Tribunal canadien des droits de la personne

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Entre :

Micheline Montreuil

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Comité des griefs des Forces canadiennes

l'intimé

Décision

Membre : Michel Doucet

Date : Le 20 novembre 2007

Référence : 2007 TCDP 53

Table des matières

I. Introduction

A. Les parties

(i) La plaignante

(ii) Le Comité des griefs des forces canadiennes

B. Cadre juridique

C. Analyse

(i) La preuve prima facie

(a) La plaignante possède-t-elle les compétences ou qualifications nécessaires pour occuper le poste voulu?

(b) La candidature de la plaignante a-t-elle été rejetée?

(c) Les candidats retenus, en réponse au concours et par la suite, étaient-ils mieux qualifiés que la plaignante

(d) Une preuve prima facie a-t-elle été établie?

(ii) L’explication de l’intimé

D. Les redressements sollicités par Micheline Montreuil

(i) Réclamation pour pertes de salaire

(ii) Ordonnance pour indemnité pour préjudice moral

(iii) Une ordonnance en vertu du paragraphe 53(3) de la LCDP

(iv) Intérêt

E. Conclusion

I. Introduction

[1] Le 23 août 2004, Micheline Montreuil a déposé une plainte en conformité avec la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R. (1985), ch. H-6 (la LCDP) contre le Comité des griefs des Forces canadiennes (le Comité).  La plaignante allègue que le Comité a exercé à son égard de la discrimination fondée sur le sexe (transgenre) et l’origine ethnique (langue) contrairement aux articles 3 et 7 de la Loi

[2] Lors d’une téléconférence préparatoire tenue le 7 avril 2006, avec le gestionnaire de cas chargé de la présente affaire, le vice-président du Tribunal, M. Athanasios D. Hadjis, la plaignante a indiqué que la plainte ne porterait que sur la discrimination fondée sur le sexe et qu’elle ne poursuivrait pas sa plainte de discrimination sur l’origine ethnique.  Selon le compte rendu de cette conférence téléphonique, la plaignante s’était engagée à fournir une lettre au Tribunal confirmant cet engagement.  Cette lettre ne fut jamais fournie.

[3] Il n’en demeure pas moins que la plaignante, qui est également avocate, a donné son engagement.  Il n’y a aucune raison de croire qu’elle voudrait aujourd’hui revenir sur celui-ci.  D’ailleurs, tout au long de l’audience elle a tenu à préciser que l’argument fondé sur la langue ne servait qu’à appuyer sa plainte fondée sur le sexe.  Elle allègue, en effet, que le motif linguistique n’a été qu’un prétexte pour ne pas lui attribuer le poste convoité en raison de son sexe .  Dans ces circonstances, la présente affaire traitera uniquement de la plainte de discrimination fondée sur le sexe.  Toutefois, l’argumentation de la plaignante fait en sorte que je n’aurai d’autres choix que d’aborder dans mon raisonnement la dimension linguistique de son argumentaire.

A. Les parties

(i) La plaignante

[4] Micheline Montreuil est avocate de formation.  Elle détient, en plus de sa licence en droit, des diplômes universitaires en relations industrielles et en administration.  Elle vient également d’obtenir un baccalauréat en éducation et poursuit des études de maîtrises en éthique.  Elle est inscrite au barreau du Québec depuis 1976.  Depuis son admission au barreau, elle a pratiqué le droit et a également enseigné dans deux collèges à Québec, soit les collèges de Limoilou et de François-Xavier-Garneau.  Elle a également offert des cours à l’Université Laval, et aux universités du Québec à Chicoutimi et à Rimouski. 

[5] Lorsqu’elle parle de discrimination basée sur le sexe, Me Montreuil fait référence à certaines caractéristiques reliées à l’identité de genre ou à l’apparence qui font en sorte qu’elle ne se trouve pas, selon ses propres mots, dans une situation qu’on pourrait qualifier d’usuelle.   Entre ce qu’elle décrit être un homme ou une femme normal , se situe la mouvance transsexuelle ou transgenre.  À l’intérieur de cette mouvance, elle identifie trois grands groupes.  Les travestis, qui sont des individus qui s’habillent complètement ou partiellement avec des accessoires ou du linge de l’autre sexe.  Toutefois, elle précise que ce choix ne sera que temporaire et le travesti après un certain temps reviendra aux habits de son sexe.  À l’autre bout de la mouvance, se trouve le groupe des transsexuels.  Le choix des individus dans ce groupe est, par la voie d’opérations chirurgicales, de changer complètement de sexe.  Entre les travestis et les transsexuels, Me Montreuil identifie les transgenres, c’est-à-dire des personnes qui, comme elle, ont choisi de vivre la totalité du temps dans les vêtements de l’autre sexe.  Les personnes de ce groupe peuvent également opter pour certaines opérations chirurgicales mineures pour changer certaines parties de leur apparence, mais elles n’iront pas jusqu’à une transformation chirurgicale complète.

[6] D’entrée de jeu, l’avocat du Comité a concédé que la condition particulière de Me Montreuil n’était pas un objet en litige et qu’elle pouvait donc alléguer avoir subi, en raison de cette condition particulière une discrimination fondée sur le sexe prévue à l’article 3 de la Loi.

[7] Au moment de l’audience, Me Montreuil travaillait comme chargée de cours, à temps partiel, au baccalauréat en sciences infirmières de l’Université du Québec à Rimouski, où elle offre un cours d’éthique et de responsabilité légale.  Elle travaillait également comme agente de recherche en droit au Conseil de la justice administrative du Québec, à Québec.  Son emploi au Conseil de la justice administrative devait se terminer le 27 avril 2007.  Elle ajoute également qu’elle pratique toujours le droit. 

(ii) Le Comité des griefs des forces canadiennes

[8] Le Comité des griefs des forces armées canadiennes compte, en ce moment, environ une cinquantaine d’employés.  Il compte également six membres dont la présidente et le vice-président qui sont tous les deux à temps plein.  Les quatre autres membres sont à temps partiel. 

[9] Le Comité a été établi dans la foulée d’une réforme de la justice militaire initiée par le dépôt, en 1995, du rapport Doshen (A Report on the Study of Mechanisms of Voice/Complaint Resolution in the Canadian Armed Forces) qui portait sur la résolution des griefs au sein des forces armées.  En 1997, deux événements sont venus conforter cette idée de réforme.  Il y a eu tout d’abord le dépôt par le ministre de la Défense d’un rapport sur le leadership et l’administration des Forces canadiennes (Rapport au premier ministre sur le leadership et l’administration dans les Forces canadiennes) et, ensuite, la publication des conclusions de la Commission d’enquête sur la Somalie qui réitérait la nécessité de modifier le système de justice militaire.

[10] Pour donner suite à ces différents rapports, le gouvernement fédéral a décidé qu’il y avait lieu de modifier la Loi sur la défense nationale afin de moderniser et renforcer le système de justice militaire incluant la simplification du système de processus de règlement des griefs dans les Forces canadiennes.  Le Comité, un tribunal administratif autonome, a été créé le 1er mars 2002.

[11] Le Comité des griefs est chargé, en conformité de l’article 29 de la Loi sur la défense nationale, d’examiner les griefs militaires déposés par les membres des forces canadiennes.  Il examine notamment les griefs qui lui sont transmis par le chef d’État-major de la défense.  Pour être plus précis, le chef d’État-major envoie au Comité les griefs reliés aux …mesures administratives qui émanent de la suppression ou des déductions de solde et d’indemnité, du retour à un grade inférieur ou de la libération des Forces canadiennes d’un militaire, que ce soit pour des raisons médicales ou de comportement.  Le Comité examine également des griefs sur l’application et l’interprétation des politiques des Forces canadiennes qui concernent l’expression d’opinions personnelles, […] les conflits d’intérêts et les mesures régissant l’après mandat, le harcèlement ou la conduite raciste. (Voir – Chapitre 7.12 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes.) 

[12] À l’issue des examens de ces griefs, le Comité présente des recommandations impartiales et équitables au chef d’État-major et au plaignant. 

[13] Afin de l’assister dans la réalisation de son mandat, le Comité a créé des postes d’agent de griefs.  Les tâches principales d’un agent de griefs sont d’analyser les dossiers, d’enquêter et de prendre part à la rédaction des constations et des recommandations du Comité au chef d’État-major de la Défense.  L’agent de griefs agit également comme spécialiste auprès du personnel et des membres du Comité. 

B. Cadre juridique

[14] L’article 7 de la LCDP prévoit que de refuser d’employer un individu par des moyens directs ou indirects pour des raisons fondées sur un motif de distinction illicite dont notamment, le sexe ou l’origine nationale ou ethnique, constitue un acte discriminatoire. (Voir également les articles 3 et 15 de la LCDP).

[15] Le fardeau de preuve, dans une affaire comme la présente, incombe tout d’abord au plaignant qui doit établir un cas prima facie de discrimination. (Voir : Israeli c. Commission canadienne des droits de la personne et Commission de la fonction publique (1983), 4 C.H.R.R. D/1616, 1618; Basi c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1988), 9 C.H.R.R. D/5029; et, Premakumar c. Air Canada, D.T. 03/02, 2002/02/04).

[16] Un cas prima facie est celui qui porte sur les allégations qui sont faites et qui, si on leur ajoute foi, sont complètes et suffisantes pour justifier un verdict favorable au plaignant, en l’absence d’une réponse de la part de l’intimée. (Ontario (Commission ontarienne des droits de la personne) c. Etobicoke (Municipalité), [1982] 1 R.C.S. 202, à la page 208; Commission ontarienne des droits de la personne et O’Malley c. Simpson-Sears Ltée, [1985] 2 R.C.S. 536, au par. 28.).

[17] La question est donc de savoir s’il y a une preuve qui est susceptible d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que la plaignante a été victime de discrimination.  En l’espèce, nous n’aurons pas à nous attarder sur la question à savoir si Me Montreuil possède le ou les traits distinctifs d’un groupe contre lequel il est interdit en vertu de la LCDP d’exercer une discrimination fondée sur le sexe puisque l’intimé ne conteste pas et admet qu’une distinction fondée sur le fait d’être une personne transgenre est réputée être fondée sur le sexe. 

[18] Dans le contexte de l’emploi, un cas prima facie est décrit comme exigeant une preuve des éléments qui suivent :

  1. le plaignant avait les qualifications pour l’emploi en cause;
  2. le plaignant n’a pas été embauché;
  3. une personne qui n’était pas mieux qualifiée, mais qui n’avait pas le trait distinctif à l’origine de la plainte a subséquemment obtenu le poste.
  4. (Voir : Shakes c. Rex Pak Ltée (1982), 3 C.H.R.R. D/1001, au paragraphe 8918)

[19] Cette approche a été modifiée afin de l’ajuster à des situations où le plaignant n’est pas embauché et où la partie intimée continue de chercher un candidat approprié. Dans ce cas, l’établissement d’un cas prima facie exige la présence des éléments suivants :

e) que le plaignant appartienne à l’un des groupes qui sont sujets à la discrimination en vertu de la Loi;

f) que le plaignant a posé sa candidature pour un poste pour lequel il était qualifié et que l’employeur désirait combler;

g) que, même s’il était qualifié, le plaignant a été rejeté;

h) que, par la suite, l’employeur a continué de chercher des candidats possédant les qualifications du plaignant.

i) (Voir : Israeli c. Commission canadienne des droits de la personne et Commission de la fonction publique (1983), 4 C.H.R.R. D/1616, à la page 1618.)

[20] Dans la décision Montreuil c. Banque Nationale du Canada, 2004 TCDP 7, au par. 44, le Tribunal s’est penché sur les différences entre ces deux approches.  Il a conclu que l’approche dans l’arrêt Shakes s’applique aux cas où un plaignant rivalise avec d’autres candidats pour l’obtention d’un poste particulier.  Le Tribunal ajoute qu’il ne semble pas qu’elle puisse s’appliquer aux situations permanentes de recrutement, étant donné que peu importe si les personnes embauchées à un moment donné ne présentent pas le trait distinctif du plaignant, il existe d’autres postes à pourvoir, pour lesquels le plaignant pourrait être éventuellement embauché.   En revanche, il explique que l’approche Israeli, compte tenu de son quatrième élément, s’applique aux situations où l’employeur continue de chercher des candidats. 

[21] En l’espèce, la preuve n’est pas aussi claire qu’elle ne l’était dans l’affaire Montreuil c. Banque Nationale.  Me Montreuil a postulé pour un poste particulier.  Or, nous pourrions ainsi être portés à conclure que l’approche dans l’arrêt Shakes devrait être retenue.  Cependant l’intimé répondra qu’il n’a pas rejeté la candidature puisque qu’il a maintenu la plaignante sur une liste d’admissibilité pour un poste d’agent de griefs unilingue francophone pour une période allant bien au-delà de celle établie pour combler le poste pour lequel, Me Montreuil avait postulé.  D’autre part, étant donné le renouvellement presque continu du personnel au Comité, celui-ci a continué de chercher des candidats pour des postes d’agent de griefs et a maintenu la plaignante sur une liste de disponibilité active.  Il est donc clair que ni l’une, ni l’autre des approches dans Shakes et Israeli ne répondent spécifiquement au dilemme qui nous est posé.  Toutefois, je ne crois pas qu’il soit nécessaire de faire un choix entre ces deux approches.

[22] Dans Premakumar c. Air Canada, D.T. 03/02, 2002/02/04, le Tribunal précise que les critères des affaires Shakes et Israeli sont des guides utiles, mais qu’aucun des deux ne devrait être appliqué automatiquement d’une manière rigide et arbitraire.  Il faut plutôt tenir compte des circonstances de chaque affaire pour établir si l’application de l’un ou l’autre des critères, en tout ou en partie, est pertinente.  En fin de compte, la question sera de savoir si la plaignante a répondu au critère de l’arrêt O’Malley, c’est-à-dire si on y ajoute foi, la preuve devant le Tribunal, est-elle complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante en l’absence de réplique de l’intimée.  Nous appliquerons donc cette approche flexible au cas en l’espèce en combinant, au besoin, les deux approches et en reformulant, le cas échéant, les critères à appliquer.

[23] Une fois cette preuve prima facie établie, le fardeau se déplace sur l’intimée, qui doit fournir une explication raisonnable de la conduite qui lui est reprochée. 

[24] La jurisprudence reconnaît la difficulté de prouver les allégations de discrimination par moyen d’une preuve directe.  La discrimination se pratique souvent de manière subtile.  Rares sont les cas de discrimination pratiqués ouvertement.  (Voir Basi, précité, par. D/5038.) Il appartient donc au Tribunal de tenir compte de toutes les circonstances pour établir s’il existe ce qui a été décrit comme de subtiles odeurs de discrimination. (Premakumar, par. 79.)

[25] La norme de la preuve dans les causes de discrimination est la norme civile ordinaire de la prépondérance des probabilités.  Selon cette norme, l’on peut conclure à la discrimination quand la preuve rend cette conclusion plus probable que n’importe quelle autre conclusion ou hypothèse possible. (Premakumar, par. 81.)  Il n’est pas nécessaire, cependant, que les considérations discriminatoires soient la seule raison des actes en cause pour qu’une plainte soit acceptée.  Ce sera suffisant si ces considérations sont des facteurs de la décision de ne pas embaucher. (Premakumar, par. 82; Holden c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1990), 14 C.H.R.R. D/12, au para. D/15.) 

[26] En effet, la preuve de discrimination possède des difficultés qui lui sont propres. La plus importante est, sans contredit, le fait que des circonstances semblables peuvent se prêter à des interprétations différentes.  Or, si l’acte de discrimination réside dans la différenciation, le problème est que cette différenciation n’existe pas indépendamment des actions des parties.  Elle doit être inférée.  Il s’ensuit que le membre du Tribunal appelé à trancher la question doit se servir de son jugement dans l’appréciation des circonstances qui ont donné naissance aux allégations de discrimination.

C. Analyse

(i) La preuve prima facie

(a) La plaignante possède-t-elle les compétences ou qualifications nécessaires pour occuper le poste voulu?

[27] Le rôle d’un d’agent principal de griefs est, entre autres, de fournir des avis et des conseils juridiques aux membres du Comité relatifs aux griefs qui lui sont référés par le Chef d’État-major de la défense.  Afin de pourvoir aux postes d’agent de griefs, le Comité a tenu un premier concours interne en février 2002. 

[28] En avril 2002, un second concours ouvert à l’ensemble de la population est lancé. Le Comité annonce à ce moment dix (10) postes d’agents de griefs d’une durée déterminée de douze (12) mois ou plus.  Selon l’annonce, les candidats devaient détenir un grade universitaire en ressources humaines, en droit ou en relations industrielles ou de travail.  L’annonce énonce également une série d’expériences requises et prévoit que la majorité des postes est bilingue impératif CCC , mais que certains sont unilingues anglais ou français.  

[29] Le 6 mai 2002, Me Montreuil postule pour l’un des postes annoncés dans le concours du mois d’avril 2002.  Elle envoie également ses résultats d’examen de langue anglaise de la Commission canadienne de la fonction publique, qu’elle avait passé le 9 février 2000.  Elle avait alors obtenu le niveau E (Exemptée), avec une note brute de 63 sur 65, en compréhension écrite et un niveau B , avec une note brute de 43, à l’expression écrite.  La note requise pour avoir le niveau C est de 44.  À l’interaction orale, la plaignante a obtenu le niveau C .  La plaignante était donc cotée, sur le plan linguistique, ECB .  Le 26 novembre 2002, Me Montreuil a refait l’examen de connaissance de l’anglais expression écrite afin de rehausser son profil dans cette catégorie.  En effet, rien n’empêchait Me Montreuil de continuer à se perfectionner en ce qui concerne l’expression écrite en anglais et de repasser le test de classification de langue de la fonction publique autant de fois qu’elle le voulait.  À la suite de ce nouvel examen, le niveau de la plaignante en compréhension écrite de l’anglais est demeuré inchangé à B .

[30] Le 20 août 2002, Me Montreuil est invitée à se présenter à la base militaire de Valcartier pour passer un examen écrit.  Le 31 octobre 2002, on l’informe qu’elle a réussi son examen et qu’elle sera bientôt invitée à une entrevue par le comité de sélection.  

[31] Le 15 novembre 2002, la plaignante est reçue en entrevue à Ottawa par Diane Laurin, Mireille Royer, à l’époque conseillère aux Ressources humaines, et Gary Wetzel, avocat au contentieux du Comité.  Me Diane Laurin, occupait alors le poste de vice-présidente du Comité.  Elle deviendra présidente en février 2004. 

[32] Selon une lettre du 14 juillet 2005, rédigée par Me Jacques Shore, du bureau d’avocats Gowling Lafleur Henderson, les avocats de l’intimé à l’époque, il semblerait que Me Laurin aurait, lors de l’entrevue de Me Montreuil, pris des notes.  Nous pouvons supposer que les autres membres du comité ont également pris des notes lors de l’entrevue.  Ces notes n’ont pas été produites à l’audience.  Ces notes sont souvent indicatives de l’état d’esprit des participants aux entrevues comme en font foi les décisions de ce tribunal dans Kasongo c. Financement Agricole Canada, 2005 TCDP 24 et Montreuil c. Banque Nationale, précitée.  Malheureusement, nous ne pourrons en bénéficier dans le présent cas.

[33] Selon le témoignage de Me Laurin, l’entrevue avec Me Montreuil s’est bien déroulée.  Elle ajoute que l’ambiance était comparable à celle des entrevues avec les autres postulants.  Lors de cette entrevue, Me Laurin rencontrait Me Montreuil pour la première fois, mais elle savait qui elle était, car elle en avait entendu parler par l’intermédiaire des médias.  Elle était au courant qu’elle était transgenre et qu’elle s’était débattue devant plusieurs Cours de justice pour faire valoir ses droits.  Me Laurin précisera que le fait que la candidate était transgenre était également connu de madame Royer.  Il se peut, selon elle, que monsieur Wetzel n’ait pas été au courant et elle a donc cru bon de l’en informer avant le début de l’entrevue.  Elle ajoutera que le comité de sélection avait discuté au préalable de cette candidate comme il l’avait fait pour tous les autres candidats.  Me Laurin mentionne que le Comité de sélection a trouvé intéressant le curriculum vitae de Me Montreuil.  Elle ajoute que le résultat de l’entrevue démontre que la plaignante s’est très bien débrouillée. .  D’ailleurs, selon le résultat de l’entrevue, la plaignante se serait classée troisième sur les quatre candidats. En contre-interrogatoire, Me Laurin ajoute que les trois autres candidats, des unilingues anglophones, ont tous été embauchés par le comité.

[34] Me Laurin explique qu’à l’entrevue les candidats sont évalués selon certains critères soit, la connaissance, la capacité et les compétences et les qualités personnelles.  Les connaissances sont établies par une série de questions qui sont prédéterminées et posées à tous les candidats.  La capacité et les compétences sont évaluées à partir du curriculum vitae de la personne.  Finalement, les qualités personnelles sont examinées lors de l’entrevue et à partir des références fournies par le candidat.  Les capacités ou les connaissances linguistiques du candidat ne sont pas évaluées ou considérées lors de l’entrevue.  Me Laurin ajoute que si un candidat veut se qualifier pour un poste bilingue, il devra alors se conformer aux exigences de la Commission de la Fonction publique en matière de langue.

[35] Le 30 décembre 2002, Me Montreuil reçoit une lettre de Mireille Royer, consultante en ressources humaines, pour le Comité, qui l’informe que les membres du comité de sélection ont terminé l’évaluation des candidats et qu’elle s’est qualifiée dans le cadre du concours. 

[36] Considérant ces faits, je conclus que Me Montreuil possédait les compétences ou qualifications nécessaires pour occuper un poste d’agent de grief.  Selon la lettre de Mireille Royer, dont nous avons fait référence ci-dessus, elle s’était qualifiée pour le poste dans le cadre du concours. 

(b) La candidature de la plaignante a-t-elle été rejetée?

[37] La lettre de Madame Royer, dont il est fait référence plus haut, mentionne également que Me Montreuil s’étant qualifié dans le cadre de concours, son nom est, dès lors, placé sur une liste d’admissibilité qui doit servir à pourvoir les postes qui deviendraient vacants d’ici au 30 mars 2003.  La lettre fait mention des listes d’admissibilité qui sont jointes .  Or, ces listes n’ont pas été produites à l’audience. 

[38] Dans les mois qui suivent la réception de cette lettre, Me Montreuil communique à quelques reprises avec le Comité pour savoir quand il embaucherait des agents de grief.  On lui répond que le Comité attend que son budget soit augmenté avant de procéder à de nouvelles embauches.  Me Montreuil ne doute aucunement de la véracité de cette affirmation puisque, comme elle l’admettra à l’audience, les autres candidats ont également dû attendre la confirmation du budget avant de se voir offrir un emploi. 

[39] Me Montreuil a par la suite une série de conversations avec un individu du nom de Pierre Lacasse, un employé du Comité, qui lui fournira certains renseignements sur le traitement de sa candidature pour le poste d’agent de grief.  M. Lacasse ne sera pas appelé à témoigner.  Tout au long de l’audience, Me Montreuil s’est référée à l’information qu’elle a reçue de M. Lacasse ou encore à l’entrevue qu’il a eue avec l’enquêtrice de la Commission des droits de la personne. Or, cette preuve constitue du ouï-dire et la question s’est rapidement posée quant à son admissibilité. 

[40] Les tribunaux ont généralement refusé d’adopter une définition unique et exhaustive de la règle du ouï-dire.  Ils craignaient qu’une telle définition ne puisse circonscrire tous les cas où une déclaration extrajudiciaire présenterait un ou plusieurs des dangers traditionnels du ouï-dire soit l’absence d’un témoignage fait sous serment, l’absence de la possibilité pour la partie adverse de contre-interroger le témoin et l’absence d’une possibilité pour le tribunal de juger de la crédibilité du témoin.  Dans le présent cas, plusieurs de ces dangers, sinon tous, sont présents.  Bien que le Tribunal soit, règle générale, assez flexible dans son traitement de la preuve constituant du ouï-dire (voir, par exemple, l’alinéa 50(3)c) de la LCDP.), il n’en demeure pas moins qu’en l’espèce aucune raison valable, autre que l’engagement de la plaignante de ne pas appeler M. Lacasse comme témoin, n’explique son absence.  Dans ces circonstances, il serait contraire aux principes de justices naturelles, codifiés aux paragraphes 48.9(1) et 50(1) de la LCDP, et inéquitable d’admettre cette preuve.  Je n’en tiendrais donc pas compte dans ma décision. 

[41] En septembre 2003, le Comité, à la demande du ministre de la Défense nationale, élabore un plan opérationnel afin d’éliminer pour décembre 2004, un arrérage d’environ 349 dossiers de griefs.  De ce nombre, 70 dossiers (20 %) sont en français.  Afin de réaliser ce mandat, le Comité se voit accorder des ressources additionnelles.

[42] Vers la fin octobre 2003, presque un an après l’entrevue, Me Montreuil communique à nouveau avec le Comité pour savoir s’il a procédé à de nouvelles embauches d’agents de griefs.  On l’informe que le Comité a procédé à l’embauche de trois agents de griefs unilingue anglais, que deux sont déjà en poste et que le troisième entrera en fonction dans la semaine qui suivra.  La plaignante demande alors si l’intimé va procéder, dans un avenir rapproché, à l’embauche de d’autres personnes.  On l’informe que non.

[43] Le 10 novembre 2003, Me Montreuil écrit à Me Laurin demandant certaines précisions concernant l’embauche des agents de grief.  Elle veut savoir, notamment, combien d’agents de griefs anglophones, francophones et bilingues ont été embauchés par le Comité.  Elle s’enquiert également du nombre de dossiers que le Comité a à traiter.  Cette lettre est demeurée sans réponse.

[44] Le 12 décembre 2003, elle demande à nouveau à Me Laurin de donner suite à sa lettre du 10 novembre.  Le 18 décembre 2003, Me Muriel Korngold-Wexler, directrice de la section Analyse des griefs et opérations du Comité, répond à Me Montreuil.  Me Korngold-Wexler explique qu’en septembre 2003, à la suite d’une entente avec le ministère de la Défense, le Comité a mis en vigueur un plan opérationnel en vue d’éliminer l’arrérage des dossiers de griefs avant le 31 décembre 2004.  Elle ajoute que le Comité a dû, dans ce contexte, faire une étude approfondie de ses besoins opérationnels.  Elle mentionne que, vu le nombre de griefs en anglais, le Comité avait offert des postes aux candidats qui s’étaient placés sur la liste d’admissibilité anglais uniquement , ainsi qu’à ceux sur la liste d’admissibilité bilingue .

[45] Elle informe Me Montreuil que le Comité n’a pas de besoin opérationnel pour des agents de griefs unilingues français.  Elle précise cependant que le Comité a prolongé la liste d’admissibilité des postes d’agents de griefs unilingues français jusqu’en mars 2004 et elle assure Me Montreuil que si le Comité devait avoir besoin d’un agent de griefs unilingue français qu’il ferait appel à ses services.  D’ailleurs, je me demande pourquoi le Comité a décidé de prolonger cette liste d’admissibilité alors qu’il parait évident, d’après les explications de Me Korngold-Wexler, que le Comité n’aurait jamais besoin d’un agent de griefs unilingue français puisque les agents bilingues pourraient suffire à cette tâche.. 

[46] Le 18 janvier 2004, Me Montreuil demande à Me Korngold-Wexler de lui fournir plus de précisions concernant la répartition linguistique des agents de grief.  En réponse à cette demande, Me Korngold-Wexler précise qu’entre le 1er septembre et le 18 décembre 2003, le Comité a embauché au total neuf (9) agents de griefs répartis comme suit : un agent de griefs unilingue anglais à un poste à durée indéterminée, trois agents de griefs unilingues anglais à des postes à durée déterminée, un agent unilingue anglais par la voie du programme Échanges Canada, deux agents de griefs unilingues par voie d’emploi temporaire et deux agents de griefs bilingues par voie de détachement.  En date du 18 décembre 2003, le Comité comptait à son actif quinze (15) agents de griefs dont six étaient bilingues au niveau CCC et neuf unilingues anglais.  Finalement, Me Korngold-Wexler mentionne, à nouveau, que si le volume de dossiers à être traités en français augmentait et que le Comité se voyait dans le besoin d’embaucher un agent de griefs unilingue français, alors il utiliserait la liste d’admissibilité unilingue français sur laquelle Me Montreuil était la seule candidate.  Elle précise également que le Comité avait prolongé cette liste d’admissibilité jusqu’en décembre 2004

[47] De cette information, la plaignante tire certaines conclusions.  Elle soutient qu’un unilingue anglophone peut être embauché par le Comité, mais que la seule postulante unilingue francophone ne sera pas embauchée.  Elle ajoute que la seule caractéristique qui différencie la postulante unilingue francophone dans le cas présent c’est qu’elle est transgenre.  Selon elle, la langue n’est pas la cause de la discrimination qu’elle allègue avoir subie, mais le prétexte pour cacher la discrimination.  Elle soutient que la discrimination est basée sur le sexe et que la langue n’est qu’un rideau devant.

[48] Plus tard durant l’été 2004, la plaignante demande à Me Korngold-Wexler de lui donner des précisions concernant la répartition linguistique des agents de griefs toujours en poste et sur la validité de la liste d’admissibilité. 

[49] Le 20 juillet 2004, elle reçoit l’information suivante.  On l’informe que le 6 juin 2004, l’intimé comptait 13 agents de griefs dont sept (7) unilingues anglais et six (6) bilingues au niveau CCC .  On ajoute également que l’intimé est passé de quinze (15) agents de griefs en décembre 2003 à treize (13) agents de griefs en juin 2004 et que, par conséquent, un concours interne à la Fonction publique était en cours afin d’établir des listes d’admissibilité en vue de pourvoir aux besoins de l’intimé pour les deux prochaines années.  En ce qui a trait à la liste d’admissibilité pour des candidats unilingues français, la plaignante était toujours la seule à figurer sur cette liste.   La lettre indique que cette liste serait utilisée advenant que le volume de dossiers à être traités en français augmente considérablement et que les agents bilingues, qui traitent entre autres de ces dossiers, ne suffisent plus à la demande. (C’est moi qui souligne.)  Me Korngold – Wexler n’expliquera pas ce qu’elle entend par une augmentation considérable des dossiers à traité en français. 

[50] À la lumière de cette preuve, nous pourrions conclure que la candidature de Me Montreuil n’a jamais été rejetée.  En effet, les témoins de l’intimé ont tous indiqué qu’elle avait été placée sur une liste d’admissibilité, laquelle a été prolongée à deux reprises et qui a finalement expiré en décembre 2004.  De plus, on lui indique que si le nombre de dossiers en français augmentait considérablement , le Comité n’hésiterait pas à faire appel à ses services.  Or, cette possibilité n’avait aucune chance de se réaliser, car de l’aveu même des témoins de l’intimé, il n’y a pas suffisamment de dossiers francophones au Comité pour un poste unilingue francophone et que quoi qu'il en soit, les agents de griefs bilingues suffisent pour le traitement de ces dossiers.

[51] Ainsi, en plaçant Me Montreuil sur une liste d’admissibilité pour laquelle il n’y aurait jamais de besoins, le Comité a, en fait, rejeté la candidature de celle-ci, car il imposait une condition impossible à remplir soit que le volume de dossiers à traiter en français augmente à un niveau tel que les agents bilingues ne suffiraient plus à la tâche.  Or, même si le nombre de dossiers en français augmentait, le Comité pourrait toujours accroître le nombre d’agents bilingues rendant vaine l’embauche d’un agent de griefs unilingue français.

(c) Les candidats retenus, en réponse au concours et par la suite, étaient-ils mieux qualifiés que la plaignante

[52] Le seul élément de preuve quant à la compétence des autres candidats est les résultats de l’entrevue qui indiquent que Me Montreuil s’est classée troisième sur les quatre candidats.  Les trois autres candidats, unilingues anglophones, ont tous été embauchés.  Rien n’indique que les candidats retenus étaient mieux qualifiés que Me Montreuil pour occuper un poste d’agent de grief.

(d) Une preuve prima facie a-t-elle été établie?

[53] Je conclus de la preuve qui précède que la plaignante a établi une preuve prima facie de discrimination.  Le fardeau est maintenant au Comité de fournir une explication raisonnable de la conduite qui lui est reprochée. 

(ii) L’explication de l’intimé

[54] L’explication donnée par le Comité pour refuser la candidature de Me Montreuil est qu’il n’a pas de besoins opérationnels pour un agent de griefs unilingue français et que, quoi qu’il en soit, ses agents de griefs bilingues suffisent à la tâche pour traiter les dossiers en langue française.  Or, comme nous l’avons déjà mentionné, l’annonce du concours pour lequel Me Montreuil a postulé indiquait que la majorité des postes était bilingue impératif CCC mais que certains sont unilingues anglais ou français (C’est moi qui souligne.).  Pourquoi alors avoir annoncé que certains postes seraient unilingue français , si le comité était d’avis, qu’il n’y avait pas suffisamment de dossier en français pour justifier l’embauche d’un agent de griefs avec ce profil?  Les réponses à cette question fournies par les témoins du Comité ne m’ont pas convaincues ni satisfaites.

[55] Notons que dans sa lettre du 18 décembre 2003, dont nous avons fait mention ci-dessus, Me Korngold-Wexler précise : Le Comité ne peut pas prédire le nombre de griefs qu’on aura à traiter en 2004.  Cependant, d’après nos données des deux dernières années, sur 226 dossiers complétés en 2002 et 2003 à date, 89 % étaient en anglais et 11 % en français.   Elle ajoute que le Comité traite en moyenne 100 à 126 griefs par an et qu’il a en place cinq agents de griefs bilingues au niveau CCC (dont la langue maternelle est le français) qui sont à même de traiter les dossiers français.  C’est d’ailleurs en prévision de ces besoins que nous avions embauché un certain nombre d’agents bilingues, lesquels seraient appelés à travailler dans les deux langues.   Je ne vois pas en quoi cette explication justifie la décision du comité. 

[56] Aux fins de l’audience, Me Korngold-Wexler, a préparé un tableau montrant le nombre de griefs traité par le comité entre 2000 et 2007.  Selon ce tableau, pour les années 2002 (205 griefs) et 2003 (146 griefs), le Comité aurait reçu un total de 351 griefs, dont 287 (81 %), en anglais, et 64 (18 %), en français.  Je note que ces chiffres ne concordent pas avec ceux fournis dans sa lettre du 18 décembre 2003.  Quoi qu'il en soit, l’explication donnée par Me Korngold‑Wexler pour expliquer pourquoi le Comité n’a pas besoin d’agents de griefs bilingue est loin d’être convaincante.  Pousser à son extrême cette logique pourrait également vouloir dire qu’il n’y a pas lieu d’embaucher des agents de griefs unilingues anglais puisqu’en augmentant le nombre d’agents de griefs bilingues, ceux-ci pourraient traiter tous les dossiers en anglais et en français.  Et pourtant, le Comité n’a pas hésité à embaucher des agents de griefs unilingues anglophones. 

[57] Je constate également qu’aucune preuve, autre le fait que 18 % des dossiers en langue française ne soit pas suffisant pour justifier l’embauche d’un agent de griefs français, n’a été présentée pour expliquer quel nombre de dossiers en langue française serait nécessaire pour qu’un besoin opérationnel justifie l’embauche d’un agent de griefs unilingue francophone.

[58] Selon le tableau de Me Korngold-Wexler, en 2002, le Comité a reçu 205 griefs dont 173 (84,4 %), en anglais, et 32 (15,6 %), en français.  En 2003, il a reçu 146 griefs, dont 114 (78,1 %), en anglais, et 32 (21,9 %), en français.  En 2004, le Comité a reçu 102 griefs, dont 82 (80,4 %), en anglais, et 20 (19,6 %), en français.  En 2005, le Comité a reçu 80 dossiers dont 52 (65 %), en anglais, et 28 (35 %), en français.  En 2006, 63 griefs dont 51 (81 %), en anglais, et 12 (19 %), en français.

[59] Même à 35 %, le comité considérait ne pas avoir de besoins opérationnels pour un agent de griefs unilingue français.  À partir de cette preuve, je dois en conclure que le Comité n’aura jamais besoin d’un agent de griefs unilingue français , à moins d’un revirement exceptionnel dans la composante linguistique des dossiers. Mais, alors pourquoi avoir placé Me Montreuil sur une liste d’admissibilité dont on n’aurait jamais besoin?

[60] Pour justifier sa décision, le Comité s’est également appuyé sur la Politique sur la dotation des postes bilingues émise par le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada qui prévoit qu’un poste à durée déterminée doit être doté de façon impérative, ce qui veut dire que l’on ne retient qu’uniquement la candidature de personne qui satisfont à toutes les exigences linguistiques du poste lors de l’embauche (Voir :  Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada,  Politique sur la dotation des postes bilingues – version archivée de 2001).  Bien que cette Politique explique les raisons pour lesquelles Me Montreuil n’a pu obtenir l’un des postes bilingues, elle ne répond pas à la question à savoir pourquoi le Comité a jugé bon de ne pas créer un poste unilingue francophone .

[61] Je tiens à préciser toutefois que la présente décision ne cherche pas à déterminer si le Comité a refusé d’embaucher Me Montreuil parce qu’elle était francophone, mais plutôt si le Comité a refusé de l’embaucher parce qu’elle était transgenre en utilisant son profil linguistique comme prétexte.  Je suis conscient qu’il ne relève pas du Tribunal de déterminer si une institution fédérale a pris en compte les exigences relatives aux langues officielles qui s’imposent lors de la dotation en personnel.  En effet, aux termes de l’article 91 de la Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985), ch. 31 (4e suppl.), les Parties IV et V de cette loi ne permettent pas, lors d’une dotation en personnel, la prise en compte des exigences relatives aux langues officielles que si elles s’imposent objectivement pour l’exercice des fonctions.  Les exigences en matière de langues officielles ne peuvent donc pas être dictées de façon frivole ou arbitraire (Voir : Canada (P.G.) c. Viola, [1991] 1 C.F. 373 (C.A.), mais uniquement en fonction de chaque situation. (Institut professionnel de la fonction publique c. Canada, [1993] 2 C.F. 90).  Aux termes de l’article 91, le gouvernement n’est pas nécessairement fondé à exiger, pour un poste donné, le bilinguisme des candidats.  Il en va particulièrement ainsi lorsque l’employeur ne s’est pas fondé sur les critères objectifs fixés par le Conseil du Trésor et lorsque le dossier de dotation ne comporte aucun motif justifiant une telle exigence. (Rogers c. Canada (Service correctionnel), [2001] 2 C.F. 586 (1re inst.); voir également R. Leckey et E. Didier, Le droit linguistique privé dans Les droits linguistiques au Canada (2ième éd.), sous la direction de Michel Bastarache, Éditions Yvon Blais, p. 537.) 

[62] Bien qu’il existe des recours spécifiques prévus à la Partie X de la Loi sur les langues officielles, afin de déterminer si l’institution dans sa dotation en personnel a contrevenu aux obligations qui sont les siennes en vertu de cette loi, cela n’enlève aucunement la compétence au Tribunal de déterminer, si une exigence linguistique, même celle qui se justifie objectivement, est en même temps porteuse de discrimination.  Le Tribunal n’outrepasse pas son mandat lorsqu’il se demande si l’aspect linguistique d’une dotation, comme c’est le cas ici, n’est qu’un prétexte pour une discrimination au sens de la LCDP.  Le fait qu’une activité puisse être assujettie à la surveillance et la réglementation sectorielle, en l’espèce la Loi sur les langues officielles, n’empêche pas l’application de la LCDP.  (Voir notamment le paragraphe 82(2) de la Loi sur les langues officielles qui mentionne spécifiquement qu’elle n’a pas primauté sur la LCDP.)

[63] Ainsi, dans Vlug c. S.R.C (2000), 38 C.H.R.R. 404, aux paras, 30 à 32, le Tribunal a conclu que les décisions émises par le CRTC concernant le sous-titrage n’étaient pas déterminantes quant à l’obligation de sous-titrer en vertu de la LCDP.  Il s’agit, selon le Tribunal, de deux critères légaux différents.

[64] De même, le juge Rothstein (tel était alors son titre) écrit dans Canada (Procureur général) c. Uzoaba, [1995] 2 C.F. 569 :

L’avocat du procureur général soutient que suivant la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33, les promotions doivent être accordées au mérite.  Il affirme que ce système de promotion est exposé en détail dans la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, et qu’un tribunal des droits de la personne ne peut y passer outre.  Il prétend que le pouvoir du Tribunal se limite à renvoyer l’affaire devant le Service correctionnel du Canada pour que celui-ci présente une demande d’exemption en vertu de l’article 41 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, et déclare que M. Uzoaba avait droit à un poste de niveau WP-5 ou encore, ordonne que M. Uzoaba a le droit de se présenter à un concours pour un poste de niveau WP-5.

[…]

Je pense que le principe de la préséance doit s’appliquer en l’espèce pour permettre à un tribunal des droits de la personne d’ordonner l’octroi d’une promotion qui, selon lui, a été refusée pour des motifs discriminatoires, en violation de la Loi.  En d’autres termes, la compétence de la Commission de la fonction publique et la procédure qui doit normalement être suivie pour l’octroi des promotions au sein de la fonction publique n’ont pas préséance dans ces rares cas où des promotions ont été refusées pour des motifs discriminatoires et où un tribunal, exerçant la compétence qui lui est conférée par la Loi, ordonne qu’une promotion soit accordée à une personne afin de corriger les effets de l’acte discriminatoire de l’employeur.  À cet égard, je fais mienne l’interprétation du juge Dickson, alors juge puîné, dans l’arrêt Kelso c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 199, où il dit à la page 207 :

Personne ne conteste le droit général du gouvernement de répartir les ressources et les effectifs comme il le juge approprié.  Mais ce droit n’est pas illimité.  Son exercice doit respecter la loi.  Le droit du gouvernement de répartir les ressources ne peut l’emporter sur une loi telle que la Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, ch. 33, ou sur un règlement tel que le Décret d’exclusion.

[65] Les mêmes principes s’appliquent en l’espèce.  Bien qu’un recours puisse exister en vertu de la Loi sur les langues officielles, cela n’enlève pas la compétence du Tribunal de traiter de la question de discrimination le cas échéant.

[66] Je tiens également à préciser que l’intention d’exercer une discrimination n’est pas une condition préalable à un constat de discrimination.  Dans Commission des droits de la personne de l’Ontario et Theresa O’Malley c. Simpson‑Sears Ltd, [1985] 2 R.C.S. 536, la juge McIntyre déclare aux pages 549‑550 :

[…] conclure que l’intention constituer un élément nécessaire de la discrimination en vertu du Code (Code ontarien des droits de la personne) serait, me semble-t-il, élever une barrière pratiquement insurmontable pour le plaignant qui demande réparation […]  Je suis d’avis que les tribunaux d’instance inférieur ont eu tort de conclure que l’intention d’établir une distinction constitue un élément de preuve nécessaire.

[67] Ainsi, nul n’est besoin de démontrer que les membres du Comité avaient l’intention de discriminer à l’encontre de Me Montreuil.  D’ailleurs, la discrimination est souvent invisible.  Des personnes qui font de la discrimination souvent ne se rendent pas compte qu’elles le font.  Cela ne signifie pas cependant que les autres ne s’en rendent pas compte.  Ainsi, en tenant compte de toutes les circonstances, est-il possible d’établir qu’il existe ici de subtiles odeurs de discrimination comme décrit dans l’affaire Basi, précitée? 

[68] Pour en arriver à ma conclusion, j’ai examiné l’ensemble de la situation en procédant à un examen soigné et approfondi des éléments de preuve présentés par les deux parties.  J’ai considéré objectivement les arguments de Me Montreuil et ceux du comité.  Or, la preuve et les arguments qui m’ont été soumis par le Comité ne m’ont pas convaincu qu’il n’existait pas une subtile odeur de discrimination dans la décision de ne pas offrir un poste d’agent de griefs à Me Montreuil.

[69] Bien que les témoins du Comité aient soutenu que le transgendrisme de Me Montreuil n’ait eu aucun effet sur la décision de ne pas l’embaucher, la preuve et les explications qu’ils m’ont présentées pour soutenir leurs arguments ne m’ont pas convaincu.  Est-ce raisonnable de dire qu’il n’y avait pas suffisamment de travail en français au Comité pour occuper même un seul agent de griefs francophone unilingue alors que la charge de travail en français approchait de 18 %?  Tout au long de l’audience, aucune réponse satisfaisante n’a été donnée à cette question.  Le simple fait de dire que les agents bilingues pouvaient satisfaire au besoin pour traiter les dossiers français n’est pas une réponse satisfaisante.  Comme je l’ai déjà mentionné, la même logique pourrait être utilisée pour justifier le fait d’avoir moins d’agents unilingues anglophones. 

[70] De même, l’argument voulant que les agents bilingues étant tous francophones, de désigner un poste français unilingue restreindrait leur droit de travailler en français, n’est appuyé par aucune preuve. 

[71] Finalement, un fait saute aux yeux lorsque nous regardons la preuve dans son ensemble.  Me Montreuil possédait une caractéristique que les autres agents de griefs n’avaient pas : elle est transgenre.  Comme je l’ai déjà indiqué, la norme de la preuve dans les causes de discrimination est la norme civile ordinaire de la prépondérance des probabilités.  Selon cette norme, je me dois de conclure que le Comité a fait preuve en l’espèce de discrimination.  Il me faut conclure que la preuve rend cette conclusion plus probable que n’importe quelle autre conclusion ou hypothèse possible.  Bien qu’il se puisse que les considérations discriminatoires ne soient pas les seules raisons de la décision de ne pas embaucher Me Montreuil, cela n’est pas suffisant, lorsque des considérations discriminatoires sont également des facteurs de la décision de ne pas embaucher.

[72] Le Comité n’a pu fournir d’explication raisonnable justifiant sa décision d’embauche Me Montreuil pour un poste d’agents de griefs et pour ces raisons, je conclus qu’il existe cette subtile odeur de discrimination. .  Je conclus donc que le  Comité a exercé l’égard de Me Montreuil de la discrimination fondée sur le sexe (transgenre) contrairement aux articles 3 et 7 de la LCDP.

D. Les redressements sollicités par Micheline Montreuil

[73] Ayant conclu que le Comité avait exercé de la discrimination à l’égard de Me Montreuil, il me faut maintenant aborder la question des redressements.  À titre de redressement, Me Montreuil réclame :

  1. une ordonnance en vertu de l’alinéa 53(2)c) de la LCDP pour pertes de salaire;
  2. une ordonnance pour indemnité pour préjudice moral en vertu de l’alinéa 53(2)e) de la LCDP
  3. une ordonnance en vertu du paragraphe 53(3) de la LCDP;
  4. les intérêts aux termes du paragraphe 53(4) de la LCDP

(i) Réclamation pour pertes de salaire

[74] Me Montreuil réclame en vertu de l’alinéa 53(2) c) de la LCDP que le Tribunal ordonne le Comité a lui payer le salaire et les avantages sociaux qu’elle aurait reçus si elle avait été embauchée par le Comité à compter du 1er novembre 2003 jusqu’au 28 février 2006.  Elle réclame également un montant pour dommages futurs pour la période comprise entre le 1er mars 2006 et le 31 décembre 2006.

[75] En premier, je tiens à préciser qu’aucune preuve n’a été présentée au Tribunal pour soutenir la réclamation pour dommages futurs et que cette réclamation est donc rejetée.

[76] Selon l’annonce du concours, le poste pour lequel Me Montreuil a postulé était d’une durée de 12 mois ou plus qui devait se conclure le 31 décembre 2004.  Le traitement se situait dans une échelle entre 59 817 $ et 64 670 $.  Aucune preuve n’a été présentée afin de déterminer à quel niveau de l’échelle Me Montreuil se serait trouvé s’il avait été embauché.  J’en déduis donc qu’initialement, elle se serait retrouvée au bas de l’échelle soit à 59 817 $.  Bien que le Comité ait embauché trois agents de griefs en septembre 2003, j’accepte les prétentions de Me Montreuil que la date de son embauche soit fixée au 1er novembre 2003. 

[77] Du 1er novembre 2003 au 1er novembre 2004, le salaire de Me Montreuil si elle avait travaillé pour le Comité aurait été de 59 817 $.  Puisque le poste devait se terminer, le 31 décembre 2004, j’ajoute à ce montant de 10 000 $, comme perte de salaire pour les mois de novembre et décembre 2004.  Ainsi, si elle avait été embauchée par le Comité à compter du 1er novembre 2003 jusqu’au 31 décembre 2004, Me Montreuil aurait reçu un salaire de 69 817 $. 

[78] De ce montant doivent être déduits les revenus que Me Montreuil a reçus pour ces deux années respectives.  Dans ses rapports d’impôt pour les années 2003 et 2004, Me Montreuil a réclamé des pertes pour l’exercice de sa profession libérale ainsi que des revenus de location en ce qui concerne l’année 2004.  Comme ces pertes n’ont pas été expliquées à l’audience, je ne vois aucune raison pour laquelle le Comité devrait en être tenu responsable dans le calcul de la perte de salaire.  Je n’en tiendrai donc pas compte dans le présent calcul.

[79] Selon les rapports d’impôt de Me Montreuil pour l’année 2003, ses revenus d’emploi étaient de 46 741 $ et pour 2004 de 22 853 $.  Pour la période du 1er novembre 2003 au 31 décembre 2004, je déduirai donc du montant de 69 817 $, la somme de 30 643 $.  J’établis donc la perte de salaire de Me Montreuil pour cette période à 39 174 $.  La plaignante ayant réussi à démontrer, par ces différentes tentatives d’obtenir d’autres emplois, qu’elle avait fait ce qui était nécessaire afin de minimiser ses pertes, je considère qu’il n’y a pas lieu de diminuer cette somme pour manquement à l’obligation d’atténuer les pertes.

[80] En ce qui concerne la perte de salaire, j’ordonne que Me Montreuil soit indemnisée pour une somme de 39 174$.

(ii) Ordonnance pour indemnité pour préjudice moral

[81] La plaignante réclame également une somme de 20 000 $ à titre de dédommagement pour préjudice moral aux termes de l’alinéa 53(2)e) de la LCDP.  Encore une fois, aucune preuve n’a été présentée à l’audience pour soutenir cette réclamation.  Il ne suffit pas pour une partie d’alléguer un préjudice moral, encore faut-il qu’elle étaye cette réclamation avec certains éléments de preuve, aussi modeste soit-il, pour démontrer quel effet l’acte discriminatoire a eu sur elle.

[82] Vu l’absence de preuve que la décision du Comité ait causé un préjudice moral à la plaignante, je ne crois pas qu’il y ait lieu d’émettre l’ordonnance réclamée.

(iii) Une ordonnance en vertu du paragraphe 53(3) de la LCDP

[83] La plaignante réclame en vertu du paragraphe 53(3) de la LCDP un montant de 20 000$ puisqu’elle soutient que les gestes posés par le Comité étaient délibérés et inconsidérés.

[84] En ce qui concerne la nature délibérée des gestes posés par le Comité, aucun élément de preuve ne vient étayer la prétention que le Comité ait agi de manière délibérée.  Dans ma décision, j’ai tout simplement conclu qu’il était raisonnable, sur une balance des probabilités, de conclure que certains aspects de la conduite du Comité peuvent être perçus comme étant discriminatoires.  Je n’ai jamais conclu et aucune preuve ne m’a été présentée pour permettre de conclure que le Comité avait agi de manière délibérée envers la plaignante.

[85] Le Comité a-t-il agi d’une manière inconsidérée?  Selon le Black's Law Dictionary, un acte inconsidéré est un acte qui fait preuve d'indifférence à l'égard des conséquences.  Le mot recklessly dans la version anglaise de la LCDP est traduit dans la version française par le mot inconsidéré , lequel semble envisager un acte qui a été commis de façon irréfléchie (qui témoigne d'un manque de réflexion; qui n'a pas été considéré, pesé : Le petit Robert de la langue française - 2006).

[86] Selon moi, dans une langue ou l'autre, le qualificatif peut être attribué à l'acte discriminatoire commis par le Comité en l’espèce.  Étant donné la nature du mandat du Comité, nous aurions été en droit de nous attendre à ce qu’il soit plus sensible aux conséquences que pourraient avoir les gestes qu’il posait.  En ce sens, nous pouvons dire qu’il a témoigné d’un manque de réflexion et qu’il n’a pas pesé adéquatement les conséquences de ses gestes.  J’en conclus donc que les gestes du Comité étaient inconsidérés.

[87] Le paragraphe 53(3) mentionne qu'une indemnité maximale de 20 000 $ peut être accordée. Compte tenu de l'ensemble des circonstances en l'espèce, notamment du fait que les actes discriminatoires commis par le Comité n'étaient pas vraiment délibéré ou malveillants, j'ordonne qu’il paie à Me Montreuil la somme de 5 000 $ au titre de l'indemnité spéciale prévue au paragraphe 53(3).

(iv) Intérêt

[88] L’intérêt est payable à l’égard de toutes les indemnités accordées dans la présente décision (paragraphe 53(4) de la Loi).  L’intérêt devra être calculé selon la règle 9(12) des Règles de procédure du Tribunal canadien des droits la personne (03-05-04) soit au taux simple sur une base annuelle en se fondant sur le taux officiel d’escompte fixé par la banque du Canada.  L’intérêt courra à compter de la date de la plainte jusqu’à la date du versement de l’indemnité.

E. Conclusion

[89] Pour les raisons qui précèdent, je juge fondé la plainte de discrimination fondée sur le sexe (transgenre) contrairement aux articles 3 et 7 de la LCDP déposée par la plaignante, Micheline Montreuil, contre l’intimée, le Comité des griefs des Forces canadiennes et j’ordonne à l’intimé de payer à la plaignante :

  1. une indemnité de 39 174 $ en guise de perte de salaire;
  2. une indemnité spéciale de 5 000 $; et
  3. c) de lui verser les intérêts sur les indemnités au taux simple sur une base annuelle en se fondant sur le taux officiel d’escompte fixé par la Banque du Canada à compter de la date de la plainte jusqu’à la date du versement des indemnités.

Signée par

Michel Doucet
Membre du tribunal

Ottawa (Ontario)
Le 20 novembre 2007

Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T1108/8905

Intitulé de la cause : Micheline Montreuil c. Comité des griefs des Forces canadiennes

Date de la décision du tribunal : Le 20 novembre 2007

Date et lieu de l’audience : Les 16 au 20 avril 2007
Le 23 avril 2007

Québec (Québec)

Comparutions :

Micheline Montreuil, pour elle même

Aucune comparution, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Guy Lamb et Nadine Dupuis, pour l'intimé

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