Tribunal canadien des droits de la personne

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DT 3/ 86

Décision rendue le 15 juillet 1986

EN CE CONCERNE LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE S. C. 1976- 77, C. 33 telle que modifiée

ET EN CE QUI CONCERNE une audience devant un Tribunal des droits de la personne Constitué en application du paragraphe 39 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

ENTRE:

DAVID J. DeJAGER Plaignant

et

LE MINISTERE DE LA DÉFENSE NATIONALE Mis en cause

DEVANT: WENDY ROBSON, Présidente, A. WAYNE MacKAY, PAUL J. D. MULLIN, membres

DÉCISION DU TRIBUNAL

COMPARUTIONS: RENÉ DUVAL ET ANNE TROTIER, Procureurs pour le plaignant et la Commission canadienne des droits de la personne

SEYMOUR MENDER ET GEORGE ANNAND, Procureurs pour le mis en cause

> Le présent tribunal a été constitué le 1er mai 1985 afin de faire enquête sur une plainte portée par David J. DeJager contre le ministère de la Défense nationale, dans laquelle il soutient avoir été victime de discrimination dans son emploi en raison d’un handicap physique. Les audiences ont eu lieu à Halifax (Nouvelle- Écosse), du 1er au 3 octobre 1985.

Datée du 13 juillet 1982, la plainte se lit comme suit : (Traduction) On m’a informé que je serais renvoyé des Forces armées canadiennes, pour des raisons médicales (asthme), le 12 octobre 1982. J’estime être victime de discrimination en vertu des articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.;

La Loi canadienne sur les droits de la personne prescrit ce qui suit :

art. 7. Constitue un acte discriminatoire le fait a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu, ou b) de défavoriser un employé, dans le cadre de son emploi, directement ou indirectement, pour un motif de distinction illicite. (...)

art. 10. Constitue un acte discriminatoire le fait pour l’employeur, l’association d’employeurs ou l’association d’employés

a) de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite, ou b) de conclure des ententes, touchant le recrutement, les mises en rapport, l’engagement, les promotions, la formation, l’apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d’un emploi présent ou éventuel pour un motif de distinction illicite, d’une manière susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus.

TÉMOIGNAGE DU PLAIGNANT

David John DeJager est âgé de 25 ans et réside à Halifax (Nouvelle- Écosse). Il s’est d’abord enrôlé en octobre 1977 dans les Forces armées canadiennes où il a occupé le poste de manoeuvrier. Il a quitté les Forces en 1979 pour des raisons personnelles, et il s’est rengagé le 10 mai 1980. Au cours de l’été 1981, il a envisagé la possibilité de quitter les Forces de nouveau et a demandé sa libération. Sa demande au personnel était datée du 27 septembre 1981, mais il l’a ensuite retirée en raison de la possibilité d’un reclassement médical.

La preuve fait état de quatre crises d’asthme qui ont entraîné le renvoi de M. DeJager, le 12 octobre 1982. Il a subi une cinquième crise après avoir été congédié.

Les premières difficultés respiratoires du plaignant sont apparues en décembre 1980, pendant qu’il était en congé de Noël. Il se trouvait à l’appartement de son amie lorsqu’il a ressenti des symptômes qu’il a décrits ainsi (Traduction) une sensation de crispation dans la poitrine, de l’essoufflement, une respiration bruyante et de la toux (vol. 1, p. 29). Il est immédiatement retourné à son navire ou on lui a donné du Ventolin, un produit pour inhalation.

Le même mois, le plaignant a subi un deuxième accès qu’il a contrôlé avec le Ventolin. D’après son témoignage, les deux crises n’ont duré que quelques minutes (vol. 1, P. 10).

La troisième crise, et la plus grave, s’est produite en mai 1981. Les symptômes se sont manifestés comme il quittait son appartement pour se rendre chez son beau- père. Il a alors inhalé du Ventolin et s’est rendu à sa destination. Une fois arrivé, les symptômes sont réapparus, mais il ne lui restait plus de Ventolin; il s’est donc rendu a l’hôpital Stadacona afin de s’en procurer d’autre. Il a plutôt été admis à l’hôpital, où il a passé cinq jours. On lui a administré du Ventolin, de l’oxygène ainsi que de l’Aminophyllin par voie intraveineuse. > - 4 M. DeJager a déclaré qu’on lui avait dit qu’il souffrait d’une bronchite (vol. 1, p. 12). Le Dr Brian O’Brien a par la suite témoigné qu’il avait diagnostiqué de l’asthme et que la personne chargée des admissions l’avait trouvé dans un état allant de bénin à modéré (vol. 2, p. 249 à 251).

Après avoir reçu son congé de l’hôpital, il a repris ses activités normales à bord du HMCS Protecteur et n’a pas eu d’autre crise avant octobre 1981. Selon lui, cette attaque n’a pas été aussi grave que les autres; il s’agissait (...) principalement d’une respiration bruyante et d’une oppression thoracique (vol. 1, p. 13). Elle s’est produite au moment où il regardait un film à bord du navire. Il s’est alors procuré du Ventolin auprès du médecin. A partir de ce jour, il a été affecté à des tâches moins exigeantes jusqu’à son renvoi, en octobre 1982.

Avant, toutefois, on avait réexaminé son dossier médical et, le 7 octobre 1981, le plaignant a été reclassé dans une catégorie médicale inférieure. Ce changement de catégorie a fait l’objet des revues habituelles et a abouti au congédiement.

Il semble qu’il ait subi une seule autre crise d’asthme, soit en décembre 1984, alors qu’il se trouvait chez lui, à Halifax; il s’est procuré du Ventolin à l’hôpital général Victoria, mais, cette fois, il n’y a pas été admis.

M. DeJager a été le seul témoin à comparaître devant la Commission, mais le ministère de la Défense nationale a fourni de nombreux éléments de preuve concernant les aspects médical et professionnel. Nous verrons tout d’abord le deuxième aspect.

TACHES DU MANOEUVRIER

M. DeJager a décrit ses tâches comme suit : Le manoeuvrier s’occupe principalement de la peinture au pinceau et au pistolet, du gréage, du ravitaillement des navires en combustible, de l’entreposage, des munitions, des opérations de destruction, du transport des armes portatives, de la timonerie, de la vigie et des tâches de spécialiste de la manoeuvre. (vol. 1, p. 6)

Le lieutenant- commander D. W. Fitzgerald a donné une description plus complète des tâches de manoeuvrier. Après dix ans à bord de destroyers et de dragueurs de mines, il s’est ensuite occupé de la formation des officiers et il est actuellement chargé de la gestion de carrière de quelque 7 500 marins de tous les corps de métier.

Essentiellement, dans la marine, tous les métiers vont en mer et (Traduction) nous avons pour chaque métier une description qui précise en termes généraux les exigences du travail et des fonctions que le titulaire sera appelé à exercer tout au long de sa carrière; cette description énumère les exigences particulières, l’habilitation de sécurité requise et toutes les normes médicales, de même que les normes médicales minimales correspondant à chaque métier; elle détaille également les diverses conditions dans lesquelles le manoeuvrier doit s’attendre de travailler durant sa carrière. (vol. 2, p. 162)

Il a ensuite explicité les fonctions du manoeuvrier: Ce sont les professionnels de la marine, et ils sont chargés des petits bateaux, de leur manoeuvre, de leur mise à la mer et de leur récupération. Ils sont chargés des activités du pont supérieur et de l’équipement dont on a besoin pour les opérations, qu’il s’agisse du remorquage, des ancres, des câbles, de l’approvisionnement en mer, des poulies de toutes sortes, des gros et des petits cordages, des fillets métalliques, des treuils, bref, tout ce dont nous avons besoin pour faire le plein et pour transférer du matériel ou du personnel en mer. (vol. 2, p. 163)

Il a poursuivi avec l’énumération des responsabilités du manoeuvrier en ce qui concerne le roulement des quarts et l’organisation des quarts du pont supérieur, notamment la timonerie, la vigie, la gestion du navire et les tâches liées aux armes portatives et aux opérations de destruction. Par gros temps, les tâches du manoeuvrier sont plus risquées, car il travaille sur le pont supérieur.

Il doit également combattre les incendies, qui constituent un grand danger en mer.

On lui a demandé si le bien- être du manoeuvrier et de ses compagnons de travail serait menacé si le manoeuvrier était atteint d’une maladie ou d’une incapacité subite. Le lt- commr Fitzgerald a répondu par l’affirmative et a décrit certaines situations.

(Traduction) (...) L’incapacité soudaine constitue la plus grande crainte ... la plus grande crainte, en effet, particulièrement lorsque nous nous livrons à des activités qui requièrent de l’habileté dans la manoeuvre et que nos manoeuvriers ... donnent des ordres afin que le travail se fasse. Si l’un d’eux venait à être victime d’une incapacité soudaine car -- lorsque vous faites cette manoeuvre précise,, les seules personnes qui se trouvent là- haut sont celles dont vous avez besoin. Vous ne disposez d’aucun remplaçant si quelqu’un se blesse. Vous n’avez que ceux qu’on vous donne ... Alors, si vous perdez soudainement un de vos membres, vous avez un problème sur les bras et, selon la manoeuvre et les circonstances, cela pourrait certainement exposer les gens à des blessures et mettre leur vie en danger, et aussi diminuer la capacité réelle de manoeuvre du navire. (vol. 2, p. 171)

Il a ensuite décrit les exercices de combat d’incendie, sur lesquels on insiste beaucoup au cours de la formation. Pendant un exercice auquel il prenait part, l’un des participants, frappé d’une incapacité soudaine, a laissé tomber le deuxième boyau servant à assurer la protection du personnel. Le lt- commr a été soudainement entouré par les flammes dont il a été tiré par des instructeurs qui n’auraient pas été là en temps normal. Il a donné comme autres exemples la mise à la mer de petits bateaux par gros temps, les opérations de secours, les manoeuvres de touage et le ravitaillement en mer.

Il a également décrit les installations médicales disponibles en mer. Il semblerait qu’il n’y a pas de médecin diplômé à bord des destroyers ou des sous- marins, bien qu’on y trouve des infirmiers et des pharmacies où l’on peut obtenir du Ventolin et de l’oxygène.

On trouvera ci- après les deux premières pages de la description complète (pièce R- 9) du poste de manoeuvrier.

MANOEUVRIER

1. CHAMP D’APPLICATION

a) Cette monographie décrit le seul métier de manoeuvrier existant dans la Force régulière. b) Fonctions :

Fonctions principales. Ce métier comprend tous les aspects de la profession de marin, c’est- à- dire utilisation et manoeuvre des baleinières des navires, des canots a moteur, des chalands de débarquement, des canots de sauvetage, utilisation du matériel de navigation et de météorologie, des ancres et des câbles, du gréement et des cordages, et opérations de matelotage; exercices de tir avec les armes portatives et avec celles du navire, et opérations de destruction sur l’eau; organisation et direction des opérations de sécurité interne et des manoeuvres d’abordage et utilisation du matériel de manutention de la cargaison. En outre, organisation des quarts de veille, de la discipline et régie des fonctions en mer et des tâches liées aux défilés et aux prises d’armes à terre et en mer.

Entretien. Maintenance des ancres et des câbles, des cabestans, du guindeau, des moteurs hors- bord, des mâts de charge, des grues, des chariots élévateurs, des embarcations, du matériel de survie installé sur les navires, du gréement, des armes portatives et du reste du matériel de matelotage embarqué. En outre, supervision et coordination des activités de préservation des surfaces de métal se trouvant au- dessus de la ligne de flottaison et de toutes les surfaces boisées.

Administration/ travail de bureau. Gestion du personnel subalterne, c’est- à- dire donner des conseils sur la carrière et les affaires personnelles; s’acquitter de fonctions administratives, à terre et sur le navire, en ce qui concerne les veilles, le maintien de l’ordre et de la discipline et les congés; demander, recevoir, justifier et inspecter les listes de matériel, d’armes portatives, de munitions et de charges de destruction; et examiner les rapports et les comptes rendus et modifier les publications.

Instruction. Formation des manoeuvriers subalternes, c’est- à- dire assurer la formation de tout le personnel affecté aux manoeuvres en mer, aux opérations de destruction sur l’eau, aux défilés et aux prises d’armes; diriger les opérations de soutien et l’entraînement des équipes; assurer, à l’occasion, la formation du personnel civil à l’égard de certains aspects du métier.

Organisation sécurité. Exécution de tâches liées à l’organisation sécurité, au besoin.

Exigences d’ordre militaire. Exécution d’autres tâches qui ne sont habituellement pas liées au métier, c’est- à- dire équipes d’artilleurs et de premiers soins, gestion du navire, patrouille à terre et faction.

c) Les qualifications de spécialiste (QSM) relatives au métier BOSN 181 se trouvent dans le document PFC 123( 1) et les monographies de spécialités connexes (QSM) figurent dans le document PFC 123( 4), Parties deux et onze.

2. AVANCEMENT DANS LA CARRIERE/ LE MÉTIER

a) Pour avancer dans le métier, le candidat doit franchir les divers niveaux de qualification (QM 3 à QM 8) b) Les critères de promotion (sans égard aux compétences) régissant l’avancement sont énoncés dans le document OAFC 49- 4.

3. EXIGENCES PARTICULIERES

a) Cote de sécurité. Secret b) Normes médicales. Les normes médicales établies pour les Forces canadiennes sont régies par la PFC 154. Les normes minimales applicables à une première affectation au poste BOSN 181 sont indiquées ci- dessous à titre de renseignement seulement.

V CV H G O A 3 2 3 2 2 5

NOTA : Les normes médicales énumérées ci- dessus s’appliquent à une première affectation au métier indique. Conformément à l’OAFC 34- 26, un comité de révision médicale des carrières examinera la possibilité de maintenir dans leur métier, en fonction de leur mérite, les spécialistes déclassés.

CONDITIONS DE TRAVAIL

  1. Aspect physique. Les manoeuvriers s’acquittent de leurs tâches à bord, à l’extérieur, le jour comme la nuit, dans toutes les conditions climatiques. Par mauvais temps, durant les opérations de ravitaillement en mer ou d’arrimage de matériel détaché ou endommage sur le pont, les titulaires peuvent être appelés à travailler dans des conditions très difficiles quand les ponts sont mouillés et glissants, et il est alors impossible de respecter les normes habituelles de sécurité pour mener à bien la manoeuvre. Le hissage, la mise à la mer et l’utilisation des embarcations aux fins des opérations de sauvetage par mauvais temps sont habituellement très dangereux. Lorsque le navire traverse des endroits où il y a peu d’espace de manoeuvre, les membres du détachement de pose de câbles doivent rester à l’extérieur pendant de longues périodes et subir des froids extrêmes pour parer à toute éventualité. Les manoeuvriers sont tenus de faire des quarts de veille à terre et en mer.
  2. Facteurs particuliers. Les manoeuvriers doivent pouvoir travailler en situation d’urgence et réagir rapidement aux ordres et aux situations qui se présentent pendant l’utilisation des embarcations ou a la barre du navire, et au cours de la supervision de certaines manoeuvres comme les opérations de destruction ou de tir à l’arme portative.
  3. Tension. La tension mentale et physique peut aller de modérée à extrême. Elle augmente lorsque le titulaire dirige une embarcation par gros temps, lorsqu’il est à la barre du navire à proximité d’autres vaisseaux comme au cours d’un ravitaillement en marche par mauvais temps et lorsqu’il exécute une manoeuvre difficile. La tension est également forte lorsqu’il fait des manoeuvres qui exigent de la précision, notamment dans les situations critiques causées par un déroulement anormal des activités ou dans lesquelles le personnel ou le matériel est en danger. Les opérations de sécurité interne, de répression des mutineries, de débarquement ou d’abordage peuvent également constituer des situations stressantes.
  4. Conséquences des erreurs. Les erreurs de jugement au cours des opérations de matelotage et de manoeuvre des embarcations du navire peuvent entraîner des blessures ou des pertes de vie ou des dommages et des pertes de matériel. Les erreurs de barre ou de transmission des ordres de pilotage du navire pendant le ravitaillement en mer, le mouillage, les exercices ou en situation de combat, peuvent entraîner des collisions, des blessures ou des pertes de vie. Les erreurs commises durant les tirs à l’arme portative, l’entraînement de destruction et les opérations peuvent causer des blessures ou des pertes de vie. Toute erreur, quand un problème d’ordre disciplinaire se pose, peut avoir des effets négatifs sur la carrières des autres.
  5. Risques opérationnels. 1) la chute du haut des mâts, des bômes ou des échafaudages, 2) les accidents causés par les aussières, les fils métalliques ou les câbles, 3) les accidents causés par les armes portatives, 4) les contacts avec le personnel en état d’arrestation ou en détention, 5) les accidents causés par les charges de destruction, 6) les combats, 7) l’infection ou l’empoisonnement par suite de la manutention de peinture, de solvant, de carburant ou de fibres de cordages, et 8) l’exposition à des niveaux élevés de bruit sur de longues périodes peuvent entraîner des blessures ou des pertes de vie.

5. EMPLOIS CIVILS CORRESPONDANTS

Classification canadienne descriptive des professions

1971 Emploi Code

Peintre de chantier naval 8595.118 Peintre de grandes surfaces au pistolet 8595.126 Aide- peintre 8595.314 Aide- peintre au pistolet 8595.322 Contrôleur- finisseur d’embarcations en fibre de verre 8596.118 Matelot breveté 9155.118 Matelot de pont 9155.122 Débardeur 9313.110 Patron de bateau à moteur 9159.134 Conducteur de treuil 9311.166 Manoeuvrier 9155.114 Monteur d’appareils de levage 9311.138

TÉMOIGNAGE DES MÉDECINS

Pour ce qui est de l’état de santé du plaignant, la déposition des médecins comportait deux volets, le premier portant sur les exigences précises des Forces armées canadiennes et le second, plus axé sur la plainte, sur l’asthme en général et M. DeJager en particulier.

Le docteur David R. Gowdy est membre des Forces armées canadiennes et est présentement affecté au Bureau du chef du service de santé, à Ottawa. Il travaille à la Direction générale du service de santé (soins) chargée de l’application du système des catégories médicales.

Il a décrit le système de profils médicaux utilisé depuis 1945. Ce système a été modifié en 1967 et se trouve dans la Publication des Forces canadiennes 154. Il s’agit de (Traduction) la combinaison du profil physique et d’un système de catégories (...) pour communiquer à l’autorité compétente en matière d’administration et d’emploi une opinion médicale concise sur les recrues et les membres des forces. (vol. 1, p. 110- 111)

Les militaires doivent avoir la catégorie minimale G2 02 (pièce R- 7), ce qui veut dire qu’ils (Traduction) peuvent aller partout dans le monde et faire tout ce que le militaire moyen est appelé à faire au sein des Forces armées. (vol. 1, p. 113)

Il existe certaines autres exigences de base plus complexes, mais la catégorie G2 02 est le profil médical de poste qui nous préoccupe.

Selon le Dr Gowdy, la cote G2 ne comporte aucune restriction d’ordre climatique ou environnemental, et ne requiert aucun soutien médical suivi. La cote 02 concerne les normes du métier et

(Traduction) (...) elle est accordée à l’individu qui ne souffre d’aucune maladie, à l’exception des petits malaises qui ne réduisent pas sa capacité d’exécuter ses tâches à un niveau d’endurance acceptable dans des situations de combat sur le front et de se livrer à de durs travaux physiques. (vol. 1, p. 115)

Le Dr Gowdy a poursuivi en disant qu’une personne pouvait être reclassée dans un profil médical inférieur:

(...) si, à son avis, l’état de santé d’un membre des Forces ou la blessure qu’il a subie justifie qu’il soit affecté ailleurs pour bénéficier de la présence d’installations médicales ou de certaines conditions de vie (...) le médecin peut lui donner la cote 03, indiquant ainsi au commandant du navire que ce membre peut aller en mer étant donné qu’il ne doit subir que des examens périodiques; mais si un autre médecin juge que son état de santé exige la présence d’un docteur, en d’autres mots, des services médicaux, il doit alors lui donner la cote G4." (vol. 1, p. 116)

Le déclassement du profil médical peut n’être que temporaire si l’on pense qu’un traitement peut atténuer les troubles médicaux.

Le président du Comité de révision médicale des carrières, le lieutenant- colonel Jack Winston Stow, a décrit les mesures applicables lorsque le profil médical est déclassé.

(Traduction) Si le profil médical tombe sous la norme minimale requise, le dossier et les renseignements personnels de l’intéressé sont soumis au Comité, qui proposera les mesures à prendre à l’égard de sa carrière. (vol. 1, p. 139) Le Comité se compose d’un président, de trois officiers et d’un médecin.

Un médecin reclassera d’abord l’individu dans une catégorie médicale qui tiendra mieux compte de ses limites. Ce reclassement est inscrit sur la formule 208 des Forces canadiennes qui est ensuite soumise au médecin- chef du commandement à des fins de vérification. On la fait parvenir à l’unité de l’intéressé qui est informé du changement de catégorie. Le document est alors acheminé au commandant, qui fera l’une des quatre recommandations. (Traduction) La première sera de le garder à son poste, la deuxième de l’affecter dans un autre métier, la troisième de le congédier et la quatrième de le laisser pratiquer son métier en imposant certaines restrictions. (vol. 1, p. 140- 141)

La formule est ensuite envoyée à Ottawa, où elle sera examinée par le Bureau du directeur général des services de santé, puis présentée au Comité de révision médicale des carrières et enfin soumise à l’examen du directeur général chargé des affectations au sein de la troupe.

Il a poursuivi en disant que le déclassement de M. DeJager le rendait (Traduction) inapte à servir en mer, sur terre, dans les forces des Nations- Unies et en un endroit isolé où il n’y a pas de médecin. (vol. 1, p. 144- 145)

Comme en fait foi la pièce T2, les mesures prises à l’égard de M. DeJager ont été complétées par l’ Avis de changement de catégorie médicale. La décision qui s’y trouve a été rendue par le comité de révision et est datée du 15 mars 1982.

D’après la déposition du Lt- col. Stow, il semble que les cas d’asthmatiques examinés par le comité ont tous abouti à un congédiement (vol. 1, p. 150). Il y a lieu de noter également qu’en 1984, le Comité de révision médicale des carrières a décrété le congédiement de 300 militaires et le reclassement de 50 autres (vol. 1, p. 142).

Deux médecins ont fait une déposition en rapport direct avec la situation médicale du plaignant. Le premier est le Dr Paul Landrigan, diplômé en 1954 et expert reconnu en matière de maladies respiratoires. Il est principalement attaché à l’hôpital Halifax et il a commencé à s’occuper du cas en novembre 1982, à la demande du médecin de famille de M. DeJager.

Après avoir consulté le dossier et avoir examiné M. DeJager, le Dr Landrigan a posé un diagnostic d’asthme, allant de bénin à modéré. En contre- interrogatoire, il a déclaré que (Traduction) il y a très peu de gens à qui nous recommandons de ne prendre du Ventolin qu’à l’occasion, pour soulager leurs symptômes; ce sont des cas très bénins. Je crois que cela résume ce que je pense de la situation à l’heure actuelle. (vol. 1., p. 94)

A la demande de la Commission des droits de la personne, le Dr Landrigan a examiné de nouveau M. DeJager en juin 1983 et en juillet 1984.

Dans le rapport du 24 juin 1983, il indique qu’à son avis, il y a environ 90 pour 100 de chances que M. DeJager ne refasse plus de crise (vol. 1, p. 70). Dans sa déposition, le Dr Landrigan s’appuie sur ce même rapport:

(Traduction)

"(...) que, pendant des années, il n’avait subi aucune crise ni rien eu qui exige un traitement, et j’ai pensé qu’il avait de relativement bonnes chances de commencer une période de quelques années durant lesquelles, comme bien des asthmatiques, il n’aurait pas beaucoup de symptômes et n’aurait pas à suivre de thérapie, mais on ne peut jamais dire que cela ne se reproduira plus. A cette époque, évidemment, je ne savais pas qu’il allait avoir une crise en décembre 1984." (vol. 1, p. 71)

Quand on a demandé au Dr Landrigan si M. DeJager courait plus de danger en occupant un poste dans un endroit isolé, loin de toute surveillance médicale, il a convenu que cela pouvait être le cas.

Enfin, il s’est dit d’avis que l’asthme de M. DeJager était causé par des facteurs extérieurs, qu’il pouvait être qualifié d’extrinsèque. Il n’a exprimé aucune réserve quant à la capacité du plaignant de se livrer à des exercices physiques ou de satisfaire aux exigences de son poste, mais il était évident que les situations critiques combinées à l’éloignement des services médicaux l’inquiétaient quelque peu.

A également témoigné le Dr Brian O’Brien, colonel des Forces armées canadiennes actuellement attaché à l’hôpital des Forces, à Halifax. Il est spécialisé en médecine interne, notamment le traitement des asthmatiques.

Sa déposition comporte deux points, soit le dossier médical de M. DeJager et, plus particulièrement, l’hospitalisation de ce dernier en mai 1981, période au cours de laquelle il a traité le patient.

Le Dr O’Brien a déclaré que M. DeJager souffrait d’un grave manque d’oxygène au moment de son admission à l’hôpital Stadacona et que il était tellement malade qu’il n’aurait pu être traité adéquatement à bord du navire.

Son cas fut soumis au Dr McSween, allergologue et spécialiste auprès des Forces. Les examens ont indiqué que la crise n’avait été déclenchée par aucune allergie. Le rapport est daté de mars 1982, soit quelque temps après le début du processus de déclassement médical.

De nombreuses questions ont été posées pour savoir si l’asthme était intrinsèque ou extrinsèque. Il ressort essentiellement de la preuve que, chez certains asthmatiques, les crises sont déclenchées par des facteurs externes, qu’ils soient allergènes ou de nature environnementale. L’asthme intrinsèque est vraisemblablement causé par des facteurs internes, comme l’hyper- irritabilité bronchique. Mais le Dr O’Brien a bien précisé que quel que soit le genre d’asthme, intrinsèque ou extrinsèque, le profil médical de M. DeJager aurait quand même été révisé à la baisse. L’établissement d’une cause allergène n’a été tenté qu’aux fins du traitement seulement.

ASPECT MILITAIRE

Outre les tâches du manoeuvrier, lesquelles, comme nous l’avons souligné plus tôt, sont la plupart du temps semblables à celles que l’on voit dans la marine marchande, l’aspect militaire de l’emploi de M. DeJager a également été mis en lumière. Certaines situations peuvent présenter des risques qui exigent une réaction rapide et s re (vol. 1, p. 170 et 183). Il a toutefois été principalement question d’incapacité soudaine, ce dont nous avons déjà traité.

Il n’a pas été prouvé que M. DeJager a fait l’objet d’un examen professionnel pour vérifier son aptitude à s’acquitter de ses tâches de manoeuvrier, et les seuls examens médicaux précis ont été effectués par le Dr McSween, pour les allergies, ou par le Dr Landrigan, après le congédiement de M. DeJager.

QUESTION PRÉLIMINAIRE CONCERNANT LA CONSTITUTION DU TRIBUNAL

Comme beaucoup d’autres, le présent tribunal a été constitué selon une procédure invalidée par la Cour suprême du Canada parce qu’il y avait raisonnablement lieu de croire qu’elle pouvait être entachée de partialité, contrairement aux dispositions 2e) et 11d) de la Déclaration canadienne des droits (S. R. C. 1970, Appendice III). Ce jugement a été rendu dans l’affaire MacBain c. La Commission canadienne des droits de la personne (1985), 62 N. R. 117 (S. C. C.). La décision découle toutefois d’une interprétation étroite de la Déclaration et portait sur des points précis de l’affaire.

L’application de cette décision à d’autre tribunaux a été envisagée dans le Renvoi relatif à la Section locale 916 du Syndicat des travailleurs de l’énergie et de la chimie, (1985), 17 Admin. L. R. 1 (F. C. A.). Il avait alors été décidé qu’elle ne s’appliquerait que dans le cas où, en temps voulu, il y aurait contestation de la compétence du tribunal pour des motifs de partialité. La décision n’interviendrait pas lorsqu’il y aurait renonciation expresse ou implicite à la contestation. Si M. Mender, avocat du ministère de la Défense nationale, et M. Duval, avocat de la Commission des droits de la personne, n’ont pas expressément renoncé au droit de contester la compétence du tribunal pour des motifs de partialité, ils l’ont fait de façon implicite (vol. 1, p. 4; vol. 3, p. 352). La décision rendue dans l’affaire MacBain n’empêche donc pas ce tribunal de juger le cas qui lui est soumis.

DISCRIMINATION FONDÉE SUR LA DÉFICIENCE

Il ressort de la preuve que le renvoi de M. DeJager découle du déclassement médical subi après qu’on eut diagnostiqué son problème d’asthme. Comme cette affection est une déficience conformément à l’article 3 de la Loi canadienne des droits de la personne, S. C. 1976- 1977, c. 33, elle constitue un motif de distinction illicite en vertu de cette loi. Pour plus de clarté, il convient de préciser dès le début que l’asthme est non seulement une infirmité congénitale ou accidentelle conformément à l’article 20 de la loi susmentionnée, mais aussi un handicap physique aux termes de l’ordonnance sur les exigences professionnelles normales, TR/ 82- 3 (13 janvier 1982). Comme celle- ci a été promulguée avant, cela explique l’utilisation de l’ancien terme handicap plutôt que déficience. On ne conteste pas le fait que l’asthme soit une infirmité congénitale ou accidentelle. Comme c’était le motif du renvoi, il y a à première vue discrimination en raison du refus de laisser M. DeJager poursuivre sa carrière, contrairement à l’article 7, et du recours à une politique et à une pratique qui établissent une discrimination contre les asthmatiques, en violation de l’article 10.

Bien que la politique préconisée par le ministère de la Défense nationale à l’endroit des asthmatiques soit directement liée à la discrimination spécifique manifestée contre M. DeJager, M. Duval a insisté surtout sur ce dernier point. La prétendue infraction à l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne comprenait trois éléments connexes : il y a le renvoi de M. DeJager fondé sur la discrimination, le refus de lui accorder un profil médical temporaire, et le refus de l’affecter à un autre poste dans la marine. L’asthme est le motif du renvoi, et même si M. Mender soutient que le déclassement médical était le motif véritable, cela ne change en rien la situation (vol. 3, p. 361, ligne 14; p. 363, ligne 4, 12; p. 364, lignes 17 à 24; p. 365, lignes 4 à 8 et 17 à 19; p. 366, lignes 2 à 17; p. 369 à 372). Le diagnostic d’asthme a entraîné un déclassement qui n’aurait pas été aussi sévère s’il avait été question de quelque autre affection.

L’objet des deux autres éléments est moins clair. Il a été établi qu’une personne peut être victime de discrimination pour ne pas avoir été prise en considération pour un poste, même si elle n’en a pas fait la demande expresse. Villeneuve c. Bell Canada (Tribunal : N. D. Hesler, 31 mai 1985). Par conséquent, si M. DeJager avait droit à un profil médical temporaire, on aurait d tenir compte de sa candidature, qu’il ait fait une demande ou non. L’argument de M. Mender voulant que le plaignant ait joui d’un traitement plus favorable en continuant de travailler de nombreux mois après avoir subi un déclassement ne se défend que jusqu’à un certain point. En effet, après avoir été affecté à des tâches moins exigeantes, le plaignant a été congédié en octobre 1982. Son état de santé semble s’être amélioré par la suite et plutôt que de le renvoyer, on aurait pu le faire passer de sa catégorie médicale temporaire à une catégorie supérieure.

La question de savoir si M. DeJager aurait pu être affecté ailleurs n’est pas très claire. En raison de sa classification G4 03, il était exclu de la plupart des métiers dans la marine, sinon de tous. Ces métiers exigent généralement que la personne aille en mer, ce que la catégorie médicale de M. DeJager ne lui permettait pas. il y avait un nombre très restreint de postes à terre, mais ils semblaient être réservés à des personnes souffrant d’une déficience plus grave ou ayant plus d’ancienneté. Le profil médical temporaire et l’affectation à d’autres tâches concernent davantage la question des adaptations à prévoir dans le cas des handicapés, ce dont on parlera plus loin.

EXIGENCES PROFESSIONNELLES JUSTIFIÉES

Après avoir conclu que M. DeJager avait été victime de discrimination, du moins au chapitre du renvoi, passons maintenant à la question critique de l’affaire. Cette discrimination était- elle fondée sur des exigences professionnelles justifiées? La disposition pertinente dans ce cas- ci est l’alinéa 14a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

14. Ne constituent pas des actes discriminatoires a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l’employeur qui démontre qu’ils sont fondés sur des exigences professionnelles normales;...

Par conséquent, bien qu’il puisse s’agir à première vue d’une affaire de discrimination, il n’y a pas de discrimination légale si elle se fonde sur une exigence professionnelle justifiée légitime.

Peter Cumming souligne d’ailleurs la logique de ce raisonnement dans une décision récente du tribunal, soit l’affaire Mahon c. C. P. (Tribunal : P. Cumming, 25 octobre 1985). Ainsi, à la page 53, il déclare :

En conséquence, en matière d’emploi, ne constitue pas un cas de discrimination le fait qu’un employeur refuse un emploi à une personne handicapée parce qu’elle est incapable de s’acquitter de ses fonctions principales.

Ce n’est pas une question de discrimination mais une nécessité administrative pratique. Par exemple, dans l’affaire Parent c. M. D. N. et P. G. Canada (1980), 1 C. H. R. R. D/ 121, la déficience dont souffrait le plaignant l’empêchait de s’acquitter de 75 pour 100 de ses tâches.

Plus tôt dans l’affaire Mahon c. C. P. précitée, Peter Cumming souligne l’importance d’attribuer un sens large au concept d’égalité et de ne pas confondre sa définition avec le besoin de certaines limites pratiques. Il cite à ce propos David Baker, auteur du document Equality for Disabled People: A Preliminary Analysis of the Impact of Section 15( 1) of the Charter of Rights and Freedoms (publication inédite, 17 avril 1985), page 19 :

(TRADUCTION)

Baker estime que pour appliquer correctement les dispositions relatives à l’égalité, il ne faut pas confondre la portée générale et les limites de l’égalité. Il est le premier à admettre que les handicapés sont un exemple classique d’un groupe qui ne peut exiger une égalité absolue parce que toute déficience entraîne certaines conséquences. Il dit, à titre d’exemple, qu’un aveugle ne peut exiger de conduire une voiture. Il soutient néanmoins qu’il faudrait, comme prémisse de base, attribuer un sens très large au concept d’égalité et établir par la suite les limites appropriées, non pas commencer par restreindre ind ment la portée du concept d’égalité...

Sans tenter de reproduire le vaste tour d’horizon qu’a fait Peter Cumming dans la décision Mahon c. C. P., nous affirmons qu’une interprétation large et délibérée des codes des droits de la personne visant à promouvoir le concept d’égalité réelle est la seule bonne façon d’aborder la question. Dans l’affaire, Winnipeg School Division No 1 c. Craton (1985), 15 Admin. L. R. 177 (S. C. C.), il a été décrété que les codes des droits de la personne ont moins de poids que les documents constitutionnels, mais qu’ils l’emportent sur les lois ordinaires. Il y aurait peut- être lieu de noter qu’au chapitre de la protection des droits en vertu de la Charte canadiennes des droits et libertés, la Cour suprême du Canada persiste à demander que soit effectuée une vaste analyse intéressée afin de donner effet aux droits garantis. L. S. U. C. c. Skapinker, [1984] 1 S. C. R. 357; Hunter c. Southam, [1984] 2 S. C. R. 145 et R c. Big M Drug Mart, [1985] 1 S. C. R. 295. Il conviendrait d’aborder les codes des droits de la personne dans le même esprit. Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons, (1985), 17 Admin. L. R. 89 (S. C. C.) et Bhinder c. C. N. (1985), 17 Admin. L. R. 89 (S. C. C.).

Bien que la présente affaire soit survenue avant l’entrée en vigueur des garanties d’égalité prévues a l’article 15 de la Charte, il convient de l’aborder dans l’esprit général de la Charte. Dans un document publié à l’occasion de la conférence tenue en octobre 1984 de l’Institut canadien d’administration de la Justice et intitulé The Charter’s Guarantee of Equality to the Handicapped: Meeting the Challenge of a New Era, David Lepofsky soutient que nombre des décisions touchant les handicapés se fondent sur des stéréotypes et sous- estiment leur capacité. Il faudrait recourir à la Charte et aux codes des droits de la personne afin de neutraliser cette généralisation.

En ce qui concerne les exigences professionnelles justifiées, il y a deux façons d’aborder la question. L’une est d’attribuer un sens large aux critères de protection contre la discrimination et l’autre de restreindre la portée des exceptions. Dans R. c. Oakes, décision non publiée du 28 février 1986 (C. S. C.), le juge en chef Dickson établit une analogie avec la Charte. Il fait valoir que lorsque le but premier est la protection des droits, il faut donner, dans le contexte de la Charte, une interprétation stricte des limites raisonnables prévues à l’article 1. Cela revient à dire, dans la présente affaire, qu’il faut interpréter de façon stricte l’exception aux exigences professionnelles justifiées prévue à l’article 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne de façon à donner effet à la règle générale de non- discrimination. Il ne fait aucun doute que la règle est anti- discriminatoire et qu’il ne faudrait pas que les exigences professionnelles justifiées viennent la détruire. Commission ontarienne des droits de la personne c. la municipalité d’Etobicoke, [1982] 1 S. C. R. 202 et Mahon c. C. P., précités.

Cette démarche est compatible avec l’ordonnance sur les exigences professionnelles normales promulguée en vertu de l’aliné 14a) et du paragraphe 22( 2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Entrée en vigueur le 13 janvier 1982, l’ordonnance s’applique dans la présente affaire. M. Mender ne s’y est pas opposé, bien qu’il ait indiqué que le premier changement de catégorie médicale avait eu lieu avant janvier 1982.

(Transcription, p. 395- 396). Toutefois, M. DeJager n’a été renvoyé qu’en octobre 1982 et comme M. Mender l’a lui- même soutenu, pour d’autres raisons, la date du renvoi est celle qui importe. Si la catégorie médicale antérieure n’a pas été déterminée conformément à l’ordonnance, il aurait fallu en établir une autre avant le renvoi.

Comme l’ordonnance est un élément décisif de la conclusion que nous tirerons dans la présente affaire, nous en exposons, à titre d’information, les dispositions pertinentes :

3. L’alinéa 14a) de la Loi s’applique dans tous les cas ou un employeur démontre qu’une compétence particulière est nécessaire pour l’accomplissement des tâches d’une manière sécuritaire et satisfaisante.

5. Lorsqu’un employeur établit des méthodes afin d’évaluer l’aptitude d’un individu à accomplir des tâches, il doit faire comme suit pour démontrer qu’il s’agit bien d’exigences professionnelles normales:

a) déterminer quelles sont les tâches essentielles qui constituent les exigences du travail;

b) déterminer les compétences et les capacités nécessaires pour accomplir les tâches essentielles du travail;

c) utiliser des méthodes permettant d’évaluer l’aptitude de l’individu à exécuter les tâches essentielles du travail de quelque façon raisonnable que ce soit;

d) établir des normes qui ne dépassent pas les exigences minimales du travail.

Handicap physique

6. Aux fins de l’alinéa 14a) de la Loi, lorsqu’un employeur offre une chance d’emploi à une personne handicapée, a) l’exigence que la personne handicapée ait à se soumettre à des tests auxquels elle n’aurait pas a se soumettre si elle n’était pas handicapée n’est pas une exigence professionnelle normale; et b) la personne handicapée est présumée apte à accomplir des tâches tant que les tests n’auront pas démontré qu’effectivement elle ne peut accomplir l’une ou l’autre des tâches essentielles du travail.

7. Aux fins de l’alinéa 14a) de la Loi, lorsqu’un employeur refuse une chance d’emploi à une personne handicapée parce que le handicap de cette personne constituerait un risque pour la sécurité des employés de cet employeur ou du grand public, ce refus est réputé être fondé sur une exigence professionnelle normale.

8. Lorsqu’il parvient à la conclusion que l’accomplissement des tâches par une personne handicapée constituerait un risque pour la sécurité de ses employés ou du grand public et avant de refuser une chance d’emploi en se fondant sur une exigence professionnelle normale, l’employeur doit motiver sa décision en démontrant que le risque a été évalué en fonction

a) de la probabilité d’un accident dont la cause est l’accomplissement des tâches par la personne handicapée; b) de la preuve que le risque est beaucoup plus élevé que si la personne n’était pas handicapée, et c) du rapport entre le risque et le handicap physique de la personne.

9. Lorsqu’il parvient ’à la conclusion qu’il ne peut faire des adaptations raisonnables pour offrir une chance d’emploi à une personne handicapée et avant de refuser une chance d’emploi en se fondant sur une exigence professionnelle normale, l’employeur doit motiver sa décision en prouvant

a) qu’il n’existe aucun moyen de faire des adaptations pour permettre à cette personne d’accomplir des tâches de façon sécuritaire et satisfaisante; b) que l’établissement de telles adaptations imposerait une contrainte excessive à l’employeur soit en termes de co ts soit en termes d’inconvénients pour son entreprise; ou c) que l’établissement de telles adaptations constituerait un risque prévisible pour la sécurité des autres employés ou du grand public.

10. Lorsqu’il refuse une chance d’emploi à une personne handicapée parce que le handicap physique de cette personne pourrait mettre celle- ci en danger d’une façon qui n’est pas raisonnable, même si des adaptations raisonnables étaient faites, l’employeur doit avant de refuser une chance d’emploi en se fondant sur une exigence professionnelle normale, démontrer que le fait pour cette personne de s’exposer au risque aurait probablement des conséquences qui pourraient perturber son entreprise.

11. Lorsqu’il refuse une chance d’emploi à une personne handicapée et que le refus est fondé sur une exigence professionnelle normale associée aux aptitudes futures de la personne, l’employeur doit démontrer

a) que les aptitudes de la personne handicapée vont diminuer a un point et un rythme tels qu’elle sera incapable d’accomplir des tâches pendant une assez longue période; et b) que la diminution visée à l’alinéa a) aura pour conséquence de perturber l’entreprise de l’employeur.

Pour ne pas aller à l’encontre de l’esprit général de la Loi, il faut que l’employeur puisse prouver hors de tout doute que la discrimination était fondée sur des exigences professionnelles justifiées. Or, il s’est pas acquitté de cette obligation dans la présente affaire à l’égard des asthmatiques en général et de M. DeJager en particulier. De fait, les avocats des deux parties ont omis de parler spécifiquement de l’ordonnance, sauf lorsque le tribunal les a directement interrogés à ce chapitre.

Une certaine confusion semble régner au sujet de l’exigence professionnelle justifiée qui s’applique particulièrement à la présente affaire. Ainsi, aux pages 359, 363, 365 et 367 de la transcription, les expressions suivantes sont utilisées:

(TRADUCTION)

1) un profil médical supérieur à G4 03 2) contre les personnes ayant une catégorie G4 3) inapte à remplir des fonctions en mer 4) lorsqu’une personne est classée dans la catégorie G4, il faut conformément à la politique, reconsidérer leur présence à ce poste."

Aux pages 345 et 351 de la transcription, il semble que l’exigence professionnelle justifiée corresponde au niveau minimal de forme physique G2 02. Il est difficile de nier qu’il est raisonnable d’exiger un certain niveau minimum de forme physique dans la marine, mais nous nous interrogeons au sujet de l’application de cette norme aux asthmatiques. Il né fait aucun doute que le métier de manoeuvrier exige qu’une personne soit en bonne forme pour aller en mer dans les régions géographiques désignées. L’employeur a donc satisfait à l’exigence prévue à l’article 3 de l’ordonnance, qui est d’établir qu’une capacité particulière sur le plan médical est nécessaire pour l’accomplissement des tâches de manoeuvrier. Le problème se pose lorsqu’il s’agit de démontrer que M. DeJager n’a pas cette capacité. L’exigence professionnelle justifiée invoquée est blessante en raison des stéréotypes qu’elle véhicule au sujet du rendement des asthmatiques; en outre, l’employeur a omis de fournir une évaluation individuelle. Dans la présente affaire, l’exigence professionnelle justifiée pertinente rend les asthmatiques inaptes à exercer le métier de manoeuvrier. Nous examinerons d’ailleurs, dans la partie qui suit, la définition stricte des exigences professionnelles justifiées. Tout en étudiant directement ces questions dans l’esprit de l’ordonnance, nous examinerons certaines exceptions aux exigences professionnelles justifiées.

CRITERES DES EXIGENCES PROFESSIONNELLES JUSTIFIÉES

Comme il est presque toujours de mise, les affaires de ce genre commencent par une mention des critères des exigences professionnelles justifiées énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’affaire de la Commission ontarienne des droits de la personne c. la municipalité d’Etobicoke précitée, p. 208 :

... Pour constituer une exigence professionnelle réelle, une restriction comme la retraite obligatoire à un âge déterminé doit être imposée honnêtement, de bonne foi et avec la conviction sincère que cette restriction est imposée en vue d’assurer la bonne exécution du travail en question d’une manière raisonnablement diligente, s re et économique et non pour des motifs inavoués ou étrangers qui visent des objectifs susceptibles d’aller à l’encontre de ceux du Code. Elle doit en outre se rapporter objectivement à l’exercice de l’emploi en question, en étant raisonnablement nécessaire pour assurer l’exécution efficace et économique du travail sans mettre en danger l’employé, ses compagnons de travail et le public en général.

Selon nous, le M. D. N. satisfait à l’aspect subjectif des critères énoncés ci- dessus, en ce sens que sa politique ne visait pas à contrevenir à l’esprit de la Loi ni à faire intentionnellement de la discrimination contre les asthmatiques. Nous nous arrêtons toutefois pour indiquer que la sincérité de l’employeur à l’égard de la politique pourrait être mise en doute s’il ne se souvient pas clairement des origines d’une politique discriminatoire a prime abord, et s’il n’a pas effectué d’étude sérieuse sur la validité pratique de la politique. McCreary c. Greyhound Lines (1984), 5 C. H. R. R. D/ 2512. L’employeur n’a présenté aucune preuve visant à établir l’origine ou le sens pratique de sa politique concernant les asthmatiques.

L’invocation, par l’employeur, des exigences professionnelles justifiées soulève le problème le plus important, celui de l’élément objectif déterminé dans la cause- type Etobicoke. Dans McCreary c. Greyhound Lines, p. 2518, cet élément se subdivise en deux parties :

Il y a deux aspects à cette cause. D’abord, est- ce que la preuve soutient sur une base réelle l’expose raisonné des mis en cause relativement à cette politique? Deuxièmement, est- ce que l’exposé raisonné, est appuyé par des faits réels, conduit a une conclusion juridique montrant que [en citant Etobicoke] est raisonnablement nécessaire pour assurer l’exécution efficace et économique du travail sans mettre en danger l’employé, ses compagnons de travail et le public en général.

En ce qui a trait à la première question, la justification de l’employeur concernant le niveau minimum de bonne forme physique exigé d’un manoeuvrier est plutôt claire. En effet, ce métier est exigeant et requiert une forme physique raisonnable. La preuve et les pièces déposées le confirment. Il est beaucoup moins évident, à la lumière de la preuve empirique du rendement, que le déclassement à G4 03 d’asthmatiques comme M. DeJager (vol. 3, p. 385- 386) soit justifié. (vol. 3, p. 363, lignes 15 à 22; p. 368- 369).

De fait, une fois la cote géographique G4 attribuée, on ne semble déployer aucun effort pour évaluer le rendement professionnel (vol. 2, p. 210 et 214). La politique de l’employeur semble donc reposer davantage sur des stéréotypes au sujet des asthmatiques que sur des données concrètes. On abordera d’ailleurs un peu plus loin le problème particulier de l’évaluation individuelle.

LE FACTEUR DE RISQUE

En ce qui a trait à la deuxième question dans McCreary (qui est en fait une extension à la cause- type Etobicoke), nous examinons les répercussions sur l’employeur et la sécurité. Les adaptations à faire sont les contraintes que pourraient subir l’employeur et dont on parlera plus loin. Les questions relatives à la sécurité touchent les articles 7, 8 et 10 de l’ordonnance. La preuve concernant ces questions a été examinée comme faisant partie intégrante des faits.

En ce qui concerne les articles 7 et 8, qui traitent des risques pour les compagnons de travail et le grand public, les tribunaux ont statué que lorsqu’il y a risque, la tâche qui incombe à l’employeur d’établir qu’il y a exigence professionnelle est moins lourde. Anderson c. Atlantic Pilotage Authority (1982), 3 C. H. R. R. D/ 966 à D/ 970 et Ward c. C. N. (1982), 3 C. H. R. R. D/ 689. Toutefois, Peter Cumming, dans Mahon c. C. P., soutient qu’un employeur ne devrait pas pouvoir invoquer simplement les risques que constitue le handicapé pour refuser d’assurer sa protection. Nous ne pouvons faire mieux que citer M. Cumming, page 39, de l’affaire Mahon :

Les causes n’ont pas établi combien important un risque doit être pour qu’il constitue une exigence professionnelle justifiée. Est- ce que le risque que représentent les handicapes pour eux- mêmes ou pour les autres doit être considérablement plus grand que celui posé des non- handicapés ou est- ce que seulement un plus haut degré de risque est suffisant? Les critères vagues concernant le risque dans les causes (notamment si ces critères sont accompagnés d’une réduction du fardeau de la preuve pour l’employeur qui a à établir le risque comme une exigence professionnelle justifiée), peuvent faire en sorte que les garanties prévues dans la Loi en viennent à perdre leur signification. Le risque qu’une personne peut constituer pour les autres est un facteur valable pour lui refuser un emploi, mais comme on l’a vu dans l’affaire Ward, tout employé peut constituer un risque pour ses collègues de travail. Avant de refuser un emploi à une personne handidapée en se fondant sur ces critères, l’employeur doit établir que le handicapé représente pour les autres employés ou le grand public un danger réel et considérablement plus grand que celui que constituerait une personne non handicapée. Il est difficile de prédire l’avenir, mais nous ne devons pas refuser l’égalité des chances en nous fondant sur une lointaine ou imaginaire possibilité.

En ce qui concerne les autres employés et le grand public, l’employeur n’a pas réussi à démontrer que M. DeJager poserait un risque beaucoup plus grand qu’une personne ne souffrant pas d’asthme. De fait, le genre de risques décrits semblait plutôt imaginaire ou lointain. Par ailleurs, il y avait très peu d’éléments de preuve tangibles sur la probabilité d’un accident ou l’existence d’un lien entre le handicap (l’asthme) et le présumé risque, qui sont les autres facteurs énumérés dans l’ordonnance. Les experts médicaux ont quelque peu débatu la question de la probabilité d’incapacité, mais dans l’ensemble, les conclusions tirées étaient subjectives. En résumé, M. Mender ne s’est pas attardé aux risques pour les autres mais plutôt à ceux que courait M. DeJager lui- même (vol. 3, p. 375 et s.).

On a constaté au fil des audiences que l’employeur avait essentiellement fondé l’existence d’une exigence professionnelle justifiée sur le risque que M. DeJager se blesse gravement. Cette crainte se fondait sur le fait que peu de navires comptent les services d’un médecin et qu’il n’y a pas de médicaments comme le ventolin à bord des canots de sauvetage. On craignait également l’isolement. Le degré de risque est ici fonction du diagnostic accepté, c’est- à- dire le diagnostic plus grave des médecins du M. D. N. ou celui plus favorable du Dr Landrigan. De toute façon, M. DeJager ne souffrait pas de la pire forme d’asthme. Le degré de risque pour l’employé handicapé doit- il être une question de choix individuel, ou être soumis au point de vue d’un employeur paternaliste?

Dans l’affaire de la Commission ontarienne des droits de la personne c. Etobicoke, la Cour suprême a laissé entendre que le même fardeau réduit de la preuve devrait s’appliquer à la demande d’établissement d’une exigence professionnelle justifiée de l’employeur, que le risque se pose pour l’employé handicapé ou pour les autres. De façon plus explicite, dans l’affaire Commission manitobaine des droits de la personne c. Baker Manufacturing Ltd., [1984] 5 W. W. R. 704 à 709, la Cour a conclu qu’aucun employé n’a le droit de risquer de se blesser. En vertu de l’article 10 de l’ordonnance, l’employeur qui entend établir l’existence d’une exigence professionnelle justifiée fondée sur le risque pour la personne handicapée a un fardeau plus lourd. Il doit démontrer la probabilité d’une perturbation à la bonne marche de son entreprise. En vertu de l’article 11 de l’ordonnance, la même norme doit s’appliquer aux aptitudes futures de la personne. M. DeJager serait assujetti à ces articles.

En réalité, il y a deux niveaux de spéculation. Quelle est la probabilité qu’un accident se produise à cause d’un employé handicapé? La probabilité d’une combinaison de facteurs, notamment une situation stressante, un rhume de poitrine, des causes extrinsèques et l’absence de services médicaux dans le cas de M. DeJager, semble faible. Est- ce le genre de risques qu’une société est prête à accepter? Les passages suivants, tirés des pages 101 et 102 dans l’affaire Mahon c. C. P., cernent bien le choix de valeurs fondamental :

... Toute personne a droit à la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine à l’égalité des chances en matière d’épanouissement et de réalisation de soi. La société doit accepter quelques risques accrus en échange des avantages qu’elle retire du fait que l’on accorde aux handicapés une chance réelle d’atteindre l’égalité des chances. De plus, toute la société bénéficie généralement de façon indirecte de l’encouragement des valeurs fondamentales à l’égard d’un tel groupe minoritaire.

Toutefois, il arrive que le risque que comporte l’embauche d’une personne handicapée est suffisant pour qu’on lui refuse le poste parce que la liberté des autres s’en trouve affectée (par exemple, un aveugle ne pourrait faire valoir son droit d’obtenir un permis de conduire), simplement parce que le risque est trop grand.

Où se trouve le juste équilibre des intérêts entre les droits de la personne handicapée et ceux de la société en général? En d’autres termes, où se trouve la ligne de démarcation qui fait que, d’une part, il existe un risque insuffisant pour que l’on puisse plaider une exigence professionnelle justifiée et, d’autre part, qu’il existe un risque suffisant"? S’il s’agissait uniquement d’un risque accru pour la personne handicapée, on pourrait également soutenir que la ligne de démarcation devrait être déplacée en fonction des situations factuelles, à l’avantage de la personne handicapée qui sollicite un emploi. Notre société valorise grandement le droit des individus à prendre des décisions qui n’ont aucune répercussion négative sur les autres.

Nous ne sommes pas convaincus que le risque pour la sécurité de M. DeJager ou des autres est suffisant pour justifier la discrimination dont a été victime le plaignant en raison de son asthme. La preuve décrivant le risque pour M. DeJager et ses collègues, de même que la preuve limitée sur la perturbation de la marche de l’entreprise de l’employeur, ne peut l’emporter sur les valeurs plus vastes qui sont l’égalité des chances et le libre choix de l’individu, consacrées dans la Loi canadienne sur les droits de la personne. L’employeur n’a pas convaincu le tribunal qu’il avait droit à une exception au titre des exigences professionnelles justifiées dans la présente affaire.

PREUVE DE L’APTITUDE A ACCOMPLIR DES TACHES

Il existe une autre raison importante pour laquelle l’employeur ne peut réussir à démontrer qu’il s’agissait d’une exigence professionnelle justifiée. L’article 5 de l’ordonnance semble exiger que l’employeur procède à une évaluation individuelle pour voir si la personne handicapée peut accomplir les tâches requises. Or, après avoir diagnostiqué que M. DeJager souffrait d’asthme et l’avoir classé dans la catégorie G4, l’employeur n’a fait aucun effort pour évaluer ses aptitudes professionnelles. Une évaluation individuelle est, en effet, nécessaire pour déterminer si un employé satisfait ou non à la catégorie médicale minimale G2 02. La preuve ne démontre pas clairement que M. DeJager ne pouvait accomplir les tâches demandées, et M. Mender l’a lui- même reconnu aux pages 249 et 369 de la transcription.

M. Duval a décrit le processus comme étant automatique. Dès qu’on diagnostique qu’une personne souffre d’asthme, sa catégorie médicale est réduite à un point où le renvoi de la marine est la seule véritable solution. Le lieutenant- colonel Stow du Comité de révision médicale des carrières appuie d’ailleurs en partie ce point de vue dans son témoignage. Bien que M. Mender l’ait contesté dans sa récapitulation des faits, il semble que l’employeur favorise une politique générale à l’égard des asthmatiques, au détriment de l’évaluation individuelle de chaque cas.

Dans les affaires Ward c. C. N., et Villeneuve c. Bell Canada précitées, les tribunaux ont conclu que la Loi canadienne sur les droits de la personne exige une évaluation individuelle de l’accomplissement des tâches. Ce raisonnement est décrit plus en détail dans l’affaire Rodger c. C. N. (Tribunal : S. N. Lederman, 24 juillet 1985). Dans cette affaire, qui concerne un agent de train ayant fait deux crises d’épilepsie, il a été soutenu qu’une politique générale ne peut remplacer une évaluation individuelle, sauf si l’on prouve l’impossibilité de faire autrement. Comme dans la présente affaire, l’employeur avait nié avoir une politique générale, mais c’est en fait le cas. Dans l’affaire qui nous préoccupe, l’employeur semble effectivement avoir une politique générale et il n’a pas réussi à établir l’impossibilité d’effectuer une évaluation individuelle.

Il peut sembler à première vue qu’une exigence d’évaluation individuelle va à l’encontre de la nature d’une exigence professionnelle justifiée telle que définie dans l’affaire Bhinder c. C. N. précitée. Il n’y a aucun conflit réel pour deux raisons : le tribunal a rendu son jugement dans l’affaire Bhinder avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance, de sorte que l’évaluation individuelle prévue a l’article 5 ne se posait pas et, en outre, cette affaire concernait une exception individuelle tout à fait différente (fondée sur des motifs religieux) à une exigence professionnelle justifiée établie. Ce point est d’ailleurs souligné dans le passage suivant, page 13, de la décision de la Cour suprême :

... Conclure alors que ce qui constituerait par ailleurs une exigence professionnelle normale ne peut s’appliquer à un employé, en raison des caractéristiques spéciales de cet employé, revient non pas à donner une interprétation étroite à l’alinéa 14a), mais tout simplement ’à ne tenir aucun compte de ce qu’il dit clairement. Appliquer une exigence professionnelle normale à chaque individu avec des résultats variables, selon les différences personnelles, c’est la dépouiller de sa nature d’exigence professionnelle et faire perdre tout leur sens aux dispositions claires de l’alinéa 14a). A mon avis, le tribunal a commis une erreur de droit quand, après avoir constaté l’existence d’une exigence professionnelle normale, il a exempté l’appelant de son application.

Nous avons conclu qu’aucune exigence professionnelle justifiée établie ne s’applique aux asthmatiques, comme le plaignant, et avons, par conséquent, enjoint au mis en cause de démontrer une incapacité d’accomplir les tâches - exigence qui n’a pas été satisfaite.

OBLIGATION DE FAIRE DES ADAPTATIONS

La conclusion ci- dessus, à savoir qu’aucune exigence professionnelle justifiée n’a été établie, a été tirée sans examiner la question de savoir si l’employeur devait faire des adaptations pour permettre à M. DeJager d’accomplir ses tâches et, par conséquent, de réduire le risque pour sa sécurité, et pour le maintenir à son poste. Une des options évidentes aurait été de l’affecter à un poste où son état d’asthmatique aurait présenté moins de risques. D’après la preuve de l’employeur, pareille affectation se limiterait à un nombre très restreint de postes à terre. Une autre option aurait été d’accorder à M. DeJager un profil médical temporaire afin d’évaluer la gravité de son asthme et de voir dans quelle mesure cette affection nuisait à l’accomplissement de ses tâches.

Une autre solution aurait été de laisser M. DeJager poursuivre son travail de manoeuvrier, mais de l’affecter, lorsque c’était possible, à des endroits où des services médicaux sont offerts. conformément à l’article 9 de l’ordonnance, avant de refuser de faire des adaptations raisonnables pour une personne handicapée, l’employeur doit démontrer :

a) qu’il n’existe aucun moyen de faire des adaptations sans risque pour la sécurité de la personne handicapée; b) que de telles adaptations imposeraient une contrainte excessive à l’employeur (financière ou autre); c) que de telles adaptations constituent un risque pour la sécurité des autres employés ou du grand public.

Comme on l’a précisé plus tôt, l’employeur n’a pas réussi a justifier ces points. Comme M. DeJager pouvait, en général, exécuter son travail, l’employeur ne pouvait affirmer qu’il était impossible de faire des adaptations comme dans l’affaire Parent c. M. D. N. et P. G. Canada précitée.

S’il est conclu qu’il existe une exigence professionnelle justifiée, il n’y a, d’après la majorité dans l’affaire Bhinder c. C. N. précitée, aucune obligation de faire des adaptations. Le juge en chef Dickson a exprime son désaccord même sur ce point, alléguant qu’il fallait interpréter de façon large l’alinéa 14a) de la Loi afin de lutter contre l’effet néfaste de la discrimination. Il ne croyait pas que l’absence d’un texte législatif explicite, comme il en a été question dans l’affaire de la Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons- Sears précitée, excluait l’obligation implicite de faire des adaptations. De toute façon, nous concluons dans la présente affaire qu’il n’existe aucune exigence professionnelle justifiée et que l’obligation de faire des adaptations, conformément à l’article 9 de l’ordonnance, s’applique dans la présente affaire. Elle concerne et la validité de l’existence d’une exigence professionnelle justifiée et les mesures de redressement possibles que nous devrions imposer.

CHANGEMENTS DE SITUATION

Avant de conclure, nous désirons commenter brièvement la pertinence de l’état de santé actuel de M. DeJager qui semblerait bien meilleur qu’en octobre 1982, après que celui- ci eut fait quatre crises d’asthme en dix mois. Une exigence professionnelle justifiée peut s’appliquer à un moment donné, puis cesser de s’appliquer parce que le poste a changé ou que l’état de santé de la personne s’est amélioré (Mahon c. C. P., p. 47). La même conclusion a été tirée dans l’affaire Rodger c. C. N..

M. Duval a soulevé ce point dans sa récapitulation des faits, mais M. Mender a répliqué en indiquant que M. DeJager était libre de se rengager n’importe quand et qu’il subirait alors un examen pour l’obtention d’une nouvelle catégorie médicale. Rien n’indique qu’il ait fait une nouvelle demande, de sorte que la présente discussion sur les répercussions du changement de situation demeure hypothétique compte tenu de la décision rendue dans la présente affaire.

CONCLUSION

Nous concluons que, en vertu des articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, l’employeur n’a pas réussi à faire la preuve de l’existence d’une exigence professionnelle pour justifier ce qui, a première vue, semble être un comportement discriminatoire. Les accusations de discrimination de M. DeJager sont donc justifiées. Il ne s’agit pas de malveillance ni de préjuges profondément enracinés de la part de l’employeur, qui s’inquiétait de bonne foi de la santé et de la sécurité de ses employés. Toutefois, la politique du M. D. N. concernant les asthmatiques., et son application à l’égard de M. DeJager, se fondent davantage sur des stéréotypes que sur des preuves médicales tangibles.

Bien que le maintien de M. DeJager à son poste constitue un risque supplémentaire, nous jugeons qu’il s’agit d’un risque acceptable pour la société. Empêcher M. DeJager de poursuivre la carrière qu’il a choisie irait à l’encontre de l’esprit de la loi et ce serait l’étouffer par des politiques bien intentionnées et censées le protéger mais bien paternalistes. Il doit être libre de prendre ses propres décisions et son affection de doit pas être considérée nécessairement comme un handicap.

Le 3 octobre 1985, le tribunal a ajourné l’audience pour étudier d’abord la question de savoir si l’on avait établi l’existence de discrimination et, deuxièmement, si l’on avait fait la preuve de l’existence d’une exigence professionnelle justifiée. Ayant jugé que la plainte était fondée et qu’il n’y avait pas d’exigence professionnelle justifiée, nous sommes prêts à entendre la preuve et les plaidoyers concernant les réparations et dédommagements.

Fait à Peterborough, ce 4e jour de juillet 1986.

Wendy Robson

A. Wayne MacKay

Paul J. D. Mullin

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