Tribunal canadien des droits de la personne

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CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

JEAN-LUC MORIN

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

l'intimé

DÉCISION

2005 TCDP 41
2005/10/14

MEMBRE INSTRUCTEUR : Athanasios D. Hadjis

I. FAITS

A. Entrée au service de la GRC

B. Formation pratique - Premier et deuxième mois

C. Formation pratique - Troisième et quatrième mois

D. Formation pratique - Cinquième et sixième mois

E. Première prolongation de la formation pratique - Premier mois

F. Première prolongation de la formation pratique - Deuxième mois

G. Première prolongation de la formation pratique - Troisième mois

H. Deuxième prolongation de la formation pratique - Première et deuxième semaines

I. Deuxième prolongation de la formation pratique - Troisième semaine

J. Deuxième prolongation de la formation pratique - Quatrième semaine

K. Deuxième prolongation de la formation pratique - Cinquième et sixième semaines

L. Retour à Montréal

M. Dépôt d'une plainte au Commissariat aux langues officielles

II. ANALYSE

A. Plainte aux termes de l'article 7

B. Preuve prima facie

C. L'explication de la GRC

D. Plainte aux termes de l'article 14

E. La conduite reprochée était-elle liée à la couleur du plaignant?

F. La conduite reprochée était-elle importune?

G. La conduite reprochée était-elle de nature suffisamment grave ou répétitive?

H. Notification de l'employeur

III. CONCLUSION

[1] Le plaignant allègue qu'il a fait l'objet de discrimination en raison de sa couleur durant sa formation pratique à titre de membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), et que cette discrimination a joué un rôle dans la cessation subséquente de son emploi, ce qui contrevient à l'art. 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. En outre, le plaignant prétend avoir été harcelé par la GRC à cause de sa couleur au cours de sa formation, ce qui contrevient à l'art. 14 de la Loi.

[2] Le plaignant et l'intimée ont été représentés par avocat au cours de l'instruction de la plainte par le Tribunal. L'avocat de la Commission canadienne des droits de la personne a versé au dossier un exposé initial le premier jour de l'audience et n'a ni assisté ni participé à l'audience par la suite. L'audience proprement dite a duré 51 jours et s'est déroulée à Montréal, Vancouver et Ottawa. Trente-neuf témoins ont témoigné.

[3] Pour les motifs énoncés ci-dessous, j'ai déterminé que la couleur du plaignant n'a joué un rôle ni dans la façon dont il a été traité alors qu'il était au service de la GRC, ni dans son congédiement subséquent. Le plaignant a trouvé sa formation très stressante. Cela n'a pas été une période agréable de sa vie. Bien que l'employeur ait peut-être été très exigeant à son endroit durant sa formation, je ne suis pas persuadé qu'une discrimination fondée sur sa couleur ait joué un rôle dans la manière dont il a été traité. J'ai également conclu qu'il n'a pas fait pas l'objet de harcèlement en raison de sa couleur.

I. FAITS

A. Entrée au service de la GRC

[4] Le plaignant est un Montréalais de race noire. En 1994, il s'est inscrit à un programme spécial administré par la GRC visant à enseigner à des Haïtiens et des Canadiens les techniques policières à l'École de la GRC à Regina (communément appelé la Division Dépôt). À l'époque, Haïti était dans une période transitoire sur le plan politique. Le programme visait à aider le pays à se doter d'un corps de police constitué d'agents nouvellement formés. Les diplômés du programme prévoyaient joindre les rangs du corps de police haïtien. Le plaignant a terminé le programme avec succès mais, pour des motifs ayant trait à sa double citoyenneté (canadienne et haïtienne), il n'a pas été en mesure d'accompagner les autres recrues à Haïti. Après sa formation à Regina, il est retourné à Montréal pour terminer ses études collégiales. Comme il avait alors développé un intérêt profond pour l'activité policière, il a présenté en toute bonne foi une demande d'inscription au programme de formation des recrues de la GRC à la Division Dépôt, peu après avoir obtenu son diplôme d'études collégiales. Après avoir subi les nombreux examens d'entrée administrés par la GRC, il a été admis au programme en avril 1996.

[5] Ayant choisi d'entreprendre sa formation le plus tôt possible, le plaignant n'a eu d'autre choix que de suivre celle-ci en anglais. La formation en français devait débuter quelques mois plus tard. La langue maternelle du plaignant est le français, mais il avait à l'époque une certaine connaissance de l'anglais. Durant son séjour à la Division Dépôt, le plaignant a étudié à l'aide d'ouvrages bilingues, tant et si bien que sa connaissance de l'anglais s'est améliorée au fil du temps. Sa formation a duré six mois et il a obtenu son diplôme en octobre 1996.

B. Formation pratique - Premier et deuxième mois

[6] Après sa formation à la Division Dépôt, le plaignant a été affecté comme policier aux services généraux au détachement de la GRC à Burnaby, en Colombie-Britannique, afin d'y suivre sa formation pratique. Ce stage de formation professionnelle des recrues est administré en vertu du programme de formation pratique, désigné également sous le nom de formation pratique des recrues (FPR). Ce programme est d'une durée de six mois. La recrue est membre de la GRC pendant cette période, mais elle peut être congédiée si elle ne réussit pas le programme de formation pratique. Durant sa FPR, un membre régulier de la GRC est jumelé à la recrue à titre de formateur ou de mentor. Le formateur fait équipe avec la recrue dans la voiture de patrouille pendant la majeure partie de la période de formation et évalue ponctuellement le rendement du nouveau membre. Un rapport d'évaluation est rédigé tous les deux mois. Au moment où le dernier rapport est établi après six mois, la recrue doit satisfaire à toutes les exigences pour réussir sa FPR.

[7] Burnaby est, bien sûr, une vaste municipalité faisant partie du Grand Vancouver. Le gouvernement du Canada et la ville de Burnaby ont conclu une entente en vertu de laquelle la GRC assure à cette dernière des services de police. Le détachement de la GRC à Burnaby est le deuxième en importance au pays. Le plaignant ne s'était jamais rendu à Burnaby auparavant et savait peu de choses au sujet de cette ville. Il est arrivé là-bas le ou vers le 15 novembre 1996, deux semaines après avoir obtenu son diplôme de la Division Dépôt. Il a été accueilli à l'aéroport par son formateur attitré, le gendarme (gend.) John Haney.

[8] La première rencontre du plaignant avec son formateur a été amicale. Le gend. Haney a invité le plaignant à habiter chez lui jusqu'à ce qu'il se trouve un logement. Le plaignant a effectué sa première journée de travail le lendemain de son arrivée. Le gend. Haney l'a présenté aux autres employés de la GRC. Il s'est mis en frais d'aider le stagiaire à se trouver un appartement et une succursale bancaire bien située où il pourrait ouvrir un compte. Malgré ce début relativement amical de leur relation de travail, le plaignant allègue que le gend. Haney a commencé après quelques jours à faire montre d'une attitude discriminatoire à son endroit.

[9] Dès son arrivée à Burnaby, le plaignant a voulu s'acheter une voiture. Il jetait un coup d'il aux annonces classées dans le journal. Beaucoup d'annonces renfermaient la mention OBO (or best offer; ou la meilleure offre), qui faisait référence au prix demandé. L'anglais étant sa langue seconde, le plaignant ne savait pas ce que signifiait cette abréviation. Il croyait à tort qu'il s'agissait du nom d'un résident de la ville qui avait beaucoup de voitures à vendre. Alors qu'il était dans la voiture de patrouille avec le gend. Haney, le plaignant a dit qu'il songeait à téléphoner au dénommé OBO en vue d'acheter une de ses voitures. En entendant cela, le gend. Haney a pouffé de rire. Le plaignant ne savait pas pourquoi. Plus tard, ils se sont arrêtés dans un restaurant-minute pour prendre le petit déjeuner en compagnie d'autres membres de la GRC de leur détachement. Le gend. Haney a raconté aux autres ce que le plaignant lui avait dit et tout le monde s'est esclaffé. C'est à ce moment que le plaignant a appris ce que signifiait l'abréviation OBO et pourquoi les autres riaient.

[10] À compter de ce jour-là, le gend. Haney et d'autres membres de la GRC ont commencé à surnommer le plaignant OBO. Le plaignant admet qu'il a toléré pendant trois ou quatre jours de se faire appeler ainsi et qu'en fait, il esquissait même un large sourire lorsqu'on racontait l'histoire concernant les annonces classées. Cependant, l'emploi du surnom a persisté pendant plusieurs mois. Des personnes qu'il connaissait à peine utilisaient ce surnom. Dans son témoignage, le plaignant a affirmé qu'il se sentait comme un bouffon lorsqu'on s'adressait à lui de cette façon. En outre, le surnom comporte à son avis des connotations raciales. Il soutient que l'expression or best offer était utilisée durant les ventes aux enchères d'esclaves dans l'Amérique d'avant la guerre civile, ce qu'il trouvait particulièrement offensant.

[11] Le gend. Haney se souvenait de la discussion qui a eu lieu dans la voiture de patrouille au sujet des annonces classées. Il a précisé que le plaignant et lui-même ont ri de l'erreur. Toutefois, il a souligné que sa réaction ne comportait pas de connotation raciale. Il a simplement employé le terme OBO par la suite comme surnom drôle et comme marque d'affiliation au reste de l'équipe. Selon le gend. Haney, de nombreux membres du détachement, dont lui-même, avaient des surnoms. L'emploi de surnoms était typique de la camaraderie qui existait entre eux et qui n'était pas sans rappeler les rapports qu'entretiennent entre eux les joueurs d'une équipe sportive. Il nie fermement que le plaignant lui ait jamais indiqué expressément ou implicitement qu'il était offensé ou que l'utilisation du surnom lui déplaisait. Le plaignant riait ou n'avait aucune réaction lorsqu'on l'interpellait de cette façon. Le gend. Haney a déposé une vidéo amateur que sa conjointe a tournée lors d'un party qui a eu lieu chez ce dernier le 30 novembre 1996, deux semaines après que le plaignant eut commencé sa FPR. On peut voir sur cette vidéo une douzaine d'invités, dont le plaignant. À un moment donné, la conjointe du gend. Haney qui tenait le caméscope s'adresse au plaignant en disant Allô, OBO. On voit alors le plaignant esquisser un sourire et réagir de façon aimable.

[12] Le plaignant allègue qu'un autre incident au cours duquel le gend. Haney a fait montre d'une attitude discriminatoire s'est produit dans les débuts de sa FPR. Avant une séance de breffage au détachement, le gend. Haney a vu le plaignant en train de saluer le gend. Ader Albert, qui est lui aussi de race noire et d'origine haïtienne. Le plaignant prétend que le gend. Haney a esquissé un geste de la main et passé la remarque suivante : [TRADUCTION] Est-ce la façon dont vous, les Noirs, vous serrez la main? À l'audience, le plaignant a affirmé qu'il avait eu l'impression en entendant cette remarque qu'on se moquait de lui. Le gend. Albert a indiqué lors de son témoignage qu'il avait souvenance de cette scène, mais qu'il ne s'était pas senti offusqué. Il ne se rappelle pas que le plaignant ait alors manifesté des signes de désapprobation. Selon le gend. Albert, le gend. Haney voulait simplement faire une farce. Le gend. Haney n'a aucun souvenir de l'incident.

[13] Le plaignant prétend qu'au cours des deux premiers mois de sa formation, le gend. Haney a commencé à critiquer vivement son rendement et que les relations entre eux ont commencé à se détériorer. Le formateur trouvait à redire sur une bonne partie des choses que faisait le plaignant. Le temps de réponse à un appel est devenu un sujet de discorde. Le gend. Haney estimait que le plaignant mettait trop de temps à se rendre à un endroit. Parfois, il s'égarait. Le plaignant fait remarquer qu'il venait d'arriver à Burnaby et qu'il ne connaissait pas encore la ville. C'est la raison pour laquelle il avait décidé de louer un appartement à Burnaby. Il voulait rester dans cette ville même lorsqu'il n'était pas en service afin de se familiariser avec l'endroit. Le plaignant prétend que le gend. Haney faisait montre d'impatience à cet égard et qu'il a commencé à mesurer à l'aide de sa montre le temps qu'il lui fallait pour répondre à un appel. Il appert que le gend. Haney devenait parfois tellement enragé par la façon d'agir du plaignant qu'il criait après lui et frappait sur la voiture avec ses mains. Une fois, le plaignant a répliqué au gend. Haney qu'ils étaient tous deux des adultes et qu'il n'était pas nécessaire de crier.

[14] Au dire du plaignant, le fait que le gend. Haney le chronométrait constamment lui causait un énorme stress et l'amenait parfois à faire des erreurs. Il se sentait harcelé à cause de cette pratique. Ses collègues recrues n'étaient pas soumis à ce régime; en fait, presque aucun des membres de la GRC qui ont témoigné en l'espèce a dit se souvenir d'avoir été chronométré de cette manière au cours de sa formation pratique, bien que plusieurs aient admis s'être fait dire durant leur FPR qu'ils mettaient trop de temps pour répondre à un appel ou exécuter leurs autres fonctions.

[15] Le gend. Haney reconnaît que le plaignant a manifesté son mécontentement face au stress que lui imposait le fait qu'on mettait en doute ses compétences au volant en le chronométrant. Cependant, le formateur soutient que cet outil se voulait un moyen de corriger un défaut chez le plaignant. Il est important qu'un policier puisse réagir à un appel rapidement et de façon sécuritaire. Au début, les temps de réponse du plaignant étaient médiocres et il avait du mal à s'orienter dans la ville. Le chronométrage s'est révélé un moyen efficace malgré les protestations du plaignant. En l'espace d'un mois, les temps de réponse du plaignant se sont améliorés et ont atteint un niveau acceptable. Le gend. Haney reconnaît qu'aucune des autres recrues confiées à des collègues à cette époque n'a été chronométrée de cette façon. Il affirme néanmoins que cet outil auquel il avait songé dans le cas du plaignant a été utile, voire ingénieux, et qu'il pourrait se révéler utile également pour d'autres stagiaires. Il ne se souvient d'aucun incident particulier au cours duquel il aurait élevé la voix ou frappé sur la voiture avec ses mains pour manifester son mécontentement à ce sujet, comme le prétend le plaignant. Le gend. Haney ne nie pas que ses critiques constructives à l'égard du plaignant aient pu être interprétées par le plaignant comme des vociférations.

[16] Le gend. Haney ne se contentait pas de chronométrer le plaignant lorsque celui-ci répondait à un appel. Il prenait note du temps qu'il fallait à son stagiaire pour rédiger un rapport de police. Le gend. Haney prétendait que le plaignant prenait trop de temps pour rédiger ses rapports et que la qualité de ceux-ci était médiocre, tant pour ce qui est du fond que de la forme (syntaxe et orthographe). Il a commencé à consigner le temps que le plaignant mettait à exécuter cette tâche, toujours dans le but d'améliorer son rendement. Le gend. Haney prétend avoir eu moins de succès avec cette méthode qu'avec le moyen mis au point pour réduire le temps de réponse du plaignant à un appel.

[17] Au dire du plaignant, le fait qu'on prenait note du temps qu'il lui fallait pour rédiger ses rapports lui causait un stress supplémentaire et nuisait à son rendement. En outre, il signale que, contrairement aux autres recrues, il n'était pas autorisé à rédiger ses rapports à l'aide des ordinateurs qui se trouvaient au détachement ou dans la voiture de patrouille. S'il avait pu le faire, il aurait apporté directement à l'écran les changements nécessaires, notamment au moyen du correcteur orthographique, avant d'imprimer ses textes. Le gend. Haney lui avait cependant demandé de rédiger ses rapports manuellement. Souvent, il lui demandait de recommencer lorsqu'il manquait quelque chose. Il devait parfois s'y reprendre à plusieurs fois, ce qui, de toute évidence, exigeait qu'il consacre encore plus de temps à ses rapports. Le gend. Haney critiquait également l'écriture du plaignant, insistant pour qu'il écrive en lettres moulées plutôt qu'en cursive lorsqu'il remplissait des formules ou rédigeait des rapports, et même lorsqu'il consignait des renseignements dans son carnet. Le plaignant soutient qu'il avait une écriture soignée et que ces commentaires étaient injustifiés. Il estime que le gend. Haney s'acharnait sur lui et qu'il était traité différemment des autres recrues. Le gend. Haney était d'avis qu'il était important d'apprendre à rédiger un rapport manuellement, étant donné qu'un policier ne dispose pas toujours d'un ordinateur. Il était également indispensable, selon lui, que le plaignant soigne son écriture. Le policier qui avait formé le gend. Haney durant sa FPR avait toujours insisté sur ces points. Le gend. Haney voulait faire profiter le plaignant des bienfaits de cette formation.

[18] Le gend. Haney avait également recours à un autre outil : le journal quotidien d'entraînement. À compter de la mi-décembre 1996, le gend. Haney s'est mis à consigner les activités accomplies par le plaignant durant chaque quart de travail. À la fin de la journée, le plaignant devait lire le journal quotidien d'entraînement et rédiger une auto-évaluation de rendement fondée sur une échelle de 1 à 3 (médiocre à excellent). Son formateur établissait ensuite sa propre évaluation en se fondant sur la même échelle, après quoi le plaignant et lui expliquaient comment ils en étaient venus à leurs conclusions respectives. Le gend. Haney consignait des suggestions quant aux points à améliorer. La plupart du temps, ils en arrivaient tous les deux à un score identique - habituellement 2. Ce système de notation a été utilisé pendant un peu plus d'un mois, jusqu'à la mi-janvier 1997. Cependant, le gend. Haney et certains membres de rang supérieur qui ont participé à la formation du plaignant ont continué par la suite de rédiger dans le journal d'entraînement des évaluations sommaires de rendement, jusqu'à la fin de la période initiale de FPR. Lors de son témoignage, le gend. Haney a dit avoir eu recours au journal d'entraînement pour cerner et faire comprendre au plaignant les points à améliorer.

[19] L'utilisation du journal d'entraînement agaçait le plaignant. Le gend. Haney aurait commencé à employer cet outil aussitôt après le prétendu excès de colère qu'il aurait eu dans la voiture de patrouille et qui aurait suscité la réprobation du plaignant. Le plaignant estime que son formateur a eu recours au journal d'entraînement en guise de représailles envers lui.

[20] Lors du party de Noël du détachement, le plaignant a eu l'occasion de s'entretenir avec son superviseur, le caporal (cap.) Peter Fischer, à qui il s'est plaint de la méthode difficile du gend. Haney et du fait qu'il hurlait après lui. Le cap. Fischer a donné suite à la plainte. Il a consulté son propre superviseur, le sergent (serg.) Dwight Watts, puis a rencontré le gend. Haney afin d'entendre sa version des faits. Le formateur lui a expliqué qu'il avait décelé des lacunes chez le plaignant. Il a soutenu qu'il travaillait à résoudre ces problèmes et qu'il s'efforçait de le faire sans être trop sévère. Après avoir entendu ces explications, et eu égard au fait que le plaignant n'avait pas demandé la désignation d'un nouveau formateur, le cap. Fischer a enjoint le plaignant de se conformer aux instructions du gend. Haney.

[21] Au début de janvier 1997, à l'occasion d'une autre conversation, le serg. Watts a demandé au plaignant s'il voulait être jumelé à un nouveau formateur pendant le reste de sa formation pratique. Le plaignant a rejeté l'offre. Il a expliqué à l'audience qu'étant donné que les choses allaient déjà tellement mal pour lui, il ne voulait pas envenimer la situation en donnant l'impression de se dérober devant une situation difficile. Deux autres témoins, le gend. Maxime St-Fleur et le gend. Oakland Knight, ont affirmé à l'audience qu'ils avaient demandé la désignation de nouveaux formateurs durant leur FPR au détachement de Burnaby. Fait intéressant, ces deux recrues étaient elles aussi de race noire. Le gend. St-Fleur était un francophone d'origine haïtienne qui, à l'instar du plaignant, venait du Québec. Les recrues en question n'ont pas réussi leur FPR après la période initiale de six mois, et ce n'est qu'après que leur FPR eut été prolongée de plusieurs mois qu'elles sont parvenues à le faire. Aujourd'hui, ces personnes sont toutes les deux des membres réguliers actifs de la GRC.

[22] Le 20 janvier 1997, le gend. Haney a rédigé après deux mois le rapport d'évaluation de rendement du plaignant, conformément au programme de formation pratique. Lors de son témoignage, le plaignant a affirmé qu'il s'attendait à une évaluation relativement positive, compte tenu des résultats figurant dans le journal d'entraînement, où on lui avait attribué la plupart du temps la note moyenne de 2. Le rapport d'évaluation renfermait une grille énumérant 28 critères en fonction desquels devait être coté le rendement de la recrue. Les diverses cotes possibles étaient les suivantes : supérieur, compétent ou à améliorer. Ce fut pour le plaignant un choc d'apprendre que le gend. Haney avait indiqué qu'il avait des points à améliorer relativement à dix des critères. Les lacunes mentionnées avaient trait à la capacité de définir un problème, aux communications écrites, à la connaissance et à l'application du droit, des politiques et des procédures, à l'aptitude à recueillir des renseignements et à la capacité de mener une enquête et de recueillir des éléments de preuve. Il était également précisé que ses compétences au volant et en matière de sécurité du policier, ainsi que son aptitude à prendre des décisions, laissaient à désirer.

[23] La formule de rapport d'évaluation de rendement renfermait une section réservée aux commentaires de la recrue. Le plaignant a indiqué qu'il souscrivait aux observations du gend. Haney et qu'il était désireux d'améliorer sa grammaire anglaise. Il a ajouté qu'il appréciait la formation dispensée par son formateur jusqu'alors et qu'il allait faire de son mieux pour améliorer ses compétences.

[24] Lors de son témoignage, le plaignant a affirmé qu'il n'était pas du tout d'accord, en fait, avec l'évaluation de rendement établie par le gend. Haney, faisant remarquer qu'on n'avait relevé aucune des lacunes en question au moment où il a obtenu son diplôme de la Division Dépôt. Cependant, plusieurs témoins ont indiqué que les résultats obtenus à l'entraînement à la Division Dépôt ne laissent pas nécessairement présager que la recrue aura autant de succès durant sa formation pratique dans le monde réel. Le gend. Haney a témoigné qu'en tout état de cause, le fait de trouver qu'un stagiaire avait des points à améliorer impliquait simplement que la recrue devait faire des progrès en vue d'atteindre la norme. Il a fait remarquer qu'un grand nombre des lacunes du plaignant étaient interreliées. Il avait constaté, par exemple, que le plaignant avait une piètre connaissance des lois et règlements provinciaux et municipaux que les policiers du détachement de la GRC à Burnaby étaient chargés de faire respecter. À cause de ces lacunes, le plaignant prenait des décisions mal avisées dans divers domaines, notamment lorsqu'il s'agissait de mener une enquête sur les lieux d'un crime ou de recueillir des éléments de preuve. Le gend. Haney a fait observer qu'il y avait également des mots d'encouragement dans le rapport d'évaluation. Il y était précisé que le plaignant était une personne intelligente qui avait la capacité de réussir. Il était également mentionné dans le rapport que certaines difficultés rédactionnelles du plaignant étaient peut-être imputables au fait que l'anglais était sa langue seconde.

[25] Le plaignant a été particulièrement vexé du fait que le rapport ne fasse aucunement état des bons coups ou des exploits qu'il avait réalisés au cours des deux premiers mois de sa formation. Un incident hors de l'ordinaire était survenu dans un restaurant local où le plaignant et le gend. Haney prenaient leur dîner le 27 novembre 1996. Le plaignant a remarqué qu'un client qui venait de prendre une bouchée de nourriture était en train de s'étouffer et avait peine à respirer. Le plaignant est aussitôt intervenu, exécutant la manuvre de Heimlich pour expulser les aliments, tandis que le gend. Haney demandait par radio qu'on dépêche des ambulanciers sur les lieux. Les efforts du plaignant ont été couronnés de succès et ont permis de sauver la vie du client. À la suite de l'incident, le gend. Haney s'est contenté de passer le commentaire suivant au moment où ils se sont rassis à leur table pour terminer leur repas : [TRADUCTION] Beau travail, en passant.

[26] Le plaignant prétend qu'après le retour au poste, le gend. Haney n'a fait aucun effort particulier pour informer des supérieurs de son exploit ou pour signaler celui-ci de façon officielle à d'autres membres du détachement. Lors de son témoignage, le gend. Haney a indiqué que le plaignant et lui avaient raconté l'incident à leurs collègues et superviseurs après être retournés au poste. Toutefois, les gend. Haney n'a pas jugé opportun de rédiger et de diffuser une note concernant leur propre exploit. Cela aurait été considéré comme de l'auto-promotion. Il valait mieux laisser à leurs superviseurs le soin de souligner l'exploit. En fait, plusieurs jours plus tard, après que le détachement eut reçu du client du restaurant une lettre remerciant le plaignant et le gend. Haney de lui avoir sauvé la vie, le surint. R.W. Fenske, qui était l'officier responsable du détachement de Burnaby, a rédigé une note de service les félicitant pour leur conduite. Une copie de la lettre a été versée au dossier personnel du plaignant. Cependant, le gend. Haney n'a pas, pour sa part, fait état de la prouesse du plaignant dans le rapport d'évaluation de rendement qu'il a établi après les deux premiers mois.

[27] Fait intéressant, le superviseur du gend. Haney n'a pas manqué quelques mois plus tard de signaler l'exploit en termes élogieux dans l'évaluation annuelle de rendement de ce dernier. Le cap. Fischer a affirmé lors de son témoignage que l'évaluation annuelle de rendement et l'évaluation de rendement établis au cours d'une FPR sont deux choses différentes. L'évaluation annuelle de rendement a pour objet de signaler toutes les réalisations attestées - positives ou négatives - d'un policier. Si le plaignant avait réussi sa FPR, sa propre évaluation annuelle de rendement aurait fait mention de l'exploit. En revanche, le rapport d'évaluation de rendement ne vise qu'à indiquer si la recrue a atteint le niveau de compétence requis par rapport à chacun des 28 critères énoncés dans la norme de formation pratique.

C. Formation pratique - Troisième et quatrième mois

[28] Au cours des deux mois qui ont suivi, le gend. Haney a constaté des progrès chez le plaignant; toutefois, il a continué de déplorer ses lacunes dans certains domaines. Le formateur était particulièrement préoccupé par la qualité des notes et des rapports de son stagiaire. Le gend. Haney lui avait conseillé d'imiter sa façon formel de prendre des notes. Il semble que le plaignant n'ait pas pris modèle sur le style de son formateur; cependant, d'autres membres de la GRC ont témoigné que, d'habitude, un agent est libre d'adopter la méthode de prise de notes qu'il lui convient, pourvu que celles-ci soient suffisamment claires et puissent être utilisées lors d'une audience en cour. Le gend. Haney a fait remarquer que, peu importe la méthode de prise de notes utilisée, certains faits doivent absolument être signalés, ce que le plaignant n'arrivait pas à faire après presque quatre mois de formation.

[29] En ce qui concerne l'établissement des rapports, le gend. Haney trouvait encore que le plaignant avait de la difficulté à consigner les renseignements pertinents et que les travaux de rédaction prenaient trop de temps. Cependant, le gend. Haney avait bon espoir que le plaignant pourrait s'améliorer. Dans au moins un cas où il avait ordonné au plaignant de recommencer son rapport, le résultat final était beaucoup mieux. Au cours de cette période, le gend. Haney a indiqué plusieurs fois dans le journal d'entraînement que le plaignant pourrait réussir en s'appliquant davantage. Il est également précisé dans le journal d'entraînement que le plaignant rechignait de plus en plus, chaque fois qu'on lui ordonnait de recommencer son travail.

[30] Le gend. Haney a également fait état des difficultés du plaignant à prendre des décisions sur le terrain. À son avis, le plaignant devait améliorer sa connaissance de base du droit, des politiques et des procédures pour faire des progrès sur ce plan. En outre, le gend. Haney encourageait le plaignant à poser des questions et à mettre à profit l'expérience des autres lorsqu'il devait prendre des décisions.

[31] Pour sa part, le plaignant contestait ces opinions et reprochait au gend. Haney de ne pas s'être acquitté de son obligation de lui dispenser une formation adéquate. Selon la norme de formation du programme de formation pratique, la GRC s'attendait à ce que le formateur fasse montre de respect dans ses rapports avec son stagiaire et établisse avec lui une bonne relation de travail. La recrue est censée se sentir à l'aise avec son formateur. Ce dernier devait à son tour prêcher par l'exemple. Ce genre de relation n'a jamais existé entre le plaignant et le gend. Haney. Le plaignant était extrêmement mal à l'aise, à cause des critiques répétées de son formateur. Il se rendait chaque jour au travail en se demandant à quoi ce dernier trouverait à redire.

[32] Si ses compétences laissaient à désirer à certains égards, c'était parce que son formateur ne lui avait pas donné suffisamment de rétroaction au sujet de ce qu'il devait faire pour s'améliorer. Le plaignant a dû prendre en main son propre perfectionnement. Il a donc décidé de sinscrire à un cours de perfectionnement linguistique en anglais. Il a commencé à étudier les lois et règlements en vigueur, et il a visionné de nombreuses vidéocassettes de formation dans ses temps libres, habituellement au détachement. Il restait souvent au bureau après le travail. Malgré ces efforts supplémentaires, le plaignant n'a eu droit à aucun renforcement positif de la part du gend. Haney. Au contraire, vers la fin de février 1997, le gend. Haney a dit au plaignant qu'il n'était pas fait pour être policier et qu'il devrait songer à se réorienter. Le plaignant a rétorqué sur un ton de défi qu'il voulait réussir et qu'il ne démissionnerait pas.

[33] Malgré le manque de soutien de la part de son formateur, le plaignant avait bon espoir que tous les efforts supplémentaires qu'il déployait porteraient fruit et que son évaluation pour la deuxième période de deux mois serait meilleure. S'il était aussi confiant, c'est en partie parce qu'il avait commencé vers la fin de janvier 1997 à patrouiller seul le district. Son formateur n'étant pas à côté de lui, il était moins tendu; il avait suffisamment confiance en ses moyens pour faire face à n'importe quel défi qui se présenterait. Le gend. Haney a témoigné que le plaignant, à l'instar de toutes les recrues qui font leurs premières patrouilles en solo, était observé pendant ses quarts de travail par son formateur et d'autres collègues, qui étaient dans d'autres véhicules. Par conséquent, le gend. Haney donnait un coup de main au plaignant lors de toutes les interventions, sauf celles qui étaient très routinières. Le gend. Haney se souvient qu'à l'occasion de ces patrouilles en solo, le plaignant a dérogé à plusieurs reprises aux procédures en vigueur lors de ses interventions et de ses enquêtes sur divers incidents.

[34] Le rapport d'évaluation de rendement établi en date du 17 mars 1997, après quatre mois de formation, a confirmé que le plaignant avait atteint le niveau de compétence requis dans plusieurs domaines, notamment en ce qui touche ses compétences au volant et en matière de sécurité du policier, ainsi que pour ce qui est de sa capacité de définir un problème et de recueillir des renseignements. Cependant, le gend. Haney concluait que le stagiaire avait encore des lacunes et devait améliorer son aptitude à communiquer ainsi que sa connaissance du droit, des politiques et des procédures. En outre, il devait améliorer certaines compétences (recueillir des déclarations, apprendre à prendre les choses en main lors d'un incident). Le gend. Haney a jugé que, en tout et pour tout, le plaignant devait faire des progrès relativement à six des 28 critères, comparativement à dix selon le rapport d'évaluation de rendement dressé après deux mois. Le formateur encourageait le plaignant à continuer de faire montre d'une attitude positive et de détermination au cours des deux derniers mois de sa FPR, tout en l'exhortant à faire des efforts supplémentaires pour parfaire ses compétences. Le gend. Haney a énuméré un certain nombre d'activités visant à aider le plaignant à améliorer sa connaissance du droit, des politiques et des procédures, notamment sa participation à une série de séances d'enseignement hebdomadaires que lui donnerait le gend. Haney en dehors des heures de service.

[35] Le plaignant a été déçu par le rapport. Il était clair dans son esprit qu'il était victime d'une injustice. Malgré qu'il travaillait d'arrache-pied et déployait beaucoup d'efforts, sa situation ne s'améliorait pas. Il avait constamment maille à partir avec le gend. Haney. Il était évident que son formateur voulait le voir échouer. De l'avis du plaignant, les desseins du gend. Haney étaient enracinés dans les préjugés qu'il avait à son endroit et à l'égard de la couleur de sa peau. Le plaignant affirme qu'un incident survenu juste avant la préparation de son rapport d'évaluation de rendement après quatre mois confirme ses doutes.

[36] Un jour, alors que le gend. Haney et lui revêtaient leur uniforme dans le vestiaire du poste de police, le formateur a traité le plaignant de cul de Kirby Puckett (Kirby Puckett Ass). Le plaignant s'est montré offensé, croyant que le premier mot prononcé était, en fait, curvy (courbé) et qu'il s'agissait d'une allusion aux caractéristiques de son torse inférieur. Qui plus est, il a associé le terme à certains stéréotypes racistes accolés aux personnes d'ascendance africaine. Ce n'est que plus tard, au moment où il a communiqué avec la Commission canadienne des droits de la personne pour déposer sa plainte, que le plaignant a appris que Kirby Puckett était un célèbre joueur de base-ball d'origine afro-américaine. Selon le témoignage du plaignant, le gend. Haney a utilisé ce terme (de même que le terme OBO) à de nombreuses reprises jusqu'à ce qu'il cesse d'assurer sa formation en mai 1997. Le plaignant affirme qu'il n'a jamais exprimé d'objection à ce qu'on l'appelle de cette façon parce que sa carrière dépendait de l'évaluation du gend. Haney et qu'il ne voulait pas risquer d'avoir un affrontement avec lui.

[37] Le gend. Haney ne nie pas avoir employé le terme cul de Kirby Puckett mais situe la chose en contexte. Le plaignant et lui, ainsi que plusieurs autres policiers, avaient pourchassé, à pied et en voiture, un suspect à travers les rues de Burnaby. Le cap. Fischer a par la suite diffusé une note pour féliciter tous les policiers de l'excellent travail accompli lors de l'arrestation de l'individu en question. Durant la poursuite, alors que le gend. Haney courait après le suspect, le plaignant est sorti de sa voiture de patrouille pour se lancer lui aussi à la poursuite de l'individu. De retour au poste de police, le gend. Haney a demandé au plaignant pourquoi il avait décidé de sortir de son véhicule et de courir derrière lui. Le plaignant a répondu qu'il courait plus vite que lui et qu'il lui serait plus facile de rattraper le fuyard. Le gend. Haney s'est inscrit en faux contre cette affirmation et il s'en est suivi un échange au cours duquel chacun a tenté de convaincre l'autre de son talent de coureur. À un moment donné au cours de la conversation, le gend. Haney a qualifié le plaignant, sur un ton que ce dernier a qualifié d'ironique et de satirique, de cul de Kirby Puckett.

[38] Le gend. Haney était conscient du fait que Kirby Puckett était un joueur de base-ball extrêmement puissant réputé pour son torse large et musclé qui a été intronisé au Temple de la renommée du base-ball en raison de ses qualités athlétiques. Par conséquent, sa remarque faisait allusion au talent de coureur que prétendait avoir le plaignant, qu'il voyait comme une personne qui, de par sa musculature et son apparence, ressemblait à Kirby Puckett. Le ton sarcastique impliquait que, même s'il prétendait avoir l'habileté de Kirby Puckett, ce n'était pas le cas. Le gend. Haney n'a jamais pensé à la race du joueur et n'a jamais eu l'intention d'utiliser le terme comme épithète raciste. Le gend. Haney se souvient que cette conversation a été très cordiale. En fait, le plaignant s'est tourné vers un autre policier qui se trouvait près d'eux pour lui raconter ce que le gend. Haney venait de lui dire. Le policier en question a répondu : [TRADUCTION] Ça va car nous le [gend. Haney] surnommons tous parfois Dumbo à cause de la forme de ses oreilles. Lorsquil a entendu cela, le plaignant s'est esclaffé, répétant le mot Dumbo à plusieurs reprises. Le gend. Haney prétend que le plaignant l'a appelé Dumbo plusieurs fois par la suite.

[39] Le gend. Haney insiste sur le fait qu'il a utilisé le terme cul de Kirby Puckett à cinq reprises tout au plus, et ce, dans les jours qui ont suivi la discussion en question dans le vestiaire. Il soutient que le plaignant ne s'est jamais opposé à l'emploi de ce surnom et que, le cas échéant, il aurait aussitôt cessé de l'utiliser. Selon le gend. Haney, le plaignant et lui employaient très rarement des surnoms et s'appelaient par leur prénom 99 % du temps.

[40] Au dire du plaignant, l'attitude du gend. Haney à son endroit en dehors du travail dénotait également un préjugé défavorable. La fiancée du plaignant, Natalie Cerrato, était allée retrouver ce dernier à Burnaby vers la fin de décembre 1996. Elle travaillait dans une sandwicherie locale ainsi qu'au détachement, à titre de bénévole. Le gend. Haney la connaissait; pourtant, les fois où elle l'avait servi à la sandwicherie et où ils s'étaient croisés au détachement, il avait fait semblant de ne pas la connaître. De plus, le gend. Haney et le plaignant n'ont pas participé ensemble à des activités sociales en dehors des heures de travail, sauf à quelques occasions. Le formateur n'a jamais invité le plaignant et sa fiancée à venir lui rendre visite à son domicile.

[41] Toutefois, plusieurs policiers de la GRC ont témoigné qu'il n'était pas nécessairement normal que des membres entretiennent des liens d'amitié et se rencontrent en dehors du travail. Le gend. Haney a déclaré dans son témoignage que le plaignant était toujours libre de lui rendre visite chez lui à Coquitlam et qu'il l'avait d'ailleurs fait à plusieurs reprises au cours des premières semaines de sa FPR. Toutefois, le gend. Haney a également fait remarquer qu'au moment où Mme Cerrato est arrivée à Burnaby, ses rapports professionnels avec le plaignant étaient déjà tendus. Leur interaction se limitait, à toutes fins utiles, à leur relation formateur-recrue. Ils avaient des rôles distincts, situation qui a peut-être [TRADUCTION] causé un peu de stress supplémentaire et déteint sur les rapports du formateur avec Mme Cerrato. Le gend. Haney a ajouté qu'il ne se souvenait pas d'avoir déjà été invité au domicile du plaignant.

D. Formation pratique - Cinquième et sixième mois

[42] Au début du cinquième mois de la FPR, le gend. Haney a commencé à donner au plaignant ses séances d'enseignement hebdomadaires sur le droit, les politiques et les procédures, mesure qu'il avait recommandée dans son rapport d'évaluation de rendement après quatre mois. Le plaignant admet que l'organisation de ces séances était une initiative de son formateur. Le gend. Haney donnait ces séances chez lui en dehors des heures de travail. Le plaignant et lui touchaient tous les deux une prime pour heures supplémentaires. Ces séances duraient des heures, au cours desquelles le gend. Haney et le plaignant examinaient une multitude de scénarios. Ce programme a pris fin après la troisième semaine, sans doute parce que le gend. Haney a dû aller suivre une formation en dehors du détachement. Elles n'ont jamais repris, situation que le plaignant a déplorée. Le gend. Haney a précisé dans son témoignage qu'il n'avait pas l'intention de donner au plaignant des séances d'enseignement jusqu'à la fin de sa FPR. L'objectif de ces séances était de déterminer les domaines dans lesquels le plaignant avait encore des lacunes. Il appartiendrait ensuite au stagiaire de concentrer ses études sur les domaines en question.

[43] Tout comme lors du mois précédent, le plaignant et le gend. Haney n'ont fait équipe qu'occasionnellement dans la même voiture de patrouille au cours des cinquième et sixième mois de la FPR. À l'instar de toutes les recrues, le plaignant patrouillait régulièrement en solo. De plus, il était soumis à un système d'affectations rotatives et était, par conséquent, appelé à travailler également dans d'autres sections du détachement.

[44] Le 27 avril 1997, le gend. Michel Merritt s'est présenté au domicile d'un appelant auquel le plaignant, qui travaillait seul, s'était rendu en tant qu'intervenant primaire. Le propriétaire et un des locataires se querellaient au sujet de l'usage du logement et l'incident a dégénéré en bousculade. Le gend. Merritt a par la suite blâmé le plaignant, lui reprochant d'avoir accordé trop d'importance au règlement du différend civil et de ne pas s'être concentré sur l'enquête pour voies de fait pour laquelle il avait été dépêché sur les lieux. Le gend. Merritt a consigné cette observation dans le journal d'entraînement.

[45] Le gend. Haney a préparé le rapport final d'évaluation de rendement le 17 mai 1997. Il a conclu que le plaignant avait des lacunes dans les mêmes six domaines que ceux qui étaient mentionnés dans le deuxième rapport, tout en ajoutant qu'il y avait place à amélioration dans un septième domaine - la gestion des dossiers. À l'appui de ses conclusions, le formateur a annexé à son rapport un document détaillé faisant état de plusieurs incidents.

[46] La préoccupation exprimée quant à l'aptitude du plaignant à gérer des dossiers découlait de ses difficultés à tenir ses dossiers à jour et à répondre promptement aux demandes de ses superviseurs et des procureurs de la Couronne, entre autres. Le gend. Haney a indiqué que le plaignant était extrêmement désorganisé et n'avait pas jugé bon de suivre plusieurs suggestions qu'il lui avait faites en vue d'améliorer ses compétences en matière de gestion de dossiers. Les dossiers dans son porte-documents étaient souvent tout abîmés. Le plaignant a apporté à l'audience le porte-documents. Il s'agit d'un fourre-tout à flancs souples qui ressemble à un sac athlétique. À mon avis, ce n'est pas le genre de porte-document dont on se sert d'habitude pour transporter des dossiers.

[47] Le gend. Haney a indiqué qu'il nourrissait encore certaines inquiétudes quant à l'aptitude du plaignant à communiquer dans sa langue seconde, mais qu'il était heureux de constater que ce dernier suivait des cours d'anglais en dehors des heures de travail. Il était encore plus préoccupé par la capacité du plaignant d'établir sans trop tarder ses rapports d'incident et tous les documents connexes. Le gend. Haney était d'avis que les rapports présentaient souvent des lacunes et qu'il y manquait des détails nécessaires, ce qui obligeait à les refaire et retardait leur production. Selon le gend. Haney, le plaignant avait encore besoin de beaucoup de conseils et de surveillance en ce qui touche la rédaction de documents.

[48] Le formateur a fait remarquer que le plaignant avait amélioré de façon notable sa connaissance du droit, des politiques et des procédures au cours des mois précédents, mais qu'il y avait encore place à amélioration. Il a cité plusieurs cas où cette lacune avait été évidente. Alors que le plaignant était affecté à une autre section du détachement, une réplique d'arme de poing a été découverte et saisie. On a d'abord soupçonné que l'arme avait été utilisée pour commettre une série de vols à main armée. Le plaignant s'est vu confier la tâche de faire le nécessaire pour que l'arme puisse être déposée en cour comme pièce à conviction. Lorsqu'il est retourné au poste, le plaignant a été incapable de trouver un membre de la Section des enquêtes générales (SEG) auquel il pouvait confier l'arme. Par conséquent, il l'a laissée sans surveillance pendant plusieurs heures dans le panier qui était sur son pupitre, rompant ainsi la continuité de sa possession. Enfin de compte, le soupçon initial concernant l'arme était non fondé et aucune accusation n'a été portée. Cependant, selon le gend. Haney, le plaignant aurait dû agir comme s'il s'agissait d'une pièce à conviction. Le gend. Haney a confronté le plaignant à ce sujet. Le plaignant a vivement réagi, faisant valoir que son formateur était trop exigeant à son endroit.

[49] Le plaignant a déposé qu'il s'était senti lésé par les reproches du gend. Haney. Il n'avait mis l'arme dans son panier qu'après que l'enquêteur de la SEG dépêché sur les lieux du crime lui eut dit qu'aucune accusation au criminel ne serait déposée relativement à l'arme en question et que le plaignant devrait s'en défaire. Dans les circonstances, le problème de la continuité de possession ne se posait plus. Le plaignant a tenté d'expliquer la situation au gend. Haney, mais ce dernier a refusé d'accepter son explication.

[50] Un autre incident similaire s'est produit. Cette fois-là, on avait saisi une petite quantité de marijuana. Il s'agissait en l'occurrence de ce qu'on appelle dans le jargon du métier une saisie de drogue sans inculpation. Le plaignant a été chargé de prendre possession de la drogue saisie et d'enclencher le processus de destruction. Pour ce faire, il fallait remplir un formulaire relativement complexe. Plutôt que de le faire sans tarder, le plaignant a gardé la drogue dans son casier pendant un mois, contrevenant ainsi à la politique du détachement et de la GRC. Le gend. Haney a écrit dans le rapport d'évaluation que cette situation était imputable aux tergiversations du plaignant. Il a ajouté lors de son témoignage que si le plaignant trouvait difficile la tâche de remplir le formulaire, il aurait dû demander de l'aide plutôt que de laisser simplement une substance contrôlée dans son casier. Le gend. Haney était particulièrement préoccupé par le fait que le plaignant commettait encore ce genre d'erreur après six mois de formation pratique.

[51] Le plaignant s'est inscrit en faux contre la façon dont le gend. Haney a présenté ces incidents dans son rapport. La drogue avait été saisie alors que le plaignant était affecté à une unité de liaison communautaire sous la surveillance du gend. Anthony Akow. Une fois que les suspects trouvés en possession des stupéfiants eurent été écroués, le gend. Akow a ordonné au plaignant de mettre la drogue dans son casier en attendant que les suspects puissent être interrogés et qu'une décision soit prise quant à l'opportunité de déposer des accusations. Une semaine plus tard, et au cours des deux semaines qui ont suivi, le plaignant a demandé au gend. Akow si une décision avait été prise. Ce dernier lui a répondu par la négative. Finalement, environ un mois après la date de la saisie, le gend. Akow a dit au plaignant qu'aucune accusation ne serait déposée et lui a donné l'ordre de procéder à la destruction de la drogue. Par conséquent, le plaignant a rempli le formulaire requis selon les normes de la GRC. C'est lorsque le gend. Haney a vu la recrue remplir ce formulaire qu'il l'a accusée d'avoir tergiversé et de ne pas avoir suivi la politique et la procédure en vigueur. Le plaignant a tenté d'expliquer à plusieurs reprises qu'il avait simplement suivi les ordres, mais le gend. Haney n'a rien voulu entendre et n'a pas tenté de faire confirmer par le gend. Akow l'explication du plaignant. Le plaignant a dit lors de son témoignage qu'il s'est senti anéanti et victimisé par la façon dont il avait été traité par son formateur.

[52] Le plaignant a cité le gend. Akow comme témoin à l'audience. La version du gend. Akow diffère de celle du plaignant. Il se souvient d'avoir dit au plaignant le soir même de la saisie qu'aucune accusation ne serait déposée et qu'il devrait procéder à la destruction de la drogue. Il se souvient d'avoir croisé quelques semaines plus tard le plaignant au détachement. À l'époque, le gend. Akow était affecté à un poste de police satellite et ne venait que très rarement au bureau principal. Le plaignant l'a informé qu'il ne s'était pas encore débarrassé de la drogue. Le gend. Akow a été étonné d'entendre cela et se souvient d'avoir dit au plaignant que s'il ne connaissait pas la procédure à suivre, il devrait demander conseil à son formateur ou à un autre policier. Le plaignant n'a pas dit au gend. Akow à l'époque qu'il avait mis la marijuana dans son casier. Le gend. Akow ne l'a appris que peu de temps avant de venir témoigner à l'audience du Tribunal. À son avis, il ne convenait pas de mettre la drogue à cet endroit. Il y avait au poste de police deux séries désignées de casiers où l'on gardait provisoirement des choses qui devaient servir de pièces à conviction. C'est à cet endroit que le plaignant aurait dû entreposer la substance saisie. Le plaignant aurait dû connaître l'existence de ces casiers, à défaut de quoi il aurait dû demander conseil à son formateur ou à un autre policier.

[53] En ce qui concerne l'aptitude du plaignant à recueillir des éléments de preuve, le gend. Haney a fait remarquer dans son rapport final d'évaluation que les notes du plaignant étaient encore incomplètes. Il lui arrivait souvent de ne pas consigner dans son carnet des observations importantes; de plus, des détails importants (dates de naissance, numéros de téléphone, heures, etc.) étaient souvent manquants.

[54] Les relations du plaignant avec le public ont également été jugées problématiques. Dans son rapport final d'évaluation, le gend. Haney a fait état de deux engueulades que le plaignant avait eues avec des citoyens. Son attitude conflictuelle était non professionnelle et inacceptable.

[55] En outre, le gend. Haney a réitéré ses inquiétudes quant à la capacité du plaignant de prendre des décisions, ajoutant qu'il ferait sans doute des progrès sur ce plan au fur et à mesure que sa connaissance du droit, des politiques et des procédures ainsi que de leur application s'améliorait. Il encourageait le plaignant à demander conseil à des membres de rang supérieur de la GRC et à des experts afin de parfaire ses connaissances à cet égard. Le gend. Haney a également écrit que le plaignant devait utiliser une approche fondée sur le bon sens pour résoudre des situations. À titre d'exemple, le formateur a cité le cas où le plaignant a redonné à un individu un véhicule volé qu'on avait retrouvé, sans avoir d'abord vérifié son identité et le certificat d'immatriculation. Le plaignant a répliqué dans son témoignage qu'il avait déjà rencontré l'individu en question et qu'il avait conversé avec lui en français avant de lui redonner le véhicule. Il avait établi avec certitude que cette personne était bel et bien le concessionnaire d'automobiles qui avait signalé le vol. Le gend. Haney a une fois de plus fait la sourde oreille aux explications que le plaignant tentait de lui donner.

[56] Dans son rapport, le gend. Haney a conclu que, de façon générale, l'éthique du travail du plaignant était douteuse et que cela constituait un aspect à améliorer. Il avait tendance à écarter les critiques faites dans le but de l'aider et il avait l'habitude de se comparer aux autres recrues en formation à Burnaby, plutôt que de se concentrer sur ce qu'il devait faire personnellement pour réussir. Néanmoins, le gend. Haney a indiqué qu'en redoublant d'effort et en étant animé du désir d'apprendre, le plaignant pourrait réussir le programme de formation pratique. Il a donc recommandé de prolonger la période de formation du plaignant. Le sous-officier responsable de la formation à Burnaby, le cap. Richard Cousins, a affirmé lors de son témoignage que même si, en théorie, une recrue qui ne réussit pas sa FPR initiale de six mois peut faire l'objet d'une recommandation de libération, la période de formation est, d'après son expérience, habituellement prolongée dans un tel cas. Selon le cap. Cousins, le fait de ne pas satisfaire à tous les critères à la fin de la FPR initiale est une indication non pas de l'incapacité de l'intéressé de réussir, mais plutôt du fait qu'il doit être davantage encadré et qu'il doit se perfectionner en vue de pouvoir atteindre les normes.

[57] Le plaignant s'est inscrit en faux contre le rapport final d'évaluation établi par le gend. Haney. Il se souvient que, malgré la conclusion plus ou moins optimiste du rapport, le gend. Haney lui avait dit quelques semaines auparavant qu'il n'y avait aucune garantie qu'une prolongation serait recommandée dans son cas. Il avait ouvertement émis des doutes quant à savoir si le plaignant était fait pour être policier. Ces observations avaient évidemment eu l'effet de décourager encore plus le plaignant, qui avait fait des efforts considérables pour s'améliorer.

[58] Le plaignant a été particulièrement choqué par les affirmations énoncées dans le rapport selon lesquelles il ne s'était pas suffisamment appliqué et n'était pas prêt à travailler fort. Il prétend que le gend. Haney l'accusait souvent durant sa FPR d'être lent et paresseux. Le plaignant soutient que ces allégations étaient non seulement non fondées, mais aussi qu'elles témoignaient de profonds préjugés raciaux associés à un stéréotype négatif voulant que les personnes de race noire soient paresseuses et léthargiques. La communication de ces accusations par le gend. Haney aux superviseurs et à d'autres membres de la GRC a contribué à ternir de façon irréversible sa réputation au sein du détachement.

[59] Contrairement à ce que les constatations de son formateur donnaient à entendre, le plaignant se sentait à ce moment-là très à l'aise dans son rôle de policier. Il se sentait à l'aise lorsqu'il effectuait seul des patrouilles et face aux appels de toutes sortes auxquels il avait eu à répondre par le passé.

[60] Une fois de plus, il était frustré de constater que le rapport ne faisait état d'aucun de ses nombreux bons coups ou des gestes exceptionnels qu'il avait posés au cours des deux mois précédents. Par exemple, malgré le fait qu'on lui ait reproché d'avoir mis dans le panier qui était dans son bureau la réplique d'arme de poing d'un suspect, il avait pris l'initiative de faire des recherches sur le détenu et avait découvert que ce dernier était un immigrant sous le coup d'une ordonnance d'expulsion. Le suspect avait donc été gardé en détention puis remis aux autorités de l'Immigration.

[61] Le rapport ne faisait pas mention non plus d'un autre cas où il avait bien réagi qui était survenu le 16 avril 1997. Alors qu'il était en affectation dans une autre section et qu'il se dirigeait vers le palais de justice dans une voiture de police banalisée en compagnie du gend. C.L. Ramos, le plaignant a observé une personne qui tentait de pénétrer par effraction dans un véhicule garé. Ils se sont arrêtés et ont appréhendé le suspect, qui était en possession de biens volés et avait des antécédents de violence. Le gend. Ramos a rédigé une note de service (la Fiche de rendement 1004) félicitant le plaignant de [TRADUCTION] son enthousiasme et de son excellente éthique du travail. Plusieurs superviseurs ont souscrit à la note et l'ont félicité en passant divers commentaires (bon travail, excellent, etc.).

[62] Le 18 avril 1997, soit deux jours plus tard, le plaignant a été affecté à une autre section. Alors qu'il faisait équipe avec le gend. R.S. Burns en tant que passager dans une voiture de police banalisée, il a vu deux personnes en train de s'enfuir du lieu d'une présumé altercation avec un troisième individu. Le plaignant est sorti de la voiture et a pourchassé à pied les deux suspects. Après avoir appréhendé et immobilisé le premier, il s'est mis à la poursuite du deuxième suspect, qu'il a également attrapé. L'un et l'autre faisait l'objet d'une enquête pour voies de fait et enlèvement. Le gend. Burns a indiqué par la suite que le plaignant avait fait montre de beaucoup d'enthousiasme en appréhendant les suspects et que sa décision d'intervenir était justifiée. Le rapport d'évaluation ne faisait pas état de cette action d'éclat. Cependant, le gend. Haney a déposé que ce n'est que peu de temps avant son témoignage en l'espèce qu'il a été mis au courant de ce fait.

[63] Le plaignant souligne que le rapport passait également sous silence son travail au sein de la collectivité en général. Ainsi, il ne faisait aucunement mention du fait qu'il s'était porté volontaire pour présenter des scénarios aux élèves inscrits au projet Académie de la jeunesse 1997 visant à faire connaître la GRC auprès des jeunes. Le policier responsable de l'événement avait par la suite fait parvenir une lettre au détachement de Burnaby pour exprimer sa gratitude à l'égard de la contribution du plaignant.

[64] Le gend. Haney conteste l'allusion voulant qu'il n'ait pas relevé les succès du plaignant au cours de sa formation. Il soutient qu'il en a bel et bien tenu compte dans son évaluation générale. Cependant, en bout de ligne, l'objectif du rapport d'évaluation et du programme de formation pratique en général était de déterminer, au regard de tous les critères établis, si la recrue était compétente. La norme du programme de formation pratique, qui tenait lieu de manuel des opérations aux fins de la FPR, précisait que les formateurs devaient, lorsqu'ils établissaient un rapport d'évaluation, se borner à décrire les points à améliorer ou les qualités supérieures. Si aucun élément semblable n'était mentionné, on présumait que la recrue était compétente dans tous les domaines. S'il constatait quelque chose de [TRADUCTION] remarquablement mauvais, le formateur devait proposer dans son rapport des mesures correctives. En outre, le gend. Haney a ajouté que son rôle en tant que formateur était de fournir au plaignant une appréciation exacte, franche et honnête de son niveau de rendement. Selon le gend. Haney, il aurait été malhonnête de mettre en relief les réalisations du plaignant et de minimiser ses lacunes. Cela aurait nui à la formation du plaignant.

[65] Dans la section du rapport final d'évaluation réservée aux observations du stagiaire, le plaignant n'a pas formulé d'objection véritable, s'étant résigné à la situation. Il a précisé qu'il avait travaillé très fort au cours des deux mois précédents et qu'il comprenait qu'il devait continuer de tenter d'améliorer certains aspects. Il disait accepter la prolongation de sa FPR et déclarait qu'il prouverait qu'il était compétent dans tous les domaines.

E. Première prolongation de la formation pratique - Premier mois

[66] Le cap. Cousins, qui dirigeait le programme de formation, a fait sienne la recommandation du gend. Haney visant à prolonger de trois mois la période de formation du plaignant. Comme on souhaitait recommencer à neuf, il a été décidé de muter le plaignant à un autre district de la ville. Il allait travailler avec de nouveaux collègues et superviseurs, ainsi qu'avec un nouveau formateur. Il exercerait encore ses fonctions à partir de l'immeuble principal du détachement. Pour sa part, le plaignant a demandé au superviseur de son équipe, le serg. Watts, si on pouvait cette fois le jumeler à un formateur bilingue. Le gend. Haney ne parlait pas français, et le plaignant estimait qu'il aurait dans certains cas été mieux compris par son formateur s'il avait pu s'exprimer dans sa langue maternelle.

[67] Le serg. Watts a désigné le gend. Dave Carr, qu'il considérait comme très compétent et fort respecté par ses collègues, à titre de formateur durant la période de prolongation. Le gend. Carr occupait un poste exigeant l'utilisation des deux langues officielles (c.-à-d. un poste bilingue). Cependant, au dire du plaignant, le gend. Carr avait peine à dire une phrase en français. Lors de son témoignage, il a indiqué qu'il n'avait à aucun moment été en mesure de communiquer en français avec son nouveau formateur, particulièrement dans les situations où il fallait prendre des décisions. Pour sa part, le gend. Carr a témoigné qu'il avait délibérément décidé de parler au plaignant presque exclusivement en anglais, étant donné que ce dernier devait améliorer sa connaissance de l'anglais.

[68] La formation pratique du plaignant a été prolongée à compter du 13 juin 1997. Il a rencontré le gend. Carr et le cap. Lyle Avery, son nouveau superviseur. Ils ont discuté des aspects problématiques et ont dressé une liste de mesures correctives. Parmi ces mesures figurait l'engagement du plaignant à étudier les aptitudes de rédaction et le style des autres membres, à accompagner durant ses temps libres d'autres policiers au cours de leurs patrouilles en voiture et à adopter les techniques d'organisation personnelle du gend. Carr. Il a été convenu que les liens de communication entre les trois policiers seraient maintenus en tout temps. Le cap. Avery a souligné que le gend. Carr et lui voulaient que le plaignant réussisse.

[69] La réaction du plaignant à ce plan d'action a été mitigée. Il était pour sa part mécontent parce que la GRC n'avait pas jugé opportun de le faire passer et de juger qu'il avait réussi sa formation pratique, mais il a continué de manifester une attitude positive et ouverte à l'égard de ces directives. Somme toute, son plus ardent désir était de réussir.

[70] Dans son témoignage, le plaignant a affirmé que le style du gend. Carr comme formateur contrastait grandement sous plusieurs rapports avec celui du gend. Haney. Le gend. Carr lui permettait de se servir des ordinateurs disponibles pour rédiger ses documents, ce qui lui permettait de produire beaucoup plus rapidement ses rapports. En outre, le ton du gend. Carr était très professionnel; il ne criait pas après le plaignant. Le gend. Carr ne l'interpellait pas en utilisant les épithètes soi-disant racistes qu'employait son ancien formateur (OBO et cul de Kirby Puckett). Le gend. Carr a témoigné qu'il avait auparavant entendu parler de la méprise du plaignant relativement à l'utilisation du terme OBO, mais que ce n'est que le jour où il a vu le plaignant échanger des messages avec le gend. Albert à l'aide de l'ordinateur installé dans la voiture de patrouille qu'il a entendu le surnom cul de Kirby Puckett. Le gend. Albert s'était adressé ainsi au plaignant qui lui avait répondu en utilisant lui aussi un surnom. Le plaignant avait alors expliqué au gend. Carr que cul de Kirby Puckett était un surnom dont on l'avait affublé une fois. Il n'avait pas exprimé de mécontentement quant à l'emploi du terme.

[71] Néanmoins, le gend. Carr avait recours à certaines des techniques de formation du gend. Haney. Ainsi, il notait dans un journal les événements de la journée. Le plaignant prétend que la moindre erreur de sa part faisait l'objet d'une note dans le journal. Le gend. Carr prenait note également du temps qu'il fallait au plaignant pour rédiger ses rapports. Chaque fois qu'il commettait une erreur, le gend. Carr ne se gênait pas pour demander comment quelqu'un qui avait plus de six mois d'expérience pratique pouvait faire une telle erreur. Les tentatives du plaignant pour imputer ces lacunes à la soi-disant piètre formation que le gend. Haney lui avait dispensée ont été rejetées par le gend. Carr. Cette réaction a eu l'effet d'une douche froide sur le plaignant, qui devint réticent à poser des questions pour savoir comment exécuter certaines tâches, ce qui a contribué à aggraver le problème.

[72] Une conversation qu'il a eue avec le gend. Carr et le cap. Avery plusieurs semaines après le début de la période de prolongation n'a fait qu'accentuer sa frustration. Les deux membres de rang supérieur ont tenté de le convaincre de songer à démissionner et à se réorienter. Leurs commentaires l'ont profondément perturbé. Il estimait que l'opinion qu'ils avaient de lui n'était pas fondée et était injuste. Il ne pouvait comprendre pourquoi on avait prolongé sa FPR si on était aussi certain qu'il ne réussirait pas. Comment pouvait-on prétendre qu'il recommençait à neuf, alors qu'ils nourrissaient déjà des préjugés à son endroit? Il était anéanti.

[73] Le gend. Carr conteste ces allégations. Le cap. Avery et lui désiraient parler au plaignant des progrès qu'il avait accomplis jusqu'alors. Il était évident qu'il continuait d'éprouver des difficultés dans sa formation et ils avaient jugé opportun de proposer qu'il songe à faire carrière ailleurs que dans la police. Selon le gend. Carr, il était dans l'intérêt du stagiaire qu'on se montre franc et honnête avec lui.

[74] Le premier rapport d'évaluation préparé au cours de la période de prolongation (après un mois), qui était daté du 3 août 1997, faisait état des présumées lacunes du plaignant. Le gend. Carr concluait qu'il y avait encore place à amélioration dans six des sept domaines où le plaignant présentait des lacunes selon le rapport final du gend. Haney. On le considérait désormais comme compétent dans le septième domaine (gestion des incidents et des risques).

[75] Le gend. Carr a déposé que le plaignant avait, en fait, démontré sa compétence dans plusieurs des domaines où des lacunes avaient été relevées, et notamment en ce qui touche sa connaissance du droit, des politiques et des procédures et la gestion des dossiers. Toutefois, ces progrès avaient été constatés dans les jours ou semaines ayant précédé le dépôt du rapport, et le gend. Carr estimait qu'il ne conviendrait de reclasser le plaignant tant qu'on n'aurait pas observé une certaine constance pendant une plus longue période.

[76] Le formateur estimait que le plaignant présentait encore des lacunes évidentes dans plusieurs des autres domaines. L'aptitude du plaignant à communiquer demeurait problématique. Comme il avait encore de la difficulté à écrire en anglais, il était particulièrement pénible pour lui de rédiger des documents. Toutefois, le gend. Carr a constaté que le plaignant avait des difficultés non seulement pour ce qui est du contenu des rapports - il n'était pas sûr des renseignements qu'il devait inclure -, mais aussi sur le plan de la forme. À cause de ces problèmes, il mettait un temps démesuré à rédiger ses rapports; souvent, il devait s'y reprendre à deux ou trois fois. Le gend. Carr a fait remarquer que le plaignant avait tendance à négliger l'aspect paperasse, tellement rédiger était pour lui une tâche pénible.

[77] Le plaignant conteste le bien-fondé de cette opinion. À cet égard, il s'en remet aux constatations de la gend. Dana Lillies, qui avait remplacé le gend. Carr à titre de formatrice pendant dix quarts de travail en juillet 1997. Elle a écrit dans le journal qu'hormis le fait qu'il fallait remanier une phrase de temps à autre, les travaux de rédaction du plaignant étaient satisfaisants. Elle n'a relevé aucun problème quant au contenu des rapports. De façon générale, elle n'a observé aucune lacune importante relativement à son rendement, bien qu'elle ait admis que tous les appels auxquels ils avaient répondu étaient de nature relativement courante. Dans un cas particulier, le plaignant avait réagi rapidement et pourchassé à pied un suspect qui avait réussi à s'échapper de la voiture de patrouille.

[78] En outre, le gend. Carr a signalé que le plaignant manquait de bon sens et prenait des décisions qui défiaient la logique. Par exemple, un jour où il se trouvait sur les lieux d'un décès (cas de mort subite), il a décidé d'enregistrer la déposition d'un témoin, dans une atmosphère tumultueuse, alors que le cadavre était encore sur place et que les gens étaient sous le choc. On a fait remarquer au plaignant par la suite qu'une déposition écrite aurait été de beaucoup préférable dans les circonstances. Quelques semaines plus tard, le plaignant s'est rendu sur les lieux d'un vol de sac à main. Il a décidé encore une fois d'enregistrer la déposition de la victime, qui était très bouleversée, sous un quai d'une gare de banlieue du Skytrain où il régnait un bruit infernal et où circulaient beaucoup de passants. Il aurait été plus opportun de prendre une brève déposition écrite. Au dire du plaignant, ces critiques sont injustes. Comme il avait constamment été chronométré dans l'exécution de ses tâches, il avait pris l'habitude, a-t-il fait remarquer, d'enregistrer les dépositions plutôt que de les prendre sous la dictée parce que c'était plus rapide.

[79] De plus, le gend. Carr a constaté que le plaignant avait de la difficulté à déterminer s'il y avait lieu ou non de déposer des accusations contre quelqu'un. Dans un cas particulier, il avait décidé, avant d'avoir vérifié ses antécédents, de ne pas inculper un jeune contrevenant. Il s'est avéré qu'un avertissement avait déjà été donné au jeune en question, élément dont il faut tenir compte lorsqu'on décide s'il y a lieu de déposer des accusations. Dans un autre cas, le plaignant a procédé sur-le-champ au dépôt d'accusations alors qu'il s'agissait de voies de fait simples et qu'il était, de toute évidence, préférable selon l'intérêt public que les parties règlent l'affaire à l'amiable. Le gend. Carr a déclaré que le plaignant et lui avaient élaboré une stratégie visant à lui apprendre à réagir aux situations avec bon sens et logique et que cette stratégie serait mise en uvre au cours des deux autres mois de la période de prolongation. En dépit de ces préoccupations, le formateur a admis dans le rapport que, malgré tout, le plaignant avait pris [TRADUCTION] certaines bonnes décisions dans les derniers temps.

[80] En ce qui concerne les techniques d'enquête sur les lieux d'un crime et de collecte d'éléments de preuve, le gend. Carr a fait remarquer que le plaignant était venu à bout des problèmes liés à l'usage de son carnet. Cependant, le gend. Carr disait s'inquiéter de ce que le plaignant paraisse souvent heureux de laisser des collègues prendre la relève sur les lieux d'un crime plutôt que de prendre lui-même les choses en main.

[81] Dans ses conclusions générales, le gend. Carr disait souscrire au constat du gend. Haney, à savoir que le plaignant rejetait souvent le blâme sur autrui. Il affirmait souvent que s'il continuait d'éprouver des difficultés, c'était à cause du gend. Haney. Dans son rapport, le gend. Carr a précisé que chaque fois que la capacité du plaignant de prendre des décisions logiques, fondées sur le bon sens, était remise en question, ce dernier paraissait incapable de comprendre le principe et rejetait constamment le blâme sur quelqu'un d'autre, prétextant que l'individu en question lui avait dit de faire les choses de cette façon.

[82] Après avoir pris connaissance du document, le plaignant a consigné ses propres observations sur la formule, comme il l'avait fait dans les rapports antérieurs d'évaluation de rendement. Il a écrit qu'il avait fait des efforts énormes depuis le début de la période de prolongation de sa FPR et qu'il continuerait de faire de son mieux jusqu'à la fin.

F. Première prolongation de la formation pratique - Deuxième mois

[83] Dans le rapport d'évaluation suivant, qui porte la date du 31 août 1997, le gend. Carr admet que le plaignant a vraiment [TRADUCTION] redoublé d'effort au cours du deuxième mois de sa prolongation. Il indique que le plaignant a accompagné d'autres policiers dans des voitures de patrouille pendant ses temps libres, notamment le gend. Luc Montmarquette, qui a consigné ses observations sur une fiche de rendement 1004. De l'avis du gend. Montmarquette, le plaignant a répondu à ses appels de façon professionnelle, sans problème, et a fait montre d'un bon jugement dans ses rapports avec les victimes. Cependant, le gend. Montmarquette a affirmé dans son témoignage qu'ils n'avaient répondu qu'à des appels peu importants durant leurs quarts de travail ensemble. Par conséquent, il n'a pas été en mesure de déterminer si le plaignant possédait toutes les qualités requises pour être policier.

[84] Le plaignant a également demandé d'accompagner un autre policier, le gend. Randy Marx, pendant un quart de huit heures. Dans la fiche de rendement 1004 qu'il a remplie par la suite, le gend. Marx signale que le plaignant avait dirigé l'enquête dans une affaire d'agression et qu'il s'était comporté de façon très professionnelle. Le gend. Marx a constaté l'existence d'une légère barrière linguistique dans ses conversations et la rédaction de ses rapports; toutefois, il a dit avoir bon espoir que les difficultés que le plaignant éprouvait sur ce plan allaient s'estomper au fil du temps. Il estimait que, de façon générale, le plaignant s'était acquitté de ses fonctions conformément aux attentes. Le gend. Marx a ajouté qu'il n'aurait aucune hésitation à travailler avec lui à l'avenir.

[85] Il est intéressant de noter, cependant, que le gend. Marx a rédigé cinq jours plus tard une autre fiche de rendement 1004 dans laquelle il semblait mettre un bémol sur certains commentaires favorables formulés dans sa note antérieure. Il a souligné le fait que son évaluation était fondée sur un seul quart de travail et qu'il n'était pas en mesure, par conséquent, d'évaluer en profondeur le rendement du plaignant. Dans la fiche de rendement, le gend. Marx a indiqué que le plaignant avait peut-être le sentiment d'avoir été mal évalué par ses formateurs, mais il a ajouté que s'il avait travaillé avec le stagiaire pendant un mois ou deux, il en serait peut-être venu à la même conclusion qu'eux. Le gend. Marx a déclaré lors de son témoignage qu'après avoir rédigé sa première fiche de rendement 1004, il avait été mis au courant des difficultés auxquelles le plaignant avait fait face durant sa FPR. Il s'est rendu compte par la suite que son premier rapport pourrait être mal interprété et jugeait important de mettre les points sur les i. Le cap. Avery se souvient vaguement de s'être entretenu avec le gend. Marx de la première fiche de rendement et avoir dit à ce dernier qu'il conviendrait de s'en tenir à des observations réelles et de s'abstenir de tirer des conclusions très générales sans avoir eu l'occasion de travailler de façon suivie avec le stagiaire.

[86] Le rapport d'évaluation faisait état de quelques améliorations depuis l'évaluation antérieure. Le plaignant était désormais considéré comme compétent en ce qui touche la gestion des dossiers et la connaissance et l'application du droit, des politiques et des procédures. Cependant, il avait encore des progrès à faire relativement à trois des critères.

[87] Le gend. Carr était encore d'avis que l'aptitude du plaignant à communiquer laissait à désirer. En raison de ses difficultés à rédiger en anglais, la rédaction des rapports demeurait une tâche pénible. Le plaignant devait habituellement rédiger deux versions pour en arriver à un résultat acceptable. La version initiale devait souvent faire l'objet d'une correction d'épreuves par quelqu'un d'autre. Afin d'aider la plaignant à améliorer ses compétences rédactionnelles, le gend. Carr avait commencé à lui fournir des scénarios hypothétiques enregistrés sur des supports audio. Le plaignant devait écouter les bandes et se pratiquer à rédiger des rapports destinés au procureur de la Couronne. Le formateur faisait ensuite une relecture d'épreuves et apportait les corrections voulues. En outre, le plaignant s'est inscrit à un cours sur l'art de rédiger offert par la GRC. À cet égard, le gend. Carr a dit être plutôt déçu de constater que le plaignant n'avait pas cherché depuis son arrivée à Burnaby à suivre un cours d'anglais structuré.

[88] Le plaignant s'inscrit en faux contre cette dernière remarque et l'insinuation qu'il n'avait rien fait pour améliorer son anglais écrit. En janvier 1997, il a communiqué avec la Direction générale de la Division E (Colombie-Britannique) à Vancouver pour s'enquérir des cours d'anglais offerts dans la région. Il s'est inscrit au cours qu'on lui avait recommandé au Collège Capicollo; toutefois, après avoir reçu le manuel du cours, il a constaté que le volet grammaire était insuffisant. Il a donc demandé qu'on l'autorise à suivre par correspondance un cours mieux adapté qu'offrait l'Université du Québec à Montréal. Sa demande a été rejetée parce qu'on a estimé qu'il valait mieux qu'il suive sa formation en Colombie-Britannique. Entre-temps, il s'est inscrit de sa propre initiative au cours de la GRC sur l'art de rédiger. Aucun de ses superviseurs ne lui avait jamais parlé de ce cours. C'est un autre policier, le gend. Albert, qui avait lui-même suivi le cours, qui a appris au plaignant l'existence de celui-ci.

[89] Par ailleurs, le plaignant a été très bouleversé par un commentaire que lui a fait à ce sujet son superviseur, le cap. Lyle Avery. Prié d'expliquer pourquoi il mettait autant de temps à rédiger ses rapports, le plaignant a répondu qu'il traduisait du français vers l'anglais et qu'il corrigeait ensuite les fautes d'orthographe. Le cap. Avery a répliqué que son fils étudiait le français à l'école et qu'il ne lui fallait pas autant de temps pour faire ses devoirs. Le cap. Avery a ajouté que l'explication ne résidait pas dans la barrière linguistique, mais plutôt dans l'inaptitude du plaignant à rédiger des rapports. Le plaignant croyait qu'il avait été mal jugé. Il se sentait humilié d'être comparé à un écolier.

[90] En ce qui concerne les techniques d'enquête sur les lieux d'un crime et de collecte d'éléments de preuve, le gend. Carr a soutenu que le plaignant n'avait pas encore atteint le niveau de compétence requis. Il a admis qu'il avait fait des progrès dans certains domaines, notamment en ce qui touche la prise de dépositions et son temps de réponse aux appels. Cependant, le gend. Carr a également cité des cas où le plaignant ne semblait pas connaître la procédure à suivre, malgré le fait qu'il avait été confronté à des situations similaires à de nombreuses reprises auparavant.

[91] Abstraction faite des lacunes ayant trait à la rédaction des rapports, il semble que la prise de décisions était l'élément qui laissait le plus à désirer. Le gend. Carr a fait observer que, lorsqu'il prenait des décisions, le plaignant avait tendance à penser de façon linéaire et avait de la difficulté à voir la situation dans son ensemble, y compris des éléments intangibles comme l'intérêt public. Le gend. Carr a fourni au plaignant d'autres scénarios sur bande afin qu'il puisse s'exercer à prendre des décisions. Après avoir pris connaissance des faits dans chaque affaire, le plaignant devait déterminer s'il y avait lieu de déposer des accusations. Le gend. Carr a constaté qu'après avoir fait ces exercices, le plaignant commençait à saisir la notion d'intérêt public.

[92] De façon générale, le gend. Carr a constaté que le plaignant avait fait des progrès le mois précédent et qu'il avait travaillé fort pour combler ses lacunes. Le cap. Avery, à titre de superviseur du gend. Carr et du plaignant, a ajouté ses propres commentaires dans le rapport. Il a souligné qu'il était tout à l'honneur du plaignant d'avoir réussi à atteindre le niveau de compétence voulu dans certains domaines où l'on avait auparavant décelé des lacunes. Le cap. Avery a reconnu que le plaignant poursuivait ses efforts en vue d'acquérir la compétence voulue dans les trois autres domaines et lui a donné l'assurance suivante : [TRADUCTION] Nous continuerons de vous fournir toute l'aide possible.

G. Première prolongation de la formation pratique - Troisième mois

[93] Le 30 septembre 1997, au moment où il a établi son troisième et dernier rapport d'évaluation, le gend. Carr en était venu à la conclusion que le plaignant avait atteint le niveau de compétence requis dans les domaines des communications et des techniques d'enquête sur les lieux d'un crime et de collecte d'éléments de preuve. Cependant, il y avait encore des progrès à faire en ce qui concerne la prise des décisions.

[94] Le gend. Carr a indiqué que cet aspect était un sujet de préoccupation depuis qu'il avait commencé à former le plaignant. Au début, le problème avait trait à son incapacité de décider s'il y avait lieu de déposer des accusations. L'expérience aidant, y compris le recours aux scénarios, le plaignant avait fait des progrès et on n'avait pas constaté d'autres problèmes à cet égard. Cependant, le gend. Carr estimait que le plaignant continuait d'avoir de la difficulté à prendre les décisions de base dans le métier de policier. Il ne regardait pas la situation dans son ensemble. Il semblait s'énerver et prendre ses décisions à la hâte sans tenir compte de leurs conséquences. Le gend. Carr et le gend. Albert, qui avait agi comme le formateur du plaignant pendant un certain nombre de quarts de travail en l'absence du gend. Carr, avaient tous deux constaté ce problème et lui avaient conseillé de ralentir la cadence et de bien mûrir ses décisions avant de les prendre.

[95] Dans son rapport, le gend. Carr citait des exemples d'erreurs commises par le plaignant dans la prise de décision. Alors qu'il était en compagnie du gend. Albert, le plaignant a arrêté une jeune voleuse à l'étalage de 15 ans. Il a décidé de la ramener au foyer de groupe où elle résidait. Son intention était de la déposer devant le foyer et de s'en aller. En ne la raccompagnant pas jusqu'à la porte pour la confier aux soins du personnel du foyer, il avait couru le risque qu'elle prenne la poudre d'escampette aussitôt après son départ.

[96] Un autre incident s'était produit à l'occasion de ce qui semblait être une tentative de suicide. La femme était atteinte au thorax par balles. Plusieurs policiers étaient sur place. Le gend. Peter Maw supervisait l'opération. Alors que le gend. Carr et un autre policier dispensaient les premiers soins à la femme blessée, le plaignant a reçu l'ordre de surveiller un homme qui se trouvait sur les lieux - un éventuel suspect. Quelques minutes plus tard, deux enquêteurs de la SEG sont arrivés. Au début, il leur a été impossible de trouver le suspect pour l'interroger. Ce dernier a finalement été retrouvé seul sur un balcon, loin des lieux du crime, en train de griller une cigarette. Le plaignant était apparemment sorti pour aller chercher un magnétophone dans la voiture de police et avait laissé le suspect sans surveillance.

[97] L'un des enquêteurs, le gend. Theodore Van Overbeek, s'est par la suite plaint au cap. Avery du comportement du plaignant. Le plaignant a nié avoir mal agi, soutenant que le gend. Maw, un membre de rang supérieur, lui avait donné l'ordre d'aller chercher le magnétophone. Il avait cru comprendre que le gend. Maw surveillerait le suspect dans l'intervalle. Le gend. Maw a contesté cette affirmation lors de son témoignage. Fait intéressant, le gend. Van Overbeek a établi par la suite une fiche de rendement 1004 pour féliciter le plaignant de la manière dont il avait recueilli les éléments de preuve lors de l'incident. Le gend. Van Overbeek a précisé lors de son témoignage qu'il avait préparé la note en question à la demande du gend. Carr, qui lui avait expliqué que le plaignant avait besoin d'un certain renforcement positif.

[98] Dans le rapport d'évaluation, le gend. Carr fait état d'un autre cas illustrant les lacunes du plaignant en ce qui concerne la prise de décisions. Le plaignant et lui avaient été dépêchés sur les lieux d'une violente altercation entre deux surs adolescentes. Les parents étaient absents. Après avoir évalué la situation, le plaignant a décidé d'arrêter les deux surs afin de les garder éloignées l'une de l'autre. Le gend. Carr lui a reproché de ne pas avoir réfléchi à ce qu'il ferait des deux jeunes contrevenantes qu'il avait arrêtées sans avoir l'intention de déposer des accusations. Il n'était pas dans l'intérêt public de les incarcérer. La mère des deux surs est revenue à la maison un peu plus tard. Le plaignant a alors décidé de lui confier l'affaire. Il a admis que sa décision initiale n'était pas la meilleure tout en soulignant qu'il n'avait jamais fait face à pareille situation dans le passé. Lorsqu'il a demandé conseil au gend. Carr, celui-ci a insisté pour qu'il prenne une décision sur-le-champ.

[99] Le gend. Carr a souligné que chaque fois qu'il parlait au plaignant de ses difficultés à prendre des décisions, celui-ci ne semblait pas croire qu'il y avait là un problème. Selon le gend. Carr, le plaignant répondait que toutes les difficultés qu'il éprouvait étaient attribuables aux pressions qu'il subissait et aux problèmes qui avaient existé entre lui et son premier formateur, le gend. Haney. Le gend. Carr a rejeté cette prétention, faisant valoir qu'il n'avait constaté rien qui lui permettait d'ajouter foi à une telle affirmation depuis les trois mois et demi qu'il travaillait avec le plaignant. Le gend. Carr a précisé que les différends qui existent entre deux personnes ne peuvent affecter la capacité de prendre de bonnes décisions. Il a terminé son rapport en faisant remarquer que le plaignant était aimé par ses collègues, qu'il travaillait bien en équipe et qu'il était un policier enthousiaste.

[100] Le cap. Avery a ajouté ses propres commentaires à ceux du gend. Carr. Il a dit souscrire aux constatations de ce dernier. Il a précisé que le problème du plaignant résidait dans son incapacité de fonctionner sous pression [TRADUCTION] dans un délai raisonnable en tant que membre d'une équipe qui était constamment appelée à exécuter des interventions en respectant des normes de qualité élevée, tout en étant en mesure de passer à l'appel suivant sans faire l'objet d'une surveillance constante. Le cap. Avery a ajouté qu'à son avis, le plaignant avait eu la chance d'être sous la tutelle de deux excellents formateurs.

[101] Après avoir reçu le rapport final d'évaluation de rendement, le plaignant est rentré chez lui à Montréal où il a passé quelques semaines. Il était anéanti et découragé, étant presque certain d'être congédié pour ne pas avoir réussi à satisfaire à un des 28 critères de sa FPR. Au cours des mois précédents, le plaignant avait parlé de ses difficultés avec le cap. Les Allen. Le cap. Allen était affecté au Programme de représentants divisionnaires des relations fonctionnelles (PRDRF) à titre de sous-représentant responsable du détachement de Burnaby. Comme les membres de la GRC n'étaient pas syndiqués, on avait mis sur pied le PRDRF afin de représenter leurs intérêts collectifs et individuels au sein de la GRC. Lorsqu'il devint évident vers la fin de la période de prolongation que le plaignant ne satisferait pas à tous les critères de sa FPR, le cap. Allen a commencé à laisser savoir à la haute direction qu'il demanderait une deuxième prolongation de la FPR du plaignant.

[102] La décision d'accorder ou non une deuxième prolongation appartenait au cap. Cousins, à l'insp. Dennis Schlecker, l'officier responsable des opérations au détachement de Burnaby, et au sergent d'état-major (serg. é.-m.) Colin Abel, le sous-officier responsable du programme de formation pratique à la Division E, dont le rôle consistait à superviser la formation dispensée par tous les détachements de la Division. Alors que le plaignant était à Montréal, plusieurs réunions ont été organisées afin de discuter de son avenir dans la GRC. Le serg. Watts et le gend. Carr ont exprimé l'opinion que le plaignant ne serait pas en mesure de remédier à ses lacunes relativement à une des aptitudes fondamentales d'un policier, soit la capacité de prendre de bonnes décisions. Ils ont recommandé de ne pas prolonger la formation du plaignant.

[103] Le cap. Cousins hésitait lui aussi à accorder une nouvelle prolongation, mais il continuait de croire que le plaignant avait le potentiel nécessaire pour devenir un membre compétent. Lors de son témoignage, il a affirmé avoir été conforté dans son opinion par les observations du cap. Allen. Le cap. Cousins a recommandé de prolonger la FPR de deux mois, à la condition que le plaignant reconnaisse qu'il avait des lacunes dans le domaine de la prise de décisions et qu'il fasse des efforts concertés pour améliorer ses compétences à cet égard. Le cap. Cousins était d'avis que le stagiaire n'avait pas réussi à atteindre le niveau de compétence requis en partie parce qu'il avait tendance à rejeter sur d'autres la responsabilité de ses lacunes et à adopter une attitude indignée lorsque ses formateurs tentaient de remédier à celles-ci.

[104] L'insp. Schlecker a fait siennes les recommandations du cap. Cousins. La FPR du plaignant a été prolongée pour une durée que l'insp. Schlecker a curieusement décrite comme étant [TRADUCTION] d'au plus et d'au moins deux (2) mois dans la note de service qu'il a adressée à l'officier responsable du détachement. Au cours de la prolongation, les évaluations porteraient sur la prise des décisions. Un nouveau formateur serait désigné, étant entendu que cette personne donnerait des exemples illustrant les efforts faits pour aider le plaignant et les résultats de l'aide apportée. Si le plaignant n'atteignait pas un niveau de rendement acceptable en matière de prise de décisions, on recommanderait d'office son congédiement.

[105] Lors de leur témoignage, l'insp. Schlecker et le cap. Cousins ont indiqué que c'était la première fois de leur carrière, au cours de laquelle ils s'étaient occupés de la formation de centaines de recrues, qu'ils voyaient une deuxième prolongation d'une FPR. Le serg. é.-m. Abel a témoigné que le programme de formation pratique ne prévoit pas expressément la possibilité d'une deuxième prolongation.

H. Deuxième prolongation de la formation pratique - Première et deuxième semaines

[106] Durant son séjour à Montréal, le plaignant a rédigé ses observations à l'égard du rapport final d'évaluation du 30 septembre 1997. Une fois dactylographié, le texte comptait 14 pages. Il a profité de l'occasion pour exprimer son opinion à propos de tous les rapports d'évaluation antérieurs. Il a donné son point de vue sur certains incidents pour lesquels on lui avait adressé des reproches. Il a souligné qu'on avait souvent omis dans ces rapports de mentionner les aspects positifs de son rendement. Au sujet de la période de prolongation, il a indiqué que le gend. Carr était un excellent formateur. Il a ajouté que le gend. Carr avait sacrifié beaucoup d'heures de loisirs pour l'aider à réussir, qu'il avait été patient avec lui et qu'il l'avait traité de façon équitable jusqu'à la fin. Le plaignant n'a pas fourni d'évaluation, positive ou négative, au sujet du gend. Haney. Dans ses observations, le plaignant n'a jamais allégué ni insinué que le gend. Haney ou le gend. Carr l'avait traité de façon discriminatoire. Le plaignant a conclu en disant que [TRADUCTION] nous apprenons tous de nos erreurs. Il demandait qu'on prolonge à nouveau sa formation si ses supérieurs étaient d'avis que son aptitude à prendre des décisions laissait encore à désirer.

[107] À son retour au détachement à la mi-octobre 1997, le plaignant a remis ses observations. Il n'avait pas été informé des échanges que ses supérieurs avaient eus au sujet de sa FPR. Il avait tenu pour acquis qu'il serait congédié. Ce n'est qu'au moment de son arrivée au détachement, le 16 octobre 1997, lorsqu'il a regardé dans son panier et qu'il a trouvé une copie de la note de service de l'insp. Schlecker énonçant les conditions de sa nouvelle prolongation, qu'il a appris que sa formation avait été prolongée.

[108] Le plaignant a été informé qu'il travaillerait avec une toute nouvelle équipe de policiers dans un district différent - l'un des plus occupés de Burnaby. Le serg. Murray Ross, qui était le chef de veille de l'équipe, a été prié de désigner un formateur. De concert avec le sous-officier qui serait en charge de la patrouille, le cap. Larry Johnson, le serg. Ross a choisi comme nouveau formateur le gend. Dwayne McDonald. Lors de son témoignage, le serg. Ross a décrit le gend. McDonald comme un excellent policier qui avait beaucoup de maturité, même s'il avait relativement peu d'expérience à l'époque. Le gend. McDonald avait formé d'autres policiers de la GRC; de plus, au cours de sa carrière, alors qu'il était inspecteur des douanes, il avait déjà contribué à la formation de nouveaux douaniers.

[109] Le 21 octobre 1997, le gend. McDonald et le cap. Johnson ont rencontré le plaignant pour discuter du type de formation qu'il recevrait. Les superviseurs ont convenu, et le plaignant s'est dit d'accord avec cela, qu'il ferait équipe avec le formatteur pendant toute la durée de la prolongation. Il serait responsable de traiter, d'étudier et de piloter tous les dossiers, et le gend. McDonald pourrait lui venir en aide, mais seulement s'il le lui demandait. Le gend. McDonald évaluerait le stagiaire strictement en fonction de son aptitude à prendre des décisions et rédigerait un compte rendu hebdomadaire d'activités. Le plaignant avait exprimé la crainte que ses expériences avec ses formateurs précédents allaient jouer contre lui; toutefois, le gend. McDonald lui a donné l'assurance qu'il s'agirait d'un nouveau départ. Le gend. McDonald avait pris connaissance du dossier du plaignant, y compris les rapports d'évaluation antérieurs, mais il ne savait rien du plaignant et ne connaissait que très peu l'un de ses formateurs précédents, le gend. Carr. Dans une note de suivi, le gend. McDonald a déclaré qu'il avait bon espoir que cette stratégie serait à l'avantage du plaignant, étant donné qu'il n'existerait aucun [TRADUCTION] préjugé favorable ou défavorable contre lui.

[110] Le gend. McDonald a témoigné que, lors de cette rencontre, le plaignant était en pleine forme et semblait avoir hâte de commencer la formation. Après la réunion, ils ont patrouillé ensemble et se sont bien entendus. Ils ont beaucoup ri. Le plaignant a raconté que le gend. Haney s'était montré très dur envers lui mais qu'en revanche, le gend. Carr avait été un bon formateur. Au cours des deux premières semaines, le plaignant a affiché une attitude positive et était très motivé. Le gend. McDonald a qualifié de routiniers les appels dont ils s'étaient occupés au cours de cette série de quarts de travail, tout en faisant remarquer que le plaignant s'était bien tiré d'affaire. Il semblait bien réagir au stress professionnel, en dépit de la pression évidente qu'il subissait.

[111] Le plaignant a confirmé dans son témoignage qu'il était content de ses deux premières semaines de formation sous la tutelle du gend. McDonald. Son aptitude à rédiger des rapports ne faisait plus l'objet de critiques et ses activités n'étaient pas chronométrées. Néanmoins, la situation le stressait, d'autant plus que son formateur avait tendance à prendre des notes lorsqu'il faisait la moindre erreur, et ce, même dans des domaines où il avait déjà été jugé compétent. Cela dit, il a perçu comme généralement positives les deux premières évaluations hebdomadaires du gend. McDonald, et était optimiste. Pour sa part, le gend. McDonald faisait montre à ce moment-là d'un optimisme modéré, même s'il était d'avis qu'il était trop tôt pour tirer des conclusions finales. La semaine suivante allait être une toute autre histoire.

I. Deuxième prolongation de la formation pratique - Troisième semaine

[112] Le 6 novembre 1997, le plaignant et le gend. McDonald ont été dépêchés à un immeuble d'appartements où un homme avait, semble-t-il, proféré des menaces de mort. Le gend. St-Fleur, qui était lui aussi une recrue à l'époque, et son formateur, le gend. Marx, étaient également en patrouille dans le secteur. Ce sont eux qui sont arrivés les premiers sur les lieux. Ils s'étaient déjà entretenus avec la victime au moment où les autres les ont rejoints. Indiquant que cet incident serait pour les deux formateurs une bonne occasion d'évaluer les deux stagiaires, le gend. Marx a proposé de laisser à ces derniers le soin de s'occuper des enquêtes et, s'il y a lieu, des arrestations. À ce moment-là, leur superviseur, le cap. Johnson, était lui aussi arrivé sur les lieux. Il était intéressé de voir comment le plaignant réagirait.

[113] Avant de donner le feu vert aux recrues, le gend. McDonald a indiqué au plaignant que c'est lui qui serait responsable du cas, étant donné que l'appel leur avait été attribué initialement. Le plaignant en a déduit qu'il avait le pouvoir de donner des ordres aux autres policiers sur les lieux. Il a informé ceux-ci de son plan. Compte tenu des renseignements déjà recueillis, il semblait y avoir matière à arrestation. Le plaignant a donné l'ordre au gend. St-Fleur de prendre la déposition de la victime. Dans l'intervalle, le plaignant procéderait à l'arrestation du suspect avec l'aide du gend. McDonald ou du gend. Marx.

[114] Au dire du plaignant, son plan a été rejeté sans explication par les policiers de rang supérieur présents. On lui a dit qu'il ne pouvait confier au gend. St-Fleur la tâche de prendre la déposition ou de procéder à l'arrestation du suspect. Le plaignant était en proie à la confusion, car il avait compris qu'ils devaient s'occuper du dossier ensemble. Il a donc demandé aux formateurs pourquoi ils rejetaient son approche. La discussion a dégénéré en dispute. Il prétend que le gend. McDonald s'est mis en colère, qu'il l'a saisi par le bras et a pointé un doigt contre sa poitrine. Il aurait crié au plaignant qu'il était seulement une recrue et qu'il devrait faire exactement ce qu'on lui demandait. Le gend. Marx et le gend. St-Fleur ont ensuite quitté, et le plaignant s'est occupé seul du dossier.

[115] Le gend. Marx, le gend. McDonald et le cap. Johnson ont consigné leurs observations initiales au sujet de l'incident sur trois fiches de rendement 1004 distinctes. Leurs souvenirs diffèrent de ceux du plaignant. Ils prétendent qu'il avait été clairement précisé au départ que le plaignant serait responsable du dossier. Le gend. McDonald a expliqué dans son témoignage que les instructions données étaient semblables à celles que le plaignant avait reçues jusqu'alors dans le cadre de sa formation. Elles impliquaient qu'il serait responsable de toute l'enquête, y compris la paperasse et les enquêtes complémentaires. La seule différence dans ce cas-là était que le gend. St-Fleur était chargé de l'aider, au besoin. Le gend. St-Fleur avait, selon le gend. Marx, un rôle d'appui. Les quatre policiers, y compris le gend. St-Fleur, ont tous indiqué dans leur témoignage qu'ils avaient été étonnés de voir le plaignant commencer à donner des ordres, particulièrement à deux policiers plus haut gradés, alors qu'on lui avait expressément demandé de s'occuper lui-même du dossier en précisant que les trois membres de rang supérieur l'observeraient.

[116] De plus, lorsque le plaignant a été pris à part et qu'on lui a expliqué précisément de quelle façon on voulait qu'il mène l'enquête, il a commencé à argumenter et a fait la sourde oreille. Selon le cap. Johnson, il a réagi de façon défensive, entêtée et arrogante. Pis encore, le plaignant a adopté ce ton alors que le groupe était dans le hall d'entrée de l'immeuble. Plusieurs badauds surveillaient la scène. Le gend. Marx a remarqué que le plaignant semblait ne pas être en mesure de comprendre le message que les autres tentaient de lui transmettre et de prendre une décision. Il était incapable de suivre une directive simple dans une situation élémentaire. Le gend. McDonald a décrit la conduite du plaignant comme inacceptable et non professionnelle. Il s'inquiétait particulièrement du fait que les formateurs précédents du plaignant avaient déjà relevé ce genre de comportement et en avaient discuté avec lui. Le gend. St-Fleur n'a pas rédigé de rapport à l'époque, mais il a affirmé lors de son témoignage qu'il n'avait pas la moindre idée des raisons pour lesquelles son collègue recrue était incapable de comprendre les instructions qu'on lui donnait. À ses yeux, les directives étaient claires. Le gend. St-Fleur a témoigné qu'il a même tenté à un moment donné de reformuler et d'expliquer les instructions en français, mais que le plaignant refusait de l'écouter.

[117] L'incident a suscité dans l'esprit du cap. Johnson de sérieux doutes quant à la compétence du plaignant. Le plaignant semblait ne pas du tout savoir ce qu'il devait faire et, lorsqu'on lui a donné des directives, il a décidé de ne pas les suivre. Le cap. Johnson a qualifié de blâmable le comportement du plaignant dans cette affaire tout en indiquant que son manque de jugement et son aptitude à prendre des décisions étaient vraiment matière à inquiétude. Le cap. Johnson avait été tellement dérouté par le comportement du plaignant qu'il avait perdu confiance dans la capacité de ce dernier [TRADUCTION] d'accomplir ses fonctions sans avoir quelqu'un qui regarde par-dessus son épaule. Dans la fiche de rendement qu'il a remplie, le cap. Johnson a conclu que si le plaignant continuait d'avoir un [TRADUCTION] rendement médiocre, il était douteux qu'il puisse demeurer au service de la GRC.

[118] À l'époque, le plaignant a reçu des copies des fiches de rendement négatives. Au cours de son témoignage, il s'est dit outré que ces trois policiers de rang supérieur de la GRC aient décidé de rédiger trois rapports négatifs distincts au sujet de cet incident. Il s'agissait à son avis d'une réaction excessive. En fait, la plupart des nombreux témoins en l'espèce qui connaissaient la GRC à un titre ou un autre ne se souvenaient pas d'avoir jamais vu un membre faire l'objet de trois fiches de rendement 1004 négatives pour un même incident. Le plaignant est d'avis qu'un seul rapport négatif aurait suffi. Il soutient que les trois rapports ont été rédigés afin de [TRADUCTION] l'écraser psychologiquement.

[119] Les trois policiers de rang supérieur ont tous indiqué dans leur témoignage qu'ils avaient chacun décidé indépendamment d'établir une fiche de rendement 1004 négative au sujet de l'incident. Ils ne se sont pas consultés avant ou pendant la rédaction de leur rapport. Le gend. McDonald prétend que, étant donné que trois policiers relativement expérimentés avaient observé la conduite d'un membre de rang inférieur dans un contexte de formation, et compte tenu de la gravité de l'incident, il était usuel que chacun d'eux veuille consigner par écrit ses observations. Il nie avoir élevé la voix ou pointé son doigt contre la poitrine du plaignant.

[120] Le plaignant s'est par la suite excusé de son comportement auprès des trois membres; cependant, il a expliqué dans son témoignage qu'il avait présenté des excuses uniquement parce qu'il désirait maintenir de bonnes relations avec son formateur et son superviseur. Il soutient qu'il n'avait pas tort et que le problème découlait d'erreurs de communication.

[121] Le plaignant a fait l'objet d'une autre fiche de rendement 1004 négative avant la fin de cette semaine-là. Cette fiche avait trait à une série d'événements qui avaient débuté le 5 novembre 1997, soit le jour avant l'incident précité des menaces de mort. Le plaignant avait récupéré une camionnette qui avait été volée dans un parc de stationnement de l'aéroport. Le véhicule renfermait beaucoup de matériel de jardinage, notamment une tondeuse à gazon, des génératrices et du matériel motorisé. On ne savait pas à qui appartenaient les biens. À la demande du gend. McDonald, le plaignant a rédigé un avis de biens récupérés devant être diffusé au moyen de la banque nationale de données de la police - CIPC. Étant donné qu'ils sont diffusés à l'échelle nationale, ces avis doivent être approuvés par un superviseur. Le plaignant a donc soumis l'avis en question à l'approbation du cap. Wesley Waters, qui était le surveillant de voirie affecté au quart suivant. Le plaignant a également demandé au cap. Waters de mettre l'avis sur le tableau d'affichage utilisé lors des breffages, ce qui signifiait qu'on demanderait à tous les policiers se présentant au travail d'être à l'affût de toute information concernant le vol de ces biens. Le cap. Waters a examiné la liste des biens récupérés et constaté que beaucoup d'entre eux étaient fabriqués par Honda. Il savait d'expérience que le fabricant enregistrait les numéros de série pour ce genre de matériel et les noms des propriétaires et qu'il pourrait facilement indiquer au plaignant à qui les biens appartenaient. Il n'était donc pas nécessaire de diffuser un avis ou d'établir un rapport destiné au tableau d'affichage en vue de trouver qui était propriétaire des biens volés.

[122] Le cap. Waters a cherché le numéro de Honda Canada dans l'annuaire téléphonique et l'a donné au plaignant en lui conseillant de téléphoner à la compagnie le lendemain. Cependant, plutôt que de faire cet appel, le plaignant est allé trouver un autre superviseur et lui a demandé d'informer les autres équipes, faisant fi des instructions que le cap. Waters lui avait données antérieurement.

[123] Le 11 novembre 1997, le cap. Waters a croisé le plaignant, qui était venu au détachement alors qu'il était en congé. Il s'est enquis auprès de la recrue du résultat de son appel chez Honda. Le plaignant a répondu qu'il n'avait pas encore pu faire l'appel parce qu'il avait été en cour toute la journée le 6 novembre. En fait, ce n'était pas le cas. Le plaignant a informé le cap. Waters qu'il avait en tout état de cause diffusé à l'échelle nationale, par le biais du CIPC, un avis de biens récupérés. Le cap. Waters s'est fâché. Il a répété au plaignant qu'il avait simplement à téléphoner à Honda. Le cap. Waters s'inquiétait particulièrement à l'idée que la victime du vol - sans doute un jardinier paysagiste - ait été privée de l'usage de son matériel pendant de nombreux jours et ait probablement perdu de l'argent à cause de ce retard. Le lendemain, le cap. Waters a lui-même téléphoné au service à la clientèle de Honda. En l'espace de quelques minutes, il a obtenu le nom et l'adresse du propriétaire.

[124] Le cap. Waters a reproché au plaignant dans une fiche de rendement 1004 de ne pas avoir tenu compte de l'avis d'un enquêteur plus haut gradé et plus chevronné, ce qui avait retardé la remise des biens au propriétaire et entraîné une enquête inutile (c.-à-d. l'avis national du CIPC).

[125] Pour sa part, le plaignant prétend être allé trouver le cap. Waters surtout pour qu'il corrige les fautes d'orthographe dans son rapport sur les pièces à conviction. Par ailleurs, il n'y avait rien de mal, au dire du plaignant, à demander à l'autre surveillant de voirie d'informer les policiers affectés au quart suivant de la récupération des biens en question. Il s'agissait d'une pratique courante. Le lendemain, soit le 6 novembre, il a répondu à l'appel concernant les menaces de mort, au cours duquel il s'est querellé avec ses collègues de rang supérieur présents. Il lui a été impossible de communiquer avec Honda en raison de cette situation. Le lendemain (vendredi 7 novembre), il était affecté au quart de soirée et les bureaux du fabricant étaient fermés lorsqu'il a tenté de téléphoner dans la soirée. Par la suite, alors qu'il n'était pas de service, il s'était rendu au poste à son troisième jour de congé (le 11) avec l'intention de téléphoner à Honda.

[126] Toutefois, il y a lieu de noter que l'appel du 6 novembre concernant les menaces de mort a été reçu à la fin du quart de travail, après 17 h. L'intimée soutient que le plaignant a eu amplement l'occasion de communiquer avec Honda plus tôt ce jour-là, mais qu'il a délibérément choisi de passer outre aux instructions du cap. Waters.

[127] Le plaignant a fait remarquer que les biens ont finalement été rendus à leur propriétaire le 13 novembre, soit un peu plus d'une semaine après le vol. Il a soutenu qu'il s'agissait d'un délai très court comparativement aux délais de plusieurs mois qui s'écoulent habituellement avant que des biens volés soient rendus à leurs propriétaires légitimes. Il a également fait observer que le jardinier paysagiste était tellement content d'avoir récupéré son matériel qu'il a offert un cadeau au plaignant en signe de gratitude. De l'avis du cap. Waters, ce dernier point n'est pas pertinent puisque le propriétaire ne savait tout simplement pas que ses biens auraient pu lui être rendus plus rapidement si le plaignant avait suivi ses instructions initiales.

[128] Dans le compte rendu sommaire d'activités de cette semaine-là, le gend. McDonald a indiqué que la FPR du plaignant avait été [TRADUCTION] moins que positive. Il a admis que le stagiaire subissait beaucoup de pression, ce qui n'était certes pas sans lui causer une certaine angoisse. Le gend. McDonald a ajouté qu'il souhaitait ne pas s'attarder seulement aux éléments négatifs; par conséquent, il a cité une couple de cas où le plaignant avait bien réagi et bien tiré son épingle du jeu.

J. Deuxième prolongation de la formation pratique - Quatrième semaine

[129] La série suivante de quarts de travail s'est échelonnée du 13 au 19 novembre 1997. Au dire du gend. McDonald, ce fut une semaine sans histoire au cours de laquelle les appels reçus étaient relativement routiniers et avaient exigé un travail d'enquête ou des suivis minimes. Néanmoins, le gend. McDonald a tout de même relaté trois incidents où, selon lui, la capacité du plaignant de prendre des décisions a laissé à désirer.

[130] Le premier incident avait trait à un appel banal. Quelqu'un avait dit avoir vu deux hommes sortir d'un appartement avec un téléviseur qu'ils avaient mis dans une voiture. Le plaignant s'est rendu sur les lieux et a imprudemment garé la voiture de patrouille en plein milieu d'un arrêt d'autobus alors que beaucoup d'espaces de stationnement étaient libres. Il a fallu que le gend. McDonald lui indique qu'il vaudrait mieux garer la voiture ailleurs. Dans les moments qui ont suivi, le plaignant et lui ont vu quelqu'un sortir de l'appartement. Le plaignant s'est approché de l'individu et lui a demandé s'il résidait à cet endroit. L'intéressé a répondu par la négative. Le plaignant allait le laisser quitter les lieux dans sa voiture. Le gend. McDonald est intervenu et a rappelé au plaignant qu'il fallait demander à l'individu de s'identifier et de fournir de plus amples détails relativement à sa présence à cet endroit.

[131] Après que l'individu eut fourni au plaignant l'information demandée, le gend. McDonald a dû intervenir au moment où ce dernier s'apprêtait à monter dans la voiture de patrouille pour quitter les lieux. Il lui a demandé ce qu'il restait à faire. Le plaignant a semblé être pris au dépourvu; il a fallu que le formateur lui demande expressément de trouver les occupants réels de l'appartement et de leur parler, ce que le plaignant a finalement fait. On a ainsi pu établir qu'il s'agissait simplement d'un déménagement. Le gend. McDonald a reproché au plaignant son manque de sens commun dans l'exécution de cette [TRADUCTION] tâche policière des plus élémentaires. Il n'aurait pas dû avoir à lui donner des instructions.

[132] Le deuxième incident négatif attesté qui est survenu cette semaine-là avait trait à un mandat d'arrestation contre un jeune contrevenant que le plaignant et le gend. McDonald avait exécuté à Vancouver. Le formateur a fait remarquer qu'il s'agissait là d'une tâche policière simple. Cependant, il a fallu qu'il demande au plaignant d'informer le service de police de Vancouver de leur activité à l'intérieur des limites de la ville et de communiquer avec leur propre répartiteur au moment de leur retour à Burnaby. Cette dernière procédure doit être exécutée lors d'une opération minutée qui présente un certain risque. Si le répartiteur ne reçoit pas de nouvelles des policiers dans le laps de temps indiqué, il communique avec eux par radio pour leur demander si tout va bien.

[133] Dès leur arrivée à la résidence du jeune contrevenant, le plaignant a arrêté l'adolescent de 14 ans; toutefois, il a fallu que le gend. McDonald lui rappelle d'aller informer la mère de l'adolescent de ce qui se passait. Dans son rapport, le gend. McDonald a indiqué qu'il s'agissait là d'une des étapes prévues dans la procédure opérationnelle normale et qu'un membre ayant 12 mois d'expérience aurait dû avoir le réflexe de faire cela.

[134] Dans son témoignage, le plaignant a exprimé sa frustration à l'égard de ce blâme. Comme la mère ne parlait pas anglais, il a demandé à la sur de dix ans du jeune contrevenant d'expliquer la situation à cette dernière. Le jeune contrevenant lui-même a confirmé que sa mère comprenait. Le gend. McDonald a refusé d'accepter l'explication du plaignant voulant qu'il ait déjà informé la mère.

[135] Le dernier incident attesté qui est survenu cette semaine-là avait rapport à un appel d'un chauffeur de taxi qui s'était plaint qu'une adolescente de 14 ans avait refusé de payer une course et l'avait menacé au moyen d'un couteau. Le plaignant et le gend. McDonald ont été les premiers à être dépêchés sur les lieux. Le gend. Marx, le gend. St-Fleur et le cap. Johnson ont eux aussi répondu à l'appel. À titre d'intervenant primaire, le plaignant a été chargé de s'occuper du dossier. Il s'est entretenu quelques minutes avec le chauffeur pour déterminer ce qui s'était produit. Il s'est ensuite rendu à la résidence de l'adolescente, à l'intérieur de laquelle cette dernière s'était engouffrée à sa sortie de la voiture taxi. Le gend. McDonald prétend que le plaignant l'a aussitôt appréhendée, l'a amenée à l'extérieur, lui a passé les menottes et l'a installée sur la banquette arrière de la voiture de police.

[136] Le gend. McDonald a décidé de mettre en doute dans une optique constructive la décision que venait de prendre le plaignant. Il était particulièrement préoccupé par le fait que la recrue avait réagi après n'avoir entendu qu'un côté de la médaille. Il a demandé au plaignant s'il avait recueilli la version de l'adolescente avant de l'appréhender. Le plaignant a répondu par la négative et est retourné, par conséquent, à la voiture pour faire confirmer par elle l'infraction. Sa version était différente de celle du chauffeur. Elle avait dit à ce dernier qu'elle irait dans la maison faire des arrangements en vue de régler la course parce qu'elle n'avait pas d'argent sur elle. Comme il ne voulait pas qu'elle parte sans payer, le chauffeur de taxi l'a pourchassée jusqu'à la maison puis a commencé à crier et à frapper sur la porte. Elle était effrayée et a saisi un couteau de cuisine qu'elle lui a montré à travers la fenêtre pour lui faire peur. Comme l'a indiqué le gend. St-Fleur dans son témoignage, elle n'avait pas l'intention de blesser le chauffeur. Elle voulait simplement qu'il parte. Elle lui avait montré le couteau à travers la fenêtre pour le faire reculer et se défendre.

[137] Le plaignant est ensuite retourné voir le gend. McDonald pour lui raconter la version de l'adolescente. Le gend. McDonald lui a demandé à nouveau quelle décision il devrait prendre. Le plaignant n'ayant pas répondu, le cap. Johnson est intervenu pour demander à nouveau qu'elle allait être sa décision. Le gend. McDonald a témoigné que le plaignant ne semblait pas sûr. Ce n'est qu'après que les autres lui aient indiqué que le chauffeur de taxi n'avait pas divulgué tous les faits et qu'il n'y avait pas vraiment eu d'infraction, que le plaignant a réagi en relâchant l'adolescente. Dans son témoignage, le gend. McDonald a indiqué que cette décision était finalement la bonne, mais qu'il était préoccupé par le fait que le plaignant n'avait pas été en mesure de la prendre lui-même. Il avait fallu lui poser des questions incitatives ou mettre en doute son jugement dans une optique constructive. Le gend. McDonald n'est pas persuadé que le plaignant aurait fait par lui-même le bon choix.

[138] Pour sa part, le plaignant conteste la façon dont le gend. McDonald a présenté les faits. Lors de sa conversation initiale avec le chauffeur, ce dernier lui a dit que l'adolescente lui avait mis un couteau sur la gorge et l'avait menacé. Le plaignant estimait avoir suffisamment d'information pour procéder à l'arrestation. Il s'était entretenu avec l'adolescente et avait déterminé qu'elle mentait. Il l'avait ensuite arrêtée afin qu'elle soit sous observation et pour faire enquête.

[139] Pendant qu'il conversait avec l'adolescente, les autres policiers avaient eu l'occasion de parler au chauffeur et de se rendre compte qu'il avait présenté certains faits de manière inexacte. Ils disposaient donc de renseignements que n'avait pas le plaignant et étaient mieux placés que lui pour savoir qu'une arrestation n'était pas justifiée. Le plaignant allègue qu'on ne lui a pas posé de questions incitatives et que son jugement n'a pas été remis en question de façon constructive lorsqu'il a rejoint les autres policiers à l'extérieur. Ils l'ont plutôt encerclé et l'ont confronté de façon agressive. Ces derniers ne lui ont pas fait part des renseignements qu'ils venaient d'apprendre et ont délibérément choisi de jouer avec lui et de le contraindre à tenter de défendre sa décision. On l'a fait sentir comme un imbécile. Les questions n'ont pas été posées sur un ton poli. Les autres lui ont crié après, particulièrement le cap. Johnson, qui a hurlé que tout le monde attendait qu'il prenne [TRADUCTION] dès maintenant sa décision et qu'il leur dise ce qu'il entendait faire. Le plaignant prétend que l'affaire a finalement été réglée parce qu'il a réussi, grâce à ses talents de négociateur, à convaincre le chauffeur de ne pas déposer d'accusations.

[140] Le gend. McDonald et le cap. Johnson nient avoir élevé la voix et insistent sur le fait qu'ils voulaient simplement évaluer la capacité du plaignant de prendre des décisions.

K. Deuxième prolongation de la formation pratique - Cinquième et sixième semaines

[141] La série suivante de quarts de travail a débuté le 21 novembre 1997. Pendant cette période, le gend. McDonald a fait équipe avec le plaignant pendant seulement deux jours. Le rapport portant la période en question révèle que les appels ont été [TRADUCTION] relativement routiniers et qu'il s'agissait de quarts de travail [TRADUCTION] relativement sans histoire. Néanmoins, le gend. McDonald a relaté deux incidents où le plaignant a bien tiré son épingle du jeu. Dans un des cas, il a aidé à procéder à l'arrestation d'un suspect. À cette occasion, il a établi une bonne relation avec l'intéressé, ce qui a permis d'entrevoir la possibilité qu'il devienne un futur informateur de la police. Dans l'autre cas, le plaignant et le gend. McDonald ont été dépêchés sur les lieux d'un vol par effraction. Le plaignant s'est dirigé vers le dernier endroit où l'on avait vu le suspect. Il l'a vite retrouvé et arrêté. Il s'agissait d'un criminel de carrière. Le gend. McDonald a félicité le plaignant d'avoir réussi à mettre l'individu hors circuit pendant un certain temps. Le gend. McDonald a conclu le rapport par une phrase que le plaignant a trouvé fort encourageante : [TRADUCTION] Ce fut une semaine très positive pour le gend. Morin; il est à espérer que cela deviendra la norme plutôt que l'exception.

[142] Au cours des jours qui ont suivi, le plaignant a été affecté par le détachement au sommet de l'APEC (Organisation de coopération économique Asie-Pacifique), qui se déroulait dans la région de Vancouver. Étant donné que les participants à ce sommet étaient des chef d'État et d'autres dignitaires provenant du monde entier, la sécurité revêtait une importance cruciale. Le plaignant a été de faction surtout au dernier point de contrôle de sûreté, qui donnait accès au site de l'Université Simon Fraser où se tenaient certaines réunions. Toutes les personnes qui participaient à ces réunions devaient se présenter à ce point de contrôle de sûreté, après en avoir franchi plusieurs autres. La tâche du plaignant consistait à faire stopper les véhicules, à examiner les laissez-passer de sécurité des passagers et à transmettre par radio au poste de commandement les renseignements pertinents. Une fois les papiers d'identité vérifiés et approuvés, il pouvait laisser entrer le véhicule.

[143] Le plaignant a témoigné que son rôle était crucial pour la sécurité à cet endroit. Le risque était considérable et il existait une menace éventuelle. En cas de tentative pour franchir la barricade sans autorisation, le plaignant devait réagir instinctivement et prendre rapidement une décision. Il pouvait même être appelé à se servir de son arme à feu. Le plaignant a perçu cette affectation comme une indication de l'évaluation positive de son aptitude à prendre des décisions et comme la confirmation de ses compétences à titre de policier. Pourquoi l'aurait-on affecté à un poste comportant d'aussi grandes responsabilités s'il n'avait pas encore atteint le niveau de compétence requis?

[144] Au dire de la GRC, la réponse est que l'hypothèse du plaignant n'est pas fondée. L'affectation en question ne comportait pas autant de responsabilités que ce qu'il a laissé entendre. Il s'agissait du dernier d'une série de points de contrôle de sûreté, et il aurait été fort peu probable qu'une personne non autorisée ait pu parvenir jusque là. En outre, le poste n'exigeait guère de prendre des décisions. La décision de donner ou de refuser l'accès était prise au poste de commandement et non par le plaignant. Les tâches liées à la circulation automobile et les fonctions de bas niveau en matière de sécurité sont habituellement confiées aux membres les moins expérimentés.

[145] L'insp. Schlecker a témoigné que lorsque la Direction générale lui a donné l'ordre d'affecter un certain nombre de policiers au sommet de l'APEC, il a délibérément dépêché les éléments les plus faibles de son détachement, sauf dans les cas où il fallait avoir une expertise particulière. Burnaby était déjà un détachement occupé qui manquait déjà de personnel et où il devait garder le plus de compétences possible. Il ne pouvait se permettre d'affecter ses meilleurs éléments à des activités de vérification de cartes et de post-visionnage. Compte tenu des rapports qu'il avait reçus, l'insp. Schlecker nourrissait alors certaines inquiétudes à l'égard des compétences policières du plaignant, se demandant même s'il ne constituait pas un danger pour lui-même et les autres. Cela ne l'a tout de même pas empêché de l'affecter à des fonctions sédentaires au point de contrôle de sûreté lors du sommet. Les zones où il risquait d'y avoir du grabuge étaient sous la surveillance de groupes spéciaux tels que les escouades anti-émeute et les groupes d'armes spéciales et tactiques.

[146] Rien dans la preuve n'indique que des membres de rang plus élevé de la GRC qui ont témoigné ou dont les noms ont été mentionnés à l'audience aient été affectés au sommet de l'APEC. Selon la preuve, il y a seulement trois policiers du détachement qui y ont participé : le gend. Louis Ma, qui venait tout juste de terminer sa FPR cette année-là et qui faisait équipe avec le plaignant au point de contrôle de sûreté mentionné ci-dessus, le gend. St-Fleur, dont la FPR était en cours à l'époque et qui était chargé d'ouvrir les portières des voitures transportant les dignitaires, et le plaignant.

[147] Au cours de son témoignage, le gend. McDonald a affirmé que, pendant l'affectation du plaignant au sommet de l'APEC (cinquième et sixième semaines de la deuxième période de prolongation de sa formation), il a commencé à réfléchir à la manière dont se déroulait la FPR et à se demander si le plaignant allait finalement réussir. Il a conclu qu'il était peu probable que certains problèmes liés à l'aptitude du plaignant à prendre des décisions puissent se résoudre dans les semaines restantes. Entre autres problèmes, le gend. McDonald a mentionné la tendance du plaignant à porter rapidement un jugement sans avoir suffisamment d'information, le fait qu'il ne tenait pas compte des conseils des autres, sa réticence à assumer la responsabilité de ses mauvaises décisions et son manque de sens commun. Le plaignant avait dit au gend. McDonald que s'il ne réussissait pas, il avait l'intention de retourner au Québec et de postuler un emploi auprès d'un autre corps policier. Le gend. McDonald savait que si le plaignant présentait encore à la fin de sa FPR des lacunes relativement à l'un des critères, celui-ci serait libéré de la GRC. Le cas échéant, il serait stigmatisé et cela nuirait à ses recherches pour trouver un emploi dans le domaine policier. De plus, s'il devait être libéré à la fin de la période de deux mois, ce serait malheureusement juste avant Noël.

[148] Le gend. McDonald prétend avoir discuté avec le cap. Johnson et le serg. Ross et proposé, par esprit de compassion, qu'on offre sans tarder au plaignant la possibilité de démissionner. Cela lui donnerait la chance de rassembler ses effets personnels et d'organiser son retour à Montréal avant Noël; son dossier révélerait simplement qu'il avait été au service de la GRC pendant un an et qu'il avait démissionné pour chercher un emploi ailleurs. Rien n'indiquerait qu'il avait été congédié. Le cap. Johnson était favorable à l'idée, mais il devait obtenir l'approbation de la haute direction pour y donner suite. L'insp. Schlecker a donné le feu vert peu de temps après.

[149] Par conséquent, dans la matinée du 30 novembre 1997, au début du premier quart de travail du plaignant après son retour du sommet de l'APEC, le gend. McDonald et le cap. Johnson ont invité ce dernier à venir prendre le petit déjeuner avec eux dans un restaurant de l'endroit. Le gend. McDonald a témoigné que l'entretien avait été cordial et qu'il avait décrit les côtés positifs du plaignant ainsi que les aspects problématiques. Il lui a expliqué qu'il ne serait pas, à son avis, en mesure de remédier aux problèmes au cours des semaines qui restaient. Par conséquent, il lui a offert la possibilité de démissionner sur-le-champ. Le gend. McDonald allègue qu'il a clairement précisé au plaignant qu'il serait prêt à poursuivre sa formation jusqu'à la fin de la période de deux mois, si tel était son souhait.

[150] Le plaignant a été outré par la proposition. Il estimait qu'il venait d'avoir deux très bonnes semaines. Il avait trouvé encourageante sa dernière fiche de rendement, dans laquelle le gend. McDonald disait souhaiter que son bon travail deviendrait la norme. Cela ne donnait guère à penser qu'il serait congédié prématurément. Son affectation au sommet de l'APEC lui avait donné d'autres raisons d'être optimiste.

[151] Après le petit déjeuner, tout le monde est retourné au détachement et le plaignant a pris un certain temps pour réfléchir à sa décision. Après moins d'une heure, le plaignant a informé le gend. McDonald qu'il allait exercer son option de démissionner de la GRC. Plus tard ce jour-là, le plaignant et le gend. McDonald se sont rencontrés pour discuter du rapport final d'évaluation, dans lequel il était mentionné qu'il y avait encore des progrès à faire relativement au seul critère de la prise de décisions. Le formateur a annexé au rapport un texte de trois pages dans lequel il faisait état de quatre motifs à l'appui de ce constat : la tendance du plaignant à porter rapidement un jugement et à prendre des décisions sans avoir suffisamment d'information; le fait qu'il ne tenait pas compte des conseils et des instructions d'enquêteurs de rang supérieur; sa réticence à assumer la responsabilité de ses mauvaises décisions; et son absence de sens commun. Le gend. McDonald fournissait des détails au sujet de certains incidents mentionnés dans ses fiches de rendement hebdomadaires pour illustrer les problèmes, notamment l'appel du 6 novembre concernant les menaces de mort, l'arrestation de l'adolescente qui n'avait pas payé sa course en taxi et l'affaire du matériel Honda volé qui avait été récupéré.

[152] Le lendemain, l'insp. Schlecker a rencontré le plaignant et lui a demandé de lui remettre son arme et son insigne. Ils ont discuté de certains incidents décrits dans le rapport du gend. McDonald. Le plaignant prétend qu'il a tenté à nouveau de donner sa version, mais que l'insp. Schlecker a fait la sourde oreille. La décision était déjà prise. L'insp. Schlecker lui a dit qu'il avait voulu durant sa jeunesse apprendre le violon, mais qu'il s'était rendu compte qu'il n'avait tout simplement pas le talent nécessaire. De même, le plaignant n'était tout simplement pas fait pour être policier au sein de la GRC. Lorsqu'il est sorti de cette rencontre, le plaignant était anéanti. Son rêve s'était évanoui. Ce soir-là, plusieurs collègues de travail sont venus chez lui. Ce fut un moment très émouvant pour tout le monde.

[153] Ce jour-là, le plaignant a rédigé et présenté au détachement ses propres observations à l'égard du rapport final d'évaluation. Il a affirmé qu'il était très fier d'avoir eu la chance de recevoir la [TRADUCTION] meilleure formation policière au Canada. Il remerciait tous ses collègues, superviseurs et supérieurs de leur appui. Il disait ne pas regretter son [TRADUCTION] aventure dans la police montée et d'avoir [TRADUCTION] travaillé avec les meilleurs. Il disait avoir bon espoir que cela lui ouvrirait [TRADUCTION] des portes à son retour à Montréal.

[154] Néanmoins, à l'audience, le plaignant a souligné son mécontentement à l'égard du rapport final. Il a dit qu'une fois de plus, aucun exemple de ses réalisations louables durant cette période n'était donné dans le rapport final, bien que celles-ci aient été mentionnées dans les fiches de rendement hebdomadaires. En outre, il a allégué avoir fait l'objet d'un traitement différent de la part de son formateur et d'autres policiers de rang supérieur tout au cours de cette période, notamment lors de la querelle qui avait éclaté à l'occasion de l'incident du 6 novembre concernant les menaces de mort, sans parler de l'établissement subséquent non pas d'une mais bien de trois fiches de rendement négatives. À son avis, il avait également été traité de façon injuste lorsqu'il avait été encerclé par les autres policiers lors de l'incident de la course en taxi impayée. Fait plus important, le plaignant a accusé le gend. McDonald d'avoir affiché un comportement dénotant des préjugés raciaux à son endroit et à l'égard des autres personnes de race noire. Il a donné trois exemples.

[155] Le premier a trait à un dessin que le gend. McDonald aurait fait un jour où il était derrière le volant de leur voiture de patrouille qui était garée. Le gend. St-Fleur et son formateur, le gend. Marx, étaient assis dans un véhicule qui se trouvait à proximité. Le plaignant prétend que le gend. McDonald a pris une feuille de papier et a dessiné un portrait du gend. St-Fleur, qui est lui aussi de race noire et d'origine haïtienne. La taille de son nez et de ses lèvres était exagérée sur le dessin. Le gend. McDonald a ensuite dit en riant que le nez et les lèvres du plaignant étaient plus petits que ceux du gend. St-Fleur. Le plaignant n'a pas réagi ouvertement. Il n'a pas non plus soufflé mot de cet incident au gend. St-Fleur. Cependant, il a témoigné qu'intérieurement, il avait trouvé cela stupide et raciste.

[156] Le gend. McDonald a carrément nié que cet incident se soit jamais produit. Le plaignant n'a pas fait mention de ce dessin dans sa plainte à la Commission des droits de la personne. Il n'a jamais raconté l'incident, pas plus qu'il ne s'en est plaint à qui que ce soit au sein de la GRC. La première référence à un dessin figure dans les documents divulgués par le plaignant, c'est-à-dire dans l'exposé des faits essentiels de la plainte, qui a été déposé devant le Tribunal en février 2003. Fait curieux, selon l'exposé, c'est à l'automne de 1996, et non de 1997, que le plaignant aurait été témoin de la scène du dessin raciste; l'artiste était le gend. Haney et la personne dessinée, le gend. Albert. Le plaignant a indiqué lors de son témoignage qu'il avait parlé à la Commission du dessin lorsqu'il avait déposé sa plainte. Il a ajouté qu'il avait eu un flash peu de temps avant l'audience et qu'il s'était rappelé que c'était le gend. McDonald, et non le gend. Haney, qui avait fait le portrait du gend. St-Fleur, et non du gend. Albert. Il a terminé son témoignage sur ce point en répétant que l'auteur du dessin était le gend. McDonald et en disant : Je ne veux pas rajouter autre chose au constable Haney, c'est assez..

[157] Le deuxième cas de discrimination raciale cité par le plaignant se serait produit dans un restaurant-minute où il s'était arrêté pour prendre un café en compagnie du gend. McDonald et de plusieurs autres policiers durant leur quart de travail. Le gend. St-Fleur a dit au gend. McDonald que sa cravate était sale, ce à quoi ce dernier aurait rétorqué : [TRADUCTION] Qui a l'air le plus sale? Vous ou moi? Le plaignant se souvient que les bottines du gend. St-Fleur étaient reluisantes, que sa chemise était bien pressée et que sa tenue en général était impeccable. En fait, le gend. St-Fleur avait la réputation d'être une personne tirée à quatre épingles; dans les rapports d'évaluation établis pendant sa formation pratique, on lui avait attribué une note supérieure pour ce qui est de la tenue et du maintien. Le plaignant ne pouvait que conclure que la remarque du gend. McDonald était une allusion à la couleur de la peau du gend. St-Fleur. La remarque a été faite en présence du cap. Johnson, qui n'a réagi en aucune façon. Le plaignant jugeait cet incident dégradant et humiliant. Il s'agissait, selon lui, d'une forme directe de racisme. Le plaignant n'a pas fait mention non plus de cet incident dans la plainte qu'il a présentée à la Commission des droits de la personne.

[158] Le gend. McDonald nie avoir jamais fait cette remarque. Pour sa part, le gend. St-Fleur a déclaré lors de son témoignage qu'il s'en souvenait vaguement. Il se rappelle que son gilet pare-balles était très sale ce jour-là. Il a pensé que la remarque du gend. McDonald s'appliquait à son gilet, comme s'il avait voulu dire : [TRADUCTION] Quel uniforme est le plus sale? Le tien ou le mien? Le gend. St-Fleur avait examiné son gilet et constaté que la remarque du gend. McDonald était justifiée. Le gend. St-Fleur a témoigné qu'il avait été étonné de voir ensuite le plaignant s'approcher de lui, l'air choqué, pour se plaindre de la remarque. Le gend. St-Fleur lui a alors demandé c'était quoi l'affaire?. Il a dit croire que le plaignant ne connaissait simplement pas le contexte de la conversation. Il s'agissait d'une méprise raisonnable de sa part, mais tout de même d'une méprise.

[159] Le troisième incident où le gend. McDonald aurait fait montre, selon le plaignant, d'insensibilité à l'égard des personnes de couleur a rapport à une discussion qu'ils auraient eue tous les deux en compagnie du gend. St-Fleur au sujet du programme d'équité en matière d'emploi de la GRC. Le gend. McDonald a affirmé que les personnes de race noire et les membres d'autres groupes désignés étaient embauchées de préférence aux Blancs. Selon lui, c'était de la discrimination à rebours. Le plaignant et le gend. St-Fleur ont rétorqué que ces mesures étaient nécessaires pour remédier à la sous-représentation de ces groupes au sein de la GRC. Le plaignant a admis que cet échange s'est déroulé sur un ton professionnel, mais les croyances du gend. McDonald constituent à son avis la preuve que ce dernier ne comprenait pas l'ampleur des problèmes auxquels font face les personnes de race noire dans la GRC. Le plaignant a allégué qu'il était blessant d'être témoin d'un tel manque de compréhension.

[160] Au cours de son témoignage, le gend. McDonald a dit se souvenir de cette conversation. Elle portait sur les examens d'entrée des personnes postulant un emploi dans la GRC. Le nombre de points nécessaires pour passer au niveau d'évaluation suivant était plus élevé pour les hommes de race blanche que pour les membres de groupes désignés. Le débat avait gravité autour du caractère équitable de ce système et particulièrement sur le fait que les examens étaient unidimensionnels et que des personnes qui auraient pu faire des policiers compétents risquaient d'être éliminées. Le gend. McDonald a prétendu avoir lui-même fait remarquer au cours de la conversation que certains groupes avaient traditionnellement été sous-représentés dans la GRC. Il a allégué que les trois ont tous ri du fait qu'il devait obtenir une meilleure note que les deux autres, mais il soutient qu'il n'a jamais exprimé d'opinion négative à ce sujet, si ce n'est qu'il espérait qu'on sélectionnait en bout de ligne les personnes les plus compétentes. Selon le gend. McDonald, ce fut une [TRADUCTION] conversation constructive.

[161] En outre, le plaignant a soutenu que l'insp. Schlecker, l'officier responsable des opérations, a fait des déclarations offensantes et déplacées à propos des minorités visibles. En décembre 1998, il a été prié par la GRC de commenter la plainte actuelle et dans laquelle le plaignant alléguait avoir fait l'objet d'un traitement différent en raison de sa couleur. L'insp. Schlecker a rédigé une note dans laquelle il a affirmé que jusqu'au moment de l'enquête de la Commission sur la plainte, il [TRADUCTION] ne savait pas que le gend. Morin était une personne de couleur (...was coloured), tout en précisant : [TRADUCTION] Comme moi, il a un teint foncé; je croyais qu'il était lui aussi de descendance européenne. Prié à l'audience de commenter ces remarques, l'insp. Schlecker a déclaré : [TRADUCTION] Jusqu'à ce que l'on m'informe qu'il se considérait comme étant de race noire, je n'ai vraiment jamais pensé que le gend. Morin était un Noir. Il a également affirmé lors de son témoignage :

[TRADUCTION] Il [le plaignant] me rappelle un ami intime du nom de [...], qui est Hongrois. Il pourrait presque être son frère jumeau. Lorsque je regarde le gend. Morin, je ne le considère jamais comme un Noir. Il [le plaignant] me dit qu'il est de race noire. Je crois cela et puis lorsque je le regarde, je peux dire : Oui, je peux voir qu'il y a de cela en vous. Mais, si on ne me l'avait pas dit, cela ne me serait pas apparu évident.

[162] Le plaignant a souligné que dans plusieurs documents de la GRC, notamment dans la formule que la Division Dépôt a fait parvenir à Burnaby pour informer le détachement de son arrivée imminente en vue de sa formation, il est clairement précisé qu'il est un homme de race noire d'origine haïtienne.

[163] Dans sa note de service, l'insp. Schlecker affirmait également qu'au détachement de Burnaby, [TRADUCTION] le mélange de personnes de couleur (coloured), de personnes de différentes ethnies et de femmes était proportionnellement beaucoup plus prononcé en raison du roulement élevé de recrues et du désir de la direction d'être le miroir de la collectivité de Burnaby. Interrogé à l'audience quant à l'emploi qu'il avait fait de l'expression de couleur, il a expliqué qu'il avait posé la question suivante à un ami de race noire qu'il avait en Saskatchewan : [TRADUCTION] Comment vous définiriez-vous? L'ami lui a répondu : [TRADUCTION] Bien, comme étant de couleur. Par conséquent, lorsque l'insp. Schlecker a employé le terme dans sa note de service, il n'a pas estimé qu'il était offensant. Le plaignant soutient qu'il s'agit, au contraire, d'un terme offensant et méprisant du fait qu'il évoque l'esclavage et la ségrégation dans le vieux sud des États-Unis. Le plaignant a souligné qu'il faut faire une importante distinction entre le terme employé par l'insp. Schlecker et le terme personne de couleur (person of colour), qui est de plus en plus utilisé de nos jours de préférence à l'expression membre d'un groupe de minorité visible.

[164] À propos de la remarque au sujet de la population de Burnaby qui était énoncée dans sa note, l'insp. Schlecker a été prié à l'audience de décrire la composition de cette ville. Il a affirmé : [TRADUCTION] ce que nous considérons le Canadien moyen de race blanche, d'origine européenne est en voie de devenir pour ainsi dire une minorité dans certaines régions des basses terres du Fraser [en Colombie-Britannique] (italique ajouté).

L. Retour à Montréal

[165] Après la démission du plaignant, ce dernier et sa fiancée, Mme Cerrato, ont commencé aussitôt à préparer leur retour à Montréal. Le couple a réservé les services de déménageurs, emballé ses choses, résilié son bail et communiqué avec les entreprises d'utilité publique. Au cours de cette période, aucun officier supérieur du détachement n'a pris contact avec le plaignant pour voir comment il se débrouillait ou pour lui offrir un soutien logistique quelconque. Une somme de 1 500 $ lui a été accordée pour couvrir certains frais de déménagement. En outre, le plaignant a reçu sa solde à titre de membre jusqu'à la mi-janvier 1998. Malgré tout, il n'a eu d'autre choix que d'utiliser toutes ses économies et sa carte de crédit pour payer les frais. Afin de réduire au minimum ses dépenses, il a décidé de laisser à Burnaby une partie de ses meubles et autres biens plutôt que de payer pour les faire transporter jusqu'au Québec.

[166] Le couple est rentré à Montréal en voiture, après six jours de voyage au cours desquels ils ont essuyé des tempêtes, ont presque eu un accident et ont dû faire réparer leur véhicule qui était tombé en panne. Ce fut un cauchemar. Le plaignant a été déprimé pendant tout le voyage.

[167] À son retour à Montréal, le plaignant a postulé un emploi auprès de plusieurs corps de police du Québec. Il a présenté une demande à la sûreté municipale de la ville de Laval, qui l'a informé qu'il fallait avoir un diplôme d'études collégiales ou universitaires dans une discipline liée à l'activité policière pour franchir l'étape de la présélection. Il a également transmis une demande à la Sûreté du Québec. Il a réussi les examens d'aptitudes physiques et de conduite automobile, mais il n'a pas réussi l'entrevue pour des motifs dont on ne lui a jamais fait part. Il a soumis une demande à la sûreté municipale de Brossard, qui ne lui a jamais donné de nouvelles. Après qu'il eut postulé un emploi à la sûreté municipale de l'Île-Perrot, il a été invité à subir un examen. Il a échoué cet examen en raison de sa méconnaissance des lois provinciales du Québec.

[168] Le 22 décembre 1997, le plaignant a postulé un emploi de policier auprès du Service de police de la Communauté urbaine de Montréal (SPCUM). Dans sa demande, il a expliqué qu'il avait décidé de quitter la GRC parce qu'il désirait travailler dans sa province natale, près de sa famille, en anglais et en français. Il n'a aucunement mentionné qu'il avait été libéré formellement ou de façon déguisée. Le SPCUM s'était doté d'un programme d'équité en matière d'emploi afin de favoriser le recrutement de membres de groupes désignés. Conformément au programme, le plaignant a rempli un questionnaire dans lequel il s'est identifié comme membre d'une minorité visible.

[169] Après avoir réussi le test d'aptitudes physiques, le plaignant a été interviewé par un comité formé de deux membres, dont Suzanne Lachance. Lors de son témoignage, cette dernière a affirmé que l'entrevue avait duré environ une heure et demie. Le plaignant a alors été interrogé sur un certain nombre de sujets : maturité, qualités interpersonnelles, confiance en soi, tolérance au stress. En outre, le comité lui a posé des questions sur trois scénarios d'intervention policière visant à évaluer sa capacité d'analyse et son aptitude à prendre des décisions. Après l'entrevue, le comité lui a décerné un score de 54,82 %. Il lui fallait obtenir un score d'au moins 60 % pour qu'il fasse l'objet d'une recommandation en vue de l'obtention d'un poste de policier.

[170] Le comité a préparé un rapport à la suite de l'entrevue. Le plaignant n'avait obtenu que 47 points sur une possibilité de 90 pour ce qui est des scénarios. Le comité a fait remarquer qu'il avait affiché une certaine rigidité dans chacun des cas. Il appliquait les lois et règlements à la lettre et n'était pas très ouvert à l'idée que ses décisions puissent être remises en question. En ce qui concerne les scénarios qui lui avaient été présentés, les membres du comité se sont inquiétés du fait qu'il ait décidé de passer outre à l'avis d'un collègue policier. Dans un autre cas, le comité a trouvé à redire à sa décision d'appréhender des jeunes très rapidement, sans songer aux conséquences. Par ailleurs, les membres du comité ont décelé une certaine impatience dans sa manière de répondre à l'ensemble des questions. Mme Lachance a fait remarquer qu'il devait adopter une attitude plus tolérante et apprendre à faire montre de discernement.

[171] Le comité a présumé que le plaignant était fortement sous l'influence de la culture et des valeurs de la GRC, qui différaient de celles du SPCUM. Mme Lachance se souvenait que le plaignant avait raconté qu'il avait eu de la difficulté à s'intégrer à la GRC, surtout comme francophone mais aussi en tant que personne de race noire. Il avait dit au comité qu'il avait fait des efforts considérables pour s'adapter. Finalement, il avait décidé de démissionner pour se rapprocher de sa famille. Le plaignant n'a jamais informé le comité qu'il avait démissionné parce qu'il s'attendait d'échouer sa FPR. Monique Cyr, qui était responsable du processus de sélection et d'évaluation du rendement des policiers de la Communauté urbaine de Montréal, a expliqué que le fait que le plaignant ait dissimulé l'échec auquel il était sur le point d'être confronté dans la GRC aurait pu être découvert ultérieurement au cours du processus - lors de l'enquête sur la réputation du candidat. Si un tel manque de franchise avait été découvert à cette étape, un rapport défavorable aurait été rédigé au sujet de sa réputation et, en l'absence d'une explication justifiable, sa candidature aurait aussitôt été éliminée.

[172] Le score du plaignant ne répondait pas à la norme applicable aux postes de policier, mais le SPCUM était également en quête de policiers auxiliaires à l'époque. Les policiers auxiliaires s'occupaient principalement des détenus des centres de détention du SPCUM. Ils ne portaient pas d'arme. Le score minimal pour un poste de policier auxiliaire avait été fixé à 50 %. Comme le plaignant avait atteint ce niveau et avait manifesté de l'intérêt également à l'égard d'un tel poste, le comité de sélection a décidé de continuer de traiter sa demande, mais uniquement pour un poste de ce genre.

[173] Le dossier du plaignant est donc passé à l'étape suivante. Cette étape consistait en une évaluation psychométrique du candidat, au cours de laquelle on mesurait scientifiquement ses traits psychologiques. Tous les candidats devaient subir ce test. Dans le cas du plaignant, le test a été administré par le Dr Anne Geneviève Girard, Ph. D., qui est psychologue industrielle et membre de l'Ordre des conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agréés du Québec. Le Dr Girard avait obtenu du SPCUM le mandat de déterminer si des candidats étaient atteints de psychopathologie et de brosser un tableau général de la personnalité de chaque candidat. Avant de préparer son évaluation du plaignant, elle n'avait reçu aucun renseignement au sujet de sa première entrevue ou des conclusions du comité de sélection; elle n'était donc pas au courant de la décision du comité d'examiner la candidature du plaignant en fonction uniquement du poste de policier auxiliaire. Après avoir interviewé le plaignant et l'avoir soumis au test, le Dr Girard a conclu qu'il n'était atteint d'aucun trouble pouvant entraîner le rejet immédiat de sa candidature. Cependant, elle a également déterminé qu'il ne satisfaisait qu'en partie aux exigences du poste de policier.

[174] Les scores du plaignant ont été évalués en fonction de ceux obtenus par toutes les autres personnes ayant postulé un emploi auprès du SPCUM - environ 600. Il a obtenu la cote faible pour trois des éléments évalués (sens des responsabilités, sensibilité à autrui, flexibilité), ce qui impliquait que ses scores étaient inférieurs à ceux de 85 % des membres du groupe (c.-à-d. inférieurs au 15e percentile). Compte tenu de ces résultats, le Dr Girard a écrit dans son rapport au comité de sélection que le plaignant ne satisfaisait pas à la norme pour ce qui est du sens des responsabilités, qu'il manquait de sensibilité à l'égard d'autrui et qu'il n'était pas flexible. Il avait tendance à tenir assez fermement à ses idées et à ne pas être très sensible aux points de vue d'autrui. Dans ses recommandations, le Dr Girard a affirmé que le plaignant pourrait satisfaire aux exigences du poste d'agent de patrouille au SPCUM, et elle a proposé de poursuivre l'examen de sa candidature. Toutefois, dans son témoignage, elle a précisé qu'elle n'avait pas le mandat d'exclure des candidats qui ne présentaient pas de psychopathologie. En tout état de cause, son avis était fourni à titre consultatif et ne liait pas, par conséquent, le comité de sélection.

[175] Après avoir reçu le rapport du Dr Girard, le comité de sélection a décidé de réévaluer ses propres conclusions. Le jury a constaté que la rigidité dont faisait montre le plaignant n'était pas vraiment attribuable au milieu qu'il venait de quitter (GRC) et qu'il s'agissait d'un trait de sa personnalité. Par conséquent, le comité a décidé de ne pas donner suite à la candidature du plaignant, même pour le poste de policier auxiliaire. Une lettre en date du 14 mai 1998 a été expédiée au plaignant pour l'informer qu'il avait été décidé, sur la foi de son examen psychométrique, que sa candidature ne correspondait pas au profil recherché du poste de policier au SPCUM.

[176] Le SPCUM n'a pas été le seul employeur éventuel à soumettre le plaignant à des tests psychométriques. Le 9 avril 1998, le plaignant avait postulé un emploi de policier auprès de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN). Dans sa demande, il avait inscrit [TRADUCTION] démission comme motif de cessation de son emploi antérieur à la GRC. Le CN a évalué les aptitudes du plaignant au moyen de la batterie générale de test d'aptitudes, qui mesure certaines mais pas toutes les aptitudes de base requises pour occuper la fonction de commis. Les éléments évalués étaient l'intelligence, les aptitudes verbales et l'aptitude à la numérotation. Le CN a fixé la note de passage au 25e percentile, ce qui signifie que 75 % de la population générale obtiendrait un score supérieur à ce seuil. Le plaignant s'est classé entre les 38e et 45e percentiles pour les trois aptitudes évaluées par le CN. Il a donc réussi le test et s'est vu offrir un emploi au CN. On lui avait d'abord indiqué qu'il y avait un poste à pourvoir au Québec, mais on ne lui a offert qu'un poste à Toronto. Il a refusé l'offre.

[177] Le plaignant n'a pas limité sa recherche d'emploi au secteur policier. Il examinait également les offres d'emploi publiées dans les journaux. Au début de 1998, il a travaillé comme garde de sécurité dans un foyer pour personnes âgées. Il était affecté au deuxième poste (minuit à midi) et touchait 10 $ l'heure. En 1998, durant la saison des achats de Noël, il a travaillé comme détective dans quelques magasins à rayons. Il a exercé plusieurs emplois à temps partiel. En 1999, il a obtenu un poste contractuel à temps plein de garde de sécurité dans un collège privé. Malheureusement, l'une de ses tâches consistait à vider les poubelles. Comparativement aux fonctions et responsabilités qu'il avait exercées à titre de policier de la GRC, il trouvait que ce travail était dégradant et portait atteinte à sa réputation. Toutefois, il n'avait pas le choix. Il était lourdement endetté. La faillite n'était pas une solution envisageable, car cela aurait sans doute annihilé ses possibilités d'emploi dans le secteur policier.

[178] Le plaignant cherchait à améliorer sa formation scolaire; aussi s'est-il inscrit à des cours de prévention de la toxicomanie donné par correspondance par l'Université de Montréal. Il a obtenu son certificat en moins de deux ans. Par la suite, il a suivi des cours de gestion policière offerts par cette même université.

[179] En juillet 1999, le plaignant a postulé un emploi de patrouilleur - maître de chien auprès de l'organisme chargé de l'exploitation des aéroports de Montréal (Aéroports de Montréal ou ADM). Le rôle de ces policiers et de leurs chiens consistait à inspecter des avions, des véhicules, des colis ou tout autre objet pouvant contenir des explosifs. Cette tâche avait été remplie par des policiers spécialisés de la GRC jusqu'en 2000, année où la fonction avait été transférée directement à ADM. La demande du plaignant a été traitée dans le cadre de la première campagne de recrutement d'ADM - celle qui visait à remplacer les policiers de la GRC.

[180] Il était précisé dans la formule de demande d'emploi que le candidat devait fournir des renseignements exacts, à défaut de quoi sa demande pouvait être rejetée. On demandait notamment au candidat s'il avait par le passé été congédié ou prié de démissionner de quelque poste que ce soit. Le plaignant a répondu par la négative. Il a précisé plus loin dans le document qu'il avait quitté son emploi au sein de la GRC parce qu'il travaillait trop loin de chez lui (Montréal), que les loyers en Colombie-Britannique étaient très élevés et qu'il était peu probable qu'il puisse être muté au Québec dans les dix années qui suivraient.

[181] Le plaignant a été prié de se soumettre à un examen écrit, qui devait être terminé dans un laps de temps prescrit. Dans la première partie, le candidat devait établir en français des rapports d'incident après avoir visionné deux vidéocassettes. Dans la deuxième partie, il devait répondre en anglais à deux questions, dont l'une portait également sur une vidéocassette. Les personnes qui ont corrigé cet examen n'ont pas témoigné à l'audience; toutefois, la feuille de réponses du plaignant, ainsi que les observations des évaluateurs, ont été déposées en preuve. L'un des rapports d'incident portait la mention insatisfaisant. Sur l'autre rapport, on pouvait lire ce qui suit satisfaisant - Borderline -- chronologie laisse à désirer. En ce qui concerne les réponses en anglais, la réponse fondée sur la vidéocassette portait la mention insatisfaisant et l'autre, la mention satisfaisant.

[182] La candidature du plaignant est passée à l'étape suivante, qui consistait en une entrevue menée en août 1999. Le plaignant a également subi un test d'aptitudes physiques et des tests de sélection sur le terrain rigoureux qui se sont échelonnés sur plusieurs jours. En septembre 1999, ADM lui a offert un poste à temps plein pour une période indéterminée. Il travaille encore là aujourd'hui. C'est un travail qu'il juge très enrichissant. Il intervient chaque fois qu'il y a une alerte à la bombe ou qu'on découvre un colis suspect. Il inspecte bagages et aéronefs; si ses enquêtes se révèlent négatives, il autorise les équipages à faire monter les passagers à bord des appareils. Le 11 septembre 2001, il a été très occupé. Avec l'aide de la Sûreté du Québec et de la GRC, il a inspecté 21 avions interdits de vol à la suite des détournements survenus aux États-Unis.

[183] Le plaignant a soutenu qu'il possède les qualités requises pour être policier du fait qu'il s'est bien tiré d'affaire dans l'exercice de ses fonctions, et surtout parce que celles-ci étaient remplies auparavant par des policiers de la GRC. L'intimée conteste cette allégation, faisant remarquer que le plaignant n'est pas officiellement considéré comme un policier, qu'il n'a pas le pouvoir de procéder à des arrestations, qu'il ne porte pas d'arme et qu'il ne mène pas d'enquêtes.

M. Dépôt d'une plainte au Commissariat aux langues officielles

[184] Avant de déposer la présente plainte sur les droits de la personne, le plaignant a présenté une plainte au Commissariat aux langues officielles (CLO) le 28 mai 1998. Il a allégué avoir été congédié, même s'il satisfaisait aux exigences linguistiques de son poste à Burnaby, parce que les officiers supérieurs du détachement ne le jugeaient pas suffisamment compétent en anglais. L'employé du CLO qui a reçu sa plainte a inscrit ce qui suit sur le formulaire de plainte : est conscient que la plainte ne porte pas sur une question de discrimination.

[185] Le 3 juillet 1998, le plaignant s'est rendu en compagnie de son avocat dans les bureaux du CLO à Ottawa où il a fait une déclaration au sujet de sa plainte. Les notes qui ont apparemment été prises par des employés du CLO qui l'ont rencontré ont été déposées en preuve, mais les employés en question n'ont pas témoigné. Il est fait mention dans ces notes de la plupart des incidents relatés en l'espèce. Le plaignant aurait déclaré que le fait qu'on le surnommait OBO ou cul de Kirby Puckett l'agaçait. Cependant, rien dans les notes n'indique qu'il estimait que ces surnoms étaient racistes. En fait, le plaignant n'a formulé aucune allégation de racisme devant le CLO.

[186] Quelques mois plus tard, le 9 septembre 1998, le plaignant a déposé la présente plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne.

[187] En septembre 1999, le CLO a présenté son rapport final après avoir fait enquête. Il a conclu qu'il n'y avait aucun élément de preuve à l'appui de l'allégation du plaignant voulant qu'il ait perdu son emploi en raison d'une connaissance insuffisante de l'anglais ou qu'il ait été victime de harcèlement linguistique.

II. ANALYSE

A. Plainte aux termes de l'article 7

[188] Aux termes de l'article 7 de la Loi, le fait de défavoriser un employé en cours d'emploi constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un des motifs de distinction illicite, notamment la couleur. Le fait de renvoyer un employé pour un tel motif de distinction illicite constitue également un acte discriminatoire.

[189] Il incombe à la partie plaignante d'établir l'existence d'une preuve prima facie de discrimination. Pour établir l'existence d'une telle preuve, on se fonde surtout sur l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536, par. 28 (l'arrêt O'Malley). Dans cet arrêt, la Cour précise que la preuve prima facie est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la partie plaignante en l'absence de réplique de la partie intimée. Une fois que l'existence d'une preuve prima facie a été établie, il appartient à la partie intimée de fournir une explication raisonnable montrant que les prétentions relatives au présumé acte discriminatoire ne sont pas fondées ou que la conduite reprochée était d'une façon ou d'une autre non discriminatoire. Si une explication raisonnable est fournie, il revient à la partie plaignante de démontrer que l'explication n'est qu'un prétexte (voir Basi c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (no 1) (1988), 9 C.H.R.R. D/5029, au par. 38474 (T.C.D.P.); Lincoln c. Bay Ferries Ltd., 2004 C.A.F. 204, aux par. 17 et 18).

[190] Pour que la plainte soit fondée, il n'est pas nécessaire que la discrimination constitue le seul motif sous-jacent à la conduite jugée répréhensible. Il suffit qu'elle soit l'un des facteurs qui ont joué dans la décision de l'employeur (Holden c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1991), 14 C.H.R.R. D/12, au par. 7 (C.A.F.)). Dans les affaires de discrimination, la norme de preuve est celle qui s'applique dans les causes civiles ordinaires, soit la prépondérance des probabilités.

[191] Comme on l'a fait remarquer dans Basi (précitée) au paragraphe 38481, la discrimination n'est pas un phénomène qui se manifeste ouvertement, comme on serait porté à le croire. Il est rare en effet qu'on puisse prouver par des preuves directes qu'un acte discriminatoire a été commis intentionnellement. Le tribunal doit donc tenir compte de toutes les circonstances pour déterminer s'il existe de subtiles odeurs de discrimination. On peut conclure à la discrimination quand la preuve présentée à l'appui rend cette conclusion plus probable que les autres conclusions ou hypothèses possibles (B. Vizkelety, Proving Discrimination in Canada, (Toronto : Carswell, 1987), à la p. 142; voir aussi Chopra c. Ministère de la Santé nationale et du Bien-être social (2001), 40 C.H.R.R. D/396 (TCDP)).

B. Preuve prima facie

[192] Le plaignant a soutenu qu'il a fait l'objet d'un traitement différent tout au cours de sa FPR et que sa couleur est un facteur qui a joué à cet égard. Il prétend également que sa couleur a influencé la décision de mettre fin à son emploi ou, subsidiairement, que les comportements abusifs à son endroit ont nui à son rendement et ont entraîné, en bout de ligne, son congédiement.

[193] Le plaignant prétend avoir été traité de façon différente par les trois formateurs chargés de sa formation. En ce qui concerne le gend. Haney, il cite les éléments suivants :

- chronométrage des délais d'intervention du plaignant;

- chronométrage de la rédaction de ses rapports;

- insistance pour qu'il récrive ses rapports;

- refus de l'autoriser à utiliser les ordinateurs du bureau;

- insistance sur la nécessité de modifier la présentation de son carnet;

- refus de faire mention de ses bons coups ou actions louables dans les rapports d'évaluation;

- fait de crier constamment après lui;

- fait d'avoir affirmé quelques semaines après le début de sa FPR qu'il n'était pas fait pour être policier et qu'il devrait songer à quitter la GRC.

[194] Le plaignant a prétendu que les autres stagiaires n'ont pas été traités de cette manière. Il estime que sa couleur a influencé le comportement du gend. Haney à son endroit; à l'appui de son allégation, il a mentionné :

- le fait qu'il le surnommait OBO ou cul de Kirby Puckett;

- le fait qu'il lui ait demandé à lui et au gend. St-Fleur s'ils s'étaient serrés la main à la façon des Noirs.

[195] Le plaignant a soutenu non seulement que le terme OBO rappelle les ventes d'esclaves aux enchères, mais aussi que le gend. Haney faisait référence en l'utilisant à l'erreur qu'il avait faite lors de sa première journée de travail. Il s'agissait donc d'un terme évoquant un manque d'intelligence, ce qui selon ses dires, est un stéréotype raciste négatif associé aux personnes de race noire.

[196] Le plaignant a cité à témoigner le Dr Frances Henry, Ph.D., F.R.S.C., à titre dexperte en raison de sa vaste connaissance des notions de racisme, de discrimination raciale et de harcèlement dans la société en général et en milieu de travail dans la perspective des sciences sociales. Dans son témoignage, elle a indiqué que l'allusion à Kirby Puckett, qui est réputé pour son gros derrière, visait à attirer l'attention sur [TRADUCTION] l'un des attributs physiques bien connus d'un grand nombre de personnes d'origine africaine - leur postérieur aux rondeurs robustes. Elle soutient qu'il s'agissait donc d'un surnom déplacé, compte tenu particulièrement de la relation asymétrique qui existait entre le formateur et son stagiaire. Le plaignant ne pouvait guère contester l'emploi d'une telle terminologie et n'avait d'autre choix que de l'accepter en silence.

[197] Le fait que le gend. Haney chronométrait sans cesse le plaignant dans son travail donnait à croire que ce dernier était paresseux et lent. Selon le Dr Henry, il est possible que cette pratique corresponde à un autre stéréotype, vu [TRADUCTION] l'image forte et très négative voulant que les Noirs soient lents.

[198] Le plaignant a allégué avoir continué de faire l'objet d'un traitement différent alors qu'il était sous la tutelle du gend. Carr. Ce dernier chronométrait ses activités, ne faisait pas mention dans les rapports d'évaluation de ses actions dignes de louange et avait tenté de le persuader de quitter la GRC. De l'avis du plaignant, le gend. Carr a aussi joué un rôle dans la décision du gend. Marx d'établir une deuxième fiche de rendement relativement au quart où il avait fait équipe avec lui, afin d'annihiler le message positif que véhiculait au sujet du plaignant une fiche de rendement antérieure.

[199] On a fait valoir que l'attitude générale du gend. Carr ne favorisait pas l'établissement d'une zone de confort entre les deux hommes et faisait en sorte que le plaignant hésitait à poser des questions et à demander conseil. Les lacunes dans sa formation antérieure, qui étaient attribuables à la piètre façon dont il avait été traité par le gend. Haney, étaient donc exacerbées. Son rendement s'en est certes ressenti.

[200] Le plaignant a continué d'être traité de façon différente durant la deuxième période de prolongation de sa FPR, alors qu'il était sous la tutelle du gend. McDonald. De l'avis du plaignant, les circonstances entourant l'incident du 6 décembre 1997 illustrent clairement qu'il a fait l'objet d'un traitement différent comparativement aux autres recrues et membres de la GRC. Non seulement a-t-il été confronté et physiquement agressé par le gend. McDonald dans le hall d'entrée de l'immeuble, mais on lui a par la suite collé trois fiches de rendement 1004 négatives - un fait sans précédent qui a pratiquement scellé son sort. Le plaignant a soutenu avoir à nouveau été persécuté lors de l'intervention auprès de l'adolescente qui n'avait pas payé sa course en taxi. Les policiers de rang supérieur l'ont alors ridiculisé. Leurs gestes étaient injustifiés.

[201] En outre, le gend. McDonald, à l'instar des autres formateurs, n'a pas tenu compte de certains bons coups du plaignant. En fait, le plaignant se demande comment on en est venu à prendre la décision de le congédier, compte tenu de l'excellent rendement qu'il a affiché lors de la dernière série de quarts de travail et du sommet de l'APEC. Il croit qu'un autre élément peut avoir joué un rôle - la discrimination fondée sur sa couleur.

[202] À l'appui de cette affirmation, le plaignant a cité les trois incidents suivants :

- le dessin du gend. McDonald dans lequel certains traits physiques du gend. St-Fleur, un policier de race noire, étaient exagérés et le commentaire subséquent du gend. McDonald comparant les traits du gend. St-Fleur avec ceux du plaignant;

- la remarque du gend. McDonald donnant à entendre que le gend. St-Fleur était plus sale que la cravate du gend. McDonald;

- les commentaires négatifs du gend. McDonald à l'égard des politiques d'équité en matière d'emploi de la GRC.

[203] Par ailleurs, le plaignant a allégué qu'il s'est produit en quelque sorte une réaction en chaîne d'une période de FPR à l'autre. À son avis, les rapports d'évaluation établis au cours de sa première période de FPR ont été empreints de l'attitude discriminatoire du gend. Haney. Les perceptions négatives à l'égard du plaignant ont persisté, ces rapports étant lus par les autres formateurs qui lui ont succédés, lesquels ont, par conséquent, été influencés par l'attitude discriminatoire du gend. Haney. Cette situation a déteint naturellement sur d'autres membres du détachement. Ainsi, de nombreux témoins qui travaillaient au détachement à l'époque savaient que le plaignant était surnommé OBO et connaissaient même l'origine de ce surnom (annonces concernant des voitures usagées). De l'avis du plaignant, la rumeur voulant que le gend. Haney ait une piètre opinion de son rendement s'était de la même façon propagée aux autres policiers du détachement.

[204] Bien que son rendement durant sa FPR ait été évalué par les trois formateurs qui ont travaillé directement avec lui, le plaignant a soutenu que son congédiement déguisé était une décision qui, en bout de ligne, appartenait à l'insp. Schlecker. Son dossier renfermait, selon ses dires, de nombreux commentaires offensants de l'insp. Schlecker illustrant les préjugés de ce dernier à l'égard des minorités visibles. Le plaignant a mentionné, à titre d'exemples, l'emploi du terme personne de couleur (coloured) et le commentaire au sujet du Canadien moyen de race blanche et d'origine européenne.

[205] En outre, le plaignant a allégué que ces remarques dénotaient l'existence de préjugés répandus contre les minorités visibles qui déteignaient sur l'ensemble du détachement de Burnaby. Certains témoins ont admis que le terme DWO (driving while oriental - Asiatique au volant) avait parfois été employé à l'époque par quelques policiers. L'emploi de ce terme et les commentaires de l'insp. Schlecker dénotaient ce que le Dr Henry a appelé le discours dissociatif - nous et eux - que tenait le personnel du détachement de Burnaby, où les membres de groupes minoritaires étaient perçus comme des étrangers.

[206] En définitive, la situation du plaignant se résume à un point qui est simple. Il est un homme de race noire qui, malgré le fait qu'il a réussi sa formation à la Division Dépôt, s'est fait dire qu'il ne réussirait pas sa FPR et ne serait pas embauché comme membre régulier. En fait, il a été congédié par la GRC. Selon la preuve, à l'époque où le plaignant a suivi sa FPR, les seules personnes qui avaient eu besoin d'une prolongation pour réussir leur FPR au détachement de Burnaby étaient deux hommes de race noire (le gend. St-Fleur et le gend. Knight). Il semblerait que peu de temps avant la FPR du plaignant, une femme de race blanche n'ait pas réussi sa FPR. De plus, le gend. St-Fleur, à l'instar du plaignant, s'est fait dire par son premier formateur (gend. Marx) pendant sa FPR qu'il devrait songer à s'orienter vers une autre carrière. Le gend. Marx estimait également que le gend. St-Fleur devait améliorer sa capacité de définir les problèmes et ses compétences décisionnelles.

[207] Compte tenu de tous les éléments mentionnés précédemment, et compte tenu du critère O'Malley, je suis convaincu que si l'on ajoute foi à ces allégations, celles-ci sont complètes et suffisantes pour justifier un verdict en faveur de la partie plaignante en l'absence de réplique de la partie intimée. L'existence d'une preuve prima facie a été établie.

C. L'explication de la GRC

[208] Selon la GRC, le plaignant a été congédié parce qu'il n'avait pas les compétences requises pour être un membre régulier. Aucun autre élément n'a joué dans son congédiement. Les policiers jouissent de pouvoirs extraordinaires dans l'exercice de leurs fonctions. Par conséquent, il est essentiel qu'ils soient fiables et honnêtes et qu'ils aient un bon jugement. Il s'agit là d'une exigence professionnelle justifiée. C'est au cours de la période de stage qu'un corps de police évalue ces qualités essentielles chez une recrue. Si un nouveau membre ne démontre pas qu'il satisfait à ces exigences, il est alors dans l'intérêt public de mettre fin à son emploi.

[209] De l'avis de l'intimée, le plaignant n'a pas les qualités et les aptitudes requises pour exercer un bon jugement de façon régulière et prévisible. La preuve montre qu'il était incapable sous le stress de raisonner comme il se doit et qu'il ne pouvait expliquer ni justifier les décisions qu'il prenait. Il n'a pas réussi non plus à prouver qu'il était constamment en mesure de tenir compte de toutes les circonstances lorsqu'il devait prendre une décision.

[210] Un employé en stage ne jouit pas de la même sécurité d'emploi qu'un employé permanent. L'employé en stage est soumis à une période d'essai, de démonstration ou d'examen de ses qualifications et de son aptitude à exercer un emploi régulier en tant qu'employé permanent (Jacmain c. Procureur général (Canada), [1978] R.C.S. 15, à la p. 38). L'employeur peut mettre fin à l'emploi d'un employé en stage s'il est d'avis que ce dernier n'a pas réussi à atteindre les normes établies et que son rendement est insatisfaisant.

[211] Dans Daniels v. Hamilton-Wentworth (Regional Municipality) Police Services Board (no. 2) (1996), 31 C.H.R.R. D/189 (commission d'enquête de l'Ontario), ce principe a été appliqué dans le contexte de l'embauche de policiers. Le plaignant alléguait avoir été traité différemment et avoir été congédié presque à la fin de son stage de gendarme en raison de sa race et de sa couleur. La commission d'enquête a conclu que sa race n'avait pas influencé la décision, tout en faisant remarquer (paragraphe 125) que l'employeur a le droit de congédier un employé s'il est d'avis qu'il est peu probable que ce dernier atteindra les normes de rendement en vigueur au sein de l'organisation. Les critiques à l'égard du rendement sont des éléments qui peuvent être légitimement pris en compte lorsqu'il s'agit d'évaluer si un gendarme stagiaire a les qualités nécessaires pour devenir membre d'un service de police permanent.

[212] En l'espèce, le plaignant était de toute évidence en stage. Il devait satisfaire aux normes du programme de formation pratique à son sixième mois d'évaluation pour qu'on recommande qu'il soit admis dans les rangs de la GRC comme membre régulier. Si cette condition n'était pas remplie, l'employeur pouvait légitimement le congédier dans la mesure où sa décision nétait pas empreinte de mauvaise foi (voir Jacmain (précité), à la p. 37) et n'avait pas été influencée par une conduite illicite aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[213] La méthode d'évaluation appliquée par la GRC durant la formation pratique était dans une large mesure subjective. Les formateurs évaluaient les recrues en fonction de certains critères, mais les normes et méthodes d'évaluation pouvaient, on peut l'imaginer, varier d'un formateur à l'autre. Par exemple, le plaignant a soutenu que le gend. Haney était particulièrement rigide dans ses méthodes et ses évaluations. Toutefois, comme on l'a fait remarquer dans Folch c. Lignes aériennes Canadien International (1992), 17 C.H.R.R. D/261, au par. 165 (T.C.D.P.), le fait que l'employeur ait évalué les candidats selon des critères subjectifs ne rend pas en soi ses décisions d'embauche susceptibles de contestation aux termes de la Loi. Lorsque des critères subjectifs sont appliqués, il peut s'avérer nécessaire d'examiner plus minutieusement les décisions d'embauche afin de vérifier que les évaluations subjectives ne servent pas à masquer la discrimination. Il n'appartient pas au Tribunal d'approuver ou non chaque décision d'embauche prise par l'employeur durant la période visée. Son rôle consiste à déterminer si la partie plaignante a été victime de discrimination fondée sur l'un des motifs de distinction illicite invoqués.

[214] Le plaignant a-t-il satisfait aux normes de la GRC? Au dire de l'intimée, la réponse est indéniablement négative. La situation a été méticuleusement documentée non pas par un, mais bien par trois formateurs différents. Au début, il y avait plusieurs éléments inquiétants; toutefois, en bout de ligne, la préoccupation commune et principale de chacun des formateurs résidait dans l'aptitude à prendre des décisions, qui représentait l'un des 28 critères prescrits de compétence qui s'appliquaient aux recrues. La norme du programme de formation pratique énumère 11 compétences décisionnelles dont doit faire preuve une recrue pour réussir. La recrue doit être en mesure notamment :

de prendre des décisions professionnelles tenant compte des besoins de la collectivité, même dans des situations difficiles et stressantes;

d'examiner les diverses options possibles;

de tenir compte d'éléments d'information nouveaux ou de conseils et de réexaminer une décision;

de défendre de façon claire et concise ses décisions, et de répondre aux questions ou aux contestations.

[215] Selon l'intimée, les incidents décrits dans chacun des trois rapports d'évaluation des formateurs montrent que le plaignant n'avait pas les qualités requises relativement à chacune de ces compétences. Ainsi, il n'a manifesté aucune de ces quatre qualités lors de son intervention auprès de l'adolescente et du chauffeur de taxi dans la quatrième semaine de sa deuxième prolongation, peu avant sa démission de la GRC. Il n'était pas dans l'intérêt de la collectivité de procéder à l'arrestation de la jeune fille, ce qu'il a fait sans avoir examiné aucune solution de rechange. Il a été incapable de défendre sa décision lorsque des membres de rang supérieur l'ont remise en question et lorsque de nouveaux éléments d'information lui ont été fournis (la version de l'adolescente). Il a fallu qu'on l'incite à reconsidérer sa décision.

[216] En outre, en tentant de justifier ses erreurs et de se dérober aux critiques, il aurait délibérément induit en erreur des supérieurs, comme cela s'est produit dans l'incident auquel le cap. Waters a été mêlé et au cours duquel le plaignant a faussement déclaré qu'il était en cour toute la journée le 6 novembre 1997. Ce comportement montre, a-t-on soutenu, qu'il n'a pas l'honnêteté à laquelle on s'attend de la part d'un policier de la GRC.

[217] Les trois formateurs n'ont pas été les seuls à conclure que les compétences décisionnelles du plaignant laissaient à désirer. Le gend. Albert était d'avis que le plaignant portait rapidement un jugement et n'avait pas mûri sa décision lorsqu'il n'avait pas raccompagné jusqu'à son foyer collectif l'adolescente qui avait commis un vol à l'étalage. Le gend. Van Overbeek s'est plaint de la décision du plaignant de laisser un suspect sans surveillance sur les lieux d'un crime. Le gend. Akow a mis en doute sa décision de garder dans son casier pendant un mois une quantité de marijuana qui avait été saisie. Le gend. Merritt a reproché au plaignant de s'être concentré sur une querelle civile plutôt que de s'attarder au crime pour lequel il avait été appelé.

[218] Rien dans la preuve n'étaye l'allégation du plaignant voulant que ces policiers et les formateurs qui ont succédé au gend. Haney aient été d'une façon ou d'une autre influencés par les soi-disant préjugés raciaux du premier formateur. Après tout, Burnaby était un très gros détachement et le plaignant a travaillé au cours de sa FPR avec plusieurs équipes, pendant divers quarts de travail et dans trois districts différents. Le gend. McDonald ne connaissait même pas le gend. Haney et connaissait à peine le gend. Carr.

[219] Le plaignant a contesté la plupart des opinions négatives ayant trait à son rendement. Il prétend qu'il a été critiqué à tort et que ses versions et les explications qui ont transpiré des divers incidents cités n'ont pas été prises en compte. Dans la plupart des cas, le plaignant estime avoir agi comme il se doit ou pense que les erreurs qu'il a commises étaient sans conséquence et ne justifiaient pas les critiques formulées. C'est peut-être le cas; toutefois, à mon avis, nous ne devons pas perdre de vue le fait qu'il s'agissait d'une période de stage au cours de laquelle l'employeur évaluait de façon subjective les compétences du candidat. Le simple fait que le rendement du plaignant ait été critiqué par ses formateurs et d'autres policiers de rang supérieur ne prouve pas qu'il ait fait l'objet de discrimination. Tel qu'indiqué dans Folch, il n'appartient pas au Tribunal de trouver à redire à l'évaluation de rendement d'un employé s'il n'y a pas de preuves qu'elle a été influencée par un motif de distinction illicite. Il n'appartient pas non plus au Tribunal de contester le choix des méthodes de formation ou d'évaluation appliquées à l'égard d'un employé (chronométrage de ses interventions à la suite des appels, obligation d'utiliser une présentation particulière dans un carnet, etc.), dans la mesure où, répétons-le, la discrimination n'a pas influencé ce choix.

[220] Le plaignant a soutenu que si l'on tient compte de la preuve circonstancielle entourant sa FPR à Burnaby, on peut inférer que l'explication de la GRC n'est qu'un prétexte et qu'en fait, la couleur est un facteur qui a joué dans son congédiement. L'élément de preuve le plus souvent cité à l'appui de cette allégation est le fait que le gend. Haney l'ait affublé du surnom OBO et que ce surnom ait continué par la suite d'être employé par ses formateurs et d'autres personnes au détachement. Cependant, je n'accepte pas la prétention du plaignant voulant que ce terme soit chargé de connotations évocatrices des ventes d'esclaves aux enchères dans l'Amérique d'avant l'émancipation. Aucun ouvrage de référence (dictionnaire, encyclopédie, almanach, etc.) n'a été cité pour corroborer cette prétention. Au contraire, l'un des propres témoins du plaignant, le Dr Henry, une spécialiste des questions liées au racisme et à la discrimination raciale, a déclaré lors de son témoignage qu'elle n'avait jamais entendu parler de l'utilisation des termes OBO ou or best offer comme épithètes racistes. On a nettement l'impression qu'il s'agit d'une nouvelle acception qui est attribuable au seul but d'étayer sa cause. Je n'oublie pas que l'un des témoins du plaignant, le gend. Aubrey Bacchus, un policier de la GRC qui l'a côtoyé à Burnaby, a affirmé qu'il connaissait les prétendues connotations prêtées au terme OBO. Toutefois, son témoignage à cet égard était étonnamment similaire à celui du plaignant. Vu l'absence flagrante d'autres sources indépendantes attestant cette définition, le témoignage du gend. Bacchus est douteux. Par conséquent, je ne suis pas du tout persuadé que le terme comporte des connotations raciales.

[221] Mais qu'en est-il de l'allégation subsidiaire du plaignant selon laquelle ce surnom évoque un manque d'intelligence, ce qui correspond à un stéréotype raciste? À cet égard, je constate que le plaignant n'était pas la seule personne au sein de la GRC qui avait un surnom. Le cap. Cousins a témoigné qu'un policier ayant souffert de pédiculose lors de son séjour à la Division Dépôt avait été surnommé Bugs pendant plusieurs années. Le gend. McDonald a dit se souvenir qu'une autre recrue qui s'était, semble-t-il, méprise sur le sens de l'abréviation L.N.U. concernant un suspect (last name unknown - nom de famille inconnu) avait été surnommée ainsi. Le gend. Anthony Akow a indiqué qu'on le surnommait Silent H (H muet) du fait qu'il prononçait son prénom Antony. Le gend. Haney a affirmé qu'on le surnommait Dumbo à cause de la forme de ses oreilles, et Weenie Boy parce qu'il aimait les chiens chauds.

[222] Aucun de ces termes n'est particulièrement flatteur, voire respectueux de la dignité d'autrui. Le gend. Haney, entre autres, a confirmé qu'il est de plus en plus mal accepté au sein de la GRC de s'adresser à quelqu'un autrement que par son vrai nom. Il y a peut-être lieu de se réjouir de cette évolution. Toutefois, fait-il pour autant en conclure que les surnoms utilisés par le passé étaient discriminatoires? En ce qui touche le terme OBO, aucun des témoins qui employaient ce surnom lorsqu'ils s'adressaient au plaignant ou qui en connaissaient l'existence n'a donné à entendre qu'il était évocateur d'un manque d'intelligence de la part du plaignant. Au contraire, plusieurs témoins, dont le gend. Haney, ont noté qu'ils considéraient le plaignant comme une personne intelligente, voire amicale. L'explication du gend. Haney voulant que ce sobriquet ne faisait que refléter le niveau de camaraderie qui existait entre les membres du détachement est tout à fait conforme aux images qu'on peut voir sur la vidéocassette. Aucun des témoins n'a dit dans son témoignage que le plaignant lui avait déjà demandé de cesser de l'appeler ainsi. Au regard de l'ensemble de ces circonstances, je ne suis pas convaincu que l'utilisation de ce surnom par le gend. Haney donne à croire que ses opinions relativement à l'intelligence du plaignant étaient empreintes de connotations raciales ou discriminatoires.

[223] Le surnom cul de Kirby Puckett, du fait qu'il fait référence au réputé athlète d'origine afro-américaine, aurait pu sembler être plus étroitement lié à la couleur du plaignant, compte tenu particulièrement du témoignage relativement confus du plaignant quant à l'origine du terme. Le plaignant a donné l'impression qu'un jour, le gend. Haney s'est tourné vers lui soudainement et sans la prévenir alors qu'il se changeait dans le vestiaire et l'a appelé cul de Kirby Puckett. Aucun contexte n'a été fourni. Il est malheureux que le plaignant ait décidé de ne pas expliquer l'origine de ce surnom dans sa preuve car cette décision aurait pu avoir un effet trompeur.

[224] Dans sa preuve, le gend. Haney a situé la scène en contexte et son explication n'a pas été contredite. Il a dit que le plaignant et lui avait une conversation joviale. Ils étaient heureux d'avoir réussi à appréhender un suspect après une chasse difficile. Le plaignant a prétendu qu'il pouvait courir plus vite que le gend. Haney. Il semble tout à fait logique qu'une personne exerçant un rôle de formateur ait pu demander à son élève, sur un ton sarcastique, en défendant ses propres talents de coureur, s'il se prenait pour un athlète professionnel. On a demandé au gend. Haney en contre-interrogatoire pourquoi il avait choisi le nom d'un athlète de race noire. Il a expliqué que Kirby Puckett est un athlète qui, de par son gabarit et sa couleur, ressemblait au plaignant. À mon avis, le choix d'un Noir comme élément de comparaison ne donne pas forcément à l'expression une connotation biaisée ou défavorable. Si le gend. Haney désirait citer le nom d'un athlète, aurait-il nécessairement fallu qu'il opte pour un athlète de race blanche pour ne pas risquer de se faire taxer de raciste, comme le prétend le plaignant? Cela semble absurde.

[225] Est-ce que l'ajout des mots cul (Ass) évoque de façon humiliante ce que le Dr Henry a appelé une [TRADUCTION] caractéristique physique bien connue des personnes d'origine africaine? Il existe certes de nos jours plusieurs expressions idiomatiques populaires renfermant le mot cul (Ass) qui ne font pas nécessairement référence au postérieur d'une personne. Ainsi, l'expression anglaise smart-ass désigne un smart aleck (Monsieur je-sais-tout) (voir le New Shorter Oxford English Dictionary), tandis que l'expression hard-ass (dur à cuire) est une expression populaire servant à désigner [TRADUCTION] une personne qui suit ou applique rigoureusement les règles (American Heritage Dictionary of the English Language, quatrième édition). Le gend. Haney a affirmé qu'aucune raison particulière ne l'avait incité à ajouter les mots cul (Ass) dans le nom, bien qu'il ait indiqué qu'il associait la rapidité du plaignant et de Kirby Puckett comme coureurs à un torse inférieur robuste. Il a catégoriquement nié qu'il voulait ainsi faire allusion à la race ou à la couleur du plaignant.

[226] Le plaignant a soutenu que même si ce n'était pas là l'intention du gend. Haney, les prétendus stéréotypes sous-tendaient de manière subconsciente ses commentaires. Le Dr Henry a décrit dans son témoignage un phénomène qu'elle a appelé [TRADUCTION] la blancheur dans le discours, expliquant que les personnes de race blanche ne sont généralement pas conscientes de leur classement racial comme Blancs et ne se rendent pas compte du fait qu'elles voient le monde à travers leurs yeux de Blancs. À mon avis, bien que l'interprétation donnée par le plaignant soit certes plausible, l'explication du gend. Haney, dans le contexte particulier de la conversation relatée, semble tout aussi convaincante.

[227] En ce qui touche la remarque du gend. Haney concernant la façon dont les hommes de race noire se serrent la main, le plaignant a allégué qu'elle illustrait ce que le Dr Henry a décrit comme le discours dissociatif - nous et eux. Selon ses dires, elle prouverait que le gend. Haney perçoit les policiers de race noire de la GRC comme des étrangers. En revanche, le gend. St-Fleur n'a pas vu de ton raciste dans le commentaire. Peut-on en déduire qu'il s'agissait d'une remarque comportant des connotations raciales? Je ne suis pas convaincu que l'interprétation donnée par le plaignant soit plus probable que celle donnée par le gend. St-Fleur et la GRC. Je ne suis donc pas persuadé que la remarque comportait des connotations raciales.

[228] Le plaignant a semblé donner à entendre que l'attitude froide du gend. Haney envers Mme Cerrato prouvait d'une certaine manière qu'il avait des préjugés. Je ne vois pas comment. L'explication du gend. Haney est raisonnable. Ses relations avec le plaignant étaient plus ou moins tendues lorsqu'elle est arrivée à Burnaby vers la fin de décembre 1996. Après tout, c'est à peu près à ce moment que le plaignant s'est plaint au cap. Fischer des méthodes de formation du gend. Haney. Rien n'indique que cette explication est sans fondement ou est un prétexte.

[229] Il est difficile d'accepter la prétention du plaignant selon laquelle le gend. Haney et le gend. Carr, en chronométrant ses activités, donnaient expressément ou implicitement à croire qu'il était paresseux et, par inférence, appliquaient un stéréotype généralement associé aux Noirs. C'est un fait qu'à son arrivée à Burnaby, le plaignant ne connaissait pas la région et affichait des temps de réponse lents. En outre, plusieurs policiers de rang supérieur en plus du gend. Haney et du gend. Carr ont reconnu qu'il fallait beaucoup de temps au plaignant pour rédiger ses rapports. Le chronométrage visait à améliorer les temps de réponse du plaignant; en fait, cet objectif a été atteint. Cette pratique a peut-être causé un stress supplémentaire au plaignant mais, comme je l'ai indiqué précédemment, il n'appartient pas au Tribunal de déterminer si telle ou telle méthode de formation est pertinente ou non. On pourrait dire la même chose des prétendues vociférations du gend. Haney, réaction que ce dernier a niée et qui n'a été corroborée par aucun autre témoin.

[230] Par ailleurs, il convient d'ajouter que, selon la norme du programme de formation pratique, les formateurs n'étaient manifestement pas censés donner dans leurs rapports d'évaluation des exemples de conduite montrant que l'employé avait atteint la norme appropriée. Ils ne devaient faire mention que des cas où le stagiaire n'avait pas atteint la norme ou avait affiché un rendement supérieur. Je ne vois donc pas de problème à ce que les formateurs aient fait état des prétendues actions négatives dans leurs rapports. C'est ce à quoi on s'attendait d'eux.

[231] Le plaignant n'a présenté aucun élément de preuve précis qui pourrait permettre d'inférer que la discrimination a influencé le comportement du gend. Carr, si ce n'est le fait que ce dernier a continué d'appliquer les techniques pratiques et de formation qu'avait adoptées le gend. Haney. De plus, certains éléments de preuve montrent que le gend. Carr (comme d'ailleurs le gend. Haney) ont fait des efforts supplémentaires pour aider le plaignant à réussir sa FPR : le gend. Carr a enregistré sur bande sonore des scénarios factuels à l'intention du plaignant; le gend. Haney a donné chez lui des séances de formation spéciales. De plus, si on fait abstraction des soupçons du plaignant, aucun élément de preuve ne confirme la prétention voulant que le gend. Carr ait eu quoi que ce soit à voir avec la rédaction par le gend. Marx d'une deuxième fiche de rendement 1004. Au contraire, la preuve montre que c'est le cap. Avery qui a demandé la révision.

[232] La situation est quelque peu différente dans le cas du dernier formateur, le gend. McDonald. Le plaignant a allégué que son portrait du gend. St-Fleur a révélé ses préjugés. Cependant, je n'accorde aucun poids à cette preuve. Il s'agit ici d'un présumé incident aux connotations discriminatoires relativement évidentes. Cependant, le plaignant n'a pas relaté l'incident à qui que ce soit à l'époque et il n'y a pas non plus fait allusion dans ses commentaires sur son rapport final d'évaluation. En outre, il n'a soulevé l'incident ni dans sa plainte au CLO ni dans sa plainte à la Commission des droits de la personne, et il n'en a pas parlé à l'enquêteur de cette dernière. L'incident en question a été soulevé pour la première fois en février 2003 au moment de la divulgation des faits pertinents en l'espèce et, de surcroît, nous avons appris à l'audience que le plaignant s'est soudainement souvenu à la dernière minute que l'auteur de la caricature et la personne dépeinte n'étaient pas ceux mentionnés dans le document communiqué au stade de la divulgation. Les allégations du plaignant à l'égard du dessin ne sont tout simplement pas crédibles.

[233] La conversation du gend. McDonald avec le gend. St-Fleur où les deux hommes se sont demandés lequel des deux était le plus sale s'apparente à celle portant sur les hommes de race noire. Plusieurs interprétations sont possibles. Le gend. St-Fleur, qui a directement pris part à la conversation, a affirmé qu'il y a eu méprise de la part du plaignant et que la remarque portait sur son gilet et non sur la couleur de sa peau.

[234] Enfin, il y a les commentaires au sujet du programme d'équité en matière d'emploi de la GRC. Je ne suis pas persuadé que l'expression par le gend. McDonald d'une opinion à ce sujet montre nécessairement son intolérance à l'égard d'autrui. Le plaignant a admis que la discussion à ce sujet avait été civilisée. L'interaction entre les politiques sur l'équité en matière d'emploi et les mécanismes traditionnels de dotation est un sujet qui revient souvent dans les conversations. En fait, les dispositions et l'application de la Loi sur l'équité en matière d'emploi, L.R.C. ch. E-5, font elles-mêmes l'objet d'un examen détaillé de la Chambre des communes tous les cinq ans (art. 44). Par conséquent, je ne crois pas qu'on puisse conclure que les commentaires du gend. McDonald à ce sujet dénotent une tendance raciste ou discriminatoire.

[235] L'insp. Schlecker a formulé plusieurs remarques au sujet de l'appartenance du plaignant à une minorité visible, tant dans la documentation qu'il a présentée au cours de l'enquête de la Commission que dans son témoignage. Ses commentaires illustrent certes le discours dissociatif (nous et eux). Le fait qu'il semble croire à l'existence de Canadiens ordinaires d'une couleur ou origine particulière est déconcertant. Il est étonnant également qu'un membre de la GRC ayant autant de prestige et d'expérience puisse qualifier les gens d'ascendance africaine de personnes de couleur (coloured), faisant ainsi fi de la signification de ce terme et de l'histoire regrettable qui se cache derrière. Néanmoins, il ressort clairement de la preuve que, même si la décision formelle de congédier le plaignant a été prise par l'insp. Schlecker, ce dernier s'en est simplement remis, en fait, aux opinions des formateurs et superviseurs du plaignant ainsi que du cap. Cousins. De toute évidence, il n'a pas joué un rôle déterminant dans le processus.

[236] L'intimée a soutenu qu'on ne peut conclure à la discrimination à partir des expériences du gend. St-Fleur et du gend. Knight. Le gend. St-Fleur a témoigné qu'il avait un conflit de personnalité avec son formateur, le gend. Marx, et qu'ils ne s'entendaient pas sur la manière d'exercer le métier de policier. Par conséquent, il a lui-même demandé qu'on lui affecte un nouveau formateur avec lequel il a établi de meilleurs rapports. Il a finalement réussi sa FPR. Dans son témoignage, il a affirmé qu'il ne croyait pas que le gend. Marx ait fait montre d'une attitude discriminatoire à son endroit. Le gend. Marx et lui n'étaient tout simplement pas sur la même longueur d'onde.

[237] Fait intéressant, le nouveau formateur du gend. Knight était le gend. McDonald. C'est sous sa tutelle que le gend. Knight a réussi sa FPR. Le gend. Knight a trouvé le gend. McDonald très juste et détendu. Il était à l'aise de travailler avec son formateur. La formation du gend. Knight a dû être prolongée parce qu'on a jugé après les premiers six mois qu'il avait encore des lacunes sur le plan de la rédaction des rapports, à cause peut-être de sa dyslexie. L'intimée a allégué que s'il y a un élément commun entre le plaignant et le gend. St-Fleur qui avait peut-être influencé leur rendement au cours de leur FPR, ce n'était pas la discrimination fondée sur la couleur. Tous deux étaient francophones et travaillaient dans un milieu unilingue anglais, ce qui les désavantageait nettement. Toutefois, que cela ait été le cas ou non, l'expérience des deux autres policiers et celle du plaignant ne comportent pas, à mon avis, suffisamment de similitudes pour permettre de tirer quelque inférence que ce soit. Tout compte fait, il existe une différence fondamentale entre les deux autres recrues et le plaignant : ils ont réussi leur FPR et le plaignant a échoué la sienne.

[238] Est-ce que de subtiles odeurs de discrimination se dégagent de toute cette preuve? À mon avis, la réponse est non. Les éléments de preuve présentés à l'appui de la prétention du plaignant ne rendent pas l'inférence de discrimination plus probable que l'inférence inverse. Au contraire, compte tenu de ce qui a transpiré après le départ du plaignant de Burnaby, je suis persuadé que les explications fournies par l'intimée sont raisonnables et complètes.

[239] La demande d'emploi de policier que le plaignant a présentée au SPCUM après son retour à Montréal a été rejetée à peu près pour les mêmes raisons que celles citées par la GRC. Le SPCUM en est arrivé aux mêmes conclusions, malgré le fait qu'il ne connaissait absolument pas les évaluations du plaignant et les circonstances entourant son départ de la GRC. Après l'avoir interviewé et soumis à des tests, le jury de sélection a constaté qu'il était trop rigide dans ses décisions, qu'il appliquait les lois à la lettre sans tenir compte de tous les éléments (y compris l'avis d'un collègue) et qu'il n'était pas ouvert aux critiques. Le Dr Girard en est arrivée indépendamment à des conclusions semblables après l'examen psychométrique du plaignant. Ses conclusions présentent d'étonnantes similitudes avec celles tirées par chacun des trois formateurs du plaignant, sans parler des autres membres de la GRC qui ont fait des observations au sujet de son rendement.

[240] En dépit du fait que le plaignant n'ait pas été embauché par plusieurs autres services de police, l'intimée a décidé de mettre particulièrement l'accent à l'audience sur la demande d'emploi que le plaignant a présentée au service de police de l'Île-Perrot. Le plaignant s'est présenté à l'examen d'embauche sans avoir étudié les lois de la province de Québec. Comme il n'était pas préparé à l'examen, il a échoué. L'intimée a soutenu qu'il aurait été logique de s'attendre à ce qu'un examen administré par un service de police municipal du Québec porterait sur les lois provinciales. Le fait que le plaignant n'ait pas été conscient de la chose et ne se soit pas préparé en conséquence dénote le manque de jugement qu'avaient constaté ses formateurs et superviseurs à Burnaby.

[241] Même l'employeur actuel du plaignant, ADM, a relevé certaines lacunes relativement à son aptitude à rédiger des rapports (lesquelles avaient d'ailleurs été décelées également par la GRC au début de la première période de prolongation) et à ses réponses concernant un scénario de crime.

[242] Par ailleurs, on trouve également après le retour du plaignant à Montréal des preuves du manque d'honnêteté que la GRC avait, selon ses allégations, constaté au cours de la FPR. Il n'a jamais informé aucun de ses employeurs éventuels ou réels des véritables circonstances relatives à son emploi au sein de la GRC. Je peux comprendre l'explication que le plaignant a donnée au cours de son témoignage. Sa situation financière était précaire et il craignait qu'une telle divulgation compromette ses possibilités d'emploi. Toutefois, je n'oublie pas qu'au moins deux de ses employeurs avaient précisé qu'une fausse déclaration entraînerait presque automatiquement le rejet de la candidature. Il a néanmoins décidé de dissimuler l'information.

[243] Il est précisé dans Folch qu'on devrait faire preuve d'une plus grande circonspection à l'égard des décisions d'embauche prises en fonction de critères subjectifs. J'ai examiné de près les décisions de la GRC, et je suis convaincu que l'explication quant au refus d'embaucher le plaignant est raisonnable, particulièrement à la lumière des évaluations indépendantes, mais étonnamment similaires, des autres employeurs. Je ne suis pas persuadé, selon la prépondérance des probabilités, qu'une discrimination fondée sur la couleur du plaignant ait joué dans l'échec de sa FPR.

[244] Il ne fait aucun doute qu'il est peu probable qu'on exerce ouvertement au Canada des mesures discriminatoires, particulièrement au sein d'organismes comme la GRC. Un tribunal des droits de la personne doit inéluctablement enquêter sur toutes les circonstances en vue de déceler la présence d'odeurs infâmes mais subtiles de discrimination. Je me suis livré à cet exercice en l'espèce et j'ai conclu que la preuve circonstancielle de présumée discrimination, particulièrement en ce qui touche la conduite des formateurs et d'autres membres de rang supérieur à Burnaby, était au mieux équivoque. Le bien-fondé d'une plainte ne peut être établi si la partie plaignante ne démontre pas que l'inférence qu'elle voudrait qu'on tire est plus probable que celle proposée par la partie intimée. En l'espèce, je suis persuadé que non seulement l'explication de la GRC est plus probable, mais aussi qu'elle est la cause unique et véritable du congédiement du plaignant. La discrimination fondée sur la couleur n'a pas été un facteur en l'espèce.

D. Plainte aux termes de l'article 14

[245] Aux termes de l'article 14 de la Loi, le fait de harceler un individu en matière d'emploi constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite.

[246] Le harcèlement jugé illicite aux termes de la Loi a été défini de façon générale comme une conduite non sollicitée qui a un effet défavorable sur le milieu de travail ou qui a des conséquences préjudiciables en matière d'emploi pour la victime (Janzen c. Platy Enterprises Ltd. [1989] 1 R.C.S. 1252, à la p. 1284; Rampersadsingh c. Wignall (no 2) (2002), 45 C.H.R.R. D/237, au par. 40 (T.C.D.P.)). Dans Canada (RHC) c. Canada (Forces armées) et Franke, [1999] 3 C.F. 653, aux par. 29 à 50 (C.F., 1re inst.) (Franke), la juge Tremblay-Lamer définit le critère servant à déterminer s'il y a harcèlement aux termes de la Loi. Pour établir le bien-fondé d'une plainte, il faut prouver ce qui suit :

  1. Il faut montrer que la présumée conduite de la partie intimée est liée au motif de distinction illicite invoqué dans la plainte (en l'espèce, la couleur du plaignant). Cette démonstration doit être fondée sur la norme de la personne raisonnable dans les circonstances entourant l'affaire, en gardant à l'esprit les normes de la société.
  2. Il faut prouver que les actes jugés répréhensibles étaient importuns. Afin de déterminer s'il s'agissait d'actes importuns, on tient compte de la réaction de la partie plaignante au moment où les présumés incidents de harcèlement se sont produits et on détermine si celle-ci a expressément montré, par son comportement, que la conduite reprochée était importune. Il n'est pas nécessaire dans tous les cas de déterminer si un refus verbal a été exprimé; le fait d'omettre à maintes reprises de répondre aux commentaires de l'auteur du harcèlement constitue pour ce dernier une indication que sa conduite était importune. La norme à appliquer en vue d'apprécier la conduite est celle de la personne raisonnable dans les mêmes circonstances.

  3. Pour qu'il y ait harcèlement, il faut habituellement la présence d'un élément de persistance ou de répétition; toutefois, dans certaines circonstances, un seul incident peut suffire à créer un milieu de travail hostile. Ainsi, une seule agression physique peut être suffisamment grave pour constituer du harcèlement, mais une plaisanterie vulgaire, même si elle est de mauvais goût, ne suffira généralement pas pour constituer du harcèlement, étant donné qu'elle est moins susceptible, à elle seule, de créer un milieu de travail défavorable. On se fonde également sur le critère objectif de la personne raisonnable pour évaluer cet élément.
  4. (iv) Enfin, si un employeur fait l'objet d'une plainte ayant trait à la conduite d'un ou de plusieurs de ses employés, comme c'est le cas en l'espèce, l'équité exige que la victime du harcèlement avise, si possible, l'employeur de la présumée conduite offensante. Cette exigence existe lorsqu'il y a chez l'employeur un service du personnel ainsi qu'une politique générale et véritable en matière de harcèlement sexuel, y compris des mécanismes de redressement appropriés.

E. La conduite reprochée était-elle liée à la couleur du plaignant?

[247] Le plaignant a allégué avoir été victime à la fois d'un harcèlement direct, plus ciblé, ainsi que d'un harcèlement plus vaste et général. Il soutient que l'emploi des surnoms OBO et cul de Kirby Puckett constituait nettement un harcèlement fondé sur la couleur. Par ailleurs, il prétend que la façon sévère dont il a été traité pendant sa formation, les évaluations injustes et la micro-gestion générale de sa FPR ont globalement constitué une autre forme de harcèlement.

[248] J'ai commenté précédemment l'emploi du terme OBO. Je ne suis pas persuadé qu'il comporte une connotation raciale. Dans Stadnyk c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration) (2000), 38 C.H.R.R. D/290, au par. 25, la Cour d'appel fédérale a indiqué que si l'auteur de la plainte de harcèlement est une femme, la norme de la personne raisonnable devrait être adaptée à la norme d'une femme raisonnable. La Cour a fait remarquer que le tribunal a entendu les témoignages d'experts qui ont expliqué la différence entre un homme ou une personne raisonnable et une femme raisonnable quant à la façon de percevoir les choses. En l'espèce, nous ne disposons que de la preuve du Dr Henry, une spécialiste reconnue dans le domaine du racisme, qui a témoigné qu'elle n'avait jamais entendu parler de l'existence d'un lien entre le terme OBO et les ventes aux enchères d'esclaves. Toutefois, elle a indiqué que ce surnom évoquait un manque d'intelligence, ce qui correspond à un stéréotype raciste associé aux personnes de race noire. Comme je l'ai déjà indiqué, les véritables circonstances de l'espèce ne corroborent pas cette prétention. À l'instar d'autres sobriquets utilisés dans la GRC, ce surnom se voulait un signe de familiarité et de camaraderie. En tout état de cause, comme je l'expliquerai plus loin, les conclusions du Dr Henry étaient fondées sur une connaissance partielle des faits de l'espèce, ce qui en diminue nettement la valeur aux yeux du Tribunal. Je suis convaincu que l'emploi de ce surnom n'est pas raisonnablement lié au fait d'être une personne de race noire.

[249] D'autre part, je suis d'avis que la preuve corrobore l'argument voulant qu'une personne raisonnable percevrait le surnom cul de Kirby Puckett comme s'appliquant à une personne ayant la peau noire, et ce, quelle qu'ait été l'intention du gend. Haney. Je suis convaincu que Kirby Puckett est un joueur de base-ball d'origine afro-américaine qui, outre ses qualités athlétiques, était réputé pour son gros gabarit et sa musculature, et notamment pour ce que certains considéraient être un postérieur plutôt robuste. Au regard de certains stéréotypes racistes associés aux traits physiques des personnes d'ascendance africaine, il serait raisonnable qu'un Noir qui entend un tel surnom pense qu'on fait allusion à la couleur de sa peau.

[250] Cependant, je ne pense pas qu'une personne raisonnable, dans les circonstances de l'espèce, percevrait la micro-gestion de la formation du plaignant comme étant liée à sa couleur. Comme je l'ai déjà expliqué, le rendement du plaignant laissait à désirer, et l'employeur, particulièrement au cours de la période de stage, avait droit de recourir aux moyens jugés opportuns, tant pour former la recrue que pour l'évaluer.

[251] Comme je viens de l'indiquer, il est important à mon avis de faire remarquer qu'un grand nombre des assertions que le Dr Henry a faites au cours de son témoignage étaient fondées sur une connaissance partielle des faits de l'espèce. Avant qu'elle rédige son rapport et témoigne, on ne lui a présenté que quelques documents, notamment le rapport d'enquête de la Commission et un sommaire établi par l'avocat de la Commission. Il convient de noter qu'elle n'a eu la chance de prendre connaissance d'aucun des éléments de preuve ayant trait aux demandes d'emploi faites par le plaignant après son retour à Montréal. En outre, elle a été un des premiers témoins à témoigner en faveur du plaignant et, bien sûr, elle n'a entendu aucun des témoignages concernant le rendement du plaignant au cours de sa FPR, ceux-ci ayant été présentés par l'intimée plus tard durant l'audience. De façon générale, le Tribunal a des doutes à propos de nombreuses conclusions formulées par le Dr Henry dans son rapport et son témoignage. Elle a tiré beaucoup de conclusions en se fondant sur une information incomplète, tout en ayant parfois tendance à usurper le rôle du Tribunal.

[252] Le même genre de remarque s'applique également à une partie du témoignage du Dr Girard. Non seulement a-t-elle expliqué au cours de son témoignage ce qu'elle avait observé à la suite des tests administrés en 1998 pour le compte du SPCUM, mais l'intimée l'a aussi priée de tirer certaines conclusions relativement aux compétences du plaignant. Ces conclusions ont été formulées en se fondant, d'une part, sur les résultats de tests psychométriques administrés au plaignant par le CN et, d'autre part, sur sa présumée conduite pendant son séjour à Burnaby et par la suite. Le Dr Girard n'a pas eu la chance d'entendre tous les témoignages en l'espèce. En réalité, les faits sur lesquels elle a fondé certaines de ses hypothèses étaient incomplets. J'ai donc décidé de ne pas tenir compte de ces conclusions particulières.

F. La conduite reprochée était-elle importune?

[253] Le seul comportement qui, à mon avis, était lié à la couleur du plaignant est l'utilisation du surnom cul de Kirby Puckett. Dans son témoignage, le gend. Haney a affirmé que le plaignant n'avait montré aucun signe extérieur donnant à penser que ce surnom lui déplaisait. Au contraire, il riait et rendait la pareille à son formateur en l'appelant Dumbo. Le gend. Carr a témoigné qu'il avait vu le plaignant employer lui-même ce surnom dans des messages électroniques échangés avec le gend. St-Fleur. Lorsqu'il a expliqué l'origine du surnom au gend. Carr, le plaignant ne semblait pas être offusqué par son utilisation.

[254] Le gend. Haney a indiqué lors de son témoignage que si le plaignant lui avait dit que ce surnom l'offusquait, il aurait aussitôt cessé de l'utiliser. Le gend. Christine Briand, qui est francophone, a témoigné qu'à un moment donné au cours de sa carrière, quelqu'un l'a appelée Frenchie. Elle a formulé des objections à l'égard de l'utilisation de ce surnom, et on a aussitôt cessé de l'appeler ainsi.

[255] Le plaignant a soutenu que, vu la nature asymétrique de sa relation avec ses formateurs, entre les mains desquelles reposait son avenir dans la GRC, il n'avait d'autre choix que de s'abstenir de manifester extérieurement des signes de désapprobation. C'est une explication satisfaisante dans les circonstances. Il est raisonnable qu'un employé en début de carrière, particulièrement durant sa période de stage, soit réticent à mettre en péril son emploi en protestant contre les faits et gestes de son supérieur (voir Bouvier c. Metro Express (1992), 17 C.H.R.R. D/313, au par. 65 (T.C.D.P.); Woiden c. Lynn (2002), 43 C.H.R.R. D/296, au par. 104 (T.C.D.P.)).

[256] Le gend. Haney prétend que le choix du surnom n'était pas motivé par des considérations racistes ou discriminatoires; le plaignant prétend le contraire. Toutefois, aux fins de l'analyse de la question du harcèlement, la nature du surnom aux yeux du formateur n'est pas pertinente. Le surnom doit être examiné au regard d'une norme différente, celle de la personne raisonnable. À mon avis, une personne raisonnable comprendrait qu'il est peu probable qu'un Noir priserait une remarque pouvant être interprétée comme ridiculisant son derrière dans une optique raciste.

G. La conduite reprochée était-elle de nature suffisamment grave ou répétitive?

[257] Selon la preuve, le terme a été utilisé plus d'une fois. Au dire du gend. Haney, il n'a pas été utilisé plus de cinq fois. Le plaignant n'a pas donné de chiffre précis, affirmant qu'il avait été employé de façon répétée. Cependant, son témoignage à cet égard m'a paru inégal. Il a pris soin de préciser que le surnom OBO a été utilisé constamment, tout au cours de sa FPR, ce qui a été confirmé indépendamment par de nombreux témoins, mais il n'a pas fait d'affirmation similaire en ce qui touche l'expression cul de Kirby Puckett. Si on fait exception du témoignage du gend. Carr auquel je viens de faire référence, aucun autre témoin n'a dit avoir constaté qu'on surnommait ainsi le plaignant. Compte tenu de l'ensemble des circonstances, je suis convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que le gend. Haney n'a employé ce surnom qu'à quelques reprises, comme il l'a indiqué dans son témoignage, à l'époque où est survenu l'incident à l'origine de son invention (c.-à-d. dans le quatrième mois de la première période de FPR du plaignant).

[258] Lorsqu'elle prend la forme d'insinuations, de plaisanteries de mauvais goût et de stéréotypes racistes, la conduite reprochée doit être de nature persistante et fréquente pour constituer du harcèlement. Une seule et unique insinuation raciste, si grave soit-elle, ne constitue pas en soi du harcèlement au sens de la Loi (voir Rampersadsingh (précitée) au par. 54; Dhanjal c. Air Canada (1996), 28 C.H.R.R. D/367, au par. 212). En l'espèce, je ne suis pas persuadé qu'une personne raisonnable jugerait que ces cinq ou six occurrences au cours d'une brève période représentaient une fréquence ou un degré de gravité suffisants pour empoisonner le milieu de travail du plaignant et constituer une forme répréhensible de harcèlement aux termes de la Loi.

[259] Je ne doute pas un instant que le plaignant se soit vraiment senti mal à l'aise dans son milieu de travail et qu'il en soit même venu à appréhender d'aller travailler avec le gend. Haney, par crainte surtout d'essuyer des critiques. Il est fort probable qu'il considérait son milieu de travail comme empoisonné, mais je suis convaincu que ce n'est pas en raison d'un harcèlement fondé sur la couleur. C'est plutôt parce que sa formation ne s'était pas déroulée comme prévu, qu'il entretenait de mauvais rapports avec son formatteur et aussi parce qu'il n'avait pas obtenu les succès escomptés. C'est malheureux, mais je suis convaincu que sa couleur n'explique en rien les difficultés qu'il a éprouvées.

H. Notification de l'employeur

[260] Même si le surnom cul de Kirby Puckett était considéré comme une forme de harcèlement, le plaignant n'a pas informé ses superviseurs ou un autre officier supérieur de la GRC du comportement jugé offensant. La GRC disposait d'une vaste politique et infrastructure de lutte contre le harcèlement pour régler les problèmes de cette nature. La politique était assortie de toute une panoplie de mécanismes de redressement appropriés. Cependant, pour enclencher ce processus, encore fallait-il que la présumée victime fasse connaître le plus tôt possible ses objections au présumé auteur du harcèlement. Si le problème ne pouvait être résolu de cette manière, la victime devait signaler le harcèlement à ses superviseurs. Si le présumé auteur du harcèlement était un superviseur, il fallait que la victime signale le harcèlement au superviseur de l'auteur du harcèlement ou à son chef de section. Les modalités d'application de cette politique ont été diffusées à tous les membres de la GRC, y compris aux recrues.

[261] La seule plainte qu'ait formulée le plaignant a été faite au cap. Fischer durant un party de Noël. Cette plainte avait trait à la présumée utilisation par le gend. Haney de méthodes de formation sévères. Le plaignant n'a pas fait allusion à des surnoms ou des épithètes dont l'usage était répréhensible. Bien que le plaignant ait exprimé ses préoccupations dans un cadre plutôt informel, le cap. Fischer en a touché mot à son propre superviseur, le serg. Watts, ainsi qu'au gend. Haney. Par la suite, le plaignant s'est vu offrir l'occasion de travailler avec un nouveau formateur. Il a refusé l'offre.

[262] Le plaignant aurait pu suivre la même démarche pour protester contre l'emploi du surnom qu'il jugeait blessant ! cul de Kirby Puckett. Il ne l'a pas fait. Il n'a pas non plus fait appel aux services de son sous-représentant auprès du PRDRF, le cap. Allen. Le plaignant a dit que ce n'est que lors de la première prolongation de sa FPR qu'il a eu vent des services offerts par le PRDRF. Pourtant, de nombreux membres de la GRC qui ont témoigné à l'audience ont confirmé que tous les membres, y compris les recrues, sont sensibilisés à l'existence du PRDRF dès leur arrivée au détachement.

[263] Compte tenu des circonstances particulières de l'espèce et du fait qu'il n'a aucunement été informé du harcèlement, l'employeur ne saurait être tenu responsable de celui-ci.

[264] Pour tous les motifs énoncés ci-haut, la prétention du plaignant voulant que la GRC ait exercé à son endroit une discrimination sous forme de harcèlement n'est pas fondée.

III. CONCLUSION

[265] Par conséquent, la plainte n'est pas fondée et est rejetée.

Athanasios D. Hadjis

Ottawa (Ontario)

Le 14 octobre 2005

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T739/4402

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Jean-Luc Morin c. Procureur général du Canada

DATE ET LIEU
DE L'AUDIENCE :

Les 17 au 20 juin 2003 (Montréal)

Les 24 au 27 juin 2003 (Montréal)

Les 20, 21, 23 et 24 octobre 2003 (Montréal)

Les 3 au 6 novembre 2003 (Vancouver)

Les 12 et 13 novembre 2003 (Ottawa)

Les 17 au 21 novembre 2003 (Ottawa)

Les 24 au 28 novembre 2003 (Ottawa)

Le 5 décembre 2003 (Ottawa)

Les 16 au 20 février 2004 (Ottawa)

Les 23 au 26 février 2004 (Ottawa)

Le 6 avril 2004 (Ottawa)

Les 3 au 5 mai 2004 (Ottawa)

Les 10 et 11 mai 2004 (Ottawa)

Les 25 au 27 mai 2004 (Montreal)

Le 13 juillet 2004 (Ottawa)

Les 18, 19 et 21 octobre 2004 (Montréal)

Le 25 octobre 2004 (Ottawa)

DATE DE LA DÉCISION
DU TRIBUNAL :

Le 14 octobre 2005

ONT COMPARU :

Ian Abugov

Pour le plaignant

Andrea Wright

Pour la Commission canadienne des droits de la

personne

(le 17 juin 2003 seulement)

Alain Préfontaine
Catherine Lawrence

Pour l'intimé

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