Tribunal canadien des droits de la personne

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TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL

RUTH WALDEN ET AL.

les plaignants

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

DEVELOPPEMENT SOCIAL CANADA,

CONSEIL DU TRESOR DU CANADA, ET

L'AGENCE DE GESTION DES RESSOURCES HUMAINES DE LA

FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

les intimés

DÉCISION

MEMBRE INSTRUCTEUR : Karen A. Jensen 2007 TCDP 56
2007/12/13

Canadian Human
Rights Tribunal

Tribunal canadien
des droits de la personne

I. INTRODUCTION

II. RÉSUMÉ DE LA DÉCISION

III. QUELLES SONT LES CIRCONSTANCES QUI ONT DONNÉ LIEU À LA PLAINTE?

IV. QUEL EST LE CADRE TEMPOREL APPROPRIÉ POUR LES PLAINTES?

V. QUEL EST LE PROCESSUS À SUIVRE POUR DÉTERMINER L'ADMISSIBILITÉ AUX PRESTATIONS D'INVALIDITÉ DU RPC?

VI. QUELS SONT LES CRITÈRES AUXQUELS IL FAUT SATISFAIRE POUR ÉTABLIR UNE PREUVE PRIMA FACIE DE DISCRIMINATION AU SENS DES ARTICLES 7 ET 10 DE LA LCDP?

VII. LES PLAIGNANTS ONT-ILS ÉTABLI UNE PREUVE PRIMA FACIE DE DISCRIMINATION AU SENS DE L'ARTICLE 7 DE LA LCDP?

VIII. LES PLAIGNANTS ONT-ILS ÉTABLI UNE PREUVE PRIMA FACIE DE DISCRIMINATION AU SENS DE L'ARTICLE 10 DE LA LCDP?

IX. QUELLE EST L'EXPLICATION DES INTIMÉS?

X. CONCLUSION AU SUJET DE LA RESPONSABILITÉ AU SENS DES ARTICLES 7 ET 10 DE LA LOI

XI. QUELLE EST LA RÉPARATION APPROPRIÉE EN L'ESPÈCE?

I. INTRODUCTION

[1] Ruth Walden fait partie des 431 plaignants qui soutiennent que les intimés ont fait preuve de discrimination fondée sur le sexe envers eux. Les plaignants sont un groupe d'infirmiers et d'infirmières majoritairement composé de femmes qui travaillent à titre d'évaluateurs médicaux pour le programme de prestations d'invalidité du RPC. Pendant 35 ans, ils ont travaillé aux côtés de médecins, un groupe majoritairement composé d'hommes, pour un but commun : déterminer l'admissibilité aux prestations d'invalidité du RPC.

[2] Les plaignants soutiennent que les médecins (qui portent le titre de conseillers médicaux) et les infirmières et infirmiers (qui portent le titre d'évaluateurs médicaux) font le même travail : ils utilisent leurs connaissances médicales pour déterminer si une personne a droit aux prestations d'invalidité du RPC. Lorsque les conseillers médicaux effectuent ce travail, ils sont reconnus comme étant des professionnels de la santé dans le Système de classification de la fonction publique. Cependant, lorsque ce sont les évaluateurs médicaux qui font le travail, ils ne sont pas reconnus comme étant des professionnels de la santé. En fait, ils sont classés comme étant des administrateurs de programme. En raison de leur classification, les conseillers médicaux reçoivent une rémunération, des avantages sociaux, de la formation, une reconnaissance professionnelle et des possibilités de développement professionnel qui sont meilleurs que ceux auxquels les évaluateurs médicaux ont droit.

[3] Les plaignants soutiennent qu'il est discriminatoire de traiter un groupe majoritairement composé de femmes différemment d'un groupe majoritairement composé d'hommes lorsqu'ils effectuent un travail identique ou un travail sensiblement équivalent. Ils demandent à recevoir le même traitement que les conseillers médicaux.

[4] Il s'agit de déterminer en l'espèce si les intimés ont fait preuve de discrimination fondée sur le sexe envers les plaignants : 1) en les traitant différemment des conseillers médicaux, en contravention avec l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP) et/ou 2) en appliquant des lignes de conduite susceptibles d'annihiler les chances d'emploi des plaignants, en contravention avec l'article 10 de la LCDP.

II. RÉSUMÉ DE LA DÉCISION

[5] Les plaignants ont satisfait à l'exigence au sujet de l'établissement d'une preuve prima facie de discrimination au sens de l'article 7 de la Loi. Pour satisfaire à cette exigence, les plaignants devaient présenter des preuves crédibles qui, en l'absence d'une justification raisonnable des intimés, établissent le bien-fondé de la plainte.

[6] La preuve des plaignants étayait l'allégation selon laquelle, depuis 1972, les évaluateurs médicaux effectuaient un travail identique, ou un travail sensiblement équivalent, que les conseillers médicaux. Les deux groupes utilisaient leur expertise et leurs qualifications médicales pour déterminer l'admissibilité aux prestations d'invalidité du RPC. Pourtant, seuls les conseillers médicaux sont reconnus comme professionnels de la santé dans le groupe Services de santé (SH) de la fonction publique, et seuls les conseillers reçoivent les avantages et la reconnaissance qui découlent de cette classification.

[7] Les plaignants ont aussi établi une preuve prima facie de discrimination au sens de l'article 10 de la Loi. Pour ce faire, il doit y avoir une preuve crédible que l'intimé applique une ligne de conduite susceptible d'annihiler les chances d'emploi d'un individu.

[8] La preuve des plaignants étayait l'allégation selon laquelle il s'agissait d'une ligne de conduite susceptible d'annihiler les chances d'emploi des plaignants au service des intimés que de considérer le travail des plaignants comme étant fondamentalement différent de celui des conseillers.

[9] Le fardeau est ensuite passé aux intimés, qui devaient justifier les actes qui, à première vue, étaient discriminatoires.

[10] Les intimés ont présenté une explication raisonnable qui a réfuté une partie de la preuve prima facie des plaignants, mais qui n'a pas réfuté la preuve en entier. Bien qu'il y ait un chevauchement marqué des tâches dans les deux postes, il existe aussi certaines différences importantes. Dans la tâche commune d'examen de l'admissibilité, les conseillers médicaux ont un rôle de supervision et de consultation que les évaluateurs n'ont pas. Il y a donc certaines différences entre les tâches accomplies par les conseillers et celles accomplies par les évaluateurs. Ces différences expliquent les distinctions dans les titres de postes et certaines des différences en matière de rémunération et d'avantages sociaux.

[11] Cependant, les différences ne sont pas assez importantes pour expliquer la grande différence de traitement et, en particulier, elles n'expliquent pas pourquoi les conseillers sont reconnus comme étant des professionnels de la santé et que les évaluateurs ne le sont pas. La tâche principale des deux postes est d'appliquer leurs connaissances professionnelles pour déterminer l'admissibilité d'une personne aux prestations d'invalidité du RPC. Les intimés n'ont pas justifié de façon raisonnable et non discriminatoire la raison pour laquelle cette tâche constitue du travail médical lorsque les conseillers l'effectuent, et du travail d'administration de programme lorsque ce sont les évaluateurs qui le font.

[12] De plus, les intimés n'ont pas prouvé que la classification des évaluateurs médicaux comme professionnels de la santé dans le groupe Services de santé leur causerait une contrainte excessive. Par conséquent, je conclus que les plaintes sont fondées.

III. QUELLES SONT LES CIRCONSTANCES QUI ONT DONNÉ LIEU À LA PLAINTE?

[13] En 1966, le Régime de pension du Canada (le RPC ou le Régime) est entré en vigueur. En plus des prestations de retraite, le Régime offrait des prestations d'invalidité aux travailleurs. Une personne était admissible à recevoir des prestations d'invalidité si elle avait contribué au RPC pendant au moins cinq ans et si elle souffrait d'une invalidité mentale ou physique grave et prolongée.

[14] Vers 1971, des médecins ont été embauchés pour déterminer l'admissibilité des demandeurs aux prestations d'invalidité du RPC. Il y avait tellement de demandes que les médecins étaient incapables de toutes les traiter avec diligence. Un arriéré a commencé à s'accumuler. Par conséquent, en 1972, le directeur du programme a embauché des infirmières et des infirmiers pour qu'ils aident les médecins à déterminer l'admissibilité aux prestations d'invalidité.

[15] Il est nécessaire d'utiliser des connaissances médicales pour bien comprendre et évaluer les documents présentés à l'appui d'une demande, afin de déterminer si la personne peut recevoir des prestations d'invalidité du RPC. Tant les conseillers médicaux que les évaluateurs médicaux ont toujours utilisé leurs connaissances professionnelles pour déterminer l'admissibilité aux prestations d'invalidité du RPC. Ni l'un ni l'autre poste ne nécessite la prestation de soins directs à un patient.

[16] Le fait que les conseillers médicaux utilisent leurs connaissances professionnelles pour déterminer l'admissibilité est reconnu par la classification de leur poste dans la fonction publique du Canada. Le fait que les infirmières et infirmiers utilisent leurs connaissances professionnelles en soins infirmiers n'est pas reconnu dans leur classification.

[17] La classification des postes à la fonction publique est importante. Elle détermine, entre autres, la reconnaissance professionnelle, la rémunération et les avantages sociaux, ainsi que les possibilités de formation continue et d'avancement professionnel auxquels le titulaire du poste aura droit. Les postes sont classés selon leur fonction principale. Ils sont d'abord inscrits dans un groupe professionnel, qui est un ensemble de postes regroupés en fonction de tâches communes ou de travail semblable. Dans un groupe professionnel, les normes de classification précisent le type de travail qui est effectué dans ce groupe. Par exemple, dans le groupe Services de santé (SH), il y a, entre autres, la norme de classification groupe Sciences infirmières (NU) et la norme de classification groupe Médecine (MD). Dans le groupe Services des programmes et de l'administration (PA), il y a, entre autres, la norme de classification groupe Administration des programmes (PM).

[18] Les conseillers médicaux ont la classification MD dans le groupe Services de santé. La définition de ce groupe comprend les postes pour lesquels le titulaire doit appliquer ses connaissances en médecine ou en sciences infirmières (entre autres spécialités professionnelles) à la sécurité et à la santé physique et mentale des personnes. Les conseillers médicaux ont toujours fait partie de ce groupe parce que la définition de conseiller médical a toujours compris les postes dont le titulaire est responsable principalement d'évaluer l'état de santé afin de déterminer l'admissibilité aux prestations d'invalidité et à d'autres prestations du gouvernement fédéral.

[19] Les évaluateurs médicaux ont toujours eu la classification PM dans le groupe Services des programmes et de l'administration (PA). Ce groupe comprend des postes dont les titulaires ont comme tâches principales la planification, l'élaboration, la prestation ou la gestion de programmes administratifs et fédéraux pour le public. Les postes du groupe PA n'ont pas pour objectif l'application de connaissances approfondies de spécialités professionnelles telles que les sciences infirmières ou la médecine.

[20] Depuis 1988 jusqu'à tout récemment, les évaluateurs médicaux ont demandé à être reconnu comme étant des professionnels de la santé par la classification de leur poste dans le groupe Sciences infirmières (NU) des Services de santé. Ces tentatives ont été infructueuses. Au cours des années, les intimés le Conseil du Trésor et l'Agence de gestion des ressources humaines de la fonction publique du Canada (AGRHFPC, maintenant l'AFPC) ont entrepris un certain nombre d'examens de la classification et, chaque fois, la classification du poste d'évaluateur médical au sein du groupe PM a été confirmée.

[21] En 2004, Ruth Walden a présenté une plainte en matière de droits de la personne à la Commission canadienne des droits de la personne. De 2004 à 2007, 430 autres évaluateurs médicaux ont présenté des plaintes en matière de droits de la personne qui portaient sur les mêmes actes discriminatoires et qui demandaient les mêmes réparations.

[22] La majorité des plaignants étaient représentés par un avocat à l'audience. Environ 17 plaignants n'étaient pas représentés à l'audience. Des représentants régionaux ont fourni les renseignements au sujet de l'audience aux plaignants qui n'étaient pas représentés par un avocat.

IV. QUEL EST LE CADRE TEMPOREL APPROPRIÉ POUR LES PLAINTES?

[23] Chaque plaignant soutient que l'acte discriminatoire a débuté à sa date d'embauche et qu'il a continué jusqu'à aujourd'hui (s'il travaille toujours pour le Programme de prestations d'invalidité du RPC) ou jusqu'au jour où son emploi pour le Régime s'est terminé.

[24] L'avocat de certains plaignants a présenté une liste de dates d'embauche pour les plaignants qu'il représentait. La date la plus ancienne est août 1979, alors que la plus récente est février 2007. Les dates d'embauche des plaignants qui n'étaient pas représentés par un avocat n'ont pas été présentées au Tribunal. Albina Elliot, l'une des premières infirmières embauchées en 1972, a témoigné à l'audience. L'avocat de certains des plaignants a déclaré que Mme Elliot avait présenté une plainte. Cependant, son nom n'apparaît pas sur la liste des plaignants que la Commission et l'avocat des plaignants ont fait parvenir au Tribunal.

[25] Pendant l'audience, l'avocat de certains des plaignants a soutenu que, bien que sur les formulaires de plaintes, il eût été inscrit que l'acte discriminatoire a débuté lorsque les plaignants ont été embauchés, le Tribunal peut et devrait conclure que l'acte contesté a débuté en 1972, lorsque la première infirmière a été embauchée et qu'elle a obtenu la classification PM.

[26] Je ne souscris pas à cet argument.

[27] La Loi canadienne sur les droits de la personne est entrée en vigueur en mars 1978. La jurisprudence des Cours et du Tribunal est constante : la LCDP ne s'applique pas de façon rétroactive aux actes et aux lignes de conduite qui existaient avant l'entrée en vigueur de la Loi ou de ses modifications (Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84, au paragraphe 20; Nkwazi c. Canada (Service correctionnel Canada), [2001] CCDP no 1, CT 1/01, au paragraphe 233, citée avec approbation dans Chopra c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 268, au paragraphe 50).

[28] Dans Latif c. Commission canadienne des droits de la personne, [1980] 1 C.F. 687, la Cour d'appel fédérale a conclu que la nouvelle LCDP avait une application rétroactive très limitée. Elle s'appliquait aux actes qui avaient débutés avant l'entrée en vigueur de la Loi et qui avaient continué pendant quelques temps après qu'elle soit entrée en vigueur (Latif, au paragraphe 34). Cela visait à permettre à la Commission de traiter les plaintes qui étaient en instance lorsque la Loi est entrée en vigueur. La Cour a conclu que, de cette façon très limitée, la Loi pouvait avoir une application rétroactive pour les actes discriminatoires qui ont débuté avant que la Loi entre en vigueur, mais qui se sont poursuivis jusqu'à la date d'entrée en vigueur ou peu après celle-ci. La Cour a ajouté qu'autrement, la LCDP n'a pas d'application rétroactive. (Au sujet de l'application rétroactive limitée en général, voir : Dell Computer Corp. c. Union des consommateurs, 2007 CSC 34, au paragraphe 113.)

[29] Par conséquent, je conclus que la responsabilité possible des intimés en l'espèce se limite aux actes et aux lignes de conduite qui existent depuis l'entrée en vigueur de la LCDP.

[30] Les intimés soutiennent que la responsabilité possible pour les actes ou les lignes de conduite discriminatoires devrait plutôt être limitée à un an avant que Mme Walden dépose sa plainte. Cela limiterait la responsabilité à la période s'étendant de 2003 jusqu'à aujourd'hui. Sur ce fondement, le Tribunal devrait rejeter les plaintes des plaignants qui ont quitté leur emploi pour le programme de prestations d'invalidité du RPC avant 2003.

[31] À mon avis, il ne serait pas approprié de le faire. Selon moi, il est important d'établir une distinction entre la détermination de la responsabilité des intimés au sujet des actes discriminatoires au sens des articles 7 et 10 de la Loi, et l'exercice du pouvoir discrétionnaire du Tribunal, en vertu du paragraphe 53(2) de la LCDP, lui permettant d'indemniser les victimes pour les pertes résultant des actes discriminatoires. Ces questions sont connexes, mais distinctes. La responsabilité au sujet des actes discriminatoires devrait, à mon avis, être examinée séparément de la question de l'indemnité qui pourrait être accordée après qu'aura été tranchée la question de la responsabilité.

[32] En l'espèce, les plaignants soutiennent qu'il y a eu discrimination systémique. Cette discrimination, par sa nature même, s'étend sur une certaine période et ne peut être isolée sous forme d'acte ou de déclaration unique (Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Ministère de la Défense nationale) (NFP), [1996] 3 C.F. 789, au paragraphe 16). Pour ce motif, il n'est pas approprié en l'espèce de fixer une date arbitraire à partir de laquelle l'acte discriminatoire aurait débuté afin de déterminer la responsabilité. Le Tribunal doit plutôt examiner la preuve et conclure, selon la prépondérance des probabilités, s'il y a eu acte discriminatoire et, le cas échéant, quand cet acte a eu lieu.

[33] Cela ne veut cependant pas dire que le Tribunal ne peut pas imposer de limite aux pertes indemnisables causées par l'acte discriminatoire si les plaintes sont fondées. En effet, dans l'arrêt récent Chopra c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 268, la Cour d'appel fédérale a statué que le pouvoir discrétionnaire prévu à l'alinéa 53(2)c), qui permet au Tribunal d'indemniser la victime de la totalité ou de la fraction des pertes, laisse aussi au Tribunal la possibilité d'imposer une limite à ces pertes causées par un acte discriminatoire. À mon avis, c'était dans le contexte de l'examen du caractère approprié de l'exercice du pouvoir discrétionnaire du Tribunal, prévu au paragraphe 53(2), que la Cour, dans la décision NFP, a statué que, pour cette affaire, il était raisonnable de limiter l'indemnisation des pertes de salaire à l'année précédant le dépôt de la plainte. Cependant, à la présente étape de l'examen de la responsabilité, il ne convient pas d'imposer une limite d'un an.

[34] Pour tous ces motifs, le Tribunal examinera la responsabilité à partir de mars 1978 jusqu'à aujourd'hui. Néanmoins, pour les fins limitées d'analyse du travail qui était, et est toujours, effectué par les évaluateurs et les conseillers médicaux, et des circonstances qui ont entraîné l'acte discriminatoire allégué, il est nécessaire d'examiner l'historique complet de l'affaire, de 1972 jusqu'à aujourd'hui.

V. QUEL EST LE PROCESSUS À SUIVRE POUR DÉTERMINER L'ADMISSIBILITÉ AUX PRESTATIONS D'INVALIDITÉ DU RPC?

[35] Il est utile, pour comprendre les questions en litige en l'espèce, de connaître les principes de base du processus servant à déterminer l'admissibilité aux prestations d'invalidité du RPC. Il y a deux critères d'admissibilité : le demandeur doit avoir suffisamment contribué au RPC et son invalidité doit être grave et prolongée.

[36] Le processus servant à déterminer l'admissibilité aux prestations d'invalidité du RPC était, et est toujours, le suivant :

  1. une personne présente une demande de prestations;
  2. une première décision est prise quant à l'octroi des prestations en fonction des critères d'admissibilité;
  3. si la demande est rejetée, le demandeur peut présenter une demande de réexamen de la décision;
  4. si les prestations sont refusées à l'étape du réexamen, le demandeur peut interjeter appel de la décision au Tribunal de révision (TR) (anciennement le Comité de révision);
  5. si le TR rend une fois de plus une décision défavorable au sujet des prestations, le demandeur peut demander l'autorisation d'interjeter appel à la Commission d'appel des pensions (CAP);
  6. si le TR accorde les prestations au demandeur, le ministre responsable du programme du RPC peut demander une autorisation de pourvoi de la décision du TR;
  7. le demandeur et le ministre peuvent tous deux présenter à la Cour d'appel fédérale une demande de contrôle judiciaire de la décision de la CAP;
  8. à toute étape du processus, le demandeur peut présenter de nouveaux renseignements, médicaux ou non, ou des renseignements supplémentaires. Le décideur qui en est saisi examine les renseignements afin de déterminer l'admissibilité aux prestations d'invalidité du RPC.

[37] Le graphique d'acheminement suivant peut aider à visualiser le processus servant à déterminer l'admissibilité aux prestations d'invalidité du RPC. Il est cependant important de garder à l'esprit que 90 p. 100 des demandes de prestations d'invalidité du RPC sont tranchées à l'étape de la décision initiale ou à l'étape de réexamen. Peu de cas font l'objet d'un appel auprès du TR ou de la CAP. Encore moins de cas font l'objet de demande de contrôle judiciaire.

Décision -> Réexamen -> Tribunal -> Commission d'appel -> Cour d'appel initiale de révision des pensions fédérale

VI. QUELS SONT LES CRITÈRES AUXQUELS IL FAUT SATISFAIRE POUR ÉTABLIR UNE PREUVE PRIMA FACIE DE DISCRIMINATION AU SENS DES ARTICLES 7 ET 10 DE LA LCDP?

[38] L'article 7 de la Loi prévoit que constitue un acte discriminatoire s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait [...] de [...] défavoriser [un employé] en cours d'emploi . Pour établir une preuve prima facie de discrimination au sens de l'article 7, les plaignants doivent prouver qu'ils sont défavorisés en cours d'emploi en raison de leur sexe. En ce qui a trait à l'alinéa 10a) de la Loi, les plaignants doivent prouver l'existence de lignes de conduite, fondées sur un motif de distinction illicite, qui sont susceptibles d'annihiler leurs chances d'emploi.

[39] La présentation de statistiques prouvant qu'une ligne de conduite apparemment neutre a un effet défavorable sur un grand nombre de membres d'un groupe protégé est suffisante pour établir une preuve prima facie de discrimination au sens des articles 7 et 10 de la Loi. Par exemple, dans la décision Chapdelaine c. Air Canada, 1987 CanLII 102 (T.C.D.P.); appel interjeté pour d'autres motifs (1991), 15 C.H.R.R. D/22 (Trib. rév. C.D.P), les deux plaignantes possédaient toutes les qualités requises pour le poste de pilote pour Air Canada, sauf en ce qui a trait à la taille requise. Le Tribunal a accepté des preuves statistiques au sujet de la taille des hommes et des femmes dans la population en général et a conclu que, bien que le critère de la taille soit neutre à première vue, l'effet de son application était d'annihiler les chances d'emploi à titre de pilote de 82 p. 100 de toutes les Canadiennes et de 11 p. 100 des Canadiens qui ont entre 20 et 29 ans. Par conséquent, le Tribunal a conclu que la ligne de conduite défavorisait les femmes par rapport aux hommes. La preuve au sujet des conséquences disproportionnées de la ligne de conduite envers les femmes a été suffisante pour établir prima facie qu'il y avait eu discrimination au sens des articles 7 et 10 de la Loi.

[40] Les observations de madame la juge L'Heureux-Dubé dans l'arrêt Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879 (SEPQA), aux paragraphes 80 à 82, même si elles faisaient partie de motifs dissidents et de remarques incidentes, sont utiles en l'espèce. Dans cette affaire, la juge L'Heureux-Dubé a déclaré que, pour établir une preuve prima facie de discrimination au sens des articles 7 et 10, le recours à des données statistiques démontrant l'existence d'une ségrégation professionnelle est un outil des plus précieux. La preuve dans SEPQA était qu'un groupe d'employés majoritairement composé de femmes était moins bien rémunéré qu'un groupe d'employés majoritairement composé d'hommes, alors que les deux groupes travaillaient dans des conditions semblables et qu'ils effectuaient des tâches ayant le même objectif. La juge L'Heureux-Dubé était d'avis que cela suffisait à établir une preuve prima facie de discrimination au sens des articles 7 et 10, mais ne suffisait pas à établir une telle preuve de discrimination au sens de l'article 11 de la LCDP. En vertu de l'article 11, un plaignant doit prouver que le travail est de valeur égale, en plus de prouver qu'il y a eu ségrégation professionnelle.

[41] Il ne s'agit pas en l'espèce d'une plainte fondée sur l'article 11. Par conséquent, les plaignants n'ont pas à prouver que le travail est de valeur égale pour établir une preuve prima facie de discrimination. En fait, pour établir une preuve prima facie de discrimination au sens de l'article 7 de la LCDP, il suffit pour les plaignants de prouver qu'ils font partie d'un groupe d'employés majoritairement composé de femmes qui effectue des tâches identiques ou des tâches sensiblement équivalentes à celles du groupe des conseillers médicaux, qui est majoritairement composé d'hommes, et qu'ils sont pourtant défavorisés par rapport aux conseillers. Pour établir une preuve prima facie de discrimination au sens de l'article 10, il suffit de prouver qu'une ligne de conduite a des conséquences disproportionnées sur les femmes parce qu'elle annihile leurs chances d'emploi contrairement aux hommes qui effectuent le même travail ou un travail sensiblement équivalent.

VII. LES PLAIGNANTS ONT-ILS ÉTABLI UNE PREUVE PRIMA FACIE DE DISCRIMINATION AU SENS DE L'ARTICLE 7 DE LA LCDP?

(i) Quel est le groupe de comparaison approprié?

[42] Le groupe comparateur approprié fait implicitement partie du critère permettant d'établir une preuve prima facie : il s'agit du groupe d'employés majoritairement composé d'hommes qui effectue un travail identique, ou un travail sensiblement équivalent, à celui des plaignants, soit le groupe des conseillers médicaux. Dans le programme de prestations d'invalidité du RPC, il n'y a aucun autre groupe majoritairement composé d'hommes qui effectue un travail qui pourrait être décrit comme étant identique ou sensiblement équivalent au travail des évaluateurs.

(ii) Quelle est la preuve au sujet de la prédominance d'un sexe dans le groupe professionnel?

[43] Avant d'être embauchés, les évaluateurs médicaux doivent prouver qu'ils ont un permis d'exercer à titre d'infirmière ou d'infirmier autorisé au Canada. Il n'a pas été contesté que 95 p. 100 des infirmières et infirmiers sont des femmes. Comme il y a prédominance des femmes dans le domaine des sciences infirmières et qu'il faut présenter un permis de pratiquer avant de pouvoir être embauché comme évaluateur, il s'ensuit qu'il y a une majorité écrasante de femmes titulaires du poste d'évaluateur médical. Les intimés ont déclaré que, présentement, 95 p. 100 des évaluateurs médicaux sont des femmes.

[44] Selon la preuve des intimés, 80 p. 100 des conseillers médicaux sont des hommes.

(iii) Quelle est la preuve établissant que le travail des conseillers médicaux est identique ou sensiblement équivalent à celui des évaluateurs médicaux?

[45] Il y a trois périodes distinctes en l'espèce, marquées par des événements importants qui ont affecté la nature du travail des conseillers et des évaluateurs médicaux. La preuve prima facie sera analysée en fonction de ce cadre temporel.

1972-1989

[46] De 1972 à 1989, les décisions finales au sujet de l'admissibilité aux prestations d'invalidité du RPC étaient rendues par le directeur du programme d'invalidité, en fonction des recommandations d'une commission d'évaluation de l'invalidité. La commission était composée d'au moins deux personnes et l'une d'elles devait être un médecin dûment qualifié (Règlement sur le Régime de pensions du Canada, Règlements codifiés du Canada 1978, ch. 385, art. 71(1)).

[47] Albina Elliott, l'une des premières infirmières embauchées en 1972, a témoigné que tant les évaluateurs que les conseillers évaluaient les demandes et signaient les recommandations au directeur. Lorsque les demandes arrivaient, elles étaient placées dans des dossiers sur des étagères. Les conseillers et les évaluateurs médicaux se rendaient aux étagères et prenaient le premier dossier en vue, peu importe la complexité du cas. Le conseiller ou l'évaluateur examinait alors le dossier et recommandait d'accorder ou non les prestations. Mme Elliott a déclaré que les évaluateurs devaient faire approuver leurs recommandations par les conseillers.

[48] Alfred Gregory, un médecin qui travaille comme conseiller médical pour le programme de prestations d'invalidité du RPC depuis 1980, a aussi témoigné que les conseillers médicaux devaient approuver les recommandations des évaluateurs à cette époque. Il a cependant déclaré que les évaluateurs et les conseillers médicaux étaient des collègues; le jugement professionnel et les recommandations des évaluateurs au sujet des dossiers étaient généralement acceptés.

[49] Le Dr Gregory a témoigné que les évaluateurs médicaux et les conseillers avaient la même fonction première pendant cette période : évaluer les demandes et formuler des recommandations au sujet des prestations d'invalidité du RPC. Il a déclaré que, pour effectuer cette fonction première, des connaissances, de la formation et de l'expérience en médecine avait toujours été nécessaires, tant pour les conseillers médicaux que pour les évaluateurs médicaux. À l'occasion, les conseillers médicaux donnaient des conseils aux évaluateurs pour les dossiers compliqués.

[50] Le Dr Gregory a expliqué que depuis la mise en place du programme, les conseillers médicaux ont graduellement cédé aux évaluateurs médicaux leur travail d'examen de l'admissibilité aux prestations. Au début, seuls les conseillers médicaux s'occupaient de l'évaluation initiale. Puis, les évaluateurs médicaux ont été embauchés et ils se sont aussi occupés des évaluations initiales. Par la suite, les conseillers médicaux se sont réorientés vers les tâches de réexamen des dossiers et de préparation pour le Comité de révision. Cependant, au fil des ans, ces tâches ont aussi été attribuées aux évaluateurs médicaux.

[51] Le Dr Gregory a donné comme exemple le fait qu'avant 1983, seuls les conseillers médicaux préparaient les résumés des dossiers qui étaient présentés au Comité de révision. Ce comité, composé de trois membres de la collectivité, entendait les appels de décisions portant sur le réexamen. Les résumés des dossiers présentés au Comité de révision donnaient un bref aperçu de la chronologie du dossier, expliquaient les questions médicales, résumaient la jurisprudence et présentaient au comité une recommandation au sujet de l'admissibilité du demandeur.

[52] Vers 1982, les conseillers médicaux ont mentionné qu'ils n'aimaient pas préparer les résumés de dossiers. On a demandé à Mme Elliott de prendre en charge cette tâche. Un conseiller médical lui a donné la formation nécessaire et, en avril 1983, elle est devenue entièrement responsable de la préparation des résumés de dossiers. Elle n'avait pas à faire approuver les résumés par un conseiller médical avant de les envoyer au Comité de révision. Par la suite, d'autres infirmières et infirmiers ont été embauchés pour aider Mme Elliott à préparer les résumés de dossiers.

[53] Le Dr Gregory a témoigné que, lorsque les conseillers médicaux et les évaluateurs médicaux s'occupaient des décisions initiales, des réexamens et des résumés de dossiers pour le comité de révision, il n'y avait aucune différence entre les fonctions des deux groupes. Lorsque Mme Elliott effectuait ces tâches, elle avait la classification d'administrateur de programme (PM), alors que le Dr Gregory, pour les mêmes tâches, avait la classification de médecin agréé (MD).

1989-1999

[54] En 1989, des changements ont été apportés au Règlement sur le Régime de pensions du Canada. Ces changements permettaient à un évaluateur de rendre des décisions finales au sujet de l'admissibilité aux prestations d'invalidité (Règlement sur le Régime des pensions du Canada, modification DORS/89-345, art. 7 de l'annexe). Le nouveau Règlement, qui est toujours en vigueur, comprend un Résumé de l'étude d'impact de la réglementation qui énonce que l'évaluation et la décision finale relatives aux demandes sont effectuées par des évaluateurs ayant ce type de formation, en plus d'une formation en qualité de professionnel de la santé (par exemple, une infirmière, un technicien médical) et possédant de l'expérience dans le domaine de l'évaluation de l'invalidité (Programme des accidentés au travail, Régime de rentes du Québec). Pour les cas contestés, on peut en tout temps consulter un médecin du personnel (DORS/89-345 : Gazette du Canada, partie II, vol. 123, no 15).

[55] Même si le Règlement précisait que les évaluateurs rendraient la décision finale au sujet des demandes de prestations d'invalidité, la preuve montre que, de 1989 à environ 1999, tant les conseillers médicaux que les évaluateurs médicaux continuaient de rendre des décisions finales pour les demandes initiales et pour les réexamens. Les deux groupes pouvaient prendre des décisions finales sans qu'il ne soit nécessaire d'obtenir la signature ou l'approbation d'une autre personne.

[56] Vers 1996, le traitement des demandes initiales et des réexamens a été régionalisé. Par conséquent, de 1996 à 1999, la plupart des décisions, qui relevaient jadis uniquement du pouvoir des conseillers médicaux, étaient désormais rendues dans les bureaux régionaux par des évaluateurs médicaux. Il n'y avait aucun conseiller médical dans les bureaux régionaux. Cependant, il y avait toujours des conseillers médicaux à Ottawa, qui rendaient des décisions finales au sujet de demandes initiales et de réexamens jusqu'en 1999.

[57] En 1988, la Division de l'expertise médicale (DEM) à Ottawa a été créée afin de traiter les appels interjetés à la Commission d'appel des pensions (CAP) et de donner des conseils médicaux spécialisés au sujet des dossiers complexes. Tant les conseillers médicaux que les évaluateurs médicaux travaillaient à la DEM pour préparer les audiences de la CAP. La Commission d'appel des pensions était, et est toujours, composée de trois juges qui rendent une décision sur l'admissibilité au dernier stade de la procédure d'appel dans le programme des prestations d'invalidité du RPC. Les conseillers médicaux témoignent sous serment ou sous affirmation solennelle devant la CAP au sujet des questions médicales du dossier.

[58] Ruth Walden, l'une des plaignantes, a été embauchée en 1993 au poste d'évaluateur médical dans la DEM. Elle y travaille toujours. Mme Walden a témoigné que les médecins et les infirmiers et infirmières à la DEM travaillaient ensemble à la préparation des dossiers pour les audiences devant la CAP. Ce travail comprend l'examen du dossier, la demande de renseignements médicaux supplémentaires, le cas échéant, et la prise d'une décision quant à savoir si le dossier doit être réglé avant d'être envoyé à la CAP.

[59] Le Dr Gregory et Mme Walden ont soutenu que la fonction principale des évaluateurs et des conseillers dans la DEM et dans les régions pendant cette période était d'appliquer leurs connaissances approfondies en médecine pour déterminer l'admissibilité aux prestations du RPC. Le Dr Gregory a témoigné qu'il n'y avait aucune différence entre le travail des évaluateurs médicaux qui, dans les régions, rendaient une décision finale sur l'admissibilité et le travail des conseillers médicaux à Ottawa, qui rendaient des décisions finales sur l'admissibilité pendant cette période.

1999 - présent

[60] À partir de 1999, tous les postes de conseillers médicaux pour le programme de prestations d'invalidité du RPC ont migré à la DEM. Depuis ce temps, la décision finale au sujet des prestations d'invalidité à l'étape initiale ou à l'étape du réexamen est rendue par les évaluateurs médicaux. Au Manitoba et en Saskatchewan, les évaluateurs médicaux représentent le ministre dans les audiences devant le Tribunal de révision (TR). Les conseillers médicaux ne participent à l'étape initiale, à l'étape du réexamen et à l'étape de l'audience devant le Tribunal de révision des décisions au sujet de l'invalidité que lorsqu'on leur demande des conseils ou lorsqu'il y a un arriéré dans le traitement des demandes. Le Dr Gregory a témoigné que les conseillers médicaux ne donnent des conseils que dans 1 ou 2 p. 100 des dossiers à l'étape initiale, à l'étape du réexamen ou à l'audience devant le TR. Les arriérés sont rares.

[61] Le Dr Gregory a témoigné que, depuis 1999, la majorité du travail des conseillers médicaux à la DEM porte sur la préparation des audiences de la CAP et leur présence à ces audiences. Ils doivent effectuer un examen approfondi du dossier, préparer un résumé du dossier et témoigner sous serment ou sous affirmation solennelle devant la CAP.

[62] Depuis 1999, l'une des plaignantes, Elizabeth Franklin, représente le ministre responsable du programme des prestations d'invalidité du RPC devant le Tribunal de révision du Manitoba et de la Saskatchewan. Avant de se présenter à une audience devant le TR, Mme Franklin prépare un résumé du dossier pour le tribunal, qui comprend une analyse des questions médicales et juridiques du dossier. Elle se présente ensuite devant le tribunal, interroge les témoins et répond aux questions du tribunal. Mme Franklin explique au tribunal la position du ministre et les questions médicales relatives au dossier. Elle relève les incohérences dans les témoignages. Mme Franklin a le pouvoir d'offrir une entente, sans obtenir d'approbation au préalable, au demandeur avant le début de l'audience si elle est d'avis que le dossier du demandeur est solide.

[63] On a lu à Mme Franklin la description du travail que les conseillers médicaux font en vue de se préparer et de se présenter devant la CAP. Elle a soutenu que, sauf le fait qu'ils témoignent sous serment ou affirmation solennelle, le travail qu'elle fait à l'étape du TR est le même que celui des conseillers médicaux à l'étape de l'audience devant la CAP. Tant les conseillers que les évaluateurs présentent la position du ministre à l'audience; ils doivent tous deux expliquer le fondement de la décision précédente qui fait l'objet de l'appel et ils doivent tous deux expliquer aux décideurs l'état de santé, la terminologie et les diagnostics.

[64] Le Dr Gregory a témoigné que, dans la Division de l'expertise médicale (DEM), tant les conseillers que les évaluateurs médicaux travaillent sur les dossiers qui sont présentés à la CAP. Il a soutenu que la principale fonction des deux postes au sein de la DEM est l'examen de l'admissibilité aux prestations.

[65] Tant les conseillers que les évaluateurs médicaux peuvent participer aux activités de relations externes et d'élaboration de politiques. Le Dr Gregory travaille avec d'autres conseillers médicaux à l'élaboration et à l'analyse de politiques. Ruth Walden a témoigné qu'elle connaissait au moins un évaluateur médical qui travaillait dans le domaine de l'élaboration de politiques. La description de poste des évaluateurs médicaux précise que les évaluateurs peuvent faire partie d'équipes qui travaillent à l'élaboration de formations et de politiques, ou diriger de telles équipes.

[66] Le Dr Gregory s'occupe d'activités de relations externes et de réseautage avec d'autres sections du gouvernement et avec des associations professionnelles et médicales. La description de poste des évaluateurs médicaux précise que les évaluateurs peuvent aussi représenter le programme de prestations d'invalidité du RPC lors de consultations avec des clients ou des intervenants clés internes et externes (y compris les députés, la collectivité médicale, les représentants de compagnies d'assurance, les groupes d'intérêts et le public canadien) pour fournir des connaissances techniques approfondies sur les questions portant sur l'admissibilité au programme et sur les questions médicales.

(iv) Conclusions au sujet de la similitude entre le travail des évaluateurs et celui des conseillers médicaux.

[67] Compte tenu de ce qui précède, je suis convaincue que les plaignants ont établi une preuve prima facie que le travail qu'ils effectuent depuis mars 1978, et qu'ils effectuent encore à ce jour, est identique ou sensiblement équivalent à celui des conseillers médicaux.

[68] La preuve des plaignants démontrait que, depuis la création du programme de prestations d'invalidité du RPC, la principale responsabilité et fonction des conseillers médicaux autant que des évaluateurs médicaux est l'utilisation de leur expertise et de leurs connaissances professionnelles pour déterminer l'admissibilité aux prestations d'invalidité du RPC à toutes les étapes du processus et/ou de préparer les dossiers pour les appels et de représenter le ministre lors des audiences.

[69] Précisément, tant les conseillers que les évaluateurs ont assumé les fonctions suivantes à divers moments pendant les trois périodes décrites dans la plainte :

  1. formuler des recommandations et prendre des décisions au sujet de demandes initiales dont le degré de complexité et de difficultés en termes de questions médicales et juridiques varie;
  2. formuler des recommandations et prendre des décisions au sujet de demandes de réexamen qui ont aussi divers degrés de complexité et de difficulté;
  3. préparer les résumés de dossiers pour le Comité de révision, qui a ensuite pris le nom de Tribunal de révision;
  4. demander aux demandeurs ou à d'autres personnes des renseignements médicaux et non médicaux supplémentaires au sujet de demandes de prestations d'invalidité du RPC;
  5. préparer un dossier pour la Commission d'appel des pensions;
  6. présenter une offre de règlement ou une recommandation de règlement (sans obtenir d'approbation au préalable);
  7. participer aux activités de relation externes et d'élaboration de politiques.

[70] Au cours des trois périodes, le temps que les conseillers et les évaluateurs ont consacré aux fonctions qui se chevauchaient s'est transféré d'un poste à l'autre. Cependant, la preuve démontre que, de 1972 à 1999, des conseillers médicaux et des évaluateurs médicaux avaient pour fonction principale la formulation de recommandations ou la prise de décisions finales au sujet de demandes initiales et de demandes de réexamen, ainsi que la préparation de résumés de dossiers pour le Comité de révision. Les tâches portant sur les demandes initiales et les demandes de réexamen représentent une grande partie du travail des conseillers et des évaluateurs puisque plus de 90 p. 100 de toutes les demandes sont tranchées de façon définitive à l'une de ces deux étapes. Au fil du temps, plus d'évaluateurs ont été embauchés et les conseillers médicaux ont passé moins de temps à traiter les demandes à l'étape initiale, à l'étape du réexamen et à l'étape du TR, et ont passé de plus en plus de temps à traiter les appels présentés à la CAP. Cependant, de 1972 à 1999, il y a toujours eu des conseillers et des évaluateurs qui ont occupé essentiellement les mêmes fonctions d'examen de l'admissibilité à l'étape initiale et à l'étape du réexamen, et qui ont préparé les résumés de dossiers pour le TR.

[71] Depuis 1999, les évaluateurs médicaux dans les régions effectuent essentiellement le même travail que les conseillers ont effectué de 1972 à 1999 : rendre une décision finale au sujet de l'admissibilité aux prestations d'invalidité du RPC à l'étape initiale et à l'étape du réexamen.

[72] Aussi, depuis 1999, les conseillers et les évaluateurs médicaux effectuent à la DEM des tâches semblables quant à la préparation de dossiers pour les audiences devant la CAP. La préparation des dossiers et la présentation de ceux-ci au Tribunal de révision, dont les évaluateurs médicaux s'occupent au Manitoba depuis 1999, ressemble considérablement au travail que les conseillers médicaux effectuent lorsqu'ils préparent les dossiers et qu'ils témoignent devant la Commission d'appel des pensions.

(v) Quel est le traitement différent?

a) La reconnaissance professionnelle

[73] Les conseillers médicaux ont toujours été reconnus comme étant des professionnels de la santé en vertu du système de classification de la fonction publique, alors que les évaluateurs médicaux ne le sont pas. Bien que ni l'un ni l'autre poste ne comprenne la prestation de soins à des patients, leurs titulaires doivent tous deux posséder des connaissances professionnelles au sujet de maladies causant une invalidité permanente.

[74] Les connaissances requises pour l'exercice d'une fonction ne sont généralement pas pertinentes quant à l'attribution d'un poste en particulier à un groupe professionnel dans le système de classification de la fonction publique. Cependant, en ce qui a trait au groupe Services de santé, la définition énonce expressément que, pour que des postes soient classés dans ce groupe, ils doivent être principalement liés à l'application de la connaissance approfondie de spécialités professionnelles dans les domaines [...] de la médecine, des soins infirmiers (entre autres) à la sécurité et à la santé physique et mentale des personnes .

[75] Le fait que les conseillers médicaux appliquent leurs connaissances spécialisées professionnelles pertinentes en matière de détermination de l'admissibilité aux prestations du RPC a toujours été reflété par leur classification dans le groupe MD du groupe Services de santé. Cependant, le fait que les évaluateurs médicaux appliquent leurs connaissances spécialisées professionnelles pertinentes n'a jamais été reflété par leur classification dans le groupe Administrateur de programme (PM) du groupe Administration de programme (PA).

b) Rémunération et avantages

[76] Mme Walden a témoigné que la rémunération des conseillers médicaux a toujours été plus ou moins le double de celle des évaluateurs médicaux et que les conseillers reçoivent une prime annuelle de continuité d'emploi que les évaluateurs ne reçoivent pas. La différence de rémunération se répercute dans les prestations de retraite, qui sont moins élevées pour les évaluateurs par rapport aux conseillers.

[77] Mme Walden a déclaré que les professionnels de la santé du groupe Services de santé, y compris les conseillers médicaux, ont toujours eu plus de jours de vacances que les évaluateurs médicaux. Les intimés ne contestent pas ce fait.

c) Paiement des honoraires professionnels et possibilités d'éducation et de formation

[78] L'intimé Développement social Canada (DSC) paye annuellement les droits de permis pour les conseillers médicaux. L'argent pour ce paiement n'est pas tiré du budget de formation et d'éducation prévu pour les conseillers médicaux qui travaillent pour le programme de prestations d'invalidité du RCP.

[79] Par contre, jusqu'en 1999, les évaluateurs médicaux payaient leurs propres droits de permis d'infirmier et d'infirmière et n'étaient pas remboursés par DSC. Ils ont déposé un grief à ce sujet et, en 1999, DSC a accepté de payer les droits des évaluateurs en puisant dans le budget de formation. Mme Walden a expliqué que le paiement des droits des évaluateurs à même le budget de formation laissait moins d'argent pour les possibilités de formation continue pour les évaluateurs. On lui a dit qu'il ne restait pas d'argent pour la formation continue. Elle a soutenu que les conseillers médicaux, quant à eux, pouvaient participer à des conférences régulièrement; il ne semblait pas manquer de fonds pour leurs activités de formation continue.

d) Avancement professionnel

[80] Mme Walden a témoigné qu'à titre de PM, ses chances d'obtenir un emploi comme infirmière au gouvernement n'étaient pas aussi bonnes que si elle avait la classification de professionnel de la santé, comme les conseillers médicaux. Les postes d'infirmières exigent une expérience récente en sciences infirmières. Mme Walden a soutenu que, bien que les associations d'infirmier et infirmière dans tout le pays reconnaissent que les évaluateurs exercent la profession d'infirmiers et d'infirmières, la fonction publique du Canada ne le reconnaît pas. Par conséquent, si elle cherchait à obtenir un poste d'infirmière au sein de la fonction publique, son travail à titre d'évaluateur médical ne serait pas accepté comme expérience récente en sciences infirmières.

(vi) Conclusion : les plaignants ont établi une preuve prima facie de discrimination au sens de l'article 7

[81] Je conclus que les plaignants ont établi prima facie que, depuis mars 1978, ils sont traités différemment des conseillers médicaux, groupe majoritairement composé d'hommes, qui effectuent des tâches identiques ou sensiblement équivalentes à celles des évaluateurs médicaux depuis la même date.

VIII. LES PLAIGNANTS ONT-ILS ÉTABLI UNE PREUVE PRIMA FACIE DE DISCRIMINATION AU SENS DE L'ARTICLE 10 DE LA LCDP?

[82] Pour établir une preuve prima facie de discrimination au sens de l'alinéa 10a) de la Loi, les plaignants doivent prouver l'existence de lignes de conduite, fondées sur un motif de distinction illicite, susceptibles d'annihiler leurs chances d'emploi.

(i) Quelle est la ligne de conduite discriminatoire présumée?

[83] Les plaignants soutiennent que les intimés ont appliqué une ligne de conduite qui traitait les conseillers et les évaluateurs comme s'ils effectuaient des tâches différentes et qui classifiait leurs postes de la même façon.

[84] Comme il l'a été établi plus tôt, à première vue, la fonction principale des conseillers et des évaluateurs est l'application de leurs connaissances professionnelles à l'évaluation de l'état de santé d'un demandeur afin de déterminer son admissibilité aux prestations d'invalidité du RPC. Selon la définition du groupe Services de santé, les deux postes devraient y être classifiés. Cependant, depuis 1972, lorsque la première infirmière a été embauchée, le Conseil du Trésor et l'AGRHFPC ont donné aux évaluateurs une classification dans le groupe Services des programmes et de l'administration (PA).

[85] Le Conseil du Trésor a toujours soutenu que le poste d'évaluateur médical ne correspond pas à la norme de classification du groupe Sciences infirmières (NU) du groupe Services de santé, parce que la fonction principale d'un évaluateur n'est pas la prestation de soins directs à un patient. La norme de classification NU précise que le poste doit comprendre l'application de connaissances en sciences infirmières à la santé physique et mentale des personnes et, en particulier, les soins aux patients et le traitement et la gestion de la maladie en collaboration avec des médecins.

[86] En 2002, le sous-ministre adjoint du Programme de la sécurité du revenu a écrit une lettre au Conseil du Trésor dans laquelle il expliquait que la norme de classification désuète, qui exigeait que les infirmiers et infirmières fournissent des soins de santé directs, ne reflétait pas les nouvelles réalités dans le domaine des sciences infirmières, soit que de nombreux infirmiers et infirmières praticiens ne fournissaient pas de soins de santé directs à des patients. Il a déclaré que la norme de classification NU devrait comprendre les évaluateurs médicaux et il a proposé qu'un poste-repère y soit ajouté afin de faciliter l'inclusion des évaluateurs médicaux au groupe Services de santé.

[87] En mars 2004, DSC a préparé un dossier d'analyse dans une tentative de persuader l'AGRHFPC de créer un sous-groupe de Sciences infirmières qui permettrait aux évaluateurs de faire partie du groupe Services de santé. Dans le dossier d'analyse, DSC expliquait que, lorsque le ministère parle des évaluateurs médicaux, il les appelle [traduction] professionnels de la santé . DSC a ajouté que [traduction] le processus d'évaluation médicale est complexe et exige des connaissances professionnelles, des aptitudes et du jugement en matière de sciences infirmières . De plus, les associations provinciales d'attribution de permis d'infirmiers et d'infirmières, ainsi que l'Association des infirmières et infirmiers du Canada, reconnaissent le travail d'évaluateur médical comme faisant partie de la pratique professionnelle des sciences infirmières.

[88] En réponse au dossier d'analyse, l'AGRHFPC a déclaré que, bien que les connaissances en sciences médicales et infirmières soient importantes pour les postes d'évaluateurs, le but principal de ces postes est de fournir un programme fédéral au public, et non d'appliquer des connaissances en sciences infirmières à la sécurité et à la santé physique et mentale ou à l'évaluation de l'état de santé des personnes. L'AGRHFPC a aussi mentionné que l'agent négociateur n'avait pas approuvé le dossier d'analyse ce qui, a-t-on soutenu, est l'un des préalables lorsqu'on examine la possibilité de changer les définitions des groupes professionnels.

[89] En raison de cette qualification du travail des évaluateurs, le Conseil du Trésor et l'AGRHFPC ont continué l'application de la ligne de conduite, mise en place avant 1999, selon laquelle les évaluateurs médicaux relèvent de la classification PM et les conseillers médicaux, de la classification MD.

[90] La Commission a déclaré que, si les intimés avaient donné la classification d'infirmières et infirmiers aux évaluateurs médicaux, plutôt que celle d'administrateurs de programme, une partie de la ligne de conduite discriminatoire aurait disparue parce que, comme les conseillers, les évaluateurs auraient été reconnus comme étant des professionnels de la santé et auraient fait partie du groupe Services de santé.

[91] Cependant, l'avocat de la Commission a soutenu que la ligne de conduite discriminatoire en litige en l'espèce n'aurait pas complètement disparu par la classification des évaluateurs dans le groupe Sciences infirmières. La Commission et les plaignants sont d'avis que le défaut des intimés de reconnaître que les évaluateurs et les conseillers font le même travail, et qu'ils devraient occuper le même poste et être rémunérés en conséquence, constitue aussi une ligne de conduite discriminatoire.

[92] Jusqu'à récemment, les évaluateurs n'ont pas soutenu qu'ils faisaient le même travail que les conseillers; ils soutenaient qu'ils exerçaient à titre d'infirmiers et d'infirmières, tout comme les conseillers exerçaient à titre de médecins. Par conséquent, la ligne de conduite des intimés qui séparait les conseillers et les évaluateurs en deux postes distincts, dont la rémunération et les avantages sociaux étaient différents, n'a jamais été contestée avant le dépôt des présentes plaintes.

[93] Selon la Commission, le fait que les plaignants n'ont soutenu que récemment qu'ils faisaient le même travail que les conseillers n'est d'aucune importance. La Loi n'exige pas qu'il soit établi que les intimés savaient que les lignes de conduite contestées avaient un effet discriminatoire ou qu'ils auraient dû le savoir. Si le résultat des lignes de conduite est d'annihiler les avantages en matière d'emploi d'un groupe sur la base d'un motif de distinction illicite, alors peu importe le fait que les intimés aient eu connaissance de la nature de leurs actions ou non, il sera conclu qu'ils ont contrevenu à la Loi. La question de la connaissance ou de l'intention n'est pertinente qu'en ce qui a trait à la question de l'indemnisation prévue au paragraphe 53(3) de la Loi.

[94] Je suis du même avis que la Commission à ce sujet.

[95] Je conclus que les plaignants ont établi prima facie que, depuis 1972, les intimés ont appliqué des lignes de conduite qui traitent les conseillers et les évaluateurs comme s'ils effectuaient des tâches différentes, même si leurs tâches sont sensiblement équivalentes, et qu'ils leur attribuent par conséquent une classification différente.

(ii) Quelles sont les chances d'emploi ou d'avancement dont les plaignants ont censément été privés?

[96] Les plaignants soutiennent que les lignes de conduite des intimés les ont privés des avantages suivants : (i) la reconnaissance à titre de professionnels de la santé; (ii) la rémunération et les avantages sociaux équivalents à ceux des conseillers médicaux; (iii) le paiement des droits professionnels et les offres de possibilités d'éducation et de formation auxquels les conseillers ont droit; (iv) les possibilités d'avancement de carrière équivalentes à celles des conseillers médicaux. Les avantages en matière d'emploi susmentionnés constituent-ils des chances d'emploi ou d'avancement au sens de l'article 10 de la LCDP?

[97] La version française de l'article 10 porte sur les lignes de conduite qui sont susceptibles d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu ou d'une catégorie d'individus . Lorsque les versions française et anglaise de l'article 10 sont interprétées ensemble, on en vient à la conclusion que l'expression chances d'emploi ou d'avancement vise les conditions qui permettent l'emploi ou l'avancement d'une personne dans son domaine.

[98] La jurisprudence du Tribunal reflète cette interprétation. Le Tribunal a utilisé l'expression chances d'emploi ou d'avancement pour parler de possibilités de transfert à un autre poste (Gauthier c. Forces armées canadiennes, [1989] T.C.D.P. no 3 T.D. 3/89); de possibilités de faire certains types de travail qui améliorerait la rémunération et les possibilités d'avancement de carrière (O'Connell c. Société Radio-Canada, [1988] T.C.D.P. no T.D. 9/88); des possibilités de formation (Green c. Canada (Commission de la fonction publique), [1998] T.C.D.P. no T.D. 6/98, contrôle judiciaire pour d'autres motifs : Canada (Procureur général) c. Green, [2000] 4 C.F. 629 (1re inst.)); et des possibilités d'emploi continu et ininterrompu (Hay c. Cameco, [1991] T.C.D.P. no 5 no T.D. 5/91).

[99] En l'espèce, je conclus que constituent des chances d'emploi ou d'avancement au sens de l'article 10 : la reconnaissance et la classification à titre de professionnels de la santé, le paiement des droits professionnels et les possibilités de formation et d'éducation équivalentes à celles des conseillers médicaux, ainsi que les possibilités d'avancement de carrière à titre de professionnels de la santé. Ces conditions affectent la capacité des plaignants d'améliorer leur rémunération et leur potentiel professionnel au sein de la fonction publique. Pour ce motif, il s'agit de chances d'emploi ou d'avancement au sens de l'article 10 de la Loi.

(iii) Conclusion : les plaignants ont établi une preuve prima facie de discrimination au sens de l'article 10

[100] La preuve des plaignants qui établissait prima facie la discrimination au sens de l'article 7 de la Loi établit aussi, prima facie, le fait que la ligne de conduite appliquée par les intimés, décrite ci-dessus, était susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement des plaignants. Le fait de qualifier le travail des évaluateurs comme étant de l'administration de programme et de conclure que ce travail est différent de celui des conseillers a entraîné l'annihilation des chances d'emploi et d'avancement précitées, auxquelles les conseillers médicaux ont droit.

[101] Comme je l'ai noté, il suffit de prouver que la ligne de conduite a eu des conséquences disproportionnées sur les femmes pour établir un lien entre la ligne de conduite et le motif de distinction illicite. La preuve au sujet de la prédominance des femmes en sciences infirmières et, par extension, au poste d'évaluateur médical, établit une preuve prima facie que la ligne de conduite annihilait les chances d'emploi ou d'avancement des plaignants sur la base de leur sexe.

IX. QUELLE EST L'EXPLICATION DES INTIMÉS?

[102] Lorsqu'il est établi prima facie qu'il y a eu discrimination au sens des articles 7 et 10, le fardeau est transféré aux intimés, qui doivent donner une explication raisonnable et non discriminatoire pour leur conduite.

[103] En l'espèce, les intimés ont présenté les explications suivantes au sujet des plaintes fondées sur les articles 7 et 10 de la Loi :

  1. Le groupe de travailleurs majoritairement composé d'hommes le plus approprié auquel le travail des évaluatrices médicales peut être comparé est le groupe des évaluateurs médicaux masculins. En comparant avec ce groupe, on peut conclure que les évaluatrices médicales n'ont pas été traitées de manière différente et défavorable;
  2. Subsidiairement, si le Tribunal conclut que le groupe des conseillers médicaux est le groupe de comparaison approprié, le travail des conseillers est différent de celui des évaluateurs. Toute différence de traitement entre les conseillers et les évaluateurs est entièrement fondée sur la différence du travail effectué, et non sur le sexe;
  3. Également à titre subsidiaire, si le Tribunal conclut que les intimés n'ont pas réfuté la preuve prima facie de discrimination établie au sens des deux dispositions de la Loi, le traitement différentiel et les lignes de conduite sont des exigences professionnelles justifiées.

(i) Le groupe de comparaison approprié

[104] Les intimés ont soutenu que le groupe des évaluateurs médicaux masculins était le groupe de comparaison le plus approprié parce qu'ils ont des fonctions comparables à celles des évaluatrices médicales et qu'ils atteignent des niveaux de qualifications, d'efforts et de responsabilités comparables. Les intimés ont encouragé le Tribunal à se fonder sur la décision du tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique dans Prpich c. Pacific Shores Nature Resort Ltd., 2001 C.L.L.C. 230-035. Cette affaire portait sur une plainte fondée sur l'article 13 du Human Rights Code de la Colombie-Britannique, qui interdit à l'employeur de payer un salaire différent aux employés d'un certain sexe de celui qu'il paye aux employés de l'autre sexe s'ils font un [traduction] travail semblable ou sensiblement équivalent . Le paragraphe 13(2) du Code de la Colombie-Britannique prévoit que les notions de qualifications, d'efforts et de responsabilités doivent être examinées pour déterminer si le travail est semblable ou sensiblement équivalent.

[105] Les articles 7 et 10 ne prescrivent pas les facteurs dont on doit tenir compte lorsqu'on examine si la conduite en cause était discriminatoire. Par comparaison, l'article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, comme l'article 13 du Human Rights Code de la Colombie-Britannique, énonce les critères qui doivent être examinés afin de déterminer si un employeur a commis un acte discriminatoire en instaurant ou en pratiquant la disparité salariale entre les hommes et les femmes qui exécutent, dans le même établissement, des fonctions équivalentes. Ces facteurs sont le dosage de qualifications, d'efforts et de responsabilités nécessaire pour l'exécution des fonctions, compte tenu des conditions de travail.

[106] À mon avis, la décision Prpich ne s'applique pas en l'espèce. Elle porte sur des dispositions d'une autre loi qui sont comparables à l'article 11 de la LCDP plutôt qu'aux articles 7 et 10 de la LCDP.

[107] De plus, l'argument des intimés selon lequel le travail des évaluateurs médicaux masculins devrait être comparé à celui des évaluatrices médicales est déraisonnable. Les évaluateurs masculins ne sont pas un groupe distinct, mais font plutôt partie du groupe, majoritairement composé de femmes, des évaluateurs médicaux. Par conséquent, compte tenu de leur appartenance à ce groupe, ils sont eux aussi touchés par les différences de traitement possibles entre les évaluateurs et les conseillers médicaux. La comparaison de leur travail à celui des évaluatrices médicales ne serait pas un indicateur valable du traitement équitable de la grande majorité de femmes qui fait partie du groupe. Les plaignants en l'espèce ont soutenu que leurs conditions de travail inférieures à celles des conseillers sont liées à la grande prédominance des femmes dans leur groupe professionnel. Cette allégation ne peut pas être examinée correctement si elle est analysée en fonction des conditions de travail de la minorité des employés masculins faisant partie de ce groupe.

[108] Par conséquent, je répète que le groupe de comparaison approprié est le groupe des conseillers médicaux, majoritairement composé d'hommes.

(ii) Le travail des conseillers est différent de celui des évaluateurs

[109] Les intimés ont fait valoir que la preuve démontrait qu'au cours des trois périodes, les fonctions des conseillers médicaux étaient différentes de celles des évaluateurs. Ils ont présenté, à l'appui de cet argument, les descriptions des deux postes pour chacune des trois périodes.

[110] La description de poste des conseillers précise qu'ils fournissent des conseils médicaux spécialisés au sujet des dossiers d'invalidité les plus complexes et litigieux, qu'ils examinent et évaluent la qualité de la décision, qu'ils contribuent au développement professionnel des autres conseillers médicaux et des évaluateurs médicaux, qu'ils discutent à l'interne et à l'externe de questions portant sur l'invalidité au sens du Régime de pensions du Canada, qu'ils examinent les demandes de renseignements personnels et y répondent conformément à la Loi sur la protection des renseignements personnels et qu'ils exercent d'autres fonctions.

[111] La description de poste des évaluateurs médicaux précise que leurs fonctions principales sont : effectuer l'évaluation médicale des demandes de prestations d'invalidité du Régime de pensions du Canada, offrir aux demandeurs des services d'aiguillage, diriger ou gérer des équipes de projet, y compris la conception, les services et les politiques de programmes, entrer en contact avec les représentants de la collectivité médicale, d'autres ministères et niveaux du gouvernement, le secteur des assurances, le public, etc. et entretenir ces liens en vue de garder des connaissances approfondies en matière de médecine et d'invalidité, de tendances et de nouveaux troubles de santé.

[112] Les descriptions de postes donnent à penser que la principale différence entre le travail des conseillers et celui des évaluateurs est, en fait, reflétée dans leurs titres de postes respectifs : les conseillers médicaux exercent des fonctions qui portent plutôt sur les conseils médicaux et la supervision, alors que les évaluateurs médicaux travaillent directement avec les demandeurs en évaluant leurs demandes et en leur offrant des services d'aiguillage.

[113] Il est cependant important d'examiner les descriptions de poste en tenant compte du témoignage des personnes qui font le travail et qui administrent le programme afin de déterminer si les descriptions de poste reflètent avec exactitude le travail qui est effectué et qui l'était au cours des trois périodes en question en l'espèce.

[114] Le Dr Raymond Aubin, directeur par intérim de la Division de l'expertise médicale, a témoigné pour les intimés. Son témoignage portait principalement sur les différences entre le travail effectué par les conseillers et à celui des évaluateurs pendant la période de 1999 à aujourd'hui.

[115] Il a soutenu que, présentement, les conseillers médicaux sont exclusivement responsables de nombreuses décisions et mesures prises à la dernière étape du processus d'appel pour les prestations d'invalidité, soit la Commission d'appel des pensions. C'est le conseiller médical qui examine le dossier, qui prépare le résumé du dossier et qui témoigne devant la CAP. Les conseillers médicaux passent présentement environ 75 p. 100 de leur temps à se préparer à l'audience de la CAP. Une partie de ce temps est consacré à des fonctions qui chevauchent celles des évaluateurs médicaux, soit la préparation des dossiers pour l'audience. Cependant, les conseillers ont plus de pouvoirs décisionnaires à cette étape que les évaluateurs.

[116] La préparation des conseillers pour les audiences devant la CAP, de 1999 à aujourd'hui, a été comparée au travail de certains évaluateurs au Manitoba, qui se préparent pour l'audience devant les tribunaux de révision et qui y témoignent. La preuve a établi que ce travail est en effet très semblable à celui pour les audiences devant la CAP, mais il existe des différences importantes. Les évaluateurs et les conseillers doivent tous deux appliquer leurs connaissances médicales et leurs connaissances du programme de prestations d'invalidité du RPC afin de se préparer à l'audience et de présenter des renseignements aux décideurs. Cependant, ce n'est qu'au Manitoba et en Saskatchewan que les évaluateurs médicaux représentent le ministre devant le TR. Dans les autres provinces, les résumés de dossiers pour le TR sont préparés par des employés qui n'ont pas nécessairement de formation en médecine et personne ne représente le ministre. Il semble donc que présentement, à l'exception du Manitoba et de la Saskatchewan, la présentation de renseignements médicaux spécialisés à un décideur est réservée à l'étape finale des appels, soit la CAP. Cette fonction est exclusivement exécutée par les conseillers médicaux.

[117] Compte tenu de toutes les preuves présentées en l'espèce, je conclus que certaines fonctions ont été exécutées uniquement par les conseillers médicaux au cours des trois périodes en l'espèce. Les voici :

  1. approuver les recommandations des évaluateurs au sujet de l'admissibilité, de 1972 à 1989;
  2. fournir des conseils médicaux spécialisés aux évaluateurs pour 1 à 2 p. 100 des dossiers au cours des trois périodes en question;
  3. approuver les décisions ou les recommandations au sujet d'ententes, de demandes d'autorisation d'interjeter appel à la CAP et les demandes de renseignements supplémentaires à l'étape de l'audience devant la CAP, de 1999 à aujourd'hui;
  4. fournir une certaine formation aux évaluateurs, jusqu'à la dernière décennie;
  5. examiner les dossiers, préparer le résumé des dossiers et témoigner devant la Commission d'appel des pensions au cours des trois périodes en question;
  6. témoigner par affidavit ou de vive voix, le cas échéant, pour les demandes de contrôle judiciaire de décisions de la CAP, présentement.

[118] Certains des plaignants ont reconnu qu'il existait des différences entre le travail des conseillers et celui des évaluateurs. Par exemple, Mme Franklin a admis franchement que les conseillers médicaux jouent un rôle différent à un niveau différent du sien. Elle a cependant déclaré qu'au fil des ans, les conseillers et les évaluateurs ont exercé de nombreuses fonctions équivalentes. De plus, la fonction principale des deux postes est la même : déterminer l'admissibilité aux prestations d'invalidité du RPC.

[119] À mon avis, la déclaration de Mme Franklin constitue un excellent résumé de la preuve qui m'a été présentée en l'espèce. Pendant toute l'existence du programme de prestations d'invalidité du RPC, il y a eu, et il y a toujours, un important chevauchement des fonctions exécutées par les évaluateurs médicaux et les conseillers médicaux. Cependant, le travail des conseillers médicaux est différent à certains égards de celui des évaluateurs. Contrairement aux évaluateurs, les conseillers ont toujours eu un rôle de superviseurs et de conseillers dans les décisions au sujet de l'admissibilité aux prestations d'invalidité du RPC. Ils devaient entre autres fournir des conseils médicaux pour les dossiers complexes et ils avaient des responsabilités en matière de formation et de décisions finales à certains niveaux du processus. De plus, les conseillers témoignent à titre d'experts en médecine devant les décideurs à l'étape finale des appels du processus d'examen de l'admissibilité aux prestations d'invalidité du RPC, soit la Commission d'appel des pensions. L'audience devant la CAP est la dernière chance pour les parties de voir le dossier jugé sur le fond en fonction des preuves médicales présentées jusqu'alors.

[120] Les conseillers apportent une connaissance différente au programme, effectuent certaines tâches différentes et ont des responsabilités différentes de celles des évaluateurs. Il s'agit d'une explication raisonnable et non discriminatoire au sujet de certaines des différences de rémunération et d'avantages sociaux. Cela explique aussi pourquoi les postes de conseillers et ceux d'évaluateurs peuvent occuper un niveau différent dans la norme de classification Services de santé.

[121] Cependant, les différences de responsabilités en matière de travail de chacun des postes ne sont pas suffisantes pour expliquer l'énorme écart de traitement entre les conseillers et les évaluateurs. En particulier, les intimés n'ont pas donné d'explication raisonnable et non discriminatoire à la question suivante : pourquoi les conseillers sont-ils reconnus comme étant des professionnels de la santé, et sont-ils rémunérés en conséquence, lorsque leur fonction principale est de rendre une décision au sujet de l'admissibilité alors que, lorsque les évaluateurs exécutent la même fonction principale, ils sont désignés comme étant des administrateurs de programme et reçoivent la moitié du salaire des conseillers?

[122] Les intimés ont soutenu que la réponse à cette question se trouve dans la décision de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP). Cette affaire portait sur une demande de l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC) d'ajouter les évaluateurs médicaux au groupe Services de santé. La CRTFP a décidé que la classification des évaluateurs médicaux comme étant des administrateurs de programme dans le groupe PA était correcte. Les intimés ont fait valoir que la décision de la CRTFP donne une explication raisonnable des différences de traitement entre les postes et qu'elle devrait être appliquée en l'espèce.

[123] La CRTFP a conclu que le poste d'évaluateur n'avait pas sa place dans le groupe Services santé parce que les évaluateurs ne fournissent pas des soins de santé directs aux demandeurs de prestations d'invalidité du RCP. Le vice-président de la Commission a déclaré que, bien que les évaluateurs médicaux utilisent leurs connaissances en médecine pour évaluer les demandes et les dossiers des demandeurs, ils n'évaluent pas les demandeurs comme tels. Par conséquent, ils ne fournissent pas de soins aux demandeurs comme l'exigent les critères de classification pour le groupe Services de santé.

[124] Cependant, la preuve en l'espèce m'amène à conclure que, si les évaluateurs médicaux ne s'occupent pas de l'évaluation des demandeurs lorsqu'ils examinent l'admissibilité aux prestations d'invalidité du RPC, les conseillers médicaux ne le font pas non plus. Pourtant, les conseillers sont reconnus comme étant des professionnels de la santé et ont une classification correspondante, alors que ce n'est pas le cas pour les évaluateurs. La CRTFP n'a pas effectué d'analyse comparative des deux postes et elle n'a pas rendu de décision quant à savoir si de telles différences contreviennent à la LCDP. Pour ce motif, je suis d'avis que la conclusion de la CRTFP a peu d'influence sur ma décision.

[125] Patricia Power, directrice par intérim, Politique de classification, Politique et stratégie à l'AGRHFPC, a témoigné pour les intimés. Elle a déclaré que les conseillers médicaux font partie du groupe Services de santé parce qu'ils satisfont à la définition du groupe Services de santé et à la norme de classification du groupe Médecine (MD). Mme Power a soutenu que les évaluateurs ne font pas partie du groupe Services de santé parce qu'ils ne satisfont pas à la définition de ce groupe ni à la norme de classification des Sciences infirmières (NU).

[126] Pour faire partie du groupe Services de santé, un poste doit satisfaire à la [traduction] définition générale du groupe Services de santé et doit ensuite s'inscrire dans les postes inclus dans les normes de classification MD ou NU.

[127] La définition générale du groupe Services de santé précise que le groupe comprend les postes qui sont principalement liés à l'application de la connaissance approfondie de spécialités professionnelles dans les domaines de la médecine et des soins infirmiers (entre autres) à la sécurité et à la santé physique et mentale des personnes.

[128] Mme Power a témoigné que, bien que le poste de conseiller satisfasse à la définition générale du groupe Services de santé, le poste d'évaluateur n'y satisfait pas. Elle semble fonder cette distinction sur le fait que l'évaluation médicale ne comprend pas l'application de connaissances en sciences infirmières pour fournir des soins directs à des patients. Cependant, comme je l'ai mentionné plus tôt, la preuve a démontré que ni l'un ni l'autre poste ne comprend l'application de connaissances en sciences infirmières ou en médecine pour fournir des soins directs à des patients, comme c'est le cas en milieu clinique. Par conséquent, si les évaluateurs ne satisfont pas à la définition générale parce qu'ils ne fournissent pas de soins directs aux patients, alors pour le même motif, le poste de conseiller ne satisfait pas à la définition non plus.

[129] Néanmoins, dans son témoignage, Mme Power a ensuite déclaré que les conseillers satisfaisaient non seulement à la définition générale du groupe Services de santé, mais qu'ils satisfaisaient aussi à la norme de classification MD parce que le poste correspond à l'un des postes inclus dans la définition de la classification MD. Il s'agit du poste inclus no 5, qui est le suivant : évaluation de l'état de santé de demandeuses et demandeurs admissibles en vue d'une prise de décision sur leurs demandes de prestations d'invalidité ou d'autres prestations du gouvernement fédéral [...] .

[130] Mme Power a expliqué que le poste inclus no 5 a toujours fait partie de la norme de classification MD. En 1999, il a été incorporé à une nouvelle définition du groupe Services de santé par le processus du système de classification universel (SCU). Mme Power a déclaré que, si la nouvelle définition du groupe Services de santé, élaborée grâce au SCU, avait été appliquée au poste d'évaluateur médical, elle aurait permis aux évaluateurs de faire partie de la classification du groupe Services de santé en vertu du poste inclus no 5.

[131] Cependant, en raison d'un processus qui a eu lieu à la fin des années 1990, la nouvelle définition a été modifiée et le poste inclus no 5 n'a pas été appliqué aux évaluateurs. Mme Power a expliqué qu'en 1993, le Conseil du Trésor a été chargé, en vertu de la Loi sur la réforme de la fonction publique, de réduire le nombre de groupes professionnels dans la fonction publique. Il avait six ans pour le faire. L'une des conditions prévues par la Loi était que l'affiliation à l'unité de négociation ne devait pas être changée par la réduction du nombre de groupes. Afin d'éviter le changement d'affiliation à l'unité de négociation, le poste inclus no 5 a spécifiquement été exclus de la norme de classification NU et inclus dans la norme MD. Cette mesure a été prise parce que l'application du poste inclus no 5 aux évaluateurs aurait causé le transfert de l'unité de négociation représentée par l'Alliance de la fonction publique du Canada à une unité de négociation représentée par l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada. Mme Power a expliqué que le but du processus de 1999 était d'éviter le changement d'affiliation de l'unité de négociation.

[132] Cependant, Mme Power a aussi précisé que le processus de 1999 ne visait pas à bloquer indéfiniment la composition des unités de négociation. Elle a déclaré que, s'il y avait eu de bonnes raisons de le faire, il aurait été possible d'apporter des modifications entraînant un changement d'unité de négociation.

[133] Mme Power a reconnu que l'élimination de l'inégalité entre les sexes aurait été une bonne raison de modifier les normes de classification dans le groupe Services de santé. Elle a admis que, s'il y avait eu une inégalité entre les sexes dans le système de classification, le processus de 1999 aurait eu l'effet inattendu de transférer cette inégalité dans le nouveau système. Mme Power a déclaré que, si le processus de 1999 avait introduit ou réintroduit un préjugé sexiste, le Conseil du Trésor aurait eu la responsabilité de retravailler les définitions du groupe et les normes de classification afin d'éliminer le préjugé. Le Conseil du Trésor a le pouvoir exclusif, en vertu de l'article 7 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, de définir les classification. Il n'a pas besoin de l'approbation de l'unité de négociation pour apporter des changements aux normes de classification.

[134] Cependant, le Conseil du Trésor et l'AGRHFPC ont justement déclaré qu'ils avaient besoin de l'approbation de l'unité de négociation lorsqu'ils ont répondu au dossier d'analyse de Développement social Canada, qui proposait la modification de la norme de classification NU. Le Secrétariat du Conseil du Trésor a expliqué qu'il n'examinerait la possibilité d'apporter des changements à la définition du groupe professionnel Services de santé que lorsqu'on lui présenterait un dossier d'analyse solide à ce sujet et que toutes les parties, y compris les agents de négociation, appuieraient ces changements.

[135] Dans sa réponse au dossier d'analyse, le Conseil du Trésor a aussi soutenu que l'objectif principal de l'évaluation médicale n'est pas l'application de connaissances en sciences infirmières à la sécurité et à la santé physique et mentale des personnes, ni l'évaluation de l'état de santé. Son but principal est l'administration d'un programme du gouvernement.

[136] À mon avis, s'il est conclu que les conseillers médicaux appliquent leurs connaissances médicales à la sécurité et à la santé physique des personnes ainsi qu'à l'évaluation de l'état de santé afin de déterminer leur admissibilité aux prestations, alors il faudrait aussi conclure, pour la classification, que les évaluateurs font la même chose. Les intimés n'ont pas présenté de justification raisonnable et non discriminatoire pour l'application différente des principes de classification dans la fonction publique. Ils n'ont pas expliqué pourquoi ils ont refusé de reconnaître la nature professionnelle du travail effectué par un groupe majoritairement composé de femmes qui exécute essentiellement la même fonction principale que le groupe majoritairement composé d'hommes, qui lui jouit d'une reconnaissance professionnelle.

[137] Dans le même ordre d'idées, les intimés n'ont pas fourni d'explication raisonnable et non discriminatoire quant au fait qu'ils traitent les évaluateurs différemment des conseillers en ce qui a trait au paiement de leurs droits professionnels, aux possibilités d'éducation et de formation et aux offres d'avancement professionnel. Les évaluateurs utilisent leur expertise en médecine pour déterminer l'admissibilité aux prestations, tout comme les conseillers le font. Ils sont des professionnels de la santé et devraient avoir droit aux mêmes avantages d'emploi et aux mêmes possibilités de développement et d'avancement professionnel dont jouissent les autres professionnels de la santé à la fonction publique.

[138] Le Conseil du Trésor a le pouvoir exclusif de modifier les normes de classification, avec ou sans l'approbation de l'unité de négociation. Le Conseil du Trésor aurait pu décider de reprendre la norme de classification Sciences infirmières qui avait été élaborée par le processus SCU et qui comprenait le poste inclus no 5. Il aurait aussi pu élaborer une nouvelle norme de classification dans le groupe Services de santé, dans laquelle il aurait pu inclure le travail des évaluateurs et des conseillers. En effet, le Conseil du Trésor avait la prérogative d'agir comme bon lui semblait, tant que les qualifications professionnelles des évaluateurs étaient reconnues proportionnellement à celles des conseillers. Le Conseil du Trésor n'a pas exercé ce pouvoir.

(iii) Les intimés ont-ils établi que le traitement différent découlait d'une exigence professionnelle justifiée?

[139] L'alinéa 15(1)a) et le paragraphe 15(2) de la LCDP prévoient une justification pour les actes et les lignes de conduite discriminatoire s'il est prouvé qu'elles découlent d'une exigence professionnelle justifiée. Pour ce faire, les intimés doivent établir que la prise de mesures d'accommodement pour les plaignants leur aurait causé une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité.

[140] Le seul facteur qui s'applique en l'espèce est le coût. Les intimés n'ont pas prouvé que le coût lié au traitement équivalent des évaluateurs et des conseillers, en ce qui a trait à la reconnaissance professionnelle, le paiement des droits de permis et l'offre de possibilités de formation et d'éducation, leur aurait causé une contrainte excessive.

[141] Marc Thibodeau, un négociateur au Secrétariat du Conseil du Trésor, a témoigné que le changement de classification des évaluateurs et les répercussions qui s'ensuivraient sur les niveaux de rémunération toucheraient la classification et la rémunération de postes semblables à la fonction publique. Par exemple, l'évaluation des demandes d'invalidité au ministère des Anciens Combattants est effectuée par des employés qui ont la classification PM-4. La reconnaissance de la spécialisation médicale des évaluateurs en l'espèce pourrait entraîner une révision des niveaux de classification des évaluateurs dans des ministères comme celui des Anciens Combattants. Cela pourrait alors entraîner une augmentation importante de la masse salariale de la fonction publique.

[142] Il y a presque toujours des coûts liés à la modification d'un milieu de travail pour qu'il soit exempt de discrimination. On avance souvent l'augmentation des coûts pour justifier le refus de régler un problème de discrimination au travail. Cependant, l'acte ne sera considéré comme étant une exigences professionnelle justifiée que si le coût lié au redressement de la situation est si élevé qu'il causerait une contrainte excessive à l'intimé. Les intimés n'ont pas prouvé que la classification des évaluateurs médicaux à titre de professionnels de la santé leur causerait une contrainte excessive en matière de coûts.

X. CONCLUSION AU SUJET DE LA RESPONSABILITÉ AU SENS DES ARTICLES 7 ET 10 DE LA LOI

[143] Je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que les plaignants ont établi que le refus des intimés, depuis mars 1978, de reconnaître la nature professionnelle du travail effectué par les évaluateurs médicaux proportionnellement à la reconnaissance professionnelle accordée au travail des conseillers médicaux constitue un acte discriminatoire au sens des articles 7 et 10. L'acte a eu pour effet de priver les évaluateurs de la reconnaissance professionnelle et de la rémunération équivalente à leurs qualifications et de les priver du paiement de leurs droits professionnels ainsi que des possibilités de formation et d'avancement professionnel au même titre que les conseillers.

XI. QUELLE EST LA RÉPARATION APPROPRIÉE EN L'ESPÈCE?

[144] L'alinéa 53(2)a) de la LCDP donne au Tribunal le pouvoir d'ordonner aux intimés de mettre fin à l'acte discriminatoire et de prendre, en consultation avec la Commission, des mesures de redressement ou des mesures destinées à prévenir des actes semblables. Les parties m'ont demandé, si je concluais que les plaintes étaient fondées, d'ordonner aux intimés de mettre fin à l'acte discriminatoire, mais que je ne précise pas les mesures de redressement à prendre. Ils m'ont demandé de leur donner la chance de négocier les mesures appropriées à prendre avec tous les intervenants importants. Je souscris à cette demande. Par conséquent, je rends l'ordonnance suivante, mais je demeure saisie de cet aspect de ma décision si les parties n'arrivent pas à une entente :

J'ordonne aux intimés de mettre fin à l'acte discriminatoire décrit au paragraphe 143 ci-dessous.

[145] Une conférence de cas sera prévue pour trois mois après la date de la présente décision, auquel moment les parties feront un rapport au Tribunal de l'état des négociations. À la même date, le Tribunal établira un calendrier pour la résolution finale de toute question non réglée portant sur cet aspect de la décision. S'il n'y a pas de règlement à la fin de l'échéance, je rendrai une décision finale après que les parties auront eu la chance de présenter des preuves, s'il y a lieu, et des arguments au sujet du redressement.

[146] L'alinéa 53(2)c) confère au Tribunal le pouvoir d'ordonner aux intimés d'indemniser les victimes de la totalité, ou de la fraction des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l'acte. Compte tenu de mon ordonnance précédente au sujet de l'alinéa 53(2)a) et des répercussions possibles sur la rémunération, je crois qu'il est préférable que je reste saisie de l'affaire, selon les mêmes critères, au sujet de toute indemnité au sens de l'alinéa 53(2)c).

[147] L'alinéa 53(2)e) de la LCDP confère au Tribunal le pouvoir d'ordonner aux intimés d'indemniser jusqu'à concurrence de 20 000 $ la victime qui a subi un préjudice moral. J'ai entendu le témoignage de Mme Walden et de trois autres plaignants qui ont mentionné la frustration, la démoralisation et la perte d'estime de soi qu'ils ont vécues en raison du refus des intimés de reconnaître leur expertise professionnelle. Pour ce motif, je suis prête à ordonner aux intimés d'indemniser les plaignants en vertu de l'alinéa 53(2)e). Cependant, je me pose des questions quant au montant puisque nous n'en avons pas discuté à l'audience. Par exemple, un plaignant qui ne travaille pour le programme que depuis février 2007 devrait-il recevoir la même indemnité pour préjudice moral qu'un plaignant qui y est employé depuis 1993? Je resterai saisie de la question du montant en fonction des mêmes critères que j'ai mentionnés ci-dessus. J'encourage les parties à s'entendre sur la question sinon, comme pour les questions précédentes, je rendrai une décision finale à ce sujet.

[148] La Commission et les plaignants ont soutenu que le Tribunal devrait ordonner une indemnisation en vertu du paragraphe 53(3) de la LCDP. Cette disposition autorise le Tribunal à ordonner à l'auteur d'un acte discriminatoire de payer à la victime une indemnité maximale de 20 000 $, s'il en vient à la conclusion que l'acte a été délibéré ou inconsidéré. Je conclus qu'une ordonnance d'indemnisation en vertu du paragraphe 53(3) n'est pas appropriée en l'espèce. Il s'agit d'une affaire portant sur de la discrimination ayant un effet défavorable parce qu'une ligne de conduite a eu pour effet inattendu de défavoriser un très grand nombre de femmes. La sincérité et la franchise du témoignage de Mme Power m'a convaincue que, si elle et d'autres membres du groupe des intimés avaient réalisé qu'il y avait des actes de discrimination en cours, ou que de tels actes avaient été perpétués involontairement à cause des négociations de 1999 avec les agents négociateurs, le Conseil du Trésor aurait exercé son pouvoir de prendre les mesures de redressement appropriées. Par conséquent, je ne relève aucune preuve d'acte délibéré ou inconsidéré qui justifierait l'ordonnance d'une indemnisation en vertu du paragraphe 53(3).

[149] Comme je l'ai mentionné plus tôt, je resterai saisie de l'affaire en ce qui a trait aux trois questions en instance au sujet desquelles les parties doivent négocier. Le rapport d'étape et l'échéancier pour la résolution des litiges s'appliquent aux trois questions.

Karen A. Jensen

OTTAWA (Ontario)

Le 13 décembre 2007

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIERS DU TRIBUNAL : T1111/9205, T1112/9305 et T1113/9405
INTITULÉ DE LA CAUSE : Ruth Walden et al. c. Développement social Canada, Conseil du Trésor du Canada et l'Agence de gestion des ressources humaines de la fonction publique du Canada.
DATE ET LIEU DE L'AUDIENCE : Les 14 au 18 mai 2007
Les 22 et 24 mai 2007

Ottawa (Ontario)
SOUMISSIONS FINALES REÇUES :

DATE DE LA DÉCISION
DU TRIBUNAL :

Le 15 juin 2007

Le 13 décembre 2007
ONT COMPARU :
Laurence Armstrong Pour les plaignants
Leslie Reaume Reuben East Pour la Commission canadienne des droits de la personne
Simon Fothergill Claudine Patry Pour les intimés
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