Tribunal canadien des droits de la personne

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CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

MAURICE BRESSETTE

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

CONSEIL DE BANDE DE LA PREMIÈRE NATION DE KETTLE ET STONY POINT

l'intimé

DÉCISION SUR LA COMPÉTENCE -
ARTICLE 67 - LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE

2003 TCDP 41
2003/12/08

MEMBRE INSTRUCTEUR : J. Grant Sinclair

[TRADUCTION]

I. INTRODUCTION

II. FAITS

INTRODUCTION

[1] Maurice Bressette est le plaignant dans cette affaire. Il a déposé une plainte en date du 30 mars 2002 auprès de la Commission canadienne des droits de la personne. Dans sa plainte, il a allégué que l'intimé, le Conseil de bande de la Première nation de Kettle Point et de Stony Point, avait exercé à son endroit une discrimination en ne l'embauchant pas à titre de travailleur en service social familial au sein de son Département des services à l'enfance, contrevenant ainsi à l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le motif de discrimination allégué est la situation de famille.

FAITS

[2] Le Conseil de bande de la Première nation de Kettle Point et de Stony Point est un conseil de bande qui répond à la définition énoncée au paragraphe 2(1) de la Loi sur les Indiens et qui a été créé conformément à l'article 74 de cette même loi. Le plaignant, Maurice Bressette, est un Indien inscrit qui est membre de la Première nation de Kettle Point et de Stony Point.

[3] En août 2001, le Conseil de bande a mis sur pied un comité de sélection afin de mener des entrevues pour le poste de travailleur/travailleuse en service social familial au Département des services à l'enfance. Il s'agit d'un poste prévu au budget qui est pleinement financé par le ministère des Services sociaux et communautaires de l'Ontario en vertu d'une méthode de financement préétablie. Le Département des services à l'enfance intervient auprès des enfants et des familles de la bande qui éprouvent des difficultés.

[4] Ont été interviewées un certain nombre de personnes, dont le plaignant, Deb Herman, Dorothy French, Heather Bressette et Georgina Bressette. Le comité de sélection a recommandé Deb Herman pour le poste ainsi que Dorothy French comme substitut. Dorothy French ayant mis en doute les compétences de Deb Herman pour le poste, le Conseil de bande s'est abstenu de pourvoir celui-ci, mais a renvoyé la question au Comité des finances et du personnel.

[5] Lorraine George, qui agissait comme présidente de ce comité en 2001, a comparu à l'audience portant sur la présente requête. Elle a affirmé que la bande accusait à l'époque un déficit de l'ordre de 800 000 $ à 1 000 000 $. Le Conseil de bande avait donné au comité le mandat de trouver des moyens d'enrayer ce déficit. Le comité a produit deux documents traitant du problème. Le premier portait sur la stratégie pour remédier au déficit tandis que le deuxième consistait en un plan d'activités en matière de finances et de personnel.

[6] Quelque temps avant la réunion du 6 février 2002 du Conseil de bande, Stan Sabourin, l'administrateur de la bande, qui connaissait à la fois les besoins de dotation et les besoins financiers, a eu des entretiens avec Mme George au sujet du remaniement de certaines tâches en vue de réaliser des économies. Il a recommandé d'attribuer à Eva Bressette, qui agissait à temps plein comme représentante de la bande, le poste de travailleur/travailleuse en service social familial, et que ce soit fait par voie de mutation interne.

[7] M. Sabourin a également recommandé de confier les fonctions de représentant de la bande à l'avocat qui était au service de cette dernière, éliminant ainsi le poste de représentant de la bande comme tel. Le représentant de la bande est chargé de représenter les enfants de la bande lors des audiences portant sur des questions liées à la protection des enfants.

[8] La bande obtient son financement dans le cadre de diverses ententes financières conclues avec le gouvernement fédéral. Le compte général de la bande est financé grâce à des ententes de contribution EFCPN, en vertu desquelles la bande reçoit un financement de base et un financement complémentaire. Le financement de base sert à financer les dépenses générales tandis que le financement complémentaire est lié à des programmes particuliers auquel il doit être consacré en exclusivité.

[9] Le représentant de la bande est un poste visé par le financement complémentaire, qui fait l'objet d'un examen annuel et est fondé sur le nombre de cas de l'année précédente. Le nombre de cas ayant été insuffisant pour financer le salaire à temps plein d'Eva Bressette, le solde est puisé à même le compte général de la bande. Étant donné que ses fonctions de représentante de la bande ne l'occupaient pas à temps plein, Eva Bressette remplissait certaines des fonctions de travailleur en service social familial au sein du Département des services à l'enfance.

PROCÈS-VERBAUX DES RÉUNIONS DU CONSEIL DE BANDE ET DU COMITÉ DES FINANCES ET DU PERSONNEL

[10] Le procès-verbal de la réunion du mercredi 6 février 2002 du Comité des finances et du personnel indique que le comité a approuvé la recommandation de M. Sabourin concernant la mutation interne d'Eva Bressette pour des raisons financières et professionnelles. En outre, Eva Bressette a présenté une demande de mutation.

[11] Le procès-verbal de la réunion du jeudi 21 mars 2002 du Conseil de bande indique que la recommandation de muter Eva Bressette au poste de travailleur/travailleuse en service social familial a été adoptée. Il est précisé également dans le procès-verbal que l'avocat au service de la bande assumerait les fonctions de représentant de la bande. Ce procès-verbal ne fait aucunement mention d'avantages financiers découlant de cette décision. Par suite de cette décision, il n'y avait plus trois postes mais bien deux, dont l'un est entièrement financé par la province.

ARGUMENTATION DE L'INTIMÉ À L'APPUI DE LA REQUÊTE

[12] L'intimé prétend que le Tribunal n'a pas compétence pour instruire la plainte de M. Bressette en raison de l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Cet article précise que la Loi canadienne sur les droits de la personne est sans effet sur la Loi sur les Indiens et sur les dispositions prises en vertu de cette dernière. L'intimé prétend que la décision de pourvoir le poste de travailleur/travailleuse en service social familial et de transférer les responsabilités du représentant de la bande à l'avocat au service de cette dernière a été prise en vertu de la Loi sur les Indiens et ne peut, par conséquent, faire l'objet d'un examen de ce Tribunal. À l'appui de cette prétention, l'intimé soutient que la décision du Conseil de bande était une décision financière comportant un aspect de dotation accessoire. La bande accusait un important déficit et ce remaniement au sein du personnel a permis d'économiser un peu d'argent.

a) Argumentation juridique

[13] L'intimé a cité quatre précédents portant sur l'article 67 de la Loi sur les Indiens. Ces précédents peuvent être répartis en deux catégories : les cas où le tribunal n'avait pas compétence pour instruire la plainte et ceux où sa compétence a été confirmée.

[14] Le premier cas dans la première catégorie est l'affaire Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] 3 C.N.L.R. 28 (C.F., 1re inst.). Cette affaire portait sur l'article 115 de la Loi sur les Indiens, qui confère expressément au ministre des Affaires indiennes le pouvoir de prendre des décisions sur des questions stratégiques ayant trait au financement de l'entretien des enfants autochtones qui fréquentent un pensionnat. En l'occurrence, le Ministre avait pris le parti d'exiger que les enfants autochtones fréquentent l'école la plus proche de leur lieu de résidence, précisant que le gouvernement n'assumerait plus les dépenses pour ceux qui souhaitaient fréquenter des écoles confessionnelles situées loin de chez eux. Par ailleurs, l'article 118 de la Loi sur les Indiens précisait que les enfants catholiques ne pouvaient être envoyés dans des écoles protestantes sans le consentement des parents.

[15] La partie plaignante en l'espèce avait une fille qui fréquentait une école catholique loin de chez elle et s'est vu refuser une aide gouvernementale. Le Tribunal canadien des droits de la personne a refusé d'exercer sa compétence pour le motif que la décision du ministre relative au financement avait été prise en vertu de la Loi sur les Indiens et n'était pas, par conséquent, soumise à l'application de la Loi. Appelée à réviser la décision du Tribunal, la Cour fédérale a fait sienne la conclusion du Tribunal selon laquelle la politique adoptée par le ministère avait été expressément autorisée en vertu de la Loi sur les Indiens, de ce fait, assujettie à l'article 67 de la Loi.

[16] Le cas suivant est Canada (Commission des droits de la personne) c. Conseil de la Bande de Gordon, [2001] 1 C.F. 124 (C.A.F.). En l'occurrence, le plaignant était une Indienne inscrite qui résidait au sein de la réserve de la Bande de la Première nation de Gordon avec son conjoint, un non-Indien. Elle a présenté une demande de logement locatif dans la réserve, à laquelle le Conseil de bande n'a pas fait droit. Elle a déposé auprès de la Commission canadienne des droits de la personne une plainte, faisant valoir que le Conseil de bande avait exercé à son endroit une discrimination fondée sur le sexe et la situation de famille. Le Tribunal a conclu qu'il n'avait pas compétence pour instruire la plainte en raison de l'article 67 de la Loi. La Cour d'appel fédérale a finalement entendu l'affaire et a statué que la décision de refuser un logement avait été prise par le Conseil de bande aux termes de l'article 20 de la Loi sur les Indiens, qui confère au Conseil de bande le pouvoir de s'occuper de la possession des terres dans la réserve.

[17] Le premier cas dans la deuxième catégorie est Desjarlais c. Bande de Piapot, no 75 [1989] 3 C.F. 605 (C.A.F.). En l'occurrence, la Bande avait congédié son administrateur conformément à une résolution officielle du Conseil de bande. La résolution consistait en un vote de non-confiance à l'égard de Mme Rose Desjarlais et était fondée sur des plaintes présentées à cause de son âge. Le Conseil de bande a mis fin à son emploi; elle a déposé auprès de la Commission canadienne des droits de la personne une plainte dans laquelle elle a allégué avoir été victime de discrimination en raison de son âge.

[18] La Cour d'appel fédérale a statué que rien n'est prévu expressément ou implicitement dans la Loi sur les Indiens en ce qui touche les votes de non-confiance. Par conséquent, la Cour a jugé qu'il ne s'agissait pas d'une décision prise en vertu de la Loi sur les Indiens et que la plainte pouvait être entendue par le Tribunal.

[19] Le dernier cas est l'affaire MacNutt c. Bande indienne de Shubenacadie, [1998] 2 C.F. 198 (C.F., 1re inst.); 256 N.R. 109 (C.A.F.). En l'occurrence, une conjointe non indienne qui vivait dans la réserve avec la permission du Conseil de bande s'est vu refuser des prestations d'aide sociale par la bande. Le gouvernement fédéral avait conclu avec la Bande une entente contractuelle au sujet de l'octroi de prestations d'aide sociale aux résidents de la réserve. Le Conseil de bande était chargé d'administrer le programme d'aide sociale conformément à l'entente contractuelle, qui renfermait des lignes directrices. En vertu de l'article 3.01 des lignes directrices, un conjoint non indien qui résidait légalement dans la réserve était clairement admissible à des prestations.

[20] La Cour fédérale a soutenu que la décision du Conseil de bande de refuser de verser des prestations n'était pas soumise à l'article 67 de la Loi. Il s'agissait d'une décision du Conseil de bande; cependant, la Cour a souligné que les décisions d'un conseil de bande ne sont pas toutes protégées par l'article 67 de la Loi. Les programmes d'aide sociale et le pouvoir de la Bande de l'administrer étaient assujettis à l'entente contractuelle conclue entre le gouvernement fédéral et la Bande, et non à la Loi sur les Indiens. Par conséquent, l'article 67 de la Loi ne s'appliquait pas.

[21] L'intimé a convenu que si la décision du Conseil de bande était une décision de dotation, l'article 67 n'aurait pas pour effet de priver le Tribunal de sa compétence. Cependant, l'intimé a prétendu que la décision du Conseil de bande doit être vue comme un tout. Ce qui à première vue semble être une question de dotation s'inscrit, en fait, dans une stratégie financière globale visant à réduire le déficit de la bande.

[22] L'intimé a d'abord cité les articles 69, 81 et 83 de la Loi sur les Indiens à l'appui de la décision de nature financière prise par le Conseil de bande en vertu de la Loi sur les Indiens. Cependant, en dernière analyse, l'intimé a examiné deux règlements d'application de la Loi sur les Indiens. Le premier de ces règlements est le Décret sur le revenu des bandes d'Indiens, DORS/90-297 (version modifiée), qui prévoit que les bandes énumérées dans le règlement sont autorisées à contrôler, administrer et dépenser l'argent de leurs comptes de revenu. Le deuxième est le Règlement sur le revenu des bandes d'Indiens, C.R.C. 1978, ch. 953 (version modifiée), qui prévoit que toute dépense qu'une bande effectue sur les deniers de son revenu est soumise aux prescriptions de la Loi sur les Indiens.

[23] L'intimé prétend que ces deux règlements permettent au Conseil de bande d'administrer, de contrôler et de dépenser les deniers de son revenu, activités qui sont soumises à la Loi sur les Indiens. Étant donné que le remaniement des tâches et la dotation des deux postes par le Conseil de bande ont surtout été motivés par des raisons financières et ont été autorisés en vertu de ces règlements, force est de conclure que la décision contestée a été prise en vertu de la Loi sur les Indiens.

POSITION DE LA COMMISSION

[24] La Commission adopte la position contraire à l'égard de la décision du Conseil de bande. De l'avis de la Commission, la dotation du poste de travailleur/travailleuse en service social familial était la principale raison d'être de la décision du Conseil de bande. La soi-disant décision financière ne correspond pas à une stratégie mentionnée dans l'un ou l'autre des exposés de position élaborés par le Comité des finances et du personnel. Ce n'est qu'après que la décision du comité de recrutement eut été contestée et renvoyée au Comité des finances que la recommandation consistant à remanier les tâches a été faite.

a) Argumentation juridique

[25] La Commission a cité une décision récente de ce Tribunal : Bernard c. Conseil scolaire de Waycobah, (1999), 36 C.H.R.R. D/51 (TCDP). En l'occurrence, la plaignante était membre de la Première nation de Waycobah. Le Conseil scolaire avait mis fin à son emploi de secrétaire d'école en raison de la conduite qu'elle avait manifestée à deux ou trois reprises et qui avait amené le Conseil à croire qu'elle était atteinte de déficience mentale. Elle a déposé auprès de la Commission une plainte, alléguant que le Conseil avait exercé à son endroit une discrimination fondée sur la déficience.

[26] L'intimé a soutenu que le paragraphe 114 (2) de la Loi sur les Indiens, qui autorise le Ministre à établir, diriger et entretenir des écoles pour les enfants indiens, habilitait le Conseil scolaire à prendre la décision contestée. Le Tribunal a rejeté l'argument de l'intimé voulant que le Tribunal n'ait pas compétence pour instruire la plainte. À son avis, il n'y avait pas un lien suffisant entre le paragraphe 114 (2) et la décision du Conseil.

ANALYSE ET CONCLUSION

[27] À mon avis, la décision de l'intimé comporte à la fois un aspect dotation et un aspect financier. Cependant, à mon avis, la décision du Conseil de bande avait surtout pour but de pourvoir le poste de travailleur/travailleuse en service social familial. Le fait qu'il en ait découlé un avantage financier minime n'altère pas cette conclusion.

[28] Ce fait est démontré par la chronologie des événements entourant la mise sur pied d'un comité de sélection afin de pourvoir le poste de travailleur/travailleuse en service social familial. Le choix du comité de sélection a été contesté, ce qui a amené le Conseil de bande à renvoyer la question au Comité des finances. Le renvoi n'était attribuable ni à des considérations financières ni à l'adoption d'une nouvelle stratégie. Il était nécessaire de pourvoir le poste pour lequel on avait alloué de l'argent. Tout le processus a été motivé depuis le départ par un besoin de dotation, et non par un besoin financier.

[29] En outre, aucun des précédents cités par l'intimé ne s'apparente à mon avis à l'affaire qui nous intéresse. La similitude qui existe avec l'affaire Waycobah réside particulièrement dans le fait que les deux situations ont trait à une décision de dotation. Dans Waycobah, il n'y avait pas de lien suffisant entre la décision du Conseil de bande et la Loi sur les Indiens. À mon avis, aucune des dispositions de la Loi sur les Indiens citées par l'intimé, y compris les deux règlements, ne créent un tel lien

[30] Toute décision de dotation implique le contrôle, l'administration et la dépense de l'argent. La position de l'intimé aurait pour conséquence de soustraire à la compétence du Tribunal toute décision de dotation prise par un conseil de bande. Même l'intimé a admis que ce ne pourrait ni ne devrait être le cas en vertu de la Loi sur les Indiens.

ORDONNANCE

[31] Pour les motifs susmentionnés, la requête du Conseil de bande de la Première nation de Kettle Point et de Stony Point est par la présente rejetée.

Signé par

J. Grant Sinclair

OTTAWA (Ontario)

Le 8 décembre 2003

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T827/7703

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Maurice Bressette c. Conseil de bande de la
Première nation de Kettle Point et de Stony Point

DATE ET LIEU
DE L'AUDIENCE :

Le 30 octobre 2003
Sarnia (Ontario)

DATE DE LA DÉCISION
DU TRIBUNAL :

Le 8 décembre 2003

ONT COMPARU :

Maurice Bressette

en son propre nom

Patrick O'Rourke

au nom de la Commission canadienne des droits de la personne

Jonathon George

au nom de l'intimé

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