Tribunal canadien des droits de la personne

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D. T. 8/ 88

Décision rendue le 17 mai 1988

Dans l’affaire de la Loi canadienne sur les droits de la personne S. C. 1976- 1977, chap. 33 modifié et dans l’affaire d’une audience tenue devant un tribunal d’appel des droits de la personne constitué en vertu de l’article 42.1( 2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne

ENTRE:

SHERYL GERVAIS plaignante,

- et

AGRICULTURE CANADA mise en cause

TRIBUNAL Carl E. Fleck, président, Kathleen Jordan, Peter Bortolussi

DÉCISION DU TRIBUNAL D’APPEL

ONT COMPARU: Robert P. Hynes, Russell Juriansz

A. OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES

Ce tribunal fut établi aux termes de l’article 42.1( 2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne pour instruire l’appel interjeté par suite de la décision du 3 septembre 1986 rejetant la plainte de Sheryl Gervais.

Dans l’avis d’appel et dans les moyens écrits et oraux, la plaignante fonde son appel sur les raisons suivantes:

  1. Le Tribunal s’est trompé en concluant que la mise en cause avait, en toute connaissance de cause, fermé les yeux sur la conduite d’Ian Fetterly ou l’avait autorisée, approuvée ou ratifiée.
  2. Le Tribunal s’est trompé en concluant que l’employeur n’était pas, à strictement parler, responsable de la conduite d’Ian Fetterly.

C’est ce dernier motif, à savoir si l’employeur est responsable des actes discriminatoires de ses employés, que l’avocat de la plaignante a invoqué devant le Tribunal.

Dès le début de l’audience d’appel, on a fait savoir aux membres du tribunal que la Cour d’appel fédérale allait bientôt se prononcer dans l’affaire Robichaud c. La Reine. Après l’exposé des motifs, le Tribunal suspendit la séance, pour la reprendre le 13 novembre 1987; d’autres témoignages lui furent alors présentés par suite de la décision- charnière de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Robichaud.

Après avoir soigneusement examiné le texte des témoignages et les livres présentés comme pièces à conviction devant le tribunal de première instance, après avoir entendu tous les moyens et tous les exposés présentés devant notre tribunal et, en particulier, après avoir étudié les motifs de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Robichaud, notre tribunal, pour les raisons mentionnées ci- après, accueille l’appel de la plaignante, Sheryl Gervais, et rejette la décision du premier tribunal en date du 3 septembre 1986.

B. LES FAITS

Le tribunal a pertinemment révisé et résumé les faits qui se rapportent au litige; c’est pourquoi nous n’exposerons ici brièvement que les faits et les circonstances qui ont incité la plaignante à loger une plainte auprès de la Commission des droits de la personne.

La plaignante a présenté une plainte aux termes des articles 7, 10 et 12 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, S. C. 1976- 1977, chapitre 33, le 16 novembre 1982, contre la mise en cause, le ministère de l’Agriculture. Elle a soutenu que la mise en cause s’était rendue coupable d’actes discriminatoires à son égard en raison de son sexe au cours de l’année 1980, puis jusqu’au 13 mai 1983, jour où elle remit sa démission à la mise en cause.

Son accusation d’actes discriminatoires se fonde sur la conduite d’un certain Ian Fetterly, employé de la mise en cause. La plaignante fut embauchée par le Ministère à titre d’employée occasionnelle dans un poste GLT- 3 (manoeuvre), puis elle fut promue, en décembre 1980, dans un poste permanent au niveau GLT- 5. Quant à M. Fetterly, il occupait, au cours de la période qui nous occupe, un poste classifié GLT- 6a- 1 au niveau Al, selon les normes de classification du Conseil du Trésor, ce qui confère au titulaire du poste certaines responsabilités gestionnelles à l’égard de certains employés. Selon l’exposé de M. Fetterly, le titulaire doit, par exemple, expliquer certaines méthodes à suivre, préciser la rapidité d’exécution de certains travaux, veiller à ce que la marche à suivre soit bien comprise et bien suivie pour les projets à réaliser, donner des instructions aux employés...

La plaignante faisait partie d’un groupe de travail de dix personnes, et M. Fetterly y était l’un des quatre responsables d’équipe. La plaignante affirma que, en février 1981, ou à peu près à cette époque- là, M. Fetterly a commencé à l’importuner par des remarques à connotation sexuelle. Elle attesta avoir parlé à son représentant syndical du harcèlement sexuel dont elle faisait l’objet de la part de M. Fetterly; d’autre part, selon les témoignages, trois autres femmes, toutes trois au service du Ministère, ont eu à repousser les avances sexuelles de M. Fetterly.

La plaignante précisa que les avances verbales et physiques de M. Fetterly menèrent à un incident grave survenu le 10 octobre 1981. Cet incident, qui est très justement qualifié d’ attentat sexuel, eut lieu pendant les heures normales de travail et sur les lieux du travail, et il consistait en un acte physique de la part de M. Fetterly. Nous sommes convaincus que les avances sexuelles de M. Fetterly, qui menèrent à des relations sexuelles, ont été faites sans le consentement de la plaignante et que cette dernière s’y était expressément opposée.

Voici le film des événements qui ont suivi l’incident du 10 octobre 1981 et qui, présidant aux dernières conclusions du tribunal, ont servi à déterminer la sanction:

a) La plaignante se rend à un centre pour femmes violées; elle y subit un examen médical et se fait interroger par des agents de police. L’examen médical confirme l’allégation de rapports sexuels. Le 12 octobre 1981, la plainte de harcèlement sexuel contre M. Fetterly est portée à l’attention de la mise en cause qui, alors, fait faire enquête.

b) Au début de l’enquête, M. Fetterly va à l’hôpital, à la suggestion du Ministère, pour y subir un test psychologique; il reçoit son congé de l’hôpital le ou environ le 6 novembre 1981. Le Ministère lui demande alors de demeurer à la maison et lui verse son plein salaire.

c) A noter qu’après enquête, un rapport daté du 15 septembre 1981 fut rédigé par un certain S. C. Thompson à l’adresse de J. J. Cartier, directeur général pour la région de l’Ontario du Ministère. A la page 2, on y présente ainsi le rapport du chef de section, R. Doak:

"Il était tout confus et en larmes. Il concédait avoir été en présence de Mlle Gervais et avoir eu certains contacts sexuels avec elle. M. Fetterly ne savait trop ce qui était arrivé et disait: Vous ne croyez certainement pas que je l’ai violée. Vous ne pensez s rement pas que j’ai fait ça. Je lui dis que je voulais simplement savoir ce qui était arrivé. Il a répété qu’il était avec elle et se souvient l’avoir entendu dire Non, Ian, non, mais les choses étaient très vagues dans son esprit.

A ce moment- là, il semblait tout bouleversé et pleurait à chaudes larmes, s’écriant J’ai s rement perdu mon emploi et ma femme va probablement me quitter.

d) Le rapport confidentiel du 15 septembre 1981 conclut en ces termes, à la page 4:

"Mlle Gervais fut, à tout le moins, imprudente d’avoir accepté de tenir des propos de nature explicitement sexuelle avec M. Fetterly. Cependant, si l’on en juge par les déclarations qu’ont faites les deux employés à ce moment- là, lorsque les choses allèrent jusqu’aux rapports sexuels proprement dits, il n’y eut pas consentement. Selon les données dont je dispose, je dois conclure que M. Fetterly a pris Mlle Gervais de force dans l’intention d’avoir des relations sexuelles avec elle. Puisqu’il en est ainsi, je ne puis que recommander son congédiement comme seule mesure acceptable dans les circonstances. Je regrette d’avoir à faire cette recommandation, car M. Fetterly nous donne pleinement satisfaction depuis 9½ ans qu’il est à notre service. Cependant, vu la gravité de la situation, je n’ai pas le choix.

e) La réponse faite à la lettre du 15 décembre 1981 de S. C. Thompson par le directeur général, M. Cartier, en date du 29 janvier 1982, est donnée ici dans son intégralité:

"La présente répond à votre lettre du 15 décembre 1981, dans laquelle vous recommandez le renvoi de l’employé susmentionné.

Ma réaction fut telle que j’ai cru bon solliciter l’avis de notre contentieux. La lettre du 29 décembre de Mme Nicholson, dont photocopie ci- jointe, est très explicite; elle y dit que les preuves ne sont pas suffisantes pour justifier le renvoi. Les discussions que nous avons eues, John Nolan, moi- même, vous- même et les avocats des services juridiques ont fait ressortir d’autres circonstances qui atténuent, contredisent même, la déclaration de Mlle S. Gervais.

Je demande donc à ce qu’on mette fin à l’enquête. Vous être prié de retirer du dossier de chaque employé tous les documents et tous les papiers qui ont trait à cet incident et de les envoyer à mon bureau où nous les conserverons au moins un an. Vous devez faire savoir aux employés, de vive voix, que l’enquête est terminée à votre niveau et qu’ils doivent reprendre leur travail et se conduire comme il faut à l’avenir sur les lieux du travail. Tout nouvel écart de conduite pourrait exposer les employés à des sanctions sévères. Si cette décision laisse insatisfait l’un ou l’autre des deux employés, vous pourrez de nouveau soulever la question en m’écrivant personnellement. Dans ce cas- là, je veillerai à ce qu’ils se fassent bien conseiller par des avocats pour s’assurer de la protection de leurs droits et pour que les procédures judiciaires soient bien menées. Dans l’entre- temps, si des organismes ou des personnes de l’extérieur font enquête à ce sujet, je vous prie de renvoyer leurs demandes à mon bureau sans commentaires."

f) Le ou vers le 8 février 1982, M. Fetterly retourne travailler dans le même milieu que la plaignante, mais dans une section voisine. En février 1982, la plaignante se plaint à la Direction générale de l’antidiscrimination de la Commission de la Fonction publique, puis, le 25 février 1982, demande une mutation.

g) Le ou vers le mois d’ao t 1982, la plaignante dépose un grief parce que sa demande de mutation n’a pas encore eu de suite; le 21 septembre 1982, on fait savoir à la plaignante que son grief est rejeté au premier niveau.

Par après, la plaignante est en congé de maladie du 5 novembre 1982 au 14 janvier 1983; elle demande un congé de maladie payé de six mois, avec certificat médical à l’appui. En novembre 1982, on lui apprend que sa demande de congé de maladie n’a pas été approuvée, puis, le 13 janvier 1983, la plaignante fait savoir par écrit qu’elle doit retourner au travail en raison de sa situation financière.

h) Le ou vers le 21 février 1983, la Direction générale de l’antidiscrimination constate que M. Fetterly avait harcelé sexuellement la plaignante et recommande la mutation de celle- ci. Le 9 mars 1983, la plaignante reçoit une réponse à son grief au troisième niveau, l’informant qu’en définitive, il était convenu qu’elle devrait être mutée. La plaignante présente, le 19 avril 1983, un certificat médical confirmant qu’elle pourrait retourner au travail pourvu qu’elle ne soit pas dans la même section.

i) Le ou vers le 13 mai 1983, la plaignante remet sa démission à la mise en cause, puis, en juin 1983, la Direction générale de l’antidiscrimination de la Commission de la Fonction publique ferme le dossier.

Outre ses allégations de harcèlement sexuel de la part de M. Fetterly, la plaignante opina que, dans son milieu de travail, on faisait peu de cas de la dignité de la femme. Selon certains des témoignages recueillis à l’audience, des revues de mauvais go t se trouvaient dans les tiroirs, avec la mention personnel. En outre, deux affiches avaient été posées sur les murs du local, lesquelles furent, par la suite, enlevées. Il fut également indiqué que l’ambiance du milieu de travail était plutôt à la camaraderie, que les employés bavardaient tout bonnement de choses et autres, qu’ils se tiraient la pipe, souvent avec des allusions sexuelles.

Pour ce qui est de l’affirmation de la plaignante selon qui le milieu de travail sapait la dignité de la femme, on ne peut en conclure quoi que ce soit sans d’abord vérifier certains aspects du comportement de la plaignante, révélés par les témoignages entendus lors de l’audience. Les points suivants nous ont fait nous interroger sur le bien- fondé de ladite plainte:

  1. La plaignante a montré à ses compagnons de travail une publication contenant des photos de postérieurs masculins;
  2. Elle participa avec d’autres employés de sexe masculin à des actes sexuels sur les lieux du travail;
  3. Selon tous les témoignages, la veille de l’incident grave survenu le 10 octobre 1981, elle raconta à M. Fetterly un rêve érotique qu’elle avait fait et dont il était la figure dominante.

Même si nous émettons des réserves quant au témoignage quelque peu ambivalent de la plaignante qui soutenait que son milieu de travail était empoisonné, il n’en demeure pas moins que, à notre avis, l’incident grave du 10 octobre 1981 constitue bel et bien un acte discriminatoire contrevenant aux dispositions de l’article 7 de la loi. Malgré certaines contradictions dans le témoignage de Mlle Gervais, nous sommes unanimement convaincus que, tout bien considéré, il faut ajouter foi à sa version de l’incident et que, par ailleurs, les propos de M. Fetterly, en ce qui a trait à l’incident, étaient plutôt vagues, pleins d’inexactitudes et inacceptables sous quelque angle qu’on les considère. En outre, nous sommes convaincus qu’il fut clairement l’agresseur lors de l’incident survenu le 10 octobre 1981; sa réaction et ses propos, à la suite de l’incident, confirment sans l’ombre d’un doute qu’il connaissait la nature grave de ses actes et les conséquences auxquelles il s’exposait par rapport à son emploi.

C. LA LOI - RESPONSABILITÉ DE L’EMPLOYEUR

Cela nous amène au motif principal de l’appel, présenté par l’avocat de la plaignante, à savoir si la mise en cause, le ministère de l’Agriculture, peut être tenue responsable du harcèlement. Nous avons maintenant eu l’occasion d’étudier la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Regina c. Robichaud, qui a considérablement simplifié la question complexe de la responsabilité de l’employeur dans le contexte de la Loi sur les droits de la personne. Aux pages 5 et 6 de la décision Robichaud, LaForest J. énonce ainsi l’intention générale de la loi:

"Puisque la loi vise au premier chef à enrayer la discrimination plutôt qu’à punir les comportements antisociaux, il s’ensuit que, dans l’esprit du législateur, ce ne sont pas les motifs ou les intentions de ceux ou celles qui se rendent coupables de discrimination qui constituent l’objet principal de ses prescriptions. Elle vise à redresser des situations socialement indésirables, sans nécessairement se préoccuper des raisons qui les ont fait naître.

Pour ce qui est de la question de la responsabilité de l’employeur, il évoque la responsabilité du fait d’autrui en droit délictuel, et, à la page 7, S’exprime en ces termes:

"il est clair, cependant, que les limites établies sous le régime de la responsabilité du fait d’autrui et du droit délictuel ne peuvent véritablement s’appliquer aux dispositions législatives qui nous occupent ici. En effet, la responsabilité délictuelle ne s’applique qu’aux actes liés, en quelque sorte, aux fonctions pour lesquelles l’employé a été engagé, et non pas au harcèlement sexuel, ou autres choses du genre, qui n’a vraiment aucun rapport avec les fonctions pour lesquelles on a embauché l’employé. Le but de la loi est de supprimer certaines situations indésirables, sur les lieux du travail en l’occurrence, et il semblerait étrange de tenir un employeur responsable, aux termes de l’article 7a), du harcèlement sexuel que pratique un employé au moment où il fait du recrutement, mais de ne pas le tenir responsable lorsque l’employé s’en rend coupable lorsqu’il supervise un autre employé, surtout si ce dernier est en stage. Il semblerait plus logique et plus conforme à l’esprit de la loi d’interpréter l’expression dans le cadre de son emploi comme signifiant qui a trait à son travail ou à ses fonctions, surtout lorsque cette expression est suivie des termes directement ou indirectement".

Quant aux recours prévus par la loi, LaForest J. dit, à la page 10:

"En effet, si la loi s’applique aux effets de la discrimination plutôt qu’à ses causes (ou motifs), il faut bien reconnaître que seul l’employeur peut redresser une situation indésirable; seul l’employeur peut redresser la situation de la meilleure façon qui soit - en veillant à ce que ses employés travaillent dans une ambiance saine. Le fait que la loi mette surtout l’accent sur la prévention ou l’élimination de situations indésirables, plutôt que sur la faute, la responsabilité morale ou la peine, milite en faveur de l’efficacité des recours soigneusement prévus par la loi. Cela nous indique que l’intention de l’employeur n’a rien à y voir, du moins aux fins de l’article 41( 2). Il est intéressant de noter qu’à l’article 41( 3), la loi prévoit une indemnité spéciale lorsque l’acte discriminatoire a été commis de propos délibéré ou avec négligence (autrement dit, de façon intentionnelle). Bref, je ne doute pas que, pour que la loi puisse atteindre la fin pour laquelle elle fut adoptée, la Commission doive pouvoir attaquer le mal par la racine, éviter que ne se reproduisent pareilles situations néfestes et prendre les mesures qui s’imposent pour améliorer l’ambiance au travail.

Le jugement Robichaud conclut, à la page 11, que la notion de responsabilité n’entre pas en ligne de compte et tranche nettement la question comme suit:

"J’en conclurais donc que la loi tend à tenir les employeurs responsables de tous les actes de leurs employés dans le cadre de (leur) emploi, donnant à cette expression l’interprétation restrictive mentionnée plus haut, c’est- à- dire que l’acte doit avoir un certain rapport avec l’emploi. Il est inutile de vouloir qualifier de quelque façon cette responsabilité; elle découle simplement de la loi. Cependant, on rejoint, pour ainsi dire, la notion de responsabilité du fait d’autrui en droit délictuel en tenant responsables de l’organisation ceux qui la contrôlent et sont en mesure de faire le nécessaire pour redresser les situations indésirables.

Pour ce qui est de savoir à quel moment la conduite de l’employeur doit être prise en compte, LaForest J. conclut, à la page 12, qu’il faut examiner cette question dans le contexte de l’établissement de la sanction. Il fait les observations suivantes:

"Je pourrais peut- être ajouter que, bien que la conduite de l’employeur n’ait, en théorie, aucun rapport avec l’imputation de responsabilité dans un cas comme celui- ci, elle peut néanmoins avoir d’importantes répercussions pratiques pour l’employeur. Sa conduite peut prévenir ou rendre inutiles bien des recours envisagés. Par exemple, l’employeur qui, par suite d’une plainte, réagit promptement dans le concret et prend les mesures voulues pour remédier à la situation et faire en sorte qu’elle ne se reproduise plus ne sera pas responsable, si tant est qu’il soit responsable, au même titre que celui qui néglige de faire quoi que ce soit, mais il s’agit ici des mesures à prendre pour remédier à la situation, et non de la responsabilité relative à cette situation.

Nous sommes tous d’avis que, si le premier tribunal avait eu à sa disposition le jugement de la Cour suprême du Canada, couché en termes clairs et incisifs, dans l’affaire Robichaud, sa conclusion aurait été différente. Le présent tribunal d’appel et le tribunal de première instance en sont tous deux arrivés à la conclusion que les actes de Fetterly étaient discriminatoires au sens de l’article 7 de la loi. Nous appuyant sur l’autorité de la décision Robichaud, nous ne pouvons manifestement entériner la décision du tribunal de première instance en ce qui a trait à la responsabilité de la mise en cause pour les actes de Fetterly. Par conséquent, nous renversons la décision du tribunal de première instance qui rejetait la plainte et nous accueillons l’appel par lequel la mise en cause, Agriculture Canada, est responsable de la conduite de Fetterly qui s’est rendu coupable de harcèlement sexuel à l’endroit de la plaignante et s’est, par conséquent, livré à des actes discriminatoires à l’encontre des dispositions de l’article 7 de la loi.

D. DOMMAGES- INTÉRETS

Pour ce qui est des dommages- intérêts, nous n’oublions pas la conclusion de LaForest J. dans l’affaire Robichaud, dans laquelle il dit que, bien que la conduite de l’employeur ne doive pas être prise en considération lorsqu’il s’agit de déterminer la responsabilité de l’employeur, elle peut contribuer, de façon importante, à limiter le préjudice. A cette fin, nous formulons les observations suivantes au sujet de la conduite de la mise en cause:

  1. Bien qu’il y ait eu une enquête approfondie et exhaustive de cet incident, par les représentants syndicaux, par les autorités policières et par les enquêteurs sous la direction de J. J. Cartier, la décision finale est de ne prendre aucune mesure. Cette décision repose sur le fait que les témoignages relatifs à l’incident du 10 octobre 1981 se contredisaient et que, de ce fait, il serait difficile de recourir à des mesures disciplinaires contre Fetterly. Ce dernier fut donc autorisé à s’absenter du travail avec rémunération, puis, par la suite, retourna au même lieu de travail, bien que dans un endroit où il aurait moins l’occasion de croiser la plaignante.
  2. Les griefs de la plaignante ont nécessité un long et laborieux examen à un moment où elle était sous l’effet d’un stress physique et émotif très fort et se faisait suivre par un médecin. La demande de mutation fut le comble de l’aberration bureaucratique. Nous convenons avec le tribunal de première instance qu’il est difficilement concevable que le ministère ait pris toute mesure raisonnable pour faciliter cette mutation.

Nous concluons à l’unanimité que les mesures prises par la mise en cause par suite de l’incident du 10 octobre 1981 étaient inefficaces et peu concluantes. Le mieux à faire, semble- t- il, serait de ne rien faire du tout. Nous ne pouvons que conclure que la lettre du 29 janvier 1982, appuyée par J. J. Cartier, reflète, de façon générale, l’attitude de la mise en cause à l’égard du problème, malgré la recommandation très claire qu’a faite S. C. Thompson le 15 décembre 1981.

Quant au montant et à l’étendue des dommages- intérêts qui peuvent être accordés aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne, voici les articles pertinents:

41( 2) A l’issue de son enquête, le tribunal qui juge la plainte fondée peut, sous réserve du paragraphe (4) et de l’article 42, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire

a) de mettre fin à l’acte et de prendre des mesures destinées à prévenir les actes semblables, notamment

(i) d’adopter les programmes, plans ou arrangements spéciaux visés au paragraphe 15( 1), ou

(ii) de présenter une demande d’approbation et de mettre en oeuvre un programme prévu à l’article 15.1;

ces mesures doivent être prises après consultation de la Commission sur leurs objectifs généraux;

b) d’accorder à la victime, à la première occasion raisonnable, les droits, chances ou avantages dont, de l’avis du tribunal, l’acte l’a privée;

c) d’indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction qu’il juge indiquée, des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l’acte; et

d) d’indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction qu’il fixe, des frais supplémentaires causés, pour recourir à d’autres biens, services, installations ou moyens d’hébergement, et des dépenses entraînées par l’acte.

(3) Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le tribunal, ayant conclu

  1. que la personne a commis l’acte discriminatoire de propos délibéré ou avec négligence, ou
  2. que la victime a souffert un préjudice moral par suite de l’acte discriminatoire, peut ordonner à la personne de payer à la victime une indemnité maximale de cinq mille dollars.

La question des dommages- intérêts fut abordée, dans tous ses tenants et ses aboutissants, par l’avocat au moment de l’audience, et sa plaidoirie est contenue dans le volume 8 de la transcription des témoignages, qui a été fourni au présent tribunal d’appel. Il semble acquis qu’il y a eu perte de salaire entre novembre 1982 et mai 1983; la plaignante n’a pas travaillé au cours de cette période, selon la recommandation de son médecin. A ce moment- là, elle n’avait pas de jours de congé de maladie d’accumulés et, par conséquent, prit un congé sans rémunération jusqu’en mai 1983, c’est- à- dire jusqu’au moment de sa démission.

On a calculé la perte de salaire comme s’élevant à 8 567,28 $. Au début de l’audience d’appel, nous avons demandé à Mme Small, qui nous l’a remise, une lettre déclarant que sa cliente, Sheryl Gervais, s’en remettait à l’avocat de la Commission des droits de la personne pour faire valoir ses arguments et qu’elle convenait, après avoir été instruite de la chose et s’être entendue à ce sujet avec ladite Commission, d’être liée par l’issue finale des présentes procédures sur le double plan de la responsabilité et des dommages- intérêts. Nous avons repris l’audience d’appel une fois rendue la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Robichaud, et nous avons entendu d’autres témoignages non seulement sur la question de la responsabilité mais aussi sur celle des dommages- intérêts. Nous sommes convaincus que le montant donné comme équivalent à la perte de salaire constituerait une juste indemnité aux termes de l’article 41( 2) c).

Nous sommes également d’avis que la plaignante fut victime de l’acte discriminatoire que nous ont révélé les témoignages et qu’elle a, en fait, souffert dans sa dignité et son amour- propre en raison dudit acte.

Nous jugeons que, à ce chapitre, une indemnité de 2 500 $ représenterait une réparation convenable.

Par voie de conséquence, nous ordonnons ce qui suit:

  1. Que l’appel soit accueilli et que la décision du tribunal de première instance, en date du 3 septembre 1986, soit rejetée et qu’il soit plutôt conclu que la mise en cause est responsable des actes discriminatoires de M. Fetterly aux termes de l’article 7 de la loi.
  2. Que la plaignante reçoive une indemnité de 8 567,28 $ pour compenser sa perte de salaire.
  3. Que la plaignante reçoive, en sus, une indemnité de 2 500 $ pour la blessure faite à sa dignité et à son amour- propre par le fait des actes discriminatoires.

Daté à Sarnia (Ontario), ce 19e jour d’avril 1988.

(signé) Carl E. Fleck

Kathleen Jordan

Peter Bortolussi

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