Tribunal canadien des droits de la personne

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DT 4/ 86

Décision rendue le 3 septembre 1986

DANS L’AFFAIRE DE LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE S. C. 1976- 77, chap. 33 modifiée

ET DANS L’AFFAIRE d’une audience tenue devant un tribunal des droits de la personne constitué en vertu de l’article 39 de la Loi canadienne sur les droits de la personne

ENTRE:

SHERYL GERVAIS, PLAIGNANTE,

- et

AGRICULTURE CANADA, MISE EN CAUSE.

TRIBUNAL: ROBERT W. KERR

DÉCISION DU TRIBUNAL

ONT COMPARU: RUSSELL JURIANSZ Avocat de la Commission canadienne des droits de la personne

ALLISON SMALL Avocat de la plaignante

R. P. HYNES, M. NICHOLSON Avocats du mis en cause

DATES D’AUDIENCE: Les 3, 4 et 5 septembre 1985 Les 9 et 10 décembre 1985 Les 20 et 21 mai 1986 Le 30 juin 1986

NOTE EXPLICATIVE CONCERNANT LES PROCÉDURES

On m’a initialement choisi le 8 mai 1985 afin de présider le tribunal constitué pour examiner cette affaire. Après les premières audiences, au cours desquelles certains des éléments de preuve les plus importants ont été présentés, la Cour d’appel fédérale a rendu sa décision dans l’affaire MacBain c. Lederman et al. (1985), 6 CHRR D/ 3064. Cette décision soulevait la possibilité que la légitimité des tribunaux constitués avant la proclamation des modifications à la Loi canadienne sur les droits de la personne le 15 octobre 1985 soit remise en question pour crainte raisonnable de partialité. Puisque l’application de la décision de la Cour dans l’affaire MacBain aux procédures d’autres tribunaux avait déjà été soumise à la Cour d’appel fédérale par un autre tribunal, il a été décidé sur demande des deux parties dans la présente affaire de suspendre les activités en attendant la décision de la Cour à cet égard.

Il était prévu que les audiences reprennent plus tard, mais dans l’intervalle des procédures judiciaires additionnelles concernant d’autres affaires ont eu pour effet d’accroître l’incertitude entourant la question de la partialité. En conséquence, dans le but de dissiper tout doute quant à la compétence du tribunal, les mesures suivantes ont été prises avec le consentement de toutes les parties. J’ai démissionné en tant que président du tribunal et la Commission canadienne des droits de la personne a demandé qu’un nouveau tribunal soit constitué. Le président du Comité du tribunal des droits de la personne m’a nommé à nouveau comme président du tribunal le 8 mai 1986.

A l’ouverture des audiences suite à la constitution du second tribunal, j’ai donné mon aval à une demande conjointe des deux parties visant à adopter le compte rendu des procédures qui s’étaient déroulées avant la dissolution du premier tribunal. Les dates qui figurent dans la présente décision sont donc celles des audiences des premier et second tribunaux.

EXAMEN GÉNÉRAL DES FAITS

Il s’agit d’une plainte portée par Sheryl Gervais contre Agriculture Canada, dans laquelle la plaignante allègue avoir fait l’objet de discrimination au travail en raison de son sexe. Plus précisément, elle affirme avoir été victime de harcèlement sexuel dans un milieu de travail qui portait atteinte à sa dignité de femme, ainsi que de la part d’un collègue de travail, Ian Fetterly, qui lui a fait des avances sexuelles qui se sont terminées par un attentat sexuel.

Mlle Gervais a commencé à travailler au Ministère en juillet 1980 à titre d’employé temporaire, mais elle a obtenu plus tard un emploi permanent. Elle avait été engagée en tant qu’employé non spécialisé à la section de la volaille de la ferme Greenbank du Ministère à Ottawa. Selon son témoignage, des revues et affiches à caractère sexuel étaient présents dans le milieu de travail et des plaisanteries de même nature étaient échangées. Les hommes étaient en majorité au sein du groupe d’employés, ce qui forçait les femmes à accepter ce climat de travail. Les témoins du Ministère ont mis en doute cette perception du milieu de travail.

Les allégations de Mlle Gervais portaient essentiellement sur la conduite de l’un des responsables d’équipes, Ian Fetterly. Elle a déclaré sous serment qu’il l’avait serrée de près à quelques occasions, quoiqu’il ne semble pas qu’avant le 10 octobre 1981, ce contact physique ait été poussé très loin dans le milieu de travail. Ce jour- là, cependant, un incident s’est produit au cours duquel M. Fetterly a eu des rapports sexuels avec Mlle Gervais à la ferme pendant les heures de travail.

Mlle Gervais affirme qu’elle n’a pas consenti à avoir des rapports sexuels avec M. Fetterly et qu’elle a été, en conséquence, victime d’un attentat sexuel. M. Fetterly déclare sous serment que la plaignante a été une participante active et consentante au cours de l’incident. Dans la mesure où cela est nécessaire, je traiterai plus loin de ces versions contradictoires des faits.

Suite à cet incident, Mlle Gervais reste au travail tandis que M. Fetterly prend une période de congé avec solde à la demande de ses supérieurs pendant qu’une enquête est menée. Après une période de congé de maladie et de vacances, M. Fetterly obtient un congé administratif, une forme de congé paye que l’employeur peut autoriser à sa discrétion.

Suite à l’enquête sur l’incident, M. J. J. Cartier, Directeur général pour la région de l’Ontario, décide, en s’appuyant sur les avis du conseiller juridique du Ministère, qu’il n’y a pas de preuves suffisantes pour justifier la prise de mesures disciplinaires contre M. Fetterly. Il décide aussi que Mlle Gervais et M. Fetterly doivent recevoir une réprimande verbale qui est définie dans le code de discipline du Ministère comme une mesure non disciplinaire. M. Fetterly retourne au travail à ce moment- là, mais dans une section différente à la ferme Greenbank, et il est averti qu’il ne doit avoir aucun contact avec Mlle Gervais. Cela se produit à la fin de janvier 1982.

La plaignante, insatisfaite de la décision de l’employeur, prend l’initiative de déposer une plainte pour violation des droits de la personne auprès de la Direction de l’anti- discrimination de la Commission de la Fonction publique en février 1982. Au cours des procédures concernant cette plainte, elle cherche à obtenir une mutation qui lui permettrait de travailler dans une autre section à la ferme. La Direction accueille la plainte de Mlle Gervais, mais ne formule officiellement aucune recommandation à cet égard avant février 1983. Pendant ce temps, la plaignante présente aussi un grief fondé sur l’incapacité du Ministère à donner suite à sa demande de mutation. Ce grief est rejeté, il est en effet invoqué que le Ministère agit conformément aux procédures appropriées à l’égard de la demande de mutation.

Mlle Gervais se sent de plus en plus frustrée par la répugnance apparente du Ministère à prendre des mesures en vue de réparer le tort subi à la suite de l’incident d’octobre 1981, ou de trouver une solution. La situation atteint un point critique vers la fin du mois d’octobre 1982. A ce moment- là, la plaignante décide qu’elle ne peut plus travailler à la ferme Greenbank et demande un congé payé. Elle obtient un certificat médical attestant de son incapacité à travailler. Un congé payé lui est refusé car elle a déjà utilisé toutes ses journées de congés de maladie. Le Ministère lui accorde cependant un congé sans solde. A la mi- novembre, elle dépose aussi la présente plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne qui en reporte l’examen en attendant la décision de la Direction de l’anti- discrimination concernant la première plainte reçue à cet égard. Au cours de la période qui suit Mlle Gervais consulte un psychologue.

Il semble que Mlle Gervais, pour des raisons financières, retourne au travail pendant un certain temps au cours des mois de janvier et février 1983. La Direction de l’anti- discrimination recommande en février de la même année que Mlle Gervais soit mutée et le Ministère semble avoir, intensifié ses efforts pour donner suite à la recommandation. Néanmoins, aucune proposition ferme de mutation à un poste équivalent n’est faite à Mlle Gervais avant le 13 mai 1983, journée où elle remit sa démission pour se chercher un travail ailleurs. Le Ministère était, semble- t- il, sur le point de proposer une mutation satisfaisante à ce moment- là, quoiqu’on puisse se demander si cette mutation devait faire l’objet d’un concours comme cela avait été le cas avec une proposition antérieure.

QUESTIONS JURIDIQUES

Cette affaire soulève deux questions que des modifications à la loi ont réglé pour l’avenir. La première consiste à déterminer si le harcèlement sexuel constitue un acte discriminatoire fondé sur le sexe en vertu de la Loi canadienne des droits de la personne, S. C. 1976- 77, chap. 33. Il est maintenant clair que le harcèlement sexuel est un acte discriminatoire visé par l’article 13.1 de la Loi edicté par S. C. 1980- 81- 82- 83, chap. 143, art. 7. Néanmoins, cette modification ne peut être appliquée dans la présente instance.

Deuxièmement, il faut déterminer si la responsabilité du fait d’autrui rend l’employeur responsable des actes de harcèlement commis par ses employés. Cette question est maintenant abordée dans l’article 48( 5)-( 6) édicté par S. C. 1980- 81- 82- 83, chap. 143, art. 23, lequel ne s’applique pas plus dans la présente.

LA QUESTION DU HARCELEMENT

Les tribunaux, en s’appuyant sur la Loi fédérale et des lois provinciales similaires, ont généralement statué que le harcèlement sexuel constitue un acte discriminatoire fondé sur le sexe: Robichaud et al. c. Brennan et al. (1982), 3 CHRR D/ 1977 (Tribunal canadien des droits de la personne), Kotyk et al. c. Commission canadienne de l’Emploi et de l’Immigration et al. (1983), 4 CHRR D/ 1416 (Tribunal canadien des droits de la personne), Bell et al. c. Ladas et al. (1980), 1 CHRR D/ 155 (Commission d’enquête de l’Ontario). Cette conclusion est acceptée par tous les membres de la Cour d’appel fédérale qui ont interprété la Loi fédérale dans R. C. Robichaud (1985), 6 CHRR D/ 2695. En conséquence, j’en conclus que le harcèlement sexuel constituait une forme de discrimination fondée sur le sexe et donc un acte discriminatoire en vertu d’autres articles de la Loi avant la promulgation de l’article 13.1.

Cela m’amène à examiner s’il y a effectivement eu harcèlement sexuel dans cette affaire. En me fondant sur l’ensemble de la preuve, je ne suis pas convaincu que les éléments de l’environnement de travail, hormis la présence de M. Fetterly, ont constitué du harcèlement sexuel. Pour qu’il y ait harcèlement, la victime présumée doit se sentir harcelée. De plus, pour que le harcèlement soit lié au travail, la victime doit à tout le moins le percevoir comme concernant son travail et non pas comme une question personnelle et privée. La preuve indique qu’avant que ne soient entamées les diverses procédures qui ont mené au dépôt de la présente plainte, personne, y compris la plaignante, ne considérait que la présence de revues ou d’affiches à caractère sexuel dans le milieu de travail, dans la mesure où il y en a eu, ou l’échange de plaisanteries de nature sexuelle, dans la mesure où cela a pu se produire, constituaient un fait troublant ayant des répercussions sur le travail. Nul ne semble s’en être plaint antérieurement.

Il est possible, évidemment, que quelqu’un ait été offensé, mais ait craint de porter plainte. Néanmoins, la seule allégation que le milieu de travail était offensant pour les femmes provient de Mlle Gervais. Son témoignage même vient renforcer la conclusion que, jusqu’au moment de l’incident du 10 octobre 1981, elle considérait que les problèmes susmentionnés étaient de nature purement personnelle et privée plutôt que professionnelle. De plus, Mlle Gervais a choisi d’apporter sur les lieux de travail un livre montrant des images de postérieurs masculins vêtus. Même si la preuve révèle que ce livre était tout au plus de nature légèrement suggestive, le geste de Mlle Gervais tend donc à réfuter toute affirmation selon laquelle elle se sentait offensée par les affiches, revues et plaisanteries avant l’incident du 10 octobre 1981. J’en conclus que les préoccupations de Mlle Gervais au sujet du milieu de travail avant l’incident sont influencées par le traumatisme causé par l’incident, et n’indiquent pas comment elle se sentait véritablement dans ce milieu de travail avant la journée du 10 octobre 1981.

Les manoeuvres de M. Fetterly à l’endroit de Mlle Gervais avant la journée du 10 octobre ressemblent davantage à du harcèlement sexuel. De plus, il semble que Mlle Gervais ait à tout le moins rapporté cette action à sa représentante syndicale, Jennifer Spratt, quoiqu’il appert qu’elle ait refusé que Mlle Spratt en parle aux représentants de l’employeur. Il n’est pas clair si Mlle Gervais s’est elle- même plainte de la conduite de M. Fetterly à leur superviseur mutuel, Roger Doak; les témoignages ne concordent pas. Je pense qu’elle a probablement mentionné la question à M. Doak, mais tout comme elle l’avait fait avec Mlle Spratt, elle a sans doute laissé l’impression qu’elle voulait s’occuper de ce problème elle- même. En d’autres mots, il semble qu’avant l’incident du 10 octobre 1981, elle considérait qu’il s’agissait d’un problème d’ordre personnel plutôt que professionnel. Enfin, les manoeuvres de coercition physique de M. Fetterly à son endroit sont tellement éclipsées par l’incident lui- même que je pense qu’il est inutile de décider si elles constituent du harcèlement. Dans la mesure où la coercition physique était le prélude à l’incident du 10 octobre, j’y reviendrai lorsque je traiterai de la question de la responsabilité du Ministère dans cette affaire.

L’incident du 10 octobre s’est produit peu de temps avant l’heure du dîner. C’était le samedi de la fin de semaine de l’Action de grâce et, en conséquence, peu de membres du personnel étaient présents pour s’occuper des animaux. Mlle Gervais et M. Fetterly ne travaillaient pas dans le même bâtiment, quoiqu’on pouvait s’attendre à ce qu’ils se rencontrent puisque M. Fetterly était chargé du transport de Mlle Gervais entre deux bâtiments qui étaient situés à une certaine distance l’un de l’autre. M. Fetterly semble avoir visité fréquemment le bâtiment où Mlle Gervais travaillait le matin et avoir soulevé la possibilité d’avoir des rapports sexuels. Le fait que Mlle Gervais lui ait raconté la journée précédente qu’elle avait fait un rêve où elle avait des rapports sexuels avec lui a peut- être encourage M. Fetterly à lui faire une telle proposition.

Lors de sa dernière visite avant le dîner dans le bâtiment où travaillait Mlle Gervais, il semble évident que M. Fetterly a manifesté avec insistance son désir d’avoir des rapports sexuels. partir de ce moment, les versions des faits des deux participants ne sont pas uniquement contradictoires mais également confuses. Mlle Gervais affirme de façon catégorique que tout ce qui s’est passé par la suite est la responsabilité de M. Fetterly et qu’elle ne pouvait pas résister. Elle n’a pu, cependant, décrire en détail ce qui est arrivé. M. Fetterly, par contre, a déclaré que la plaignante a participé activement même si lui aussi n’a pu rapporter en détail ce qui s’est produit. Il est clair que Mlle Gervais a dit au moins une fois : Non, Ian, non, sinon plusieurs fois. Il est aussi certain qu’il y a eu brefs rapports sexuels.

Suite à l’incident, la première décision de Mlle Gervais a été de ne rien dire. Vers le milieu de l’après- midi, elle a décidé de traiter 11 incident avec plus de sérieux. Elle a informé son ami qui était aussi un collègue de travail, de ce qui s’était passé. Après avoir consulté un centre pour victimes de viols, ils se sont rendus dans un hôpital où Mlle Gervais a été examinée et par la suite interrogée par la police, qui lui a demandé si elle voulait porter plainte pour viol. La plaignante a indiqué qu’elle ne désirait pas porter d’accusations.

Même s’il y a eu des différences dans le compte rendu des événements de Mlle Gervais au cours de j’enquête par le Ministère et des procédures subséquentes, je suis certain que ces différences sont toutes imputables à des défaillances normales de la mémoire. Elle a maintenu les principaux éléments de sa version des faits tout au long de l’enquête. Par contre, le témoignage de M. Fetterly manque de crédibilité car sa version des faits a changé fondamentalement au cours de la même période. Je conclus que M. Fetterly était en fait l’agresseur dans l’incident en question et que Mlle Gervais n’a pas consenti à avoir des rapports sexuels. Même si on peut penser que Mlle Gervais aurait pu résister plus activement si elle n’était pas consentante, je crois qu’il était dans sa nature de demeurer physiquement passive. La preuve révèle qu’elle manque d’assurance dans ses rapports interpersonnels. Je crois qu’elle est demeurée essentiellement passive car elle ne savait simplement pas quoi faire. Il s’ensuit que le geste de M. Fetterly à l’endroit de Mlle Gervais a constitué du harcèlement sexuel. Il s’agit d’un acte discriminatoire qui est contraire à l’article 7 de la Loi. Je souligne que pour qu’il y ait harcèlement sexuel, il n’est pas nécessaire qu’un acte criminel de nature sexuelle soit commis et, en conséquence, je ne porte de jugement sur la nature de la conduite de M. Fetterly qu’aux seules fins de la Loi sur les droits de la personne.

RESPONSABILITÉ DE L’EMPLOYEUR

Cela m’amène à déterminer si le Ministère peut être tenu responsable de ce harcèlement. La loi actuelle à l’égard de cette question doit être interprétée conformément à la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire R. c. Robichaud (1985), 6 CHRR D/ 2695. Quoique, s’il m’appartenait de me prononcer sur la question, je trouverais que la dissension du juge MacGuigan a beaucoup plus de sens; je suis cependant lié par la décision de la majorité qui, sur cette question, est citée dans le passage suivant de la décision du juge en chef Thurlow, au passage D/ 2703 :

"A mon avis, la décision du tribunal d’appel n’est pas fondée et doit donc être annulée.

Tout d’abord, elle repose sur le concept suivant lequel, en vertu de la législation canadienne sur les droits de la personne applicable en l’espèce, la Couronne est strictement responsable des gestes de son surveillant, Brennan. A mon avis, l’application d’un tel concept ne s’appuie sur aucun fondement en droit. La Loi 10 établit quel est le droit applicable en l’espèce et aucun principe de common law fédéral ou de droit civil fédéral ne fournit le concept avancé pour son interprétation. La loi déclare illicites certains types d’actes discriminatoires et prévoit, à son article 4, que ces actes discriminatoires peuvent faire l’objet d’une plainte en vertu de la Partie III et que toute personne reconnue coupable de ces actes peut faire l’objet des ordonnances prévues aux articles 41 et 42"

11.

Pour faire l’objet d’une ordonnance en vertu de cette disposition, une personne doit commettre ou avoir commis un acte discriminatoire interdit. Suivant l’interprétation que je donne à cet article, si une personne commet elle- même un acte discriminatoire ou si quelqu’un le fait pour elle sur ses ordres, cette personne peut faire l’objet d’une ordonnance. Cependant, rien dans ce libellé ne tend à imposer aux employeurs l’obligation d’empêcher ou de prendre des mesures efficaces afin d’empêcher leurs employés de commettre des actes discriminatoires pour leurs propres fins. En outre, je ne vois rien dans cet article ni ailleurs dans la loi qui permette d’affirmer qu’une personne doit être tenue responsable, par le jeu de la responsabilité du fait d’autrui, de la responsabilité absolue ou encore de la responsabilité stricte selon les principes de responsabilité délictuelle en common law ou ceux du droit criminel, pour des actes discriminatoires commis par quelqu’un d’autre, qu’il s’agisse ou non de son employé. Comparer avec l’affaire Re Nelson et al. and Byron Price & Associates Ltd 12.

Il me semble qu’en vertu de la loi applicable dans le cas d’une société, une autorisation susceptible d’engager la responsabilité doit émaner de la direction. Dans le cas de la Couronne, je ne vois rien qui permette de conclure que la conduite des fonctionnaires occupant des postes de niveau inférieur à celui du fonctionnaire ou de l’organisme gouvernemental sous l’autorité et la direction duquel est placé le service public, en l’espèce le ministre de la Défense nationale ou le Conseil du Trésor, engage la responsabilité de la Couronne. Rien dans les conclusions de l’un ou l’autre des tribunaux ni dans le dossier ne laisse supposer que Brennan s’était vu confier par l’une de ces sources le pouvoir de harceler Mme Robichaud. De plus, rien ne permet de penser que quiconque occupant un tel poste ou en fait, tout poste supérieur à celui de Brennan, ait pu autoriser ou même, en toute connaissance de cause, fermer les yeux sur les actes de harcèlement de Brennan à l’endroit de Mme Robichaud ou les approuver, les adopter ou les ratifier.

[Notes de bas de page omises.] J’ai cependant de la difficulté à interpréter la véritable signification de ce passage. Pris dans son sens littéral, il suppose que seule la personne qui commet un acte discriminatoire est responsable selon la Loi sur les droits de la personne. Même si la décision a trait à une affaire de harcèlement sexuel, les principes de responsabilité auxquels la Cour se reporte sembleraient s’appliquer également à tous les aspects de la Loi. En conséquence, le refus par un bureau du gouvernement de fournir des services à une personne en raison de sa couleur n’engagerait pas plus la responsabilité de la Couronne qu’un acte de harcèlement sexuel à moins que les principes pertinents imposant une responsabilité indirecte ou par le jeu du fait d’autrui se trouvent dans la Loi elle- même. Avant l’adoption de l’article 48( 5)-( 6), cependant, il n’existait aucun principe de la sorte dans la Loi.

Les conséquences de cette interprétation sont tellement importantes que je ne peux croire que la décision rendue reflète les véritables intentions de la Cour d’appel fédérale. Puisque la Cour indique que seules les personnes au niveau ministériel peuvent engager la responsabilité de la Couronne, cela revient pour ainsi dire à rendre sans effet l’article 63( 1) selon lequel la Couronne est liée par la Loi. Puisqu’on peut supposer qu’il est assez improbable qu’un ministre de la Couronne autorise des actes discriminatoires, la Couronne ne sera à peu près jamais tenue responsable de violations de la Loi selon cette interprétation de la décision de la Cour d’appel fédérale. Évidemment, on peut prétendre que si la Loi lie la Couronne, c’est uniquement pour empêcher des fonctionnaires de rangs moins élevés d’invoquer l’immunité de la Couronne. Cependant, si les actes de ces fonctionnaires sont des actes de la Couronne aux fins de l’application de l’immunité de la Couronne, on peut se demander pourquoi logiquement il ne serait pas aussi des actes de la Couronne aux fins de l’application de la responsabilité de la Couronne. De toute façon, je ne crois pas que le Parlement désirait, lorsqu’il a décidé que la Couronne était liée par le Loi, ajouter la réserve mais seulement, évidemment, si un ministre autorise personnellement l’acte discriminatoire.

Je suis certain que la Cour avait à l’esprit un principe plus limité que l’exclusion complète de la responsabilité indirecte de la Couronne à l’égard d’actes discriminatoires commis par des fonctionnaires de rang inférieur. Je pense que le passage commettre des actes discriminatoires pour leurs propres fins contient la clé de l’interprétation de cette décision. La Cour reconnaissait que la conduite discriminatoire, a savoir le harcèlement sexuel, dont il était question dans cette affaire était, et toute personne raisonnable le percevrait ainsi, pour le bénéfice de l’intéressé et n’avait aucunement la sanction d’une autorité supérieure. Dans ce cas, il était nécessaire selon la Cour de prouver que cette conduite discriminatoire était autorisée par les supérieurs du mis en cause pour que la Couronne soit tenue responsable. outre une autorisation véritable de la part de supérieurs, ce qui est assez improbable, la Cour prend note également de l’absence de tout autre fondement pour rendre responsable une autorité supérieure puisqu’il n’existait aucune preuve que ces autorités supérieures avaient, en toute connaissance de cause, fermé les yeux sur les actes de harcèlement sexuel, les avaient approuvés, adoptés ou ratifiés.

En d’autres mots, lorsque des actes discriminatoires sont tels qu’ils seraient considérés comme servant les fins personnelles de celui qui les commet plutôt que celles de la partie qu’il représente, cette partie n’est pas responsable à moins que, par l’entremise d’une personne située à un échellon hiérarchique supérieur, cette partie n’ait, en toute connaissance de cause, fermé les yeux sur les actes discriminatoires ou les ait autorisés, approuvés, adoptés ou ratifiés. En raison de la nature personnelle de nombreux incidents de harcèlement sexuel, ce principe s’appliquerait particulièrement à ce type d’acte discriminatoire et probablement moins dans d’autres situations où des motifs professionnels, plutôt que personnels, seraient probablement perçus, par exemple, lorsque la prestation de services est refusée en raison de la couleur du requérant.

A la lumière de la vigueur avec laquelle notre société condamne les actes discriminatoires, on peut se demander dans quelle mesure ces actes peuvent raisonnablement être perçus comme ayant des motifs professionnels, plutôt que purement personnels. C’est cela qui rend le fond de la décision de la Cour d’appel fédérale assez peu attrayant. Elle risque de rendre à toute fin pratique la Loi sur les droits de la personne sans effet en niant la responsabilité institutionnelle pour tout acte discriminatoire à moins que celui- ci ne fasse clairement partie des politiques de l’institution mis en cause. Il est aussi indiqué de prendre note que même si la Cour d’appel fédérale rejette toute référence à la responsabilité du fait d’autrui ou à la responsabilité stricte selon les principes de la responsabilité délictuelle de la common law ou ceux du droit criminel, son approche est analogue à celle employée dans la limitation frolic of one’s own dans le domaine de la responsabilité du fait d’autrui en droit délictuel.

Puisque le harcèlement sexuel dans cette affaire était également pour le bénéfice personnel de la personne qui l’a commis, c’est- à- dire M. Fetterly, la décision de la Cour d’appel fédérale est évidemment en rapport direct avec cette affaire. Je dois donc déterminer si une autorité supérieure a, en toute connaissance de cause, fermé les yeux sur la conduite de M. Fetterly, l’a autorisée, approuvée, adoptée ou ratifiée. Il est évident qu’aucune autorisation de la sorte n’a été donnée.

En l’absence d’une plainte officielle de Mlle Gervais selon laquelle la conduite de M. Fetterly avant l’incident du 10 octobre, comme la coercition physique, devenait inacceptable, le Ministère n’a pas, en toute connaissance de cause, fermé les yeux sur le problème.

Il est plus difficile de déterminer si le harcèlement a été approuvé, adopté ou ratifié. L’avocat de la Commission canadienne des droits de la personne a affirmé que le Ministère, en refusant de prendre des mesures disciplinaires contre M. Fetterly, a approuvé, adopté ou ratifié le harcèlement sexuel à l’endroit de Mlle Gervais. Il existe certes des différences dans le sens des mots approbation, ratification et adoption, je ne me propose pas d’explorer cette question. Il y a certainement un chevauchement entre ces termes en ce sens qu’ils supposent tous une acceptation de ce qui est approuvé, adopté ou ratifié. Puisque je ne puis voir aucun élément d’acceptation dans cette affaire, il n’est pas nécessaire d’explorer les autres éléments concernés.

A première vue, l’argument selon lequel le Ministère a en fait accepté la conduite de M. Fetterly en lui permettant de retourner au travail sans qu’il ne fasse l’objet de mesures disciplinaires a une certaine valeur. Puisque le mis en cause a lui- même admis dès le départ qu’il a eu avec Mlle Gervais des contacts sexuels, même s’il a nié avoir eu des rapports sexuels, le Ministère avait des raisons évidentes de prendre des mesures disciplinaires contre lui. Néanmoins, les explications du Ministère à ce sujet me satisfont.

Cette affaire montre combien il est inefficace de s’en remettre à un employeur pour résoudre les différends qui peuvent survenir entre employés dans le milieu de travail. Même si le règlement interne de ces différends, si cela est possible, peut permettre d’améliorer les relations entre toutes les personnes concernées, un employeur n’a pas, à toutes fins utiles le pouvoir de résoudre un différend par jugement péremptoire. L’employeur a une relation contractuelle avec chaque employé. A moins que ces relations contractuelles confèrent mutuellement à l’employeur le pouvoir de résoudre les différends entre les employés, ce qui est rarement le cas, les obligations distinctes de l’employeur à l’égard de chaque employé peuvent facilement entrer en conflit avec toute mesure qui pourrait servir à résoudre le conflit entre les employés.

Dans la présente affaire, le Ministère avait l’obligation envers Mlle Gervais et M. Fetterly de ne pas prendre de mesures disciplinaires à leur endroit sans raisons valables. Les deux employés ont présenté des versions contradictoires de l’incident au ministère, lequel n’avait en fin de compte aucun pouvoir de déterminer qui disait la vérité. S’il acceptait la version de M. Fetterly, les deux employés auraient d faire l’objet de mesures disciplinaires, hormis le renvoi. Par contre, s’il acceptait la- version de Mlle Gervais, M. Fetterly méritait probablement d’être renvoyé mais la plaignante ne devait faire l’objet d’aucune mesure disciplinaire. Si la prise de mesures disciplinaires, à l’exception d’un renvoi à l’endroit de M. Fetterly semblait s’imposer au minimum, que l’on accepte l’une ou l’autre des versions, ces mesures devait être fondées sur la version des faits du mis en cause. Selon cette approche, et pour être juste envers le mis en cause, il est indiqué de prendre des mesures disciplinaires identiques contre Mlle Gervais, et le refus de prendre de telles mesures aurait constitué un motif de grief suffisant de la part de M. Fetterly. Toute différence importante dans le traitement n’était justifiée que si l’on acceptait la version de Mlle Gervais, mais alors la plaignante ne méritait aucune mesure. En conséquence, si le Ministère n’avait puni que M. Fetterly, il courait le risque que la version du mis en cause au cours des procédures de grief soit acceptée et que les mesures disciplinaires à son endroit soient considérées comme injustes parce que Mlle Gervais n’en avait pas fait l’objet. Par contre, s’il punissait les deux employés, il courait le risque que ce soit la version de la plaignante qui soit acceptée et, en conséquence, la punir aurait été considéré comme très injuste. Même si logiquement, le ministère aurait pu imposer la punition maximale qui s’imposait et laisser la question entre les mains des arbitres, cela aurait été un processus co teux et ne favorisant pas de bonnes relations de travail. En d’autres mots, le ministère faisait face à une situation où il ne pouvait faire que des mécontents.

Compte tenu des impératifs des relations de travail, la décision de ne prendre aucune mesure disciplinaire était entièrement raisonnable dans les circonstances. Je suis persuadé que cette décision a en fait été prise sur cette base et ne représente aucunement une acceptation de la conduite de M. Fetterly. Tout au contraire, en lui donnant une nouvelle affectation et en l’avertissant qu’aucune conduite de la sorte ne serait acceptée à l’avenir, le Ministère a exprimé aussi clairement que possible que cette conduite était inacceptable, et ce, sans risquer les complications juridiques que des mesures disciplinaires auraient comportées.

Je souligne aussi que, même si la décision de la Cour d’appel fédérale dans R. c. Robichaud est erronée et que la responsabilité du fait d’autrui dans un sens plus large engage la responsabilité du ministère, il ne s’ensuit pas que le Ministère devrait être tenu responsable de la conduite de M. Fetterly. A moins que la norme en cause soit celle de la responsabilité absolue d’un employeur pour un acte discriminatoire commis par un employé, il est douteux que la responsabilité du Ministère soit engagée dans la présente affaire. Selon les renseignements dont le Ministère, ou même Mlle Gervais elle- même disposait avant le 10 octobre, il est douteux que l’incident ait pu être prévisible à ce moment- là. En conséquence, il est possible d’affirmer que l’employeur n’avait aucun devoir eu égard à cet incident. Même si M. Fetterly avait certaines responsabilités de supervision, son poste était clairement celui d’un chef de groupe et non pas celui d’une personne ayant des responsabilités de gestion. En conséquence, si la norme applicable dans cette affaire est celle de la responsabilité stricte à l’égard de la conduite des superviseurs qu’a adoptée le tribunal d’appel dans Robichaud et al. c. Brennan et al. (1983), 4 CHRR D/ 1272, le Ministère pourrait ne pas être tenu responsable de la conduite de M. Fetterly. Cela dépendrait de l’extension qu’on donnerait à la norme de la responsabilité stricte.

Selon les faits de cette affaire, le témoignage de Mlle Gervais indique qu’elle ne considérait pas que M. Fetterly avait des pouvoirs de gestion. Elle a dit cependant que c’est la crainte de perdre son emploi qui avait motivé sa décision initiale de ne pas rapporter l’incident mais cela est attribuable à son manque général de confiance en ses moyens et au fait que M. Fetterly avait beaucoup plus d’ancienneté que la plaignante et non pas à une quelconque autorité qu’il avait sur elle. En conséquence, l’affirmation selon laquelle le Ministère est tenu responsable en raison de la responsabilité stricte des actions des superviseurs ne me semble pas fondée.

Par contre, selon la norme légale que prévoit maintenant l’article 48 (5)-( 6) de la Loi, il est probable qu’une responsabilité prima facie engagerait l’employeur. La responsabilité en vertu de l’article 48( 5) est fondée sur le principe dans le cadre de son emploi. Cela ouvrerait probablement la voie à la limitation dite frolic of one’s own, de la responsabilité du fait d’autrui. Cependant, il est plus probable que, lorsque l’acte discriminatoire s’est produit dans le milieu de travail au cours des heures de travail, l’approche indiquée consiste à tenir l’employeur responsable, sous réserve de l’article 48( 6) qui suppose qu’il faut déterminer si l’employeur a pris toutes les mesures nécessaires pour empêcher la pratique discriminatoire ou en atténuer les effets. En effet, si ce n’est pas l’approche utilisée, M. Fetterly lui- même ne pourrait être accusé de harcèlement sexuel dans cette affaire puisque l’article 7 de la Loi ne fait référence qu’aux actes discriminatoires d’une personne dans le cadre de son emploi, et il est même difficile de dire si l’article 13.1 couvrira ce type de conduite dans les futures instances. De toute façon, l’article 48 (5)-( 6) n’ était pas en vigueur lorsque les incidents de cette affaire se sont produits.

S’il y a eu une manifestation concrète d’un acte discriminatoire pour lequel le Ministère pourrait être tenu responsable dans cette affaire, ce n’était pas les circonstances qui ont conduit à l’incident du 10 octobre non plus que l’enquête subséquente du Ministère et ses mesures à l’égard de cet incident. S’il y a eu une manifestation concrète d’un acte discriminatoire, c’est dans le traitement du dossier de Mlle Gervais après que le Ministère eut déterminé qu’il ne pouvait pas prendre de mesures disciplinaires contre M. Fetterly. Que Mlle Gervais ait consenti ou non aux avances de M. Fetterly le 10 octobre, elle a clairement fait comprendre par la suite au Ministère qu’elle ne désirait pas être une autre fois la victime d’un tel incident. Même si la réaffectation de M. Fetterly a permis d’éviter des contacts directs entre eux, il n’en demeure pas moins qu’il travaillait toujours dans la même installation que la plaignante. M. Fetterly s’est absenté du travail pendant une année à partir de mai 1982 pour aller suivre un cours de langue, mais il était prévu qu’il revienne à la ferme par la suite.

Il est très normal qu’une telle situation ait préoccupé Mlle Gervais. Je pense qu’il y a un lien direct entre ce malaise, et le besoin qu’elle a ressenti de quitter cet emploi et de recevoir des soins psychologiques. C’est cette perte d’emploi qui a constitué la perte pécuniaire directe dont fait état Mlle Gervais dans cette affaire.

John Nolan de la Direction du personnel du Ministère a affirmé que des efforts spéciaux ont été faits pour donner suite à la demande de mutation de Mlle Gervais. Les dossiers révèlent cependant que ces efforts ont été de nature hautement bureaucratique. Cela nous permet mieux de comprendre comment Mlle Gervais a perçu le traitement de sa demande de mutation par le ministère. Même si Mlle Gervais s’est montrée peu coopérative face à certains aspects administratifs du traitement de sa demande, c’est qu’elle craignait que le Ministère cherche un prétexte pour se débarrasser d’elle. On a fait grand état du fait qu’elle a refusé de se soumettre à un examen médical qui était demandé du fait qu’elle était en conge sans traitement pour des raisons de santé. Néanmoins, il est difficile de croire que le ministère ne connaissait pas les raisons médicales liées spécifiquement au traumatisme qu’elle a subi en travaillant à la ferme Greenbank, ce qui était la raison même de sa demande de mutation. Il ne semble pas qu’on ait véritablement essaye d’appaiser les inquiétudes de Mlle Gervais concernant le traitement de sa demande de mutation.

J’ai du mal à croire que le ministère a pris toutes les mesures nécessaires pour faciliter la mutation de Mlle Gervais. On pourrait arguer que le Ministère avait le devoir d’aider Mlle Gervais étant donné le malaise qu’elle ressentait à la suite de l’incident du 10 octobre et dont il avait conscience, et, étant donné les options qui s’offrent à un employeur comme lui, que le fait de ne pas avoir donné rapidement suite à sa demande de mutation constitue du harcèlement sexuel. Cependant, je ne dispose pas de tous les renseignements pertinents pour évaluer la conduite du Ministère à cet égard. Il faudrait ainsi savoir si le processus de mutation n’était régie que par des exigences légales et, si cela n’était pas le cas, s’il existait des raisons fondées sur les politiques du Ministère pour ne pas donner suite de façon plus expéditive à sa demande de mutation. Par contre, le fait que la période où Mlle Gervais semble avoir le plus ressenti le traumatisme de l’incident du 10 octobre a été lorsque M. Fetterly est allé suivre un cours de langue soulève la question du lien causal entre le harcèlement souffert et la demande de mutation. Puisqu’elle a aussi postulé d’autres postes à la ferme Greenbank, je suis porté à m’interroger sur l’importance de la demande de mutation par rapport au traumatisme subi. Des explications additionnelles à cet égard seraient nécessaires. par ailleurs, le Ministère avait- il l’obligation d’aider Mlle Gervais pour accélérer le processus de mutation dans de telles circonstances? Le traitement de la demande de Mlle Gervais par le Ministère n’a pas été mentionné dans la plainte présentée à la Commission canadienne des droits de la personne de sorte que je n’ai de toute façon pas compétence pour me prononcer sur cette question au cours des présentes procédures. Même si j’ai déterminé que M. Fetterly avait harcelé sexuellement Mlle Gervais, je dois dire que le Ministère n’a pas, en toute connaissance de cause, fermé les yeux sur cette conduite, et ne l’a pas autorisée, approuvée, adoptée ou ratifiée. En conséquence, le Ministère ne peut être tenu responsable de cette conduite et je ne puis accorder aucune compensation à Mlle Gervais dans cette affaire. Je rappelle que le Ministère était la seule partie concernée dans cette plainte.

Au début des procédures, une demande m’a été présentée pour que M. Fetterly devienne une partie dans cette affaire. Il a été avisé des procédures engagées, mais il ne s’est pas présenté. Sa présence subséquente en tant que témoin n’est survenu qu’après qu’il ait été persuadé de témoigner par un avocat du Ministère. Puisqu’il était évident que la réputation de M. Fetterly pourrait être entachée par la présente instance, il semblait raisonnable d’interpréter son refus initial de témoigner comme un désir de ne pas être une partie dans cette affaire. J’ai décidé qu’en l’absence du consentement d’une personne à être partie, il n’était pas indiqué d’ajouter une personne comme partie à l’étape du tribunal aux fins de rendre, le cas échéant, cette personne passible d’une ordonnance du tribunal, à moins qu’il y ait eu de bonnes raisons de ne pas prendre de mesures en vue d’ajouter ladite personne plus tôt dans les procédures.

Je suis d’avis que le moment le plus indiqué pour introduire une partie aux fins de la rendre passible d’une ordonnance est à l’étape du dépôt de la plainte. La Commission canadienne des droits de la personne qui reçoit la plainte est alors en mesure de déterminer s’il est à propos de donner suite à cete plainte. En outre, en procédant ainsi la partie convoquée est assurée qu’elle peut bénéficier de l’avantage de négocier avec la commission relativement à la plainte. Lorsque les audiences ont débuté, presque 4 années s’étaient écoulées depuis les événements qui ont mené au dépôt de la plainte. A première vue, il a eu retard excessif à entreprendre des procédures. L’article 33b)( iv) de la Loi charge la Commission, et non un tribunal, de déterminer si une plainte devrait être portée contre une personne plus d’un an après que les événements se soient déroulés. Même si les procédures de la plainte dans cette affaire avaient déjà été entreprises, l’ajout d’une partie à cette étape des procédures a les mêmes conséquences du point de vue de cette partie.

La seule raison invoquée pour ne pas faire de M. Fetterly une partie dans cette affaire était que la Commission avait pour politique de ne pas entreprendre de procédures contre des particuliers. Cette politique découlait en partie des avis juridiques reçus, selon lesquels des procédures contre une personne en particulier soulevaient des problèmes constitutionnels et étaient inutiles en raison de la responsabilité du fait d’autrui de l’employeur. Elle était aussi fondé sur l’opinion qui veut que faire appliquer la responsabilité institutionnelle plutôt que personnelle était plus compatible avec les objectifs de la Loi sur les droits de la personne. La Commission a réalisé par la suite que le fondement légal de cette politique était erroné, rendant ainsi les procédures contre des employés non seulement possibles, mais peut- être nécessaires en l’absence de la responsabilité du fait d’autrui. A mon avis, cela n’est pas suffisant pour contrebalancer le fait qu’il est souhaitable que des personnes deviennent partie le plus rapidement possible au début des procédures. De plus, cela risquait de porter préjudice à des personnes qui pouvaient s’être fiées à la politique de la Commission de ne pas entamer de procédures contre des employés en particulier. En conséquence, j’ai refusé d’inclure M. Fetterly comme partie à cette instance, et aucune ordonnance n’est possible contre lui dans ces procédures.

CONCLUSION

Mlle Gervais trouvera, espérons- le, du réconfort dans le fait que je corrobore sa version de l’incident du 10 octobre 1981. Dans la mesure on sa plainte visait à engager la responsabilité de l’employeur pour le tort subi, elle peut peut- être se consoler en sachant qu’à l’avenir les personnes au prise avec des problèmes similaires trouveront dans l’article 48( 5)-( 6) de la Loi un meilleur cadre pour déterminer la responsabilité de l’employeur que ne le fait la loi qui me lie dans la présente affaire.

En résumé, même si la preuve qui m’a été présentée révèle que mlle Gervais a été harcelée sexuellement par M. Fetterly, je suis lié par les décisions de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire R. c. Robichaud, et je dois conclure que Agriculture Canada ne peut être tenu responsable du harcèlement. En conséquence, la plainte contre Agriculture Canada n’est pas fondée et est rejetée.

FAIT à Ottawa, le 3 septembre 1986.

Robert W. Kerr Tribunal

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