Tribunal canadien des droits de la personne

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D.T. 14/95 Décision rendue le 11 octobre 1995

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE

L.R.C. (1985), chap. H-6 (version modifiée)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE: DARLENE MACNUTT LOLITA KNOCKWOOD JOHN B. PICTOU FILS les plaignants

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE la Commission

- et -

CHEF ET CONSEIL DE LA BANDE INDIENNE DE SHUBENACADIE les intimés

- et -

MINISTERE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN la partie intéressée

DÉCISION DU TRIBUNAL

TRIBUNAL: Gillian D. Butler, présidente Marie Crooker, membre Kent Morris, membre

ONT COMPARU: Margaret-Rose Jamieson, avocate de la Commission canadienne des droits de la personne

David English, avocat des intimés

Michael F. Donovan, avocat de la partie intéressée

DATES ET LIEUX Les 23 au 25 août 1994 DE L'AUDIENCE: Les 30 août au 2 septembre 1994 Les 19 au 23 et 26 au 28 septembre 1994 Les 7 au 9 novembre 1994 TRURO (NOUVELLE-ÉCOSSE) Les 11 au 13 janvier 1995 HALIFAX (NOUVELLE-ÉCOSSE) TRADUCTION

TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION

LES PLAINTES

Darlene MacNutt

John B. Pictou fils

Lolita Knockwood

PROGRAMME D'ASSISTANCE SOCIALE DE LA NOUVELLE-ÉCOSSE

PROGRAMME D'ASSISTANCE SOCIALE DU GOUVERNEMENT FÉDÉRAL DESTINÉ AUX RÉSERVES

Elizabeth Michael

Craig Hinchey

Kevin Brian Dorey

Francis Lamont

John Brown

John Higham

Philip Adams

REFUS DE LA BANDE D'ACCORDER DES PRESTATIONS D'AIDE SOCIALE AUX NON-AUTOCHTONES

Ex-chef John Knockwood

Alan Knockwood et Peter Julian

Doreen Knockwood

Chef Reginald Maloney

RÉSIDENCE DANS LES RÉSERVES INDIENNES

DROIT APPLICABLE

Principes généraux

Discrimination fondée sur l'un des motifs prohibés

Services destinés ou habituellement offerts au public

MOTIFS JUSTIFIABLES

Article -- Loi canadienne sur les droits de la personne

L'alinéa 15g) -- Loi canadienne sur les droits de la personne

RÉPARATION

INTRODUCTION

Les plaintes de Darlene MacNutt, de Lolita Knockwood et de John B. Pictou fils, ainsi que la plainte de James S. Pictou II, devaient initialement être entendues par le Tribunal des droits de la personne à Truro, province de la Nouvelle-Écosse, le 23 août 1994. A l'ouverture de l'audience, le Tribunal a, à la demande de l'avocat de la Commission et avec le consentement de toutes les autres parties, rendu une ordonnance ajournant indéfiniment la plainte de James S. Pictou II.

Le même jour, encore avec le consentement des parties, le Tribunal a reconnu au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, ci-après appelé MAINC, la qualité de partie intéressée, lui accordant le droit de participer à l'audience, d'assigner et de contre-interroger des témoins et de plaider.

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LES PLAINTES

Darlene MacNutt

Le 24 avril 1987, Darlene Copage, autochtone appartenant à la bande indienne de Shubenacadie, a épousé Gordon MacNutt (un blanc) avec qui elle habitait dans la réserve de Shubenacadie depuis 1980. Le 13 mai 1987, Darlene MacNutt s'est présentée au bureau de la bande, a rencontré Elizabeth Michael (administratrice du développement social) et l'a informée de son mariage. Elle lui a demandé si M. Gordon MacNutt avait droit aux prestations d'aide sociale versées par la réserve. D'après ses notes, Mme Michael s'est dûment renseignée auprès du MAINC et a informé le chef et le conseil de la façon dont elle interprétait les Lignes directrices, politiques et procédures concernant les services communautaires autochtones. A son avis, ces lignes directrices donnaient à M. MacNutt le droit de recevoir des prestations, mais le chef (John Knockwood) et le conseil ont refusé le versement de celles-ci et Mme Michael a informé Mme MacNutt de leur décision (voir la pièce A-2, page 370). Pour refuser le versement de prestations, le chef John Knockwood n'a pas consulté le MAINC, mais l'un de ses conseillers, Alan Knockwood, a témoigné que le conseil avait donné l'ordre à l'administratrice de la bande de vérifier auprès du MAINC. Aucun procès-verbal ne vient confirmer l'exactitude de ce témoignage.

Entre 1987 et 1994, Mme MacNutt a inscrit le nom de son mari sur les demandes annuelles d'aide sociale qu'elle a présentées à la bande (voir les pièces A-2, pages 375, 368, 344, 328, 322, 318 et 303, et A-4). Elle a prétendu que dans chaque cas les prestations pour son mari lui ont été refusées parce que l'argent des Indiens était destiné exclusivement aux Indiens. Bien que les témoignages divergent sur ce point, le Tribunal est convaincu que la position prise par l'ex-chef Julian lors d'une séance ultérieure le 7 août 1991 correspond à la position officielle de la bande et du conseil entre 1987 et 1994. Dans la pièce A-12, onglet 7, page 35, l'ex-chef Julian dit que [TRADUCTION] le chef et le conseil ont refusé l'aide parce que Gordon n'était pas un Indien inscrit [...]. Le Tribunal reconnaît aussi que (du moins en 1991) le conseil a également [TRADUCTION] exprimé son inquiétude au sujet de la capacité de Gordon de travailler et croyait qu'il tirait [TRADUCTION] des revenus d'autres sources (contrebande).

Au cours de la même période, M. Gordon MacNutt a demandé des prestations d'aide sociale au ministère des Services communautaires de la province de la Nouvelle-Écosse par l'intermédiaire de la municipalité d'East Hants. Quoique les dossiers attestant ces démarches ne soient pas complets, parce que les dossiers antérieurs à 1992 ont été détruits, le témoignage de M. James Ferris, travailleur social de cas, confirme le témoignage de M. MacNutt là-dessus. Toutes les demandes ont été rejetées pour deux motifs : premièrement, parce que M. Gordon MacNutt résidait dans une réserve indienne et que la politique tacite du ministère des Services communautaires voulait qu'il incombe à la réserve de verser des prestations d'aide sociale à toute personne résidant dans la réserve -- l'existence de cette politique est corroborée par une lettre de M. Ferris au ministère des Services communautaires datée du 23 août 1994 (voir HR-1) --; deuxièmement, parce que le montant des prestations que percevait Mme Darlene MacNutt

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privait M. MacNutt du droit à des prestations. Autrement dit, le budget familial n'était pas déficitaire.

Pendant un an entre avril 1990 et avril 1991, M. Gordon MacNutt et l'un des trois enfants de la famille (soit Rachel, 4 ans) ont résidé à Dartmouth et ont touché des prestations d'aide sociale du ministère des Services communautaires. Aucun document relatif à cette demande n'a été présenté au Tribunal.

Le 26 juin 1991, Darlene MacNutt a interjeté appel de la décision de la bande indienne de Shubenacadie de ne pas lui verser de prestations pour son mari (voir la pièce A-1, page 6) et, le 8 août 1991, la commission d'appel des services sociaux du MAINC a donné gain de cause à M. Gordon MacNutt (voir la pièce A-1, page 7). En dépit du fait qu'aux termes des Lignes directrices concernant les services communautaires autochtones, la décision de cette commission est sans appel, le chef et le conseil ont refusé de donner suite à la décision (voir la pièce A-1, page 257).

Le 26 août 1991, Darlene MacNutt a déposé sa plainte initiale devant la Commission canadienne des droits de la personne, alléguant la discrimination dans la fourniture de services destinés au public (aide sociale) fondée sur l'état matrimonial et le sexe, savoir le fait qu'elle était mariée à un blanc (voir la pièce A-1, onglet A, page 1). Le Tribunal a appris qu'après qu'elle eut déposé sa plainte, une réunion avait eu lieu dans la réserve de Shubenacadie à l'occasion d'une enquête menée par la Commission canadienne des droits de la personne. Par la suite, le 25 octobre 1991, une autre réunion qui s'inscrivait dans le cadre du processus de conciliation -- ce que le Tribunal admet -- a été tenue dans la réserve. Mme MacNutt a témoigné qu'à l'issue des réunions, il était clair qu'aucun règlement n'était possible et qu'un tribunal serait constitué. Le 21 novembre 1991, Darlene MacNutt a modifié sa plainte déposée devant la Commission canadienne des droits de la personne (voir la pièce A-1, onglet B, page 3).

Le 24 août 1992, M. Gordon MacNutt a présenté une autre demande d'aide sociale à M. James Ferris au bureau d'Enfield de la municipalité d'East Hants (voir la pièce A-1, pages 149 et 150). Une fois de plus, M. Ferris a conclu que M. MacNutt n'y avait pas droit et il a remis à ce dernier une fiche de renseignements sur la procédure d'appel. M. MacNutt et M. Ferris se sont de nouveau rencontrés le 20 août 1993; celui-ci l'a informé encore une fois de la politique du Ministère, de l'absence de budget déficitaire et de la possibilité de former un appel.

En septembre 1993, Gordon MacNutt a interjeté appel de la décision du ministère des Services communautaires (Municipalité d'East Hants) qui avait refusé de lui verser des prestations (voir la pièce A-1, pages 154 à 159). Lors d'une audience tenue le 23 novembre 1993, la commission d'appel a rejeté son appel, parce que M. MacNutt devait bénéficier de l'aide sociale versée par la réserve de Shubenacadie et à cause de l'absence de déficit budgétaire.

Quand il a communiqué la décision à M. MacNutt, le ministère des Services communautaires lui a indiqué qu'il comprenait que le MAINC avait reconnu

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son obligation de lui verser des prestations et que le problème était imputable au chef et au conseil qui refusaient de verser ces prestations.

John B. Pictou fils

En janvier 1990, le plaignant John B. Pictou fils est arrivé dans la réserve de Shubenacadie en provenance de la Californie aux États-Unis, où il a habité toute sa vie, selon son témoignage. Il était cependant autochtone et membre de la bande indienne de Shubenacadie comme ses parents et son frère James S. Pictou II.

En mars 1990, la fille de M. Pictou, Anna, deux ans, et ses parents sont venus le rejoindre dans la réserve. Dans les demandes d'aide sociale présentées au bureau de la bande durant cette période, M. Pictou s'est porté célibataire et il a inscrit Anna sur la demande de ses parents.

En juillet 1990, le conjoint de fait de M. Pictou, Christine, est arrivée dans la réserve (aussi en provenance de la Californie) et ils se sont mariés dans la réserve le 29 juillet 1990. Toutes les demandes d'aide sociale pertinentes pour le Tribunal comprenaient par la suite le nom de Christine Pictou et de leur enfant unique (puis de leurs deux enfants) (voir la pièce A-2, pages 411, 407 et 395).

Le versement de prestations à Christine Pictou a été approuvé d'abord par le chef Reg Maloney, puis par le chef et le conseil au cours d'une assemblée ordinaire. Christine Pictou a été incluse dans le budget de John B. Pictou fils par la suite jusqu'en avril 1992. En outre, durant la période du 9 août 1990 au mois d'avril 1992, toutes les demandes visant des besoins particuliers qui ont été présentées à la bande au titre du transport à des fins médicales et autres ont été agréées (voir la pièce A-2, pages 399 et 400).

En avril 1992, lorsque M. Pictou s'est rendu au bureau de la bande comme tous les deux jeudis pour prendre son chèque d'aide sociale, il s'est rendu compte que le montant avait été réduit. Il est retourné peu après au bureau et a parlé à Mme Elizabeth Michael qui l'a prié de voir le chef Reg Maloney. Au cours de la conversation qui s'est ensuivie, M. Pictou a été informé que Christine Pictou avait été rayée de son budget parce qu'elle n'était pas autochtone.

M. Pictou a témoigné qu'il avait contesté la décision de la bande parce que des prestations avaient été versées au nom de Christine pendant presque deux ans et qu'en plus, la famille n'avait pas été avisée de la décision de la bande. Au cours de cette conversation, il a été convenu qu'un autre chèque (incluant Christine) serait émis à la famille et que par la suite, les chèques porteraient une somme réduite.

Il n'est pas sans intérêt de noter que M. Pictou a également témoigné que lors de son arrivée en 1990 de l'État de la Californie il avait fait part au chef Reg Maloney de ses inquiétudes concernant l'immigration. Durant cette conversation, M. John B. Pictou fils s'est vu assurer que Christine ne serait pas forcée de quitter la réserve par les fonctionnaires de l'immigration. M. Pictou en a déduit que la bande avait choisi de traiter Christine comme un membre de la bande.

Après sa conversation en avril 1992 avec le chef Reg Maloney concernant la radiation de Christine Pictou du budget de M. Pictou, ce dernier a été

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informé de son droit d'en appeler à la commission d'appel des services sociaux du MAINC. Lors de l'audience tenue à Truro le 14 juillet 1992, personne ne représentait la bande indienne de Shubenacadie (voir la pièce A-2, page 385). Comme dans le cas de Gordon MacNutt, l'appel de Pictou a été accueilli et la commission a ordonné que le nom de Christine Pictou soit réinscrit dans le budget de M. Pictou (voir la pièce A-1, page 171). Néanmoins, le versement de prestations d'aide sociale à l'égard de Christine Pictou a été refusé parce qu'elle est blanche.

La seule tentative de M. Pictou pour obtenir de l'aide sociale au nom de sa femme du ministère des Services sociaux de la province de la Nouvelle- Écosse a consisté dans un appel téléphonique fait peu après le mois d'avril 1992 au cours duquel il a été informé que, puisque Christine résidait dans la réserve, le Ministère ne pouvait pas aider la famille.

Toutes les demandes ultérieures d'aide sociale présentées à la réserve comprenaient Christine Pictou à titre de personne à charge, mais aucunes prestations n'ont été versées. De plus, après avril 1992, lorsqu'une demande relative à des médicaments a été présentée à la pharmacie du quartier, la famille a été informée que le nom de Christine Pictou ne figurait plus sur la liste des personnes assurées et que, par conséquent, le prix des médicaments ne serait pas payé.

En dépit de ce qui précède, M. Pictou a informé le Tribunal que M. Peter Julien (chef intérimaire) avait augmenté le chèque d'aide sociale de M. Pictou de 40 $ (de 367 $ à 407,22 $) pour des raisons humanitaires entre 1991 et 1992 (voir la pièce A-2, pages 376, 422 et 423). Mme Michael a expliqué plus tard que M. Pictou se trompait. Le paiement en trop résultait d'une erreur et il a été décidé par l'un des conseillers (Richard Sack), par l'administratrice de la bande et par Elizabeth Michael que cette somme ne serait pas recouvrée.

Lolita Knockwood

En mars 1985, Lolita Knockwood a quitté son domicile de la rue Dominion à Truro pour s'installer dans la réserve de Shubenacadie chez son conjoint de fait Garfield Knockwood. Lolita et Garfield Knockwood se sont mariés dans la réserve le 24 août 1985 et ont résidé dans la réserve depuis lors. Pendant l'intervalle, ils ont eu trois enfants, Megan née en 1987, Caitlin née en 1989 et Michael né en 1993. M. Garfield Knockwood est autochtone et membre de la bande de Shubenacadie. Les trois enfants sont membres de la bande, inscrits sous le numéro de M. Knockwood tant qu'ils n'auront pas 18 ans, puis seront inscrits sous leur propre numéro. Lolita Knockwood est toutefois de race blanche.

Lolita Knockwood a terminé sa douzième année et est une jeune personne qui parle doucement et s'exprime avec facilité. Son mari est un jeune homme timide et sans prétentions qui a occupé une longue série d'emplois saisonniers ou à temps partiel malgré un état de santé précaire associé principalement au diabète. Sans hésiter, le Tribunal accepte le témoignage de M. et de Mme Knockwood selon lequel ils ont fait de gros efforts pour ne pas vivre aux crochets de l'assistance sociale, parce qu'ils pensaient qu'il existait une bien meilleure façon d'élever leurs enfants. Ce n'est pas faute d'efforts que M. Knockwood n'a pu atteindre l'autonomie

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financière grâce aux emplois qu'il a postulés comme pilote d'hélicoptère, dans une entreprise de transport par camion, dans les services de police ou de sécurité, dans un magasin d'articles de chasse et de pêche, comme préposé d'ambulance et dans d'autres secteurs.

Le 29 août 1985, Garfield Knockwood a présenté la première de ses demandes d'aide sociale incluant sa femme. En fait, cette demande a été la première jamais présentée à la bande de Shubenacadie à l'égard d'un conjoint non autochtone. Comme l'a expliqué Mme Michael, avant le projet de loi C-31 (en vigueur en juillet 1985), les blanches qui épousaient un Indien devenaient membres de la bande, de sorte qu'aucun cas ne rentrait dans cette catégorie avant juillet 1985.

Comme l'administratrice de la bande (Doreen Knockwood) était la soeur de Garfield Knockwood, Mme Michael a soumis la demande à l'approbation du chef (alors Peter Julian) et du conseil, et celle-ci a été approuvée. M. Julian nie cela, mais le Tribunal accepte le témoignage d'Elizabeth Michael sur ce point pour deux motifs. Premièrement, l'ex-chef Julian ne se souvenait pas que le conseil ait étudié la demande de Darlene MacNutt à l'égard de son mari durant la période 1988 à 1990 ni la demande de John Pictou à l'égard de sa femme en 1990. Toutefois, un autre conseiller, Alan Knockwood, confirme les discussions au conseil. Deuxièmement, le témoignage de M. Julian était en général vague et confus, ce qui contraste fortement avec celui de Mme Michael qui, répétons-le, a été présenté d'une manière franche et crédible. Mme Knockwood a été incluse dans le budget et des prestations ont été versées au nom de Garfield et de Lolita Knockwood jusqu'à ce que M. Knockwood se trouve du travail le 2 septembre 1985. Lors de chaque demande postérieure d'aide sociale (voir la pièce A-2, onglet Q, pages 415 à 488), le chef et le conseil ont approuvé l'inscription de Mme Knockwood dans les budgets de Garfield Knockwood. Lolita Knockwood a bénéficié du programme concernant le lait et le jus instauré par la réserve au profit des femmes enceintes lorsqu'elle attendait Megan et Caitlin, et les demandes visant des besoins particuliers (réparation du système de chauffage, ensemble chromé et laveuse, etc.) ont toutes été approuvées par l'administratrice de la bande sur la recommandation de Mme Michael. Lolita Knockwood a aussi été incluse dans la demande suivante d'aide sociale en septembre 1989 et les prestations ont continué d'être versées pour son compte jusqu'en 1992.

Vers le 30 avril 1992, la famille s'est aperçue que son chèque d'aide sociale avait été réduit et plutôt que de manifester leur colère à Elizabeth Michael, les Knockwood ont choisi d'en discuter entre eux puis de se rendre à son bureau. La question de l'absence de préavis avait vraisemblablement été soulevée par M. John Pictou auprès du chef Reg Maloney et, par conséquent, lorsqu'ils se sont présentés au bureau d'Elizabeth Michael, un chèque supplémentaire de 60,12 $ leur a été remis à titre de préavis. Toutefois, ils ont été informés que dorénavant Lolita Knockwood ne serait plus incluse dans le budget de la famille pour le calcul des prestations d'aide sociale.

Quelques jours plus tard, les Knockwood ont appris qu'ils pouvaient en appeler et c'est ce qu'ils ont fait. Une audience a donc été convoquée à Truro le 14 juillet 1992. Comme M. Pictou et M. MacNutt, ils ont eu gain de cause. Malgré la lettre envoyée par le MAINC (laquelle, d'après le

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témoignage de Mme Knockwood, lui a apporté un certain soulagement et l'a portée à croire que la situation serait corrigée), les prestations n'ont pas encore été versées au nom de Lolita Knockwood. En outre, pendant qu'elle attendait Michael (né le 25 novembre 1993), elle n'a pas bénéficié du programme concernant le lait et le jus qui avait été mis en place dans la réserve.

La seule tentative des Knockwood pour obtenir de l'aide sociale du ministère des Services sociaux de la province de la Nouvelle-Écosse a consisté dans un appel téléphonique au bureau de la ville de Truro, qui les a renvoyés au bureau de Winsor. Comme l'a témoigné M. James Ferris, le bureau de Winsor a informé Mme Knockwood que, puisqu'elle résidait dans la réserve, sa demande d'aide devait être présentée à la réserve.

Le 24 novembre 1992, Lolita Knockwood a déposé une plainte devant la Commission canadienne des droits de la personne parce que le chef et le conseil de la bande indienne de Shubenacadie refusaient de donner suite à la décision du tribunal d'appel leur ordonnant de l'inclure dans le budget de Garfield Knockwood aux fins des prestations d'aide sociale (voir la pièce A-1, onglet L).

PROGRAMME D'ASSISTANCE SOCIALE DE LA NOUVELLE-ÉCOSSE

M. James Ferris, travailleur social de la municipalité d'East Hants, au service du ministère des Services communautaires de la province de la Nouvelle-Écosse, a témoigné au sujet du programme d'aide sociale de cette province. Il a témoigné qu'il lui incombait de distribuer les prestations aux bénéficiaires admissibles dans la municipalité conformément à la Social Assistance Act, mais aussi, si le cas s'y prêtait, sous le régime de la Family Benefits Act.

M. Ferris a expliqué le régime d'assistance sociale à deux paliers de la province de la Nouvelle-Écosse. D'un côté, l'assistance municipale prévue par la Social Assistance Act est destinée à contribuer aux besoins d'urgence et l'assistance provinciale sous le régime de la Family Benefits Act vise à contribuer aux besoins à plus long terme et est d'ordinaire limitée à deux types de cas, les adultes séparés avec personnes à charge et les adultes invalides.

Ce sont les prestations prévues par la Social Assistance Act qui sont pertinentes par rapport aux présentes plaintes.

M. Ferris a expliqué également que chaque municipalité établit sa propre politique et ses lignes directrices en matière de prestations. Par exemple, le bureau de M. Ferris se trouve dans la ville de Winsor, mais les dossiers dont il s'occupe proviennent de cinq municipalités qui ont leur propre politique en matière de prestations, laquelle est soumise à l'approbation préalable du conseil municipal et de la province de la Nouvelle-Écosse.

Il a versé au dossier du Tribunal sous la cote A-1, onglet G, la politique suivie par la municipalité d'East Hants. De plus, il a identifié le manuel du programme de la province de la Nouvelle-Écosse qui renferme les normes et la législation suivant lesquelles sont déterminées les conditions

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requises pour recevoir des prestations d'aide sociale municipales (voir la pièce A-1, onglet H).

Après avoir examiné les lignes directrices et le manuel, le Tribunal conclut :

  1. Pour percevoir des prestations de la municipalité d'East Hants, une personne doit résider dans la municipalité pendant au moins deux nuits (pièce A-1, page 33).
  2. En outre, elle doit être dans le besoin au sens de la Social Assistance Act (voir la pièce A-1, page 58), état qui est défini par le comité des services sociaux de la municipalité. En ce qui concerne la municipalité d'East Hants, la définition comporte une mesure de souplesse (voir la pièce A-1, page 96, paragraphe 2.3.1.).
  3. Les lignes directrices permettent à la municipalité de verser des prestations aux Indiens inscrits qui ne résident pas dans la réserve (voir la pièce A-1, page 97, paragraphe 2.3.2.).
  4. Ni les lignes directrices, ni la législation, ni le manuel ne font mention de la pratique qui se serait fait jour, au dire de M. Ferris, savoir que les prestations municipales ne devaient pas être versées aux non-autochtones résidant dans une réserve.

Malgré ce qui précède, M. Ferris a refusé d'accorder des prestations à Gordon MacNutt à l'égard de chacune de ses demandes en 1987, 1988, 1991, 1992 et 1993. Comme nous l'avons vu, un appel a été formé et une décision rendue le 23 novembre 1993, rejetant l'appel parce que la demande de M. MacNutt devait être présentée au chef et au conseil de la bande indienne de Shubenacadie (voir la pièce A-1, pages 153 et 157).

Le Tribunal a interrogé M. Ferris au sujet du paragraphe 25(1) de la Social Assistance Act (voir la pièce A-1) qui permet à une municipalité de demander à une autre municipalité le remboursement des prestations versées à une personne résidant temporairement dans la municipalité d'East Hants. M. Ferris a admis que la politique tacite du Ministère voulant que les non-autochtones vivant dans des réserves indiennes ne reçoivent pas de prestations signifiait en fait que le ministère des Services communautaires traitait une réserve indienne comme une municipalité distincte aux fins des prestations d'aide sociale. Vraisemblablement, M. Ferris aurait donc pu verser des prestations à M. MacNutt, à Lolita Knockwood ou à John Pictou, et demander au MAINC de rembourser ces prestations parce qu'il incombait à une réserve de les payer. Toutefois, M. Ferris a témoigné qu'il ne l'a pas fait, parce que cela aurait contrevenu à la politique tacite du Ministère, bien que cela eût été conforme à l'article 25 de la Social Assistance Act.

Un dernier point intéressant découle du témoignage de M. Ferris. Quand le Tribunal l'a interrogé sur les barèmes de l'aide sociale, il a bien précisé que les prestations versées par l'entremise du bureau de la bande dans la réserve de Shubenacadie dépassaient de beaucoup celles versées par la municipalité d'East Hants. Par exemple, en août 1993 dans la réserve, Mme MacNutt et ses trois enfants ont perçu 683,29 $ par mois au titre de la

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nourriture, des vêtements, des besoins personnels, du supplément pour les articles de ménage et du transport. Darlene MacNutt n'aurait eu droit de recevoir du ministère des Services communautaires, municipalité d'East Hants, que 400 $ par mois pour la nourriture et divers besoins essentiels (voir la pièce A-1, page 162). En outre, la municipalité paierait les frais de transport engagés à des fins médicales, de recherche d'emploi ou de rapatriement approuvés par la province de la Nouvelle-Écosse.

Elizabeth Michael n'a pu expliquer les différences de barème à l'égard de la nourriture et des divers besoins essentiels, ainsi que la politique de la réserve pour ce qui est de verser une allocation supplémentaire pour les articles de ménage et pour le transport (catégories non reconnues par le ministère des Services communautaires) qu'en se référant aux dispositions qui suivent des lignes directrices :

[TRADUCTION]

1.00 Aucune loi n'autorise le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (MAINC) à établir un programme d'assistance sociale. Toutefois, le gouvernement fédéral pense que les Indiens doivent bénéficier de tous les programmes de services sociaux qui sont offerts aux citoyens canadiens. Parce que certains programmes ne sont pas offerts aux collectivités autochtones, et pour satisfaire aux obligations particulières du Canada envers les Indiens inscrits, le MAINC a mis en place un Programme d'assistance sociale. Les ressources nécessaires sont fournies chaque année par le Parlement. La délibération no 627879 du Conseil du Trésor, datée du 16 juillet 1964, autorise le MAINC à adopter les barèmes et conditions provinciaux et municipaux dans l'administration des programmes d'aide sociale.

Le Programme d'assistance sociale du MAINC est établi en fonction de normes nationales et tient compte des barèmes et des conditions du régime d'assistance sociale de la Nouvelle-Écosse, adaptés aux besoins particuliers des personnes vivant dans une réserve. Les barèmes sont ajustés en fonction des barèmes provinciaux. Le programme permet de verser aux individus et aux familles autochtones des prestations comparables à celles versées à des non-autochtones dont la situation financière est semblable. L'assistance sociale fournie aux collectivités autochtones dans les réserves est complétée par d'autres programmes publics (c'est-à-dire C.E.I.C., Santé et Bien-être social, Logement, Éducation et Développement économique du MAINC). (voir la pièce A-1, page 187)

PROGRAMME D'ASSISTANCE SOCIALE DU GOUVERNEMENT FÉDÉRAL DESTINÉ AUX RÉSERVES

Elizabeth Michael

Elizabeth Michael est administratrice du développement social pour la bande indienne de Shubenacadie et elle a occupé ce poste sous son appellation actuelle ou précédente pendant 23 ans. Elle est autochtone, membre de la bande de Shubenacadie et a résidé dans la réserve toute sa vie.

La principale fonction de l'administrateur de développement social consiste à appliquer les Lignes directrices concernant les services communautaires

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autochtones rédigées par le MAINC. Ces lignes directrices sont reproduites à la pièce A-1, pages 181 à 302 et c'est sur ce texte qu'a porté le témoignage long et détaillé de Mme Michael.

Dans la réserve de Shubenacadie, Mme Michael s'occupe des dossiers de 425 familles et elle tient un dossier séparé pour chacun de ses clients. Dans chaque dossier sont insérés la demande type (présentée chaque année par le client, d'ordinaire au début de l'exercice de la bande en avril), le budget approuvé par l'administratrice du développement social ou le chef et le conseil (lorsqu'une demande exige leur approbation), les demandes visant des besoins particuliers et des notes qui retracent, selon Mme Michael, l'évolution du cas. Celle-ci a indiqué que tous les dossiers antérieurs à 1980 avaient été déchiquetés de sorte qu'elle ne pouvait témoigner au sujet de cette période qu'en faisant appel à ses souvenirs seulement.

Quant à la plainte de Darlene MacNutt, Mme Michael a confirmé qu'elle avait présenté sa demande datée du 7 avril 1987 à titre de célibataire avec des enfants à charge. Mme Michael a cependant témoigné que, même si Mme MacNutt avait à cette époque inclus son conjoint de fait Gordon MacNutt, étant donné la tournure des événements, à son avis, aucune aide sociale n'aurait été accordée au nom de Gordon MacNutt. Immédiatement après son mariage, toutefois, Mme MacNutt est entrée en contact avec Mme Michael pour l'informer de son mariage et le nom de M. MacNutt à titre d'époux figurait dans toutes les demandes postérieures.

Mme Michael a témoigné qu'elle avait demandé l'approbation de la bande pour inclure Gordon MacNutt dans le budget aux fins de l'aide sociale versée à la famille MacNutt, estimant que ce dernier était une personne à charge aux termes des lignes directrices. A cet égard, elle a prié le Tribunal de se reporter au paragraphe 2.10 qui est ainsi conçu :

[TRADUCTION]

«personne à charge» Époux ou la personne vivant avec le demandeur ou bénéficiaire en qualité d'époux, et toute personne de moins de 18 ans. (voir la pièce A-1, page 195)

Toutefois, le chef et le conseil ont donné à Mme Michael l'ordre de ne pas verser à Darlene MacNutt de prestations pour lesquelles Gordon MacNutt serait inclus dans le budget de celle-ci. Mme Michael a informé Darlene MacNutt de la décision de la bande et de son droit d'en appeler. Dans toutes les demandes ultérieures d'aide sociale présentées par Darlene MacNutt, celle-ci a inclus Gordon MacNutt; Mme Michael a demandé l'approbation par la bande du versement de prestations d'aide sociale pour Gordon MacNutt dans chaque cas, mais elle a toujours reçu les mêmes instructions, savoir ne pas verser de prestations. Il ne lui restait qu'à communiquer cette décision à Mme MacNutt.

Mme Michael a témoigné au sujet de l'effet de la décision de la bande sur Darlene MacNutt et sur sa famille. Elle a informé le Tribunal qu'elle pensait que le budget de Mme MacNutt servait à payer les dépenses de six personnes au lieu de cinq et qu'en conséquence, elle avait souffert de graves privations. En fait, elle s'est rappelé que Mme MacNutt avait dû obtenir une avance de la bande pour acheter des vêtements d'hiver pour les enfants, avance qu'elle a dû rembourser par la déduction d'un petit montant de ses prestations d'aide sociale à venir. En outre, Mme Michael a renvoyé

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Mme MacNutt à la MicMac Children's Foundation et à un groupe de la ville de Halifax qui donnaient pour les enfants des vêtements d'hiver de dessus, de seconde main, qui avaient été nettoyés à sec. Finalement Mme Michael a inscrit la famille MacNutt au fonds de Noël à titre de famille dans le besoin.

Le témoignage d'Elizabeth Michael a apporté beaucoup de poids à celui de Darlene MacNutt et de son mari, Gordon. De l'avis de Mme Michael, Darlene MacNutt a toujours signalé à l'administratrice du développement social les emplois qu'elle occupait, les cours qu'elle suivait ou le fait que M. MacNutt ou l'un des enfants ne résidaient plus dans la réserve. Ces renseignements étaient exigés de tout demandeur par le paragraphe 3.11 des lignes directrices (voir la pièce A-1, page 235).

Mme Michael a été citée à comparaître à l'audience concernant les MacNutt qu'a tenue la commission d'appel des services sociaux du MAINC et a déposé au nom de Mme MacNutt (voir la pièce HR-2). Après l'audience, Mme Michael a reçu une lettre que lui adressait directement la commission d'appel des services sociaux du MAINC et dans laquelle celle-ci l'avisait que l'appel avait été accueilli et confirmait que M. MacNutt devait être inclus rétroactivement dans le budget de Mme MacNutt.

Mme Michael s'est également rappelé qu'en août 1991, Darlene et Gordon MacNutt étaient venus la rencontrer à son bureau pour lui demander quand ils pourraient recevoir des prestations d'aide sociale majorées. En réponse à cette demande, Mme Michael s'est enquérie comme il convenait auprès du conseil et a appris de la bouche de M. Peter Julian que le résultat devait être soumis à l'appréciation du chef et du conseil à l'assemblée du 1er septembre 1991 (voir la pièce A-2, page 340). Mme Michael a témoigné qu'au cours des mois et des années qui ont suivi, plusieurs assemblées avaient eu lieu et que, soit Mme Michael y avait présenté la demande de Darlene MacNutt visant à inclure son mari Gordon dans son budget, soit Darlene MacNutt avait de son propre chef convoqué une réunion avec le chef et le conseil pour y présenter sa demande. Chaque fois, la réponse avait toujours été la même et aucune prestation n'avait jamais été versée au nom de Gordon MacNutt.

Le Tribunal a été ému par le témoignage de Mme Michael relativement au soutien qu'elle apportait à Darlene MacNutt dans ses tentatives pour inclure Gordon MacNutt dans son budget. De toute évidence, Elizabeth Michael était coincée entre l'ordonnance de la commission d'appel des services sociaux tendant à faire verser rétroactivement des prestations pour Gordon MacNutt, d'une part, et le refus du chef et du conseil (son employeur) de l'autoriser à inclure M. MacNutt dans le budget de Darlene MacNutt, d'autre part. En fait, Mme Michael a témoigné qu'elle estimait que le poste qu'elle occupait depuis 23 ans dans la bande indienne de Shubenacadie était menacé parce qu'elle soutenait la position de Mme MacNutt et que la bande l'aurait congédiée [TRADUCTION] si elle avait pu le faire. Le Tribunal reconnaît que cette affirmation se rapporte à un règlement adopté le 14 octobre 1969 protégeant les employés de la bande contre le renvoi non motivé (voir la pièce A-10, onglet 2).

Au cours du mois d'avril 1992, d'après les souvenirs de Mme Michael, elle aurait été convoquée à une assemblée du conseil de bande et on lui aurait

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demandé si la bande versait des prestations d'aide sociale à des personnes dans la même situation que Gordon MacNutt. On lui a ordonné de se rendre à son bureau, de dresser une liste et de cesser immédiatement de verser des prestations à toutes les personnes qui rentraient dans cette catégorie. Ce témoignage confirme la raison pour laquelle Lolita Knockwood et Christine Pictou ont été rayées des budgets de Garfield Knockwood et de John B. Pictou fils vers la fin d'avril 1992.

Le contre-interrogatoire de Mme Elizabeth Michael par l'avocat de la bande de Shubenacadie a porté en grande partie sur la question de savoir si Mme Michael avait administré les services visés dans les Lignes directrices concernant les services communautaires autochtones conformément aux prescriptions énoncées à l'article 2.06 (voir la pièce A-1, page 194) et, en particulier, si elle et son commis avaient tenu les dossiers méticuleusement, entre autres sous les aspects suivants :

  1. la déduction de toutes les sommes devant être défalquées du budget de Mme MacNutt au titre de la rémunération reçue du ministère de la Main- d'oeuvre pour les cours qu'elle a suivis;
  2. la déduction des prestations d'assurance-chômage que Mme MacNutt aurait pu percevoir après ses cours d'une durée de six mois;
  3. l'annulation des prestations d'aide sociale à l'égard de toutes les périodes durant lesquelles la famille MacNutt résidait à l'extérieur de la réserve (par exemple la période de deux mois entre juillet et septembre 1987).

Le Tribunal accepte le témoignage d'Elizabeth Michael (qui est corroboré par les informations budgétaires et les notes concernant les cas, comprises dans la pièce A-2, onglet O, pages 303 à 383) selon lequel elle a été et continue d'être vigilante dans ses efforts pour émettre à ses clients des chèques d'aide sociale exacts. Le Tribunal admet qu'elle a aidé Darlene MacNutt de la même manière qu'elle l'a fait pour d'autres clients en lui avançant parfois des prestations d'aide sociale lorsque les revenus de la famille provenant d'autres sources tardaient à être payés; le Tribunal est également convaincu que Mme Michael a recouvré ces avances sur les chèques postérieurs d'aide sociale payables à la famille MacNutt (bien qu'elle n'ait pas toujours eu l'ordre de recouvrer ces sommes d'autres clients). Une seule conclusion peut être tirée du témoignage d'Elizabeth Michael : elle n'émettrait jamais sciemment en faveur d'un client un chèque qui représente un paiement en trop de prestations d'aide sociale.

Toutefois, le Tribunal est également convaincu qu'en remplissant ses fonctions, elle n'a pas toujours observé strictement les lignes directrices dans le cas de nombre de demandeurs, en plus de Darlene MacNutt. Plus précisément, quoique Mme Elizabeth Michael n'ait pas déduit les prestations d'assurance-chômage que Mme MacNutt aurait pu toucher mais qu'elle n'a pas demandées, Mme Michael a témoigné qu'elle aurait été ridiculisée par le conseil si elle avait forcé un de ses clients à demander l'assurance- chômage au lieu de lui verser les prestations d'aide sociale de la réserve. Quand elle a fait cette déclaration, Mme Michael donnait son impression de ce que serait la réaction du chef et du conseil à une telle proposition en se fiant à son expérience de 23 ans comme administratrice du développement

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social de la bande indienne de Shubenacadie; elle n'est pas arrivée à cette conclusion à la légère.

Elizabeth Michael a fait tout son témoignage avec franchise et précision. De toute évidence, elle s'était préparée soigneusement en vue de sa déposition et a donné au Tribunal l'impression d'être une administratrice du développement social très compétente. Absolument rien n'autorise à penser qu'elle avait tendance à exagérer et rien n'indique qu'elle ait tourné les lignes directrices pour avantager Mme MacNutt, pas plus qu'elle n'a jamais reçu l'ordre de tourner celles-ci de façon à avantager un autre demandeur. Malgré sa propre interprétation de ces lignes directrices (qui, à son avis, permettraient d'inclure Gordon MacNutt, Christine Pictou et Lolita Knockwood dans les budgets familiaux) et malgré la directive de la commission d'appel des services sociaux du MAINC, elle a obéi à l'ordre du chef et du conseil et n'a pas versé de prestations à ces non-autochtones ou en leur nom. Bref, Mme Elizabeth Michael a été un témoin impartial et digne de foi.

De l'avis du Tribunal, il ressort clairement du témoignage d'Elizabeth Michael (corroboré dans une certaine mesure par Doreen Knockwood) que le chef et le conseil de la bande indienne de Shubenacadie avaient établi des politiques verbales quant aux modalités de versement des prestations d'aide sociale dans la réserve et ces politiques verbales comprennent (notamment) les directives qui suivent données à Elizabeth Michael :

  1. ne pas demander de renseignements sur les emplois saisonniers;
  2. ne pas demander de renseignements sur les revenus gagnés par les conducteurs d'ambulance;
  3. ne pas demander de renseignements sur les prestations d'assurance- chômage qui auraient pu être obtenues mais qui n'ont pas été demandées;
  4. ne pas toujours recouvrer les avances pour les vêtements ou d'autres besoins essentiels et urgents, consenties aux demandeurs, mais de les considérer comme des cas à besoins particuliers;
  5. verser des prestations d'aide sociale aux autochtones vivant hors de la réserve s'ils suivent des cours, même s'ils touchent une rémunération à l'égard de ces cours.

Il ressort du témoignage d'Elizabeth Michael que, si la bande de Shubenacadie n'a peut-être pas de politique écrite accordant aux non-autochtones le droit de résider dans la réserve de Shubenacadie, ni de politique relative au versement de prestations d'aide sociale aux époux non autochtones vivant dans la réserve, la bande avait une politique tacite (ou peut-être une politique par défaut) concernant ces questions, pour deux raisons :

  1. pendant les 23 ans qu'Elizabeth a occupé le poste d'agent de bien- être/agent de développement social vivant dans la réserve indienne de Shubenacadie, elle était consciente que les non-autochtones avaient toujours été autorisés à résider dans la réserve;
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  3. Lolita Knockwood et Christine Pictou (épouses blanches d'Indiens résidant dans la réserve) avaient reçu des prestations d'aide sociale pendant des années avant le mois d'avril 1992, après qu'Elizabeth Michael eut obtenu l'approbation du chef et du conseil pour le versement de ces prestations.

Ces faits doivent être pris en considération en fonction de l'alinéa 3.01(2)e) des lignes directrices, qui est ainsi conçu :

L'assistance sociale peut être accordée à : (2) des catégories déterminées de non-autochtones autorisés à résider dans une réserve conformément à la politique de la bande concernant la résidence, à la condition que cette assistance ne puisse être obtenue d'autres sources, par exemple : e) d'autres non-autochtones qui résident dans la réserve conformément à la politique de la bande. (voir la pièce A-1, page 199)

Comme, dans le cas de M. Gordon MacNutt, l'assistance ne [pouvait] être obtenue d'autres sources, c'est-à-dire de la municipalité d'East Hants, et comme il résidait dans la réserve, et ce clairement en conformité avec la politique de la bande, le Tribunal conclut que l'article 3.01 aurait été applicable à Gordon MacNutt, ainsi qu'à Mme Lolita Knockwood et à Mme Christine Pictou.

Il ressort aussi clairement du témoignage d'Elizabeth Michael que la politique tacite du ministère des Services communautaires voulant que les non-autochtones vivant dans les réserves soient privés de l'aide sociale était entrée en vigueur depuis deux ans. En outre, elle a témoigné que c'étaient seulement les prestations d'aide sociale municipales versées par le ministère des Services communautaires (par l'entremise des municipalités) qui étaient considérablement inférieures à celles versées par la réserve. Mme Michael a témoigné que les prestations d'aide sociale autochtones versées en application des lignes directrices étaient modelées sur les prestations d'aide sociale provinciales versées par le ministère des Services communautaires et étaient donc assez comparables. De plus, elle a admis qu'à sa connaissance, des autochtones dans sa réserve touchaient des prestations d'aide sociale provinciales au lieu des prestations équivalentes versées par la réserve. Cette anomalie s'est produite parce que leurs demandes ont été présentées au ministère des Services communautaires avant la modification de la politique tacite, précitée, de ce ministère.

De l'avis de Mme Michael, il y avait aussi une différence importante entre les critères d'admissibilité à l'aide sociale versée dans la réserve et à l'aide sociale municipale versée à l'extérieur de celle-ci. Dans la réserve (à son avis, à cause de l'isolement, de la rareté des véhicules automobiles et généralement du faible taux d'emploi), les demandeurs d'aide sociale n'étaient pas tenus de prouver qu'ils cherchaient activement du travail. En dehors de la réserve, cette preuve était exigée pour le versement des prestations d'aide sociale municipales.

L'effet réel sur Mme Elizabeth Michael des décisions du chef et du conseil est devenu évident d'une manière poignante quand Mme Michael a témoigné

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relativement au dossier de Lolita Knockwood. Essentiellement, Mme Michael a témoigné que ces plaintes lui avaient causé beaucoup d'ennuis, surtout en ce qui concerne les conseillers de la bande, Debra et Thomas Maloney, qui partageaient le portefeuille de l'aide sociale. Ces derniers et le chef Reg Maloney avaient en fait présenté une motion visant le renvoi de Mme Michael. Elle a témoigné en outre qu'elle avait sérieusement songé à démissionner, mais qu'elle avait conclu que plus personne ne serait là pour aider ses clients. Elle est allée jusqu'à communiquer avec le MAINC (soit avec M. Brian Skabar) qui l'a aidée en lui remettant une copie d'une description de poste relative à un poste vacant. Peu après, des anciens de la réserve et d'autres membres de sa collectivité sont entrés en contact avec elle pour lui dire que sa démission était exactement ce que souhaitaient la bande et le conseil. Mme Michael a donc conservé son emploi, bien que le Tribunal admette que cette période a été très stressante et frustrante pour elle.

Craig Hinchey

Le premier témoin cité par le ministère des Affaires indiennes et du Nord (MAINC) a été M. Craig Hinchey de Sackville, au Nouveau-Brunswick, qui est actuellement analyste des politiques (Politique opérationnelle du développement social) au MAINC. M. Hinchey est au service du MAINC depuis 1982 et a rempli diverses fonctions dans la région de l'Ouest, dans la région de l'Ontario et depuis 1990, dans la région de l'Atlantique. M. Hinchey est chargé de la gestion et de la mise en oeuvre du Programme de développement social pour la région de l'Atlantique.

M. Hinchey a fait l'historique du fondement constitutionnel des lignes directrices qui figurent dans la pièce A-1, onglet N. A cet égard, il a produit les pièces A-5 et A-6, soit les délibérations du Conseil du Trésor numéros 547716 et 547716-1 datées de 1960 et de 1961 respectivement. Ces délibérations confirment que le Conseil du Trésor a autorisé le Ministère (alors Citoyenneté et Immigration) à fournir des services de bien-être social et d'éducation à certaines catégories de non-autochtones vivant dans les réserves indiennes ou dans des collectivités autochtones. Aux termes de la première délibération (pièce A-5), ces services étaient limités aux personnes suivantes :

[TRADUCTION]

"[...]Indiennes inscrites qui, par mariage ou affranchissement, perdent leur statut d'Indienne, mais qui par la suite reviennent dans leur famille dans la réserve à cause de l'abandon, du décès de leur mari ou pour d'autres raisons, y compris les enfants de ces femmes. Seraient également visés les enfants non indiens de femmes indiennes, c'est-à-dire les enfants illégitimes de pères non indiens ou les enfants non indiens d'une femme qui devient indienne par mariage.

Dans la seconde (pièce A-6), les catégories sont élargies et le Conseil du Trésor approuve la proposition du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration d'étendre les services de bien-être social et d'éducation aux catégories qui suivent de non-Indiens :

  1. les enfants adoptés légalement par des familles indiennes dans une réserve ou dans une collectivité autochtone, et
  2. les autres personnes vivant dans une réserve ou dans une collectivité autochtone à l'égard desquelles l'assistance est justifiée de l'avis du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration.

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De l'avis de M. Hinchey, suivant l'interprétation qui a été donnée au paragraphe (2) ci-dessus, quiconque résidait dans une réserve indienne et satisfaisait par ailleurs au [TRADUCTION] critère des besoins et aux autres conditions d'admissibilité avait droit aux prestations d'aide sociale financées par son Ministère. Il a fait connaître son opinion là-dessus dans un message envoyé par télécopieur en date du 23 septembre 1992 qu'il a fait parvenir au chef Ben Paul de la première nation de Pabineau en réponse à une demande de renseignements reçue de cette bande indienne (voir la pièce HR-5). M. Hinchey s'est en outre dit d'avis que la ligne directrice actuelle 3.01e) était inspirée de l'interprétation de cette délibération du Conseil du Trésor (voir la pièce A-1, page 199).

Le bureau de M. Hinchey est chargé non seulement du financement du Programme d'assistance sociale destiné à tous les habitants des réserves, mais encore de la vérification de la politique, du programme et de l'interprétation des lignes directrices relatives à ce programme dans la réserve. Dans ce sens, la participation du MAINC au programme va au delà de sa participation aux autres programmes sociaux (c'est-à-dire l'aide sociale à l'enfance) à l'égard desquels la participation du Ministère est limitée au financement et la gestion relève de chaque province. Par conséquent, malgré le partage des pouvoirs législatifs qui pourrait autrement attribuer la compétence en matière de programmes de bien-être social aux provinces, le gouvernement fédéral s'est chargé à la fois du financement des prestations d'aide sociale versées à toutes les personnes dans les réserves qui remplissent les conditions et des tâches administratives découlant de la mise en oeuvre convenable de ces programmes.

Bien que le MAINC ne soit pas signataire de la Settlement Act de la province de la Nouvelle-Écosse, M. Hinchey a reconnu que la pratique a été que, lorsqu'une personne a élu domicile dans la province au sens de la Loi, la municipalité où elle s'installe assume la responsabilité financière à l'égard de cette personne et facture la municipalité où la personne réside habituellement. C'est ainsi que le MAINC a remboursé des municipalités pour des Indiens vivant à l'extérieur des réserves pendant les 12 premiers mois et, après cette période initiale de 12 mois, la personne est censée s'être fixée dans la municipalité, de sorte qu'aucun autre remboursement ne sera fait par la suite.

Toutefois, en dépit de cette pratique, M. Hinchey a confirmé que, bien qu'il soit concevable que le MAINC facture une municipalité pour des non-autochtones résidant dans une réserve (jusqu'à 12 mois), le MAINC n'a pas établi de telle pratique. Et ce qui complique les choses, M. Hinchey a aussi reconnu que le MAINC n'avait pas suivi de pratique consistant à rembourser une municipalité à l'égard d'un non-autochtone vivant à l'extérieur d'une réserve jusqu'à un an. En fait, un exemple flagrant de ce genre de cas s'est produit lorsque Gordon MacNutt, qui a résidé à Dartmouth en 1990 et 1991, a reçu des prestations d'aide sociale du bureau municipal de la ville de Dartmouth. Quand cette municipalité a tenté de recouvrer du MAINC les prestations versées à ce non-autochtone vivant à l'extérieur d'une réserve, le MAINC a refusé le remboursement (voir la pièce A-15, page 208). De l'avis de M. Hinchey, ce refus était fondé sur d'autres motifs et un cas unique ne saurait constituer un précédent. Le Tribunal conclut cependant que ce cas illustre très bien la confusion dans laquelle se trouvaient le MAINC, la province de la Nouvelle-Écosse et les municipalités respectives quant à la meilleure façon de procéder pour faire bénéficier des programmes sociaux des personnes comme Gordon MacNutt, Lolita Knockwood et Christine Pictou qui vivaient parfois dans une réserve, parfois à l'extérieur.

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Kevin Brian Dorey

M. Dorey est directeur par intérim de la Division des successions, de l'effectif des bandes et des dispositions statutaires à la Direction des services fonciers et fiduciaires du MAINC depuis 1990. Dans l'exercice de ses fonctions, il tient le registre de tous les Indiens et approuve les codes relatifs à l'inscription établis par les premières nations ainsi que les règlements administratifs préparés par les premières nations conformément à l'article 81 de la Loi sur les Indiens.

Pour ce qui est de l'élaboration des règlements administratifs, M. Dorey a indiqué que le MAINC examinait les projets de règlement pour vérifier ce qui suit :

  1. si la prise du règlement est autorisée par l'article 81 de la Loi.
  2. s'il est compatible avec la Charte canadienne des droits et libertés.
  3. s'il est compatible avec les règles de justice naturelle.
  4. s'il renferme une délégation de pouvoirs non autorisée.
  5. s'il impose une peine plus sévère que celle énoncée à l'alinéa 81(1)r) de la Loi sur les Indiens.
  6. s'il comporte de graves défauts de rédaction.
  7. s'il est censé avoir un effet rétroactif.
  8. s'il contient une clause privative.

Quant au premier critère, savoir si la prise du règlement est autorisée par l'article 81 de la Loi, M. Dorey était d'avis que les conseils de bande n'ont pas le pouvoir de prendre des règlements administratifs qui concernent en quoi que ce soit la question des prestations d'aide sociale. Nous reviendrons plus en détail sur ce point dans les pages qui suivent.

De plus, selon M. Dorey, si une première nation ne prend pas de règlement administratif dans un domaine donné qui doit néanmoins être régi (par exemple, le zonage), il en résulte un vide car le MAINC ne serait pas habilité à intervenir en pareil cas. Quant à la question de la résidence, M. Dorey était d'avis que, si une première nation ne prenait pas de règlement administratif à ce sujet, le MAINC ne pourrait intervenir qu'en vertu du paragraphe 28(2) qui permet au ministre d'autoriser toute personne (pour une période maximale d'un an, ou, avec le consentement de la bande, pour toute période plus longue) à occuper ou utiliser une réserve, ou à résider ou autrement exercer des droits sur une réserve.

Dans l'exercice de ses fonctions définies par les dispositions de la Loi, M. Dorey est chargé de surveiller toutes les élections visées aux articles 74 à 80 de la Loi sur les Indiens. Aux termes de l'article 82 de la Loi, le conseil élu doit faire parvenir au MAINC un exemplaire de tout règlement administratif qu'il prend et celui-ci entre en vigueur quarante jours après sa prise, à moins que le MAINC ne l'annule s'il estime qu'il est incompatible avec les principes précités. A cet égard, M. Dorey s'est référé au Règlement intérieur du conseil de bande et, en particulier, à l'article 6 et au paragraphe 18(2). A son avis -- le Tribunal accepte cet avis -- ces dispositions du règlement, si on les rapproche de l'alinéa 2(3)b) de la Loi, établissent le processus qui suit pour l'élaboration des règlements administratifs :

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  1. Tout règlement administratif doit être soumis au chef et au conseil à une assemblée générale ordinaire ou extraordinaire.
  2. A l'assemblée, le quorum doit être atteint (dans le cas de la bande de Shubenacadie, au cours des dernières années, le quorum était de cinq membres).
  3. La question est tranchée par un vote général à la majorité des membres présents.
  4. Le chef ne vote pas, sauf en cas de partage des voix, alors sa voix est prépondérante.

Parmi les règlements administratifs qui ont été soumis au MAINC conformément à l'article 82 de la Loi, le Tribunal estime qu'un seul est particulièrement pertinent. Le règlement administratif no 82-4 de la bande de Shubenacadie a été adopté par le conseil le 23 septembre 1982 en vertu de l'alinéa 81(1)p) de la Loi, qui vise les personnes qui pénètrent sans droit ni autorisation dans la réserve. Au moyen de ce texte, la bande indienne de Shubenacadie proposait de limiter la durée du séjour autorisé des visiteurs ou invités dans les [TRADUCTION] habitations appartenant à la bande (mais non dans celles appartenant à des individus) à seulement deux semaines par période de 12 mois et en outre d'imposer une amende de 100 $ pour toute violation. Comme l'amende proposée excédait la limite fixée à l'article 30 de la Loi sur les Indiens et que son application aurait constitué un acte discriminatoire, le ministre a annulé le règlement et communiqué sa décision à la bande par un arrêté daté du 28 octobre 1982. La bande de Shubenacadie n'a fait aucun effort pour prendre un autre règlement sur cette question. De plus, selon M. Dorey, le conseil de la bande de Shubenacadie n'a jamais tenté de quelque manière que ce soit de prendre un règlement administratif portant sur la question des prestations d'aide sociale destinées aux personnes résidant dans la réserve. En effet, répétons-le, de l'avis de M. Dorey, le conseil de bande ne serait pas compétent pour prendre un tel règlement administratif.

Un dernier point soulevé par le témoignage de M. Dorey mérite que le Tribunal s'y arrête. Il concerne la question de la rétroactivité. D'après M. Dorey, comme une loi ne peut pas avoir d'effet rétroactif, sauf si elle le prévoit expressément, et comme le paragraphe 82(2) de la Loi sur les Indiens dispose qu'un règlement administratif pris en vertu de l'article 81 entre en vigueur 40 jours après qu'un exemplaire en a été envoyé au ministre, à son avis, les règlements administratifs qui sont donnés comme ayant un effet rétroactif doivent être annulés. Ce point deviendra pertinent plus loin quand nous traiterons de la réparation.

A la fin du témoignage de M. Dorey, il semblait au Tribunal que l'affaire était inextricable. M. Dorey était d'avis que les conseils de bande n'étaient pas habilités à prendre des règlements administratifs relativement aux prestations d'aide sociale. Toutefois, M. Dorey ignorait que M. Hinchey, de son ministère, avait témoigné auparavant que la position du MAINC était que les demandes d'aide sociale pour les non-autochtones vivant dans des réserves devaient être présentées dans les réserves. Comme nous le verrons plus loin, le témoignage de ces deux messieurs n'était pas nécessairement incompatible.

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Francis Lamont

M. Lamont est directeur par intérim de la Division de la gestion des modes de financement au MAINC et, à ce titre, est chargé de gérer les accords conclus en matière de financement entre le MAINC et les premières nations dans la région de l'Atlantique. Dans cette région, il y a 31 bandes dont 13 se trouvent dans la province de la Nouvelle-Écosse, une à Terre-Neuve et 17 au Nouveau-Brunswick.

M. Lamont a décrit les divers types d'autorisations de financement en vertu desquelles le MAINC a financé et finance encore les services essentiels sur les réserves indiennes. Parmi celles-ci, on compte les modèles dits du financement à participation, du financement par subventions et du financement ultime. Dans la pièce A-14, M. Lamont décrit la transition qu'a réalisée le MAINC en réunissant divers accords relatifs à des programmes déterminés, destinés aux premières nations, en uniformisant sa série de modes de financement, en modifiant les modalités de ceux-ci et en introduisant de nouvelles autorisations de financement. Il en a résulté une diminution du fardeau administratif du MAINC car la plupart des programmes offerts aux premières nations ont été financés sur un budget fixe pour encourager la saine gestion des fonds.

Essentiellement, pour les premières nations qui ont choisi le mode principal de financement, les budgets de l'aide sociale (besoins de base) sont tenus pour un mécanisme de financement à participation suivant lequel tout déficit sera comblé par le MAINC, tandis que l'aide sociale (besoins particuliers) constitue un mécanisme souple de paiement de transfert suivant lequel le MAINC ne peut pas combler les déficits et la première nation doit combler ceux-ci en puisant dans les fonds d'autres programmes.

Par comparaison, les 13 bandes indiennes sur les 31 de la région de l'Atlantique qui ont choisi les modes optionnels de financement qui doivent répondre au critère minimal du MAINC ne font pas l'objet du même contrôle que les bandes qui ont opté pour le mode principal de financement.

La réserve indienne de Shubenacadie a conclu un accord de financement selon le mode principal et, par conséquent, les programmes d'aide sociale et les autres programmes financés par le MAINC doivent être administrés conformément au Manuel d'administration du programme (voir la pièce A-12, onglet 13, page 61).

M. Lamont a recensé neuf conditions qui s'appliquent aux avances visant le développement social. Il est essentiel de reproduire quatre de celles-ci :

  1. Les types et niveaux de services et les dépenses qui en découlent doivent être conformes à la politique et aux normes procédurales du programme d'assistance sociale du Ministère dans la région de l'Atlantique.
  2. L'admissibilité et le montant des prestations sont déterminés selon le processus du critère des besoins qui est lié aux demandes et au déficit budgétaire.
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  4. Les services sont fournis aux personnes qui résident dans la réserve et qui remplissent les conditions visées aux paragraphes 1 et 2, soit les personnes qui résident normalement dans la(les) réserve(s) indienne(s) no(s) .

M. Lamont a indiqué qu'en 1991, le manuel ne contenait plus de conditions individuelles, mais renvoyait au [TRADUCTION] Manuel de l'assistance sociale que M. Hinchey a présenté comme pièce A-1, onglet N. Ce manuel a été remplacé par une version révisée en juin 1994 (voir la pièce A-13). Pour ce qui intéresse le Tribunal, aucune modification ne semble avoir été apportée à l'exigence selon laquelle [TRADUCTION] [l]es services sont fournis aux personnes qui résident dans la réserve et qui remplissent les conditions.

M. Lamont a identifié des mécanismes de financement à participation et des manuels d'administration du programme semblables, qui sont compris dans la pièce A-12, à l'égard de chaque exercice jusqu'à l'exercice 1994-1995 inclus. Pour le présent exercice, l'accord de financement entre le MAINC et la réserve indienne de Shubenacadie oblige le MAINC à verser 4 467 702 $, dont 3 264 635 $ au titre des services sociaux.

Chacun de ces manuels de programme exige le versement de prestations d'aide sociale aux personnes qui résident dans la réserve malgré le témoignage de M. Lamont selon lequel l'autorité du MAINC vise tout d'abord [TRADUCTION] les Indiens inscrits qui résident dans les réserves ou parfois à l'extérieur. Le témoignage de M. Lamont à cet égard était compatible avec celui de Craig Hinchey, puisque tous deux étaient d'accord pour dire qu'au cas où les plaignants (ou l'un d'eux) auraient gain de cause, le chef et le conseil de la bande de Shubenacadie devraient leur verser des prestations d'aide sociale. De plus, si les fonds affectés au programme d'aide sociale pour l'exercice 1994-1995 étaient insuffisants, le MAINC modifierait l'accord de financement à participation en conséquence.

M. Lamont n'a pas donné une réponse aussi équivoque aux questions du Tribunal relatives à la position du MAINC au cas où le Tribunal ordonnerait le paiement rétroactif de prestations aux plaignants et où la bande déciderait de ne pas obéir à cette ordonnance. M. Lamont n'était pas du tout certain qu'en pareil cas, la disposition du Manuel d'administration du programme relative aux mesures de redressement pourrait être invoquée pour éviter une injustice. C'est-à-dire qu'en dépit de la disposition de la pièce A-12, onglet 19, page 112, disant que le MAINC intervient en cas de [TRADUCTION] problème dans l'exécution du programme, M. Lamont était d'avis que le MAINC prendrait garde d'intervenir unilatéralement et qu'une telle décision ne serait prise qu'au niveau du directeur régional.

A la fin du témoignage de M. Lamont, il était clair que la confusion règne même au sein du MAINC pour ce qui est de la nature des pouvoirs que peuvent exercer le chef et le conseil des premières nations relativement à l'exécution des programmes d'aide sociale. Essentiellement, bien que la Loi sur les Indiens définisse le mot Indien et que le MAINC soit compétent à l'égard des affaires indiennes, les délibérations du Conseil du Trésor ont, dans le passé, étendu l'autorité du MAINC à toutes les personnes dans les réserves du moins quant aux prestations d'aide sociale. Malgré cela, M. Lamont était d'avis qu'une bande indienne avait le pouvoir

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discrétionnaire de verser ou de refuser de verser des prestations aux non-autochtones vivant dans la réserve dans la mesure où elle appliquait sa politique de façon uniforme. A cet égard, il pensait que les bandes avaient le pouvoir d'établir leur propre politique en matière de prestations d'aide sociale. Cela est contredit par le témoignage de son collègue Brian Dorey, selon qui les premières nations ne sont pas habilitées à prendre des règlements administratifs touchant les prestations d'aide sociale. Il semble au Tribunal qu'il importe peu que la décision de verser des prestations aux non-autochtones ou de les en priver soit assimilée à un règlement administratif ou à une politique. Le résultat est le même.

Si, de fait, une première nation n'est pas habilitée à prendre un règlement administratif concernant les prestations d'aide sociale, le Tribunal se demande comment il se fait que le MAINC ait autorisé des modes optionnels de financement pour les premières nations. Pour les 13 bandes de la région de l'Atlantique qui ont choisi un mode optionnel de financement, les politiques en matière d'aide sociale sont établies par la bande et elles sont approuvées par le MAINC si elles sont conformes aux exigences du Ministère énoncées à la pièce R-1, page 5 de l'annexe B. Celle-ci exige [TRADUCTION] le traitement équitable de toutes les personnes qui résident dans la réserve. Le Tribunal fait remarquer que cela ne signifie pas le traitement uniforme des non-autochtones qui résident dans la réserve, libellé qui serait exigé si M. Lamont avait raison.

En outre, pourvu que la politique établie par la bande régie par un mode optionnel de financement soit conforme aux cinq exigences formulées par le MAINC, la politique serait approuvée et équivaudrait à un règlement administratif.

En conclusion, le Tribunal accepte le témoignage de M. Craig Hinchey sur ce point pour deux raisons :

  1. il est un employé de la Division des politiques du MAINC;
  2. dans l'exercice de ses fonctions il doit interpréter la Loi sur les Indiens, notamment l'article 81, tandis que les fonctions de M. Lamont sont limitées aux questions financières.

Le Tribunal conclut que le chef et le conseil de la bande indienne de Shubenacadie, une fois qu'ils ont signé l'accord de financement selon le mode principal, n'ont pas le pouvoir discrétionnaire de priver de prestations d'aide sociale les non-autochtones admissibles vivant dans la réserve. Cet accord oblige la bande à respecter les lignes directrices incorporées par renvoi dans ledit accord et ces lignes directrices elle- mêmes exigent le traitement équitable de toutes les personnes qui résident dans la réserve.

Toutefois, le Tribunal n'approuve pas l'opinion de M. Hinchey selon laquelle le MAINC aurait dû rembourser la municipalité de Dartmouth des prestations d'aide sociale versées au nom de Gordon MacNutt en 1990-1991. La Loi sur les Indiens, le mode principal de financement et les lignes directrices, politiques et procédures concernant les services communautaires autochtones exigent tous que les chefs et les conseils

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versent des prestations d'aide sociale à toutes les personnes résidant dans la réserve qui remplissent les conditions. Quand la personne résidant dans la réserve est un Indien et qu'elle déménage à l'extérieur de la réserve, le MAINC peut rembourser la municipalité des versements faits durant les douze premiers mois jusqu'à ce que cet Indien se soit réinstallé. Le MAINC n'a pas à rembourser une municipalité des prestations payées à un non-Indien durant cette période de douze mois ou par la suite.

John Brown

Le premier témoin cité au nom de l'intimé a été M. John Brown qui occupe le poste de directeur de l'Éducation et du Développement social du Bureau de la région de l'Atlantique. Le mandat de la Direction de l'éducation et du développement social de la région de l'Atlantique consistait entre autres à mener à bonne fin le processus de transfert aux réserves du financement par le gouvernement fédéral des programmes destinés principalement aux Indiens. M. Brown était en mesure de décrire un peu l'historique de ce processus de transfert de programmes puisqu'il est au service du MAINC depuis septembre 1976 et que lorsqu'il était enfant, son père était en fait un agent des Indiens. Bien qu'un agent des Indiens ait été un employé de l'État, la famille Brown a été affectée à la réserve de Shubenacadie où ce témoin a résidé en fait pendant quatre ans.

M. Brown a expliqué que, puisque le Conseil du Trésor est un comité du Cabinet auquel tous les ministères adressent leur demandes d'autorisation d'établir des politiques et de dépenser, l'examen des délibérations incluses dans la pièce A-12, aux pages 1 à 28 nous éclaire sur les faits qui ont amené l'instauration de régimes d'assistance sociale pour les réserves. M. Brown a témoigné en termes très généraux à propos du filet de sécurité sociale mis en place par les lois provinciales durant les années 1950 et 1960; auparavant, c'étaient les oeuvres municipales et provinciales qui distribuaient des secours aux Canadiens indigents. A la même époque, le gouvernement fédéral a accepté de partager les frais des programmes sociaux. Comme celui-ci souhaitait établir un programme semblable au bénéfice des autochtones qui ne remplissaient pas les conditions pour toucher les prestations d'aide sociale provinciales, un programme d'assistance sociale destiné aux réserves a été élaboré.

Durant la même période, bon nombre d'Indiennes qui avaient perdu leur statut en se mariant sont revenues dans les réserves. Leurs enfants n'avaient pas de statut et il y avait d'autres personnes sur les réserves qui n'avaient pas de statut pour d'autres raisons (par exemple d'ex-membres des Forces canadiennes, privés ainsi de leurs droits). Par suite de cette situation, des pourparlers ont été engagés avec le MAINC et il a été convenu d'établir des programmes destinés aux non-Indiens vivant dans les réserves qui appartenaient à certaines catégories. Elles sont ainsi énoncées aux pages 5 et 6 de la pièce A-12 :

[TRADUCTION]

(i) Catégorie A

Les épouses privées de leur statut d'Indienne qui sont revenues dans une réserve en raison de l'abandon ou du décès de leur conjoint, ou pour une autre raison valable.

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(ii) Catégorie B

Les enfants non indiens des femmes visées à l'al. (i), vivant soit avec leur mère, soit avec des amis ou des parents qui en ont la garde dans une réserve.

(iii) Catégorie C

Les enfants non indiens illégitimes de mères indiennes, vivant soit avec leur mère, soit avec des amis ou des parents qui en ont la garde dans une réserve.

(iv) Catégorie D

Les enfants non indiens dont la mère est devenue indienne par mariage.

(v) Catégorie E

Les enfants non indiens adoptés légalement par une famille indienne vivant dans une réserve ou dans une collectivité autochtone.

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(vi) Catégorie F

Les autres non-Indiens vivant dans une réserve ou dans une collectivité autochtone à l'égard desquels l'assistance est justifiée de l'avis du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien.

M. Brown a dit que le rôle du conseil de bande consistait à administrer et à exécuter le programme d'aide sociale. Par exemple, la bande est chargée d'embaucher et de former le personnel, de fournir les locaux et les outils et le matériel nécessaires. Par comparaison, le rôle général du Ministère est d'assurer le financement des programmes.

Interrogé par le Tribunal, M. Brown a admis que le rôle de la bande était de satisfaire à ses obligations stipulées dans l'accord de financement selon le mode principal et que le rôle du MAINC était de satisfaire à ses obligations stipulées dans ledit accord. Il a reconnu en outre que ces modes de financement selon le mode principal incorporaient par renvoi le Manuel d'administration du programme (voir la pièce A-12, onglet 22, paragraphe 2) qui (après le mois d'avril 1991) incorpore par renvoi les conditions des Lignes directrices, politiques et procédures concernant les services communautaires autochtones (voir la pièce A-12, onglet 23, page 178). Conformément aux délibérations du Conseil du Trésor précitées, ces lignes directrices prévoient depuis 1991 que les prestations d'aide sociale peuvent être versées aux [TRADUCTION] autres non-Indiens qui résident dans une réserve conformément à la politique de la bande (voir la pièce A-1, onglet N, page 199).

Par contraste avec les obligations des bandes qui ont choisi les modes optionnels de financement et qui ont donc un budget fixe établi par le MAINC et qui gère intégralement leurs propres programmes, le Tribunal a fait remarquer à M. Brown qu'aux termes de l'accord type de financement selon un mode optionnel, les bandes sont tenues d'accorder un [TRADUCTION] traitement équitable à toutes les personnes résidant dans les réserves (voir la pièce R-1, annexe B, page 5, paragraphe 2.6). En dépit de la différence dans le libellé des lignes directrices qui lient les bandes assujetties au mode principal de financement, M. Brown n'était pas d'avis que les bandes ainsi assujetties avaient un pouvoir discrétionnaire plus grand. Autrement dit, ce témoin croyait que toutes les bandes étaient obligées d'accorder un [TRADUCTION] traitement équitable à toutes les personnes résidant dans les réserves.

Il convient de noter également les propos de M. Brown selon lesquels les bandes qui ont conclu un accord de financement selon le mode principal avec le MAINC et qui sont donc tenues de suivre les Lignes directrices, politiques et procédures concernant les services communautaires autochtones doivent respecter la clause de cet accord qui stipule que [TRADUCTION] pour que l'intégrité du programme soit assurée, aucun autre fonctionnaire ne doit s'immiscer dans celui-ci (voir la pièce A-1, onglet N, page 192, paragraphe 1.10). Encore une fois, par contraste, les bandes soumises aux modes optionnels de financement sont liées d'une manière différente et la pièce R-1 ne contient pas de telle clause, mais stipule plutôt que le programme d'assistance sociale établi par la bande doit [TRADUCTION]

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«accorder un traitement équitable à toutes les personnes résidant dans la réserve» (voir la pièce R-1, page 5).

Tenant des propos apparemment contradictoires, M. Brown a indiqué que la position officielle du MAINC était que les prestations d'aide sociale destinées aux non-Indiens dans les réserves relèvent de la province et non du MAINC. Toutefois, il a reconnu qu'au cours des dix dernières années cette ligne de conduite avait systématiquement été écartée dans toutes les régions du pays. En effet, le Tribunal estime que cette position officielle est contraire à la lettre des délibérations du Conseil du Trésor de 1960 et 1961 (voir la pièce A-12, pages 5 à 7) et contraire aux Lignes directrices, politiques et procédures concernant les services communautaires autochtones (voir la pièce A-1, page 199, alinéa 3.01e)), ainsi qu'aux conditions des accords optionnels de financement (voir la pièce R-1, page 5).

Une certaine discrimination est exercée dans au moins un autre programme dans la réserve. Le bénéfice du programme des personnes âgées (qui représentait une modification au Manuel de l'assistance sociale) est limité aux Aînés autochtones (voir la pièce A-1, onglet N, pages 174 et 175) et l'avocat de l'intimé est d'avis qu'il faut interpréter ce texte comme confirmant en partie le pouvoir de la bande de refuser le versement de prestations d'aide sociale aux plaignants.

Quand il s'est fait demander s'il y avait une divergence de vues au MAINC sur la question de l'admissibilité aux prestations d'aide sociale des personnes résidant dans les réserves, M. Brown a reconnu que le Ministère n'avait pas de politique claire et sans équivoque concernant l'admissibilité aux prestations d'aide sociale des non-Indiens vivant dans les réserves. Le Tribunal accepte ce fait puisqu'il a été clairement confirmé par le témoignage d'autres témoins, mais il fait observer qu'il est quasiment incompréhensible que cette affirmation puisse être exacte, étant donné l'engagement qu'a pris le MAINC envers les non-Indiens dans les réserves dès les années 1960 (voir la pièce A-12, pages 1 à 7) et le libellé clair et non ambigu du paragraphe 3.01 du Manuel de l'assistance sociale en ce qui a trait aux bandes assujetties au mode principal de financement.

Essentiellement, M. Brown a indiqué qu'une personne aurait droit aux prestations d'aide sociale si l'administrateur du développement social dans la réserve estimait qu'elle remplissait les conditions et si la décision était approuvée par le chef et le conseil. M. Brown était d'avis que le conseil avait le pouvoir discrétionnaire de verser des prestations d'aide sociale à des non-autochtones vivant dans la réserve parce que, bien qu'il ne soit pas habilité à prendre un règlement administratif concernant les prestations d'aide sociale, il a le pouvoir de prendre un règlement administratif relatif à la résidence.

Le Tribunal convient que le chef et le conseil sont investis d'un pouvoir discrétionnaire quant à la résidence dans la mesure où le paragraphe 3.01 du Manuel de l'assistance sociale prévoit que l'aide sociale peut être versée à d'autres non-Indiens qui ne résident pas dans la réserve conformément à la politique de la bande. Toutefois, le Tribunal conclut qu'une fois qu'une personne s'est fixée dans la réserve, le chef et le

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conseil ne sont pas investis d'un pouvoir discrétionnaire à l'égard de l'aide sociale. Leur seule possibilité en ce qui concerne ces personnes, c'est de les expulser de la réserve. Telle est la situation depuis 1991-1992. Antérieurement, le Manuel d'administration du programme incorporé par renvoi dans l'accord de financement selon le mode principal ne renvoyait pas aux Lignes directrices, politiques et procédures concernant les services communautaires autochtones. On a soutenu qu'en conséquence, les Lignes directrices ne représentaient que des conseils et ne liaient pas la bande, mais le Tribunal conclut que la bande et le conseil pouvaient verser des prestations d'aide sociale aux autres non- Indiens à l'égard desquels l'assistance est justifiée de l'avis du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (voir la pièce R-3, alinéa 3.01g)) et que, par conséquent, avant 1991-1992, c'est le ministre et non la bande qui aurait été investi du pouvoir discrétionnaire.

Interrogé par l'avocat du MAINC, M. Brown a reconnu que, lorsque les délibérations initiales du Conseil du Trésor ont été publiées en 1960-1961, un [TRADUCTION] couple ne pouvait pas être formé d'un Indien et d'un non-Indien, parce que si une Indienne épousait un blanc, elle perdait son statut d'Indienne. Si un Indien épousait une blanche, celle-ci devenait une Indienne. Par conséquent, ce n'est qu'à l'entrée en vigueur du projet de loi C-31 en 1985 que la famille mixte a été reconnue. Ce témoignage jette un éclairage important sur les témoignages ultérieurs.

John Higham

M. Higham est le directeur de la Politique opérationnelle pour la région de l'Atlantique au MAINC. En cette qualité, depuis décembre 1991, il est chargé de la recherche, de l'analyse et de l'évaluation de toutes les politiques dans la région. Son mandat est axé sur les tâches suivantes :

  1. adapter les pratiques du Ministère aux besoins de la région de l'Atlantique;
  2. informer le Bureau national des pratiques de la région de l'Atlantique qui peuvent influer sur les autres politiques régionales ou nationales.

M. Craig Hinchey, témoin déjà mentionné dans la présente décision qui a déposé devant le Tribunal les 1er et 2 septembre 1994, est l'un des analystes des politiques relevant de M. Higham qui sont chargés de la politique sociale.

M. Higham a expliqué pourquoi un bureau régional des politiques était nécessaire. Dans la mesure où chaque région du pays a une histoire politique distincte, le MAINC reconnaît que, bien qu'il y ait des normes nationales, celles-ci doivent être adaptées à chaque région, d'où la nécessité d'un bureau régional. M. Higham a expliqué que les politiques étaient en constante évolution et que cela ressortait des pièces A-1 et A-13. La pièce A-1, onglet N, contient les Lignes directrices, politiques et procédures concernant les services communautaires autochtones en vigueur depuis 1991 et la pièce A-13 représente la version de 1994 des mêmes politiques. M. Higham a indiqué que, dans l'intervalle, un processus de modification avait été mis en branle sous sa direction et un comité de

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travail des administrateurs du développement social des diverses réserves de la région de l'Atlantique avait été désigné à cet effet. Parmi ces derniers, les plus actifs avaient été Tom Christmas, Joan Denny, Debbie Pictou et Elizabeth Michael (de la réserve de Shubenacadie). Ce groupe a présenté des projets de modifications que le MAINC a examinés afin de vérifier s'ils étaient conformes au mandat du Ministère et une réponse a été préparée. M. Higham a témoigné que, parmi les 31 modifications aux politiques de 1991 qui ont été demandées, 30 ont de fait été acceptées comme l'atteste la pièce R-7. La date de prise d'effet des modifications au manuel de 1991 était le 1er avril 1994, malgré le fait que la lettre de référence porte la date du 27 juin 1994.

Interrogé par le Tribunal, M. Higham a reconnu qu'en dépit de l'existence d'un nouveau manuel (pièce A-13), la pratique de toutes les premières nations dans la région de l'Atlantique n'est pas nécessairement identique. Par exemple, dans une section précédente de la présente décision, nous avons fait remarquer qu'Elizabeth Michael avait témoigné qu'à son avis, elle aurait été ridiculisée par le conseil si elle avait forcé un de ses clients à demander l'assurance-chômage au lieu des prestations d'aide sociale de la réserve. Toutefois, les manuels de 1991 et de 1994 exigent clairement que l'administrateur du développement social tienne compte des prestations d'assurance-chômage en décidant de l'admissibilité à l'aide sociale destinée aux autochtones. Certes, le Tribunal est incapable de déterminer si l'hypothèse d'Elizabeth Michael se serait avéré exacte, mais M. Higham savait que ce n'étaient pas toutes les bandes qui observaient strictement le manuel sous ce rapport.

La seule modification sollicitée par les administrateurs du développement social que le Ministère n'a pas adoptée est l'insertion du mot cohabitant dans les questions 18 et 19 d'un formulaire (voir la pièce A-1, onglet N, page 268). Le MAINC a refusé cette modification, précisant qu'il avait entrepris une révision globale de tous les formulaires et que toute modification aux formulaires devait être différée. Le Tribunal fait cependant remarquer que le mot cohabitant figure dans les questions 6, 8 et 13 à 16 du même formulaire depuis au moins 1991. Ce fait est pertinent si on le rapproche du témoignage des plaignants selon lequel l'intimée a tenu compte du revenu et des ressources de leur conjoint dans certains cas, mais non dans tous.

M. Higham décrit dans des termes semblables à ceux employés par MM. Francis Lamont, John Brown, Brian Dorey et, jusqu'à un certain degré, Craig Hinchey, la pratique actuelle du MAINC qui consiste à transférer des fonds aux premières nations soit en conformité avec un accord de financement selon le mode principal, soit en conformité avec un accord de financement selon un mode optionnel, ainsi que le contrôle qui est exercé par son ministère si le manuel du programme (incorporé par renvoi dans l'accord de financement selon le mode principal) n'est pas suivi. Le Tribunal admet volontiers que le MAINC ne remboursera pas à une première nation les dépenses engagées par la bande qui n'étaient pas autorisées par le manuel du programme ou par les Lignes directrices, politiques et procédures concernant les services communautaires autochtones (incorporées par renvoi dans le manuel du programme). Toutefois, lorsqu'une première nation prive un demandeur de prestations d'aide sociale et débourse en conséquence une somme inférieure à celle prévue dans le manuel du programme et dans les

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lignes directrices, le Tribunal conclut que le MAINC a choisi de ne pas exercer de contrôle sur ces cas. Bien qu'il lui ait été loisible d'intervenir et de verser des fonds directement au demandeur et de ne pas se limiter à nommer une commission d'appel des services sociaux dont la décision est, au dire de M. Higham, obligatoire et sans appel, le MAINC s'en est tenu à cette mesure pour assurer le respect de l'accord de financement selon le mode principal, du manuel du programme et des lignes directrices.

Le témoignage de M. Higham a également été utile au Tribunal pour déterminer la pertinence des catégories de non-autochtones définies dans les délibérations initiales du Conseil du Trésor de 1960 et de 1961. Il a témoigné que la nécessité de ces six premières catégories (voir la pièce A-12, onglet 1, page 5) a été supprimée par le projet de loi C-31 entré en vigueur en 1985. Toutefois, la catégorie 7 (autres non-Indiens [...]) n'était pas une catégorie visée par les modifications apportées en 1985 à la Loi sur les Indiens.

Quant au versement à des non-autochtones de prestations-maladie non assurées et la contradiction apparente entre la pièce HR-6 rédigée par Craig Hinchey et la pièce R-5 rédigée par Susan Williams, directrice générale de la Direction du développement social du MAINC, M. Higham a témoigné que les deux documents disaient essentiellement la même chose, savoir que les non-Indiens vivant dans la réserve ont droit aux prestations-maladie non assurées s'ils remplissent les conditions pour toucher des prestations d'aide sociale. Malgré le fait que cette directive ne soit pas énoncée dans le manuel de la politique, M. Higham était prêt à reconnaître que c'était la politique en vigueur et qu'en fait, la politique était suivie dans la région de l'Atlantique.

Pour ce qui est du pouvoir des premières nations de prendre un règlement administratif concernant la résidence, M. Higham a admis volontiers qu'elles possèdent ce pouvoir. Par contraste, il a admis volontiers aussi que les premières nations ne sont pas habilitées à prendre un règlement administratif concernant l'aide sociale. Le Tribunal accepte la réponse du témoin, mais exprime encore une fois son étonnement, car le MAINC lui-même a émis l'avis que le problème soulevé par les plaignants pouvait être réglé par l'élimination du MAINC du processus d'appel (voir la pièce A-20, alinéa 1a)). Toutefois, cela aurait le même effet, comme le Tribunal l'a fait observer à M. Higham, que de permettre aux premières nations de prendre un règlement administratif concernant l'aide sociale.

Finalement, en ce qui concerne certaines contradictions entre le témoignage de M. Craig Hinchey et celui d'autres représentants du MAINC, M. Higham a affirmé catégoriquement que dans le cas d'un non-Indien vivant à l'extérieur de la réserve, à qui la municipalité verse des prestations d'aide sociale, le MAINC ne rembourserait pas ces prestations. Par contraste, toutefois, il rembourserait celles versées par la bande à un non-Indien vivant dans la réserve.

Il n'est pas sans intérêt de souligner en outre que M. John Higham faisait partie de la commission d'appel des services sociaux saisie des dossiers de John B. Pictou fils et de Lolita Knockwood (voir la pièce A-2, onglet P, page 386). Dans son témoignage à propos de ces appels, M. Higham a reconnu

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que les motifs donnés par la commission laissaient supposer que la bande de Shubenacadie tentait d'utiliser les prestations d'aide sociale pour exercer un droit de regard sur l'aptitude des personnes non autochtones à résider dans la réserve. Il a reconnu de plus que la commission d'appel avait décidé en outre qu'en permettant à un non-autochtone de résider dans la réserve, la bande de Shubenacadie avait établi une politique concernant la résidence en application de l'alinéa 3.01(2)e) des lignes directrices (voir la pièce A-1, onglet N, page 199). Le Tribunal accepte cette conclusion et estime qu'elle est confirmée par le témoignage de plusieurs témoins entendus par le Tribunal.

M. Higham a également reconnu qu'une bande assujettie à un accord de financement selon le mode principal est tenue d'atteindre les mêmes objectifs qu'une bande soumise à un accord de financement selon un mode optionnel, savoir le traitement équitable de toutes les personnes qui résident dans la réserve, quoique cette exigence ne soit peut-être pas énoncée expressément dans l'accord de financement à participation selon le mode principal, dans le manuel du programme ou dans les lignes directrices.

Philip Adams

M. Adams est un employé du MAINC depuis le 26 mars 1976 et est le directeur de la Division des terres, des ressources et des fidéicommis du MAINC au bureau de Amherst en Nouvelle-Écosse. M. Adams a témoigné qu'il n'existait que trois manières dont un non-autochtone pouvait être autorisé légalement à résider dans le territoire d'une réserve. La première était prévue à l'article 18.1 de la Loi sur les Indiens :

Le membre d'une bande qui réside sur la réserve de cette dernière peut y résider avec ses enfants à charge ou tout enfant dont il a la garde.

La deuxième manière est prévue au paragraphe 28(2) :

Le ministre peut, au moyen d'un permis par écrit, autoriser toute personne, pour une période maximale d'un an, ou, avec le consentement du conseil de la bande, pour toute période plus longue, à occuper ou utiliser une réserve, ou à résider ou autrement exercer des droits sur une réserve.

La troisième manière est prévue au paragraphe 58(3) de la Loi sur les Indiens :

Le ministre peut louer au profit de tout Indien, à la demande de celui-ci, la terre dont ce dernier est en possession légitime sans que celle-ci soit désignée.

M. Adams a expliqué qu'un certificat de possession ne peut pas être délivré à un non-Indien. Un tel certificat représente la forme la plus complète de propriété de terres dans les réserves qu'autorise la Loi sur les Indiens et le paragraphe 20(2) de la Loi dispose :

Le ministre peut délivrer à un Indien légalement en possession d'une terre dans une réserve un certificat, appelé certificat de possession, attestant son droit de posséder la terre y décrite.

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Même si, en vertu du testament ou de la succession ab intestat d'un autochtone, un certificat de possession était dévolu à un non-Indien, les articles 49 et 50 de la Loi sur les Indiens s'appliqueraient et le certificat de possession devrait être offert en vente. Ces articles sont ainsi conçus :

49. Une personne qui prétend avoir droit à la possession ou à l'occupation de terres situées dans une réserve en raison d'un legs ou d'une transmission par droit de succession est censée ne pas en avoir la possession ou l'occupation légitime tant que le ministre n'a pas approuvé cette possession.

50.(1) Une personne non autorisée à résider dans une réserve n'acquiert pas, par legs ou transmission sous forme de succession, le droit de posséder ou d'occuper une terre dans cette réserve.

(2) Lorsqu'un droit à la possession ou à l'occupation de terres dans une réserve est dévolu, par legs ou transmission sous forme de succession, à une personne non autorisée à y résider, ce droit doit être offert en vente par le surintendant au plus haut enchérisseur entre les personnes habiles à résider dans la réserve et le produit de la vente doit être versé au légataire ou au descendant, selon le cas.

Le Tribunal n'hésiterait pas à accepter la position exprimée par M. Adams relativement aux articles précités de la Loi sur les Indiens, n'eût été le passage de l'article 50 qui dit : une personne non autorisée à résider dans une réserve, car la bande indienne de Shubenacadie a autorisé des non-autochtones à résider dans sa réserve depuis bien des années. Interrogé sur ce point, M. Adams a confirmé que le MAINC n'intervient pas quand des non-Indiens sont présents dans la réserve et laisse cette question à l'appréciation du chef et du conseil. En outre, M. Adams a confirmé que les alinéas 81(1)p) et p.1) de la Loi sur les Indiens habilitaient la bande à prendre un règlement administratif concernant la résidence et le traitement de ceux qui pénètrent sans droit ni autorisation dans la réserve. En l'absence de règlement administratif pris sous le régime de ces articles, mais sachant pertinemment que des non-Indiens résident dans la réserve, M. Adams a confirmé le point de vue du MAINC selon lequel cet état de choses ressortit au pouvoir discrétionnaire du chef et du conseil.

Il est pertinent de faire remarquer à ce sujet que M. Brian Dorey du MAINC a été cité à nouveau et a versé en preuve deux règlements administratifs encore en vigueur. Le premier, pris sous l'autorité de l'alinéa 81(1)p.1) et versé sous la cote R-13, a été soumis au MAINC par la bande de Horton. Le deuxième, pris sous l'autorité de l'alinéa 81(1)p.2) de la Loi sur les Indiens et concernant l'aide sociale à l'enfance, a été soumis par la bande de Kingsclear. Le deuxième était censé être annulé par le ministre en conformité avec la Loi, mais à cause d'une erreur bureaucratique, l'annulation n'a pas été communiquée à la bande au cours de la période de 40 jours prévue et le règlement est donc entré en vigueur du fait que le Ministère n'avait pas respecté les dispositions de la Loi. La teneur de ces deux règlements confirme cependant, du point de vue du Tribunal, qu'à la condition que l'objet d'un règlement administratif revienne à la

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compétence du conseil de bande et ne soit pas par ailleurs discriminatoire, le ministre n'a aucune raison d'annuler le règlement.

La pièce IP-1 contient une lettre adressée au chef et au conseil de la bande indienne de Kingsclear par le directeur, Administration des bandes, ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, dans laquelle sont énoncées les observations ou les objections du MAINC relativement au projet de règlement administratif. Quant au règlement concernant l'aide sociale à l'enfance, les objections qui suivent y sont formulées :

[TRADUCTION]

Nous remarquons que les dispositions de la Loi sur les Indiens sur lesquelles le règlement administratif est censé être fondé sont contenues dans l'alinéa 81(1)p.2), qui prévoit la prise d'un règlement administratif concernant l'adoption de mesures relatives aux droits des conjoints ou des enfants qui résident avec des membres de la bande dans une réserve pour toute matière au sujet de laquelle le conseil peut établir des règlements administratifs à l'égard des membres de la bande.

Bien que les tribunaux n'aient pas statué sur la portée de l'alinéa 81(1)p.2), le sens ordinaire des mots laisse supposer que le conseil de bande peut prendre un règlement administratif qui étend à certains non-membres, savoir les conjoints et les enfants, les droits conférés par les règlements administratifs aux membres de la bande. Autrement dit, le pouvoir législatif prévu à l'alinéa 81(1)p.2) est limité, en ce qui a trait aux droits des conjoints et des enfants, aux matières qui ressortissent déjà à la compétence déléguée au conseil sous le régime de la Loi. Aucune disposition de la Loi n'a pour effet de déléguer l'autorité de prendre un règlement administratif concernant l'aide sociale à l'enfance ou la violence conjugale. Ce sont des sujets visés par la législation provinciale et par le Code criminel.

Encore une fois, ce témoignage confirme la conclusion du Tribunal que le chef et le conseil sont investis d'un pouvoir discrétionnaire lorsqu'il s'agit de décider si des non-Indiens peuvent résider dans leur réserve, mais que s'ils autorisent des non-Indiens à y résider, ils ne peuvent pas les priver de l'accès aux programmes d'aide sociale offerts dans la réserve par l'entremise du MAINC.

REFUS DE LA BANDE D'ACCORDER DES PRESTATIONS D'AIDE SOCIALE AUX NON-AUTOCHTONES

Ex-chef John Knockwood

L'ex-chef John Knockwood a été le chef de la bande indienne de Shubenacadie durant 14 ans entre 1964 et 1990. En outre, il a fait partie de la commission fédérale qui a étudié les conséquences du projet de loi C-31 et de la commission fédérale sur les droits des autochtones garantis par la Constitution du Canada. M. Knockwood est un Indien inscrit et est membre de la bande indienne de Shubenacadie. Sauf pendant la durée de son enrôlement dans les Forces armées canadiennes où il a été affecté à l'extérieur de la province et sauf pour un séjour de huit ans aux États-

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Unis, il a habité toute sa vie dans la réserve de la bande indienne de Shubenacadie.

M. Knockwood a parlé d'abord du processus des élections et de la participation des représentants du MAINC à l'élection des nouveaux conseillers et à leur formation. Il a parlé aussi des pratiques suivies pendant qu'il était chef en ce qui concerne le règlement intérieur du conseil de bande et il a cité, à cet égard, de nombreux exemples de dérogation à ce règlement. Sont notables les cas suivants :

  1. Bien que l'article 6 du règlement fixe le quorum à cinq conseillers, la bande indienne de Shubenacadie a insisté pour qu'il soit de 7.
  2. Bien que le paragraphe 74(2) de la Loi sur les Indiens exige qu'un conseiller par cent membres de la bande soit élu et qu'il n'exige pas que ces membres résident dans la réserve, le conseil de la bande indienne de Shubenacadie n'autorise à voter que les membres de la bande vivant dans la réserve.
  3. L'article 8 du règlement prescrit que seul le chef ou le surintendant peut présider les assemblées du conseil de bande, mais il sait par expérience que d'autres conseillers pouvaient présider les assemblées réunissant le chef et le conseil dans la réserve de Shubenacadie.
  4. Il sait par expérience que si un conseiller ne manifestait pas son opposition à une résolution mais refusait de voter, son abstention était tenue pour un vote en faveur de la résolution. Le Tribunal fait remarquer que ce n'est pas ce que prescrit l'article 20 du règlement qui dit :
  5. [TRADUCTION] Un membre qui refuse de voter est réputé voter oui.

  6. Il a témoigné que, dans le passé, les tentatives de la bande pour adopter une politique relative à la résidence visaient à réparer ce que la bande percevait comme une injustice qui résulte du fait que, s'agissant d'une demande d'aide sociale présentée par une Indienne cohabitant avec un blanc dans la réserve, les revenus de ce dernier n'étaient pas pris en compte, alors que dans le cas d'un couple autochtone habitant dans la réserve, les revenus des deux conjoints l'étaient. En conséquence, le conseil de la bande indienne de Shubenacadie sous l'autorité du chef John Knockwood a pris un règlement administratif concernant ceux qui pénètrent sans droit ni autorisation dans la réserve (voir la pièce A-10, onglet 7) qui a été annulé par le MAINC pour les raisons qui ont été données plus haut dans la présente décision. La pièce R-12 a été déposée ensuite par le truchement de M. Knockwood, savoir une lettre du surintendant de district D. N. Paul du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien à M. R.D. Campbell, directeur, Réserves et fidéicommis, région de l'Atlantique, Affaires indiennes et inuit, Amherst, Nouvelle-Écosse, selon laquelle la position du MAINC relativement au projet de règlement administratif de la bande indienne de Shubenacadie est la suivante :

[TRADUCTION]

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Aux termes du paragraphe 28(1), est nul tout permis censé délivré à une personne par une bande ou un membre d'une bande. Toutefois, une bande ou un membre d'une bande qui est légalement en possession d'une réserve ou d'une terre dans une réserve peut permettre à un membre de cette bande de résider sur cette terre, ou de l'occuper ou de l'utiliser.

L'article 30 (violation du droit de propriété) ne peut pas s'appliquer à un non-Indien qui est l'invité d'un membre d'une bande qui occupe légalement une maison dans la réserve [...]

La violation du droit de propriété s'entend du fait de se trouver, sans droit ni autorisation, sur la terre d'autrui. L'article 88 signifie que les Indiens jouissent de tous les droits des citoyens d'une province, sauf s'ils sont restreints par un traité ou une loi fédérale; par conséquent, les Indiens ont le droit de recevoir des invités dans leur foyer, même s'il se trouve dans une réserve.

J'ai suggéré à la bande de Shubenacadie de retenir les services d'un bon avocat pour faire rédiger un règlement administratif détaillé qui intégrerait les dispositions de la Loi qui peuvent être pertinentes, entre autres les articles 2, 28, 30, 31, 81 et 83.

Était jointe à cette lettre et fait partie de la pièce R-12 une autre lettre de S.A. Roberts, chef par intérim, Division des dispositions statutaires, Réserves et fidéicommis, MAINC, à D.N. Paul, surintendant de district intérimaire, Réserves et fidéicommis, District de Nouvelle-Écosse, MAINC, qui est ainsi libellée :

1. L'alinéa 81p) de la Loi sur les Indiens peut être invoqué. Il y a quelques années les services juridiques ont étudié cette disposition à fond. Ils ont alors émis l'avis que, bien qu'il puisse être appliqué, cet article ne prend effet qu'une fois un individu inculpé et déclaré coupable de violation du droit de propriété, infraction prévue soit à l'article 30 ou à l'article 31 de la Loi. Autrement dit, le conseil ne peut pas fixer par un règlement administratif les conditions auxquelles une personne sera tenue pour avoir pénétré, sans droit ni autorisation, dans la réserve. Malheureusement, les tribunaux ont mis en doute cette interprétation dans un ou deux jugements [...]

3. Le principal problème que posent les actions pour violation du droit de propriété -- jusqu'à un certain point, l'un des problèmes que pose le règlement administratif pris par la bande de Shubenacadie -- c'est que ces actions seront vraisemblablement rejetées si l'accusé vit dans la réserve sur l'invitation expresse ou tacite d'une personne (par exemple, un membre de la bande) qui a le droit de s'y trouver. Or, c'est généralement le cas, si j'en crois votre lettre. Le conseil de bande ne peut pas priver un membre de la bande du droit de recevoir des invités, même si ce sont des visites de longue durée. Le conseil n'est naturellement pas tenu de considérer ce visiteur comme un membre de la bande ou comme ayant autrement droit à des

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avantages/programmes, etc. réservés aux membres de la bande, quoique je me rende bien compte qu'il n'est pas facile de faire respecter une telle ligne de conduite.

4. L'autre défaut majeur du règlement administratif était qu'une grande partie de ses dispositions visaient seulement les invités des familles occupant des maisons appartenant à la bande. Il était donc discriminatoire et aurait été déclaré inopérant par le tribunal.

Annexée à la lettre de S.A. Roberts était une copie d'un projet de règlement administratif portant sur l'expulsion des personnes coupables d'avoir pénétré, sans droit ni autorisation, dans la réserve et sur la peine dont ils étaient passibles, et dont l'article 3 disposait : le conseil peut, par résolution, ordonner à toute personne qui n'est pas un membre de la bande et qui a été déclarée coupable de violation du droit de propriété, infraction prévue à l'article 30 de la Loi sur les Indiens, de quitter la réserve et de ne pas y revenir.

Du point de vue du Tribunal, ce qui précède met en évidence la difficulté qu'avait à surmonter la bande indienne de Shubenacadie pour chasser Gordon MacNutt de la réserve. D'une part, bien que la bande ait eu le droit de prendre un règlement administratif concernant la résidence, son projet à cet égard a été annulé par le MAINC parce qu'il était discriminatoire et pour d'autres motifs. De plus, les avis juridiques cités dans les lettres qu'on a fait circuler au MAINC indiquaient que M. MacNutt ne pouvait pas être poursuivi en violation du droit de propriété puisqu'il était un invité d'un membre de la bande. D'autre part, la bande n'était pas habilitée à prendre un règlement administratif concernant l'aide sociale. En définitive, le Tribunal conclut que la bande indienne de Shubenacadie et le conseil ont eu recours à la pression à l'uniformité ainsi qu'à la privation des prestations d'aide sociale pour exercer un droit de regard sur l'aptitude de certaines personnes à résider dans la réserve.

Le meilleur exemple à l'appui de cette affirmation, en ce qui concerne Gordon MacNutt, se rapporte à une question de logement. En 1986, Darlene MacNutt s'est vu attribuer une nouvelle maison qu'elle devait occuper avec ses enfants. Avant de prendre possession de la maison, elle a épousé Gordon MacNutt et, lors d'une assemblée extraordinaire de la bande et du conseil convoquée après le 24 avril 1987, la bande et le conseil ont révoqué son droit à la nouvelle maison, ont attribué celle-ci à une autre famille et l'ont laissée, avec son mari et ses enfants, dans une maison en très mauvais état. Le Tribunal a appris que, par la suite, des plaintes distinctes déposées par Darlene MacNutt devant la Commission canadienne des droits de la personne ont amené un règlement aux termes duquel une nouvelle maison située dans la réserve a été attribuée à Darlene et Gordon MacNutt et à leurs enfants. Ce type de comportement de la part de la bande de Shubenacadie et du conseil de la bande montre jusqu'où ils étaient prêts à aller pour mettre fin au problème que posait M. MacNutt à leurs yeux.

Bien que l'ex-chef Knockwood ne se soit souvenu que vaguement qu'Elizabeth Michael lui avait soumis la demande de prestations d'aide sociale présentée par Darlene MacNutt au nom de son mari, il était disposé à admettre que cette question lui avait été soumise par l'administratrice du développement

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social et qu'elle avait été ensuite soulevée à une assemblée du conseil. Contre-interrogé sur ce point, le témoin n'était plus certain qu'une résolution ait jamais été adoptée à ce sujet à une assemblée du conseil. Premièrement, il n'existe aucun procès-verbal de l'assemblée en question (ni de fait de quelque assemblée qui soit pertinente du point de vue du Tribunal). Deuxièmement, M. Knockwood a témoigné qu'il arrivait très souvent qu'une question de cette nature ne soit même pas l'objet d'un vote à une assemblée car tous les conseillers étaient unanimes à dire qu'ils n'étaient simplement pas compétents pour prendre une résolution sur la question des prestations d'aide sociale demandées par un non-Indien.

Alan Knockwood et Peter Julian

Les témoignages de ces deux personnes sont exposés dans un seul et même résumé parce que c'est en les rapprochant que le Tribunal a pu déterminer ce qui s'est effectivement passé quand chacun des plaignants a présenté initialement sa demande de prestations d'aide sociale au chef et au conseil pour son conjoint non autochtone.

En juillet 1985, répétons-le, Elizabeth Michael a soumis au chef et au conseil la demande de Garfield Knockwood visant à inclure son conjoint de fait, Lolita Knockwood, dans sa demande de prestations d'aide sociale. A cette époque, M. Peter Julian était chef, mais dans son témoignage fait le 8 novembre 1994, il a prétendu qu'il n'avait pas assisté à cette assemblée, parce qu'il avait été évincé par ses conseillers le mois précédent après avoir occupé son poste durant 14 mois. Il a prétendu que toutes les autres assemblées tenues après juin 1985 avaient donc été présidées par quelqu'un d'autre. Aucun autre conseiller présent à l'assemblée n'a été assigné devant le Tribunal. Par conséquent, le témoignage d'Elizabeth Michael sur ce point est accepté.

En 1987, Elizabeth Michael a présenté pour la première fois la demande de Darlene MacNutt visant à inclure son mari, Gordon MacNutt, dans sa demande de prestations d'aide sociale. A cette époque, M. John Knockwood était chef et, comme nous l'avons vu, il a confirmé dans son témoignage qu'au cours des discussions sur ce point, il a affirmé que le conseil n'était pas compétent pour étudier la question puisque M. MacNutt n'était pas un autochtone. Elizabeth Michael a indiqué que, plus tard, durant la période de 1988 à 1990, elle a présenté chaque année des demandes semblables au chef et au conseil. Durant cette période, M. Knockwood est resté chef et M. Alan Knockwood était conseiller. Ce dernier se rappelle que la question a été soumise au chef et au conseil à cette époque, mais il se souvient que la question a été renvoyée à Doreen Knockwood (administratrice de la bande) afin qu'elle demande des éclaircissements au MAINC. Aucun autre conseiller n'a été cité comme témoin là-dessus et Doreen Knockwood elle-même ne se rappelait pas que la question lui ait été renvoyée. Elle a plutôt indiqué qu'elle croyait que l'administratrice de l'assistance sociale, Elizabeth Michael, avait été chargée d'obtenir d'autres renseignements sur les revenus de M. MacNutt.

En août 1990, la demande de John B. Pictou fils visant à inclure son conjoint de fait dans sa demande de prestations d'aide sociale a été présentée par Elizabeth Michael au chef et au conseil au moment où M. Reginald Maloney était chef, mais Peter Julian était conseiller. Ce

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dernier a affirmé ne pas se souvenir de cette demande. Le chef Reginald Maloney n'avait pas fait partie du conseil depuis 1982 avant d'être réélu en février 1990; le Tribunal convient donc qu'il lui était impossible de savoir (n'ayant pas été membre du conseil) qu'une demande présentée par Garfield Knockwood avait été approuvée par un chef et un conseil précédents.

En août 1991, après que la commission d'appel du MAINC eut rendu sa décision, la question a été renvoyée au chef et au conseil à l'époque où Reginald Maloney était chef, mais où Peter Julian était aussi conseiller. Ce dernier s'est rappelé que cette question avait été renvoyée au chef et au conseil et il a confirmé que ceux-ci avaient refusé de verser des prestations, préférant laisser à ce Tribunal le soin de trancher la question.

Doreen Knockwood

Doreen Knockwood est une Indienne inscrite qui a résidé dans la réserve d'Indian Brook toute sa vie et qui a occupé le poste d'administratrice de la bande au cours des dix-neuf dernières années et qui, avant cela, a rempli durant cinq ans la fonction de secrétaire du conseil de la bande.

Doreen Knockwood a été en mesure de confirmer que, lorsque Elizabeth Michael a soumis au chef et au conseil la demande de Darlene MacNutt visant à inclure Gordon MacNutt dans sa demande de prestations d'aide sociale en 1987, le conseil avait débattu le problème découlant du fait que M. MacNutt avait d'autres revenus qui n'avaient pas été divulgués. Elle a confirmé plus tard qu'effectivement, au cours de ce débat, on avait dit que l'argent des Indiens était destiné exclusivement aux Indiens. Mme Knockwood n'était cependant pas en mesure de confirmer que Mme Michael avait vraiment consulté le MAINC et obtenu son opinion sur la question de savoir si Gordon MacNutt pouvait être inclus dans la demande de Mme MacNutt, bien qu'elle ait été disposée à admettre qu'une telle démarche aurait été compatible avec la pratique suivie par Elizabeth Michael.

Certes, le Tribunal peut comprendre pourquoi certains conseillers ne savaient pas que les épouses blanches étaient incluses dans les demandes d'aide sociale avant 1992, mais il n'en va pas de même de Doreen Knockwood, administratrice de la bande. De toute évidence, elle savait en 1985 qu'Elizabeth Michael avait sollicité l'approbation du conseil afin que Lolita Knockwood soit incluse dans le budget de son mari et elle a rempli une partie de la demande de prestations d'aide sociale pour son frère/sa belle-soeur en 1987 (voir la pièce A-2, onglet Q, page 482). Si de fait elle le savait, ce qu'elle nie (voir le volume 16 des notes sténographiques, page 2506), le Tribunal n'arrive pas à comprendre pourquoi elle n'en a pas informé le chef et le conseil.

Mme Knockwood a également confirmé que la politique du chef et du conseil était de ne pas tenir compte des revenus produits par des emplois d'été (c'est-à-dire la cueillette des petits fruits) dans le calcul des prestations d'aide sociale, de ne pas tenir compte, aux mêmes fins, de la rémunération des conducteurs d'ambulance ni des allocations de formation pour les cours suivis à Halifax, parce que le conseil estimait que la somme touchée au titre de la formation ne payait que les frais de déplacement.

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Chef Reginald Maloney

Répétons que le chef Maloney est le chef de la bande indienne de Shubenacadie depuis février 1990 et qu'il a déjà été chef ou conseiller avant 1982. Comme il n'a pas été conseiller sans interruption, il n'a pas eu et ne pouvait pas avoir directement connaissance des demandes présentées par Elizabeth Michael au chef et au conseil en juillet 1985 pour le compte de Lolita Knockwood ou en 1987 pour le compte de Gordon MacNutt. Toutefois, le chef Reginald Maloney a été à même d'apporter beaucoup d'éclaircissements au sujet des demandes qui ont été présentées au nom de Christine Pictou en août 1990 et de Gordon MacNutt au printemps de 1991, et au sujet du résultat des décisions de la commission d'appel du MAINC en août 1991.

Sur le premier de ces points, le chef Reginald Maloney a témoigné que John B. Pictou fils s'était adressé à lui et lui avait dit qu'Elizabeth Michael ne pouvait pas inclure son épouse dans sa demande de prestations d'aide sociale parce qu'elle n'était pas autochtone. Au cours de leur discussion, le chef Maloney a accepté de consulter Elizabeth Michael. Il a demandé à l'administratrice du développement social quel était le processus habituel en pareil cas et il a témoigné qu'Elizabeth Michael lui avait indiqué que la demande était transmise au conseil et que celui-ci l'accordait habituellement. Le chef Reginald Maloney a indiqué qu'il lui avait répondu :

[TRADUCTION]

«Eh bien, j'imagine qu'il faut l'accorder.»

C'est ainsi que Christine Pictou a sommairement été ajoutée aux demandes de John B. Pictou fils à compter d'août 1990. Quoique ce fût là le premier mandat du chef Reginald Maloney à titre de chef ou de conseiller depuis bien des années et qu'il lui ait donc été impossible à ce moment-là d'être averti du refus concernant Gordon MacNutt ou du versement de prestations à Lolita Knockwood, le chef Réginald Maloney a reconnu volontiers qu'il avait eu l'impression que le conseil avait approuvé le versement de prestations d'aide sociale à certaines blanches.

Quant aux tentatives répétées de Darlene MacNutt pour inclure Gordon MacNutt dans sa demande d'aide sociale et, en particulier, en ce qui a trait au printemps de 1991 quand la demande de Mme MacNutt a été présentée directement au chef et au conseil, le chef Reginald Maloney a admis qu'il se souvenait que la question avait été soumise au conseil à la demande d'Elizabeth Michael, mais qu'au cours de la discussion qui s'était ensuivie, le conseil était tombé d'accord qu'aucune prestation ne devait être versée.

A la troisième date qui est pertinente en ce qui concerne le Tribunal, soit en août 1991, après que la commission d'appel du MAINC eut donné gain de cause aux MacNutt, la décision a été mise à l'ordre du jour de l'assemblée ordinaire du conseil. Lors de cette assemblée et ce en dépit du fait que le chef Reginald Maloney avait compris que le MAINC rembourserait effectivement la bande des prestations d'aide sociale versées au nom des époux non autochtones et en dépit du fait que la décision de la commission d'appel du MAINC obligeait le chef et le conseil à verser des prestations aux intéressés, le conseil a décidé de ne pas verser de prestations aux époux non autochtones de membres de la bande. Le témoignage franc du chef Reginald Maloney sur ce point corrobore le témoignage tout à fait crédible d'Elizabeth Michael, précité.

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Le chef Reginald Maloney a reconnu que la bande indienne de Shubenacadie avait continué de suivre une pratique discriminatoire en versant des prestations d'aide sociale aux épouses blanches et en refusant d'en verser aux époux blancs qui avaient présenté une demande. A titre d'explication partielle de l'existence de cette pratique discriminatoire durant une aussi longue période, le chef Reginald Maloney a cité l'inquiétude légitime suscitée par le projet de loi C-31 voté en 1985.

Le Tribunal convient qu'avant l'adoption de ce projet de loi, les épouses non autochtones de membres de la bande acquéraient sans réserve le statut d'Indienne au sens de la Loi sur les Indiens tandis que les époux non autochtones non seulement n'obtenaient pas ce statut, mais encore voyaient leur épouse indienne perdre leur statut. Depuis des siècles, les Indiens et les Indiennes n'étaient donc pas traités sur un pied d'égalité. Pour ce qui est du traitement de faveur accordé aux épouses non autochtones et refusé aux époux non autochtones, le chef Maloney considérait qu'il représentait un prolongement de la règle ancienne relative à la protection du sexe faible. Il était d'avis qu'en décidant en août 1991 qu'aucun conjoint d'un membre de la bande ne devait recevoir de prestations, on avait mis fin à la pratique discriminatoire. Bien que le chef Reginald Maloney ne se soit pas exprimé précisément dans ces termes, le Tribunal est d'avis qu'il pensait à l'évidence que le projet de loi C-31 avait causé autant (voire plus) de problèmes qu'il n'en avait résolus.

RÉSIDENCE DANS LES RÉSERVES INDIENNES

En raison de l'insertion d'une série de dispositions dans la Loi sur les Indiens par suite du projet de loi C-31, les enfants de la première génération issue de mariages mixtes jouissent des avantages et de la protection de la Loi. De plus, les Indiennes qui ont épousé un blanc et perdu leur statut sont libres de retourner dans leur réserve, mais seulement si elles sont veuves ou en cas de rupture de leur mariage. Si elles sont encore mariées, le projet de loi C-31 ne prévoit pas leur retour dans les réserves avec leur mari. En réalité, toutefois, un grand nombre d'entre elles y sont revenues, de sorte que la population des réserves est devenue plus homogène.

Un exemple nous permettra de montrer le problème que cela pose au regard du programme d'assistance sociale destiné aux réserves. Dans le cas de Darlene MacNutt, qui a eu deux enfants avant l'adoption du projet de loi C-31 et au moment où elle n'était pas mariée, ses deux enfants sont des Indiens inscrits. Peu importe le choix de compagnes ou de compagnons que feront ces enfants (Indiens ou non-Indiens), les petits-enfants de Darlene MacNutt issus de ces derniers seront des Indiens inscrits. Au-delà de leur génération, toutefois, ce statut n'est pas garanti. Il en va ainsi du troisième enfant de Darlene MacNutt, né après 1985 mais avant le mariage de Mme MacNutt. Cette enfant est aussi une Indienne inscrite, ses enfants seront des Indiens inscrits, mais le statut de ses petits-enfants dépendra du choix de compagne ou de compagnon qu'auront fait leurs parents.

Par contraste, le dernier enfant de Darlene MacNutt né après son mariage avec Gordon MacNutt est une Indienne inscrite, mais ses enfants ne seront pas des Indiens inscrits.

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Comme nombre de familles partagent des logements dans la réserve, le Tribunal prévoit que très bientôt les premières nations devront résoudre le problème des prestations d'aide sociale destinées aux enfants non indiens tout comme la bande indienne de Shubenacadie fait face aujourd'hui au problème des prestations pour les adultes non autochtones. Il est donc possible que, dans le même foyer, des enfants soient des Indiens inscrits et les autres, non. Vu ces circonstances, il semble qu'il soit tout à fait irréaliste que certains membres d'une famille vivant ensemble aient droit à l'aide sociale accordée dans la réserve, alors que les autres seraient tenus d'obtenir les prestations d'aide sociale de la municipalité ou de la province. Cela nécessiterait un chevauchement continu des visites à domicile et des formalités écrites de deux bureaux distincts exécutant la même fonction et appliquant vraisemblablement des barèmes distincts qui comporteraient des taux différents pour les deux catégories d'enfants.

DROIT APPLICABLE

Principes généraux

Il est accepté depuis longtemps que la Loi canadienne sur les droits de la personne est de nature quasi constitutionnelle et qu'elle vise à sanctionner des droits individuels d'une importance capitale (renvoi : Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536 et Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada, [1987] 1 R.C.S. 1114). Cette proposition découle de l'article 2 selon lequel la Loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet au principe que tous les individus ont le droit à l'égalité des chances d'épanouissement, indépendamment des considérations fondées sur l'un ou l'autre des motifs de distinction illicite énumérés dans la Loi.

Pour mieux cerner le concept de discrimination ou de distinction illicite, les tribunaux judiciaires et les tribunaux administratifs ont reconnu deux types de comportement. A cet égard, la Cour suprême du Canada a, dans l'arrêt O'Malley, décidé ce qui suit :

[...] il y a discrimination directe lorsqu'un employeur adopte une pratique ou une règle qui, à première vue, établit une distinction pour un motif prohibé. Par exemple, Ici, on n'embauche aucun catholique, aucune femme ni aucun Noir. En l'espèce, il est évident que personne ne conteste que la discrimination directe de cette nature contrevient à la Loi. D'autre part, il y a le concept de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable. Ce genre de discrimination se produit lorsqu'un employeur adopte, pour des raisons d'affaires véritables, une règle ou une norme qui est neutre à première vue et qui s'applique également à tous les employés, mais qui a un effet discriminatoire pour un motif prohibé sur un seul employé ou un groupe d'employés en ce qu'elle leur impose, en raison d'une caractéristique spéciale de cet employé ou de ce groupe d'employés, des obligations, des peines ou des conditions restrictives non imposées aux autres employés (Renvoi : O'Malley, à la p. 551).

La discrimination alléguée en l'espèce est directe et le groupe de personnes qui prétendent avoir subi un effet préjudiciable est formé des conjoints non autochtones d'Indiens résidant dans la réserve qui ont demandé des prestations d'aide sociale dans la réserve indienne de

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Shubenacadie. Parmi les membres de ce groupe, trois personnes ont déposé une plainte devant la Commission des droits de la personne en invoquant quatre motifs prohibés, savoir la race, l'origine nationale ou ethnique, le sexe et l'état matrimonial.

Les plaignants se fondent sur l'article 5 de la Loi qui est ainsi conçu :

Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, pour le fournisseur de biens, de services, d'installations ou de moyens d'hébergement destinés au public :

  1. d'en priver un individu;
  2. de le défavoriser à l'occasion de leur fourniture.

Pour avoir gain de cause dans une plainte fondée sur l'article 5, le plaignant doit prouver ceci :

  1. la discrimination;
  2. le fait que la discrimination se rapporte à un service auquel le public a habituellement accès ou qui est offert au public;
  3. le fait que la discrimination est fondée sur l'un des motifs prohibés, énumérés dans la Loi canadienne sur les droits de la personne.

(Renvoi : Saskatchewan Human Rights Commission and Huck c. Canadian Odeon Theatres Limited (1985) 6 C.H.R.R. D/2682).

Si ces trois éléments ont été prouvés, le seul moyen de défense opposable par l'intimée est la preuve qu'elle a un motif justifiable de faire un acte discriminatoire au sens soit de l'article 67 soit de l'alinéa 15g) de la Loi.

Discrimination fondée sur l'un des motifs prohibés

L'administratrice du développement social, Mme Elizabeth Michael, savait que Lolita Knockwood avait été incluse dans le budget de Garfield Knockwood en 1985, soit deux ans avant que Darlene MacNutt ne demande des prestations pour Gordon MacNutt en 1987. Elle savait aussi que Christine Pictou avait été incluse dans le budget de John B. Pictou fils depuis 1990, en dépit du fait qu'elle avait présenté sa demande après que Darlene MacNutt eut été privée de prestations au nom de son mari.

Toutefois, le Tribunal convient que, parce que la composition du conseil avait changé par suite d'élections, le chef et le conseil en 1990 ignoraient qu'ils versaient des prestations à des épouses non autochtones tout en privant de prestations un mari non autochtone. Le chef Reginald Maloney a cependant approuvé personnellement le versement de prestations à Christine Pictou en 1990 et a souscrit à la décision de refuser le versement de prestations à Gordon MacNutt entre 1990 et 1992.

La seule raison qui peut expliquer la pratique consistant à autoriser le versement de prestations d'aide sociale aux épouses non autochtones mais non aux époux non autochtones est la discrimination fondée sur le sexe ou l'état matrimonial de Mme MacNutt. Si Darlene MacNutt avait été un homme

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demandant que sa femme non autochtone touche des prestations d'aide sociale, sa demande aurait été approuvée. Par conséquent, Darlene MacNutt a prouvé son allégation de discrimination. Par surcroît, le chef Reginald Maloney a admis qu'il considérait la pratique suivie avant mai 1992 comme discriminatoire.

La décision prise par le chef et le conseil en avril 1992 de priver de prestations d'aide sociale tous les conjoints non indiens a peut-être été à leurs yeux une mesure progressiste puisqu'elle éliminait la pratique discriminatoire fondée sur le sexe. En la remplaçant par la nouvelle pratique, ils ont cependant décidé consciemment de faire un acte discriminatoire fondé sur la race ou l'état matrimonial, car à compter d'avril 1992, les prestations d'aide sociale pour les conjoints ont été refusées aux demandeurs dont le conjoint n'était pas autochtone.

Certes, les plaignants ont été traités sur un pied d'égalité dans la mesure où ils ont tous été privés de prestations pour leur conjoint non autochtone, mais la Cour suprême du Canada a décidé que la simple égalité d'application de la loi à des groupes ou à des individus qui se trouvent dans une situation analogue ne peut constituer un critère réaliste en ce qui concerne la violation des droits à l'égalité. En effet, comme on l'a déjà dit, une mauvaise loi ne peut être sauvegardée pour la simple raison qu'elle s'applique également à ceux qu'elle vise. Pas plus qu'une loi sera nécessairement mauvaise parce qu'elle établit des distinctions. (Renvoi : Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, à la p. 167). En conséquence, les trois plaignants ont prouvé la discrimination fondée sur la race ou l'état matrimonial à compter du 14 mai 1992.

Services destinés ou habituellement offerts au public

Le Tribunal convient que chaque service a son propre public (Renvoi : Université de la Colombie-Britannique c. Berg, [1993] 2 R.C.S. 353, à la p. 383, (1993) 18 C.H.R.R. D/310). Il conclut qu'en l'espèce, le public consiste dans les personnes résidant dans la réserve indienne de Shubenacadie.

Cette interprétation n'est pas incompatible avec les principes que la Loi sur les Indiens vise à promouvoir (Renvoi : Mitchell et al. v. Peguis Indian Band et al. (1990) 71 D.L.R. (4th) 193). Premièrement, dans l'affaire Courtois et Raphaël c. le Ministère des affaires Indiennes et du Nord canadien (1990), 11 C.H.R.R., page D/363, il a été décidé qu'une école dans une réserve était un service habituellement offert au public bien qu'elle ait été destinée initialement aux Indiens. Le Tribunal conclut donc sans difficulté que le programme d'assistance sociale financé par le MAINC et destiné aux réserves est un service habituellement offert au public.

Le pouvoir discrétionnaire limité que la bande indienne de Shubenacadie peut exercer dans l'administration ou la fourniture de ce service aux personnes résidant dans la réserve n'interdit pas de qualifier celui-ci de service habituellement offert au public (voir l'arrêt Berg, précité, aux p. 388 et 389). Bien que l'avocat de l'intimé ait soutenu que les programmes offerts dans la réserve sont destinés exclusivement aux personnes qui résident légalement dans la réserve et donc réservés aux

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membres de la bande, le Tribunal fait observer que si tel était le cas, la Loi sur les Indiens ne ferait pas mention de la présence d'autres personnes autorisées à résider dans la réserve. En fait, la Loi en fait mention dans plusieurs dispositions dont les exemples les moins patents ne sont pas l'article 18.1 et les alinéas 81(1)p.1) et 81(1)p.2).

L'avocat de l'intimée a également soutenu que le fournisseur du service n'était pas la bande indienne de Shubenacadie mais bien le MAINC. Le Tribunal se voit malheureusement dans l'obligation d'écarter cet argument. Dans l'affaire Courtois, précitée, à la page D/382, un tribunal des droits de la personne a conclu que c'était au ministère des Affaires indiennes (ainsi appelé à l'époque) qu'étaient conférés expressément par la Loi sur les Indiens les pouvoirs et les obligations en matière d'éducation. Par contraste, en l'espèce, le programme d'assistance sociale destiné aux réserves n'est pas établi par la Loi, mais découle des stipulations d'un contrat conclu entre le MAINC et la bande par l'entremise du chef et du conseil dûment élus en conformité avec la Loi sur les Indiens. En application de cet accord, la responsabilité pour le financement, l'exécution et l'administration du programme d'assistance sociale destiné aux réserves est partagée ou répartie entre le MAINC et la bande. Par conséquent, le Tribunal n'est pas en mesure d'affirmer qu'aux termes de la Loi sur les Indiens, le fournisseur des prestations d'aide sociale est le MAINC.

L'existence de critères d'admissibilité basés sur les besoins n'entame en rien le bien-fondé de cette conclusion (voir la décision Saskatchewan Human Rights Commission and Chambers v. Government of Saskatchewan, 9 C.H.R.R. D/5181, à la p. D/5188, par. 39367). Il n'est pas non plus nécessaire qu'une loi générale soit applicable. Pour reprendre les propos du professeur Greshner, dans un article cité et approuvé par la cour d'appel de la Saskatchewan dans l'arrêt Chambers, cela [TRADUCTION] signifierait que les décrets en conseil ne seraient pas visés par le code; or cela est inacceptable en pratique car le gouvernement disposerait ainsi d'un mécanisme pour tourner la loi. Deuxièmement, aucune raison de principe ne justifie une distinction entre les formes d'action gouvernementale. Un gouvernement par nature n'a que des relations publiques avec les individus, peu importe la source de son autorité ou les moyens par lesquels il exerce son autorité.

En fait, toute autre conclusion serait incompatible avec les Lignes directrices, politiques et procédures concernant les services communautaires autochtones ainsi qu'avec les autorisations du Conseil du Trésor versées au dossier. Elle irait aussi à l'encontre de l'interprétation libérale qui doit être donnée à la législation concernant les droits de la personne en général.

Le Tribunal conclut donc que les plaignants ont établi à première vue l'existence de la discrimination et le fardeau se déplace vers l'intimée qui doit prouver qu'elle avait un motif justifiable de traiter ainsi les plaignants.

MOTIFS JUSTIFIABLES

Article 67 -- Loi canadienne sur les droits de la personne

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L'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne dit : La présente loi est sans effet sur la Loi sur les Indiens et sur les dispositions prises en vertu de cette loi.

Dans l'affaire Courtois et Raphaël c. le Ministère des affaires Indiennes et du Nord Canadien (février 1990), il a été décidé que, lorsque l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne est invoqué, l'enquête doit porter sur deux éléments :

  1. la question de savoir si les actes ont été faits ou les pratiques ont été suivies conformément à la Loi sur les Indiens;
  2. la question de savoir s'ils étaient conformes aux exigences de ladite loi.

Le Tribunal reconnaît que, pour rendre une décision sur l'applicabilité de l'article 67 à la présente espèce, il doit examiner les circonstances des actes et pratiques discriminatoires ainsi que la raison d'être des pratiques dont la bande est accusée.

Dans l'affaire Courtois & Raphaël, la cour a en outre énoncé le principe voulant qu'il faille donner une interprétation très stricte, restrictive de l'article 67, puisqu'il s'agit d'une disposition limitative. A cet égard, le tribunal des droits de la personne fédéral était appelé, dans l'affaire Courtois, à décider si un moratoire ayant pour effet de priver de l'accès à l'école tout nouvel élève non immatriculé par la bande constituait une disposition prise en vertu de la Loi sur les Indiens. Le tribunal a décidé qu'aucun document officiel n'attestait ce moratoire et que, de plus, celui-ci ne pouvait exister que si le ministre en avait reçu un exemplaire conformément au paragraphe 82(2) de la Loi sur les Indiens. Et ce qui est plus important, le tribunal a conclu que les conseils de bande n'étaient investis d'aucune autorité en matière d'éducation dans les réserves et qu'en conséquence, l'administration de l'école de Pointe-Bleue ne tombait pas sous le coup de la Loi sur les Indiens (voir les paragraphes 76 et 95). De la même façon, la Cour d'appel fédérale a décidé, dans l'arrêt Affaire intéressant Desjarlais, (1990) 12 C.H.R.R. D/466, qu'une résolution prise par le chef et le conseil et tendant à renvoyer Rose Desjarlais parce qu'elle était trop âgée n'était pas visée expressément ou implicitement par la Loi sur les Indiens et n'était pas une disposition prise en vertu de cette loi (voir les paragraphes 13 et 14.)

Dans l'affaire Prince c. Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, décision inédite de la Section de première instance de la Cour fédérale, 30 décembre 1994, l'enfant de Violet Prince était inscrite à l'école catholique romaine à l'extérieur de la réserve et les frais étaient payés par le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. Elle a été privée de la possibilité d'aller à la même école quand le Ministère a modifié sa politique, refusant de se charger des frais de l'enseignement reçu à l'extérieur de la réserve. La Cour fédérale a décidé que le Ministère avait exercé son pouvoir en vertu de la Loi sur les Indiens, puisque le ministre était habilité à prendre les mêmes dispositions que la province dans le domaine de l'éducation.

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Toutefois, la plainte en l'espèce n'a pas été déposée contre le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. Si tel avait été le cas, le MAINC aurait donné suite à la plainte et versé des prestations aux plaignants, parce qu'il a admis qu'ils y étaient admissibles.

La plainte vise plutôt la bande, qui avait des pouvoirs limités relativement au programme d'assistance sociale destiné aux réserves. Ses pouvoirs, discrétionnaires ou autres, étaient restreints par les clauses de l'accord de financement selon le mode principal, qui incorporait par renvoi les Lignes directrices, politiques et procédures concernant les services communautaires autochtones et qui permettait clairement le versement de prestations d'aide sociale à certaines catégories de non-Indiens résidant dans la réserve.

En conséquence de ce qui précède, la situation est différente de celle dont a connu la Section de première instance de la Cour fédérale dans l'affaire Prince.

L'avocat de l'intimé a soutenu avec raison qu'il convenait que le Tribunal tienne compte d'une règle d'interprétation opposée, dans la mesure où il est reconnu depuis longtemps qu'une interprétation libérale s'impose quand la loi en cause porte sur les droits des autochtones (Renvoi : Brooks c. Kingsclear Indian Band et al (1991) 118 N.B.R. (2d) 290, à la p. 299, par. 16). Au surplus, toute ambiguïté des dispositions de la Loi sur les Indiens doit être résolue en faveur des Indiens.

Le Tribunal conclut toutefois que donner une interprétation libérale ne signifie pas conférer aux Indiens des privilèges supplémentaires, mais plutôt simplement empêcher les non-autochtones de s'immiscer dans l'exercice par les Indiens de ces droits dûment acquis (Renvoi : Brooks, par. 18).

L'intimé a poussé plus loin cet argument. Il a émis l'avis que, suivant une interprétation libérale des dispositions de la Loi sur les Indiens, le chef et le conseil sont habilités à conclure des contrats avec le gouvernement fédéral et toute disposition prise en application d'un tel contrat serait prise en vertu de la Loi.

Encore une fois, Le Tribunal se voit malheureusement dans l'obligation d'écarter cet argument. Donner une interprétation aussi large des dispositions de la Loi sur les Indiens pourrait facilement amener une conclusion illogique. Par exemple, si la bande décidait que seuls les personnes de sexe masculin résidant dans la réserve peuvent conduire des véhicules automobiles dans la réserve, il serait reconnu que le chef et le conseil sont en droit de prendre une telle décision sous le régime de l'article 81 de la Loi (réglementation de la circulation), mais cette décision irait à l'encontre de la Loi canadienne sur les droits de la personne car elle serait une discrimination fondée sur le sexe. L'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne n'accorde pas d'immunité au chef et au conseil pour toutes les décisions prises ou actions accomplies, mais leur accorde une immunité pour celles qui découlent strictement de la Loi sur les Indiens et qui sont compatibles avec la nature véritable et l'objet de la Loi.

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Le chef Reginald Maloney et M. Alan Knockwood (ex-conseiller) ont exhorté le Tribunal à tenir compte du cadre dans lequel s'inscrivent les faits de l'espèce. Le Tribunal convient qu'il doit adopter une telle perspective pour statuer convenablement sur les trois plaintes. Voici en quoi consiste ce cadre. Les réserves ont traditionnellement été mises de côté à l'usage et au profit des Indiens. Le droit à l'autonomie gouvernementale est garanti aux Indiens et le gouvernement fédéral (par l'intermédiaire du MAINC) finance les programmes destinés aux réserves, lesquels sont administrés par le chef et le conseil de chaque bande.

Il est loisible à la bande d'établir des politiques et de prendre des règlements administratifs concernant des sujets comme la violation du droit de propriété (al. 81(1)p)), la résidence (al. 81(1)p.1)) et l'adoption de mesures relatives aux droits des conjoints ou des enfants qui résident avec des membres de la bande dans une réserve pour toute matière au sujet de laquelle le conseil peut établir des règlements administratifs à l'égard des membres de la bande (al. 81(1)p.2)).

Sous ce rapport, la bande indienne de Shubenacadie a autorisé et continue d'autoriser les conjoints non autochtones, non inscrits, de membres de la bande à résider dans la réserve et le MAINC n'intervient pas dans la politique de la bande à cet égard. La plupart des témoins, voire tous les témoins dont la déposition est pertinente, s'entendent pour dire qu'en dépit du libellé de l'alinéa 81(1)p.2) de la Loi sur les Indiens, le chef et le conseil ne peuvent pas prendre de règlement administratif concernant les prestations d'aide sociale. De plus, le programme d'assistance sociale doit être administré en conformité avec le Manuel de l'assistance sociale et avec les Lignes directrices, politiques et procédures concernant les services communautaires autochtones. Pour rendre sa décision, le Tribunal doit donc examiner les accords, dont des passages ont déjà été cités, qui lient la bande et le MAINC quant à la fourniture des services dans la réserve.

Selon le paragraphe 1.05 des Lignes directrices, politiques et procédures concernant les services communautaires autochtones, le MAINC et la bande ont accepté un critère des besoins comme seul critère d'admissibilité à l'égard de tous les demandeurs/bénéficiaires (voir la pièce A-1, page 190). Conformément au paragraphe 3.01 des mêmes lignes directrices, l'aide sociale peut être accordée à des catégories déterminées de non-Indiens autorisés à résider dans la réserve conformément à la politique de la bande (voir la pièce A-1, page 199).

Malgré ces dispositions, la politique ou la pratique tacite du chef et du conseil de la bande indienne de Shubenacadie a eu pour effet d'imposer des critères d'admissibilité supplémentaires, fondés sur la race ou l'état matrimonial (depuis le 14 mai 1992) ou sur le sexe (avant le 14 mai 1992).

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Dans la partie du Manuel d'administration du programme qui traite des mesures de redressement, on peut lire ceci :

Dans tous les cas où des difficultés d'ordre administratif/financier sont constatées [...] le Ministère accepte de collaborer avec les dirigeants de la première nation dans la tenue d'une enquête [...] et de leur donner des conseils pour que soient dressés un plan de gestion financière ou un plan d'action conçus pour assurer la prestation ininterrompue des services essentiels et des services prévus par la loi [...] S'il est impossible de conclure un accord concernant le plan de gestion financière ou le plan d'action, les mesures de redressement qui suivent seront prises :

  1. Faire une étude et une analyse approfondies de la situation et informer la première nation des conclusions de l'étude.
  2. S'efforcer de limiter l'intervention au strict minimum nécessaire pour apporter une solution aux problèmes tout en faisant en sorte de satisfaire aux obligations du gouvernement fédéral.
  3. Mettre en oeuvre toute restriction du financement qui est requise.
  4. Prendre des dispositions, entre autres, nommer un administrateur ou mettre en place un régime d'administration conjointe tout en faisant en sorte de rendre la responsabilité au bénéficiaire le plus tôt possible après que les problèmes auront été résolus. Dans des cas exceptionnels, un administrateur indépendant peut être nommé. Le Ministère consultera la première nation afin que l'administrateur indépendant soit désigné conjointement et la rémunération de celui-ci sera fixée par le Ministère en consultation avec la première nation.
  5. Mettre fin au présent accord par un préavis que le Ministère estime convenable si les autres mesures de redressement n'ont produit aucun résultat. (voir la pièce A-12, pages 112 et 113)

Par suite de la décision de la commission d'appel du MAINC donnant gain de cause à M. MacNutt en 1991 et du refus de la bande d'y donner suite, une réunion a eu lieu entre le MAINC (représenté par M. John Brown) et au moins un membre du conseil de la bande indienne de Shubenacadie. La réunion n'a pas permis de régler le problème et, malgré la prescription énoncée dans le Manuel d'administration du programme (LES MESURES DE REDRESSEMENT [...] SERONT PRISES), aucune autre disposition n'a été prise. Quand on a attiré l'attention du Tribunal sur ce passage, la présidente a demandé si les plaignants demandaient une réparation au MAINC à titre de partie intéressée, mais l'avocate de la Commission canadienne des droits de la personne a répondu par la négative.

En ce qui concerne l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, le Tribunal fait remarquer en outre que trois commissions d'appel désignées par le MAINC qui ont tenu des séances le 7 août 1991 (dans le cas de Gordon MacNutt) et le 14 juillet 1992 (dans le cas de John Pictou et de

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Garfield Knockwood) ont décidé que la bande aurait dû verser des prestations aux plaignants (voir la pièce A-2, page 429 (Knockwood) et la pièce A-1, pages 7 (MacNutt) et 171 (Pictou)). Il faut accorder un certain poids au fait que ces tribunaux ont conclu que le versement de prestations d'aide sociale pour les conjoints non autochtones de membres de la bande vivant dans une réserve indienne n'allait pas à l'encontre de la Loi sur les Indiens.

En dépit de la recommandation des deux tribunaux administratifs qui ont tenu des séances le 14 juillet 1992 selon laquelle le MAINC et le conseil de la bande indienne de Shubenacadie devraient se réunir pour débattre de divers points, dont celui-ci :

[...] l'exécution équitable du programme d'assistance sociale durant la période visée par ces décisions, notamment l'amélioration du processus d'appel [...]

le chef et le conseil n'ont pas pris de règlement administratif ni établi de politique au profit des conjoints non autochtones qui ne sont pas membres de la bande.

La décision ou la politique de la bande tendant à priver ces personnes des prestations d'aide sociale qui sont normalement versées dans la réserve ne peut être justifiée par renvoi à quelque disposition de la Loi sur les Indiens et, en conséquence, l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne n'entame en rien la conclusion du Tribunal que les décisions de la bande de Shubenacadie contrevenaient à la Loi canadienne sur les droits de la personne.

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L'alinéa 15g) -- Loi canadienne sur les droits de la personne

L'alinéa 15g) de la Loi canadienne sur les droits de la personne dispose que [n]e constituent pas des actes discriminatoires : [...] le fait qu'un fournisseur de biens, de services, d'installations ou de moyens d'hébergement [...] en prive un individu [...] s'il a un motif justifiable de le faire. Pour établir un moyen de défense fondé sur un motif justifiable, il faut prouver un élément subjectif (la bonne foi) et un élément objectif (se rapportant à la fourniture du service). (Arrêt Commission ontarienne des droits de la personne c. Municipalité d'Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202.)

Le Tribunal n'est pas en mesure d'affirmer que la décision de priver de prestations les conjoints non autochtones a été prise avec la conviction sincère qu'il y allait de l'intérêt des personnes résidant dans la réserve, en particulier avant mai 1992. Si le Tribunal se trompe et que l'élément objectif doit être pris en considération, le Tribunal fait observer que l'avocat de l'intimé soutient que les témoignages du chef, de l'ex-chef et de membres du conseil attestent une inquiétude au sujet de l'homogénéité de la population des réserves et de la volonté des premières nations de préserver leur culture, leurs traditions et leur langue. Cet argument ne s'appuie pas sur la [TRADUCTION] la meilleure preuve. En outre, rien n'indique que l'intimé ait tenté d'accommoder les conjoints non autochtones dans le cadre du programme de services sociaux offert dans la réserve. L'intimé doit prouver ces deux éléments pour établir l'élément objectif du moyen de défense du motif justifiable (Renvoi : Chiang c. le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (1992) 17 C.H.R.R. D/63, citant et approuvant Druken c. la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada (1987) 8 C.H.R.R. D/4379).

RÉPARATION

Les plaignants sollicitent une ordonnance portant que l'intimé doit mettre fin à la pratique discriminatoire et leur payer des dommages-intérêts. Le Tribunal reconnaît que les plaignants ont droit à une ordonnance portant que l'intimé doit mettre fin à la pratique discriminatoire qui consiste à priver de prestations d'aide sociale les conjoints non autochtones d'autochtones résidant dans la réserve. Le Tribunal conclut qu'il est impossible de déterminer le revenu que les plaignants et leurs conjoints ont gagné durant les périodes en cause. Le Tribunal ne reproche pas aux témoins leur incapacité de se souvenir en détail des emplois qu'ils ont occupés, surtout que la majorité des plaignants et de leurs conjoints ont eu des emplois saisonniers, à temps partiel ou temporaires. Toutefois, les seules déclarations de revenus produites ont été celles de Lolita Knockwood pour les années 1991 à 1993 (voir la pièce A-18). On n'a pas expliqué au Tribunal pourquoi les autres plaignants n'avaient pas fourni de renseignements du même ordre.

Dans le cas de Gordon MacNutt, la commission d'appel du MAINC a ordonné que ce dernier soit inclus dans le budget de Darlene MacNutt [TRADUCTION] rétroactivement à la date de la dernière demande d'aide sociale précédant l'appel (voir la pièce A-1, page 7). Le Tribunal conclut que cette date est le 22 mars 1991 (voir la pièce A-2, page 328).

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Dans le cas de Lolita Knockwood et de John B. Pictou fils, la commission d'appel a décidé que la première nation de Shubenacadie devait verser des prestations d'aide sociale à Lolita Knockwood et à Christine Pictou à compter de la date de leur appel (voir les pièces A-2, page 428 et A-1, page 173).

Les dates des appels de John B. Pictou fils et de Garfield Knockwood ne ressortent pas des pièces A-1 et A-2, mais les témoignages entendus ont convaincu le Tribunal qu'ils ont été formés vers le mois de mars 1992. De toute façon, leur épouse n'a été radiée de leur budget que le 14 mai 1992.

Le Tribunal n'aurait pas pu calculer exactement le montant des pertes de chacun des plaignants causées par la privation de prestations d'aide sociale à l'égard de leur conjoint sans l'aide des avocats et de leurs témoins, principalement Elizabeth Michael et Brian Skebar qui ont préparé, sur consentement, les pièces A-16 et A-17 sur lesquelles figurent les sommes qui auraient été perçues n'eût été les actes discriminatoires.

Dans le cas de Darlene MacNutt, ces pièces font état des dommages subis durant la période du 13 mai 1987 au 11 octobre 1994. D'après les pièces A-16 et A-17, si le paiement de prestations était ordonné rétroactivement au 13 mai 1987, la plaignante Darlene MacNutt aurait droit à 11 675,66 $. Toutefois, l'avocat de la partie intéressée, le MAINC, a produit au cours de sa plaidoirie un guide indiquant que les revenus gagnés par Darlene MacNutt en 1991 et 1992 l'auraient rendue inadmissible à quelque prestation que ce soit pour elle-même ou son mari, de sorte qu'elle est redevable à la bande de la somme de 17 514,15 $ et qu'elle ne réclame que la somme de 11 675,66 $ pour la période de 1987 à 1994. Le Tribunal accepte cet argument parce qu'il est appuyé par le témoignage de M. et de Mme MacNutt.

Le Tribunal refuse donc d'ordonner que le chef et le conseil versent rétroactivement à Darlene MacNutt des prestations d'aide sociale pour la période du 13 mai 1987 jusqu'à la date où la somme de 17 514,15 $ aurait été compensée par les prestations d'aide sociale qui auraient normalement dû lui être versées. Il est à espérer que les avocats puissent, avec l'aide de leurs propres témoins, Elizabeth Michael et Brian Skebar, faire ce calcul. Il est ordonné que Darlene MacNutt reçoive des prestations d'aide sociale pour son mari à compter de la date où une compensation équitable aurait été opérée.

Dans le cas de Lolita Knockwood, le Tribunal convient que la somme de 4 926,89 $ représente les prestations versées rétroactivement pour la période du 14 mai 1992 au 11 octobre 1994. Avec le consentement de tous les avocats, il est entendu que cette somme ne comprend pas les 30 $ que Lolita Knockwood aurait eu le droit de toucher toutes les deux semaines pendant qu'elle allaitait. Quoique le Tribunal comprenne que Mme Knockwood allaite encore et qu'elle ait peut-être droit à cette allocation pour la période entre la date de la naissance de son enfant et la date à laquelle la présente décision sera rendue publique, ces prestations doivent être limitées à une période de quatre mois suivant la naissance par suite de modifications apportées aux Lignes directrices relatives aux services sociaux en vigueur depuis le 1er avril 1994. Le Tribunal croit qu'une indemnité pour l'allocation d'allaitement est justifiée pour la période du

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25 novembre 1993 au 27 juin 1994 (270 $), soit au total 5 196,80 $ en sus des autres prestations d'aide sociale habituelles du 11 octobre 1994 à la date où la présente décision aura été rendue publique.

Dans le cas de John B. Pictou fils, le Tribunal convient que la somme de 5 565,07 $ calculée selon les pièces A-16 et A-17 n'a pas à être ajustée et il ordonne que ces prestations lui soient payées rétroactivement en sus des autres prestations auxquelles il aurait droit après le 11 octobre 1994.

En outre, le Tribunal conclut que les plaignants remplissent les conditions pour recevoir l'indemnité prévue au paragraphe 53(3). Cette disposition de la Loi canadienne sur les droits de la personne permet au Tribunal d'ordonner le paiement d'une indemnité spéciale s'il est convaincu que l'intimée a fait des actes discriminatoires délibérés ou inconsidérés ou que la victime en a souffert un préjudice moral.

Le chef et le conseil ont pris leurs décisions et adopté leurs pratiques de façon délibérée et tous les plaignants en ont souffert un préjudice moral. Darlene MacNutt en a souffert durant sept ans. Quant à Lolita Knockwood, elle n'a subi une privation que pendant environ deux ans et demi, mais elle a aussi été privée du bénéfice du programme concernant le lait et le jus. Le plaignant John B. Pictou fils a lui aussi souffert ce préjudice durant deux ans et demi, mais sans être l'objet du même avilissement que Lolita Knockwood.

Pour les motifs énoncés ci-devant, le Tribunal ordonne que soit versée l'indemnité suivante en application du paragraphe 53(3) : Darlene MacNutt -- 5 000 $ Lolita Knockwood -- 1 500 $ John B. Pictou fils -- 1 000 $

Le Tribunal est également convaincu qu'il n'y a lieu d'accorder des intérêts que sur l'indemnité visée au paragraphe 53(3) et il ordonne qu'un intérêt simple au taux de 5 % par an soit calculé sur les sommes fixées ci-devant rétroactivement au 13 mai 1987 dans le cas de Darlene MacNutt et rétroactivement au 14 mai 1992 dans le cas de Mme Knockwood et de M. Pictou.

(signature) GILLIAN BUTLER

(signature) MARIE CROCKER

(signature) KENT MORRIS

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