Tribunal canadien des droits de la personne

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D. T. 13/ 88

Décision rendue le 11 octobre 1988

DANS L’AFFAIRE DE LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE S. C. 1976- 1977, C. 33, version modifiée;

ET DANS L’AFFAIRE dune audience tenue devant un tribunal des droits de la personne nommé en vertu de l’article 39 de la Loi canadienne sur les droits de la personne

ENTRE:

LEON HINDS PLAIGNANT

- et

LA COMMISSION DE L’EMPLOI ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA MISE EN CAUSE

TRIBUNAL: SIDNEY N. LEDERMAN Président

DOROTHY BICKERTON Membre

ROBERT BRADLEY Membre

DÉCISION DU TRIBUNAL

ONT COMPARU: ANNE L. MACTAVISH Procureur du plaignant

JUDITH McCANN Procureur de la mise en cause

RENE DUVAL Procureur de la Commission canadienne des droits de la personne

DATES ET LIEU DE L’AUDIENCE Les 17 et 18 ao t 1988 Ottawa (Ontario)

MOTIFS

HINDS c. LA CEIC

LA PREUVE

Le plaignant, Leon Hinds, qui est de race noire, est né en Guyane britannique en 1922. Il a immigré au Canada en 1964, croyant y trouver un pays exempt de racisme. Cinq ans plus tard, il est devenu citoyen canadien. En 1969, il a obtenu un emploi la Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada (CEIC), où il est demeuré dix- huit ans, ce qui représente une durée considérable. Il attribue son départ, dans une large mesure, aux événements sur lesquels se fonde sa plainte contre la CEIC.

L’affaire commence le 21 mars 1986. A cette époque, M. Hinds était âgé de 64 ans, occupait un poste classé CR- 4 et travaillait comme commis à la section de l’application des droits du public. Ce service était loge au quatrième étage d’un immeuble, compris dans un complexe gouvernemental à Hull (Québec), connu sous le nom de Hull 4 ou H4. Dans l’ensemble, les locaux étaient aménagés en aires ouvertes, les diverses zones de travail étant séparées par des cloisons. Ce jour- l’a, en revenant à son bureau situé dans lune des zones de travail, il trouva une enveloppe cachetée adressée comme suit

"L. C. Hinds Hull 4"

L’enveloppe était du type de celles qui servent couramment Emploi et Immigration Canada pour l’expédition du courrier externe et parfois du courrier interne. Celle- ci avait manifestement été livrée de l’intérieur, puisqu’elle ne portait aucun timbre- poste. L’ayant ouverte, M. Hinds y trouva la photocopie d’un questionnaire intitulé Demande d’emploi pour les nègres (Employment Application for Niggers). Le texte qui suivait contenait des allusions racistes blessantes encore plus ignobles et dégradantes. Dans son témoignage, M. Hinds a déclaré avoir été profondément trouble, choqué et courroucé. Lorsqu’il eut repris ses esprits, il montra le document à quelques collègues de sa section. M. Hinds questionna également la commis au courrier, Mme Margaret Cousineau, qui confirma avoir réceptionné la lettre par le truchement du système de courrier interne et l’avoir déposée sur le bureau de M. Hinds. Elle ne pouvait toutefois pas en déterminer l’origine.

M. Hinds s’adressa ensuite au Directeur de son service, M. Jeremiah Walsh. Il lui raconta les événements et lui montra le formulaire. M. Walsh se montra vraiment préoccupé par ce problème. Il suggéra de soumettre l’affaire à M. Keith Williamson, Directeur de la sécurité à la CEIC. M. Walsh estimait qu’il s’agissait là d’une question de sécurité. Il téléphona immédiatement à M. Williamson, en présence de M. Hinds, et fixa un rendez- vous pour que tous deux se rencontrent plus tard le même jour. Encore sous le coup de l’émotion, et avant que n’ait lieu cette rencontre, M. Hinds rédigea et livra une lettre adressée à la Ministre responsable de l’Emploi et de l’Immigration, Mme Flora MacDonald. La lettre, accompagnée d’une copie du formulaire reçu par lui ce matin- là, déclarait ce qui suit:

(traduction)

"Je considère cette affaire comme sérieuse. C’est pourquoi je m’adresse directement à vous. Je compte que vous prendrez les mesures nécessaires, conformément aux buts et objectifs de la Commission et du Canada entier."

Il eut ensuite une réunion avec M. Williamson, dans le bureau de ce dernier, à l’heure prévue. M. Hinds, dans son témoignage, a déclaré que M. Williamson s’était montré scandalisé lorsqu’il apprit ce qui s’était passé. Toutefois, les témoignages de M. Hinds et de M. Williamson (qui a également déposé) divergent sérieusement sur ce qui s’est dit lors de 1éntretien qui a suivi.

D’après son propre témoignage, M. Hinds remit à M. Williamson l’enveloppe et le document originaux, ne conservant qu’une copie pour lui- même. Selon M. Hinds, M. Williamson lui déclara qu’une enquête serait tenue et qu’il lui en donnerait des nouvelles et lui fournirait une copie du rapport. Il demanda à M. Hinds si ce dernier avait été victime d’autres harcèlements et s’il pouvait fournir des documents touchant ces autres incidents. M. Williamson déclara également que, comme l’affaire s’était produite dans la province de Québec, il préviendrait la police du Québec. A son avis, il n’y avait pas là matière pénale, et la GRC n’avait par conséquent pas compétence. Il demanda à M. Hinds s’il connaissait le coupable. M. Hinds lui dit que non; il n’avait non plus aucun soupçon sur qui que ce soit. Quelques jours plus tard, M. Hinds remit à M. Williamson les documents demandés sur les incidents antérieurs. M. Williamson a donné de cet entretien une version passablement différente. Nous en reparlerons plus tard dans le présent chapitre concernant les motifs.

En ce qui concerne sa communication à la Ministre, M. Hinds a effectivement reçu copie d’une note de service datée du 21 mars 1986, adressée au sous- ministre par le chef de cabinet de la Ministre, M. Bill Musgrove. Cette note contenait le passage suivant:

(traduction)

"Vous n’ignorez pas l’importance majeure que la Ministre accorde à ce genre de comportement et combien elle serait bouleversée de savoir qu’un tel incident puisse se passer dans son ministère.

Je vous saurais gré d’enquêter immédiatement sur cette affaire et de faire rapport à la Ministre dès que possible."

Outre cette copie de la note de service, M. Hinds ne reçut aucune autre communication écrite directe de la Ministre ni de quiconque dans son ministère.

D’après son témoignage, M. Hinds supposa alors que la CEIC menait sa propre enquête et qu’il serait informé à point nommé par M. Williamson.

En mai 1986, M. Hinds fut muté de la section de l’Application des droits du public à la section de la Planification des ressources humaines, aux services du Personnel, pour une période initiale d’un an. Il conservait la même classification et continuait de recevoir le même salaire. Il était entendu que M. Hinds, qui allait atteindre l’âge de 65 ans le 27 mai 1987, ne souhaitait pas s’engager, au moment de sa mutation aux services du Personnel, à prendre sa retraite le jour de son anniversaire. Il n’existait pas d’âge obligatoire de retraite à la CEIC. Toutefois, il lui était possible de décider de se retirer ce jour- là. D’autre part, il était entendu que, s’il décidait de ne pas prendre sa retraite, les services du Personnel assumeraient la responsabilité de sa situation à partir de cette date.

C’est M. Jacques Lefebvre qui est Directeur des services du personnel à la CEIC. Il fut mis au courant de l’incident Hinds à l’automne de 1986, par un agent de la section de l’application des droits du public qui attira son attention sur cette affaire, par suite des demandes de renseignements de la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP). On demanda à M. Lefebvre de faire le point sur la question et de dire où les choses en étaient en ce qui concernait M. Hinds. Le 14 octobre 1986, M. Lefebvre rencontra M. Hinds et lui demanda ce qui se passait et ce qui pouvait être fait. D’après M. Lefebvre, M. Hinds lui aurait répondu qu’il était passe de l’eau sous les ponts depuis l’incident et que c’était maintenant la CCDP qui s’occupait de l’affaire. M. Hinds l’informa qu’il semblait que la CEIC ne pouvait pousser l’enquête plus loin et que, pour ce qui concernait l’administration du personnel, on pouvait laisser tomber l’affaire. M. Lefebvre, dans son témoignage, a déclaré qu’il avait discuté avec M. Williamson et conclu qu’effectivement, il n’y avait pas moyen de poursuivre les démarches. Si l’auteur de l’envoi avait été connu, les choses auraient été différentes, puisqu’on aurait pu prendre des mesures disciplinaires contre lui. M. Hinds fut prié d’écrire une note de service à M. Lefebvre déclarant qu’il comprenait la situation et confirmant qu’il considérait l’affaire comme terminée. Le 16 octobre 1986, M. Hinds écrivit donc cette note. Il y disait ce qui suit:

(traduction)

"D’après notre conversation du 14 octobre 1986, je comprends que l’enquête [de la CEIC] n’a permis de recueillir aucun indice sur un coupable quelconque. Je saisis l’occasion pour demander qu’une copie du rapport ce sujet me soit remise. En conséquence, j’estime que, pour l’instant, il ne sert à rien de poursuivre les démarches à [la CEIC]. Sur un autre plan, et afin d’aider a prévenir que d’autres incidents du même genre ne se reproduisent à l’avenir, je compte donc poursuivre ma collaboration avec les enquêteurs de la CCDP.

J’ai la conviction que les responsables de [la CEIC] ont fait le maximum possible dans les circonstances, étant donné la difficulté d’établir une preuve...

Je vous remercie des renseignements que vous m’avez fournis et que je considère comme concluant ce chapitre des événements."

Dans son témoignage, M. Hinds a déclaré qu’en rédigeant cette note de service, il avait suppose que M. Williamson avait mené une enquête complète afin de chercher à déterminer l’identité de l’auteur de la lettre, et qu’il avait abouti une impasse. M. Hinds n’a jamais reçu copie du rapport, comme l’avait demandé dans sa note de service. La raison en est qu’il n’y avait eu aucune enquête et, par conséquent, aucun rapport.

Dans son témoignage, M. Hinds a déclaré avoir appris qu’aucune enquête n’avait effectivement été menée de la bouche d’un représentant de la CCDP qui s’occupait d’instruire sa plainte dans cette affaire. A ce moment, sa réaction a été de croire que la CEIC n’avait pas accorde d’importance à la question et qu’elle avait agi de façon totalement inconsidérée envers lui, en tant qu’être humain. Il s’est senti blessé et humilié que la CEIC n’ait même pas pris la peine de faire la moindre enquête.

Comme nous l’avons dit plus haut, M. Hinds ne s’était jamais engagé A prendre sa retraite au moment ou il atteindrait l’âge de 65 ans, en mai 1987. Depuis longtemps, il comptait rester au service de la Fonction publique pendant deux ans après cette date et ne se retirer qu’à l’âge de 67 ans. Il a déclaré dans son témoignage que le fait que la CEIC n’ait ni agi ni réagi dans une affaire qu’il estime être d’une importance fondamentale pour sa dignité humaine l’a poussé à accepter l’indemnité de fin d’emploi en espèces qui lui était offerte. Il avait en effet la possibilité de quitter la CEIC à l’automne de 1987 tout en recevant sa rémunération pour les six mois suivants. De l’avis général, l’incident n’a nullement influé sur l’offre que la CEIC a faite à M. Hinds. Il lui était possible d’obtenir six mois de salaire et d’avantages sociaux, moyennant une démission. Cette offre s’inscrivait dans le cadre d’un plan global visant a réduire les effectifs de certains services du ministère. on avait clairement fait savoir à M. Hinds que s’il n’acceptait pas l’offre, aucune pression ne serait exercée pour le faire démissionner et qu’il pourrait conserver son emploi, sans problème. M. Hinds a admis franchement que d’autres facteurs, outre l’incident et la façon dont la CEIC s’était occupée de la question, l’avaient convaincu de prendre sa retraite. Il aurait ainsi l’occasion de suivre certains cours qui l’intéressaient, et il lui apparaissait opportun de partir, compte tenu du fait qu’il ne pourrait conserver son emploi plus de deux ans, au maximum. L’offre qui lui a été faite vers le mois de mai 1987, et qu’il a acceptée, présentait donc certains attraits pour M. Hinds.

Après son départ de la CEIC, M. Hinds n’a fait aucun effort pour chercher un autre emploi. Au contraire, il s’est remis à étudier, se consacrant à la préparation d’une maîtrise et à des recherches à temps partiel. Depuis ce temps, sa seule source de revenu a été sa pension de retraite et les divers avantages sociaux auxquels il a droit.

M. Keith Williamson est le Directeur de la sécurité à la CEIC. A ce titre, il s’occupe notamment des appels téléphoniques et des correspondances hostiles, des enquêtes pénales sur les employés, des autorisations de sécurité, de la divulgation de renseignements à la police et de la sécurité des communications. Il occupe son poste depuis mai 1983. Il a des états de service dans la police et possède une formation et de l’expérience en matière d’interrogatoires et de techniques d’enquête.

Voici l’essentiel de son témoignage à propos de son entretien avec M. Hinds. M. Williamson a senti que M. Hinds considérait l’incident comme sérieux. Après avoir écouté le récit de l’incident et examiné le document, M. Williamson a conclu qu’il provenait probablement d’un employé de la CEIC. il ne serait pas facile de trouver cette personne, puisque le seul immeuble H- 4 abrite entre 2 500 et 3 000 employés. Williamson a déclaré avoir expliqué a M. Hinds qu’il s’agissait l’a d’un incident isolé qui ne s’était jamais produit auparavant (et il n’existe aucun indice que la chose se soit répétée). De plus, comme le document avait été manipulé par plusieurs personnes, il serait pratiquement impossible d’utiliser les empreintes digitales, à supposer que l’on puisse en relever. C’est pourquoi, à moins d’indices supplémentaires, M. Williamson estimait ne posséder aucune base pour orienter son enquête. Il a déclaré dans son témoignage que M. Hinds lui avait donné l’impression de comprendre ce point de vue. Ce jour- là, M. Hinds a également informé M. Williamson de diverses autres manifestations de racisme à son endroit survenues dans le passe’. M. Williamson a insisté pour dire que M. Hinds et lui- même s’étaient clairement entendus lors de l’entretien pour dire qu’il n’existait aucun moyen de tenir une enquête sur cette lettre anonyme. Dans son témoignage, M. Williamson a affirmé avoir clairement dit à M. Hinds que rien ne pouvait être fait et qu’il ne mènerait pas d’enquête. M. Williamson avait l’impression très nette que M. Hinds avait compris cela. M. Williamson, dans son témoignage, a également déclaré qu’il n’avait pas appelé la police, sachant qu’il serait probablement impossible de relever des empreintes digitales sur le document et que, même si on le pouvait, celles- ci ne pourraient servir à identifier l’auteur de la lettre, étant donné le nombre de personnes qui avaient manipulé le document. A la fin de l’entretien, M. Williamson a dit à M. Hinds de ne pas hésiter à revenir le voir si un autre incident du même genre se produisait.

D’après son témoignage, M. Williamson a ensuite rédigé la version préliminaire d’une note de service, à l’intention de M. Gaétan Lussier, Sous- ministre. Cette note devait être envoyée à la Ministre, sous la signature du Sous- ministre. Une version finale fut établie et expédiée à la Ministre le 4 avril 1988. Il y e était question notamment de la rencontre entre M. Hinds et M. Williamson, dans les termes suivants:

(Traduction)

"Au cours de cet entretien, il a été établi que le document en question correspondait à un incident isolé. Le Directeur de la sécurité a donné à M. Hinds l’assurance qu’une telle correspondance était prise très au sérieux par le ministère. Toutefois, il lui a également expliqué qu’il n’existait pratiquement aucun espoir de repérer le coupable. M. Hinds avait montré le document à d’autres personnes. Lui- même et tous ces gens avaient manipulé la feuille de papier, ce qui éliminait la moindre possibilité de retrouver l’auteur de la lettre au moyen des empreintes digitales.

M. Hinds a été prié de faire part au Directeur de la sécurité de tout autre incident du même genre afin de ne pas réagir de façon à encourager la personne responsable.

Dans les circonstances, il n’existe malheureusement aucune possibilité de tenir une enquête à l’heure actuelle."

Pour M. Williamson, une chose est claire: il n’a pas été question d’une enquête. D’ailleurs, la Ministre en a été informée. Il existe donc un problème de crédibilité entre M. Hinds et M. Williamson, sur la question de savoir si M. Hinds était au courant de ce fait. M. Williamson a déclaré dans son témoignage avoir explicitement informé M. Hinds, le 21 mars 1986, qu’aucune enquête ne serait tenue, car la chose paraissait inutile. Ceci est confirmé dans une certaine mesure par la teneur de la note de service qu’il a préparée pour la signature de M. Lussier. Quant à M. Hinds, il a témoigné avoir été informé du fait contraire, à savoir qu’une enquête complète serait tenue, et qu’on lui transmettrait une copie du rapport.

M. Williamson n’a pris aucune note de son entretien avec M. Hinds. Il nie avoir jamais dit à M. Hinds qu’il appellerait la police, puisqu’il ne voyait aucun élément pouvant servir de point de départ à une enquête. Il ne s’est pas demandé si l’incident pouvait avoir une dimension criminelle; il n’a pas non plus consulté les juristes de la CEIC pour obtenir leur opinion là- dessus. Au bout du compte, qu’il y ait eu crime ou non, M. Williamson en est arrive à la conclusion que, comme aucune caractéristique du document ne pouvait servir à orienter une enquête qui puisse permettre d’identifier le coupable, il s’avérait inutile de recourir à la police et, bien entendu, d’amorcer une enquête quelconque de son côté à lui. Il a donc laissé tomber l’affaire, sans plus.

La façon dont les parties se sont comportées après la rencontre du 26 mars 1988 pourrait contribuer à éclairer le problème. Nous avons déjà parlé de la note de service du 4 avril adressée par M. Lussier à la Ministre, et rédigée par M. Williamson. De son côté, à la suite de l’entretien, M. Hinds a écrit une lettre datée du 24 mars 1986 à M. Gordon Fairweather, Président de la Commission canadienne des droits de la personne, afin de mettre la Commission au courant du formulaire désobligeant qu’il avait reçu. La conclusion de sa lettre se lisait comme suit

(Traduction)

"Je crois comprendre qu’il y aura une enquête officielle. A mon avis, cette enquête devrait être complète. Si elle n’apporte pas de résultats satisfaisants, je n’aurai d’autre choix que de vous soumettre l’affaire, afin que vous preniez officiellement des mesures."

Ceci permet de supposer que M. Hinds, quelque trois jours après son entretien avec M. Williamson, croyait qu’une enquête complète serait tenue et qu’il a fait part de cette conviction à M. Fairweather.

A ce sujet, le témoignage de M. Jeremiah Walsh présente un certain intérêt. M. Walsh, appelé à témoigner par la CEIC, a déclaré qu’entre deux semaines et un mois après l’incident, il avait demandé à M. Williamson des nouvelles de l’affaire. M. Williamson lui a déclaré que l’enquête était encore en cours. M. Walsh estimait la chose appropriée. M. Williamson lui a donné l’assurance qu’il s’occupait de l’affaire. M. Walsh a donné un témoignage sans équivoque à ce sujet. M. Williamson a nettement donné à M. Walsh l’impression qu’il menait une enquête complète. Il lui a bien dit qu’il serait difficile d’identifier la personne responsable, puisqu’on était en présence d’une lettre anonyme et qu’il semblait impossible de relever des empreintes digitales. Ceci contredit directement le témoignage de M. Williamson qui affirme se rappeler très bien avoir informé M. Walsh qu’il avait décidé de ne pas mener d’enquête sur la question, et de lui avoir expliqué les raisons de cette décision. Il soutient que M. Walsh doit se tromper. Le témoignage de M. Williamson est donc en opposition avec ceux de M. Walsh et de M. Hinds sur deux points importants.

CONCLUSIONS

Même si M. Williamson soutient qu’il n’a jamais eu l’intention de tenir une enquête et qu’il a fait part de cette décision et de ses raisons à M. Hinds le 21 mars 1986, et même si sa note de service pour M. Lussier a été rédigée le même jour, ou presque, nous croyons que la conduite et les souvenirs des personnes en cause ne peuvent permettre de soutenir qu’une seule conclusion, à savoir que M. Hinds a été informé qu’une enquête était en cours. C’est là ce que M. Hinds se rappelle clairement. Nous devons retenir que pour lui, il s’agissait là d’une question d’importance capitale, tandis qu’elle n’était qu’une affaire parmi d’autres pour M. Williamson (dont, en plus, le personnel venait d’être réduit). Par conséquent, les souvenirs que M. Hinds a conserves de l’entretien devraient vraisemblablement être plus fidèles.

Il est étonnant que M. Williamson n’ait pris aucune note de sa conversation avec M. Hinds et qu’il doive par conséquent se fier à sa mémoire. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ses souvenirs ne sont pas toujours exacts. Par exemple, il ne peut se rappeler ce qu’il est advenu de la note et de l’enveloppe originales. Il présume les avoir remises à M. Hinds, mais sans en être s r. M. Hinds, pour sa part, est formel: il a laissé les documents originaux à M. Williamson. Si M. Williamson a des doutes sur ce point, l’on peut croire que la certitude qu’il affiche en ce qui concerne d’autres aspects de l’entretien est sujette à caution. Mais, et c’est là le plus important, quelques jours après l’entretien, M. Hinds a adressé une lettre à M. Fairweather dans laquelle il affirme clairement croire qu’une enquête complète sera menée.

Toutefois c’est encore le témoignage de M. Walsh qui est le plus probant. Celui- ci a affirmé qu’entre deux et quatre semaines après l’entretien Hinds- Williamson, M. Williamson lui avait déclaré que l’enquête était encore en cours. Nous nous trouvons donc devant un conflit entre les dépositions de deux témoins appelés par la mise en cause. Nous préférons le témoignage de M. Walsh.

Et même la rencontre entre M. Hinds et M. Lefebvre, qui a eu lieu à l’automne de 1986, laisse l’impression, d’après la note de M. Hinds à M. Lefebvre, que M. Hinds avait été amené à croire qu’une enquête avait été tenue, mais que les résultats n’en n’étaient pas concluants. D’après cette note de service, on constate que M. Hinds espérait toujours recevoir un exemplaire du rapport d’enquête.

Même si, dans son témoignage, M. Lefebvre affirme avoir déclaré à M. Hinds qu’il n’existait aucun rapport, la note de service de M. Hinds laisse croire le contraire. Tous ces éléments nous amènent inévitablement à conclure que M. Hinds a supposé, à bon droit, que l’affaire n’avait pas été abandonnée au départ, et qu’une enquête était en cours. Sa déception, lorsqu’il a appris par la CCDP, au printemps de 1987, soit plus d’un an après l’incident, qu’une telle enquête n’avait jamais même été amorcée est tout à fait compréhensible.

RESPONSABILITÉ DE LA CEIC

Ce qu’il nous reste comme fait, c’est un incident humiliant et insultant qu’un inconnu a fait subir à M. Hinds. La seule question encore en suspens est celle de savoir si la réponse de la CEIC était appropriée, dans les circonstances.

La plainte de M. Hinds soutient qu’il y a eu infraction à l’alinéa 13.1 1) c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP), lequel se lit comme suit:

"Constitue un acte discriminatoire le fait de harceler un individu

c) en matière d’emploi pour un motif de distinction illicite."

Nul ne conteste que le geste de l’inconnu constitue un harcèlement à l’égard de M. Hinds, harcèlement qui est fondé sur la race.

Comme l’on présume que cet acte a été commis par un collègue inconnu de M. Hinds, le plaignant et la CCDP se fondent sur le paragraphe 48 5) de la LCDP pour en imputer la responsabilité à l’employeur, la CEIC. Cette disposition se lit comme suit:

"Sous réserve du paragraphe (6), les actes ou omissions commis par un employé, un mandataire, un administrateur ou un dirigeant dans le cadre de son emploi sont réputés pour l’application de la présente loi, avoir été commis par la personne, l’organisme ou l’association qui l’emploie."

Le paragraphe peut donner lieu à une responsabilité, en l’espèce, seulement si la preuve démontre que l’envoi du formulaire offensant à M. Hinds était le geste d’un employé de la CEIC. Le Procureur de la CEIC a soutenu que, comme l’identité de l’auteur était inconnue, l’on ne pouvait conclure avec certitude que le geste en question avait été commis par un collègue de M. Hinds. D’après les circonstances, toutefois, il semble presque certain que ce soit le cas. on sait en effet que la personne en question avait accès au papier à lettres de la CEIC, connaissait le lieu de travail de M. Hinds à l’intérieur du complexe du gouvernement, savait comment adresser une enveloppe pour lui faire parvenir sa lettre et, en outre, était familiarisée avec le système de courrier interne de la CEIC et y avait accès. Compte tenu de tous ces éléments, il est difficile de penser que le responsable ne soit pas un employé de la CEIC. C’était d’ailleurs l’opinion de M. Williamson lui- même.

Cet acte doit avoir été commis dans le cadre de [l’] emploi de l’employé. Ce membre de phrase, qui fait partie d’un autre article de la LCDP, a été interprété par la Cour suprême du Canada au regard de l’objectif de la loi. En effet, dans l’affaire Robichaud c. le Conseil du Trésor du Canada (1987) 8 C. H. R. R. D/ 4327, le juge LaForest déclare ce qui suit:

(Traduction)

"Il semblerait plus logique et plus conforme à l’objectif de la [LCDP] d’interpréter l’expression dans le cadre de l’emploi comme signifiant lié au travail ou à l’emploi... (D/ 4331)

.... Je conclurais donc que la loi prévoit une responsabilité des employeurs pour tous les actes commis par leurs employés dans le cadre de l’emploi de ceux- ci, l’expression étant prise dans un sens qui répond à l’objectif de la loi, comme nous l’avons exposé plus haut, c’est- à- dire comme étant lié ou associé à l’emploi de la personne." (D/ 4333).

Il est certain que, dans cette affaire, l’acte a été commis dans le cadre de l’emploi de son auteur, puisque toutes les circonstances du harcèlement étaient liées à cet emploi, en ce sens que l’acte a eu lieu dans le milieu de travail.

Même lorsque la responsabilité d’un employeur apparaît comme bien fondée en vertu du paragraphe 48( 5), il est possible pour cet employeur d’invoquer le paragraphe 48( 6) comme défense. Cette disposition se lit comme suit:

(Traduction)

"La personne, l’organisme ou l’association vise au paragraphe (5) peut se soustraire à son application s’il établit que l’acte ou l’omission a eu lieu sans son consentement, qu’il avait pris toutes les mesures nécessaires pour l’empêcher et que, par la suite, il a tenté d’en atténuer ou d’en annuler les effets."

La seule jurisprudence canadienne concernant le paragraphe 48 6) se trouve dans l’affaire François c. Le Canadien Pacifique Limitée (1985) 9 C. H. R. R. D/ 4724. La décision a été rendue par un tribunal canadien des droits de la personne. A la page D/ 4732, le président (Kevin W. Hope) évoque les trois conditions fondamentales auxquelles l’employeur doit répondre pour se soustraire à la responsabilité stipulée dans le paragraphe 48( 5), c’est- à- dire:

"1) que l’employeur n’ait pas consenti à la perpétration de l’acte ou de l’omission faisant l’objet de la plainte;

2) que l’employeur ait exercé toute la diligence nécessaire pour prévenir la perpétration de l’acte ou de l’omission; et

3) que l’employeur ait exercé toute la diligence nécessaire par la suite pour atténuer ou annuler l’effet de l’acte ou de l’omission."

Il se demande ensuite si, dans les circonstances entourant le harcèlement raciste sur lequel porte cette affaire, l’employeur a répondu à ces conditions. Il conclut affirmativement. Or, l’un des aspects de la réaction de l’employeur qui amène le président à tirer cette conclusion est la conduite d’une enquête complète, encore que celle- ci n’ait pas permis de découvrir le coupable.

En examinant la question de savoir si l’employeur avait exercé toute la diligence nécessaire... pour atténuer ou annuler l’effet de l’acte de l’autre employé, il faut tenir compte de la façon dont il a réagi. Bien que la LCDP n’exige pas que l’employeur maintienne un milieu de travail irréprochable, elle demande toutefois qu’il prenne des mesures promptes et efficaces lorsqu’il sait, ou qu’il devrait savoir, que la conduite de certains employés dans le milieu de travail constitue du harcèlement raciste (voir l’affaire Continental of Canada Company c. State of Minnesota (1980) 297 N. W. 2d 241). Pour satisfaire à la charge qui lui incombe, l’employeur doit avoir une réaction proportionnée au caractère de l’incident lui- même (voir l’affaire Shaffer c. le Conseil du Trésor (1984) 5 C. H. R. R. D/ 2315 à D2316). Pour se soustraire a la responsabilité, l’employeur doit prendre des mesures raisonnables pour atténuer, autant qu’il le peut, le malaise qui règne dans le milieu de travail et pour donner aux personnes intéressées l’assurance qu’il a la ferme volonté de maintenir un milieu de travail exempt de harcèlement raciste. La réaction appropriée est donc à la fois prompte et efficace et sa force doit être fonction des circonstances du harcèlement, dans chaque cas.

Le procureur du plaignant et de la CCDP a soutenu que la conduite (pour être plus précis, l’absence de conduite) de la CEIC n’avait eu aucun effet susceptible d’atténuer les conséquences du harcèlement. Qui plus est, en omettant d’exercer toute la diligence nécessaire, a- t- on soutenu, l’employeur n’a réussi qu’à aggraver le préjudice subi par M. Hinds.

Il est certain qu’une fois que l’affaire a été entre les mains de M. Williamson, celui- ci n’a rien fait. Pour s’expliquer, il a déclaré que rien ne pouvait être fait à cause du manque de preuves. Nous reconnaissons qu’il faisait face à un problème, mais nous comprenons mal qu’une personne responsable de la sécurité, abstraction faite de l’expérience dont disposait M. Williamson en matière de techniques d’enquête, n’ait même pas procédé aux recherches les plus rudimentaires sur cette affaire. On se serait attendu à ce qu’il ait au moins interrogé les personnes travaillant dans la salle du courrier pour savoir si elles avaient quelque souvenir sur le traitement de cette lettre. Il n’a même pas parlé à Mme Margaret Cousineau, la messagère qui avait déposé l’enveloppe sur le bureau de M. Hinds.

M. Williamson a présumé qu’il s’agissait là d’un incident isolé et qu’aucun suivi n’était requis. Pourtant, il n’a questionné aucun des autres membres des minorités visibles qui auraient très bien pu eux aussi avoir reçu des documents insultants analogues, mais auraient décidé de ne pas en parler.

M. Williamson n’a pas non plus jugé bon de prévenir la police et et de lui confier l’affaire, même si l’acte en question risquait de constituer un acte criminel, soit de diffamation, soit d’incitation publique à la haine ou encore d’expédition par la poste de documents obscènes ou haineux. Il ne s’est même pas demande si l’acte était de nature pénale et n’a sollicité aucun avis juridique sur la question. Il s’est simplement abstenu d’agir.

Bien que M. Hinds, à sa demande expresse, lui ait remis des documents qui prouvaient l’existence de harcèlements racistes antérieurs, survenus sur une période de plusieurs années, M. Williamson n’a pas non plus cherché a savoir s’il y avait eu répétition des mêmes comportements et si le geste en question s’inscrivait dans une série.

A notre avis, il s’agissait d’un incident tout à fait méprisable qui méritait une enquête sérieuse de la CEIC. C’est la réaction qu’il aurait fallu avoir pour démontrer non seulement que ce type de harcèlement était considéré comme intolérable, mais que des efforts sérieux seraient déployés pour trouver le coupable et pour le traiter comme il le méritait. Cela aurait constitue, a tout le moins, une manifestation ouverte de désapprobation à l’égard de cet incident, qui aurait peut- être servi de dissuasif à d’autres personnes susceptibles de commettre des actes analogues. Mais il n’y eut simplement aucune réaction.

L’absence de preuves ne constitue pas pour nous une excuse acceptable. Pour tirer une conclusion, il faut commencer par tenir une enquête. Dans l’affaire Munford v. James T. Barnes & Co. (1977) 441 F. Supp. 441, la U. S. District Court a fait le commentaire suivant au sujet d’un employeur qui avait omis d’enquêter sur un incident de harcèlement sexuel (p. 466)

(Traduction)

"Un employeur peut être tenu responsable des actes discriminatoires commis par ses agents ou pas des membres de son personnel surveillant, s’il omet de faire enquête sur les plaintes concernant les discriminations. Le fait de ne pas enquêter constitue un appui tacite à la discrimination, car l’absence de sanction encourage le comportement abusif ... le tribunal est d’avis que l’employeur a le devoir d’agir de façon positive pour instruire les plaintes de harcèlement sexuel et prendre les mesures qui s’imposent à l’égard des membres de son personnel trouvés coupables."

Dans l’affaire qui nous intéresse, on constate un défaut d’exercer la moindre diligence à cet égard dans le but d’atténuer les effets du harcèlement. Malheureusement, l’inaction de la CEIC a eu des effets négatifs supplémentaires, puisqu’elle a donne aux personnes concernées l’impression que cette forme de harcèlement ne méritait même pas qu’on y consacre les moyens d’enquête disponibles, en l’absence de tout indice manifeste. On a l’impression que l’affaire a été traitée comme s’il s’agissait d’une blague inoffensive face à laquelle M. Hinds aurait eu une réaction excessive, et que la meilleure chose serait d’oublier l’affaire, tout simplement.

Ce qui est plus consternant, c’est la façon dont M. Williamson a donne à croire à M. Hinds, et même à M. Walsh, qu’il procédait à une enquête quelconque. Peut- être souhaitait- il éviter une éventuelle confrontation à ce sujet s’ils apprenaient la vérité. Toutefois, cela n’a servi qu’à exacerber les effets négatifs.

Dans cette triste affaire, M. Williamson n’est pas le seul responsable, La manière dont la Ministre et le Sous- ministre ont traité la question démontre un manque de sensibilité et de considération élémentaire pour M. Hinds. Ayant reçu d’un de ses employés une lettre lui apprenant que celui- ci avait été victime d’injures racistes, la Ministre n’a même pas manifesté la simple politesse de communiquer directement avec lui pour lui faire part de ses regrets et de son encouragement. M. Hinds n’a reçu que la copie d’une note de service adressée au Sous- ministre par le chef de cabinet de la Ministre. En fait, la seule réponse directe que M. Hinds ait jamais reçue de la CEIC dans cette affaire est celle que lui a donnée M. Lefebvre quelque six mois après l’incident, lors d’un entretien verbal. Et même alors, c’est uniquement à cause de l’enquête de la CCDP que la chose s’est produite. Même ce moment- là, M. Hinds avait toujours l’impression que la CEIC avait effectué une enquête, sans toutefois pouvoir trouver le coupable. Rien ne lui a été communiqué par écrit, mais, ici encore sans la moindre considération pour la gravité de l’affaire, il lui a été demande de rédiger une note de service adressée à M. Lefebvre faisant état de sa compréhension et de son acceptation de la situation.

On imagine facilement la désillusion de M. Hinds lorsqu’il a appris par la CCDP, en mars 1987, que la CEIC n’avait jamais amorcé la moindre enquête.

Compte tenu de tous ces faits, nous devons conclure que la CEIC ne peut pas se prévaloir des motifs de défense prévus au paragraphe 48( 6) de la LCDP. De la Ministre jusqu’au Directeur de la sécurité, les insuffisances de la CEIC devant ce cas de harcèlement ont aggravé l’humiliation initiale.

La CEIC s’est dotée de consignes sur le harcèlement personnel. Cette question est traitée dans une brochure intitulée Code de conduite et dans le manuel de gestion du personnel. De plus, du temps est prévu dans les séances d’information des gestionnaires et des surveillants pour traiter la question du harcèlement personnel. Des politiques anti- harcèlement ont été établies et des preuves ont été données que la CEIC étudie et révise de façon continue ces lignes directrices et en tient les employés et les gestionnaires informés. Néanmoins, malgré ces politiques et ces mesures visant a sensibiliser les personnes, il y a eu dans l’affaire qui nous occupe une consternante absence de réaction. Nous citerons à ce propos l’affaire Katz v. Dole (1983) 709 F. 2d 251 à la page 256 (U. S. Court of Appeals) où il est question de la responsabilité de l’employeur pour le harcèlement sexuel subi par une employée de la part de son surveillant

(Traduction)

"pour se soustraire a la responsabilité découlant du Title VII [Civil Rights Act], l’employeur doit, en apprenant l’existence d’un harcèlement sexuel, faire davantage que de simplement indiquer l’existence d’une politique officielle contre ce type de harcèlement."

SANCTIONS

(a) INDEMNISATION POUR PERTE DE REVENU

Dans son témoignage, M. Hinds a reconnu franchement que l’incident raciste dont il avait été victime et l’absence de réponse de la part de la CEIC ne constituaient qu’un seul des facteurs qui l’avaient poussé à quitter la Fonction publique le 2 octobre 1987. En mai 1987, on l’avait pressenti en lui offrant la possibilité de profiter d’une politique d’incitation qui prévoyait une indemnité de départ. En effet, le ministère venait d’entamer un programme de réduction de ses effectifs dans le cadre duquel diverses personnes, comme M. Hinds, s’étaient vu offrir six mois de salaire et d’avantages sociaux s’ils acceptaient de prendre leur retraite. On avait alors clairement expliqué à M. Hinds que s’il n’acceptait pas, sa situation ne s’en trouverait pas modifiée, et que quelqu’un d’autre serait déclaré excédentaire. Son poste n’était donc pas en jeu par suite du programme d’incitation avec indemnité de départ. Il réfléchit soigneusement, tenant compte du fait qu’il avait atteint l’âge de 66 ans et que les états de service supplémentaires qu’il allait accumuler, en vertu de sa propre décision, ne dépasseraient pas deux autres années au maximum et qu’il espérait pouvoir améliorer sa formation universitaire et, peut- être s’adonner à des recherches à temps partiel. Tous ces facteurs ont donc milité en faveur de sa décision d’accepter l’offre d’indemnité. M. Hinds a déclaré dans son témoignage que l’incident de la lettre et l’absence de réaction de la part de la CEIC avaient joué fortement dans le même sens. Il a affirmé que si l’incident ne s’était pas produit il serait probablement reste deux autres années. Il nous est difficile de soupeser les divers facteurs qui ont contribué à la décision de M. Hinds. Nous estimons toutefois qu’il est probable que les événements en question ont joue un certain rôle -- qui n’est sans doute pas négligeable -- dans sa décision de quitter son emploi plus tat qu’il ne l’avait d’abord prévu. Par conséquent, son départ est analogue à un licenciement (voir l’affaire Olarte et al. c. De Fillippis et les Commodore Brewers Machines Ltd. (1983) 4 C. H. R. R. D/ 1705 à la page D/ 1735). Nous estimons donc que M. Hinds a droit à une certaine indemnisation pour le revenu qu’il a perdu à cause de l’acte discriminatoire, mais nous croyons que la somme doit être réduite puisque d’autres facteurs ont joué dans la décision qu’il a prise d’accepter l’offre de retraite avec indemnité.

Depuis son départ de la CEIC, en octobre 1987, M. Hinds n’a ni travaillé ni fait d’efforts pour trouver de l’emploi. Cela est tout à fait compréhensible, compte tenu de son âge. Il s’est effectivement remis à étudier et a obtenu un diplôme de maîtrise; de même, il s’adonne à des recherches à temps partiel. Ses revenus se composent de sa rente de retraite et des avantages sociaux qu’il reçoit. Dans le cadre de son témoignage, M. Hinds a déposé une déclaration de perte de revenus où il annonce avoir perdu une somme annuelle de 19 406,88 $ en quittant son emploi. Le calcul a été établi en soustrayant du salaire annuel reçu par M. Hinds en 1986 à la CEIC, soit 24 588,00 $ le total des prestations qu’il a effectivement reçues (pension de retraite de la Fonction publique, Régime des pensions du Canada et Sécurité de la vieillesse) au cours de l’année qui a suivi sa retraite. Personne n’a contesté l’exactitude des chiffres figurant dans la déclaration de perte de revenus.

Madame Mactavish a soutenu que M. Hinds devrait recevoir une indemnisation pour une perte réelle sur une période de deux ans, puisqu’il avait prévu conserver son emploi pendant cette période. Comme nous l’avons indiqué plus haut, nous estimons qu’il faudrait réduire le montant, en raison des autres facteurs importants qui ont influé sur la décision de M. Hinds de quitter la CEIC. A notre avis, une période d’un an au lieu de deux nous paraît justifiable. Comme nous l’avons vu, la perte réelle sur la perte réelle sur un an aurait été de 19 406,88 $. Toutefois, M. Hinds a reçu une indemnité de départ de 12 252,53 $ qu’il n’aurait pas obtenue s’il avait conserve son poste. Si nous procédons à la déduction nous arrivons à une somme de 7 154,35 $ qui nous semble appropriée à titre de revenus perdus. Notre ordonnance s’établit a ce niveau.

b) INDEMNITÉ POUR LE PRÉJUDICE SUBI PAR LE PLAIGNANT

Le paragraphe 41( 3) de la LCDP se lit comme suit ( 3) Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le tribunal, ayant conclu

  1. que la personne a commis l’acte discriminatoire de propos délibéré ou avec négligence, ou
  2. que la victime a souffert un préjudice moral par suite de l’acte discriminatoire, peut ordonner à la personne de payer à la victime une indemnité maximale de 5 000 $.

Rien ne nous permet de croire que ce soit de propos délibéré que la CEIC a négligé de réagir devant l’acte de harcèlement. Son attitude relève plutôt de l’incurie flagrante. Ce qui ne fait aucun doute, toutefois, c’est l’effet marque que l’incident a eu sur M. Hinds. M. Walsh et M. Williamson ont tous deux témoigné clairement que M. Hinds était extrêmement perturbé et bouleversé lorsqu’il a reçu la lettre. L’effet que peut avoir ce genre d’insultes racistes n’est jamais parfaitement bien compris de ceux qui n’en ont pas fait l’expérience directe. La personne se trouve dépouillée de sa dignité et bafouée dans son estime de soi, d’une façon irréparable peut- être. Nous avons observé M. Hinds à la barre des témoins, et il nous est apparu évident que l’attaque qu’il avait subie avait sérieusement blessé sa fierté et l’avait touché au plus profond. Manifestement, M. Hinds est une personne sensible, et ce type de harcèlement l’affecte peut- être davantage que certaines autres victimes d’actes discriminatoires. Cette sensibilité chez lui et, sans contredit, les gestes de harcèlement et de discrimination à propos desquels il s’était plaint au fil des ans auraient d ouvrir les yeux de ses supérieurs à la CEIC sur la nécessité d’agir face à un geste aussi dégradant, de façon aussi responsable et efficace que possible. M. Hinds a travaillé pour la CEIC pendant dix- huit ans, et il a émigré au Canada croyant y trouver une patrie relativement exempte de racisme. La conduite de son employeur, c’est- à- dire la façon dont celui- ci a traite aussi bien l’incident que M. Hinds lui- même, lui est apparue inacceptable, et il en a beaucoup souffert. Il a trouvé l’attitude de la CEIC cruelle, insensible et irrespectueuse des valeurs humaines à cet égard. Pour lui, les principes affichés par la CEIC dans sa politique anti- harcèlement étaient, au mieux, le fruit de l’hypocrisie et rien d’autre qu’une façade. Il n’y a aucun doute que la CEIC a laissé tomber M. Hinds et qu’elle a ainsi aggravé les effets dégradants et humiliants de l’incident de racisme. Compte tenu du préjudice subi par M. Hinds dans sa dignité et de l’indifférence relative dont la CEIC a fait preuve devant l’incident, nous estimons justifié d’ordonner à la mise en cause de verser 4 000 $ pour préjudice moral.

(C) INTÉRETS

D’après l’alinéa 41( 1) c) de la LCDP, le tribunal est habilité à indemniser la victime de ses pertes de salaires et d’après le paragraphe (3) à ordonner le paiement d’une indemnité spéciale à la victime, dans certaines circonstances. A notre avis, la notion d’ indemnisation comporte implicitement l’idée des intérêts courus (voir à ce sujet les affaires: Olarte c. De Filippis and Commodore Business Machines Limited (1983) 4 C. H. R. R. D/ 1705; Scott c. Foster Wheeler Ltd. (1986) 7 C. H. R. R. D/ 3193; Cameron c. Nel- Gor Castle Nursing Home (1984) 5 C. H. R. R. D/ 2170; Chapdelaine et Gravel c. Air Canada (1988) 9 C. H. R. R. D/ 4449). Même si les commissions d’enquête qui ont étudié la question des intérêts au regard du Code des droits de l’homme de l’Ontario ont établi que les intérêts devaient courir à partir de la date de signification de la plainte au mis en cause, étant donne les circonstances de la présente affaire où la matière de l’imputation contre la CEIC concerne la conduite de cette dernière par suite de l’incident dont il est question dans la plainte officielle, nous estimons approprié de faire courir les intérêts à partir de la date de nomination du tribunal, à savoir le 4 mai 1988. Les intérêts sur les sommes accordées au plaignant doivent être calculés à partir de cette date jusqu’au jour de la présente ordonnance, au taux d’escompte applicable de la Banque du Canada, soit 10 p. 100.

(d) EXCUSES

Étant donne la rupture de communication qui a marque cette affaire, il y aurait lieu, croyons- nous, malgré le temps écoulé, que nous ordonnions à la CEIC de présenter, par l’entremise d’un représentant de haut rang, des excuses officielles écrites à 14. Hinds pour avoir négligé de prendre les mesures nécessaires lors de l’incident et pour lui donner l’assurance qu’à l’avenir, toute l’attention nécessaire sera accordée à ces questions lorsque, éventuellement, d’autres employés seront victimes de harcèlement.

(e) DÉPENS

Madame Mactavish a soutenu qu’il revenait à la mise en cause d’absorber les frais de justice engages par M. Hinds. Il est certain que M. Hinds a d retenir les services d’un avocat distinct et indépendant pour le représenter ici. Il nous a soumis des éléments de preuve démontrant que, d’après une opinion juridique émanant de l’intérieur de la CCDP, la plainte de M. Hinds était sans fondement et que M. Hinds avait été mis au courant de cette opinion. Après que le présent tribunal eut été nomme, M. Hinds a appris que l’avocat qui avait émis l’opinion juridique pour la CCDP était celui- là même qui devait le représenter à l’audience. M. Hinds a alors, on le comprend, perdu la confiance qu’il avait dans la CCDP pour ce qui concerne la défense de ses intérêts. Même si, peu de temps avant l’audience, il a appris qu’un autre avocat représenterait la CCDP, il n’a pas été convaincu, d’une façon générale, que la CCDP pourrait faire avancer sa cause. On lui a de surcroît appris que la Commission n’appuierait pas sa demande relative aux pertes de salaire. Il lui a donc fallu retenir les services de Mme Mctavish pour le représenter lors de l’audience. En fait, c’est surtout Mme Mctavish qui a défendu et conseillé M. Hinds, puisque la CCDP n’a joué qu’un rôle mineur et secondaire dans toute l’affaire. A notre avis, c’est uniquement grâce au fait que M. Hinds s’est fait représenter par son propre avocat qu’il a pu réussir à se faire entendre par le présent tribunal.

Monsieur Duval, au nom de la CCDP, a fait valoir que le tribunal n’était pas habilité à accorder les dépens de toute façon; il s’y est donc opposé. Mme McCann, au nom de la CEIC, a soutenu que rien dans la conduite de la mise en cause ne justifiait le recours de M. Hinds à un avocat de l’extérieur. C’est au contraire la conduite de la CCDP qui a été le seul motif nécessitant cette dépense supplémentaire. A notre avis, ce n’est pas la CEIC qui est ici responsable des frais engagés pour retenir les services d’un avocat distinct. Il n’est donc pas utile de savoir si le tribunal a ou non compétence pour accorder les dépens. Toutefois, comme l’ont fait les tribunaux dans les affaires Potapczyk c. McBain (1984) 5 C. H. R. R. D/ 2285, infirmée pour d’autres motifs en (1985) 6 C. H. R. R. D/ 3064 (C. A. F.), et Cashin c. Radio- Canada (1986) 7 C. H. R. R. D/ 3203, infirmée en ( 1987) 8 C. H. R. R. D/ 3699 (Tribunal d’appel), infirmée par la Cour d’appel fédérale le 13 mai 1988 (non publié), nous prions instamment la CCDP d’indemniser M. Hinds de ses frais judiciaires. Compte tenu de l’esprit de responsabilité dont Mme Mctavish a fait preuve relativement à ce dossier et de son efficacité, la CCDP, en toute équité, ne peut s’y soustraire.

Fait à Toronto (Ontario), ce 30e jour de septembre 1988.

(signé) Sidney N. Lederman (Président)

(signé) Dorothy Bickerson (Membre)

(signé) Robert Bradley (Membre)

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