Tribunal canadien des droits de la personne

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TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL

MICHELINE MONTREUIL

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

FORCES CANADIENNES

l'intimée

DÉCISION SUR REQUÊTE

2007 TCDP 51
2007/10/29

MEMBRE INSTRUCTEUR :Pierre Deschamps

[1] Le Tribunal est saisi d'une requête de la part de l'intimée qui veut faire réentendre, une fois que le Dr. Beltrami, expert psychiatre de la Commission, aura été entendu comme témoin, les Dr. Assalian et Karmel, experts de l'intimée qui ont déjà témoigné dans la présente affaire, afin qu'ils puissent commenter le témoignage rendu à l'audience par le Dr. Beltrami. Il est à noter que, lors de leur témoignage, les Dr. Assalian et Karmel ont commenté les rapports du Dr. Beltrami mis en preuve.

[2] La plaignante et la Commission s'opposent à cette requête au motif notamment que l'intimée ne peut diviser sa preuve et que, de toute façon, ce serait conférer à l'intimée un avantage indu qui leur serait préjudiciable s'il fallait que le Tribunal fasse droit à la requête de l'intimée.

[3] Le Tribunal est maître de ses procédures. En vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, le Tribunal est appelé à instruire une plainte qui lui a été référée par la Commission. À cet égard, il peut entendre des témoins, tant ordinaires qu'experts. Cela dit, lors de l'audition d'une plainte, le Tribunal doit s'assurer du respect de l'équité procédurale afin d'éviter qu'une partie soit avantagée au détriment d'une autre en ce qui a trait à l'administration de la preuve.

[4] Dans le présent dossier, il fut décidé de faire entendre les experts de l'intimée, soit les Dr. Assalian, Dufour et Karmel avant l'expert de la Commission, le Dr. Beltrami. Le Dr. Assalian a été entendu tant quant à ses rapports que quant aux rapports du Dr. Beltrami avant que le Dr. Beltrami ne témoigne. Le Dr. Assalian a pu ainsi commenter les rapports du Dr. Beltrami, sans avoir pu toutefois entendre son témoignage. De même, le Dr. Karmel a pu commenter les parties du rapport du Dr. Beltrami portant sur le test MMPI-2, sans avoir pu entendre témoignage de ce dernier.

[5] Le Dr. Beltrami a témoigné dans la semaine du 22 octobre 2007. Dans le cadre de son témoignage, qui a duré cinq jours, le Dr. Beltrami a commenté ses rapports et a pu également commenter certains propos tenus par le Dr. Assalian lors de son témoignage. Il a également fait allusion au rapport du Dr. Karmel. En outre, le Dr. Beltrami a été amené à nuancer certaines affirmations contenues dans son rapport.

[6] En d'autres circonstances, le Dr. Beltrami aurait témoigné avant le Dr. Assalian et le Dr. Karmel. Il aurait alors pu témoigner en ce qui a trait à ses rapports, ainsi que commenter les rapports des Dr. Assalian et Karmel. Dans ce cas de figure, le Dr. Assalian et le Dr. Karmel n'ayant pas encore témoigné, le Dr. Beltrami n'aurait pu commenter leur témoignage.

[7] Cela dit, eu égard à la complexité des questions d'ordre médical que soulève le présent dossier, il est plus que probable que la Commission aurait demandé à ce que le Dr. Beltrami soit réentendu, une fois le témoignage des experts de l'intimée rendu, afin de pouvoir commenter leur témoignage, demande qui aurait été considérée très sérieusement par le Tribunal compte tenu de la complexité des questions que soulève le présent dossier et de l'importance pour le Tribunal de bénéficier de l'information la plus complète possible sur les questions d'ordre médical qu'il soulève.

[8] Ce qui est en cause ici, c'est la réaudition de deux experts de l'intimée qui n'ont pas eu l'occasion de commenter le témoignage du médecin expert de la Commission et non de deux témoins ordinaires de l'intimée pour que ceux-ci complètent leur témoignage.

[9] La réaudition d'un expert sur un élément ou des éléments particuliers ne peut se comparer à la réaudition d'un témoin de fait qui serait appelé à venir ajouter à sa version des faits après avoir entendu les témoins d'une autre partie et ainsi nuancer son témoignage.

[10] La réaudition des Dr. Assalian et Karmel, reconnus comme témoins experts, vise à procurer au Tribunal la compréhension la plus complète possible des éléments médicaux qui sont en cause dans la présente instance. L'administration de la justice serait mal servie si le Tribunal devait se priver des commentaires de ces deux témoins experts en ce qui concerne le témoignage du Dr. Beltrami.

[11] En l'espèce, il importe que le Tribunal puisse bénéficier des connaissances des experts des parties afin d'être en mesure de comprendre totalement les aspects médicaux particuliers au cur du présent litige en ce qui a trait à la dysphorie du genre, aux troubles de l'identité sexuelle, au transsexualisme et au transgendérisme. À cet égard, il importe que le Tribunal ait le point de vue des experts de l'intimée quant au témoignage du Dr. Beltrami sur ces questions et sur son évaluation de la plaignante, d'autant plus que, dans le cadre de son témoignage, le Dr. Beltrami a nuancé certaines parties de ses rapports.

[12] Le Tribunal se doit de rappeler aux parties que les experts qu'ils font témoigner ont pour mission d'éclairer le Tribunal sur des points particuliers qui ne sont pas de connaissance judiciaire. En principe, ils ne sont pas là pour soutenir la thèse mise de l'avant par la partie qui les produit, mais pour fournir au Tribunal des éléments d'information qui vont permettre à ce dernier de trancher de façon éclairée les questions qui lui sont soumises pour adjudication.

[13] Pour qu'un expert que l'on veut faire réentendre puisse éclairer pleinement le Tribunal sur les questions d'ordre technique ou scientifique au cur d'un litige, il faut que l'expert qu'une partie veut faire réentendre pour une fin particulière ait entendu ou soit au fait du témoignage du témoin qu'il est appelé à commenter.

[14] Il appert des propos tenus à l'audience du 26 octobre 2007 par le procureur de l'intimée que le Dr. Assalian, bien qu'il n'ait pas été présent lors du témoignage du Dr. Beltrami dans la semaine du 22 octobre 2007, a néanmoins reçu la transcription sténographique du témoignage de ce dernier. Le Dr. Assalian serait donc au fait du témoignage rendu par le Dr. Beltrami dans la présente instance.

[15] En ce qui a trait au Dr. Karmel, le Tribunal a pu noter que, lors de l'interrogatoire du Dr. Beltrami par la procureure de la Commission, le Dr. Karmel était présent dans la salle d'audience, soit les 22, 23 et 24 octobre 2007. En outre, le Dr. Karmel a pu, durant ces trois jours, bénéficier des services d'interprètes afin de faciliter sa compréhension du témoignage du Dr. Beltrami, ce dernier ayant témoigné en français. Le Dr. Karmel n'était toutefois pas présent lors du contre-interrogatoire du Dr. Beltrami, les 25 et 26 octobre 2007.

[16] Compte tenu de la complexité des questions de nature médicale soumises au Tribunal dans le présent dossier, le Tribunal est d'avis qu'il importe, pour que toute la lumière soit faite sur les questions médicales que le Tribunal est appelé à trancher, que les Dr. Assalian et Karmel soient réentendus à la seule fin de commenter le témoignage du Dr. Beltrami.

[17] Le Tribunal autorise donc que le Dr. Assalian, psychiatre, soit rappelé comme témoin expert pour la seule fin de commenter le témoignage rendu par le Dr. Beltrami lors des audiences tenues dans la semaine du 22 octobre 2007 dans la mesure où il pourra attester qu'il a lu la transcription du témoignage du Dr. Beltrami et que son témoignage ne porte que sur le témoignage de ce dernier.

[18] Le Tribunal autorise également la réaudition du Dr. Karmel, psychologue, pour la seule fin de commenter le témoignage du Dr. Beltrami en ce qui concerne l'administration et l'interprétation du test MMPI-2 complété par la plaignante. Le Dr. Karmel, qui n'était pas présent lors des journées d'audition des 25 et 26 octobre 2007 ne pourra, d'aucune façon, commenter le témoignage rendu par le Dr. Beltrami durant ces deux jours.

[19] Le Tribunal est d'avis qu'en l'espèce, aucun préjudice ne sera causé à la Commission ou à la plaignante. La Commission est là, comme l'a souvent rappelé la procureure de la Commission, pour représenter l'intérêt public. En principe, la Commission n'a pas intérêt à ce que le Tribunal soit, dans une instance comme celle-ci, privé de l'éclairage que peuvent apporter les experts reconnus comme tels par le Tribunal, quelle que soit la partie qui les a fait entendre.

[20] Le Tribunal autorise donc la réaudition des Dr. Assalian et Karmel pour la seule fin de commenter, en tant qu'expert, le témoignage du Dr. Beltrami, dans leurs sphères d'expertise respectives. La réaudition de ces deux témoins aura lieu le 5 novembre 2007 à compter de 9.30 heures. La Commission et la plaignante pourront contre-interroger, le cas échéant, les Dr. Assalian et Karmel.

Signée par

Pierre Deschamps

OTTAWA (Ontario)
Le 29 octobre 2007

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL : T1047/2805
INTITULÉ DE LA CAUSE : Micheline Montreuil c. Forces canadiennes
DATE DE LA DÉCISION
SUR REQUÊTE DU TRIBUNAL :
Le 29 octobre 2007
ONT COMPARU :
Micheline Montreuil Pour elle-même
Ikram Warsame Pour la Commission canadienne des droits de la personne
Guy Lamb / Claude Morissette Pour l'intimée
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