Tribunal canadien des droits de la personne

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DT 9/ 86

Décision rendue le 9 décembre 1986

DANS L’AFFAIRE DE LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE, S. C. 1976- 77, chap. 33 modifiée :

ET DANS L’AFFAIRE D’UNE AUDIENCE TENUE DEVANT LE TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE CONSTITUÉ EN VERTU DE L’ARTICLE 39 DE LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE :

EDWIN ERICKSON PLAIGNANT,

ET :

CANADIAN PACIFIC EXPRESS AND TRANSPORT LTD. MIS EN CAUSE,

JUGE : NORMAN FETTERLY

DÉCISION DU TRIBUNAL

ONT COMPARU : RENÉ DUVAL Avocat du plaignant

N. MULLINS, c. r. et R. M. McLearn Avocat du mis en cause

>ENTRE :

EDWIN ERICKSON PLAIGNANT,

ET :

CANADIAN PACIFIC EXPRESS AND TRANSPORT LTD. MIS EN CAUSE,

JUGE : NORMAN FETTERLY

INDEX

Page Introduction Objection préliminaire - Res Judicata (Chose jugée) Décision sur l’objection préliminaire de Res Judicata La preuve a) Audience b) Prothèses auditives (voir aussi les pages) c) Audiogrammes d) Lignes directrices à l’intention desmédecins e) Niveaux sonores Examen et évaluation de la preuve La Loi sur les droits de la personne - Discrimination La Loi sur les droits de la personne - Exigence professionnelle justifiée

Décision du tribunal

>INTRODUCTION

Le plaignant, M. Erickson, souffre de surdité et porte une prothèse auditive depuis 1978. Chauffeur de camion de métier, il détient un permis de conduire de classe 1 émis par le Surintendant des véhicules moteurs de la Colombie- Britannique. Il détenait ce permis le 1er septembre 1981 lorsqu’il a commencé à travailler pour le mis en cause, la Canadian Pacific Express and Transport Ltd. Ce permis autorise M. Erickson à conduire des camions lourds sur les autoroutes de la province.

M. Erickson avait été engagé par le mis en cause pour conduire des camions gros porteurs dans la région de Nanaimo où il transportait des déchets et copeaux de bois pour la compagnie. M. Erickson, conformément à la Convention collective entre la compagnie mise en cause et son syndicat, était en période de stage durant les 65 premiers jours rémunérés.

Le 2 novembre 1981, la compagnie mise en cause informait M. Erickson que ses services n’étaient plus requis. Aucun motif expliquant le renvoi n’a alors été donné à M. Erickson. A la suite d’une demande écrite présentée par M. Erickson, le directeur général de la compagnie, M. G. E. D. Lloyd, a écrit au plaignant le 13 novembre 1981 pour l’informer de la raison de son renvoi dans les termes suivants :

"Votre ouïe ne satisfait pas à nos normes en ce domaine pour un chauffeur. En raison d’une déficience auditive sérieuse, vous devez porter une prothèse. Nous ne permettons pas le port de prothèses auditives par les chauffeurs."

Après son renvoi par la compagnie mise en cause, M. Erickson s’est présenté au bureau de Vancouver de la Commission des droits de la personne en vue d’obtenir de l’aide. On l’a alors informé qu’il devait d’abord épuiser les recours de la procédure de grief prévue dans la convention collective conclue entre la compagnie mise en cause et le syndicat.

Conséquemment, un grief a été déposé par le syndicat au nom de M. Erickson et un arbitre nommé en vertu des dispositions du Code du travail canadien en a été saisi. Une audience s’est déroulée à Montréal le 11 mai 1982. Il semble que M. Erickson n’en ait pas été avisé et il n’était pas présent. Il était cependant représenté par des membres de son syndicat.

L’arbitre, M. Weatherill, a rejeté le grief présenté par M. Erickson et n’a rendu aucune ordonnance de réintégration ou de remboursement de son salaire.

La décision de l’arbitre et les raisons invoquées ont été déposées à la Cour fédérale du Canada conformément au paragraphe 159( 1) du Code canadien du travail.

Dans les raisons invoquées pour expliquer sa décision, l’arbitre, M. Weatherill, soutient que M. Erickson était en période de probation aux termes de l’article 11.6 de la Convention collective. Cet article, selon M. Weatherill, accorde un vaste pouvoir discrétionnaire à l’employeur, et il en conclut que la décision prise par la compagnie s’inscrivait dans le cadre du pouvoir discrétionnaire que lui conférait cet article.

Dans les premières raisons invoquées, M. Weatherill déclare, et je cite: En conséquence, le rôle de l’arbitre ne consiste pas à déterminer si la décision était juste, mais plutôt à déterminer si la décision prise outrepassait le pouvoir discrétionnaire prévu par l’article 11.6.

Au sujet de la capacité auditive de M. Erickson, M. Weatherill s’est abstenu expressément de tirer des conclusions de fait et déclare Je ne tire aucune conclusion de fait sur l’état de santé réel du plaignant car le syndicat n’était pas prêt lors de l’audience à présenter une preuve médicale pour réfuter celle de la compagnie. Selon moi, le litige n’exige pas qu’il en soit tiré des conclusions de fait, si ce n’est la conclusion très générale, qui ne fait aucun doute, que le plaignant souffre dans une certaine mesure d’une déficience auditive.

OBJECTION PRÉLIMINAIRE - RES JUDICATA (CHOSE JUGÉE)

L’avocat de la compagnie mise en cause a formulé une objection préliminaire selon laquelle la question dont le tribunal est saisi est chose jugée (res judicata), en ce sens que M. Erickson a présenté la même question et cherché a obtenir le même redressement, c’est- à- dire sa réintégration et le remboursement du salaire perdu, auprès d’un arbitre nommé en vertu du Code canadien du travail dont la décision en faveur de la compagnie avait entraîné le déboutement de la demande de M. Erickson. La décision arbitrale a la force et l’effet d’un jugement de la Cour fédérale du Canada lorsqu’elle est déposée à la Cour conformément au paragraphe 159( 1) du Code canadien du travail.

La décision de l’arbitre a bel et bien été déposée à la Cour fédérale du Canada et, en conséquence, a la force et l’effet d’un jugement final de cette Cour. La question que le tribunal doit alors résoudre consiste à déterminer si la décision de l’arbitre portait sur les mêmes questions de fait et de droit dont il est actuellement saisi. Le cas échéant, la requête serait irrecevable pour le motif qu’il y a chose jugée.

M. Mullins affirme que les principes donnant lieu à une défense de res judicata ou d’estoppel (irrecevabilité) sont présents dans cette affaire. Ces principes sont exposés dans Halsbury, Vol. 16, 4e édition, paragraphe 1503 :

(Traduction)

"L’irrecevabilité fondée sur une décision antérieure rendue par un tribunal judiciaire ou quasi- judiciaire, qu’on appelle également le principe de la chose jugée, survient :

  1. ... lorsqu’un tribunal ayant compétence concurrente ou exclusive rend une décision finale entre des parties à l’égard d’une question en litige et que cette même question est soulevée au cours d’autres procédures entre les mêmes parties (c’est ce qu’on appelle parfois l’irrecevabilité fondée sur l’identité de la cause d’action)...
  2. ... lorsqu’un tribunal ayant compétence exclusive a rendu une première décision, et que la même question est soulevée au cours d’autres procédures entre les mêmes parties (c’est ce qu’on appelle parfois l’irrecevabilité fondée sur l’identité de la question)...
  3. ... dans certains cas lorsqu’un tribunal compétent a rendu une décision finale constituant un élément essentiel d’un jugement in rem à l’égard d’une question de fait concernant le statut d’une personne ou d’une chose, et que la même question est soulevée directement au cours d’autres procédures criminelles entre d’autres parties quelles qu’elles soient.

Si je comprends bien la position de l’avocat de la compagnie mise en cause, le premier de ces principes s’applique en l’espèce, l’ensemble des droits et obligations légales des parties ayant été déterminés par la décision arbitrale. Selon M. Mullins, le fait que les procédures aient été entreprises en vertu de la Loi sur les droits de la personne, et qu’à une date ultérieure la procédure de grief ait été entamée en vertu du Code canadien du travail importe peu; c’est le premier qui rend une décision qui établit le jugement final. M. Mullins s’en remet au paragraphe 1519 de Halsbury (supra) pour appuyer sa position a cet égard. Voici ce que dit le paragraphe 1519 :

(Traduction)

"Le fait que le jugement soit rendu après le début des procédures où il est invoqué ne l’empêche pas d’avoir effet de chose jugée entraînant l’irrecevabilité."

Les éléments du premier principe énoncé par Halsbury sont. présents dans le présent litige de l’avis de M. Mullins :

  1. les parties sont les mêmes, à savoir la compagnie mise en cause et M. Erickson;
  2. les mêmes questions de droit et de fait sont en cause, à savoir la légalité du renvoi de M. Erickson par la compagnie mise en cause en raison de sa déficience auditive et la similitude des redressements prévus par les lois pertinentes;
  3. une décision finale a été rendue sur cette question de fait par un tribunal ayant compétence en la matière et cette décision a la force et l’effet d’un jugement d’une cour.

Le troisième argument à l’appui de la défense de chose jugée ne présente aucune difficulté. Je suis d’avis que la preuve présentée vient appuyer la conclusion selon laquelle une décision finale ayant force et effet d’un jugement de la Cour fédérale du Canada a été rendue à l’égard des questions en litige présentées à l’arbitre.

M. Mullins affirme à juste titre que les parties concernées par les procédures de grief, à savoir le plaignant, M. Erickson, et la compagnie mise en cause sont les mêmes. Il est en désaccord avec l’argument formulé par M. Duval, l’avocat du plaignant, selon lequel, en raison de la nature de la Loi sur les droits de la personne, de sa teneur et de son objet, une tierce partie est implicitement concernée, c’est- à- dire la population qui est représentée par la Commission des droits de la personne.

La majeure partie des observations formulées par L’avocat de la compagnie mise en cause ont porté sur son deuxième argument. Voici un résumé de sa position à cet égard selon la compréhension que j’en ai :

  1. Le plaignant cherche à obtenir de ce tribunal le même redressement (la réintégration dans son emploi et le remboursement de son salaire) qu’il a demandé au cours de la procédure de grief, un redressement semblable étant prévu par le Code canadien du travail et la Loi canadienne sur les droits de la personne.
  2. Le plaignant Erickson a affirmé qu’il avait été illégalement renvoyé parce qu’il n’avait pu répondre aux normes de la compagnie relatives à l’acuité auditive. La plainte formulée au cours de la procédure de grief est, selon les termes employés par M. Mullins, exactement la même plainte qui est débattue devant ce tribunal, il a été renvoyé en raison de sa déficience auditive. L’avocat en conclut que la question en litige dans la présente affaire et dans la procédure de grief sont identiques.
  3. Le fait que M. Erickson a d’abord soumis sa plainte à la Commission canadienne des droits de la personne et par la suite s’est prévalu de son droit de présenter un grief en vertu de la convention collective n’empêche pas l’estoppel de s’appliquer au cours des présentes procédures.
  4. Enfin, l’avocat de la compagnie mise en cause s’en remet aux dispositions de l’article 33 de la Loi canadienne sur les droits de la personne qui se lit ainsi :

33. Sous réserve de l’article 32, la Commission doit statuer sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime la plainte irrecevable dans les cas où il apparaît à la Commission

  1. qu’il est préférable que la victime présumée de l’acte discriminatoire épuise d’abord les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont raisonnablement ouverts; ou
  2. que la plainte i) pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi du Parlement...

et en vient à la conclusion à partir de ce qui précède que la Loi elle- même déclare que d’autres lois fédérales prévoient des recours qui devraient être utilisés et qui ont été, en fait, utilisés par le plaignant après que ce dernier eut été encouragé par la Commission à agir ainsi. L’avocat de la compagnie mise en cause affirme que ce fait en soi constitue un motif pour prononcer l’irrecevabilité des présentes procédures dans la mesure où les autres procédures se sont terminées par une décision défavorable pour le plaignant ayant force et effet d’un jugement de la Cour fédérale du Canada.

M. Mullins a examiné un certain nombre de décisions ayant trait aux principes de la chose jugée et leur application dans des affaires particulières. Je ne considère pas qu’il soit nécessaire d’en faire l’examen maintenant mais je désire, néanmoins, faire observer qu’il semble n’y avoir aucune décision rendue par une cour supérieure portant sur la doctrine de la chose jugée (res judicata) qui pourrait s’appliquer aux circonstances particulières de la présente affaire, ou qui aborde la question du chevauchement entre des lois fédérales concernant les droits de la personne et les relations de travail.

En réponse aux objections préliminaires formulées par l’avocat de la compagnie mise en cause, l’avocat du plaignant et représentant de la Commission canadienne des droits de la personne, M. Duval, a présenté les arguments suivants :

  1. Ce tribunal n’a pas compétence pour admettre la défense de chose jugée puisque la Commission elle- même a autorité en vertu de l’article 33 de la Loi pour exercer son pouvoir discrétionnaire quant à la procédure à suivre par une personne cherchant à obtenir un redressement en vertu de cette Loi ou d’une autre loi fédérale. Selon l’avocat du plaignant, une fois qu’un tribunal a été établi, il n’a aucune autorité pour scruter le pouvoir discrétionnaire de la Commission, ce qu’elle a fait, selon M. Duval, lorsqu’elle a décidé que l’affaire n’avait pas été correctement et complètement réglée par l’arbitre. Cet égard, il a évoqué une décision du tribunal concernant le chapitre 916 des Travailleurs de l’énergie et de la chimie (le plaignant) et l’Énergie atomique du Canada (le 24 février 1984). Dans cette affaire, le tribunal a d se prononcer sur une objection préliminaire formulée par la compagnie mise en cause selon laquelle la plainte de la compagnie, si elle était fondée, aurait pu et aurait d être entendue par le biais de la procédure prévue dans la convention collective et dans le Code canadien du travail. Dans cette affaire, il était demandé au tribunal de rejeter ou de régler sommairement la plainte en vertu des articles 33b) (111), 36( 2) a) et 36( 3) b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il a été affirmé que la Commission canadienne des droits de la personne, en établissant un tribunal, a outrepassé sa compétence en n’insistant pas sur le fait que ce genre de problème relève plutôt du Code canadien du travail. La décision du tribunal de rejeter cette argumentation est peu utile dans la présente affaire si ce n’est peut- être qu’elle constitue un contraste avec l’objection préliminaire de chose jugée qu’a soulevée l’avocat de la compagnie mise en cause.
  2. Il est affirmé que les parties concernées ne sont pas les mêmes dans la mesure où la Commission n’était pas partie à l’arbitrage mais qu’elle l’est dans les présentes procédures. L’avocat du plaignant, pour appuyer son argumentation, s’en remet aux paragraphes (1) et (2) de l’article 44 de la Loi, qui se lisent ainsi :

"40( 1) Le tribunal doit, après avis conforme à la Commission, aux parties et, à sa discrétion, à tout intéressé, examiner l’objet de la plainte pour laquelle il a été constitué; il doit donner à ceux- ci la possibilité pleine et entière de comparaître et de présenter des éléments de preuve et des arguments, même par l’intermédiaire d’un avocat.

40( 2) En comparaissant devant le tribunal et en présentant ses éléments de preuve et ses arguments, la Commission doit adopter l’attitude la plus proche, à son avis, de l’intérêt public, compte tenu de la nature de la plainte."

M. Duval affirme que ces dispositions font que la Commission devient une partie à ces procédures car elle représente l’intérêt public.

3. L’avocat du plaignant affirme également que les question en litige ne sont pas les mêmes et mentionne les motifs invoqués par l’arbitre, M. Weatherill, dont il cite l’extrait suivant :

"En conséquence, le rôle de l’arbitre ne consiste pas à déterminer si la décision était juste, mais plutôt à déterminer si la décision prise outrepassait le pouvoir discrétionnaire prévu par l’article 11.6.

Il indique que l’article 11.6 fait partie d’une convention collective qui ne comporte aucune disposition concernant les motifs de discrimination exposés à l’article 3 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il est d’accord avec la conclusion de l’arbitre selon laquelle la compagnie mise en cause, en revoyant M. Erickson, n’a pas fait preuve de mauvaise foi et, convient que cette question n’est pas en cause dans les présentes procédures.

M. Duval résume comme suit sa position à l’égard de la question sur laquelle l’arbitre a rendu une décision et dont ce tribunal est également saisi :

"Cet arbitre, qui n’a pas abordé la question en litige dans la présente affaire, ne s’est intéressé qu’à la façon dont la compagnie a pris sa décision. La question examinée au cours des procédures d’arbitrage a consisté à déterminer si la décision prise respectait les dispositions de la convention collective. L’arbitre n’a pas cherché à déterminer si elle respectait la Loi canadienne sur les droits de la personne... En conséquence, les questions en litige ne sont pas les mêmes."

4. Le dernier point de l’argumentation de l’avocat du plaignant est que la Loi canadienne sur les droits de la personne a préséance sur toute autre loi du Parlement lorsqu’il y a conflit ou chevauchement. Il cite la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Bhinder et la Commission canadienne des droits de la personne v. la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et al. rendue en 1986 (7 C. H. R. R. D. 3093). Cette affaire avait trait essentiellement au critère devant être appliqué pour déterminer, en vertu de l’article 14( a) de la Loi sur les droits de la personne, si un employeur pouvait avoir recours a une exigence professionnelle justifiée comme défense contre une plainte de discrimination. A mon avis, d’autres décisions sont encore plus pertinentes en ce qui concerne la préséance de la Loi canadienne sur les droits de la personne sur toute autre loi fédérale et j’en traiterai de façon plus détaillée plus loin.

J’ai tenté d’analyser en profondeur les argumentations présentées par les deux avocats car je considère importante la question soulevée par M. Mullins, question qui mériterait que ce tribunal en fasse, dans les limites de ses compétences, une étude détaillée de façon, peut- être, à aider d’autres tribunaux au cours de procédures prises en vertu de la Loi. J’ai donc examiné la doctrine rédigée par diverses personnes faisant autorité en la matière et les argumentations formulées par les deux imminents avocats et j’ai pris la décision suivante.

DÉCISION SUR L’OBJECTION PRÉLIMINAIRE DE RES JUDICATA

A mon avis, la défense de res judicata ne s’applique pas dans les présentes procédures. J’ai minutieusement examiné l’argumentation des deux avocats et, même si un certain nombre d’arguments des deux cotés me semblent justifier un examen attentif, il n’y a, à mon avis, que deux questions auxquelles il faut trouver réponse. La première consiste à déterminer si la question en litige au cours des présentes procédures est la même que celle qui a été examinée au cours des premières procédures (l’arbitrage). La seconde consiste à déterminer si les parties aux procédures d’arbitrage sont les mêmes personnes qui sont parties aux présentes procédures. Si la réponse à l’une ou l’autre de ces questions est négative, la défense de res judicata est alors irrecevable.

Ces deux questions font partie des six éléments constitutifs de la défense d’irrecevabilité pour le motif qu’il y a chose jugée, qui sont énoncés aux pages 18 et 19 de Spencer, Bower and Turner, 1969, deuxième édition, qui font autorité en la matière. Je crois qu’il est utile de citer le paragraphe en entier :

(Traduction)

"Les éléments constitutifs nécessaires de l’objection fondée sur l’irrecevabilité pour le motif qu’il y a chose jugée

19. Quiconque désire invoquer l’irrecevabilité pour le motif qu’il y a chose jugée, soit comme moyen de faire obstacle à l’action de son opposant, soit comme fondation de sa propre action, et qui a pris les mesures préliminaires nécessaires pour l’invoquer doit pouvoir établir que tous les éléments constitutifs de l’irrecevabilité sont présents, comme il a déjà été énoncé au début de ce chapitre. En d’autres mots, il lui appartient de prouver (sauf dans le cas de ceux qui sont expressément ou implicitement admis) que chacun des éléments suivants est présent :

  1. la décision judiciaire alléguée est bel et bien ce qui est en droit considérée comme une décision judiciaire;
  2. la décision judiciaire en question a, en fait, été rendue, tel qu’il est allégué;
  3. le tribunal judiciaire qui a rendu la décision avait compétence en ce domaine;
  4. la décision judiciaire rendue était définitive; v) la décision judiciaire portait sur la même question que celle qui est contestée dans le litige où la défense d’irrecevabilité est invoquée ou comportait une décision sur cette même question;
  5. les parties concernées par la décision judiciaire, ou leurs ayants cause, sont les mêmes personnes que les parties concernées par les procédures où la défense d’irrecevabilité est invoquée, ou leurs ayants cause, ou la décision est définitive in rem.

Je me suis arrêté aux éléments constitutifs v) et vi) en n’oubliant pas que c’est à la partie qui désire invoquer la chose jugée comme défense que revient le fardeau de démontrer que chaque élément est présent.

Je ne suis pas d’accord avec l’argument de l’avocat de la compagnie mise en cause selon lequel la question que l’arbitre a d trancher est la même que dont est saisi le présent tribunal. Il est vrai, cependant, tout comme M. Mullins l’a affirmé, qu’il y a identité de l’objet des deux procédures, à savoir la perte de la capacité auditive du plaignant. Mais la question demeure entière car, à mon avis, il ne doit pas seulement y avoir identité de l’objet dans un sens physique mais également identité de l’objet dans un sens juridique. Selon les auteurs de la deuxième édition de Spencer, Bower and Turner, ces deux aspects de l’objet de la procédure sont maintenant considérés comme n’en faisant qu’un seul. L’identité physique de la chose ou de l’objet n’est pertinente que dans la mesure où elle s’inscrit dans l’ensemble de la question. Qu’elle que soit la décision qui a été rendue au cours des procédures d’arbitrage, la même question doit être soulevée au cours des présentes procédures pour que la défense d’irrecevabilité puisse réussir. Voir Spencer, Bower and Turner (Supra) aux paragraphes 206 et 207.

Peut- il être véritablement affirmé que l’arbitre, au cours des procédures menées en vertu du Code canadien du travail, a été appelé à se prononcer sur la même question que le présent tribunal? Je ne crois pas. L’arbitre, M. Weatherill, a scrupuleusement évité de tirer des conclusions de fait sur l’état de santé du plaignant, M. Erickson. Sa décision n’a visé qu’à résoudre, en vertu de la convention collective, un litige par le biais des procédures prévues dans le Code canadien du travail, et le motif de sa décision est, à mon avis, contenu dans l’extrait suivant :

"En conséquence, le rôle de l’arbitre ne consiste pas à déterminer si la décision était juste, mais plutôt à déterminer si la décision prise outrepassait le pouvoir discrétionnaire prévu par l’article 11.6,

ce qui l’amène à conclure que la décision prise par la compagnie respectait la portée du pouvoir discrétionnaire à elle accordé par cet article.

La tâche du présent tribunal, par contre, consiste à déterminer si le plaignant, en raison de son renvoi par la compagnie mise en cause pour les raisons énoncées dans la lettre de M. Lloyd, a été victime de discrimination.

Même si le Code canadien du travail et la Loi canadienne sur les droits de la personne prévoient dans une très large mesure des recours consécutifs semblables, ils n’ont pas, à mon avis, été conçus pour les mêmes fins et ne visent pas les mêmes objectifs. Le Code s’intéresse essentiellement aux conditions d’emploi, au processus de négociation collective et à la prestation de mécanismes permettant de résoudre les conflits de travail. L’objet de la Loi canadienne sur les droits de la personne est énoncée à l’article 2a) :

"a) tous ont droit, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la sociétés, à l’égalité des chances d’épanouissement, indépendamment des considérations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, la situation de famille ou l’état de personne gracié ou, en matière d’emploi, de leurs handicaps physiques."

Le juge Lamar, dans l’affaire Insurance Corporation of British Columbia v. Robert C. Heerspink et le directeur, Human Rights Code [1982] 2 R. C. S. page 145, en décrivant le Code des droits de la personne de la Colombie- Britannique a ceci à dire aux pages 157 et 158;

"Lorsque l’objet d’une loi est décrit comme l’énoncé complet des droits des gens qui vivent sur un territoire donné, il n’y a pas de doute, selon moi, que ces gens ont, par l’entremise de leur législateur, clairement indiqué qu’ils considèrent que cette loi et les valeurs qu’elle tend à promouvoir et à protéger, sont, hormis les dispositions constitutionnelles, plus importantes que toutes les autres. En conséquence à moins que le législateur ne se soit exprimé autrement en termes clairs et exprès dans le Code ou dans toute autre loi, il a voulu que le Code ait préséance sur toutes les autres lois lorsqu’il y a conflit.

En conséquence, la maxime juridique generalia specialibus non derogant ne peut s’appliquer à un tel code. En réalité, si le Human Rights Code entre en conflit avec des lois particulières et spécifiques, il ne faut pas le considérer comme n’importe quelle autre loi d’application générale, il faut le reconnaître pour ce qu’il est, c’est- à- dire une loi fondamentale."

La Cour suprême du Canada, dans une décision ultérieure, a réaffirmé le principe énoncé par le juge Lamar. Dans l’affaire Winnipeg School Division c. Doreen Maude Craton [1985] 6 C. H. R. H. D/ 3014, le juge McIntyre se dit en accord avec l’opinion exprimée par le juge Lamar dans l’affaire Heerspink (Supra) et cite le juge en chef Monnin du Manitoba :

"La Loi sur les droits de la personne est une loi publique et fondamentale et d’application générale. S’il y a conflit entre cette loi fondamentale et d’autres lois particulières, la Loi sur les droits de la personne doit, sauf exception, avoir préséance."

Le fait que les recours prévus par le Code canadien du travail ressemblent à ceux que l’on retrouve dans la Loi canadienne sur les droits de la personne n’a pas pour effet d’établir une identité d’objet entre le litige dont est saisi le présent Tribunal et celui qui a été débattu devant l’arbitre. Ce Tribunal doit examiner une allégation de violation d’un droit conféré à tous dans les limites de la Loi à savoir, que tous ont droit, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société à l’égalité des chances... indépendamment des considérations fondées... sur leurs handicaps physiques. De toute évidence, il ne s’agit pas de la question sur laquelle s’est penché l’arbitre au cours des procédures d’arbitrage, qui a seulement conclu que la compagnie mise en cause avait correctement exercé le pouvoir discrétionnaire que lui confère la convention collective.

Même si je n’hésite aucunement à conclure que la question sur laquelle doit se prononcer le tribunal n’est pas celle qui a fait l’objet d’une décision au cours des procédures d’arbitrage, j’ai plus de difficulté avec le sixième élément constitutif de l’irrecevabilité pour le motif qu’il y a chose jugée, à savoir :

"( vi) les parties concernées par la décision judiciaire, ou leurs ayants cause, sont les mêmes personnes que les parties concernées par les procédures où la défense d’irrecevabilité est invoquée, ou leurs ayants cause, ou la décision est définitive in rem.

Ayant conclu que la compagnie mise en cause n’a pas prouvé que le cinquième élément constitutif d’irrecevabilité pour le motif qu’il y a chose jugée était présent, il ne m’est pas nécessaire à strictement parler de tirer des conclusions quant aux parties. Mes observations à cet égard ne sont donc pas essentielles à une décision au sujet de l’objection préliminaire. Il pourrait toutefois être utile d’indiquer que le libellé de la Loi canadienne sur les droits de la personne semblerait appuyer la proposition selon laquelle la Commission canadienne des droits de la personne est partie a ces procédures et a un intérêt à l’égard de cette affaire qui va bien au- delà de la simple représentation du plaignant. Il est également intéressant de noter que dans la décision rendue par la Cour suprême du Canada le 17 décembre 1985 dans l’affaire Bhinder c. la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (17694), la Commission canadienne des droits de la personne figure comme partie dans l’intitulé de la cause dans cette affaire. La Commission était représentée par un avocat qui a sans doute joué un rôle actif dans ces procédures. Le demandeur, Bhinder, était représenté par son propre avocat. Il semble y avoir une forte présomption selon laquelle la Commission, en raison de la nature des procédures et des dispositions de la Loi qui l’autorisent à participer aux procédures devant un tribunal ou devant une cour, est en fait une partie distincte autre que le plaignant ou le demandeur. Voir l’article 40( 1) et 40( 2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Même si l’avocat de la compagnie mise en cause a beaucoup accordé d’importance au fait qu’en vertu de l’article 33a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Commission doit statuer sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime la plainte irrecevable dans les cas où il apparaît à la Commission a) qu’il est préférable que la victime présumée de l’acte discriminatoire épuise d’abord les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont raisonnablement ouverts;..., il ne me semble pas que cet argument concerne la défense de res judicata.

Il serait difficile d’imaginer que le Parlement en avait l’intention, en adoptant cette disposition, d’empêcher une personne cherchant à exercer son droit d’être entendue en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. A mon avis, l’article en question ne prévoit simplement qu’une autre procédure pour examiner des plaintes en espérant que ces procédures puissent fournir un meilleur moyen d’entendre les plaintes ou les griefs. Il ne s’ensuit pas, selon moi, qu’en ordonnant au plaignant d’épuiser d’abord les procédures d’appel ou de règlement des griefs, la Commission s’empêche de participer aux procédures, ou interdit à la présumée victime de se prévaloir de son droit d’exercer les droits que lui confère la Loi.

LA PREUVE

La preuve présentée s’est limitée au témoignage de M. Erickson et à celui de M. D. R. Bellaire, qui détient une maîtrise en audiologie de l’Université Northwestern. Un certain nombre de documents ont également été présentés incluant, entre autres, des évaluations audiométriques et des publications contenant des lignes directrices à l’intention des médecins appelés à évaluer l’aptitude à conduire un véhicule automobile. Aucun témoin n’a été appelé par la compagnie mise en cause, dont la position s’appuie essentiellement sur les lignes directrices à l’intention des médecins et sur la preuve obtenue au cours du contre- interrogatoire de M. Bellaire, et tout particulièrement sur les évaluations audiométriques et les audiogrammes.

M. Erickson, qui est âgé de 48 ans, a donné l’impression d’un homme en bonne santé, intelligent et franc qui ne semblait n’avoir aucune difficulté à entendre les questions posées par l’avocat, et à y répondre, lorsqu’il portait son appareil auditif. Il est peut- être pertinent de mentionner que l’accent assez prononcé de l’avocat de la Commission n’a pas semblé ennuyer M. Erickson.

M. Erickson a travaillé pour C. P. Transport de mars 1963 à mars 1973 environ, moment où il s’est lancé en affaires à son compte. A l’époque où il travaillait pour C. P. Transport, il conduisait un camion gros porteur sur de courtes et de longues distances. Entre 1978 et 1979, M. Erickson a commencé à avoir des problèmes d’audition, ce qui l’a forcé à porter un appareil auditif. Il a quand même continué à travailler comme chauffeur de camion pour plusieurs compagnies différentes et a affirmé que sa faiblesse auditive ne lui a causé aucune difficulté sur le plan de la conduite d’un véhicule automobile. Il a présenté un certain nombre de lettres provenant de responsables des sociétés pour lesquelles il a travaillé, qui attestent de sa compétence comme chauffeur de camion et indiquent que ses problèmes d’audition n’ont jamais diminué son rendement au travail ou sa capacité à conduire. L’une de ces lettres écrite le 5 novembre 1981 par M. Flint de la Johnston Terminals Ltd. de Nanaimo, est représentative des lettres déposées en preuve :

"Le 5 novembre 1981

A QUI DE DROIT

M. Edward Erickson a travaillé pour ma compagnie de façon irrégulière pendant deux ou trois ans. Il est un excellent travailleur et un chauffeur de camion professionnel. S’il a des problèmes d’audition, ceux- ci n’ont jamais diminué son rendement au travail ou sa capacité à conduire un camion. Je vous prie de recevoir mes salutations distinguées.

Johnston Terminals Ltd. Nanaimo (Colombie- Britannique)

Lorence R. Flint Terminal Opérations Manager LRF/ db"

En 1981, M. Erickson travaillait comme chauffeur de camion pour la Reg Dorman Trucking de Nanaimo lorsque cette compagnie a perdu un contrat de transport de déchets et copeaux de bois au profit de C. P. Transport Ltd. Les chauffeurs de la Dorman remerciés ont appris qu’ils pourraient obtenir du travail chez C. P. Transport en en faisant la demande. M. Erickson a donc présenté une demande d’emploi à C. P. Transport en vue de travailler comme chauffeur de camion. Sa demande a été acceptée et il a commencé à travailler le 8 septembre 1981. Il détenait à cette époque un permis de conduire de classe 1 de la Colombie- Britannique (permis qu’il détient toujours) l’autorisant à conduire des camions lourds sur les routes de la province.

M. Erickson a affirmé que la compagnie mise en cause ne lui a jamais demandé de se soumettre à un test d’audition entre le moment où il a été engagé, le 8 septembre 1981, et la date de son renvoi, le 2 novembre 1981. Il a passé un examen médical environ un mois après ses débuts à la compagnie, mais aucun renseignement sur cet examen n’a été fourni par l’une ou l’autre des parties aux présentes procédures.

M. Erickson a affirmé que lorsqu’il avait travaillé pour C. P. Transport Ltd. entre 1963 et 1973, il avait eu trois accidents. Le premier de ces accidents s’est produit lorsqu’il y a eu déplacement de la charge que contenait sa remorque, ce qui a entraîné le renversement du camion; le second s’est produit une Journée ou, en raison de la chaussée glissante, sa remorque a embouti son tracteur; le troisième s’est produit une journée où la glace recouvrant la route l’a empêché d’arrêter son véhicule assez rapidement pour éviter de frapper l’arrière d’une voiture. Ces trois accidents ont eu lieu au cours d’une période de dix années, avant que M. Erickson n’éprouve de problème d’audition. Il a affirmé n’avoir eu aucun accident depuis 1978- 1979, c’est- à- dire quand il a commencé à avoir des problèmes d’ouïe.

Il a déclaré avoir passé de nombreux tests d’audition, dont les résultats ont été fournis au moment du contre- interrogatoire et déposes en preuve.

Au cours de la courte période où il a travaillé pour la compagnie mise en cause (entre le 8 septembre 1981 et le 2 novembre 1981), M. Erickson n’a été d’aucune façon restreint dans ses activités de camionnage.

Après son renvoi par la compagnie mise en cause le 2 novembre 1981, M. Erickson a été sans emploi durant un certain temps; il a touché des prestations d’assurance- chômage jusqu’en avril 1982, alors qu’il a commencé à pratiquer la pêche commerciale. Il s’est adonné à cette activité jusqu’en septembre 1982 puis a été à nouveau bénéficiaire de l’assurance- chômage jusqu’en avril 1983, date à laquelle il a repris la pratique de la pêche commerciale. Au cours de cette période, il a aussi travaillé à temps partiel pour la Reg Dorman Trucking. Il a pratiqué la pêche commerciale jusqu’en ao t 1983 pour travailler ensuite comme mécanicien de véhicules lourds pour la Frank Beban Logging, où il travaille toujours présentement. Son salaire à cet endroit est de 19 $ l’heure. Son travail l’oblige à se rendre sur les lieux de l’exploitation forestière, à 200 milles de sa résidence. Il passe six semaines en forêt puis revient chez lui pendant dix jours. Il est marié et a une famille. Il a expliqué qu’il n’aime pas être éloigné de son foyer aussi longtemps. Il a dit préférer un emploi stable avec une compagnie comme C. P. Transport Ltd. car l’industrie forestière est trop perturbée par les conflits de travail, les conditions atmosphériques, les fluctuations économiques, etc. Il a expliqué que même si la rémunération versée par la compagnie mise en cause est inférieure à ce qu’il touche présentement, les conditions de travail sont meilleures (régime de retraite, ancienneté et moins d’arrêts de travail).

En ce qui a trait à sa prothèse auditive, M. Erickson a déclaré posséder deux appareils de ce genre, dont l’un lui a été fourni par une source privée et l’autre, de meilleure qualité, par le ministère de la Santé de la province. Il conserve la première prothèse comme appareil de rechange. Les deux prothèses fonctionnent à l’aide de piles et M. Erickson a indiqué qu’il porte toujours sur lui des piles de rechange. Lorsque la pile de son appareil faiblit, un léger signal sonore se fait entendre pour l’en avertir. Il a déclaré que lorsqu’il a commencé à porter une prothèse en 1977- 1978, il a ressenti un certain malaise. Il a fallu environ trois semaines à son oreille pour s’adapter à la prothèse et depuis ce temps, elle ne le gêne aucunement. Il a dit la porter continuellement pendant la journée et n’avoir jamais ressenti le besoin de la fermer, même lorsqu’il travaille en milieu bruyant. Lorsqu’il chasse, avec un 7 mm Magnum ou un 300 Savage, il porte sa prothèse et dit n’avoir jamais ressenti de malaise lorsqu’il fait feu.

Au cours du contre- interrogatoire, M. Erickson a présenté, à la demande de son avocat, les résultats des tests d’audition qu’il a passés entre 1979 et 1985. Ces tests ont respectivement eu lieu le 4 septembre 1979, le 11 décembre 1981, le 3 décembre 1982, le 15 février 1983 et le 3 octobre 1985. Ces examens audiométriques ont tous été d ment déposés en preuve. Le permis de conduire actuel de M. Erickson a été délivré le 20 février 1984 et, selon le plaignant, il n’a pas été tenu de se soumettre d’abord à un examen de l’audition, l’administration compétente en la matière ayant accès aux tests audiométriques figurant déjà dans son dossier au ministère de la Santé.

M. Erickson a nié avoir des difficultés à communiquer avec ses collègues au travail, sauf si la personne avec qui il s’entretient n’articule pas distinctement.

Il a expliqué qu’il peut contrôler le volume sonore de sa prothèse auditive en tournant un petit bouton et qu’il maintient en tout temps le volume à un niveau qui lui semble raisonnable, même lorsqu’il se trouve dans la cabine de son camion.

Il a affirmé qu’il souffre d’une perte auditive dans les deux oreilles mais qu’il ne porte une prothèse que dans une seule parce que sa faiblesse n’est pas à ce point importante qu’elle justifie le port de deux prothèses.

Lorsqu’il lui a été demandé au cours du contre- interrogatoire de décrire les circonstances de son renvoi, il a déclaré qu’un certain M. Kinnaird lui avait annoncé la mauvaise nouvelle mais que ce dernier ne pouvait lui dire pourquoi il était renvoyé. Il a alors écrit à M. Lloyd, directeur général de C. P. Transport à Nanaimo, qui lui a exposé les motifs de son travail dans une lettre datée du 13 novembre 1981. Il en a été fait mention dans l’introduction de la présente décision.

M. Erickson a été interrogé minutieusement sur le type de camion qu’il conduisait lorsqu’il travaillait pour la compagnie mise en cause, sur les procédures suivies pour charger et décharger le camion, sur les caractéristiques physiques de l’endroit où se faisait le déchargement, sur les manoeuvres à effectuer et sur l’importance et la nature de la circulation à cet endroit. Il a reconnu, à partir de photographies qui lui ont été montrées, un camion a remorque semblable à celui qu’il conduisait pour la compagnie mise en cause. Il le chargeait en l’amenant sous une trémie de stockage qui remplissait rapidement la remorque de copeaux de bois. Il devait grimper sur une plate- forme ou sur son camion pour observer l’opération de chargement. Il a convenu qu’au cours de cette opération, des camions de bois d’oeuvre et de billots ainsi que des chariots élévateurs étaient présents dans le secteur de chargement. Au moment du déchargement de la remorque, M. Erickson devait habituellement faire reculer le camion sur une rampe et, une fois le tracteur décroché, la remorque était mécaniquement soulevée de façon à permettre aux copeaux de s’échapper par l’arrière, comme le montre la photographie no 9 déposée en preuve par la compagnie mise en cause. M. Erickson a expliqué que c’est à l’opérateur du matériel de déchargement qu’incombe la responsabilité du déchargement de la remorque. Il a déclaré qu’il pouvait faire huit ou neuf voyages par jour et que l’opération de déchargement durait environ 4 ou 5 minutes. Il pouvait y avoir parfois 14 ou 15 camions qui attendaient d’être déchargés. Après le déchargement, il devait grimper sur la remorque et recouvrir les copeaux d’une bâche de protection afin d’éviter que ceux- ci ne partent au vent sur la route. Il pouvait effectuer cette opération en trois ou quatre minutes.

M. Erickson, en réponse à des questions posées par l’avocat de la compagnie mise en cause, a expliqué qu’il a commencé à conduire à l’âge de 15 ans. Il a débuté par des tracteurs sur une ferme, des camionnettes surbaissées et des camionnettes fermées puis des camions de transport de billots et finalement des camions de déchargement. Il a obtenu son permis de conduire de classe 1 ou l’équivalent en 1961 ou en 1962 après avoir passé avec succès les examens écrits et pratiques prévus à cette fin. Ce permis l’autorise à conduire des camions lourds sur les routes de la province.

Le permis de classe 1 que détient présentement M. Erickson ne lui permet pas de conduire une voiture taxi ou un autobus. La restriction no 24 applicable aux permis de conduire exige que le titulaire conduise avec une prothèse auditive approuvée mais, fait assez intéressant, cette restriction ne s’applique pas au permis détenu par M. Erickson. Il croit comprendre que le permis qu’il détient légalement l’autorise à conduire des véhicules commerciaux, y compris des camions lourds, sur les routes de la province.

En ce qui a trait au revenu touché par M. Erickson, la preuve déposée révèle qu’en 1981 ses revenus totaux se sont élevés à 15 081,76 $; en 1982, ils on t été de 16 127,24 en 1983, de 12 683,43 $; en 1984, de 35 722,00 enfin, en 1985, ses revenus ont été de 35 757,77 ce qui représente, selon mes calculs, la somme totale de 115 372,01 $ au cours des cinq dernières années.

Certains éléments de preuve ont été déposés concernant les avantages comparatifs du régime de retraite de C. P. Transport et du régime de l’I. W. A. Union, mais aucun chiffre précis à ce sujet n’a été présenté. M. Erickson semblait croire que le régime de retraite de C. P. Transport était plus intéressant. Il était aussi d’avis que, nonobstant la difficile période économique qu’a traversée la province récemment, il se serait senti plus en sécurité s’il était demeuré aux services de la compagnie mise en cause après avoir été engagé par celle- ci en septembre 1981. Il croit que les dispositions relatives à l’ancienneté de sa convention collective lui aurait permis de conserver son emploi durant ces années difficiles.

Il a été interrogé en profondeur par l’avocat de la compagnie mise en cause au sujet des armes 7 mm Magnum et 300 Savage avec lesquelles il chasse. En résumé, il semble que le 7 mm Magnum soit une arme dont la détonation est très bruyante mais que le bruit ne le dérange pas au point de l’obliger à fermer sa prothèse auditive.

Le témoin suivant a été M. David Bellaire qui demeure présentement à Evanston (Illinois) et qui a travaillé un certain temps pour le ministère de la Santé de la Colombie- Britannique. M. Bellaire s’est joint au Ministère pendant une courte période de quatre mois pour aider à l’élaboration du Speech and Hearing Program de cette province. Il a quitté ce poste pour devenir membre de la faculté de médecine de l’Université Northwestern, dont il détient une maîtrise en audiologie. Il est revenu travailler à son ancien ministère en juin 1979 en tant que spécialiste et coordonnateur clinique en audiologie de divers districts de santé. Il a aussi occupé à ce moment- là un poste à l’Université de la Colombie- Britannique en tant qu’auxiliaire clinique des membres de la Faculté. Il est retourné aux États- Unis en 1984 et a mené des consultations à titre privé pour des organismes intéressés par la médecine dans le domaine de la réhabilitation. La carrière universitaire de M. Bellaire a débuté par l’obtention d’un baccalauréat de l’Université d’État de New York en 1974. Il a par la suite étudié à la faculté de médecine de l’Université Northwestern et obtenu une maîtrise en audiologie avec concentration en neurophysiologie auditive et en ingénierie médicale pour se spécialiser dans le domaine du développement de prothèses auditives ou d’appareils auditifs.

Il ne lui reste plus qu’à terminer la rédaction de sa thèse en neurophysiologie auditive pour obtenir un doctorat. Il a publié de 16 à 18 communications dans les domaines de la neurophysiologie auditive, des appareils auditifs et de leur application. Il est membre de la faculté de médecine de l’Université Northwestern ainsi que conférencier jouissant de tous les privilèges, ce qui lui a permis d’effectuer d’importantes recherches, d’enseigner et de publier de nombreuses communications. Il a également mérité à deux occasions le Présidential Award pour ses recherches sur la déficience physique et pour les services rendus aux handicapés.

En 1984, il est retourné aux États- Unis où il a mené des consultations à titre privé avec des organismes et des organisations oeuvrant dans le domaine de la réhabilitation. Il a obtenu une maîtrise en gestion des affaires de l’Université Northwestern en juin 1986.

Dans son témoignage, auquel je me reporterai souvent, M. Bellaire se décrit comme un spécialiste de l’otologie et des troubles auditifs. Il a fait clairement comprendre que ses compétences portent sur les diagnostics non médicaux des faiblesses auditives et sur les solutions non médicales visant à atténuer ces faiblesses par le biais de divers appareils et prothèses.

(a) L’ouïe

Il a été demandé à M. Bellaire de quelle façon nous entendons les sons. Un son, selon lui, se mesure en décibels. Un décibel n’est pas une mesure physique, mais plutôt un rapport logarithmique entre deux pressions ou forces qui peuvent être physiquement définies en relation avec le son. Les pressions sont définies en dynes par centimètre carré.

Le système auditif humain n’a pas la même sensibilité à toutes les pressions sonores et, en fait, ne réagit qu’à une gamme limitée de sons. M. Bellaire a expliqué de quelle façon nous entendons les sons, qui sont en quelque sorte des perturbations physiques dans l’air, semblables aux ondulations que l’on peut voir sur un étang. Les sons peuvent avoir des fréquences (hauteurs) différentes et des intensités variables. Certains sons sont imperceptibles pour l’oreille humaine. Un son grave, comme le bruit d’un moteur, a une longueur d’onde très large qui est mesurée en cycles par seconde ou en hertz (Hz). Les sons nous atteignent avec diverses intensités et, en conséquence, selon M. Bellaire, chaque fréquence à laquelle nous sommes exposés peut aussi avoir différentes intensités.

Il a expliqué que les pertes auditives prennent diverses formes. Il peut s’agir d’une perte de la sensibilité auditive, de l’ouïe, ou de la capacité à détecter la présence d’une fréquence quelconque. Il peut aussi s’agir d’une perte de la capacité à distinguer clairement un son d’un autre. Selon lui, la personne entend les sons de la parole ou d’autres sons, mais est incapable de distinguer correctement ce son d’un autre son. En conséquence, ce sont les deux principales composantes auxquelles nous nous reportons habituellement lorsque nous parlons de l’ouïe..

Un appareil électronique appelé audiomètre est utilisé pour mesurer la sensibilité auditive et pour déterminer les caractéristiques du système auditif humain. Cet appareil est capable de générer divers sons ou signaux sonores purs ainsi qu’une variété de bruits différents.

Il a expliqué qu’aux fins des normes d’octroi des permis de conduire, afin de quantifier les pertes auditives, l’unité de mesure utilisée est le décibel. Il est ainsi possible de déterminer l’ampleur ou la gravité de la perte auditive et de comparer selon des normes internationalement reconnues la sensibilité auditive (c’est- à- dire la capacité à percevoir un son) d’une personne ayant des troubles auditifs avec celles d’une autre personne ayant une sensibilité normale. Selon M. Bellaire, l’évaluation d’un grand nombre de sujets a permis d’établir des normes reconnues, et à une fréquence particulière, une personne entendant normalement n’entend aucun son à 0 décibel. Par exemple, à une fréquence précise, une personne ayant une ouïe normale commence à entendre un son à 0 décibel. De 0 à 25 décibels, nous pouvons toujours parler d’une sensibilité auditive normale, pour une fréquence précise. De 25 à 40 décibels, à la même fréquence, on parle d’une faible perte auditive. Par conséquent, plus l’intensité sonore doit être élevée pour que la personne entende, plus la perte auditive est grave.

( b) Appareils auditifs (voir aussi les pages)

M. Bellaire a décrit en détail les appareils auditifs et leurs fonctions. Je pense qu’il serait utile de citer textuellement son témoignage en commençant à la page 137 de la transcription.

"Q Pourriez- vous décrire la fonction d’un appareil auditif? R Vous désirez savoir ce que fait un appareil? Q Qui. R Un appareil auditif aide une personne à entendre. Ses utilisateurs sont les personnes qui souffrent d’une sensibilité auditive affaiblie, dont les causes peuvent être très nombreuses. La principale fonction d’un tel appareil, en termes très généraux, est d’amplifier les sons.

Traditionnellement, les appareils auditifs ont été des amplificateurs et uniquement cela. Ils ont été conçus pour recevoir une large éventail de sons, les acheminer avec une amplitude accrue dans l’oreille d’une personne pour tenter de compenser la perte de sensibilité, la perte de capacité auditive, dont la personne souffre.

De nombreux problèmes surviennent lorsqu’on utilise un appareil auditif traditionnel pour compenser diverses formes de pertes auditives, et cela a motivé les spécialistes des systèmes d’amplification sélective grâce auxquels une certaine gamme de fréquences ou de sons sont amplifiés à divers degrés pour répondre aux besoins particuliers de chaque individu.

Divers mécanismes de protection contre une surexposition à des sons intenses peuvent être installés. L’argument que l’on entend le plus souvent et qui, selon moi, est complètement absurde, est qu’une personne qui porte une prothèse auditive ne peut travailler dans un milieu bruyant parce que le bruit ambiant ou extérieur est acheminé à l’intérieur de la prothèse auditive et est amplifié de la même façon que des sons d’avertissement, le son de la parole ou d’autres signaux importants. Cet argument n’est valable que pour les prothèses auditives classiques. Il ne s’applique aucunement pour divers types d’autres appareils qui ont un certain nombre de contrôles d’entrée et de sortie, ou d’autres formes de dispositifs techniques destinés à protéger le porteur de la prothèse contre une surexposition aux sons.

En conséquence, les prothèses auditives ne font pas simplement qu’amplifier les sons, c’est ce que je tente de vous expliquer.

Q Vous voulez dire que certains appareils auditifs peuvent bloquer certains sons dont l’intensité est trop élevée?

R C’est juste. Lorsque nous installons une prothèse auditive sur une oreille abimée, nous veillons à ne pas causer de plus grands dommages au système auditif par suite d’une surexposition aux bruits. Nous ne voulons pas qu’une personne qui a un problème de tolérance à l’intensité des sons et qui porte une prothèse auditive soit exposée à une explosion sonore qui est déjà trop bruyante pour quiconque."

En ce qui a trait aux stimuli sonores indésirables, je me reporte au témoignage de M. Bellaire, à la page 139 de la transcription.

"Q Vous affirmez que ces types d’appareils auditifs bloquent les stimuli sonores indésirables. Ces derniers sont- ils éliminés ou réduits en ondes sonores toujours audibles?

R Je ne suis pas certain si je comprends bien votre question mais je vais tenter d’y répondre. Il y a certain types d’appareils auditifs, et je ne veux pas dire qu’ils sont tous de ce type, cela n’est qu’un exemple, qui réduiront le niveau d’amplification de ces stimuli sonores à zéro lorsque exposés à des bruits de forte intensité.

Par conséquent, l’individu qui porte un appareil auditif n’est pas exposé à une intensité sonore plus grande que vous ou moi si nous étions dans la même situation.

Q Est- ce que les sons qui atteignent l’oreille seraient audibles?

R Ils devraient être audibles. Ils seraient audibles s’il s’agissait de sons de haute intensité. Nous voulons que les sons soient audibles à un niveau appropriée. Nous ne désirons pas, cependant, que ces sons soient nécessairement plus bruyants. S’ils sont déjà plus qu’audibles, plus bruyants qu’il ne le faut pour une personne ayant des problèmes d’audition, alors pourquoi exposer cette personne à une amplification sonore accrue.

Q En conséquence, si les sons sont audibles, ils ne seront pas amplifiés par l’appareil auditif?

R Ils peuvent être amplifiés mais à un niveau moins élevé. Il existe un certain nombre de mécanismes électroniques que nous installons à l’intérieur d’un appareil de ce type pour empêcher qu’une oreille abimée ne soit exposée à des sons potentiellement dangereux."

M. Bellaire a été interrogé sur la conception des appareils auditifs et sur la possibilité que l’utilisation de tels appareils réduise la capacité à localiser la provenance d’un son. Je me reporte une autre fois au témoignage de M. Bellaire, à la page 141 de la transcription : Comme je l’ai mentionné précédemment, les appareils auditifs peuvent être conçus sur mesure pour répondre aux besoins particuliers de l’utilisateur. Ils peuvent être conçus de façon à amplifier certains sons à divers degrés d’amplitude, le tout dépendant des dispositifs d’entrée ou de sortie de la prothèse auditive.

Q Est- ce que l’utilisation d’une prothèse auditive réduit la capacité à localiser la provenance d’un son?

R La prothèse ne permettra peut- être pas d’améliorer cette faculté, mais je doute qu’elle la détériore. Cela dépend de l’application, de la gravité de la perte auditive et d’autres facteurs, mais je doute sérieusement qu’il soit jamais démontré qu’une prothèse auditive diminue la capacité à déterminer la provenance d’un son.

L’avocat de la Commission a par la suite demandé si un appareil électronique comme une prothèse auditive peut mal fonctionner. M. Bellaire a répondu par l’affirmative, mais il a indiqué que si l’appareil a été correctement conçu, s’il est entretenu de façon appropriée et si son utilisateur est bien informé sur le mode de fonctionnement de l’appareil et y apporte les ajustements nécessaires, alors le mauvais fonctionnement sera constaté immédiatement. Il a été demandé à M. Bellaire comment l’utilisateur peut constater que le fonctionnement de l’appareil est défectueux ou que la pile est à plat. Je me reporte une autre fois directement à son témoignage (page 143 de la transcription) :

"R Il y a un certain nombre de moyens de déterminer si l’appareil auditif est défectueux. Cela est très semblable à la façon dont nous pourrions reconnaître un mauvais fonctionnement de notre système auditif. Vous constatez une perte auditive, une baisse de la capacité à entendre et à communiquer, et vous pouvez entendre un certain nombre de bruits ou de sons discordants. Vous pouvez constatez une détérioration de la qualité du son et de la capacité à distinguer les sons. Vous pouvez entendre un certain nombre de sons ou de bruits stridents qui indiquent que la pile ne fournit plus suffisamment d’énergie."

Selon M. Bellaire, si la prothèse auditive est correctement ajustée aux besoins de l’utilisateur, il ne sera pas nécessaire pour ce dernier de la fermer. Lorsqu’il le faut, c’est probablement que la prothèse a été mal conçue ou mal ajustée.

M. Bellaire ne connaît aucune publication professionnelle qui appuierait l’hypothèse selon laquelle les utilisateurs d’appareils auditifs sont plus sujets que d’autres à des accidents de la route. (

c) Audiogrammes

M. Bellaire a fait passer des tests auditifs au plaignant, M. Erickson, à plusieurs occasions et, en particulier, le 11 décembre 1981 et le 3 décembre 1982. Leurs résultats, déposés en preuve, consistent en des audiogrammes datés du 11 décembre 1981 (élément de preuve du plaignant no 11) et du 3 décembre 1982 (élément de preuve du plaignant no 4). Trois autres audiogrammes ont aussi été déposés, soit les résultats de tests que d’autres spécialistes ont fait passer au plaignant. J’entends me reporter aux cinq audiogrammes et les reproduire car ceux- ci ainsi que les résultats des tests constituent une partie importante de la preuve.

M. Bellaire a rencontré M. Erickson pour la première fois à la fin de l’automne de 1980; ce dernier se demandait alors où se procurer des pièces ou des services d’entretien pour sa prothèse auditive. A ce moment- là, M. Bellaire était responsable d’une clinique qu’il avait lui- même ouverte à Nanaimo pour desservir le centre de l’île de Vancouver. M. Erickson demeurait à Nanaimo et, en conséquence, son dossier avait été transféré de Victoria à Nanaimo et porté à l’attention de M. Bellaire par les voies habituelles. Selon M. Bellaire, la seconde rencontre avec M. Erickson a eu lieu en 1981. Il a alors fait passer au plaignant un test auditif dont les résultats sont l’audiogramme du 11 décembre 1981 (élément de preuve du plaignant R- 11). M. Bellaire a décrit de façon détaillée comment il a effectué ce test auditif, qu’il décrit comme étant une réévaluation de la capacité auditive du plaignant car ce dernier avait déjà été examiné par un spécialiste d’une clinique du ministère de la Santé de la Colombie- Britannique. M. Bellaire a expliqué en être venu à la conclusion que la sensibilité auditive de M. Erickson avec l’aide d’un appareil auditif pourrait être considérée comme étant presque normale.

M. Erickson a été examiné à nouveau le 3 octobre 1985 et les résultats de cet examen auditif sont présentés sous forme d’un audiogramme (élément de preuve du plaignant no 6). Selon M. Bellaire, les données obtenues en octobre 1985 ne sont pas, sur le plan clinique ou statistique, très différentes de celles qu’il a obtenues en décembre 1982 et les différences constatées sont normales et peuvent être attribuables à des variations dans l’attention de l’examinateur ou, ce qui est plus fréquent, dans l’attention et la concentration du sujet. De nombreux facteurs extérieurs peuvent influencer la concentration du sujet, y compris sont état de santé au moment de l’examen, la fatigue, la consommation d’une trop grande quantité de café, etc. En d’autres mots, selon M. Bellaire, il faut s’attendre à ce qu’il y ait de légères variations.

A l’exception d’un audiogramme fait en février 1983 (élément de preuve du plaignant no 5), les tests passés par M. Erickson et incorporés sous forme d’audiogrammes dont M. Bellaire a fait mention, ne comportent aucune variation importante, sauf celles qu’on pourrait constater chez une personne ayant une sensibilité auditive normale. Lorsqu’il lui a été demandé de présenter des observations sur les résultats de l’examen de février 1983, M. Bellaire a déclaré ce qui suit (page 159 de la transcription) :

... La seule observation que je désire faire est qu’il y a des détériorations apparentes à certaines fréquences qui ont été constatées dans le test de février 1983 par rapport aux résultats obtenus en décembre 1982. Cela est assez surprenant pour moi, en ce sens que la sensibilité auditive du sujet ou sa capacité à détecter les sons était demeurée stable au cours des années, du moins depuis qu’elle est évaluée par le ministère de la Santé de la Colombie- Britannique, c’est- à- dire depuis 1978 ou 1979.

Soudainement, nous avons en main les résultats d’un test qui laissent entendre qu’il y a eu une plus grande détérioration de la sensibilité auditive dans l’oreille droite de M. Erickson que dans l’oreille gauche. Je considère qu’il n’y a aucune preuve clinique permettant de déclarer qu’il y a effectivement eu détérioration de la capacité auditive et, compte tenu de ce que je sais sur la façon dont ce test a été effectué, je serais porté à douter de la validité de celui- ci."

Selon M. Bellaire, la détérioration de la sensibilité auditive révélée par l’audiogramme de 1983 est infirmée par - le test d’octobre 1985. Deux facteurs, à son avis, peuvent expliquer ces résultats différents : d’abord une fluctuation de la capacité auditive, à l’égard de laquelle le manque de données empêche de donner une opinion clinique, ou encore un mauvais rhume, ce qui peut causer une légère déficience auditive. Il conclut en déclarant :

"Étant donné son dossier médical, j’entends par là tous les renseignements que j’ai pu obtenir de l’oto- rhino- laryngologiste traitant, je peux affirmer que ce dernier a une oreille en santé sur le plan clinique. Son dossier médical ne fait mention d’aucune pathologie de l’oreille ou fluctuation de sa capacité auditive au cours des années.

En conséquence, je suis porté à croire, en regardant ce tableau et en m’appuyant sur certains renseignements connexes concernant ce dossier, que les résultats de cet examen auditif ne reflètent pas avec précision la véritable capacité auditive de M. Erickson à ce moment- là.

Q Vous parlez du test de février 1983?

R C’est juste. Afin de pouvoir évaluer et comprendre le témoignage de M. Bellaire, il est nécessaire de reproduire les audiogrammes dont il a fait mention au cours des procédures. Je reproduis donc les audiogrammes par ordre chronologique sur la page suivante en commençant par l’audiogramme du 4 septembre 1979 et en terminant par celui du 3 octobre 1985.

Les numéros des éléments de preuve sont indiqués dans le coin supérieur droit de chaque audiogramme reproduit. La partie supérieure de l’évaluation auditive porte le nom de la personne évaluée, son âge, son sexe, etc., ainsi que la date à laquelle le test a été effectué. Les mots re- eval figurent à la dernière ligne, ce qui indique que le sujet a antérieurement passé un test auditif et que l’audiogramme est une réévaluation. On aperçoit du côté droit du graphique des chiffres qui sont en fait des niveaux de référence. M. Bellaire a expliqué que ces niveaux de référence sont des normes de calibrage rigoureuses et internationalement reconnues auxquelles on soumet le matériel d’évaluation régulièrement pour s’assurer que les données recueillies représentent la capacité auditive réelle de la personne examinée. Le mot audiométer désigne l’appareil utilisé pour évaluer la sensibilité auditive. Dans la case intitulée responses, l’examinateur indique le degré de validité et de fiabilité des réponses fournies par le sujet de l’examen. Par exemple, si l’examinateur a l’impression que le sujet tente de feindre une perte auditive, il indiquera que la réponse n’est pas cohérente ou n’a pas été donnée rapidement.

Le graphique et les données qui y figurent constituent l’audiogramme. On constate qu’il a des chiffres sur les axes du graphique. Sur l’axe horizontal sont indiquées les, fréquences sonores mesurées en hertz (de 125 à 8 000 Hz). M. Bellaire a expliqué qu’on examine régulièrement et, tout particulièrement s’il s’agit d’une réévaluation, la sensibilité auditive du sujet à divers niveaux de fréquence.

Les chiffres représentant la fréquence mesurée en hertz concernent les différentes hauteurs des sons. Par exemple, une fréquence de 125 Hz correspondrait au son d’une corne de brume; une fréquence de 8 000 Hz correspondrait au cri stident d’un oiseau. M. Bellaire a expliqué que les fréquences qui sont importantes pour la perception et la compréhension de la parole varient entre 500 Hz et 3 000 Hz, 500 Hz représentant le son des voyelles et les fréquences plus élevées (environ 3 000 Hz) correspondant aux sons fricatifs et sibilants de la parole.

Sur l’axe vertical du graphique, où il est indiqué hearing threshold level in decibels (seuil d’audibilité en décibels), on voit une série de chiffres qui sont en fait une mesure en décibels de l’intensité ou du volume acoustique. Plus la fréquence s’élève, plus il est nécessaire que l’intensité sonore soit élevée pour que le sujet réagisse au son qui lui est présenté.

Les indications sur le graphique représentent ainsi la sensibilité auditive réelle du sujet ou sa capacité à réagir à diverses fréquences selon diverses intensités sonores.

L’oreille droite est représentée par un cercle et gauche par un X. On voit sur le graphique un cercle au niveau 40 db, à un fréquence de 250 Hz. Cela indique que le sujet, de façon habituelle, réagit à peine à la sensation ou au signal sonore ayant cette intensité et cette fréquence. Il s’agit donc du seuil d’audibilité de l’oreille droite de ce sujet.

On voit également sur le graphique une série de marques sous forme de flèche qui décrivent une courbe descendante de 250 Hz à 4 000 Hz. Ces marques correspondent à une mesure de la conduction osseuse, ce qui est une autre façon de mesurer la sensibilité auditive. Au- dessus de ces flèches ou chevrons, on voit une série de s reliés par une ligne pointillée qui sont en fait des données intéressant les spécialistes du domaine de l’audiologie prothétique. Pour les obtenir, il est nécessaire que le sujet porte sa prothèse auditive dont il aura ajusté le volume sonore à un niveau satisfaisant et que l’examinateur utilise un appareil pour accroître sa capacité auditive. Ces marques représentent une ouïe plus sensible.

Du côté droit du graphique, dans une case intitulée PTA, on trouve sur les rapports des 11 décembre 1981 et du 3 décembre 1982 des données en décibels pour les deux oreilles qui ont été recueillies par M. Bellaire. Il ne semble y avoir aucune donnée à cet égard dans les audiogrammes du 4 septembre 1979, du 2 février 1983 et du 3 octobre 1985.

Dans la partie inférieure de l’audiogramme, il y a des données concernant la sensibilité auditive, la clarté de la perception sonore et la capacité à comprendre la parole.

Ces données figurent à côté des termes speech audiometry (audiométrie vocale). Du côté gauche, des renseignements sont donnés sur le matériel et les mesures utilisées par l’examinateur pour obtenir les résultats qui figurent dans les deux autres colonnes de données concernant l’oreille gauche et l’oreille droite. Les données sur le seuil d’audibilité de la parole dans les deux oreilles sont exprimées en décibels, et comme M. Bellaire l’a expliqué, l’examinateur s’assure que les données recueillies sont compatibles avec celles qu’ont donné d’autres mesures de la sensibilité auditive. Il s’agit en fait d’un test pour s’assurer de la validité des données obtenues. En dessous de ces données et en face de la case intitulée Speech discrimination (acuité auditive) sont présentés des renseignements très importants concernant la perception des sons de la parole. L’examinateur présente au sujet un certain nombre de mots monosyllabiques qui sont phonétiquement équilibrés (des mots qui existent véritablement dans la langue anglaise). Ces mots sont présentés au sujet pour déterminer sa capacité à différencier des sons comme bee et pea, me et knee et ainsi de suite.

Comme il a été indiqué précédemment, M. Bellaire était d’avis, après avoir examiné les différents tests auditifs déposés en preuve, que les données qu’ils contiennent, à l’exception d’un seul, étaient compatibles avec les résultats de ses deux tests, à savoir ceux du 11 décembre 1981 et du 3 décembre 1982. Il a déclaré que l’oreille droite de M. Erickson réagit à peine de façon uniforme à un signal sonore d’une fréquence de 250 Hz et d’une intensité sonore de 40 db. Cela représente donc le seuil d’audibilité de l’oreille droite. Quant à l’oreille gauche, ce seuil se situe également à 250 Hz mais à une intensité sonore supérieure, à savoir 45 db. Avec l’aide de sa prothèse auditive (les s), on constate qu’il y a une amélioration de la sensibilité auditive de M. Erickson, laquelle, de l’avis de M. Bellaire, est alors presque normale. En ce qui a trait aux données recueillies par M. Bellaire concernant la sensibilité auditive et la perception et la compréhension de la parole dans les deux oreilles, elles révèlent que le seuil de réception auditive se situe à 52 db. Selon M. Bellaire, la performance auditive de M. Erickson à cet égard est étonnamment bonne, compte tenu de sa perte de sensibilité auditive. Il déclare ce qui suit à la page 155 de la transcription :

"en dépit de la perte de sensibilité auditive, nous pouvons présenté à M. Erickson des mots à une certaine intensité sonore qu’il perçoit ou comprend extrêmement bien, et cela se reflète dans les résultats obtenus à savoir, 96 % et 100 % d’efficacité pour l’oreille gauche et droite respectivement."

Au cours du contre- interrogatoire, M. Bellaire a été interrogé au sujet de l’évaluation auditive du 11 décembre 1981. Il a indiqué que les marques sur les graphiques, les cercles et les X pour l’oreille droite et gauche respectivement, correspondent à des augmentations d’intensité sonore de cinq décibels et a défini le seuil d’audibilité d’un sujet comme étant le niveau auquel il réagit au moins un fois sur deux à un son particulier qui lui est présenté.

En ce qui a trait au seuil de réception auditive de M. Erickson, M. Bellaire a déterminé qu’il se situait à 52 db PA. Au cours de son examen auditif, M. Erickson a aussi passé un test (masquage des décibels) particulier qui vise à déterminer s’il y a des différences importantes sur le plan de la capacité neuro- sensorielle entre les deux oreilles. Les résultats de ce test ont permis à M. Bellaire de conclure qu’il n’y avait aucune différence importante sur ce plan.

M. Bellaire a été interrogé au sujet des bruits de fond dans la cabine d’un camion. Je crois pertinent de reproduire textuellement les questions et les réponses à cet égard (page 217 et 218 de la transcription) :

"Q Vous avez utilisé des bruits de fond au cours de ce test, et je pense que vous en avez également parlé hier et ce matin au cours de votre témoignage. Il s’agit bien de bruits de fond dans la cabine d’un camion?

R C’est juste.

Q Avez- vous fait des tests à cet égard? Y avait- il des renseignements à ce sujet dans l’élément de preuve R- 11 (test auditif)? Avez- vous utilisé des bruits de fond lors de ce test pour déterminer la capacité auditive de M. Erickson dans de telles conditions?

R Lors de cet examen particulier, je n’ai pas utilisé de bruits de fond. Cependant, au cours d’un autre test qui s’est déroulé également le 11 décembre 1981, dont vous avez copie, je crois, même si ce document (feuille audiométrique) n’a pas encore été déposé en preuve, j’ai fait passer un examen auditif particulier à M. Erickson au cours duquel j’ai évalué sa capacité auditive dans diverses situations simulées, dont certaines avec des bruits de fond, lorsqu’il porte sa prothèse.

Q Qu’avez- vous constaté?

R J’ai constaté le 11 décembre 1981 qu’à un niveau sonore normal et avec l’aide de sa prothèse auditive, en présence de bruits de fond d’intensité sonore équivalente ...

Q Je m’excuse, mais vous avez bien dit avec l’aide de sa prothèse, vous voulez dire qu’il la portait?

R Lorsqu’il portait sa prothèse auditive, en présence de bruits de fond d’intensité sonore équivalente, il était capable de réagir aux stimuli sonores de la conversation sans autres signaux, à savoir sans signaux visuels ou tactiles, dans une proportion de 80 % ou plus des cas.

M. Bellaire a pu déterminer, au moyen de sons monosyllabiques, que le niveau optimal d’audibilité sonore de M. Erickson, lorsqu’il ne porte pas sa prothèse auditive, se situe à 82 décibels (intensité sonore peu réaliste); son rendement est alors de 100 % pour l’oreille droite et de 96 % pour l’oreille gauche. M. Bellaire a expliqué qu’il a alors préparé, conçu et ajusté une prothèse auditive qui permet de maximiser la sensibilité auditive de M. Erickson de façon à ce qu’il ait le même rendement lors d’un test équivalent ou de tests dont le niveau de difficulté est équivalent. M. Bellaire a indiqué que le rendement auditif de M. Erickson lorsqu’il porte sa prothèse est de 88 à 90 % sans bruit de fond et de 80 % avec des bruits de fond d’intensité sonore équivalente.

En dépit de la piètre qualité des audiogrammes déposés en preuve, il est possible de résumer les résultats des tests effectués à différents moments par M. Bellaire et d’autres spécialistes. Les graphiques des audiogrammes peuvent se résumer ainsi :

500 Hz 1 000 Hz 2 000 Hz Moyenne Le 14 septembre 1979 (Élément de preuve R- 2) - Oreille droite

- Oreille gauche Le 11 décembre 1981 (Élément de preuve R- 11) - Oreille droite - Oreille gauche

Le 3 décembre 1982 (Élément de preuve R- 4) - Oreille droite - Oreille gauche

Le 15 février 1983 (Élément de preuve R- 5) - Oreille droite - Oreille gauche

Le 3 octobre 1985 (Élément de preuve R- 6) - Oreille droite - Oreille gauche

Il est intéressant de noter que la perte auditive la plus importante a été constatée lors de l’examen du 15 février 1983 (élément de preuve R- 5). M. Bellaire, cependant, a exprimé des réserves à l’égard de ces résultats. Il semble que ce test ait été mené par M. Eric Rueben à la demande de la compagnie mise en cause. La perte auditive moyenne pour l’oreille droite, selon les résultats de ce test, serait de 55 décibels. Pour l’oreille gauche, elle serait de 58 décibels. Si l’on fait abstraction du test du 15 février 1983, la perte moyenne de sensibilité auditive est de 53,7 décibels pour l’oreille droite et de 57 décibels pour l’oreille gauche.

En ce qui a trait aux résultats du test effectué le 3 octobre 1985, l’avocat de la compagnie mis en cause a demandé à M. Bellaire pourquoi la perte de sensibilité auditive a été la même dans les deux oreilles aux trois niveaux de fréquence (à savoir 50 décibels à une fréquence de 500 Hz; 60 décibels à une fréquence de 1 000 Hz et également 60 décibels à 2 000 Hz) alors qu’il y avait une différence selon les tests antérieurs. M. Bellaire a expliqué que la similarité des résultats de test du 3 octobre 1985 à cet égard n’est pas habituelle mais qu’elle n’a rien de tellement surprenant, et qu’elle peut être expliquée par certains facteurs qu’il a déjà mentionnés, des variations dans un sens ou dans l’autre de dix décibels ne sont pas à ce point significatives. Interrogé plus avant à cet égard, M. Bellaire a présenté les explications suivantes (page 228 de la transcription).

"Q Affirmez- vous que l’on peut retrouver l’ouïe après l’avoir perdue?

R Non. Je veux plutôt dire qu’il existe certains facteurs qui influent sur la fiabilité et ont des répercussions sur la capacité d’une personne à réagir aux stimuli sonores présentés dans certaines conditions. Une personne peut être examinée un jour à 8 h 30 le matin, et un mois plus tard être examinée en fin d’après- midi, après une dure journée de travail. La fatigue, le manque de concentration et d’autres facteurs auront toujours dans une certaine mesure une influence sur le rendement auditif."

M. Bellaire a été interrogé en long et en large sur le fonctionnement des appareils auditifs actuels, sur leur efficacité et leurs caractéristiques. Son témoignage à ce sujet peut être résumé de la façon suivante :

  1. Les appareils auditifs sont conçus de façon accroître de façon sélective l’intensité d’un son selon des fréquences variables (en hertz ou en cycles) lorsque la perte auditive est modérée. Par exemple, il est possible, selon M. Bellaire, de fournir une amplification sélective à 2 000 cycles et une amplification négligeable à 1 000 cycles ou moins et cela peut être fait pour plusieurs fréquences différentes pour un même appareil.
  2. L’appareil peut réduire ou accroître de façon sélective les fréquences au moyen de ce qui est décrit comme étant un dispositif de contrôle des gains acoustiques. La prothèse peut donc amplifier des fréquences particulières pour répondre à des besoins précis.
  3. L’appareil de M. Erickson lui procure des gains acoustiques ou une suramplification aux trois niveaux de fréquence suivants à savoir 500, 1 000 et 2 000 Hz. Lorsque le volume sonore est augmenté ou diminué, les trois niveaux de fréquence s’en trouvent modifiés proportionnellement.
  4. Chaque prothèse auditive, y compris celle de M. Erickson, comporte ce qui est décrit comme étant un système d’écretage qui empêche automatiquement que dés explosions sonores soudaines ou des sons trop bruyants ne soient amplifiés. La prothèse auditive de M. Erickson comporte également un autre dispositif qui est décrit comme étant un régulateur de niveau de pression. Ce dispositif entre en action très rapidement avant même que le point de saturation de l’amplificateur ne soit atteint pour ainsi empêcher que des sons trop bruyants (comme la détonation d’une arme à feu) ne soient amplifiés et ainsi blessent l’oreille. En l’espace de quelques millièmes de seconde, le volume sonore ou le gain acoustique est diminué.

( d) Lignes directrices à l’intention des médecins

L’avocat de la compagnie mise en cause a présenté et déposé en preuve deux publications publiées par la British Columbia Médical Association en 1978 et 1982 et intitulées Guide for Physicians in Determining Fitness to Drive a Motor Vehicle (Guide à l’intention des médecins pour déterminer l’aptitude à conduire un véhicule automobile). Ces publications ont été imprimées et distribuées par le ministère des Transports de la province pour venir en aide aux médecins de la Colombie- Britannique ayant à prendre des décisions en ce domaine. Il semble que ces deux publications (éléments de preuve R- 12 et R- 13) n’ont jamais été officiellement adoptées ou promulguées par le gouvernement de la province, mais on y trouve cette note Le Surintendant des véhicules automobiles a convenu d’accepter les normes recommandées dans le présent Guide pour déterminer si le requérant d’un permis de conduire est habilité médicalement à conduire un véhicule automobile. Dans la publication de 1978 (élément de preuve R- 12), la question de l’ouïe est traitée à la page 15, du paragraphe 3.0 à 3.3 inclusivement. Dans la publication de 1982, cette question est aussi traitée à la page 15, du paragraphe 3.0 à 3.3 inclusivement, mais de façon plus détaillée.

M. Bellaire a été interrogé au sujet des déclarations concernant l’ouïe qui figurent dans les deux guides. M. Bellaire a travaillé pour le ministère de la Santé de la province et avait pour responsabilité de faire passer des tests auditifs aux personnes désirant obtenir un permis de conduire ou un renouvellement de leur permis que lui envoyait la Direction des véhicules automobiles; il appliquait alors des normes provenant d’une directive émise par M. G. David Zinc (Director of Speech and Hearing) le 10 avril 1980 (élément de preuve C- 12). Cette note ou directive fixe la norme relative à une perte auditive corrigée pour les conducteurs d’un véhicule commercial lourd a un niveau maximal de 40 décibels à 500, 1 000 et 2 000 hertz dans une oreille.

En ce qui a trait aux prothèses auditives, il est déclaré ce qui suit au paragraphe 3.3, page 2 de la note :

"Nous sommes d’avis qu’il y a eu une telle amélioration de la qualité et de la fiabilité des prothèses auditives qu’une prothèse bien choisie et bien ajustée peut être maintenant utilisée pour porter la capacité auditive d’un chauffeur au niveau minimal requis sur le plan de la sécurité."

Ce sont les normes qu’a utilisées M. Bellaire le 11 décembre 1981 pour déterminer que M. Erickson était apte à conduire des véhicules commerciaux lourds. Ce dernier dépassait alors les normes concernant une perte auditive corrigée.

Les lignes directrices de 1978 ne contiennent aucune recommandation à cet égard mais elles fixent des normes concernant une perte auditive non corrigée par une prothèse (paragraphe 3.2)

"Une perte auditive moyenne supérieure à 40 décibels dans les deux oreilles est importante si le requérant conduit un véhicule lourd de transport commercial."

Les guides de 1978 et de 1982 s’interrogent sur la valeur d’une prothèse auditive pour améliorer l’ouïe d’un chauffeur de véhicule commercial lourd et bruyant et concluent en déclarant que dans le cas des chauffeurs d’autobus et de véhicules commerciaux lourds (Permis de conduire de classe 1, 2, 3 ou 4), il ne faudrait pas que le port d’une prothèse auditive soit nécessaire pour amener leur capacité auditive à un niveau ne présentant aucun danger. Voir le paragraphe 3.3 du Guide de 1982 à l’intention des médecins.

Selon M. Bellaire, le Guide de 1978 s’inspire des normes de l’I. S. O. de 1964, lesquelles ne sont pas reconnues par l’American Council of Otolaryngology non plus que par la Société canadienne d’otolaryngologie et sont maintenant périmées. Il a été interrogé sur la valeur des audiomètres pour déterminer le degré exact de perte auditive et, en particulier, sur le paragraphe 3.1 du Guide de 1978. Il est opportun de citer textuellement les questions et réponses présentées (page 250 et 252 de la transcription).

"Q Le paragraphe 3.1 explique de quelle façon les audiogrammes devraient être faits, et il est dit à la dernière phrase : Les audiomètres utilisés par le Service de la santé publique de la province ne conviennent que pour effectuer un tamisage et non pour déterminer le degré exact de perte auditive."

Qu’en pensez- vous?

R Pas grand chose. Je veux dire, cela est évident, et nous parlons maintenant de différences d’opinions, celles des médecins par opposition à celles des audiologues, comme cela se voit entre les ophtalmologistes et les optométristes. Je m’offusque beaucoup de cela. Chaque organisme national et provincial a reconnu l’existence du Service de santé publique de la province. Dans le cas présent, on s’interroge sur la fiabilité des audiomètres utilisés par le Service de santé publique de la province et par les infirmières en santé communautaire. Les cliniques du ministère de la Santé ne sont pas visées par ces attaques. Ces cliniques n’en étaient qu’à l’étape d’un programme pilote en 1978 ou 1979.;

Il est intéressant de noter que les critiques formulées à l’égard de la fiabilité des audiomètres dans les lignes directrices de 1978 ne sont pas reprises dans la version de 1982. A noter également que le niveau autorisé de perte auditive pour les chauffeurs de véhicules commerciaux lourds a été augmenté dans le Guide de 1982. Il est passé de 40 décibels (Guide de 1978) à 55 décibels, à des fréquences moyennes de 500, 1 000 et 2 000 hertz, dans la meilleure oreille. Voir le paragraphe 3.1.3 du Guide de 1982. Je tiens à rappeler que, dans les deux cas, ce niveau s’entend sans prothèse auditive.

M. Bellaire a été interrogé par l’avocat de la compagnie mise en cause au sujet du paragraphe 3.3 du Guide de 1978 :

... Vous aviez ce Guide, pourquoi continuez- vous alors d’affirmer qu’un chauffeur peut conduire un véhicule avec une prothèse lorsque le manuel affirme le contraire?

R Je ne répondrai pas à une question qui me demande de me prononcer sur une norme de 1978. Ce que je vous ai dit plus tôt, M. Mullins, s’applique toujours. J’ai utilisé une norme de 1981. A partir des renseignements dont je disposais, je pouvais croire que la British Columbia Médical Association avait mis à jour ces normes et était plus renseignée sur la technologie des prothèses auditives, leur utilité, leur fiabilité et leur capacité dans diverses situations. Voilà pourquoi la norme a été modifiée. La norme que j’ai utilisée en 1981 ne s’inspirait pas de celle de 1978. C’est en fonction de la norme de 1981 que j’ai déclaré que M. Erickson était apte à conduire un véhicule commercial lourd."

Selon M. Bellaire, les modifications apportées au Guide de 1978 tiennent compte des réserves que la communauté médicale avait eu à l’égard de l’efficacité des appareils auditifs. Il convient que M. Erickson satisfait à peine aux normes de 1982 du Guide relatives à une perte auditive non corrigée. Les normes de 1981 autorisaient l’utilisation d’une prothèse auditive et M. Erickson, avec l’aide de sa prothèse, satisfaisait amplement à la norme de 40 décibels alors en vigueur.

Le Guide de 1978 et celui de 1982 contenaient des observations concernant le râle de l’ouïe dans la conduite d’un véhicule. Voici un extrait du paragraphe 3.0 du Guide de 1978 à cet égard :

"Une perte de sensibilité auditive est habituellement assez bien compensée puisque la plupart des personnes qui sont dures d’oreille sont très conscientes de leur déficience et tendent à être plus prudentes et alertes, et font une plus grande utilisation de leur rétroviseur qu’une personne ne souffrant pas d’un tel handicap. Il semble, cependant, à partir des renseignements disponibles, que la surdité totale s’accompagne d’un accroissement des risques d’accidents.

Voici la version modifiée du paragraphe 3.0 du Guide de 1982 : Même s’il existe relativement peu de renseignements scientifiques concernant les effets des pertes auditives sur la sécurité routière, deux études récentes menées aux États- Unis semblent indiquer que cette déficience soit la cause d’un accroissement des risques d’accidents. Malheureusement, il n’y a pas assez de données qui permettent de déterminer quelle doit être la gravité de la perte auditive avant que ne soit constatée une augmentation sensible du nombre d’accidents imputables à cette déficience."

Après avoir lu ce paragraphe à M. Bellaire, l’avocat de la compagnie mise en cause lui a demandé s’il avait consulté les deux études américaines récentes qui y sont mentionnées. M. Bellaire a expliqué qu’il a examiné en profondeur l’une des études et qu’il en est venu à la conclusion qu’elle ne contient pas suffisamment de données pour déterminer quelle doit être la gravité de la perte auditive avant qu’une augmentation sensible du nombre d’accidents imputables à cette déficience ne se produise. Il a expliqué également qu’il faut faire une distinction entre la surdité profonde et une faiblesse de la capacité auditive et qu’il y a une très grande différence entre une perte auditive de faible intensité et une perte auditive grave.

Le fait que M. Erickson n’ait aucun problème de localisation est à son avis surprenant sur le plan clinique. Deux prothèses auditives aident à restaurer ou à améliorer la capacité de localisation des personnes sans faiblesse auditive. Cependant, M. Bellaire n’a pu démontrer pourquoi il serait préférable que M. Erickson porte deux prothèses.

(e) Niveaux sonores

En ce qui a trait à l’exposition aux bruits dans la cabine d’un camion, le niveau sonore maximal autorisé, et fixé par le Worker’s Compensation Board, est de 90 décibels pendant une période de 8 heures. Se reportant au test de 1982, c’est- à- dire un effet total de 82 décibels (50 plus 32), M. Bellaire a convenu que chaque accroissement du nombre de décibels est plus important que la différence mathématique entre cette exposition sonore (82 décibels) et le niveau de 90 décibels fixé par le Worker’s Compensation Board ne le laisserait supposer puisque l’accroissement est fondé sur une échelle logarithmique. Cependant, selon M. Bellaire, toute personne, qu’elle souffre ou non d’une perte auditive, pourrait ressentir des malaises si elle était exposée continuellement pendant 8 heures à un tel bombardement sonore sans période de repos. M. Bellaire a déclaré que M. Erickson n’est pas, en pratique, exposé à une plus grande intensité sonore dans la cabine de son camion qu’un autre chauffeur sans problème auditif. A la page 269 de la transcription, M. Bellaire a été interroge au sujet des niveaux sonores que l’on peut retrouver dans la cabine d’un camion. Voici reproduites textuellement les questions et réponses à ce sujet :

"Q Affirmez- vous que si l’intensité sonore dans la cabine du camion n’était que de 10 décibels, pas 90 décibels, mais bien 10 décibels, cette intensité sonore ne s’ajouterait pas aux 82 décibels?

R Si M. Erickson était exposé dans la cabine de son camion à une intensité sonore de 10 décibels, et qu’il portait sa prothèse auditive, je dirais que l’intensité sonore à laquelle serait soumise son oreille serait d’environ 42 décibels. Je m’explique : il a une capacité auditive de 30 décibels, à cette capacité s’ajoute l’intensité sonore ambiante qui pénètre dans son appareil auditif, et ce, jusqu’à un certain point; au- delà de ce point limite, il y a compression, ce qui empêche que des sons plus bruyants n’atteignent son oreille.

Q Je vois. Nous en revenons donc au dispositif de compression sonore de la prothèse auditive?

R Oui, c’est un dispositif qui réagit au stimulus sonore d’entrée et lorsque ce stimulus atteint un certain niveau, le dispositif réduit à zéro le degré d’amplification. Par conséquent, lorsque l’intensité sonore atteint 90 ou 95 décibels, ce qui n’est pas rare dans la cabine d’un camion, le niveau de bruit auquel son oreille est exposée n’est pas en pratique plus intense que celui auquel un chauffeur sans prothèse est exposé.

La majeure partie du témoignage de M. Bellaire concernant l’efficacité des prothèses auditives contredit les renseignements du paragraphe 3.3 du Guide de 1982. J’ai décidé de reproduire tout ce paragraphe, intitulé Prothèses auditives : Les prothèses auditives sont peu utiles ou inutiles au chauffeur d’un gros autobus ou d’un camion lourd. Le niveau sonore ambiant, qui atteint souvent 80 à 100 décibels dans un véhicule propulsé par un moteur diesel, est amplifié par la prothèse auditive dans la même mesure que les sons que le chauffeur devrait pouvoir entendre et contribue à masquer ces sons si sa capacité auditive est insatisfaisante.

Il est aussi très possible que le chauffeur d’un véhicule bruyant devienne à ce point ennuyé et épuisé par l’amplification constante du bruit autour de lui qu’il en viendra à baisser le volume sonore ou à toute simplement fermer l’appareil.

Même si les prothèses auditives sont plus fiables qu’auparavant, il n’y a aucune certitude qu’elles fonctionneront toujours à pleine capacité ou que l’utilisateur aura toujours des piles de rechange.

Pour ces raisons, nous croyons que les chauffeurs d’autobus et de véhicules commerciaux lourds (Permis de conduire de classe 1, 2, 3 et 4) ne devraient pas dépendre d’une prothèse auditive pour porter leur capacité auditive à un niveau ne comportant aucun danger.

J’ai posé de nombreuses questions à M. Bellaire au sujet du paragraphe 3.3 du Guide de 1978. J’ai décidé de reproduire textuellement les questions et les réponses à ce sujet (page 277 de la transcription) :

"A la page 15, au paragraphe 3.3, des observations sont présentées au sujet des prothèses auditives, et j’aimerais obtenir vos vues à ce sujet, M. Bellaire?

R Je crois que si j’accepte ce que M. Mullins dit, et ce que le document affirme, à partir du bref examen que j’en ai fait, je peux dire que le Guide a été préparé par des médecins dont bon nombre connaissent bien peu de choses sur la conception électroacoustique d’une prothèse auditive par rapport aux spécialités en ce domaine. Par conséquent, je considère que la première affirmation qui est faite au sujet des prothèses- auditives dans le paragraphe 3.3 peut être fausse dans de nombreuses situations.

Je pense qu’il est très injuste d’affirmer que les prothèses auditives sont peu utiles ou inutiles au chauffeur d’un camion lourd ou d’un autobus. Je crois, cependant, que cela est vrai pour une prothèse standard, ce dont j’ai parlé hier, qui n’est qu’un simple amplificateur n’ayant pas certains des dispositifs de contrôle dont j’ai également parlé hier matin.

Selon moi, c’est une affirmation trop générale qui n’a pas sa place dans le texte.

"Le niveau sonore ambiant, qui atteint souvent 80 à 100 décibels dans un véhicule propulsé par un moteur diesel, est amplifié par la prothèse auditive dans la même mesure que les sons que le chauffeur devrait pouvoir entendre et contribue masquer ces sons si sa capacité auditive est insatisfaisante."

Si la prothèse auditive possède un dispositif ’de compression sonore, ou d’autres formes de mécanisme de contrôle dont j’ai déjà parlé, cette affirmation est complètement fausse.

"Il est aussi très possible que le chauffeur d’un véhicule bruyant devienne à ce point ennuyé et épuisé par l’amplification constante du bruit autour de lui qu’il en viendra à baisser le volume sonore ou à tout simplement fermer l’appareil."

Cela est une affirmation très juste, mais uniquement dans la mesure où la prothèse auditive a été mai ajustée ou ne convient pas aux besoins de son utilisateur. Une prothèse bien ajustée satisfaisant aux besoins du patient et comportant des dispositifs de contrôle ne devrait causer aucun des problèmes cités précédemment.

Même si les prothèses auditives sont plus fiables qu’auparavant ... Je suis d’accord avec cette affirmation. > - 85 ... il n’y a aucune certitude qu’elles fonctionneront toujours à pleine capacité, ou que l’utilisateur aura toujours des piles de rechange. Je suis totalement d’accord avec cela. Je suggère que l’utilisateur d’une prothèse soit requis d’avoir sur lui une prothèse ou des piles de rechange.

"Pour ces raisons, nous croyons que les chauffeurs d’autobus ou de véhicules commerciaux lourds ne- devraient pas dépendre d’une prothèse auditive pour porter leur capacité auditive à un niveau ne comportant aucun danger."

Je ne crois pas que la plupart des raisons évoquées soient valides et, en conséquent, je ne peux être d’accord avec cette affirmation. M. Bellaire a convenu que le haut niveau sonore dans la cabine d’un véhicule de transport commercial tend à masquer de nombreux sons d’avertissement extérieurs, comme les sirènes des véhicules d’urgence, même lorsque des protecteurs auditifs sont portés pour atténuer de façon sélective les sons de basse fréquence d’autres véhicules, autant chez les chauffeurs ayant une capacité auditive normale que chez ceux qui ont des faiblesses à cet égard. Il convient également que l’ouïe est un facteur primordial qui contribue selon toute évidence à favoriser la conduite d’un véhicule en toute sécurité et il se dit d’accord avec l’affirmation selon laquelle les personnes conduisant des véhicules commerciaux lourds ne devraient pas souffrir d’une perte auditive supérieure à 55 décibels à des fréquences de 500, 1 000 et 2 000 hertz dans la meilleure oreille. Il a expliqué qu’à l’intérieur de la cabine d’un camion où les niveaux sonores correspondent à ce qui a été discuté précédemment, un son d’avertissement devrait avoir une intensité sonore de 55 décibels ou plus pour qu’il soit perçu par une personne ayant une capacité auditive normale.

En guise de conclusion, M. Bellaire a expliqué qu’au cours des présentes procédures, la sensibilité auditive de M. Erickson a été améliorée et qu’elle est supérieure à celle d’une personne souffrant d’une faiblesse auditive moyenne.

EXAMEN ET ÉVALUATION DE LA PREUVE

L’évaluation de la preuve en ce qui a trait aux normes imposées par le gouvernement provincial aux chauffeurs souffrant à divers degrés d’une perte de sensibilité auditive comporte certaines difficultés. Il semble qu’en pratique, l’évaluation de la capacité auditive de certains chauffeurs est une responsabilité que le Surintendant des véhicules automobiles confie au ministère de la Santé, lequel décide, par l’entremise de ses spécialistes en ce domaine, comme M. Bellaire, si ces chauffeurs satisfont aux normes en la matière. En décembre 1981, lorsque M. Bellaire a examiné M. Erickson, les normes alors en vigueur, selon la directive émise par M. Zinc le 10 avril 1980 et déposée en preuve (élément de preuve C- 12), autorisaient l’utilisation d’une prothèse auditive. M. Erickson satisfaisait amplement à la norme concernant une perte auditive n’excédant pas 40 décibels dans sa meilleure oreille avec l’aide d’une prothèse. Selon l’évaluation de M. Bellaire faite en décembre 1981, la perte auditive était inférieure à 30 décibels.

Il serait utile d’examiner plus en détail la directive de M. Zinc. Au paragraphe 3.0 intitulé Le rôle de l’ouïe dans la conduite d’un véhicule, on trouve la déclaration suivante :

"3.0 Il existe à ce jour très peu d’études scientifiques sur le rôle de l’ouïe et la sécurité routière, même si certaines études tendent à démontrer que les risques d’accidents s’accroissent à un certain niveau de perte auditive. Malheureusement, aucune donnée ne permet de déterminer quelle doit être la gravité de la perte auditive avant que ne soit constatée une augmentation sensible du nombre d’accidents imputables à cette déficience."

Au paragraphe 3.12 intitulé Normes d’audition recommandées, on trouve entre autres les déclarations suivantes :

"3.12 Chauffeurs de véhicules de transport de passagers ou de véhicules commerciaux lourds (Permis de conduire de classe 1, 2, 3 et 4). Même si une certaine perte auditive est acceptable chez un chauffeur professionnel, nous sommes d’avis que dans l’intérêt de la sécurité routière, une personne souffrant de surdité totale ne devrait pas conduire un véhicule de transport de passagers ou un véhicule commercial lourd.

Le niveau sonore très intense constaté dans la cabine de nombreux véhicules commerciaux tend à masquer la plupart des sons d’avertissement extérieurs, comme les sirènes des véhicules d’urgence, même lorsque des protecteurs auditifs sont portés pour atténuer de façon sélective les sons de basse fréquence. Les formateurs de conducteurs de véhicules commerciaux et de nombreux conducteurs de tels véhicules croient fermement qu’une bonne sensibilité auditive contribue à diminuer les risques d’accident, puisque le premier signe avertisseur d’un mauvais fonctionnement potentiellement dangereux d’un véhicule peut souvent être entendu avant d’être détecté d’une autre façon.

Le chauffeur d’un véhicule lourd de transport commercial ne devrait pas avoir une perte de sensibilité auditive corrigée supérieure à 40 décibels à des fréquences moyennes de 500, 1 000, 2 000 et 3 000 hertz dans une oreille.

Au paragraphe 3.3 intitulé Prothèses auditives, on trouve la déclaration suivante :

"3.3 Nous sommes d’avis qu’il y a eu une telle amélioration de la qualité et de la fiabilité des prothèses auditives qu’une prothèse bien choisie et bien ajustée peut maintenant être utilisée pour porter la capacité auditive d’un chauffeur au niveau minimal requis sur le plan de la sécurité."

Rien ne permet de dire si cette directive est toujours en vigueur ou si elle a été remplacée par une autre, modifiée ou révoquée par les fonctionnaires du ministère de la Santé provinciale. On peut supposer, cependant, qu’elle est toujours en vigueur car M. Erickson est habilité, en vertu de son permis de conduire de classe 1 à conduire des véhicules commerciaux lourds sur les autoroutes de la province, et ce, en dépit du fait qu’il a admis souffrir d’une perte modérée de sensibilité auditive. Il est intéressant de constater que la directive de 1980 émise par M. Zinc ne fixe aucune norme minimale concernant la perte de sensibilité auditive non corrigée, comme le fait le Guide de 1982 à l’intention des médecins (supra).

La norme concernant la perte de sensibilité auditive non corrigée (55 décibels) qui figure dans le Guide de 1982 n’a jamais été officiellement adoptée, promulguée ou incorporée dans un texte de loi par le gouvernement de la province. De toute façon, M. Erickson satisfait à la norme si on fait la moyenne des résultats des différents tests qu’il a passés entre le 4 septembre 1979 et le 3 octobre 1985, période au cours de laquelle sa perte auditive moyenne dans sa meilleure oreille (l’oreille droite) a été de 55 décibels. Si l’on ne tient pas compte du test douteux du 15 février 1983, la perte moyenne a été au cours des années de 53,7 décibels. Le test le plus récent, réalisé le 3 octobre 1985, révèle une perte de sensibilité auditive non corrigée de 56 décibels pour chacune des oreilles. Si l’on accepte qu’il peut y avoir de légères différences dans les résultats des tests mentionnés par M. Bellaire au cours de son témoignage, il semble que M. Erickson satisfait à la norme de 55 décibels qui figure dans le Guide de 1982 à l’intention des médecins.

Il a été affirmé que la compagnie mise en cause a utilisé les Guides à l’intention des médecins publiés en 1978 et en 1982 pour fixer une norme à l’égard des personnes comme M. Erickson. Tout en admettant que les Guides n’ont pas force de loi et qu’ils n’ont pas été adoptés ni incorporés dans un texte de loi, l’avocat de la compagnie mise en cause affirme qu’ils portent le sceau du Surintendant des véhicules automobiles et devraient être respectés puisqu’ils ont été préparés par des médecins. De plus, il a inféré que ces normes étaient en vigueur au moment où M. Erickson a été engagé par la compagnie mise en cause et que celle- ci s’y conformait lorsqu’elle a renvoyé le plaignant. Il est intéressant de constater à cet égard que dans la lettre du 13 novembre 1981 à M. Erickson, M. Lloyd ne fait aucune mention des normes qui figurent dans le Guide de 1978. En fait, M. Lloyd déclare votre capacité auditive ne satisfait pas à nos normes pour nos chauffeurs. Le soulignement est de moi.

L’avocat de la compagnie se demande si le Surintendant était d ment autorisé par la Loi sur les véhicules automobiles à adopter des règlements régissant l’aptitude à conduire un véhicule automobile. L’article 242 de la Loi sur les véhicules automobiles se lit comme suit :

"Article 242 - Le requérant devra se soumettre aux examens spécifiés par le Surintendant afin de déterminer son aptitude et sa capacité à conduire ou faire fonctionner des véhicules automobiles d’une catégorie particulière."

Le soulignement est de moi. L’avocat de la compagnie mise en cause considère que la directive du 10 avril 1980 émise par David Zinc (élément de preuve C- 12) qui autorise l’utilisation de prothèses auditives n’est qu’une note de > - 93 service interne qui ne s’appuie sur aucune directive. Je ne peux accepter cette interprétation de l’article 242 de la Loi sur les véhicules automobiles, lequel, à mon avis, autorise spécifiquement le Surintendant à obliger les requérants à se soumettre à des examens pour déterminer leur aptitude à conduire un véhicule. Il semble que c’est effectivement ce qui s’est produit et que l’examen et l’évaluation de l’aptitude auditive est une responsabilité déléguée au ministère de la Santé.

Même si les Guides à l’intention des médecins doivent être reconnus comme apportant une contribution utile et importante à la sécurité routière, il semble n’y avoir aucune preuve de nature clinique ou statistique fondée sur la recherche qui viendrait appuyer certaines des conclusions de ces documents. La majeure partie des renseignements que contiennent les Guides de 1978 et de 1982 sont impressionnistes. Dans l’affaire Ontario Human Rights Commission vs. Etobicoke, 132 D. L. R. (3 D), le juge McIntyre a présenté les observations suivantes au sujet de la preuve relative au processus de vieillissement et à une exigence contenue dans une convention collective concernant l’âge de la retraite à 60 ans (page 23 de la décision):

"Je ne suis pas du tout certain de ce qu’on peut qualifier de preuve scientifique. Je ne dis absolument pas qu’une preuve scientifique sera nécessaire dans tous les cas. Il me semble cependant que, dans des cas comme celui en l’espèce, une preuve de nature statistique et médicale qui s’appuie sur l’observation et l’étude de la question du vieillissement, même si elle n’est pas absolument nécessaire dans tous les cas, sera certainement plus convaincante que le témoignage de personnes même très expérimentées dans la lutte contre les incendies, portant que le travail de pompier est une affaire de jeune homme. L’examen que j’ai fait de la preuve m’amène à souscrire aux conclusions du commissaire enquêteur. Tout en étant persuadé que la preuve et les opinions entendues ont été soumises honnêtement, c’est avec raison, à mon avis, qu’on a dit qu’elle était impressionnistes et qu’elles n’étaient pas concluantes. La question de la suffisance et de la nature de la preuve en la matière a été analysée dans divers arrêts ...

Que les conclusions des Guides de 1978 et de 1982 soient impressionnistes ou non, il n’en demeure pas moins que le Surintendant des véhicules automobiles, tout en en tenant compte, semble s’en remettre au ministre de la Santé et à la compétence de son personnel pour déterminer s’il devrait être délivré aux requérants portant une prothèse auditive un permis de conduire les autorisant à conduire un véhicule sur les routes de la province. Je pense que les faits établis par la preuve peuvent être résumés de la façon suivante :

  1. Le plaignant porte une prothèse auditive de meilleure qualité qui en a été remise par le ministère de la Santé et il a toujours sur lui une autre prothèse de moins bonne qualité ainsi que des piles de rechange.
  2. Le plaignant détient présentement un permis de conduire délivré le 20 février 1984 qui l’autorise à conduire des véhicules commerciaux lourds sur les autoroutes de la province. En vertu de ce permis, il n’est pas tenu de porter une prothèse lorsqu’il est au volant de son camion.
  3. Il est un chauffeur de camions lourds compétent et expérimenté. Il n’a jamais eu d’accident attribuable à sa faiblesse auditive.
  4. Il souffre d’une légère perte de sensibilité auditive qui est corrigée jusqu’à un niveau de 30 décibels par sa prothèse, laquelle rend sa capacité auditive presque normale.
  5. La compagnie mise en cause ne lui a fait passer aucun examen auditif avant de le renvoyer le 12 novembre 1981 pour les raisons invoquées par M. Lloyd dans sa lettre du 13 novembre 1981.
  6. Le plaignant a passé de nombreux tests auditifs entre le 4 septembre 1979 et le 3 octobre 1985 et la perte auditive moyenne mesurée en décibels à des niveaux de - fréquence variant entre 500 et 2 000 hertz (y compris le test de qualité douteuse du 15 février 1983) est de 55 décibels, ce qui satisfait à la norme en la matière du Guide de 1982.
  7. Il n’a pas été prouvé que M. Erickson est incapable de satisfaire aux exigences physiques du travail de chauffeur de camions lourds commerciaux ou qu’il ne peut s’acquitter des tâches que lui confie la compagnie mise en cause.
  8. M. Bellaire est un expert de haute compétence dans le domaine de l’audiologie.
  9. M. Erickson a été examiné par M. Bellaire à deux reprises, soit le 11 décembre 1981, peu de temps après son renvoi par la compagnie mise en cause, et le 3 décembre 1982.
  10. Les résultats de l’évaluation faite le 3 octobre 1982 ne sont pas sur le plan clinique ou statistique très différents de ceux obtenus par M. Bellaire en décembre 1982.
  11. Les résultats de l’audiogramme effectué le 15 février 1983 à la demande de la compagnie mise en cause et qui révèle une détérioration marquée de la sensibilité auditive de M. Erickson dans son oreille droite ne sont appuyés par aucune preuve clinique et la validité de ce test est douteuse.
  12. A l’exception de l’évaluation auditive du 15 février 1983, les tests passés le 4 septembre 1979 et le 3 octobre 1985 sont compatibles avec les résultats obtenus par M. Bellaire lors des examens auditifs du 11 décembre 1981 et du 3 décembre 1982.
  13. M. Erickson, en dépit de sa perte auditive, a eu de très bons résultats sut le plan de la sensibilité auditive, de la perception et de la compréhension du discours.
  14. Lorsque M. Erickson porte sa prothèse auditive, son taux de réaction auditive est de 80 p. 100 pour une conversation normale en présence de bruits de fond simulés d’intensité sonore équivalente.
  15. La perte moyenne de sensibilité auditive dans l’oreille droite (la meilleure oreille) entre septembre 1979 et octobre 1985, ’y compris le test auditif du 15 février 1983, est de 55 décibels. Si l’on ne tient pas compte du test du 15 février 1983, la perte est de 53,7 décibels.
  16. Les prothèses auditives modernes bien conçues et ajustées comportent certains dispositifs qui peuvent :
    1. permettre l’amplification à différents niveaux de fréquence,
    2. réduire ou augmenter de façon sélective les niveaux de fréquence,
    3. fournir une amplification acoustique à tous les niveaux de fréquence, à 500, 1 000 et 2 000 hertz, d) supprimer automatiquement les explosions sonores soudaines indésirables.
  17. Il n’existe aucune preuve fondée sur des recherches scientifiques pour appuyer l’hypothèse selon laquelle il y a un rapport entre une légère perte auditive et un accroissement du nombre d’accidents.
  18. M. Erickson, lorsqu’il porte sa prothèse auditive n’est pas, en pratique, exposé à un plus haut niveau d’intensité sonore dans la cabine d’un camion lourd à moteur diesel qu’un autre conducteur ayant une capacité auditive normale.
  19. Il n’est pas vrai que les prothèses auditives modernes sont peu utiles ou inutiles au conducteur d’un camion lourd à moteur diesel en raison du niveau sonore dans la cabine.
  20. M. Erickson a été renvoyé par la compagnie mise en cause pour les raisons invoquées dans la lettre de M. Lloyd du 13 novembre 1981 et ces raisons constituent une politique générale qui a pour effet d’empêcher toute personne portant une prothèse auditive d’être embauchée comme chauffeur de camion par la compagnie mise en cause (voir pages 395 et 396 de la transcription).
  21. Le manque à gagner de M. Erickson depuis la date de son renvoi est de 464,14 $, montant dont il a été convenu avec son avocat.
  22. M. Erickson souhaite être réintégré dans ses fonctions de chauffeur de camion avec la compagnie mise en cause dès que possible.
  23. Les Guides à l’intention des médecins publiés en 1978 et en 1982, quoique utiles en tant que guides, n’ont pas force de loi.
  24. Le Surintendant des véhicules automobiles a délégué au ministère de la Santé la responsabilité d’évaluer l’aptitude à conduire un véhicule automobile des requérants d’un permis de conduire de classe 1 souffrant d’une perte auditive, et d’approuver ou de refuser la délivrance du permis.
  25. Dans la mesure où cela peut être déterminé à partir des éléments de preuve disponibles, il semble que la directive de M. Zinc de 1980 autorisant l’utilisation de prothèses auditives par les titulaires de permis de conduire de classe 1 soit toujours en vigueur.
  26. Enfin, il n’a pas été prouvé qu’un conducteur de véhicule commercial lourd à moteur diesel qui souffre d’une légère perte auditive et porte une prothèse présente un plus grand risque d’accidents qu’une personne ayant une capacité auditive normale.

LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE DISCRIMINATION

L’objet de la Loi canadienne sur les droits de la personne est exposé à son article 2. La Loi a été conçue de façon à compléter la législation canadienne en donnant effet au principe présenté à la clause a) qui se lit ainsi :

"a) Tous ont droit, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l’égalité des chances d’épanouissement, indépendamment des considérations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, la situation de famille, l’état de personne graciée ou, en matière d’emploi, les déficiences physiques;"

La Loi vise à éliminer les pratiques discriminatoires. A ce sujet, voir les observations du juge McIntyre dans l’affaire Bhinder et la Compagnie des chemins de fer du Canada (1985)( 2) R. C. S. à la page 561.

L’article 3 de la Loi expose les motifs de distinction illicite : 3.( 1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience.

3.( 2) Une distinction fondée sur la grossesse ou l’accouchement est réputée être fondée sur le sexe.

La présente plainte a été déposée en vertu des articles 7 et 10 de la Loi qui sont reproduits ici :

"7. Constitue un acte discriminatoire le fait a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu, ou b) de défavoriser un employé dans le cadre de son emploi, directement ou indirectement, pour un motif de distinction illicite."

"10. Constitue un acte discriminatoire le fait pour l’employeur, l’association d’employeurs, ou l’association d’employés

a) de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite, ou b) de conclure des ententes, touchant le recrutement, les mises en rapport, l’engagement, les promotions, la formation, l’apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d’un emploi présent ou éventuel pour un motif de distinction illicite, d’une manière susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus. L’article 20 de la Loi définit déficience de la façon suivante : Déficience désigne toute déficience physique ou mentale, qu’elle soit présente ou passée, y compris le défigurement ainsi que la dépendance, présente ou passée, envers l’alcool ou la drogue.

Dans l’affaire Paul S. Carson et al. et Air Canada (1985)( 6) C. H. R. R. D./ 2848, le Tribunal a fait référence à des décisions judiciaires prises au Royaume- Uni et aux États- Unis où le sens de l’expression discrimination est examiné. On peut aussi lire ce qui suit à la page 229 de la décision rendue par la Chambre des Lords dans l’affaire Post office vs. Krouch [1974] 1 A. L. E. R. 229 :

"( traduction) La discrimination suppose une comparaison. J’entends par là que la situation du travailleur est d’une certaine façon rendue plus difficile qu’elle ne l’aurait été s’il n’avait pas été victime de discrimination, ou encore que sa situation est d’une certaine façon rendue plus difficile que celle d’un autre travailleur occupant un poste semblable qui n’a pas été victime d’actes discriminatoires. Il y a peut- être peu de différence entre ces deux approches, mais je préfère la seconde car je considère qu’elle rend mieux la véritable signification du mot, et qu’elle est la plus juste dans la présente affaire."

Dans la décision américaine, le juge Burton a analysé la signification de ce mot lorsqu’il s’est prononcé sur les ordonnances générales de la ville de Dayton (Ohio) : Le mot discriminer signifie faire une distinction favorable ou défavorable à une personne ou à une chose en fonction de l’appartenance à un groupe ou a une catégorie, au lieu de se fonder sur les mérites véritables de la personne. Le mot discrimination signifie l’acte par lequel est faite une distinction favorable ou défavorable à une personne ou à une chose en fonction de l’appartenance à un groupe ou à une catégorie, au lieu de se fonder sur les mérites de la personne.

Voir l’affaire Courtner vs. The National Cash Registry Company, 262 N. E. Second 586 (1970).

Dans l’affaire Carson et Air Canada, le Tribunal a résumé en ces mots le sens qu’il donne au mot discrimination :

"Par conséquent, la discrimination suppose une distinction entre des personnes fondée sur autre chose que le mérite."

Dans l’affaire Commission ontarienne des droits de la personne et O’Malley et Simpsons- Sears Ltd. [1985] R. C. S., à la page 547, le juge McIntyre de la Cour suprême du Canada fait l’observation suivante :

"C’est le résultat ou l’effet de la mesure dont on se plaint qui importe. Si elle crée effectivement de la discrimination, si elle a pour effet d’imposer à une personne ou un groupe de personnes des obligations, des peines ou des conditions restrictives non imposées aux autres membres de la société, elle est discriminatoire."

Dans l’affaire Bhinder et la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (supra), le juge McIntyre adopte le raisonnement exprimé dans l’affaire O’Malley et conclut que les définitions d’actes discriminatoires qui figurent aux articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne visent à la fois la discrimination involontaire et la discrimination ayant un effet préjudiciable.

En ce qui a trait au fardeau de la preuve, il appartient au plaignant d’établir une preuve prima facie qu’il y a eu discrimination. Si cette preuve est faite, il appartient alors à la partie mise en cause de justifier ses actions. Voir la décision du tribunal d’appel dans l’affaire Carson et Air Canada (supra, page 13). La norme à l’égard de la preuve à laquelle le plaignant doit satisfaire est la preuve de la prépondérance des probabilités, soit le même fardeau qui revient à une partie dans une action civile. Se reportant une autre fois à la décision du tribunal d’appel dans l’affaire Carson et Air Canada (supra, page 13), la Cour fait l’observation suivante :

"Lorsque le plaignant s’est vu refuser un emploi, ou lorsqu’il a été renvoyé de son poste, conformément à une politique régulière qui établit une distinction entre les employés ou postulants fondée expressément sur l’âge, il lui sera facile de décharger du fardeau de prouver un cas de discrimination qui, de prime abord, paraît fondé. Dans la présente affaire, le plaignant, M. Erickson, a été renvoyé parce qu’il ne satisfaisait pas aux normes de la compagnie mise en cause. L’avocat de la compagnie mise en cause a convenu que la politique de la compagnie est bel et bien celle qui est formulée dans la lettre du 13 novembre 1981 de M. Lloyd au plaignant, à savoir que la compagnie n’engage pas de chauffeurs qui doivent porter une prothèse auditive. Cette politique est une politique globale qui empêche toute personne portant une prothèse auditive d’être engagée comme chauffeur de camion par la compagnie mise en cause. Voir les pages 395 et 396 de la transcription.

J’en viens donc à la conclusion que le plaignant a établi une preuve prima facie qu’il y a eu discrimination étant donné le refus de continuer à employer M. Erickson pour des motifs de distinction illicite.

LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE - EXIGENCE PROFESSIONNELLE JUSTIFIÉE

Un employeur qui commet des actes discriminatoires fondés sur des motifs illicites peut tenter de se prévaloir des exceptions que prévoie l’article 14 de la Loi, lequel se lit ainsi :

"14. Ne constituent pas des actes discriminatoires a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l’employeur qui démontre qu’ils découlent d’exigences professionnelles justifiées."

Dans l’affaire Air Canada v. Carson [1985] 1 C. F. page 209, la Cour applique le double critère que les tribunaux américains ont adopté dans les causes Arritt v. Grisell, 567 F. 2nd 267 (4th circuit, 1977) et Smallwood v. United Airlines Inc. 661 F. 2nd 303 (4th circuit, 1981) :

  1. "que l’exigence professionnelle justifiée imposée est raisonnablement nécessaire à la nature même de son entreprise et
  2. que l’employeur a un motif raisonnable, c’est- à- dire fondé sur des faits réels, de croire que toutes les personnes de la catégorie seraient incapables d’exécuter le travail sans danger, ou qu’il serait peu pratique d’examiner individuellement le cas de chaque personne ayant dépassé l’âge limite."

L’avocat de la compagnie mise en cause s’appuie dans son plaidoyer sur cette question sur les Guides à l’intention des médecins publiés en 1978 et en 1982, lesquels fixaient une norme pour les personnes comme le plaignant. Cela, même s’il admet, au même moment, que les Guides en question n’ont pas force de loi, n’ayant pas été adoptés ou incorporés dans un texte de loi par le gouvernement provincial. Il déduit que ces normes étaient les normes en vigueur au moment où M. Erickson a été engagé par la compagnie mise en cause et que cette dernière, en renvoyant le plaignant, se conformait à ces normes. Pour appuyer ses dires, il se fonde sur la norme standard de 40 décibels que propose le Guide de 1978 à l’intention des médecins. Il n’y a aucune preuve, cependant, que la compagnie mise en cause a en fait utilisé ces normes. La lettre de M. Lloyd du 13 novembre 1981 utilise l’expression nos normes, quelles qu’elles aient pu être. En outre, M. Erickson n’a passé aucun test auditif à ce moment- là.

De toute façon, le Surintendant des véhicules automobiles par l’entremise du ministère de la Santé et de ses fonctionnaires, comme M. Zinc, a fixé la norme alors en vigueur concernant la délivrance d’un permis de conduire aux personnes souffrant d’une perte auditive. M. Erickson faisait plus que satisfaire aux normes, avec une perte auditive corrigée de 40 décibels dans sa meilleure oreille (oreille droite) le 1er septembre 1981 et le 4 novembre 1981, lorsqu’il a été renvoyé par la compagnie mise en cause.

A mon avis, la directive de 1980 de M. Zinc est toujours en vigueur car le Surintendant des véhicules automobiles a délivré un permis de conduire de classe 1 à M. Erickson pas plus tard que le 20 février 1984. En outre, les audiologues du ministère de la Santé ont réévalué sa capacité auditive le 3 octobre 1985. Même si cela n’était pas le cas et si on accepte que la norme en vigueur relative a la sensibilité auditive sans prothèse (55 décibels à des niveaux de fréquence de 500, 1 000 et 2 000 hertz) est celle qui est mentionnée dans le Guide de 1982, alors M. Erickson satisfait également à cette norme.

En ce qui a trait à la question de la sécurité, l’avocat de la compagnie mise en cause se reporte une autre fois aux Guides à l’intention des médecins. Ces ouvrages examinent en détail diverses questions dont le rapport de cause à effet entre une perte auditive et le risque accru d’accidents, les niveaux sonores dans la cabine d’un camion de transport commercial lourd, l’efficacité des prothèses auditives et les exigences physiques du travail de conducteur de camions lourds. L’avocat en conclut que ces le normes imposées ou fixées par le gouvernement de la Colombie- Britannique, qu’elles outrepassent ou non les pouvoirs conférés par la Loi établissent une exigence professionnelle justifiée imposée aux conducteurs de camions commerciaux, du fait que ces normes ont été établies par la communauté médicale de la Colombie- Britannique.

Comme il a été mentionné auparavant, même s’il convient de reconnaître que les Guides à l’intention des médecins apportent une contribution utile et importante à la sécurité routière, il semble n’y avoir aucune preuve de nature clinique ou statistique pour appuyer leurs conclusions.

La compagnie mise en cause n’a pas prouvé, en se fondant sur des observations ou des données statistiques, que les personnes souffrant d’une légère perte de sensibilité auditive, comme cela est le cas avec M. Erickson, présentent un risque pour elles- mêmes, leurs collègues ou la population. La faiblesse auditive de M. Erickson est corrigée par la prothèse qu’il porte, laquelle lui redonne une sensibilité auditive presque normale. Les personnes ayant une ouïe normale subissent également les inconvénients du niveau sonore élevé qui règne à l’intérieur de la cabine d’un camion à moteur diesel, et j’accepte l’argument de M. Bellaire qui affirme que M. Erickson n’est pas plus un danger qu’un autre dans les mêmes circonstances parce qu’il porte une prothèse auditive.

Selon M. Bellaire, rien ne permet d’affirmer que la sensibilité auditive de M. Erickson s’est détériorée entre décembre 1982 et octobre 1985 et son dossier médical ne révèle aucune maladie dans les oreilles ou fluctuation de la sensibilité auditive.

Le juge McIntyre a traité des exigences professionnelles justifiées dans l’affaire Etibocoke (supra, page 19) :

"Pour constituer une exigence professionnelle réelle, une restriction comme la retraite obligatoire à un âge déterminé doit être imposée honnêtement, de bonne foi et avec la conviction sincère que cette restriction est imposée en vue d’assurer la bonne exécution du travail en question d’une manière raisonnablement diligente, s re et économique, et non pour des motifs inavoués ou étrangers qui visent des objectifs susceptibles d’aller à l’encontre de ceux du Code. Elle doit en outre se rapporter objectivement à l’exercice de l’emploi en question, en étant raisonnablement nécessaire pour assurer l’exécution efficace et économique du travail sans mettre en danger l’employé, ses compagnons de travail et le public en général."

La réponse à la seconde question dépend en l’espèce, comme dans tous les cas, de l’examen de la preuve et de la nature de l’emploi concerné. Il ne fait aucun doute que la compagnie mise en cause a agi honnêtement, en toute bonne foi et avec la conviction sincère que sa politique à l’égard des prothèses auditives était imposée en vue d’assurer la bonne exécution du travail ... et non pour des motifs inavoués ou étrangers ... A mon avis, cependant, cette politique ne satisfait pas au second critère formulé par le juge McIntyre et un examen de la preuve et de la nature de l’emploi dans cette affaire m’amène à conclure que la compagnie mise en cause ne peut invoquer les exceptions prévues à l’article 14( a) de la Loi.

Il convient à nouveau de noter que la compagnie mise en cause n’a pas cherché à faire passer un test auditif à M. Erickson; à cet égard, l’affaire Rodger and C. N. R. ( 1985) 6 C. H. R. R. D/ 2899, est intéressante : à la page 30, Sidney Lederman c. r. cite avec l’approbation des autres parties Tarnopolsky - Discrimination and the Law, 1982, où l’auteur déclare ce qui suit :

"( traduction) Les lois antidiscriminatoires ne contraignent pas les employeurs ou les fournisseurs de moyens d’hébergement, de services et d’installations à ignorer les déficiences des personnes handicapées ou à effectuer d’importantes modifications pour s’ouvrir à la participation de celles- ci. Elles exigent toutefois qu’on accorde aux personnes atteintes de déficience une évaluation et un traitement individualisés et qu’on fasse à leur égard des efforts d’adaptation raisonnables."

Le soulignement est de moi. Dans cette affaire, un employé souffrant d’épilepsie était en cause. Dans ses commentaires de conclusion, M. Lederman faisait l’observation suivante :

"On ne saurait trop insister sur la nécessité d’évaluer chaque cas individuellement, étant donné surtout les généralisations préconçues en ce qui a trait à des maladies comme l’épilepsie, et qu’il importe de combattre. La plainte de l’employé avait été rejetée en raison de l’absence de renseignements fiables sur le risque de réapparition de crise d’épilepsie, et parce que l’élément de sécurité publique de sa fonction supposait un niveau de risque acceptable plus bas. Dans sa conclusion, M. Lederman faisait l’observation qui suit :

Si elle ne peut laisser aucune menace le moindrement sérieuse peser sur la sécurité publique, la société ne saurait accepter les généralisations hâtives en ce qui a trait à la capacité des personnes atteintes d’une déficience. Les employeurs doivent donc appuyer l’imposition d’exigences professionnelles sur des données médicales et statistiques à jour, faisant autorité, et adaptées à chaque cas.

Même si le fardeau de la preuve qui incombe à la compagnie mise en cause est moins lourd lorsque la sécurité des collègues de travail ou de la population est en jeu (voir Bhinder et la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, supra à la page 82) ladite compagnie n’a pas, à mon avis, prouvé qu’il y avait véritablement danger dans les circonstances de la présente affaire.

LA DÉCISION DU TRIBUNAL

L’avocat du plaignant réclame au nom de M. Erickson le remboursement des pertes de salaire, les années d’ancienneté et le prochain emploi disponible avec la compagnie mise en cause, ainsi qu’une indemnisation pour ce qu’il décrit comme étant des préjudices moraux.

L’article 41( 3) de la Loi prévoit ce qui suit : Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le tribunal, ayant conclu b) que la victime a souffert un préjudice moral par suite de l’acte discriminatoire, peut ordonner à la personne de payer à la victime une indemnité maximale de 5 000 $.

Dans cette affaire, M. Erickson a subi divers inconvénients et il ne fait aucun doute qu’il a d ressentir de la frustration à la suite de son renvoi précipité sans que des raisons ne lui soient fournies à ce moment- là. Par conséquent, je lui accorde la somme de mille dollars (1 000 $) comme l’indemnisation pour le préjudice moral qu’il a subi.

En ce qui a trait à l’indemnisation pour perte de salaire, le tribunal peut, en vertu de l’article 41( 2) c), ordonner à l’employeur d’indemniser M. Erickson de toute perte de salaire subie et des dépenses engagées à la suite de l’acte discriminatoire. A cet égard, j’ai interrogé l’avocat du plaignant à la fin de la présente procédure afin de connaître précisément l’indemnisation pour perte de salaire réclamée. Celui- ci a indiqué qu’il était disposé à accepter les chiffres fournis par l’avocat de la compagnie mise en cause relativement à ce que M. Erickson aurait touché s’il était demeuré à l’emploi de la Compagnie et à ce qu’il a effectivement touché au cours de cette période. Le montant brut que M. Erickson aurait gagné avec la C. P. Transport est de 115 836,31 $. Les chiffres fournis par M. Erickson au moyen de ses déclarations d’impôt pour la même période s’élèvent à 115 372,17 $. Le manque à gagner est donc de 464,14 $ et j’ai cru comprendre que l’avocat de M. Erickson convenait que cela représentait le montant pour lequel son client désire être indemnisé. Par conséquent, j’ordonne que la somme de 464,14 $ soit payée par la compagnie mise en cause à titre d’indemnisation pour perte de salaire. M. Erickson n’a présenté aucune demande d’indemnisation pour des dépenses engagées par suite de l’acte discriminatoire.

Enfin, en ce qui a trait à la réintégration dans son emploi, J’ORDONNE, conformément à l’article 41( 2) b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, a la Canadian Pacific Express and Transport Ltd. de réembaucher et de réintégrer le plaignant, Edwin Erickson, à la première occasion raisonnable et d’accorder à la victime les droits, occasions ou privilèges, y compris les- droits d’ancienneté et autres avantages, qu’il aurait acquis au cours de la période visée conformément à la ou aux conventions collectives en vigueur le 4 novembre 1981 ou par la suite entre la Compagnie et le Syndicat.

J’ORDONNE EN OUTRE que le plaignant Edwin Erickson soit autorisé à porter une prothèse auditive approuvée par le ministère de la Santé de la province de la Colombie- Britannique lorsqu’il travaille comme chauffeur de camions lourds pour la compagnie mise en cause.

DÉCISION RENDUE le 28e jour de novembre 1986.

Norman Fetterly, Tribunal

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