Tribunal canadien des droits de la personne

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D. T. 18/ 88

Décision rendue le 14 décembre 1988

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE (S. C. 1976- 1977, C. 33, modifiée)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE:

MEHRAN ANVARI, PLAIGNANT

- et

LA COMMISSION DE L’EMPLOI ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA, MISE EN CAUSE

DÉCISION DU TRIBUNAL

DEVANT: ELIZABETH ANNE GARLAND LEIGHTON

ONT COMPARU: KATHRYN BARNARD Avocate du plaignant

BRIAN SAUNDERS Avocat du mis en cause

JAMES HENDRY ET PAT LINDSEY- PECK Avocats de la Commission canadienne des droits de la personne

DATE ET LIEU DE L’AUDIENCE: du 11 au 13 avril 1988 à Ottawa (Ontario)

 

DÉCISION

LA PLAINTE

Dans cette affaire, la plainte a été déposée par MEHRAN ANVARI, qui désigne la Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada comme étant la mise en cause qui a violé la Loi canadienne sur les droits de la personne (1976- 1977) S. C. c. 33, modifiée. La plainte de M. Anvari a été formulée à l’origine, comme suit, sur un formulaire de plainte de la Commission canadienne des droits de la personne qu’il a signé le 16 octobre 1984 (pièce HRC- 1):

(traduction)

"J’ai des motifs valables de croire que j’ai été victime de discrimination du fait de ma déficience, ce qui va à l’encontre de l’alinéa 5b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne."

LES FAITS

MEHRAN ANVARI est né en Iran le 16 décembre 1959; il demeure citoyen iranien. A l’âge de cinq (5) ou six (6) ans, il est atteint de polio, maladie qui lui affaiblit considérablement les jambes. A son avis, sa jambe droite n’est pas fonctionnelle et la force de sa jambe gauche est inférieure à la normale.

Alors qu’il est encore jeune, sa famille l’envoie en Allemagne pour que l’on essaie de remédier aux effets de la polio; en outre, il est hospitalisé en Iran, où l’on tente de stabiliser son genou et sa cheville (probablement droits).

La polio semble également avoir entraîné une déviation de la colonne vertébrale chez M. Anvari, état qui a été exacerbé par la faiblesse des muscles entourant celle- ci. Cette scoliose était évidente, selon M. Anvari, lorsqu’il était en Iran, mais elle ne semble pas y avoir été traitée ni avoir constitué un sujet de préoccupation d’ordre médical pour ses parents lorsqu’il vivait avec eux.

Ses parents se préoccupaient non seulement de son état de santé, mais également de son éducation, car il signale qu’il a appris l’anglais en Iran, où il a d’ailleurs fait des études en psychologie et en sociologie. De plus, il a étudié la musique et il est capable de jouer tous les instruments à clavier.

Certains ont pu laisser entendre que M. Anvari était venu au Canada en 1981 dans le but d’y subir des traitements médicaux; toutefois, le fait que son frère résidait à Ottawa à une époque d’instabilité politique en Iran peut aussi l’avoir incité à venir au Canada.

En partant de Téhéran avec environ 10 000 $ en poche au printemps de 1980, M. Anvari s’arrête donc à Londres, en Angleterre, où il a de la parenté. Ses parents et les membres de sa famille qui résident à Londres subviennent à ses besoins alors qu’il attend son visa d’entrée au Canada.

Sa demande de visa d’étudiant est rejetée; M. Anvari dit avoir indiqué sur sa seconde demande qu’il désirait venir au Canada pour y subir un examen médical et des traitements. C’est sur la foi de cette seconde demande que M. Anvari se voit accorder un visa le 28 février 1981. M. Anvari prend immédiatement des mesures pour venir à Ottawa, où l’attend son frère qu’il décrit comme étant un immigrant reçu et son parrain.

Malgré cette perception, M. Anvari arrive au Canada au début du printemps 1981 muni d’un visa de visiteur pour quatre (4) semaines seulement; la durée de ce visa sera plus tard prolongée afin de lui laisser plus de temps pour obtenir des traitements médicaux.

M. Anvari prend rendez- vous pour voir le médecin de famille - probablement le médecin de famille de son frère - au sujet de sa scoliose et de ses autres problèmes de santé liés à la polio. Il est renvoyé à un certain docteur Armstrong, orthopédiste de l’hôpital Civic d’Ottawa, qui l’informe qu’une opération pourrait stabiliser la déviation de sa colonne vertébrale et prévenir les problèmes susceptibles de se poser plus tard dans la vie du fait de cette malformation.

De plus, précise M. Anvari, on lui signale qu’une telle opération co terait environ 12 ou 13 000 $ à une personne non protégée par le Régime d’assurance- maladie de l’Ontario.

M. Anvari a déclaré sous serment qu’à l’époque, il désirait l’opération. A l’époque également, il pensait que son père pourrait en assumer les frais. Lorsque celui- ci l’informa qu’il n’était plus en mesure de transférer des fonds de l’Iran à d’autres pays, M. Anvari décida de réserver ses économies personnelles de 6 ou 7 000 $ à des fins plus importantes.

L’une de ces fins plus importantes était peut- être de se rendre à Buffalo aux États- Unis et d’y présenter une demande de visa d’étudiant. Cette fois, M. Anvari réussit et il revient au Canada le 6 mai 1981 avec le statut d’ étudiant.

Pour souligner son statut d’étudiant, M. Anvari s’inscrit à quatre (4) cours - dont la psychologie et la musique - à l’Université d’Ottawa. En tant qu’étudiant, M. Anvari comprend qu’il est couvert par le Régime d’assurance- maladie de l’Ontario; cependant, il ne retourne pas voir le docteur Armstrong pour suivre sa recommandation de subir une opération au dos. En fait, en 1982, M. Anvari a quitté la maison de son frère et s’est trouvé un appartement. Il s’est rendu compte qu’il lui faudrait trouver du travail, car son père ne lui enverrait pas d’argent à partir de l’Iran, sans compter qu’il n’a pas connu beaucoup de succès en tant qu’étudiant, ne terminant qu’un seul de ses quatre (4) cours à l’université.

Il réussit à obtenir un permis de travail et à trouver un emploi pour un service de taxi faisant la navette entre l’aéroport et le centre- ville d’Ottawa. En outre, il enseigne la musique à des jeunes Persans et devient, en 1983, membre actif de la communauté iranienne d’Ottawa.

C’est par l’entremise de ses amis qu’il apprend l’existence du Programme fédéral RAN, lequel a notamment pour objet de venir en aide aux Iraniens présents au Canada qui cherchent à être admis en permanence au pays. Les dispositions de ce programme sont énoncées à l’annexe 4 du Guide de l’immigration IS 26 (IRAN); quant à la disposition qui intéresse plus particulièrement M. Anvari, elle est énoncée au point 9( 1) comme suit:

(traduction)

"Les Iraniens présents au Canada en date du 1er mars 1983 qui cherchent à y demeurer à titre de résidents permanents, mais qui ne répondent pas aux exigences de la ligne directrice IS 1.39 peuvent se voir accorder le droit d’établissement par décret du conseil pourvu qu’ils séjournent au Canada depuis au moins douze mois. Les requérants doivent être évalués individuellement en fonction de leur aptitude à s’établir avec succès.

Dans les cas où il y a certains doutes, par exemple celui des étudiants, le CIC peut prolonger la durée du statut en attendant un examen plus approfondi.

Les cas de refus envisagés doivent être soumis au directeur, Formalités opérationnelles, Administration centrale."

Selon un communiqué de presse daté de mars 1983, le gouvernement fédéral a mis en oeuvre ces dispositions au printemps de 1983 parce qu’il était préoccupé par (traduction) la situation des droits de la personne en Iran.. ajoutée à la guerre Iran- Iraq. En effet, le communiqué de presse laisse entendre que les Iraniens présents au Canada qui demandent à y être admis à titre de résidents permanents pourraient ensuite, en cette qualité, demander à parrainer les personnes à leur charge en Iran et atteindre ainsi l’objectif de la réunion des familles. Il va sans dire qu’en avril 1983, M. Anvari demande à devenir immigrant reçu au Canada. Au cours de l’entrevue qu’il a avec l’agente d’immigration le jour du dépôt de sa demande, il informe cette dernière de l’emploi qu’il exerce comme chauffeur de taxi, de la rémunération qu’il en tire, de sa situation financière immédiate -- apparamment moins reluisante que l’année précédente en raison de dépenses médicales n’ayant rien à voir avec sa scoliose -- et, pense- t- il, l’impressionne par sa facilité d’expression en anglais. En effet, les notes de cette agente indiquent qu’elle a été tellement impressionnée par M. Anvari qu’elle recommande de lui accorder le statut d’immigrant reçu - pourvu que son état de santé n’aille pas à l’encontre des lignes directrices comme telles. Le supérieur immédiat de cette agente fait l’observation suivante:

"Je suis d’accord, sous réserve des résultats médicaux... semble être un bon candidat."

Cette entrevue est suivie d’autres entrevues, dont une s’accompagne d’une évaluation médicale des dossiers. Cette évaluation est exigée de tous les candidats au statut d’immigrant reçu au Canada. L’alinéa 19 (1) a) de la Loi sur l’immigration prévoit la possibilité de refuser l’admission au Canada sur la foi de constatations précises d’ordre médical. La partie de cet alinéa qui s’applique à M. Anvari se lit comme suit:

Ne sont pas admissibles: Les personnes souffrant d’une maladie, d’un trouble, d’une invalidité ou autre incapacité pour raison de santé, dont la nature, la gravité ou la durée probable sont telles qu’un médecin, dont l’avis est confirmé par au moins un autre médecin, conclut ... que leur admission entraînerait ou pourrait vraisemblablement entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé.

Le rapport médical initial est établi par le docteur George J. Fiala, médecin examinateur, le 9 mai 1983. Ce rapport présente M. Anvari comme étant une personne qui n’a eu aucun problème de santé grave autre que une opération à une jambe à cause de la polio et des malformations également liées à la polio et une parésie aux deux jambes. Le rapport note qu’à part cela il est en santé et que l’on ne prévoit pas de détérioration de son état. Probablement sur la foi de renseignements fournis par M. Anvari lui- même, le docteur Fiala signale également que ce dernier sera opéré par le docteur Armstrong, chirurgien orthopédiste de l’hôpital Civic d’Ottawa.

Sur la foi de ce rapport, M. J. Ferrari, directeur des Services médicaux (Immigration), demande que M. Anvari soit vu par un chirurgien orthopédiste -- lui demandant plus particulièrement d’établir un pronostic et de préciser si l’opération aurait des chances d’améliorer son état". Par suite de cette demande, le docteur Cyril M. Hradecky, chirurgien orthopédiste, voit M. Anvari le 7 juillet 1983. A ce qu’il paraît, celui- ci répète qu’il doit subir une intervention pour corriger la déviation de sa colonne vertébrale ainsi que pour stabiliser les articulations d’un genou et d’une cheville. Le docteur Hradecky ne se prononce toutefois pas sur la question de savoir si l’opération envisagée améliorera l’état de M. Anvari; en fait, il signale que c’est le docteur Armstrong lui- même qui serait le mieux placé pour répondre à cette question.

Le docteur Armstrong déclare au cours de l’audience que, même si les chirurgiens orthopédistes recommandent l’opération dans le cas des personnes dont la déviation de la colonne vertébrale est de plus de 50 degrés, cette intervention est purement facultative, car il n’est pas à craindre que la déviation endommage la colonne vertébrale. Pour ce qui est de l’intervention proposée à la ou aux jambes de M. Anvari, le docteur Armstrong déclare que l’utilisation temporaire d’un appareil orthopédique pour la jambe gauche constituerait un moyen adéquat de palier à la faiblesse de la ou des jambes de M. Anvari.

Le médecin qui fait sa recommandation sur la foi du premier rapport et de la lettre du docteur Hradecky n’invite toutefois pas le docteur Armstrong à venir donner cetteopinion. Les docteurs P. T. Abear et D. A. Smith signalent la notification médicale à Mehran Anvari le 2 ao t 1983, signalant qu’il souffre d’un problème de santé qui exigera une intervention longue et co teuse, d’un type fort peu répandu et que, par conséquent il n’est pas admissible en vertu de la Loi sur l’immigration. M. Anvari ne répond donc plus aux critères du programme RAN.

A ce moment là, il reste la possibilité de recommander l’octroi d’un permis du ministre, ce qui nécessite une nouvelle entrevue.

Selon G. Bénard, directeur par intérim du Centre d’Immigration Canada à Ottawa, cette entrevue a lieu le 15 février 1984 entre Jacqueline Haslam et M. Anvari.

A partir de son ou ses entrevues avec M. Anvari et de l’étude de son dossier, Mme Haslam rédige le rapport qui est envoyé au directeur général de la région de l’Ontario à Toronto, en date du 25 juillet 1984. Ce rapport, signé par G. Bénard, est envoyé en fin de compte au chef de la Direction du réexamen des cas, Direction générale des opérations de l’Immigration à Hull (Québec), accompagné d’une lettre d’approbation (fondée toutefois sur des motifs inexacts) signée au nom de D. Conn, directeur général de l’Immigration pour la région de l’Ontario.

Compte tenu des recommandations formulées dans ces rapports et ces lettres, M. Anvari reçoit la lettre datée du 19 septembre 1984, provenant elle aussi de G. Bénard, qui l’informe officiellement et de manière décisive qu’il n’est pas admissible au Canada à titre d’immigrant reçu et que, son visa de visiteur ayant expiré le 28 avril 1984, il devra se préparer à quitter le Canada.

Il porte donc plainte aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne, affirmant avoir été victime de discrimination lors de la fourniture de services destinés au public puisque les agents d’immigration l’on défavorisé lors du traitement de sa demande de statut d’immigrant reçu, et ce, pour un motif de distinction illicite, soit sa déficience physique.

QUESTIONS EN LITIGE

  1. L’acte discriminatoire présumé a- t- il eu lieu au Canada alors que la victime y était légalement présente, comme l’exige l’alinéa 32( 5) a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne?
  2. Les agents d’immigration chargés des dossiers des personnes qui avaient présenté une demande de statut d’immigrant reçu en vertu du Programme RAN fournissaient- ils un service destiné au public comme l’exige l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne ? En d’autres termes, l’application de la Loi sur l’immigration est- elle assujettie à la Loi canadienne sur les droits de la personne dans le cas qui nous intéresse ?
  3. Si la réponse à la question no 2 est affirmative, les agents concernés ont- ils fait preuve, sans motif valable, de discrimination envers M. Anvari du fait de sa déficience ?
  1. Alinéa 32( 5) a) Rien n’empêche M. Anvari de porter plainte en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne étant donné que l’acte en question a eu lieu au Canada alors que M. Anvari y était légalement présent.
  2. Alinéa 5b) La première question litigieuse est donc de savoir s’il est possible d’invoquer la Loi canadienne sur les droits de la personne pour déterminer si les agents d’immigration ont fait preuve de discrimination lors de la fourniture d’un service destiné au public.

C’est seulement s’il s’agit bel et bien d’un tel service que la Loi canadienne sur les droits de la personne pourra être invoquée pour rendre une décision concernant l’acte discriminatoire présumé.

L’alinéa 5b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne dispose ce qui suit:

5. Constitue un acte discriminatoire le fait pour le fournisseur de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public...

b) de défavoriser, à l’occasion de leur fourniture, un individu, pour un motif de distinction illicite.

Selon le paragraphe 3( 1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la déficience constitue l’un des motifs de distinction illicite. M. Hendry, avocat de la Commission canadienne des droits de la personne, a fait valoir que les services fournis par les fonctionnaires -- en l’occurrence, les agents chargés de l’application de la Loi sur l’immigration -- aux frais de l’État sont des services destinés au public et, par conséquent, sont clairement visés par l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

M. Saunders, avocat de la Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada, a toutefois rétorqué que, dans ce cas précis, le service fourni -- la mise en oeuvre du processus administratif requis pour devenir immigrant reçu -- était individualisée, car il reposait sur le Programme RAN, un programme spécial créé par décret du conseil. Il a signalé la nécessité pour les tribunaux d’examiner chaque cas séparément.

En tant que tribunal, nous admettons qu’il est trop simpliste d’accepter l’argument selon lequel les fonctionnaires, du fait qu’ils servent le public, tombent sous le coup de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Il est donc nécessaire d’examiner d’abord la notion courante de service. Le Grand dictionnaire encyclopédique Larousse donne la définition suivante du service:

Ensemble des obligations que les citoyens ont envers l’État, la société; travail déterminé effectué pour leur compte: Le service de l’État.

La Loi sur l’immigration, qui a été adoptée par le Parlement du Canada, a pour objet général la prestation d’un service au public; en vertu de cette loi et de son règlement d’application, les fonctionnaires chargés de traiter les demandes de statut d’immigrant reçu remplissent une obligation officielle à titre de mandataires de la Couronne.

Dès lors, chacun fournit un service au public. > - 13 Même si les fonctionnaires mettaient en oeuvre le Programme RAN dans le cas qui nous intéresse, ils fournissaient des services -- en conformité avec les règlements et les politiques d’application de la Loi sur l’immigration -- exactement de la même manière qu’ils le feraient n’importe quand et pour n’importe quelle demande de statut d’immigrant reçu.

Le fait pour les personnes assujetties au Programme RAN -- qui devaient avoir recours aux services du personnel de l’Immigration -- de former un groupe particulier et spécial ne leur enlève pas leur statut de membres du grand public. Autrement, ce serait dire que toutes les personnes qui appartiennent à un groupe spécial ne sont plus membres de la collectivité dans son ensemble, ce qui ouvrirait la porte à toute sorte d’actes discriminatoires.

Par conséquent, j’estime que le tribunal est autorisé à rendre une décision en vertu de l’alinéa 5 b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

3. Motif justifiable Il ne fait aucun doute que M. Anvari a été victime de discrimination du fait de sa déficience physique -- plus particulièrement du fait de la scoliose qu’a entraînée chez lui la polio subie durant son enfance. Il semble y avoir eu discrimination aux termes de l’alinéa 5b), car c’est directement en raison de sa déficience que M. Anvari s’est vu refuser l’admission au Canada à titre d’immigrant reçu dans le cadre du Programme RAN.

Cette décision discriminatoire a été rendue en application de l’alinéa 19( 1) a) de la Loi sur l’immigration; ce passage de la Loi sur l’immigration sert probablement à justifier la discrimination qu’il crée.

Selon le libellé de cet alinéa, il faut disposer de la meilleure preuve possible pour défavoriser quelqu’un du fait de sa déficience. Il faut l’avis d’un médecin confirmé par au moins un autre médecin.

Ce qui justifie cette distinction défavorable, selon l’article 19, c’est le fait que l’admission (de la personne handicapée) entraînerait ou pourrait vraisemblablement entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé. Les arguments à l’appui doivent prendre la forme d’opinions de médecins, vraisemblablement fondées sur leur évaluation experte et approfondie de chaque cas individuel.

L’alinéa 14g) de la Loi canadienne sur les droits de la personne porte sur les besoins de la société dans son ensemble qui peut venir à bout des actes de discrimination en prévoyant des motifs qui justifient leur commission.

Par conséquent, la Loi canadienne sur les droits de la personne et la Loi sur l’immigration semblent concorder sur ce point. La seule question qui demeure, c’est de savoir si, en l’espèce, les fonctionnaires de l’immigration disposaient d’éléments de preuve suffisants pour justifier la décision qu’ils ont prise relativement à la déficience de M. Anvari. La Loi sur l’immigration dispose clairement qu’il doit être établi que la déficience entraînerait (selon moi, de façon absolue) ou pourrait vraisemblablement entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé.

A mon avis, ce qui est exigé tant en vertu de la Loi sur l’immigration qu’en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, c’est la preuve minimale, c’est- à- dire que la déficience pourrait vraisemblablement entraîner un fardeau excessif; en l’occurrence, les preuves médicales dont le tribunal est saisi ne répondent pas à ce critère. En fait, je souscris à la déclaration du docteur Armstrong selon laquelle l’opération pour la scoliose est purement facultative. Dans cette perspective, il semblerait donc que les éléments de preuve fournis par les médecins du ministère de l’Immigration -- dont l’examen du cas en question a été, au mieux, superficiel -- ne justifierait pas la discrimination dont M. Anvari a été victime du fait de sa déficience physique, que ce soit en vertu de l’article 19 de la Loi sur l’immigration ou en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Réparation Étant donné que le tribunal juge la plainte de M. Anvari fondée, l’alinéa 41( 2) b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne l’autorise à rendre l’ordonnance suivante:

La Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada prendra, dès maintenant, les mesures nécessaires pour accorder à MEHRAN ANVARI le statut d’ immigrant reçu.

En outre, Mme Barnard a fait valoir que M. Anvari devrait être dédommagé des frais médicaux qu’il a d engager au cours de la période après laquelle il aurait été immigrant reçu au Canada; je suis d’accord. D’où l’ordonnance suivante:

- M. Anvari recevra une somme correspondant aux frais médicaux qu’il a lui- même payés entre le 19 septembre 1984 et aujourd’hui, dès qu’il aura présenté les pièces justificatives de ses dépenses. En outre, M. Anvari a subi le choc -- pour reprendre ses propres termes -- du rejet de sa demande alors qu’il estimait être un excellent candidat -- un candidat ayant plus à offrir, peut- être, que d’autres personnes qui ont été acceptées dans le cadre du Programme RAN. Il a aussi vécu pendant un certain temps une sorte de creux où il ne pouvait plus progresser sur le plan intellectuel ni en milieu de travail.

Dès lors, le tribunal rend l’ordonnance suivante: MEHRAN ANVARI recevra la somme de 3 000 $ en guise de dédommagement pour le préjudice moral qu’il a subi.

FAIT à London (Ontario), le 23 novembre 1988.

(signé) ELIZABETH ANNE GARLAND LEIGHTON

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