Tribunal canadien des droits de la personne

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D.T. 2/95 Décision rendue le 2 février 1995

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE L.R.C. 1985, chap. H-6 (version modifiée)

ENTRE:

CLARENCE LEVAC

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

LES FORCES ARMÉES CANADIENNES

l'intimée

DÉCISION DU TRIBUNAL

TRIBUNAL: Marie-Claude Landry

ONT COMPARU: François Lumbu, avocat de la Commission Alain Préfontaine, avocat pour l'intimée

DATES ET LIEU DE L'AUDIENCE: Les 8 et 9 février 1994, Montréal (Québec)

INTRODUCTION

Le Président du Comité du Tribunal des droits de la personne Keith C. Norton, c.r. B.A. L.L.B., a désigné la soussignée Me Marie-Claude Landry le 16 septembre 1993 pour constituer le tribunal en vue de poursuivre l'examen de la plainte en ce qui a trait aux dommages, suite à la plainte déposée par M. Clarence Levac le 7 décembre 1984, telle que modifiée le 10 juillet 1987, contre les Forces armées canadiennes pour cause de discrimination fondée sur la déficience en matière d'emploi.

En date des 20, 21 et 22 février 1990, à Montréal et le 7 juin 1990 à Ottawa, le Tribunal des droits de la personne constitué par William I. Miller, Jacques Chiasson et Goldie Hershon a examiné la plainte déposée par M. Clarence Levac, celui-ci alléguant avoir été libéré contre son gré des Forces armées canadiennes le ou vers le 26 février 1984 pour des motifs d'ordre médical et qu'ainsi les Forces armées canadiennes ont commis un acte discriminatoire fondé sur un motif de distinction illicite, c'est-à-dire la déficience physique contrevenant ainsi à l'article 7 a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (S.R.C. 1985, c.H-6) (la Loi).

En date du 2 août 1991, le Tribunal des droits de la personne 1 déclarait que la plainte de M. Levac était fondée bien que les Forces armées canadiennes n'aient pas agi de façon volontaire ni avec insouciance.

Les parties ont convenu au début de l'audience de procéder dans un premier temps, à l'examen du bien fondé de la plainte pour par la suite revenir devant le tribunal afin de procéder, le cas échéant, à l'examen quant aux dommages.

Les Forces armées canadiennes ont présenté une demande en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale (S.R.C., ch.F-7), en vue de faire annuler la décision du 2 août 1991 du Tribunal des droits de la personne. En date du 8 juillet 1992, la Cour d'appel fédérale 2 rejetait la demande de révision et d'annulation de la requérante d'où la nomination du présent tribunal pour l'examen des dommages.

CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES

L'audition de l'examen quant aux dommages a eu lieu les mardi 8 et mercredi 9 février 1994 à Montréal. Des informations supplémentaires ont également été transmises suite à la demande du tribunal:

  1. Levac c. les Forces armées canadiennes, décision D.T. 13/91, rendue le 2 août 1991.
  2. Canada c. Levac (1992) 3 C.F. 463. (C.A.F.)

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- Le 22 février 1994, un cahier supplémentaire d'autorités du procureur des Forces armées canadiennes; - Le 1er mars 1994, une lettre de réplique du procureur de la Commission canadienne des droits de la personne.

Dès le début de l'audience, le procureur de la Commission canadienne des droits de la personne a demandé les dommages suivants:

i) Pertes salariales subies par M. Clarence Levac du 26 février 1984 au 26 février 1993; ii) Pertes du fonds de pension reliées au salaire et pension pour le futur; iii) Bénéfices marginaux (soins dentaires); iv) Dommages moraux.

M. Clarence Levac a été appelé à témoigner et à exprimer au tribunal la situation et les faits qui, selon lui, justifieraient une compensation pour les dommages qu'il aurait subis et a également repris les faits ayant donné lieu à la plainte. M. Levac a rappelé au tribunal qu'il avait été engagé dans les Forces armées canadiennes en 1955 où il a signé un premier contrat pour une période de cinq (5) ans. Il nous a dit avoir signé des contrats répétitifs et de même durée que le premier et ce, jusqu'en 1978.

En 1978, il mentionne avoir signé un contrat d'une durée indéterminée et qui devait, selon ses termes, prendre fin le 27 février 1993 soit la date de sa libération prévue pour fin de carrière. Lors de son témoignage, celui-ci a répété au tribunal les grades qu'il a obtenus au sein des Forces armées canadiennes.

Le plaignant expose également avoir subi en 1979 un électrocardiogramme et que les experts des Forces armées canadiennes en sont venus à la conclusion qu'il souffrait d'un problème cardiaque qui entraînerait pour celui-ci un risque d'avoir une attaque cardiaque dans les cinq (5) prochaines années suivant une probabilité de 8 à 10%. Entre le moment où on a découvert le problème cardiaque et le moment de sa libération, celui-ci témoigne avoir travaillé chez Versatile Vickers pour les Forces armées canadiennes. En 1983, il a été mis en période de réhabilitation et explique qu'il s'agit d'une période où il recevait une rémunération des Forces armées canadiennes mais où il ne portait plus d'uniforme et ne travaillait plus au sein des Forces armées. Il exprime en l'occurence avoir bénéficié de son plein salaire jusqu'au 26 février 1984. Il ajoute avoir commencé à travailler en septembre 1983 pour la compagnie Versatile Vickers et ce, jusqu'en août 1984 et par la suite, avoir travaillé chez MIL Systems Engineering jusqu'au 21 avril 1988, moment où il est mis à pied. Le plaignant déclare qu'il fait sensiblement les mêmes tâches chez Vickers que lorsqu'il était à l'emploi des Forces armées canadiennes mais nous dit "que les heures étaient bien plus longues et avoir été payé moins

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cher" 3. Il a été mis en preuve devant le tribunal qu'une lettre datée du 20 avril 1988 a été transmise au plaignant, l'informant que son emploi se terminait le 21 avril 1988 mais qu'il serait rémunéré jusqu'au 30 juin de cette même année. Par la suite, le plaignant exprime qu'il trouvait difficile de ne plus être dans le milieu militaire et précise dans son témoignage 4 à la question de Me Lumbu, procureur de la Commission, ce qui suit:

Q. Si on se replace dans le passé, en 1990, lorsqu'il y a eu audience en ce qui concerne le premier tribunal, si on vous avait demandé de réintégrer les Forces armées, est-ce que vous auriez réintégré les Forces armées?

R. Tout de suite. Certainement, j'aurais retourné tout de suite dans les Forces. Avec plaisir.

Tout au long de son témoignage, le plaignant a soumis au tribunal qu'il avait fait des recherches d'emplois mais que c'était difficile compte tenu de son âge, sa formation et de la situation économique en général.

Le procureur de la Commission a soulevé que le plaignant devrait être indemnisé pour les pertes salariales subies pour la période du 26 février 1984 à la date de libération présumée soit le 26 février 1993, devrait être indemnisé également pour le fonds de pension relié à son salaire ainsi que pour les pertes de pension futures incluant la rente du survivant dont sa conjointe aurait pu bénéficier. Toujours selon le procureur de la Commission, le plaignant devrait être indemnisé pour les bénéfices marginaux, en l'occurence des traitements dentaires que le plaignant aurait à subir et finalement, les Forces armées canadiennes devraient être condamnées à payer au plaignant des dommages moraux.

Quant aux droits de Mme Levac à la rente du survivant, dans une lettre 5 adressée au tribunal le 1er mars 1994, le procureur de la Commission conclut finalement qu'aux termes de l'article 53 (2) de la Loi, Mme Levac n'a pas droit à une indemnisation relative au fonds de pension des Forces armées canadiennes. Le débat est donc clos sur cette question.

En contre-interrogatoire, le procureur des Forces armées canadiennes a soulevé, entre autres, les points suivants:

- Le fait que M. Clarence Levac, depuis le mois de juin 1988, passe ses hivers en Floride.

3 Page 810 des notes sténographiques, vol. 5.

4 Page 814 des notes sténographiques, vol. 5.

5 Lettre du 1er mars 1994 du procureur de la Commission.

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- Que le plaignant a été gardé plus longtemps à l'emploi des Forces armées canadiennes même si le diagnostic de son problème cardiaque datait de 1979, le tout à cause de son haut niveau de qualification technique.

- Que M. Clarence Levac, dans ses fonctions au sein des Forces armées devait faire une rotation terre/mer et que le service en mer était plus périlleux.

- Que les Forces armées canadiennes ont gardé le plaignant au sein de leur équipe le plus longtemps possible et fait remarquer qu'à cet égard, la bonne foi des Forces armées canadiennes ne fait aucun doute.

Lors de son contre-interrogatoire, le plaignant a mentionné qu'il avait fait une demande de grief auprès de son capitaine pour demeurer dans les Forces armées canadiennes mais que cette démarche n'avait pas eu de suite.

Le procureur des Forces armées canadiennes fait également mention d'une note interne datée du 10 mars 1988 et distribuée aux employés de la MIL Systems Engineering de Montréal relative au transfert possible à d'autres bureaux de la MIL Systems Engineering et soulève que le plaignant n'aurait pas pris tous les moyens nécessaires afin d'atténuer ses dommages. Le plaignant a, quant à lui, dit au Tribunal qu'il n'avait pas, selon ses termes "les moyens de prendre sa retraite à cette époque" 6.

En conclusion de sa plaidoirie, le procureur des Forces armées canadiennes prétend qu'aucune somme n'est due à M. Clarence Levac puisque le lien causal entre l'acte discriminatoire et les dommages allégués n'existait plus en 1988 et qu'antérieurement à cette date, soit pour la période de 1983 à 1988, les sommes gagnées par le plaignant sont supérieures à ce qu'il aurait gagné au sein des Forces armées canadiennes.

QUESTIONS EN LITIGE

Le tribunal doit statuer sur les questions en litige suivantes:

1. Pertes salariales

a) Période d'indemnité:

Pour statuer sur cette question, le tribunal a étudié longuement la jurisprudence 7 applicable en la matière. Chaque cas est un cas d'espèce et

6 Page 892 des notes sténographiques, vol. 5, ligne 18.

7 Thwaites c. Canada (FAC) D.T. 9/93. 7/6/93; Martin c. les Forces armées canadiennes, C.H.R.R. vol. 17, Déc. 25, D/435; Canada c. Morgan [1992] 2 C.F. 401 et C.H.R.R. vol. 13 Décision 11, D/42; DeJager v. Canada

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les circonstances doivent être analysées attentivement. Le tribunal à la lumière de la preuve soumise et des critères établis par cette jurisprudence doit établir une période d'indemnité, soit une période pour laquelle les dommages subis par le plaignant peuvent raisonnablement être reliés à l'acte discriminatoire.

Quant aux critères établis, nous référons entre autres à ceux mentionnés par le président du tribunal, Norman Fetterly, membre dissident, siégeant en appel au Tribunal des droits de la personne dans Canada c. Morgan 8 qui a fait une analyse exhaustive de l'état du droit à cet égard.

Le président du tribunal à la page D/74, mentionne ce qui suit:

[129] Si la réintégration est purement discrétionnaire et que ce n'est pas le cas de l'indemnisation, il me semble que certains principes reconnus applicables en matière d'octroi de dommages-intérêts devraient guider le tribunal dans son appréciation et son évaluation de la perte financière. Ces principes ont été cités et endossés par le tribunal d'appel au par. 7716 [869 de Torres, supra] de l'affaire Foreman, supra:

A notre avis, le mot "indemnité (à titre de compensation) utilisé dans la loi canadienne implique que les tribunaux doivent appliquer les principes employés par les cours de justice qui accordent des compensations en droit civil, dont le principe essentiel repose, dans l'octroi de dommages-intérêts, sur celui de la "restitutio in integrum": la partie lésée doit être remise dans la position où elle aurait été si le tort qui lui a été causé ne s'était pas produit, dans la mesure où l'argent peut dédommager la partie lésée et dans la mesure où celle-ci reconnaît son obligation de prendre des mesures raisonnables pour atténuer ses pertes. (D/238)

[130] Dans un arrêt récent, Canada (Attorney General) c. McAlpine, supra, la Cour d'appel fédérale, appelée à statuer sur un appel formé contre une décision d'un tribunal des droits de la personne qui s'est appuyé sur

(Dept. of National Defence) (No.2) (1987) 8 C.H.R.R., D/3963; Torres v. Royalty Kitchenware LTD. (1982) 3 C.H.R.R., D/858 (Ont. Ad-806).

8 Supra, note 7.

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ce principe pour déterminer les dommages-intérêts devant être accordés pour les pertes de prestations d'assurance-chômage, a fait les commentaires suivants à la p. 538 [par. 13, D/258]: [...] il aurait également fallu tenir compte du caractère prévisible ou de la prévisibilité raisonnable des dommages, peu importe que l'action intentée soit en responsabilité contractuelle ou en responsabilité délictuelle. En effet, seules les pertes subies qui sont raisonnablement prévisibles sont recouvrables.

La Cour fédérale cite et endosse ensuite les propos du professeur Cumming dans l'affaire Torres, supra, en ce qui concerne la limite au montant que la victime peut recevoir à titre de dédommagement, et elle signale que ce raisonnement a été suivi par le tribunal d'appel dans l'affaire DeJager c. Canada (Ministère de la Défense nationale) (no.2), supra, aux pp. D/3966 et D/3967 ainsi que par d'autres tribunaux des droits de la personne qui ont considéré que la doctrine de la prévisibilité raisonnable est un facteur essentiel dans l'évaluation des dommages-intérêts.

Le président du tribunal ajoute, à la page D/76:

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[136] L'avocat de la Commission canadienne des droits de la personne a allégué dans l'affaire DeJager que l'intimé devrait être indemnisé de ses pertes de salaire à compter de la date de sa libération jusqu'à celle de l'audience. Pour expliquer le rejet de cette prétention, le tribunal a cité et endossé le passage cité plus haut et tiré de la décision du professeur Cumming dans l'affaire Torres, c'est-à-dire qu'il y a une limite au montant que la victime peut recevoir à titre de dédommagement. Le professeur Cumming s'est exprimé ainsi:

[Traduction [non officielle]] [...] l'auteur du dommage est tenu d'indemniser sa victime durant une période raisonnable seulement, et cette période "raisonnable" s'apprécie en fonction de ce que la personne prudente et diligente aurait pu raisonnablement prévoir dans les circonstances, si elle s'était posée la question.

Il ajoute également à la page D/82:

[159] Dans l'affaire DeJager, supra, l'indemnité a été accordée pour une période de moins de trois ans. Un examen attentif des faits de l'espèce m'amène à conclure, compte tenu des circonstances notamment les antécédents familiaux militaires de l'intimé, les possibilités de carrière dans les Forces armées, sa formation antérieure qui portait sur un domaine plutôt limité de connaissances, et les conditions économiques existantes, que les appelantes auraient dû raisonnablement prévoir que les conséquences de leur acte discriminatoire se prolongeraient pendant plus de trois ans jusqu'à la fin de décembre 1983. On pouvait raisonnablement s'attendre à ce que l'intimé ait pu trouver dans ce délai un emploi comparable, même si, en réalité, il n'a pas réussi à le faire. A mon avis, l'intimé recevrait une indemnité juste et suffisante si on ordonnait une indemnisation à compter du début de la période de gains le 15 juillet 1980, comme l'a statué le premier tribunal, jusqu'à la fin de 1983, soit le 31 décembre 1983.

Les critères établis et l'analyse du membre dissident du Tribunal des droits de la personne dans cette affaire ont été retenus par la Cour

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fédérale d'appel 9. En effet à la page 404 du jugement, l'Honorable Juge Marceau, J.C.A., indique ce qui suit:

Le premier tribunal et les membres majoritaires du tribunal d'appel ont eu tort de refuser de fixer une limite à la période d'indemnisation indépendamment de l'ordonnance de réintégration. Les principes établis en responsabilité délictuelle pour remettre la victime dans la position où elle aurait été si le tort ne s'était pas produit s'appliquent dans les affaires relatives aux droits de la personne. Par conséquent, les conséquences de l'acte qui sont indirectes ou trop lointaines doivent être exclues des dommages-intérêts recouvrables. Seul le membre minoritaire a analysé les circonstances de l'affaire pour fixer une limite et sa conclusion devrait être acceptée.

Dans l'affaire Martin 10, les membres du tribunal, quant à la question des principes applicables pour l'indemnité, mentionnent à la page D/463:

1. Quant à la période visée par l'indemnité, selon le critère découlant implicitement de la L.C.D.P., l'indemnité accordée doit découler de l'acte discriminatoire. Il doit y avoir un lien de cause à effet direct entre le salaire accordé et la discrimination. (...)

Nous sommes d'avis qu'une période uniforme de deux ans suivant la date de libération ("date d'évaluation") est une mesure plus raisonnable de l'évaluation du préjudice, compte tenu des différentes périodes écoulées entre les dates de libération de chaque plaignant et la date du début de l'audience. En outre, cette période est davantage liée à l'acte discriminatoire en question. L'utilisation de cette période permet d'atteindre l'équilibre approprié, compte tenu, d'une part, du temps nécessaire pour se recycler et obtenir un emploi comme civil et, d'autre part, des circonstances imprévues qui peuvent forcer les plaignants à quitter les FAC avant d'atteindre l'âge de 60 ou 65 ans. Chacun des plaignants recevra donc une indemnité à l'égard du préjudice net qu'il a subi à la date d'évaluation conformément à ce qui suit.

Finalement dans l'affaire Thwaites 11, les membres du Tribunal, à la page 97, en arrivent à la conclusion suivante:

9 Supra note 7.

10 Supra note 7.

11 Supra note 7.

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A cet égard, Monsieur Cohen a, tout en reconnaissant qu'il n'en avait pas tenu compte dans son rapport, affirmé, dans son témoignage, qu'au vu de ses calculs, l'octroi de 66 218$ en dommages-intérêts au titre de la perte de revenus future constituerait en fait une indemnisation couvrant cinq ans (et visant donc une espérance de vie correspondante) à compter du mois de juin 1992 (voir la transcription, à la p. 3187).

Ils ajoutent à la page 98:

Le tribunal est d'opinion qu'il convient d'appliquer une déduction pour événements imprévus au montant établi pour la perte de revenus passée (97 132 $) et future (66 218 $). Deux raisons militent en faveur d'une telle déduction. D'abord, il faut tenir compte du fait que M. Thwaites aurait pu abandonner sa carrière au sein des FAC pour d'autres motifs, avant ou après le mois de juin 1992. Ensuite, l'état de santé actuel du plaignant indique qu'une espérance de vie de cinq ans à partir de juin 1992 peut, effectivement, sembler exagérément optimiste. Le tribunal réduit donc de 10% les montants établis par calcul actuariel pour la perte de revenus passée et future.

En l'espèce, le plaignant était dans les Forces armées canadiennes depuis 1955 soit depuis l'âge de 17 ans. Il avait lors de ces années acquis une spécialisation de mécanique sur les bateaux de guerre, le tout tel qu'il en témoigne 12. Il a occupé cet emploi au sein des Forces armées canadiennes jusqu'au mois d'août 1983.

Au moment de sa libération, le plaignant était âgé de 46 ans. Quant à son niveau de scolarité, il mentionne "avoir étudié jusqu'en 8ième année ou équivalent d'une 12ième année Nouvelle-Ecosse" 13. Avant la date de sa libération effective soit le 26 février 1984, il avait trouvé un autre emploi à la Versatile Vickers, précisément en septembre 1983 et qui est devenue par la suite la MIL Systems Engineering. Le 21 avril 1988, suite à la fermeture des bureaux de la compagnie MIL Systems Engineering le plaignant a été mis à pied. Il a cependant été rémunéré jusqu'au 30 juin 1988.

Compte tenu de la preuve présentée et de l'application des critères établis par la jurisprudence, le tribunal en vient à la conclusion qu'une

12 Page 792 des notes sténographiques vol. 5, lignes 16 et 17.

13 Page 799 des notes sténographiques, vol. 5.

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période d'indemnité de cinq (5) ans à compter de la libération effective soit le 26 février 1984 est justifiée. Plus particulièrement mais non limitativement, le nombre d'années de services au sein des Forces armées canadiennes, la formation du plaignant, les tâches particulières accomplies au sein des Forces armées canadiennes sont tous des éléments qui, à mon avis, militent en faveur de l'établissement de cette période d'indemnité. En conséquence, toutes les pertes monétaires subies par le plaignant après le 26 février 1989 sont, aux yeux du tribunal, trop lointaines pour être reliées à l'acte discriminatoire des Forces armées canadiennes.

Quant aux dommages à ce titre, la seule preuve présentée au tribunal par la Commission est le rapport de l'actuaire H. Wayne Woods. Or, selon cette preuve, que le tribunal retient, il appert que les revenus gagnés du 26 février 1984 au 26 février 1989 sont supérieurs à ce que le plaignant aurait reçu en demeurant à l'emploi des Forces armées canadiennes. Le tribunal réfère aux tableaux produits en annexe B du rapport de l'actuaire préparé le 10 novembre 1993 et reproduits à la fin de la présente décision.

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Procédant au calcul sur la base du rapport de M. Wayne Woods, actuaire, il appert que M. Levac aurait dû gagner du 26 février 1984 au 26 février 1989 au sein des Forces armées canadiennes, une somme de 215,518.67$ et que celui-ci a reçu dans les faits une somme de 245,068.17$ créant ainsi une perte positive de 29,549.50$. 14

En conséquence, le tribunal conclut qu'aucune somme n'est due au plaignant à titre d'indemnité salariale, les gains ayant été faits par le plaignant étant supérieurs à ceux qui auraient été générés au sein des Forces armées canadiennes.

2. Fonds de pension

Quant à l'indemnité pour fonds de pension, le tribunal ayant déterminé une période d'indemnité de cinq ans quant aux dommages reliés à l'acte discriminatoire, il y a lieu d'analyser les dommages reliés au fonds de pension, le cas échéant. Il appert de la seule preuve soumise à ce titre que le plaignant a retiré un fonds de pension des Forces armées canadiennes mais que s'il était demeuré à l'emploi de l'intimée, il aurait bénéficié d'un fonds de pension plus important.

Compte tenu de ce qui précède, le plaignant a droit à un ajustement de son fonds de pension pour la période d'indemnité de cinq (5) ans soit du 26 février 1984 au 26 février 1989. Mais avant de quantifier les dommages réels, il y a lieu pour les parties de déterminer quel aurait été le fonds de pension de M. Levac au 26 février 1989. A ce titre, le tribunal réserve sa juridiction si les parties ne peuvent s'entendre quant aux pertes réelles relatives au fonds de pension pour la période d'indemnité déterminée.

Les parties devront évidemment prendre en considération les sommes reçues par M. Levac de 1984 à 1989.

3. Bénéfices marginaux (soins dentaires)

La preuve présentée au tribunal par le plaignant au titre des dommages pour bénéfices marginaux, en l'occurence les soins dentaires pendant la période d'indemnité, n'établit pas selon toute vraisemblance des dommages réels et subis par M. Levac. Tout au plus, cette preuve représente un estimé de traitement dentaire idéal à être administré au plaignant.

A tout événement, s'il y avait des dommages à ce titre, ils auraient été de beaucoup inférieurs à la différence entre les sommes que le plaignant a reçues pendant la période d'indemnité et celles qu'il aurait obtenues des Forces armées canadiennes.

14 Rapport des actuaires Woods & Associates préparé le 10 novembre 1993, Annexe B calcul des gains supposés du 26 février 1984 au 26 février 1989.

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4. Dommages moraux

Le paragraphe 53 (3) de la Loi se lit comme suit:

Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le tribunal peut ordonner à l'auteur d'un acte discriminatoire de payer à la victime une indemnité maximale de cinq mille dollars, s'il en vient à la conclusion, selon le cas: a) que l'acte a été délibéré ou inconsidéré; b) que la victime en a souffert un préjudice moral.

Le tribunal qui a statué sur le bien fondé de la plainte a précisé que 15:

Pour tous les motifs qui précèdent, le tribunal déclare que la plainte dont il est question en l'espèce est fondée et conclu que les intimées bien qu'elles n'aient pas agit volontairement ni avec insoucience, ont néanmoins posé un acte discriminatoire en contravention de l'alinéa 7 a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Le tribunal n'ayant aucune preuve satisfaisante à l'égard des dommages moraux qui auraient pu être subis par le plaignant, rejette sa demande à ce titre, soulignant au surplus que les Forces armées canadiennes n'ont pas agi volontairement ni avec insouciance dans la présente affaire.

15 Supra note 1.

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5. Atténuation des dommages

Le tribunal, compte tenu des critères établis par la jurisprudence en la matière et de la preuve soumise est satisfait des efforts déployés par le plaignant pour atténuer ses dommages et déclare qu'il a rempli ses obligations à ce titre.

6. Taux d'intérêt

Quant à la question portant sur le taux d'intérêt qui doit être accordé sur les indemnités, le tribunal estime que le taux accordé par la Banque du Canada est justifié en l'espèce.

7. Autres considérations

Le tribunal a reçu en date du 19 décembre 1994, une correspondance du procureur de l'intimée lui demandant de tenir compte de la décision dans l'affaire Clarke c. les Forces armées canadiennes 16 dans sa propre décision. La présidente du tribunal est liée par la décision de la Cour fédérale d'appel dans la présente affaire et ne peut à ce titre s'y substituer.

16 Clarke c. Les forces armées canadiennes D.T. 17/94.

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CONCLUSION

Pour tous les motifs qui précèdent, le tribunal:

DÉCLARE qu'une période d'indemnité de cinq ans est accordée au plaignant, soit du 26 février 1984 au 26 février 1989;

DÉCLARE que selon la preuve soumise, la perte de revenu du plaignant a été compensée par les gains pour cette période;

CONSTATE qu'aucune preuve ne permet de statuer sur la perte réelle reliée au fonds de pension pendant la période d'indemnité;

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RÉSERVE sa juridiction quant au montant de dommages réels reliés au fonds de pension pendant la période d'indemnité, à être établie par le tribunal à défaut d'entente entre les parties;

REJETTE la réclamation du plaignant quant aux bénéfices marginaux et dommages moraux;

DÉCLARE que le taux d'intérêt applicable, le cas échéant, est celui de la Banque du Canada.

Fait à Cowansville (Québec), ce 20ième jour de décembre 1994.

MARIE-CLAUDE LANDRY Présidente du tribunal

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