Tribunal canadien des droits de la personne

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CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

MELANIE-LYNN MARIE MCKAY

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

l'intimée

ET ENTRE

RONALD J. HOWELL

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

FORCES ARMÉES CANADIENNES

l'intimée

DÉCISION SUR REQUÊTE SUR LES EXPOSÉS PRÉLIMINAIRES

2003 TCDP 40
2003/11/25

MEMBRES INSTRUCTEURS : J. Grant Sinclair
Dr. Paul Groarke

TRADUCTION

I. INTRODUCTION

II. HISTORIQUE DES FAITS

III. QUESTIONA PRÉJUDICIELLE

IV. ANALYSE

V. ORDONNANCE

I. INTRODUCTION

[1] En décembre 2001, Melanie-Lynn McKay a déposé une plainte relative aux droits de la personne contre la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Dans sa plainte, elle a allégué que la GRC avait refusé de l'employer en raison de ses antécédents de toxicomanie, contrevenant ainsi à l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Ronald Howell a présenté une plainte contre les Forces armées canadiennes (FAC) en juillet 1998. Dans sa plainte, il a allégué que les FAC avaient exercé à son endroit une discrimination en exigeant qu'il prenne part à un exercice sans support de genou, allant ainsi à l'encontre de l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[2] La Commission canadienne des droits de la personne a renvoyé les deux plaintes au Tribunal canadien des droits de la personne pour instruction. L'audience dans l'affaire Howell est prévue en février 2004. Celle dans l'affaire McKay doit avoir lieu en avril 2004. Les deux intimées sont représentées par le ministère de la Justice à Winnipeg. Dans chaque cas, la Commission a informé dès le départ les autres parties que sa participation à l'audience se limiterait à la présentation d'un exposé préliminaire. Les intimées ont par la suite déposé des requêtes afin de faire opposition à la façon dont la Commission entend participer à ces instances.

[3] La Commission a ultérieurement informé les parties qu'elle participerait pleinement à chaque audience. Cependant, les intimées cherchent encore à obtenir du Tribunal une ordonnance sur les requêtes. Leur position est simple. Ayant renoncé à son intention de jouer un rôle restreint dans ces instances, la Commission a tacitement reconnu que son approche initiale était inappropriée. Les intimées sont d'avis, par conséquent, qu'ils ont droit à une ordonnance à cet effet.

[4] La Commission s'oppose à la demande des intimées, affirmant que les questions soulevées dans leurs requêtes sont sans objet puisque la Commission participera pleinement aux audiences. En outre, la Commission affirme que le Tribunal n'a pas compétence pour trancher les requêtes. Comme les questions à examiner dans les deux instances sont identiques, les requêtes ont été entendues ensemble.

II. HISTORIQUE DES FAITS

[5] Le 15 mai 2003, les affaires McKay et Howell ont été renvoyées au Tribunal pour instruction. Environ deux semaines plus tard, Me Ian Fine, l'avocat général par intérim de la Commission, a transmis aux parties l'avis suivant :

[TRADUCTION]
L'avocat de la Commission comparaîtra à l'audience afin d'y présenter un exposé préliminaire précisant les motifs d'intérêt public en l'espèce. Dans cet exposé, la Commission fournira son opinion sur les questions de droit et de fait en cause, ainsi qu'une description détaillée de l'état du droit par rapport à votre plainte. L'avocat de la Commission ne sera pas présent durant toute la durée de l'audience.

[6] Ces lettres ont été suivies d'un échange de correspondance entre les parties, les avocats des intimées cherchant à obtenir des éclaircissements à propos de la teneur des exposés préliminaires.

[7] Les avocats des intimées se sont opposés à la manière dont la Commission entendait procéder. Les intimées ont fait valoir que la Commission devrait participer pleinement à chacune des audiences, car la Loi selon elles l'y oblige, ou renoncer complètement à y prendre part. Ils soutiennent qu'il leur serait préjudiciable de permettre à la Commission de présenter un exposé préliminaire si elle n'a pas l'intention de produire une preuve.

[8] Le 26 septembre 2003, Ceilidh Snider, de la Commission, a écrit aux parties en cause dans chaque instance. En ce qui concerne l'affaire McKay, elle a écrit ce qui suit :

[TRADUCTION]
Je vous prie de noter que la Commission participera pleinement à l'audience en l'espèce. Nous aurions gré au Tribunal de bien vouloir communiquer avec la Commission et les parties pour fixer les dates de divulgation et d'audience.

[9] Dans l'affaire Howell, le ton emprunté par Mme Snider est encore plus laconique. La lettre, dans son intégralité, se lit comme suit :

[TRADUCTION]
Je vous prie de noter que la Commission participera pleinement à l'audience en l'espèce.

[10] La Commission n'a fourni ni dans l'affaire McKay ni dans l'affaire Howell aucune explication quant à sa volte-face à l'égard de sa participation à l'audience.

[11] La situation n'a pas changé. La Commission n'a fait état dans l'un et l'autre cas d'aucun changement d'opinion à l'égard des questions en cause qui pourrait expliquer sa volte-face. Toutefois, l'avocat de la Commission a candidement reconnu durant son argumentation que la CCDP a changé son fusil d'épaule pour éviter de débattre les faits et le droit relatifs aux objections soulevées par les intimées.

III. QUESTIONA PRÉJUDICIELLE

[12] La Commission prétend que sa comparution aux audiences est un droit inconditionnel. Elle affirme que les intimées demandent maintenant au Tribunal d'examiner la façon dont elle a choisi de représenter l'intérêt public, précisant que cette question déborde la compétence du Tribunal et ne peut être révisée que par la Cour fédérale.

[13] Nous reconnaissons que la décision de la Commission de participer ou non à une instance peut légitimement faire l'objet d'un contrôle judiciaire de la Cour fédérale, et non pas de ce Tribunal. Il appartient à la Commission de déterminer la meilleure façon de s'acquitter du mandat de représentation de l'intérêt public que lui confère l'article 51 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Cela ne signifie pas pour autant que la comparution de la Commission devant le Tribunal n'est soumise à aucune contrainte ou que la CCDP n'a pas à se soucier des règles d'équité procédurale, des Règles de procédure du Tribunal et des droits des autres parties à l'instance.

[14] Le Tribunal est maître du processus d'audience et a le pouvoir de prendre des mesures lorsque la conduite d'une partie aurait pour effet de causer une injustice à une autre partie. En tant qu'organisme juridictionnel qui se prononce sur des droits quasi constitutionnels, le Tribunal a le pouvoir et le devoir d'assurer l'équité de la procédure. Ainsi, le Tribunal a le pouvoir d'empêcher la Commission de présenter des éléments de preuve qui ne sont pas pertinents ou des conclusions finales portant sur des faits non présentés en preuve. Le Tribunal a aussi le pouvoir de veiller à ce que les exposés préliminaires de la Commission soient conformes aux principes fondamentaux de l'équité.

IV. ANALYSE

[15] La Commission soutient que les questions soulevées par les intimées dans les affaires Howell et McKay sont maintenant sans objet, étant donné qu'elle a décidé de participer pleinement à l'audience. La Commission prétend que le Tribunal devrait, par conséquent, refuser d'entendre les requêtes des intimées.

[16] De l'avis des intimées, la doctrine du caractère théorique ne s'applique pas aux questions de pratique, sur lesquelles le Tribunal a pleine discrétion. Selon les intimées, même s'il devait conclure que les requêtes sont maintenant sans objet, le Tribunal devrait les trancher. Les intimées estiment que les requêtes soulèvent d'importantes questions touchant la pratique devant le Tribunal. Toutes les parties qui comparaissent devant le Tribunal bénéficieraient de l'orientation du Tribunal à cet égard.

[17] Toutefois, les avocats des intimées vont plus loin et font valoir que la Commission fait des manuvres d'évitement dans ces affaires. La Commission ne devrait pas être autorisée à escamoter une question soulevée par les intimées sans reconnaître formellement qu'elle est tenue de participer pleinement aux audiences. Le Tribunal ne devrait pas fermer les yeux sur les tactiques de la Commission dans ces instances et devrait trancher les requêtes.

[18] La Commission a admis que les questions d'intérêt public que soulèvent les affaires Howell et McKay sont demeurées les mêmes depuis sa décision initiale et le moment où elle a renversé cette même décision. Tel qu'indiqué précédemment, l'avocat de la Commission a candidement reconnu que la Commission s'est ravisée afin d'éviter de débattre les faits et le droit relatifs aux objections soulevées par les intimées à l'égard de la nouvelle approche de la Commission vis-à-vis de sa participation aux audiences du Tribunal. À notre avis, cette façon d'agir soulève de sérieuses préoccupations quant à la façon dont la Commission exerce son mandat de représentation de l'intérêt public. Elle donne l'impression que les faits et gestes de la Commission étaient dictés par des motifs opportunistes plutôt que par les questions de fond que soulèvent les affaires Howell et McKay.

[19] Les intimées ont exprimé des préoccupations à l'égard des frais qu'ils ont été contraints d'engager du fait qu'ils ont dû présenter des requêtes qui se sont révélées inutiles au bout du compte. Ce sont là des préoccupations légitimes. Dans une affaire au civil, le Tribunal indemniserait de ses frais la partie requérante si la partie adverse devait se dérober devant une requête en instance. À notre avis, il y aurait eu lieu en l'espèce d'adjuger des frais aux intimées. Toutefois, il n'y a rien que le Tribunal puisse faire pour leur accorder un tel redressement.

[20] Nous avons examiné les précédents cités par les parties relativement à la question du caractère théorique et aux considérations de principe susceptibles d'amener un organisme juridictionnel à se prononcer sur une question qui autrement serait peut-être devenue sans objet. Ayant examiné les principes énoncés dans les précédents en question, nous avons conclu qu'il n'est pas nécessaire que le Tribunal exerce son pouvoir discrétionnaire et statue sur les requêtes des intimées.

[21] Il ne fait aucun doute que les requêtes soulèvent une question qui est d'une importance fondamentale du point de vue de la pratique devant le Tribunal, à savoir le caractère équitable ou opportun de la nouvelle approche adoptée par la Commission à l'égard de beaucoup de plaintes dont le Tribunal est saisi. Cependant, la semaine où notre formation collégiale a entendu les requêtes dans les affaires Howell et McKay, les mêmes questions ont été débattues vigoureusement dans deux autres affaires dont le Tribunal est saisi. À notre avis, la décision rendue dans Mowat c. Forces armées canadiennes, 2003 TCDP 39 devrait être suffisante pour résoudre les questions et les préoccupations soulevées dans la requête des intimées et fournir à ces dernières l'orientation demandée.

V. ORDONNANCE

[22] Pour les motifs qui précèdent, le Tribunal rejette par la présente les requêtes des intimées.

Signé par

J. Grant Sinclair

Dr. Paul Groarke

OTTAWA (Ontario)

Le 25 novembre 2003

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T813/6303
T817/6703

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Melanie-Lynn Marie McKay c. Gendarmerie royale du Canada

Ronald J. Howell c. Forces armées canadiennes

DATE ET LIEU DE L'AUDIENCE :

Le 12 novembre 2003
Winnipeg (Manitoba)

DATE DE LA DÉCISION
DU TRIBUNAL :

Le 25 novembre 2003

ONT COMPARU :

Gloria Mendelson
David Swayze

Pour la plaignante, Melanie-Lynn Marie McKay
Pour le plaignant, Ronald J. Howell

Dan Pagowski

Pour la Commission canadienne des droits de la personne

Sid Restall
Kevin Staska

Pour les intimées

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