi qu'il ne réussirait pas le concours.

L'entrevue d'emploi a eu lieu le 30 mai 1989, dans une suite d'un hôtel local. Elle était dirigée par MM. Johnson, Gadd, Khan et Krupa. C'est M. Chander qui a été tout d'abord reçu, son entrevue étant fixée à 9 h et celle de M. Joshi, à 10 h 30.

L'entrevue de M. Chander a eu lieu de 9 h 30 à 11 h environ. Les quatre membres du jury de sélection ont participé à l'entrevue, posant des questions à tour de rôle. Certaines des questions posées étaient tirées d'une liste de questions écrites et d'autres étaient des questions additionnelles. Monsieur Chander a remarqué que le seul membre du jury de sélection qui a pris des notes était M. Johnson. Il s'est rappelé que M. Johnson a quitté le salon pour parler au téléphone pendant qu'il répondait à une question que lui avait posée M. Khan. Monsieur Chander a reçu une lettre signée par Dan Demers et datée du 30 mai 1989 qui portait :

[TRADUCTION]

[...] le jury de sélection a conclu qu'aucun des candidats ne s'est qualifié pour le poste.

Il a reçu cette lettre quelques jours après l'entrevue.

L'entrevue de M. Joshi a duré de 11 h à 12 h 20 environ. Il a été conduit à la salle d'entrevue par M. Krupa qui raccompagnait M. Chander

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après son entrevue. Les quatre membres du jury n'ont pas eu le temps entre les deux entrevues de discuter de l'entrevue de M. Chander.

Chacun des membres a posé des questions à tour de rôle à M. Joshi qui a remarqué que seul M. Johnson prenait des notes. Pendant cette entrevue, M. Johnson a dû répondre plus d'une fois au téléphone.

Au milieu de l'entrevue de M. Joshi, on a entendu quelqu'un qui tâtonnait à la porte. Monsieur Johnson a ouvert celle-ci et a laissé passer Dan Demers qui est entré dans la chambre et y est demeuré pendant toute l'entrevue.

Monsieur Joshi a reçu une lettre datée du 30 mai 1989, signée par Dan Demers et identique à celle qu'avait reçue M. Chander. Il croit que cette lettre lui est parvenue si rapidement qu'elle doit avoir été postée avant le 30 mai.

Monsieur Joshi est retourné au travail immédiatement après l'entrevue et il a remarqué le retour des quatre membres du jury de sélection avant 13 h 30. Il a déclaré dans son témoignage qu'il était de retour au travail dès 13 h. Il a travaillé pendant tout l'après-midi avec M. Khan à la préparation de l'exposé conjoint qu'ils devaient faire à la conférence imminente sur le SIDA. D'après les plaignants, les quatre membres du jury n'ont pas pu discuter ensemble des deux entrevues pendant plus de trente minutes. L'intimé n'a fourni aucun élément de preuve au sujet du déroulement des entrevues ou du temps accordé pour discuter de celles-ci. Nous concluons que les quatre membres du jury de sélection n'ont été ensemble pour discuter des deux entrevues que pendant une période maximale de trente minutes.

Une fois les résultats du concours connus, Michael Ryan s'est présenté au bureau de l'intimé le 6 décembre 1989, et il a indiqué au représentant de l'intimé qui s'y trouvait qu'à son avis, MM. Chander et Joshi devraient obtenir des postes permanents sans concours parce que la procédure de sélection pourrait avoir été teintée de racisme. Monsieur Ryan a dit qu'il envisagerait autrement de demander une enquête de la fonction publique pour abus de pouvoir et de déposer une plainte à la Commission.

Deux jours plus tard, soit le 8 juin 1989, M. Joshi a reçu une lettre dans laquelle M. Johnson l'informait que son emploi d'une durée déterminée prendrait fin le 10 juin 1989. Le lendemain, on a demandé à M. Joshi de remettre ses clés et sa carte d'identité.

Le 9 juin 1989, M. Joshi a déposé un grief parce que M. Johnson avait abaissé sa cote dans son évaluation du rendement. Ce grief a été accueilli par M. Johnson au premier palier. Les commentaires qu'il avait faits dans l'évaluation du rendement de M. Joshi ont été supprimés et la cote a été ramenée à entièrement satisfaisant.

Le 13 juin 1989, M. Joshi a fait une déclaration devant la Commission et, le 15 juin 1989, MM. Chander et Joshi ont fait parvenir une lettre

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conjointe à la Commission de la fonction publique. Ils expliquaient dans cette lettre qu'ils estimaient avoir été victimes de discrimination raciale subtile et demandaient une enquête.

Monsieur Chander a continué à travailler à la division Infection et Immunologie jusqu'en juillet 1989, et il a rencontré M. Johnson pour lui parler de son détachement. Celui-ci lui a dit qu'étant donné que son détachement prenait fin en juillet, il retournerait à son bureau d'attache. Un employé nommé pour une période déterminée remplaçait M. Chander à la Division des instruments médicaux, et il restait encore trois mois avant que cette période ne prenne fin. Malgré l'arriéré à la division Infection et Immunologie, M. Johnson a mis fin au détachement de M. Chander et a accepté de verser à la Division des instruments médicaux les trois mois de salaire de l'employé suppléant.

Pendant le reste de l'été et au début de l'automne, M. Ryan a aidé les plaignants dans leur quête de renseignements et pendant cette même période, des événements qui font partie de la preuve circonstancielle se sont produits. Nous avons estimé que M. Ryan s'est montré direct et sincère. Il a été un témoin important pour la Commission parce qu'il a confirmé que la réponse de l'intimé aux plaignants et à la contestation par le représentant du syndicat a été, au mieux, évasive.

Monsieur Ryan a téléphoné au représentant des relations de travail pour l'intimé. Il lui a ensuite fait parvenir une lettre datée du 26 juin 1989 dans laquelle il demandait notamment les notes prises par chacun des membres du jury de sélection lors des entrevues des plaignants. Il n'a pas obtenu ces renseignements et il a organisé une rencontre pour le 27 juillet 1989.

Lors de cette rencontre qui s'est déroulée en présence de M. Chander, de M. Khan, de M. Johnson, d'un agent des relations de travail et d'autres personnes, M. Ryan a obtenu des renseignements sur les notes que le jury a attribuées aux réponses de M. Chander à l'entrevue. On lui a dit que quatre séries de notes avaient été prises lors de l'entrevue, que des notes exhaustives avaient été versées au dossier mais que M. Krupa était en possession de celles-ci. On lui a également dit que M. Krupa était à l'étranger jusqu'en août mais qu'il serait possible d'obtenir les notes après son retour.

Quelques jours plus tard, M. Ryan a envoyé à l'agent d'enquête de la Commission de la fonction publique une lettre dans laquelle il confirmait les déclarations suivant lesquelles quatre séries de notes auraient été prises pendant l'entrevue et M. Krupa aurait eu en sa possession des notes exhaustives. Il a aussi confirmé la déclaration suivant laquelle M. Krupa aurait pris des dispositions pour qu'une fiche d'évaluation du candidat soit dactylographiée, et que cette fiche, sur le contenu de laquelle les membres du jury s'entendaient, aurait été dactylographiée et signée le 30 mai 1989. Monsieur Chander a finalement reçu les notes de M. Johnson, par l'intermédiaire de l'Accès à l'information (AAI). Seules les notes qui ont été obtenues par l'intermédiaire de l'AAI ont été versées en preuve, et nous avons conclu qu'aucun membre du jury de sélection à part M. Johnson n'a pris la peine de prendre des notes pendant l'une ou l'autre des entrevues.

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LA POSITION DE L'INTIMÉ

A la fin de l'exposé de la preuve de la Commission, l'intimé a fait part de son intention de ne pas assigner de témoins parce qu'il estimait qu'il n'y avait aucune preuve à réfuter. Du début à la fin de l'audience, l'intimé a répondu vivement aux plaintes en produisant des arguments par l'intermédiaire de son avocat. L'intimé a opposé une dénégation pure et simple, sans avoir recours à des témoins pour fournir une explication ou une version différente des faits.

L'intimé a répondu aux faits exposés par la Commission par des arguments écrits :

[TRADUCTION]

Il est allégué que la preuve présentée en l'espèce ne permet pas uniquement de conclure qu'il y a eu discrimination. Des éléments de preuve non contredits expliquent les raisons pour lesquelles les plaignants n'ont pas été choisis par le jury de sélection ou en raison de leur évaluation du rendement. Par exemple, le désaccord au sujet des présentations relatives au fluconazole, l'incapacité des plaignants de communiquer précisément leurs opinions, leur manque de connaissances et leurs réponses évasives ainsi que leur tendance à faire des allégations exagérées et inconsistantes, comme ils l'ont démontré lors du contre-interrogatoire. Voir un examen de ces points :

1. le désaccord au sujet des présentations relatives au fluconazole

La première conclusion que l'on peut tirer à cet égard est que les treize points soulevés par les plaignants au sujet de la présentation relative à cette drogue étaient ridicules d'un point de vue scientifique. Aucun élément de preuve n'a été fourni pour démontrer que tel était le cas.

La deuxième conclusion possible était que dans les points qu'ils ont soulevés, les plaignants se sont montrés exagérément minutieux, même s'ils avaient raison parce que les problèmes étaient si mineurs que vu le besoin dont on avait de la drogue, leurs réticences dépassaient les bornes. La preuve n'était pas suffisante pour nous permettre de décider si les points soulevés étaient mineurs plutôt que majeurs parce qu'aucune preuve scientifique n'a été produite pour réfuter ce que savait les plaignants. Le commentaire de M. Johnson dans l'évaluation du rendement de M. Joshi n'était pas suffisamment clair pour nous permettre de déterminer si M. Johnson croyait que M. Joshi était exagérément minutieux. De toute façon, l'évaluation du rendement de M. Chander ne comporte pas de commentaire analogue.

La troisième conclusion est que les divergences d'opinions sur des questions scientifiques n'étaient pas permises. En réalité, d'après le témoignage de M. Kapitany, de telles divergences d'opinions étaient considérées comme une bonne chose et étaient fréquentes au sein de la Division. Rien dans la preuve n'indiquait que les divergences d'opinion au

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sujet de la présentation relative au fluconazole pouvaient retarder les essais cliniques de cette drogue importante. Les plaignants ont été engagés précisément pour donner leur point de vue scientifique et c'est exactement ce qu'ils ont fait.

2. l'incapacité des plaignants de communiquer précisément leurs opinions

Nous avons effectué notre examen des plaintes portées par chacun des plaignants comme s'il s'agissait de plaintes distinctes, entendues en même temps et comportant des questions de fait communes. Pour ce qui est de cette explication, nous avons jugé qu'elle était invraisemblable et qu'elle frisait l'insulte. Il n'a nullement été évident pour nous que M. Chander et M. Joshi avaient quelque difficulté que ce soit à communiquer précisément leurs opinions. Monsieur Chander a reçu de M. Khan une évaluation enthousiaste où il était notamment écrit :

[TRADUCTION]

«Monsieur Chander tente de surmonter son incapacité actuelle de communiquer avec précision ses opinions par écrit».

Rien dans la preuve n'indique que l'on a tenu compte pour décider s'il y avait lieu de continuer d'employer M. Chander de cette phrase de deux lignes qui figure dans une évaluation qui se termine de la manière suivante :

[TRADUCTION]

«Je recommande que vous envisagiez sérieusement de retenir la candidature de M. Chander pour un emploi d'une durée indéterminée au sein de notre Division».

En réalité, il est clair qu'on n'en a pas tenu compte.

3. le manque de connaissances des plaignants

Il était très difficile pour l'intimé d'avancer un tel argument étant donné que les plaignants travaillaient pour lui. Les notes attribuées à chacun des plaignants pour les réponses aux questions posées aux entrevues étaient faibles et équivalaient à un échec. Nous sommes d'avis que la preuve circonstancielle soumise par la Commission a démontré que les entrevues ont été subjectives et non pas objectives. Même s'il a semblé que des questions de nature scientifique ont été posées aux plaignants, que les réponses étaient celles qu'un candidat doit donner et que les personnes qui ont fait passer l'entrevue avaient ces réponses à leur disposition pour les comparer, il est également vrai qu'une seule personne a pris des notes à l'entrevue et que l'analyse des réponses a été subjective. Il ressort des évaluations du rendement de chacun des plaignants que leur supérieur immédiat respectait beaucoup leurs connaissances. Un an plus tôt, M. Joshi avait passé un examen oral et écrit pour commencer à travailler à la division Infection et Immunologie, et le rendement des deux plaignants leur avait valu des éloges.

4. les réponses évasives des plaignants ainsi que leur tendance à faire des allégations exagérées et inconsistantes

Un des thèmes qui est revenu pendant le contre-interrogatoire et les arguments de l'intimé était que les plaignants avaient allégué sans véritable raison avoir été victimes de discrimination. Cette allégation a découlé en partie du fait que l'intimé a soutenu que l'allégation de discrimination a été faite longtemps après la décision de ne pas continuer

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d'employer les plaignants. Ce n'est pas du tout ce que la preuve indique. En réalité, les plaignants ont prouvé qu'ils avaient immédiatement eu l'impression d'avoir été victimes de discrimination.

Nous avons conclu que les plaignants étaient dignes de foi. Nous n'avons pas cru que M. Chander a fait cette allégation sans raison et a maintenu cette allégation non fondée au cours des six dernières années pendant qu'il travaillait dans une division différente du ministère intimé. Nous avons conclu d'une manière générale que cette partie de l'explication de l'intimé n'avait aucune utilité pour l'enquête.

Nous concluons que M. Joshi était un témoin digne de foi qui a répété à M. Chander [TRADUCTION] ces deux bronzés ne seront pas reçus et [TRADUCTION] ces deux-là ne seront pas reçus à M. Ryan et à l'enquêteur des droits de la personne. Vu les problèmes que M. Kapitany éprouve à se rappeler des événements, nous sommes incapables de conclure, en nous fondant uniquement sur une répétition sélective des propos tenus, que M. Joshi n'a pas entendu M. Kapitany prononcer le mot [TRADUCTION] bronzés. Nous concluons que M. Joshi n'a pas soulevé la question de la discrimination avant l'entrevue d'emploi parce que M. Ryan lui avait dit de ne pas soulever aucune question.

Nous concluons que M. Kapitany a dit aux plaignants qu'ils ne réussiraient pas l'entrevue d'emploi. Nous concluons en outre que la déclaration de M. Kapitany reposait sur des renseignements que celui-ci avait obtenus, qui corroborent les allégations des plaignants et n'ont rien à voir avec une conversation au sujet du fait que les plaignants étaient des scientifiques plutôt que des médecins.

LE DROIT

L'objet de la Loi est énoncé à l'article 2 :

La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant : le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouissement, indépendamment des considérations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.

Les plaintes de MM. Joshi et Chander reposaient sur l'article 7 de la Loi :

Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

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  1. de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu;
  2. de le défavoriser en cours d'emploi.

Dans un cas comme l'espèce, le plaignant doit établir l'existence d'une preuve prima facie de discrimination. Lorsque le plaignant établit qu'il est de prime abord victime de discrimination, il incombe alors à l'intimé de justifier la discrimination. (Commission ontarienne des droits de la personne c. Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202, p. 208).

Si l'intimé fournit une explication raisonnable à un comportement par ailleurs discriminatoire, il incombe alors au plaignant de prouver que l'explication ne constitue qu'un simple prétexte. (Basi c. Canadian National Railway Company, (1988) 9 C.H.R.R. D/5029).

Le Tribunal doit examiner attentivement l'ensemble de la preuve circonstancielle. Comme on l'a fait remarquer dans l'affaire Basi, il est rare qu'il existe des preuves directes d'un acte discriminatoire.

La discrimination n'est pas un phénomène qui se manifeste ouvertement, comme on serait porté à le croire. Il est rare en effet qu'on puisse prouver par des preuves directes qu'un acte discriminatoire a été commis intentionnellement. (p. D/5038)

La norme de preuve applicable dans les affaires de discrimination est celle qui est applicable en matière civile, soit la prépondérance des probabilités. Le critère qui doit être suivi dans les affaires où il y a preuve circonstancielle pourrait être formulé de la manière suivante :

[TRADUCTION]

il est possible de conclure à la discrimination lorsqu'en raison de la preuve produite pour corroborer celle-ci, cette conclusion devient plus probable que les autres conclusions ou hypothèses possibles. (B. Vizkelety, Proving discrimination in Canada (1987), p. 142.)

Il est bien établi que les plaignants n'ont pas besoin de prouver que la discrimination a été le seul facteur qui a influencé le comportement qui fait l'objet de la plainte. Il suffit au plaignant de démontrer que la discrimination est un facteur dans ce comportement (Basi).

La preuve suffisante jusqu'à preuve du contraire ou preuve prima facie est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur des plaignants en l'absence de réplique de l'intimé. (Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpson-Sears Limited, [1985] 2 R.C.S. 536, p. 558.

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Dans l'affaire Shakes v. Rex Pak Ltd. (1982), 3 C.H.R.R. D/1001, le tribunal a décrit la preuve prima facie de la manière suivante :

Dans une plainte déposée en matière d'emploi, la Commission établit habituellement l'existence d'une preuve prima facie en démontrant les éléments suivants :

  1. le plaignant avait les compétences requises pour l'emploi;
  2. le plaignant n'a pas été engagé;
  3. une personne qui n'était pas mieux qualifiée mais qui ne possédait pas la caractéristique dont il est question dans le principal chef d'accusation de la plainte déposée en matière des droits de la personne a ensuite obtenu le poste.

Dans l'affaire Israeli c. La Commission canadienne des droits de la personne et la Commission de la Fonction publique (1983), 4 C.H.R.R. D/1616, le tribunal a indiqué que, pour démontrer qu'il s'agit d'un cas de discrimination apparemment fondé ou prima facie, le plaignant doit démontrer :

  1. qu'il appartient à l'un des groupes susceptibles d'être victimes de discrimination aux termes de la Loi, du fait, par exemple, de sa religion, d'une déficience physique ou de sa race;
  2. qu'il s'est porté candidat à un poste que l'employeur désirait combler et qu'il possédait les compétences voulues;
  3. que sa candidature a été rejetée en dépit du fait qu'il était qualifié; et
  4. que, par la suite, l'employeur a continué d'étudier les demandes de candidats possédant les mêmes qualifications que le plaignant.

L'intimé a soutenu que la Commission n'avait pas réussi à prouver l'élément c) de la preuve prima facie dont il est question dans l'affaire Shakes. Il a ensuite fait valoir plus précisément que [TRADUCTION] par conséquent, il n'incombe pas à l'intimé de commencer par démontrer que la personne qui a été choisie était plus qualifiée, sans que le plaignant n'ait tout d'abord présenté la preuve que la personne qui a été choisie n'était pas aussi qualifiée [...]. L'intimé a prétendu que la Commission devait prouver que les personnes engagées pour remplacer MM. Joshi et Chander n'étaient pas plus qualifiées, et qu'elle aurait pu le faire en assignant comme témoin l'un des membres du jury de sélection.

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D'après la preuve, il n'y avait pas d'autres candidats avec lesquels il était possible de comparer MM. Joshi et Chander. Ces derniers ont participé tous les deux au concours interne ou restreint, et ils étaient les deux seuls candidats pour les postes offerts. Les plaignants avaient les compétences requises pour le poste en cause et, après les avoir informés dans une lettre datée du jour de l'entrevue qu'ils n'avaient pas les compétences requises, l'intimé a fait passer des entrevues à des candidats possédant les mêmes qualifications que les plaignants dans le cadre d'un concours externe ou public. Messieurs Joshi et Chander n'ont pas été comparés avec les candidats du concours public.

Il n'a pas été question dans la preuve des parties des personnes qui ont été engagées au lieu de MM. Chander et Joshi. Tout ce que nous savons, c'est que les candidats reçus possédaient fort vraisemblablement des titres universitaires impressionnants parce que le concours s'adressait à des scientifiques possédant une formation universitaire supérieure comme c'était le cas de chacun des plaignants. Monsieur Joshi a déclaré qu'il pensait que la personne qui avait commencé à travailler à la division Infection et Immunologie après le rejet de sa candidature aurait pu être membre d'une minorité visible. Nous n'avons pas rejeté cet argument même s'il était sommaire. Nous avons admis qu'il était fort possible que des professionnels très qualifiés, dont l'un ou même plusieurs auraient pu être membres d'une minorité visible, aient remplacé les plaignants.

CONCLUSION

La preuve prima facie ne peut pas, dans chaque situation d'emploi, correspondre exactement aux critères énoncés dans les affaires Israeli ou Shakes. En l'espèce, les plaignants cherchaient essentiellement à obtenir une promotion plutôt qu'à obtenir la chance de travailler pour l'intimé. Ils se sont vu d'abord refuser une promotion et, ensuite, un emploi continu. M. Chander s'est vu refuser un emploi continu avec la division Infection et Immunologie.

Nous concluons que les éléments de preuve fournis suffisent pour établir l'existence d'un cas prima facie de discrimination. Chacun des plaignants possédait les compétences requises pour l'emploi mais aucun n'a été engagé. L'intimé a continué à chercher des candidats possédant les compétences qu'avaient les plaignants. Ceux-ci ont fait l'objet d'un traitement différentiel dans leur travail concernant la présentation relative au fluconazole. La décision de ne pas engager les plaignants a été prise avant l'entrevue d'emploi; les entrevues d'emploi ont été subjectives et n'ont été tenues que pour la forme; enfin, les représentants de l'intimé ont plus tard menti au syndicat relativement au déroulement des entrevues. Les entrevues d'emploi n'étaient pas sérieuses et l'intimé a fait preuve de partialité envers les plaignants après celles-ci.

L'intimé n'a fourni aucune explication raisonnable. Les explications données sont incompatibles avec la preuve. Les plaignants ont établi l'existence d'une preuve prima facie qui n'a pas été réfutée par l'intimé.

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Nous sommes convaincus que la discrimination fondée sur la race, la couleur et l'origine nationale ou ethnique des plaignants a été à l'origine du comportement de l'intimé envers chacun des plaignants.

Le Tribunal conserve sa compétence pour trancher la question de la réparation. Le greffe du Tribunal communiquera avec toutes les parties et fixera une date pour la tenue d'une audience sur la question de la réparation.

Fait le 6 novembre 1995.

(signature) JANET ELLIS

(signature) SUBHAS RAMCHARAN

LOI CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE L.R.C. 1985, chap. H-6

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE :

SATISH CHANDER NARENDRA NATH JOSHI

les plaignants

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

MINISTERE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ETRE SOCIAL

l'intimé

OPINION DISSIDENTE DE KEITH NORTON, c.r.

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J'ai eu l'occasion de lire la décision de mes collègues et je suis pour l'essentiel d'accord avec ceux-ci en ce qui concerne les faits et les règles de droit applicables à l'espèce. Je dois donc éviter de répéter ce qui a déjà été dit et me reporter uniquement aux faits et aux règles de droit qui sont nécessaires pour illustrer comment et où j'en arrive à une conclusion différente.

Il s'agit d'une affaire particulièrement difficile. Comme on a pu souvent le constater, il est rare que le type de discrimination dont il est question dans ces plaintes se manifeste ouvertement dans notre société - il faut donc examiner attentivement les circonstances et en arriver à une conclusion reposant sur des indices très subtils. C'est encore plus difficile en l'espèce, à mon avis, parce que nous sommes en présence de deux explications alternatives qui doivent être pondérées pour en arriver à une conclusion.

Il est compréhensible que les plaignants, dans la situation dont il s'agissait en l'espèce - les deux étant des scientifiques très qualifiés, possédant les mêmes origines raciales et ethniques, ayant fait pendant un certain temps le travail même pour lequel ils avaient postulé et s'étant vu refuser, dans des conditions très inhabituelles, les postes pour lesquels ils avaient posé leur candidature - se soient demandé si la décision de leur refuser les postes découlait d'une discrimination fondée sur l'un des motifs de distinction illicites qui ont été allégués.

Il aurait été plus facile d'en arriver à une décision si on avait corroboré, par un témoignage indépendant, l'élément de preuve qui constitue un indice manifeste d'une telle discrimination - soit les propos qui ont été attribués à M. Gadd et qui auraient été rapportés à M. Joshi par M. Kapitany :

[TRADUCTION]

«ces deux bronzés» ne seront pas choisis.

Monsieur Joshi se rappelait avoir rapporté ces propos au représentant syndical, M. Michael Ryan, et à l'enquêteur de la Commission. Toutefois, M. Kapitany était incapable de se rappeler avoir fait une telle déclaration; Michael ne se souvenait pas qu'on lui avait rapporté ces propos; enfin, rien n'indiquait que ces propos avaient été rapportés à la Commission, si ce n'est beaucoup plus tard.

Si la remarque avait été moins flagrante et blessante, je pourrais imaginer que le temps a effacé ce souvenir. Toutefois, étant donné que ce commentaire était très blessant et qu'il serait un élément de preuve essentiel indiquant que la race ou la couleur constituait un facteur pour le recrutement, j'estime difficile de croire que la personne qui a rapporté ces propos, M. Kapitany qui est un ami des plaignants, et le représentant du syndicat, qui soupçonnait déjà que la race avait pu constituer un facteur, ne s'en souviendraient pas. Au contraire, je m'attendrais à ce que ce commentaire soit tout à fait inoubliable.

Par conséquent, la seule conclusion à laquelle je peux en arriver est que toute preuve concernant de tels propos ne peut servir de fondement à la décision en l'espèce. Je n'ai toutefois aucune difficulté à conclure, en me fondant sur la preuve qui a été présentée, que M. Kapitany a bel et bien

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dit à M. Joshi qu'il n'était pas optimiste au sujet de leurs chances de réussite au concours.

La seule conclusion à laquelle peut en arriver quiconque examine la preuve relative au déroulement du concours et, plus particulièrement, aux entrevues, est que les plaignants ont été traités injustement et de manière discriminatoire. Il est choquant de constater que, dans ce qu'ils voudraient faire croire au public constitue une fonction publique très professionnelle, de hauts fonctionnaires mènent une entrevue d'emploi pendant que la personne qui préside celle-ci s'interrompt pour accepter des appels, permet à une personne qui n'a rien à voir avec l'entrevue d'entrer dans la pièce distrayant ainsi les participants et ne conserve pas un compte rendu adéquat de l'entrevue.

A tout le moins, un tel comportement semble indiquer que la procédure n'a pas été prise au sérieux. De plus, cela nous amène facilement à conclure que la décision de ne pas engager les deux plaignants avait déjà été prise avant les entrevues et que la procédure n'a été suivie que pour la forme.

Cela suscite la question suivante : pourquoi? Cela s'agissait-il, comme les plaignants le croyaient, d'un traitement discriminatoire en raison de la race, de la couleur ou de l'origine ethnique, ou ce traitement avait-il un autre motif?

La preuve indique qu'avant la réunion du 23 mars 1989, au cours de laquelle il a été question de la drogue fluconazole, le dossier d'emploi des plaignants était presque exemplaire. Rien dans la preuve n'indique et rien ne permet de penser qu'il existait des tensions raciales ou qu'il y a eu traitement différentiel.

En fait, telles qu'elles ont été résumées par mes collègues dans leur décision, les évaluations du rendement des plaignants étaient très positives. Lorsque, pour tenter de régler le problème de l'arriéré, le directeur du Bureau, M. Johnson, a fait appel aux évaluateurs les plus expérimentés et les plus fiables pour qu'ils fassent du temps supplémentaire, MM. Chander et Joshi ont été choisis.

Tout indique qu'au cours de cette période, ils étaient en voie d'obtenir un emploi permanent ou d'une durée indéterminée au sein de la Division.

C'est alors qu'a eu lieu la réunion du 23 mars 1989 qui a porté sur le fluconazole. Mon interprétation de la preuve est qu'il ne s'agissait pas tout simplement d'une rencontre polie, sur le plan professionnel, de scientifiques hautement qualifiés rassemblés pour discuter des progrès réalisés dans l'évaluation des présentations relatives à ce que l'on considérait comme une drogue très importante dans la lutte contre le SIDA.

La réunion a été tenue dans le cadre d'un échéancier établi par le directeur, M. Johnson, pour accélérer le processus d'évaluation des présentations cruciales. Il avait pris cette mesure alors que la Direction

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subissait des pressions immenses pour régler le problème et faire en sorte que de nouvelles drogues soient disponibles sans délai. Suivant la déposition d'un témoin, les médias d'information traitaient continuellement de cette question.

Lors de cette réunion, les plaignants ont fait part de leurs inquiétudes - principalement d'ordre clinique - au sujet de la drogue par suite de leur examen de la documentation. Quels qu'aient été les échanges lors de la réunion, MM. Joshi et Chander sont retournés à leur bureau et ont jugé nécessaire de rédiger une note de service exposant leurs inquiétudes. Cela semble indiquer qu'ils n'ont pas considéré que les questions étaient réglées à ce moment-là.

Lorsque MM. Gadd et Khan leur ont rendu visite plus tard, le même jour, dans ce qui semble avoir été un effort pour leur faire changer d'avis, il est clair que les tempéraments se sont échauffés. Monsieur Joshi a déclaré dans son témoignage qu'il a crié ou élevé la voix - attribuant ce comportement à un problème de diabète mineur.

De toute façon, MM. Gadd et Khan sont partis brusquement et sont allés au bureau du directeur, M. Johnson.

A partir de ce jour, les choses ont changé.

Le 12 avril 1989, le directeur a rempli les évaluations du rendement des plaignants. Monsieur Johnson a remis en question pour la première fois, et par écrit, la pertinence clinique des commentaires de M. Joshi au sujet de ses évaluations. C'est également après la réunion portant sur le fluconazole que M. Kapitany a fait part de son pessimisme au sujet des chances des plaignants d'être reçus au concours.

A partir de ce moment-là, les plaignants sont devenus davantage conscients du fait qu'on ne voulait pas qu'ils réussissent le concours et ils ont commencé à agir.

Il se peut que la décision de remplacer M. Valadares au poste de chef intérimaire y ait été liée. L'estime qu'il avait pour les plaignants était bien connue et s'il avait été décidé, pour quelque raison que ce soit, de prendre des dispositions pour que ceux-ci ne réussissent pas le concours, la mise à l'écart de M. Valadares pouvait aider à atteindre ce résultat.

L'ensemble de la preuve semble fortement indiquer qu'il y a eu complot afin que les plaignants quittent la Division. Comme il s'agit d'une plainte pour discrimination voilée, en l'absence de toute preuve de l'existence d'une autre explication, la race, la couleur et l'origine ethnique sont des motifs qui peuvent évidemment être retenus. Mes collègues ont examiné très attentivement cet aspect de l'affaire.

Je considère toutefois que l'incident crucial en l'espèce est la dispute qui a éclaté au sujet du fluconazole le 23 mars 1989. Comme nous l'avons vu plus haut, avant cet incident, rien ne permettait de croire qu'il y avait le moindre problème - les plaignants étaient respectés pour

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leur travail et ils semblaient devoir obtenir un emploi permanent au sein de la Division.

Même si les réticences dont ont fait part les plaignants ce jour-là étaient bien fondées, on peut supposer que, dans un milieu de travail où la pression est intense, on a considéré que ces hésitations neutralisaient les efforts déployés par d'autres personnes pour accélérer le processus d'évaluation de drogues très importantes dans la lutte contre le SIDA. Les tempéraments se sont enflammés, il y a eu échange de propos injurieux et toute l'attitude envers les plaignants en a été modifiée.

Je suis d'accord avec la manière dont mes collègues ont appliqué le critère énoncé dans l'affaire Shakes v. Rex Pak Ltd. (1982), 3 C.H.R.R. D/1001. Toutefois, cette décision décrit de la manière suivante l'inversion de la charge de la preuve à la p. D/1002, par. 8918 :

[TRADUCTION]

[...] Si l'existence de ces éléments est démontrée, il incombe alors à la partie intimée de fournir au sujet des événements une explication qui soit également compatible avec la conclusion suivant laquelle la discrimination pour l'un des motifs de distinction illicites prévus au Code n'est pas l'explication de ce qui s'est produit. Si la partie intimée fournit une explication tout aussi cohérente, la plainte de discrimination doit être rejetée parce que c'est à la Commission qu'il incombe en dernier lieu de prouver qu'il y a eu discrimination.

En l'espèce, l'intimé a choisi de ne pas assigner de témoins, comme il en avait d'ailleurs le droit. Cela n'a toutefois pas facilité le travail du Tribunal.

Cependant, je considère qu'il n'avait pas besoin d'assigner des témoins étant donné qu'il avait déjà été question de l'autre explication possible dans la preuve, dans les dépositions des plaignants et de leurs témoins, c.-à-d. l'incident du fluconazole. Même si les témoignages des autres personnes qui étaient présentes à la réunion ce jour-là et qui ont participé aux décisions et aux événements ultérieurs auraient été utiles pour obtenir une image plus complète de la situation, ils n'étaient pas essentiels.

Je conclus qu'il est plus probable que les événements qui sont à l'origine des plaintes soient le résultat direct du différend et de la colère qu'a entraîné l'incident du fluconazole plutôt que de la discrimination fondée sur un motif de distinction illicite, c'est-à-dire la race, la couleur, l'origine nationale ou ethnique ou la religion.

Pour ces motifs, je rejetterais les plaintes.

FAIT le 2 novembre 1995.

(signature) Keith C. Norton

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