Tribunal canadien des droits de la personne

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MAGALY GERMAIN

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

GROUPE MAJOR EXPRESS INC.

l'intimé

DÉCISION SUR REQUÊTE

MEMBRE INSTRUCTEUR : Michel Doucet 2007 TCDP 57
2007/12/19

Canadian Human
Rights Tribunal

Tribunal canadien
des droits de la personne

[1] Au début de l'audience, le 21 novembre 2007, Me Jacques Jobidon, l'avocat de Groupe Major Express Inc. (l'intimé ), a informé le Tribunal, pour la première fois, que son client avait présenté à ses créanciers une proposition concordataire en vertu de Loi sur la faillite et l'insolvabilité, L.R.C. (1985), ch. B-3 (la Loi sur la faillite . La première assemblée des créanciers a eu lieu le 18 octobre 2002. La proposition a été acceptée par les créanciers et a pris effet le 5 novembre 2003 Pour sa part, le syndic a été libéré le 17 mars 2004. Questionné à savoir pourquoi il avait attendu la première journée de l'audience pour soulever cette question, Me Jobidon dit n'avoir été informé de ce fait que très récemment.

Soumissions de l'intimé

[2] Me Jobidon soutient que l'effet de cette proposition concordataire serait d'enlever au Tribunal la compétence pour entendre la présente affaire ou, tout au moins, rendrait toute ordonnance contre son client inexécutable. Pour soutenir ses prétentions, il s'appuie, entre autres, sur le paragraphe 69.1(1) de la Loi sur la faillite qui prévoit :

69.1 (1) Sous réserve des paragraphes (2) à (6) et des articles 69.4 et 69.5, entre la date de dépôt d'une proposition visant une personne insolvable et :

a) soit sa faillite, soit la libération du syndic, les créanciers n'ont aucun recours contre elle ou contre ses biens et ne peuvent intenter ou continuer aucune action, exécution ou autre procédure en vue du recouvrement de réclamations prouvables en matière de faillite;

b) soit sa faillite, soit la libération du syndic, est sans effet toute disposition d'un contrat de garantie conclu entre elle et un créancier garanti qui prévoit, pour l'essentiel, que celle-ci, dès qu'elle devient insolvable, qu'elle manque à un engagement prévu par le contrat de garantie ou qu'est déposé à son égard un avis d'intention aux termes de l'article 50.4 ou une proposition aux termes du paragraphe 62(1), est déchue des droits qu'elle aurait normalement de se servir des avoirs visés par le contrat de garantie ou de faire d'autres opérations à leur égard;

c) soit sa faillite, soit la libération du syndic, soit l'expiration des six mois suivant l'approbation de la proposition par le tribunal, est suspendu l'exercice par Sa Majesté du chef du Canada des droits que lui confère le paragraphe 224(1.2) de la Loi de l'impôt sur le revenu ou toute disposition du Régime de pensions du Canada ou de la Loi sur l'assurance-emploi qui renvoie à ce paragraphe et qui prévoit la perception d'une cotisation, au sens du Régime de pensions du Canada, ou d'une cotisation ouvrière ou d'une cotisation patronale, au sens de la Loi sur l'assurance-emploi, et des intérêts, pénalités ou autres montants y afférents, à l'égard de la personne insolvable, lorsque celle-ci est un débiteur fiscal visé à ce paragraphe ou à cette disposition;

d) soit sa faillite, soit la libération du syndic, soit l'expiration des six mois suivant l'approbation de la proposition par le tribunal, est suspendu l'exercice par Sa Majesté du chef d'une province des droits que lui confère toute disposition législative provinciale dont l'objet est semblable à celui du paragraphe 224(1.2) de la Loi de l'impôt sur le revenu, ou qui renvoie à ce paragraphe, à l'égard de la personne insolvable, lorsque celle-ci est un débiteur visé par la loi provinciale, dans la mesure où la disposition prévoit la perception d'une somme, et des intérêts, pénalités ou autres montants y afférents, qui :

(i) soit a été retenue par une personne sur un paiement effectué à une autre personne, ou déduite d'un tel paiement, et se rapporte à un impôt semblable, de par sa nature, à l'impôt sur le revenu auquel les particuliers sont assujettis en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu,

(ii) soit est de même nature qu'une cotisation prévue par le Régime de pensions du Canada, si la province est une province instituant un régime général de pensions au sens du paragraphe 3(1) de cette loi et si la loi provinciale institue un régime provincial de pensions au sens de ce paragraphe.

[3] En vertu de cette disposition, si la proposition concordataire est acceptée par les créanciers, nul créancier ne peut exercer de recours contre le débiteur, en l'espèce l'intimé, ou contre ses biens sans l'autorisation du tribunal. Une proposition concordataire est un contrat conclu entre un débiteur et ses créanciers. Lorsqu'elle est acceptée par ces derniers et homologuée par le tribunal, elle lie tous les créanciers. Conséquemment, en l'espèce, les créanciers de l'intimé qui ont accepté la proposition concordataire ne pourraient, sans remettre en cause l'essence même de la proposition et de son acceptation, être autorisés à entreprendre ou continuer des procédures d'exécution contre lui pour le solde de leur créance. Je constate, selon la preuve présentée à l'audience, que la plaignante ne fait pas partie de la proposition concordataire conclue entre l'intimé et ses créanciers.

[4] L'article 69.4 de la Loi sur la faillite prévoit pour sa part :

69.4 Tout créancier touché par l'application des articles 69 à 69.31 ou toute personne touchée par celle de l'article 69.31 peut demander au tribunal de déclarer que ces articles ne lui sont plus applicables. Le tribunal peut, avec les réserves qu'il estime indiquées, donner suite à la demande s'il est convaincu que la continuation d'application des articles en question lui causera vraisemblablement un préjudice sérieux ou encore qu'il serait, pour d'autres motifs, équitable de rendre pareille décision.

[5] Selon cette disposition, un créancier touché par l'article 69.1 doit obtenir l'autorisation du tribunal pour intenter ou continuer des procédures judiciaires. Me Jobidon en déduit donc que la plaignante ne pouvait procéder devant le Tribunal sans au préalable avoir obtenu l'autorisation de la Cour supérieure du Québec. Il ajoute qu'elle ne serait exemptée de cette obligation que si elle tombe sous l'une ou l'autre des exceptions prévues au paragraphe 178(1) de la Loi sur la faillite, lequel énonce :

[6] 178 (1) Une ordonnance de libération ne libère pas le failli :

a) de toute amende, pénalité, ordonnance de restitution ou toute ordonnance similaire infligée ou rendue par un tribunal, ou de toute autre dette provenant d'un engagement ou d'un cautionnement en matière pénale;

a.1) de toute indemnité accordée en justice dans une affaire civile :

(i) pour des lésions corporelles causées intentionnellement ou pour agression sexuelle,

(ii) pour décès découlant de celles-ci;

b) de toute dette ou obligation pour pension alimentaire;

c) de toute dette ou obligation aux termes de la décision d'un tribunal en matière de filiation ou d'aliments ou aux termes d'une entente alimentaire au profit d'un époux, d'un ex-époux ou ancien conjoint de fait ou d'un enfant vivant séparé du failli;

d) de toute dette ou obligation résultant de la fraude, du détournement, de la concussion ou de l'abus de confiance alors qu'il agissait, dans la province de Québec, à titre de fiduciaire ou d'administrateur du bien d'autrui ou, dans les autres provinces, à titre de fiduciaire;

e) de toute dette ou obligation résultant de l'obtention de biens par des fausses représentations ou des présentations erronées et frauduleuses des faits;

f) de l'obligation visant le dividende qu'un créancier aurait eu droit de recevoir sur toute réclamation prouvable non révélée au syndic, à moins que ce créancier n'ait été averti ou n'ait eu connaissance de la faillite et n'ait omis de prendre les mesures raisonnables pour prouver sa réclamation;

g) de toute dette ou obligation découlant d'un prêt consenti ou garanti au titre de la Loi fédérale sur les prêts aux étudiants, de la Loi fédérale sur l'aide financière aux étudiants ou de toute loi provinciale relative aux prêts aux étudiants lorsque la faillite est survenue avant la date à laquelle le failli a cessé d'être un étudiant, à temps plein ou partiel, en application de ces lois, ou dans les dix ans suivant cette date;

h) de toute dette relative aux intérêts dus à l'égard d'une somme visée à l'un des alinéas a) à g).

[7] Il est évident que la plaignante ne tombe dans aucune de ces exceptions. Me Jobidon en tire donc la conclusion que puisqu'elle n'a pas obtenu l'autorisation de la Cour supérieure du Québec pour poursuivre sa procédure devant le Tribunal et qu'aucune des exceptions prévues au paragraphe 178(1) ne s'applique, alors le Tribunal n'a pas compétence pour poursuivre l'audition de la présente plainte.

Décision

[8] Une proposition concordataire est un contrat entre un débiteur et ses créanciers. Ces propositions sont couvertes par la Partie III de la Loi sur la faillite traite des dispositions applicables à ces propositions. Le débiteur qui présente une proposition est une personne insolvable au sens de l'article 2 de la Loi sur la faillite, mais n'est pas un failli.

[9] Selon l'article 2 de la Loi sur la faillite, le mot personne comprend une corporation, mais la définition de personne insolvable exclut celle qui est en faillite. Dans le cas présent, Me Jobidon, a qui incombait le fardeau de démontrer que le Tribunal n'était pas compétent pour être saisi du dossier, n'a pas présent de preuve permettant d'établir que l'intimée était au moment de la présentation de sa proposition soit une personne insolvable ou un failli. J'en tire la conclusion que Groupe Major Express Inc. était, à ce moment, insolvable et non en faillite.

[10] Dans le cadre d'une proposition concordataire, le syndic ne prend pas possession des biens et il ne peut donc en disposer comme il le ferait dans le cas d'une faillite. D'ailleurs, il ne faut pas confondre les pouvoirs du syndic à l'égard de la possession et de la disposition des biens d'un failli et ceux du même syndic agissant lors de la proposition d'une personne insolvable. Malgré l'intervention du syndic, le débiteur demeure propriétaire de son entreprise. Le syndic est alors considéré comme un mandataire et non un cessionnaire. La Loi sur la faillite permet à une personne insolvable de soumettre une proposition à ses créanciers sans faire préalablement une cession de ses biens entre les mains du séquestre officiel. Ainsi, le débiteur conserve ses biens et continue de les administrer. (Darabaner c. Imperial Bank of Canada, [1960] C.S. 411; Appolo Refrigeration Inc. c. Office de construction du Québec, [1976] C.S. 1716; commenté par Bohémier, A. Proposition préventive - refus des créanciers - cession rétroactive - détermination des créances admissibles , (1977) 37 R. du B. 229.)

[11] Selon la Loi sur la faillite, si une proposition est refusée par les créanciers, le débiteur est réputé avoir fait cession de ses biens le jour du dépôt de la proposition. Toutefois, si les créanciers acceptent la proposition, le syndic doit immédiatement demander au tribunal de l'approuver (voir art. 58 de la Loi sur la faillite.) Une proposition acceptée par les créanciers et approuvée par le tribunal lie tous les créanciers détenant des réclamations prouvables visées par la proposition (par. 62(2) de la Loi sur la faillite). Dans un tel cas, le débiteur continue à faire affaire, mais doit se soumettre aux prescriptions de la Loi sur la faillite relatives aux propositions concordataires et aux restrictions résultantes de la proposition. Ce n'est que dans le cas de refus de la proposition par ses créanciers que le débiteur devient un failli et qu'il est présumé avoir fait une cession des ses biens. (Appolo Refrigeration Inc. c. Office de construction du Québec, précité)

[12] En l'espèce, nous pouvons déduire de la preuve soumise à l'audience que la proposition a été acceptée par les créanciers de l'intimé et approuvée par le tribunal. La proposition concordataire acceptée et approuvée n'a jamais été produite. Le Tribunal n'en connaît donc pas le contenu. De plus, Me Jobidon n'a soumis aucune preuve quant à l'exécution de cette proposition.

[13] À la suite de mon analyse de la Loi sur la faillite concernant les propositions concordataires et de l'état de la preuve présenté par l'intimé, je conclus que le fait que l'intimé ait déposé une proposition concordataire n'a aucun effet sur la compétence du Tribunal d'entendre la présente plainte. Dans le cas d'une proposition concordataire acceptée et approuvée, l'intimé continue à faire affaire. Aucun argument de l'intimé ne m'a convaincu qu'il était, de ce fait, libéré de ses obligations en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[14] Pour ces raisons, je conclus que le Tribunal a toujours compétence pour entendre la présente plainte. Les parties devront donc dans les dix (10) jours suivants la présente décision faire parvenir au Tribunal leurs dates de disponibilité pour les trois prochains mois pour une audience de trois (3) jours. Si les parties ne devaient pas se conformer à cette directive, le Tribunal fixera les dates de l'audience. Si l'une ou l'autre des parties n'a aucune date de disponible dans les trois prochains mois, elle devra, par écrit, donner au Tribunal des raisons suffisantes pour expliquer sa non-disponibilité. Le Tribunal décidera alors du bien-fondé de ces prétentions.

Signée par
Michel Doucet

OTTAWA, Ontario

Le 19 décembre 2007

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL : T1179/6106
INTITULÉ DE LA CAUSE : Magaly Germain c. Groupe Major Express Inc.
DATE ET LIEU DE L'AUDIENCE :

Le 21 novembre 2007

Québec (Québec)

DATE DE LA DÉCISION
SUR REQUÊTE DU TRIBUNAL :
Le 19 déceembre 2007
ONT COMPARU :
Jérôme Carrier Pour la plaignante
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