Tribunal canadien des droits de la personne

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DT 16/ 88

Décision rendue le 29 novembre 1988

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE DANS L’AFFAIRE DE LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE

S. C. 1976- 1977, c. 33, version modifiée ET DANS L’AFFAIRE d’une plainte déposée en vertu de l’article 32( 1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne par Kaye MacInnis contre la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada

ENTRE:

KAYE MACINNIS Plaignante

ET:

LA COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA Intimée

TRIBUNAL: Michael G. Baker Président

DÉCISION DU TRIBUNAL

ONT COMPARU: Mme Anne Trotier, M. René Duval Procureurs de la Commission canadienne des droits de la personne

M. John P. Schiller, Mme Celia J. Melanson Procureurs de l’intimée

DATES ET LIEU Les 16 et 17 septembre 1987 DE L’AUDIENCE: Les 13, 14 et 15 janvier 1988 Halifax, Nouvelle- Écosse

TRADUCTION

DÉCISION

1. Constitution du Tribunal

Le 27e jour de mars 1987, M. Sidney N. Lederman, C. R., président du Comité du Tribunal des droits de la personne, a demandé à M. Michael G. Baker d’agir a titre de tribunal des droits de la personne et d’instruire la plainte déposée par Mme Kaye MacInnis, le 18e jour de mai 1984, contre les Messageries CN (la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada) en vertu du paragraphe 39( 1.1) de la LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE ci- après appelée la Loi. Ce tribunal a été constitué pour déterminer si les actes dont se plaint Mme MacInnis constituent un acte discriminatoire fondé sur le sexe, en matière d’emploi en vertu des articles 7 et 10 de la Loi.

Le tribunal a tenu des audiences les 16 et 17 novembre 1987, à Halifax (Nouvelle- Écosse) où les procureurs de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, ci- après appelée l’intimée, ont soulevé certaines questions préliminaires. Celles- ci ont par la suite été discutées par les procureurs de l’intimée d’une part et du procureur de Mme MacInnis, ci- après appelée la plaignante, et de la Commission canadienne des droits de la personne, ci- après appelée la Commission, d’autre part.

Les procureurs de l’intimée et les procureurs de la plaignante et de la Commission ont soumis des plaidoiries écrites au présent tribunal sur ces questions préliminaires soulevées par l’intimée. Après avoir réfléchi aux arguments soumis par les procureurs des parties de l’audience des 16 et 17 septembre 1987, ainsi qu’aux arguments présentés par eux par écrit, le tribunal a décidé de rejeter les points préliminaires soulevés par l’intimée et ordonné la reprise des travaux. L’audience a donc été rouverte à Halifax (NouvelleÉcosse) le 13 janvier 1988, et s’est poursuivie les 14 et 15 janvier. Les procureurs des parties ont transmis leurs plaidoiries écrites après la clôture de l’audience.

2. La plainte

Dans sa plainte, déposée le 18e jour de mai 1984, la plaignante allègue ce qui suit:

[traduction]

"Le poste que j’occupais au Servocentre du CN a été aboli et, exerçant mon droit d’ancienneté, j’ai décidé de déplacer l’homme qui occupait le poste de commis principal à l’administration au Centre des messageries. Les hommes à qui l’on a donné instruction de me former ne souhaitaient pas qu’une femme occupe ce poste. Ils ont failli à leur tâche et ne m’ont pas donné un bon enseignement. A la fin de ma période de formation, ce sont les hommes dont le poste risquait d’être affecté par mon éventuelle nomination qui m’ont fait subir le test de compétence. J’ai échoué. Plusieurs hommes qui occupaient des postes analogues et comparables dans ce centre des messageries et dans d’autres centres n’ont pas eu à subir de tels tests pour être agréés. Je soutiens que j’ai fait l’objet d’une discrimination contraire aux articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne." Le tribunal a examiné la plainte à la lumière des articles 7 et 10 de la Loi.

3. Les faits

La plaignante a travaillé pour l’intimée de 1963 à 1966, puis de nouveau de 1970 à ce jour. Pendant ces périodes, elle a occupé les postes de commis- sténographe, de préposée aux frais de stationnement au Centre de services- clients, de commis préposée aux équipes, de commis principal à l’administration (stagiaire) et, enfin, de concierge à temps partiel et de manoeuvre aux transports. Au cours des trois ans qui ont précédé les événements faisant l’objet de sa plainte, la plaignante travaillait comme commis préposée aux équipes. En 1983, son poste au Servocentre du CN a été aboli, et elle a décidé de suivre une formation afin de déplacer la personne qui occupait le poste de commis principal a l’administration au bureau des Messageries CN, un des services de l’intimée, à Stellarton (Nouvelle- Écosse).

Le poste de commis principal à l’administration comprend des fonctions appartenant à trois emplois, à savoir: facturier des prix de transport, commis aux services- clients et commis principal à l’administration. A l’époque où la plaignante a décidé de faire un stage pour obtenir le poste qu’elle convoitait, elle n’avait aucune expérience préalable comme commis principal à l’administration et, en fait, d’après son propre témoignage, elle manquait d’expérience en supervision, en informatique et en comptabilité. Sa formation comme commis principal à l’administration a commencé le 13 juin 1983.

La plaignante a été en stage du 13 juin au 7 octobre 1983, avec une interruption pendant ses vacances. Elle recevait des instructions de M. Michael MacNeil (commis principal à l’administration à l’époque), de M. David Anderson (le facturier des prix de transport) et de M. Alison Diamond, qui a remplacé M. MacNeil pendant ses vacances (il a aussi remplacé le commis aux services- clients, M. Mel Moore). D’après la preuve soumise, vers la fin de son stage, la plaignante a subi une épreuve de facturation des prix de transport. Ce test avait été conçu par son supérieur immédiat M. Donald Vosburgh, avec l’aide de M. Anderson. A la suite de cette épreuve, et après que M. Anderson eut téléphoné au bureau régional situé à Moncton (Nouveau- Brunswick), M. Vosburgh a téléphoné à la plaignante, à son domicile, pour l’aviser qu’elle ne s’était pas qualifiée pour occuper le poste de commis principal à l’administration. A l’époque où la plaignante a reçu l’avis à ce sujet, elle était à la maison en congé de maladie, parce que, d’après ce qu’elle a déclaré dans son témoignage, elle ne pouvait supporter la tension émotive que lui imposait son milieu de travail.

Après ces événements, la plaignante n’a plus travaillé pour l’intimée avant le mois de mars 1984. Elle a alors repris le travail en tant que concierge à temps partiel et manoeuvre aux transports.

Le droit

Les articles de la Loi qui s’appliquent dans la présente affaire sont les suivants:

"2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne actuelle en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant: tous ont droit, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l’égalité des chances d’épanouissement, indépendamment des considérations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience."

"3.( 1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience."

"4. Les actes discriminatoires prévus aux articles 5 à 13.1 peuvent faire l’objet d’une plainte en vertu de la partie III et toute personne reconnue coupable de ces actes peut faire l’objet des ordonnances prévues aux articles 41 et 42."

"7. Constitue un acte discriminatoire le fait a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu, ou

b) de défavoriser un employé dans le cadre de son emploi, directement ou indirectement, pour un motif de distinction illicite."

"10. Constitue un acte discriminatoire le fait pour l’employeur, l’association d’employeurs ou l’association d’employés

a) de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite, ou b) de conclure des ententes, touchant le recrutement, les mises en rapport, l’engagement, les promotions, la formation, l’apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d’un emploi présent ou éventuel pour un motif de distinction illicite, d’une manière susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus."

4. Conclusion

Après avoir soigneusement étudié les éléments de preuve présentés par la plaignante, j’en suis arrivé à la conclusion que celle- ci croyait sincèrement: (a) qu’elle aurait été traitée différemment si elle avait été un homme et (b) que le système selon lequel sa formation lui avait été dispensée entraînant, ou tendait à entraîner, une discrimination contre elle parce qu’elle était une femme. Toutefois, après avoir soupesé tous les éléments de preuve soumis par la plaignante et par les autres témoins, je conclus que sa conviction n’est pas vraiment fondée.

Pour mieux comprendre les faits de la présente affaire, il convient de connaître les dispositions de la Convention 5.1 entre la Compagnie des chemins de fer du Canada et la Fraternité canadienne des cheminots, employés des transports et autres ouvriers, et en particulier les paragraphes 13.6 et 16.1 de cette entente, qui disposent ce qui suit:

"13.6 Un employé qui est autorisé à déplacer un employé moins ancien que lui à droit à toutes les explications nécessaires sur les fonctions du poste qu’il va occuper, et il doit démontrer son aptitude à faire le travail dans un délai raisonnable ne dépassant pas 30 jours ouvrables, la durée du délai étant fonction de la nature du travail. Tout prolongement au- delà de trente jours doit faire l’objet d’une entente locale. Les dispositions du paragraphe 12.17 peuvent s’appliquer dans le cas où un employé ne serait pas autorisé à en déplacer un autre."

"16.1 On encouragera les employés à se familiariser avec les fonctions d’autres postes et on leur en fournira l’occasion en dehors de leurs heures de travail normales et pendant celles- ci, dans la mesure il cela ne nuira pas à l’accomplissement de leurs tâches régulières. Le superviseur pourra prendre des dispositions avec l’accord des employés intéressés pour qu’ils permutent pendant de brèves périodes sans que leur taux de salaire ne soit modifié. Le Président local des griefs de la Fraternité sera tenu au courant des échanges de postes entre employés en vertu du présent article."

La plaignante a déclaré qu’elle n’avait jamais eu connaissance qu’un employé des chemins de fer n’obtienne pas le poste qu’il s’était efforcé d’obtenir en suivant un stage. Cependant, la preuve indique que MM. Gerry Phinney, Jack Spencer et Evan Langille avaient tous tenté de déplacer le titulaire du poste de commis principal à l’administration et qu’ils avaient échoué. Cela tient probablement à la complexité des tâches et au nombre élevé de fonctions avec lesquelles le titulaire doit être familiarisé pour pouvoir l’occuper. Le fait que plusieurs hommes avaient antérieurement cherché a déplacer le titulaire du poste constitue pour moi une indication qu’il n’y a probablement rien de particulièrement exceptionnel à ce que la plaignante ne se soit pas qualifiée.

Passons maintenant à la question du temps qui a été accordé à la plaignante pour acquérir sa formation. D’après le témoignage de M. Walter Agnew, agent des relations de travail au service de l’intimée, cette dernière accorde en général six semaines pour l’acquisition d’une formation. En l’espèce, c’est une période encore plus longue qui a été consentie à la plaignante pour son stage. C’est là aussi une indication qu’aucun effort n’a été fait pour exercer une discrimination contre elle. J’accepte également la déposition de M. Agnew selon laquelle:

[traduction]

"Il apparait impossible que quiconque ne disposant pas d’une expérience prolongée des fonctions a accomplir (celles de commis principal à l’administration) réussisse à se qualifier en six semaines. Il faut connaître tous les postes du bureau pour pouvoir remplir les fonctions en question" (p. 289).

Manifestement, la plaignante ne possédait pas cette expérience prolongée. Compte tenu de ce fait, ainsi que de la nature des fonctions avec lesquelles le commis principal à l’administration doit être familiarisé, du fait que l’expérience antérieure de la plaignante était sensiblement différente et du fait que la plaignante n’a pas étudié en dehors de ses heures de travail, je conclus que la décision de l’intimée de ne pas laisser Mme MacInnis déplacer M. MacNeil se fondait bien sur le rendement de la plaignante.

Une autre question soulevée par la plaignante est celle de l’épreuve portant sur la fonction de facturier des prix de transport qu’elle a d subir. La preuve démontre que Mme MacInnis n’est pas la première personne a qui cette épreuve a été administrée. En effet, M. Jack Spencer avait eu l’occasion de passer une épreuve analogue, mais avait refusé. Par ailleurs, rien n’indique que le test ait été conçu de manière a tromper ou a coincer la plaignante, ou encore qu’il ait été injuste ou corrigé incorrectement. A cet égard, j’accepte le témoignage de M. Donald Vosburgh. D’après ce dernier, l’épreuve était équitable et elle avait même fait l’objet d’un examen par M. Gary Steeves, gestionnaire des relations avec les employés au service de l’intimée, en poste à Moncton, qui l’avait, lui aussi, jugée équitable. Bien s r, il est regrettable que l’épreuve n’ait pas été déposée comme pièce à conviction, mais je ne vois la aucune raison de supposer que cela repose sur un motif répréhensible.

Une autre doléance de la plaignante concerne la formation qu’elle a reçue. Après examen de la preuve, je conclus que la formation dispensée à la plaignante par MM. Diamond et MacNeil était incontestablement adéquate. Rien ne tend à prouver qu’ils n’ont pas fait le maximum pour former la plaignante correctement. D’ailleurs, la plaignante n’a jamais fait état d’une défaillance quelconque de la part des ces messieurs.

Par contre, la plaignante soutient que M. David Anderson (le facturier des prix de transport) ne l’a pas formée adéquatement à ses propres fonctions. Ces aspect est plus délicat, car M. Anderson risquait de perdre davantage dans l’éventualité où la plaignante aurait obtenu le poste de commis principal à l’administration. Lui- même aurait pu être déplacé à son tour par M. Michael MacNeil et cela aurait signifié pour lui une mutation à un emploi de manoeuvre préposé au nettoyage des voies. Toutefois, je suis convaincu que M. Anderson dit vrai lorsqu’il affirme dans son témoignage qu’il n’a rien caché à la plaignante et qu’il l’a formée aussi bien qu’il le pouvait (p. 452). Qui plus est, s’il y avait eu des difficultés -- et je suis convaincu du contraire-- celles- ci auraient eu pour cause non pas le sexe de la plaignante, mais bien la crainte de M. Anderson de se faire déplacer.

D’autre part, je conçois très bien que la tension ait monté dans le bureau à mesure que se déroulait le stage de formation de la plaignante au poste de commis principal à l’administration. A mon sens, la plaignante ne s’est pas trompée là- dessus. Toutefois, je suis convaincu que cette tension découlait naturellement des dispositions de la convention collective concernant le déplacement dont il a dèjà été question dans les présentes, et non pas d’une discrimination ou de remarques discriminatoires à l’égard de la plaignante. Cette tension n’avait rien à voir avec le sexe de la plaignante. Pour terminer, je dois souligner que j’ai réfléchi au témoignage de M. Garfield Sutherland et je n’estime pas possible pouvoir retenir son récit des conversations qu’il affirme avoir eues avec M. David Anderson (p. 214 et 215) et avec le père de ce dernier, M. Philip (Ted) Anderson (p. 215). Je préfère plutôt les témoignages de M. David Anderson et de M. Philip Anderson (par déclaration solennelle). En conséquence, j’en suis venu à la conclusion que M. Sutherland se trompe dans son récit concernant ces conversations.

Pour toutes ces raisons, j’ai jugé que la plainte déposée par Kaye MacInnis (Katherine Janet MacInnis) le 18e jour de mai 1984 n’était pas fondée. J’ordonne donc par les présentes qu’elle soit rejetée.

Fait à Chester (Nouvelle- Écosse), ce 31e jour d’octobre 1988.

(signé) MICHAEL J. BAKER PRÉSIDENT DU TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

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