Tribunal canadien des droits de la personne

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Contenu de la décision

Entre :

Raymond Thwaites, Leon M. Evans, Ken Green,

Paul Prentice, Donald Barnes, Gary Scott et Brian McDonald

les plaignants

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

L’association des pilotes d’Air Canada

l'intimée

Entre :

Raymond Thwaites, Leon M. Evans et Ken Green

les plaignants

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Air Canada

l'intimée

Décision sur requête

Membre : Karen A. Jensen

Date : Le 7 décembre 2007

Référence : 2007 TCDP 54

[1] Raymond Thwaites est pilote chez Air Canada. M. Thwaites et six autres pilotes chez Air Canada ont été obligés de prendre leur retraite à l’âge de 60 ans, conformément au régime de retraite des pilotes d’Air Canada. Ils se sont retirés entre le 1er mai 2005 et le 1er avril 2006.

[2] Les plaignants ont déposé des plaintes auprès de la Commission canadienne des droits de la personne dans lesquelles ils prétendent que la politique de retraite obligatoire en vigueur chez Air Canada constitue de la discrimination contre eux fondée sur l’âge, ce qui contrevient aux articles 7, 9 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[3] Air Canada, intimée dans les sept plaintes, et l’Association des pilotes d’Air Canada, intimée dans trois plaintes, ont déposé une requête demandant au Tribunal de rejeter les sept plaintes sans audience. Elles soutiennent que la décision rendue par le Tribunal dans Vilven et Kelly c. Air Canada, 2007 TCDP 36, a statué de façon incontestable sur les questions de fait et de droit soulevées dans les présentes plaintes. Tenir une audience concernant les présentes plaintes constituerait un abus de procédure puisque les circonstances des plaignants en l’espèce ne diffèrent pas de celles de M. Vilven et de M. Kelly.

[4] Dans la décision Vilven et Kelly, le Tribunal a examiné si la politique de retraite obligatoire en vigueur chez Air Canada, laquelle avait obligé les plaignants dans cette affaire à prendre leur retraite en 2003 et en 2005, était discriminatoire. L’alinéa 15(1)c) de la LCDP prévoit qu’il n’est pas discriminatoire de mettre fin à l’emploi d’une personne en appliquant la règle de l’âge de la retraite en vigueur pour ce genre d’emploi. Les plaignants soutenaient que le Tribunal ne devait pas appliquer l’alinéa 15(1)c) à leurs plaintes, car il contrevenait à l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés.

[5] Le Tribunal a conclu que l’alinéa 15(1)c) ne contrevenait pas à la Charte. Il a de plus statué que M. Vilven et M. Kelly avaient atteint l’âge de la retraite en vigueur pour le genre d’emploi qu’ils occupaient. Pour ces motifs, le Tribunal a rejeté les plaintes. 

[6] Pour établir quel était l’âge de la retraite en vigueur en 2003 et en 2005 pour le genre d’emploi qu’occupaient les plaignants, le Tribunal a employé deux approches. La première était l’approche normative, laquelle obligeait le Tribunal à chercher la règle régissant l’âge maximal de la retraite dans l’industrie de l’aviation. L’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) a adopté des normes concernant l’âge maximal des pilotes des transporteurs aériens commerciaux. En septembre 2003 et en mai 2005, la norme de l’OACI applicable aux pilotes commandants de bord était la retraite obligatoire à l’âge de 60 ans.

[7] La deuxième approche employée par le Tribunal dans Vilven et Kelly pour déterminer quel était l’âge de la retraite en vigueur était l’approche empirique. Cette dernière consistait en un examen de la preuve relative à l’âge de la retraite chez les principaux transporteurs aériens internationaux. La preuve a établi que, en 2003 et en 2005, l’âge de la retraite obligatoire pour le genre d’emploi occupé par les plaignants était fixé à 60 ans. 

[8] Le 23 novembre 2006, une nouvelle norme de l’OACI est entrée en vigueur, laquelle fixait à 65 ans l’âge maximal des pilotes commandants de bord. Tous les plaignants en l’espèce ont pris leur retraite avant l’entrée en vigueur de cette nouvelle norme. Étant donné que le Tribunal, dans Vilven et Kelly, a établi qu’avant l’entrée en vigueur de la nouvelle norme de l’OACI en novembre 2006, l’âge de la retraite en vigueur était de 60 ans, permettre aux plaignants de mettre à nouveau la question en litige constituerait un abus de procédure selon les intimées.

[9] La doctrine de l’abus de procédure est appliquée pour empêcher la réouverture de litiges dans des circonstances où les exigences strictes de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée n’étaient pas remplies, mais où la réouverture aurait néanmoins porté atteinte aux principes d’économie, de cohérence, de caractère définitif des instances et d’intégrité de l’administration de la justice : Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, [2003] 3 R.C.S. 77, au paragraphe 37. La Cour fédérale a approuvé l’application de cette doctrine dans le cadre d’une procédure devant le Tribunal : Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Société canadienne des postes (Cremasco), 2004 CF 81, au paragraphe 41; conf. par 2004 CAF 363.

[10] Comme l’a noté récemment le Tribunal dans Morten c. Air Canada, 2007 TCDP 48, au paragraphe 23, la doctrine de l’abus de procédure est appliquée pour empêcher les remises en causes, car elles peuvent avoir des conséquences dommageables. Par exemple, une remise en cause peut entraîner des résultats contradictoires. Elle peut constituer un gaspillage de ressources judiciaires et être une source de dépenses inutiles pour les parties (Toronto c. S.C.F.P., 2003 CSC 63, aux paragraphes 37 et 51).

[11] Cependant, le Tribunal doit faire preuve de prudence dans l’application de doctrines comme l’abus de procédure, lesquelles ont comme résultat le rejet d’une plainte sans audience. Une telle décision prive les parties de l’occasion de produire une preuve et de formuler des observations au sujet de la présumée violation de leurs droits (O’Connor c. La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2006 TCDP 5, au paragraphe 22). Quand il apparaît clairement que le rejet d’une plainte pourrait être source d’iniquité ou d’injustice, la doctrine ne devrait pas être appliquée (Morton, au paragraphe 24; Toronto c. S.C.F.P., au paragraphe 52).

[12] Je conclus que rejeter les plaintes maintenant en me fondant sur la doctrine de l’abus de procédure pourrait être source d’iniquité ou d’injustice. Les questions soulevées dans les plaintes n’ont pas été tranchées de manière incontestable. Les plaignants et la Commission canadienne des droits de la personne ont demandé à la Cour fédérale le contrôle judiciaire de la décision rendue par le Tribunal dans Vilven et Kelly. En fonction de l’issue de ces demandes, les questions dans les présentes plaintes pourraient demeurer en suspens. Le droit de soumettre ces questions au Tribunal serait irrévocablement perdu si le Tribunal rejetait maintenant les plaintes sans audience. Ce résultat serait injuste. Le dépôt de nouvelles plaintes ne pourrait réparer cette injustice, puisque les nouvelles plaintes ne pourraient selon toute probabilité pas être présentées avant l’échéance du délai d’un an pour déposer les plaintes (alinéa 41(1)e) de la LCDP).

[13] Par conséquent, la requête des intimées visant à faire rejeter les plaintes est rejetée, sans qu’il soit porté atteinte à leur droit d’introduire une requête visant à suspendre la présente procédure jusqu’à ce que soit connue l’issue des demandes de contrôle judiciaire dans Vilven et Kelly.

Signée par

Karen A. Jensen
Membre du tribunal

Ottawa (Ontario)
Le 7 décembre 2007

Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T1196/0807 et T1197/0907

Intitulé de la cause : Raymond Thwaites et al. c. l’Association des pilotes d’Air Canada et
Raymond Thwaites et al. c. Air Canada
Date de la décision sur requête du tribunal : Le 7 décembre 2007

Comparutions :

Raymond D. Hall, pour les plaignants, Raymond Thwaites, Ken Green, Paul Prentice,
Donald Barnes, Gary Scott et Brian McDonald

Aucune représentation, pour le plaignant, Cpt. Leon M. Evans

Aucune représentation, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Bruce Laughton, c.r., pour l'intimée, l’Association des pilotes d’Air Canada

Fred Headon, pour l'intimée, Air Canada

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