Tribunal canadien des droits de la personne

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TRADUCTION DE L’ANGLAIS D. T. 8/ 86 DÉCISION RENDUE LE 27 NOVEMBRE 1986

DANS L’AFFAIRE DE LA Loi canadienne sur les droits de la personne, S. C. 1976- 1977, C. 33, version modifiée;

ET DANS L’AFFAIRE d’une audience tenue devant un tribunal des droits de la personne constitué en vertu de l’article 39 de la Loi canadienne sur les droits de la personne

ENTRE : MICHAEL NOWELL, Plaignant, - et la COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA, Mise en cause

DÉCISION DU TRIBUNAL

DEVANT : JAY C. PROBER

ONT COMPARU : René Duval and Anne Trotier, avocats du plaignant et de la Commission canadienne des droits de la personne

Donald Kruk et Paul Antymniuk, avocats de la mise en cause, la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada

Audiences tenues à Winnipeg les 21, 22, 23 et 31 octobre, 1er, 20, 21 et 22 novembre 1985 et 22 janvier 1986.

> La présente décision vise une plainte déposée le 31 octobre 1979 contre la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada par Michael Nowell qui prétend avoir été victime de discrimination fondée sur un handicap physique, et ce, en violation de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Jugement sera rendu en fonction des rubriques suivantes : 1) les faits; 2) questions en litige; 3) position des parties; 4) conclusions.

1. LES FAITS

Michael Nowell, qui est âgé de 34 ans, travaille pour la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (ci- après appelée le CN) depuis 15 ans.

Il a obtenu un emploi à plein temps pour cette entreprise en juin 1971, à titre de serre- freins. Le 13 décembre suivant, on découvrait qu’il avait le diabète; c’est alors qu’il a commencé à suivre un régime de 2 100 calories par jour équilibré par 30 unités d’insuline lente. Il est important de se rappeler que son diabète l’oblige à prendre de l’insuline.

Étant donné sa maladie, M. Nowell a été avisé par son employeur qu’il ne pourrait pas conserver son poste de serre- freins. Il est toutefois demeuré au service du CN en qualité de commis. Au moment de l’audition de l’affaire, il était commis principal au service des opérations intermodales du CN.

Par des lettres datées du 23 avril, du 14 mai, du 13 juin et du 30 ao t 1979, M. Nowell a demandé respectivement au surintendant général des transports, au médecin du travail de la région, au vice- président et au président du CN de l’autoriser à reprendre son travail de serre- freins. Sa demande a été rejetée pour des raisons de santé.

> - 2 Puis, le 31 octobre 1979, invoquant la Loi canadienne sur les droits de la personne a déposé contre le CN sa plainte alléguant discrimination fondée sur un handicap physique.

M. Nowell a été impressionnant comme témoin. Il a rendu témoignage de façon simple et directe. Sa déposition et son apparence ont donné l’impression d’un homme en bonne santé qui était capable de prendre soin de ses deux jeunes enfants, qui jouait au soccer et faisait beaucoup de natation et de jardinage.

A propos des effets de sa maladie sur lui, M. Nowell a déclaré sous serment n’avoir jamais eu de réaction grave depuis le début de sa maladie, 15 ans auparavant. Il ne s’est jamais évanoui, n’a jamais eu de perte de mémoire et n’a jamais été hospitalisé par suite de son diabète. Il subit des réactions hypoglycimiques bénignes qu’il peut prévoir et contrôler.

M. Nowell a donné l’impression d’être un diabétique dont la maladie est sous contrôle et ne l’a jamais rendu incapable de quelque manière que ce soit de travailler. En faisant sa déposition, il s’est exprimé avec facilité, comme une personne éveillée, intelligente, qui a les deux pieds sur terre.

Linda Nowell, la femme du plaignant, est aussi venue témoigner. Elle a confirmé que son mari contrôlait bien son diabète et qu’il n’avait jamais, i sa connaissance, subi d’évanouissement, de perte d’équilibre, de crise ni de confusion mentale en raison de sa maladie. Mme Nowell a aussi déclaré qu’elle n’avait jamais eu à aider son mari relativement à son diabète.

La bonne forme physique de M. Nowell a aussi été confirmée par un expert en physiologie et en condition physique. Le docteur Elizabeth Ready, professeurs d’éducation physique à l’université du Manitoba, a fait subir des tests à M. Nowell et l’a classé à peu près au 62e percentile en termes de condition physique (d’après le physitest normalisé canadien). Cela signifie, a- t- elle déclaré, que M. Nowell était légèrement au dessus de la moyenne pour son groupe d’âge dans la population canadienne. En d’autres termes, il a fait aussi bien

> - 3 -

que 62 hommes de son âge sur 100. Le docteur Ready a également formulé des observations sur la dépense énergétique nécessaire en kilocalories pour accomplir certaines des fonctions d’un serre- freins. Elle a expliqué comment cette dépense pouvait être compensée par l’absorption d’hydrates de carbone. Même si elle a d nuancer ses affirmations par suite d’un contre- interrogatoire serré, on n’a pas réussi à l’ébranler dans sa conviction que la condition physique de M. Nowell était légèrement supérieure à la moyenne. Elle a toutefois admis qu’elle n’avait jamais fait d’études de condition physique dans le cas particulier des diabétiques.

Les tâches du serre- freins ont été bien présentées par l’avocat du CN principalement au moyen de deux films et du témoignage de M. Ted Randles, chef de train de la région de l’Assiniboine. Ces tâches sont très rigoureuses et exigeantes sur le plan physique. Il peut s’agir, par exemple, de transmettre des signaux au moyen de fanions, d’accrocher et de décrocher des wagons, de manipuler du matériel lourd, de marcher sur de grandes distances, de serrer le frein, et de monter dans l’échelle latérale de wagons en mouvement. Ces tâches deviennent particulièrement ardues durant les périodes de grands froids de l’hiver canadien. Souvent les horaires sont irréguliers.

Les serre- freins doivent subir un examen médical tous les deux ans. D’après le témoignage du docteur Eggertson, médecin du CN, M. Nowell n’a jamais subi d’examen ni de test de la part du CN visant à déterminer s’il était physiquement capable de faire le travail de serre- freins.

C’est principalement par l’entremise du docteur Clayton Reynolds, expert en diabète, que la mise en cause a présenté ses arguments au niveau des faits. Le docteur Reynolds a expliqué le fonctionnement du diabète sucré. Il a montré la différence qui existe entre le diabétique de type 1 (insulino- dépendant) et le diabétique de type 2. Il a parlé d’hypoglycémie et d’hyperglycémie en expliquant la différence entre les deux.

> - 4 Le docteur Reynolds a présenté plusieurs études médicales traitant, entre autres, des diverses réactions et des divers symptômes susceptibles de se produire chez les diabétiques. Il a expliqué la différence entre les symptômes adrénergiques (les symptômes avant- coureurs moins graves) signalant l’hypoglycémie et les symptômes neuroglycopéniques plus graves. Les réactions hypoglycimiques graves sont dues principalement à des erreurs des patients, a- t- il souligné, précisant que la quantité de nourriture absorbée est trop faible par rapport à la quantité d’insuline injectée sans faire les ajustements qui s’imposent pour tenir compte d’autres facteurs.

D’après le docteur Reynolds, environ 26 % des diabétiques prenant de l’insuline sont susceptibles d’avoir des réactions graves. Il n’a pas dit qu’ils avaient effectivement de telles réactions, mais bien qu’ils étaient seulement susceptibles de les avoir.

Le docteur Reynolds comprenait tris bien les tâches d’un serre- freins. A son avis, les heures irrégulières du serre- freins, la possibilité de variations atmosphériques et la difficulté de se procurer de la nourriture compromettent gravement la capacité d’un serre- freins diabétique de contrôler son diabète.

Le contrôle du diabète, a précisé le docteur Reynolds, est le principal facteur à prendre en considération lorsqu’il s’agit de déterminer si un diabétique est en mesure d’accomplir une tâche donnée dans une industrie. Selon Lain Tetrick, l’auteur d’une étude intitulée Controlled Diabetics Make Functional Workers :

[traduction]

"Le contrôle est le mot clé quand on essaie d’intégrer un diabétique dans la population active. Sans contrôle ou avec des complications secondaires, le diabétique présente un risque grave sur le marché du travail."

Il importe de signaler à nouveau que M. Nowell semblait être un diabétique qui contrôlait extrêmement bien sa maladie et qui était en excellente forme physique. Aucune preuve du contraire n’a été apportée.

> - 5 2. QUESTIONS EN LITIGE (1) LA POLITIQUE DU CN, QUI A POUR EFFET D’EXCLURE LES DIABÉTIQUES INSULINO- DÉPENDANTS DU POSTE DE SERRE- FREINS, EST- ELLE DISCRIMINATOIRE ET DONC CONTRAIRE AUX ARTICLES 7 ET 10 DE LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE ?

L’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne se lit comme suit :

"Constitue un acte discriminatoire le fait (a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu, ou (b) de défavoriser un employé dans le cadre de son emploi, directement ou indirectement, pour un motif de distinction illicite. D’après le paragraphe 3( 1) de la Loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondis sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience.

Bien que la plainte qui nous intéresse allègue discrimination fondée sur un handicap physique, c’est plus exactement d’une discrimination fondée sur une déficience présumée qu’il s’agit.

L’article 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne est aussi pertinent. Il dispose :

"Constitue un acte discriminatoire le fait pour l’employeur, l’association d’employeurs ou l’association d’employés

a) de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite, ou

> - 6 b) .........

pour un motif de distinction illicite, d’une manière susceptible

d’annihiler les chances d’emploi d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus.

(2) POURRAIT- ON DIRE QUE LA POLITIQUE DU CN QUI A POUR EFFET D’EXCLURE LES DIABÉTIQUES INSULINO- DÉPENDANTS DU POSTE DE SERRE- FREINS N’EST PAS DISCRIMINATOIRE DU FAIT QU’ELLE S’APPUIE SUR UNE EXIGENCE PROFESSIONNELLE JUSTIFIÉE ?

Le critère permettant de déterminer si, relativement à un emploi donné, un refus ou une exclusion constitue une exigence professionnelle justifiée est énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’affaire La Commission ontarienne des droits de la personne c. la Municipalité d’Etobicoke (1982), 132 DLR( 3d) 14. Au nom de la Cour, le juge McIntyre a déclaré :

"Pour constituer une exigence professionnelle réelle, une restriction comme la retraite obligatoire à un âge déterminé doit être imposée honnêtement, de bonne foi et avec la conviction sincère que cette restriction est imposée en vue d’assurer la bonne exécution du travail en question d’une manière raisonnablement diligente, s re et économique, et non pour des motifs inavoués ou étrangers qui visent des objectifs susceptibles d’aller à l’encontre de ceux du Code. Elle doit en outre se rapporter objectivement à l’exercice de l’emploi en question, en étant raisonnablement nécessaire pour assurer l’exécution efficace et économique du travail sans mettre en danger l’employé, ses compagnons de travail et le public en général.

La réponse à la seconde question dépend en l’espèce, comme dans tous les cas, de l’examen de la preuve et de la nature de l’emploi concerné. (pp. 19 et 20)

Il importe de remarquer que, dans l’affaire Etobicoke, la Cour suprême du Canada a affirmé bien clairement qu’un tribunal des droits de la personne ou une enquête relative aux droits de la personne et une cour doivent viser à déterminer si, d’après les preuves produites, il semble y avoir un risque suffisant de défaillance de la part des membres de la catégorie d’employés qui sont l’objet de distinctions pour faire de l’acte discriminatoire une exigence professionnelle justifiée. Le caractère suffisant du risque est donc en jeu.

> - 7 Dans l’affaire K. S. Bhinder et la Commission canadienne des droits de la personne c. le CN (1986), 7 C. H. R. R. D/ 3093, la Cour suprême du Canada est revenue sur la notion d’exigence professionnelle justifiée, qu’elle a précisée davantage. Au nom de la majorité, le juge McIntyre a rejeté l’idée de l’application individuelle d’une exigence professionnelle justifiée. Une exigence professionnelle justifiée n’est pas susceptible d’application individuelle, a- t- il soutenu, en ajoutant :

"Une condition de travail ne perd pas son caractère d’exigence professionnelle normale parce qu’elle peut être discriminatoire. Au contraire, si on démontre qu’une condition de travail est une exigence professionnelle normale, la discrimination qui peut s’ensuivre est permise ou, sans doute plus précisément, n’est pas considérée en vertu de l’alinéa 14a) comme un acte discriminatoire."

Il est particulièrement important de prendre note que le juge McIntyre, dans l’arrêt Bhinder, avait affaire à une condition de travail comme

exigence professionnelle justifiée. Tel n’est pas le cas en l’espèce. La soi- disant exigence professionnelle exclut ici toute une catégorie de personnes de l’exercice d’un métier donné. Elle n’établit pas une condition de travail comme telle.

Il existe une différence entre une exigence professionnelle qui établit une condition de travail précise (par exemple, porter un protecteur quelconque au travail) pour tous les employés et une exigence professionnelle qui exclut un groupe entier de personnes d’un emploi donné en raison d’une certaine déficience physique.

Dans le cas qui nous intéresse, l’exigence professionnelle ne vise pas à établir une condition de travail pour l’emploi come tel; elle vise plutôt un groupe précis ou identifiable.

Dans l’affaire Bhinder, l’exigence professionnelle ou la condition de travail (comme le juge McIntyre l’a appelée) était invariable, c’est- à- dire que tous devaient porter le casque protecteur.

> - 8 Toutefois, lorsque l’exigence professionnelle a pour effet d’exclure toute une catégorie de personnes atteintes à divers degrés d’une même déficience (selon la preuve médicale), on devrait, par souci d’équité et de justice, procéder à une évaluation individuelle des membres du groupe exclu pour déterminer si le risque est suffisamment grand pour justifier l’exclusion de tel ou tel employé de l’exercice de l’emploi en question.

Dans l’arrêt Bhinder, le juge McIntyre a en outre déclaré ce qui suit en rejetant l’individualisation des exigences professionnelles justifiées :

"Conclure alors que ce qui constituerait par ailleurs une exigence professionnelle normale ne peut s’appliquer à un employé, en raison des caractéristiques spéciales de cet employé, revient non pas à donner une interprétation étroite à l’al. 14a), mais tout simplement à ne tenir aucun compte de ce qu’il dit clairement. Appliquer une exigence professionnelle normale à chaque individu avec des résultats variables, selon les différences personnelles, c’est la dépouiller de sa nature d’exigence professionnelle et faire perdre tout leur sens aux dispositions claires de l’al. 14a)."

Il est normal qu’une exigence professionnelle qui établit une condition de travail ne s’applique pas individuellement. Dans l’affaire Bhinder, l’exigence professionnelle ne visait pas les Sikhs en particulier; elle établissait une condition de travail (soit le port du casque de sécurité) applicable à tous les employés.

Dans le cas qui nous intéresse, l’exigence professionnelle du CN vise tous les diabétiques insulino- dépendants en tant que groupe particulier. Elle n’établit pas une condition de travail comme telle au sens de l’arrêt Bhinder. Elle exclut plutôt un groupe de personnes de l’exercice d’un métier donné en raison d’un problème de santé bien précis.

Il est possible d’établir objectivement le bien- fondé de l’exigence professionnelle dans l’affaire Bhinder en étudiant la validité de l’exigence professionnelle ou de la condition de travail elle- même. Quant au bien- fondé

> - 9 de l’exigence professionnelle dans le cas qui nous intéresse ou dans tout autre cas où est exclu tout un groupe ou toute une catégorie de personnes dites handicapées, on ne peut l’évaluer ou l’établir sans vérifier que chacun des membres de ce groupe ou de cette catégorie présente un risque suffisant pour justifier l’exclusion.

L’arrêt Bhinder pose en principe que l’exigence professionnelle, une fois son bien- fondé établi, ne doit pas être appliquée individuellement. Mais on ne peut établir le bien- fondé d’une exigence professionnelle excluant toute une catégorie de personnes de l’exercice d’un emploi à moins d’avoir fait une évaluation individuelle. Par conséquent, la situation n’est pas la même que dans l’affaire Bhinder.

Affirmer la nécessité de procéder à une telle évaluation ne veut pas dire qu’il faut apporter des adaptations. Il reste toutefois qu’on doit établir le bien- fondé de l’exigence professionnelle en déterminant le degré de risque présenté par chaque personne. La raison en est qu’il existe une grande diversité de risques et de capacités entre les membres de la catégorie ou du groupe exclu. Le niveau de sécurité varie en effet beaucoup entre les membres du groupe, d’après les preuves médicales.

3. POSITION DES PARTIES

(1) Position du plaignant, MICHAEL NOWELL Le plaignant a fait valoir que la politique générale du CN consistant à exclure les diabétiques insulino- dépendants du poste de serre- freins constituait une pratique discriminatoire au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il a aussi prétendu qu’il importait peu de savoir si le CN avait l’intention de faire de la discrimination.

> - 10 Selon le plaignant, cette pratique discriminatoire ne pouvait pas être considérée comme une exigence professionnelle justifiée parce que, notamment, le CN n’avait pas évalué la capacité de Michael Nowell lui- même de faire le travail. On a signalé qu’en 15 ans, M. Nowell n’avait jamais eu de réaction le rendant incapable de travailler, qu’il ne présentait pas de risque du point de vue de la sécurité et que, pour reprendre la formulation de l’arrêt Etobicoke, le risque n’était pas suffisamment grand pour établir le bien- fondé de l’exigence professionnelle.

Le plaignant a affirmé avoir droit, à titre de dommages- intérêts, à la différence entre ce qu’il a gagné et ce qu’il aurait touché en qualité de serre- freins (d’après le salaire moyen) entre avril 1979 et la date du prononcé de la décision du présent tribunal (si cette décision lui était favorable). Le plaignant a aussi demandé qu’on lui accorde des dommages- intérêts exemplaires et le prochain poste de serre- freins disponible s’il arrive à convaincre le tribunal que l’exclusion ne constituait pas une exigence professionnelle justifiée.

(2) Position de la mise en cause, la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada

La mise en cause a fait valoir que, dans cette affaire, la limitation ou la restriction relative à l’emploi constituait une exigence professionnelle justifiée aux termes de l’alinéa 14a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Compte tenu à la fois des droits des employés pris individuellement et de la nécessité d’assurer le transport sécuritaire des personnes et des marchandises, le CN croyait en toute honnêteté être dans l’obligation d’exclure les diabétiques insulino- dépendants.

L’avocat de la mise en cause a soutenu que le poste de serre- freins était dangereux et que le fait pour un diabétique de type 1 d’en exercer les fonctions présentait un risque suffisant pour justifier l’exclusion. Il a précisé que la mise en cause avait produit des preuves médicales à l’appui de son affirmation.

> - 11 Pour ce qui est des dommages- intérêts, la mise en cause a convenu avec le plaignant qu’ils devraient être fonction du salaire moyen des serre- freins, tel qu’il est rapporté dans la preuve, moins ce que le plaignant a touché en tant que commis, sous réserve toutefois de la déduction d’un certain montant pour tenir compte du fait que ce dernier n’a non fait pour réduire ses dommages- intérêts. L’avocat de la mise en cause a fait valoir qu’on avait informé M. Nowell qu’il serait jugé apte à travailler comme bagagiste, serre- freins sur un train de passagers, signaleur ou opérateur de frein de voie. Il a affirmé que M. Nowell aurait d donner suite à cet offre d’emploi. La mise en cause a en outre soutenu que le tribunal ne devrait accorder ni dommages- intérêts exemplaires ni intérêts légaux et que, s’il s’accordait des dommages- intérêts, ceux- ci devraient être assujettis aux dispositions pertinentes du Règlement de l’impôt sur le revenu.

4. CONCLUSIONS (1) LE CN APPLIQUE- T- IL UNE POLITIQUE DISCRIMINATOIRE ALLANT A L’ENCONTRE DE LA

Loi canadienne sur les droits de la personne ?

Il ne fait aucun doute que le CN a appliqué et applique une politique discriminatoire, laquelle contrevient aux articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, en excluant tous les diabétiques de type 1 du poste de serre- freins. Toutefois, il ne l’a pas fait et ne le fait pas de façon insouciante ni dans un but malveillant ou de mauvaise foi.

La vraie question en l’espèce est de savoir si l’exclusion constitue ou non une exigence professionnelle justifiée.

> - 12 ( 2) LA PRATIQUE DU CN CONSTITUE- T- ELLE UNE EXIGENCE PROFESSIONNELLE JUSTIFIÉE AUX TERMES DE L’ALINÉA 14a) DE LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE ET EST- ELLE AINSI AUTORISÉE ?

Il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir que la pratique du CN consistant à exclure les diabétiques insulino- dépendants constitue une exigence professionnelle justifiée.

Compte tenu de la preuve (et en particulier de la preuve médicale) et de la nature de l’emploi concerné, la soi- disant exigence professionnelle n’est pas raisonnablement nécessaire pour assurer l’exécution efficace et économique du travail sans mettre en danger l’employé, ses compagnons de travail et le public en général (pour reprendre les termes du juge McIntyre dans l’arrêt Etobicoke). Les éléments de preuve produits ne justifient pas la conclusion voulant que, dans le cas qui nous intéresse, le risque de défaillance de l’employé soit suffisant pour justifier son exclusion du poste de serre- freins dans l’intérêt de sa propre sécurité et de celle de ses compagnons de travail et du public en général. Le caractère suffisant du risque n’a pas été prouvé en l’occurence. Il n’a pas été démontré que M. Nowell risquait de devenir incapable de travailler en raison de son diabète. En fait, la preuve allait plutôt en sens contraire. Durant les 15 années où il a été diabétique, il n’a jamais eu de réaction l’empêchant de travailler. C’est un diabétique qui contrôle bien sa maladie et qui est physiquement en mesure de remplir les fonctions de serre- freins.

Ces conclusions sont conformes aux principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Etobicoke et Bhinder, évoqués ci- dessus.

Les exigences professionnelles dans le cas qui nous occupe et dans l’affaire Bhinder sont fondamentalement différentes. Dans l’affaire Bhinder, comme le signale le juge McIntyre, l’exigence professionnelle établissait une condition de travail. Cette condition doit s’appliquer également à tout le monde, avec des résultats différents; s’il en résulte de la discrimination, tant

> - 13 pis. Tout le monde devait porter le casque de sécurité car tout le monde est vraisemblablement plus ou moins susceptible de subir des blessures à la tète. L’exigence professionnelle en question ne visait pas particulièrement les Sikhs.

En l’espèce, l’exigence professionnelle vise particulièrement un groupe de personnes atteintes de la même maladie, le diabète sucré, et qui sont insulino- dépendantes. Elle n’établit pas une condition de travail comme dans l’affaire Bhinder. Par conséquent, pour déterminer le bien- fonds de l’exigence professionnelle dans le cas qui nous intéresse, on doit essayer de vérifier si la personne en question devrait être exclue en raison de son appartenance au groupe. Le groupe comprend une telle diversité de personnes dont la capacité et l’état de la maladie varient tellement qu’il est impossible et serait absolument injuste de déterminer le bien- fondé de l’exigence professionnelle sans faire une évaluation individuelle.

Évaluer ou tester une personne pour déterminer si elle est capable d’accomplir le travail en question n’est pas la même chose que d’appliquer à chaque individu une exigence générale qui établit une condition de travail. Appliquer une exigence professionnelle à chaque individu avec des résultats différents n’est pas la même chose que de tester ou d’évaluer chaque personne pour voir si elle tombe sous le coup de l’exigence.

Il faut absolument, tant pour déterminer le bien- fondé de l’exigence professionnelle en l’espèce que dans l’intérêt de la justice, vérifier si une personne telle que M. Nowell est en mesure d’occuper le poste de serre- freins dont elle est exclue (en application d’une pratique discriminatoire) sans mettre en danger sa propre sécurité ni celle de ses compagnons de travail ou du public en général. Or, il ressort clairement de la preuve que M. Nowell

ne présente pas un risque suffisant de défaillance pour que soit justifiée son exclusion du poste de serre- freins.

> - 14 ( 3) Ordonnance.

(a) Les dommages- intérêts accordés sont fonction de ce sur quoi les parties se sont entendues : l’octroi de la différence entre le salaire moyen des serre- freins et ce que M. Nowell a touché comme commis. Le salaire moyen des serre- freins pour la majeure partie des années en cause est indiqué dans la pièce R- 23.

Il est donc ordonné au CN de verser au plaignant des dommages- intérêts ainsi répartis :

(1) Pour 1979 - 6 069,85 $, soit les deux tiers (2/ 3) de la différence entre le salaire moyen des serre- freins et le salaire de M. Nowell:

25 090,62 $ Salaire moyen des serre- freins -15 985,84 Salaire de M. Nowell

9 104,78 x 2/ 3 : 6 069,85 $ Il s’agit des deux tiers de la différence parce que le plaignant allègue avoir été victime de discrimination à partir de la fin d’avril 1979.

(2) Pour 1980 - 8 526,65 $, soit la différence entre le salaire moyen des serre- freins et ce que M. Nowell a touché :

26 416,96 $ Salaire moyen des serre- freins -17 890,31 Salaire de M. Nowell

8 526,65 $ (3) Pour 1981 - 7 920,42 $, soit la différence entre le salaire moyen

des serre- freins et ce que M. Nowell a touché : 28 044,74 $ Salaire moyen des serre- freins -20 124,32 Salaire de M. Nowell

7 920,42 $ > - 15 (4) Pour 1982 - 8 711,51 $, soit la différence entre le salaire moyen

des serre- freins et ce que M. Nowell a touché : 36 066,44 $ Salaire moyen des serre- freins -27 354,93 Salaire de M. Nowell

8 711,51 $ (5) Pour 1983 - 14 697,98 $, soit la différence entre le salaire moyen

des serre- freins et ce que M. Nowell a touché : 40 077,61 $ Salaire moyen des serre- freins -25 379,63 Salaire de M. Nowell

14 697,98 $

(6) Pour 1984 - 11 701,00 $, soit la différence entre le salaire moyen des serre- freins et ce que M. Nowell a touché :

41 855,79 $ Salaire moyen des serre- freins -30 154,79 Salaire de M. Nowell

11 701,00 $ MONTANT TOTAL DES DOMMAGES- INTÉRETS à la fin de 1984 : 57 627,41 $. Les mêmes calculs devront être faits pour 1985 et 1986 (jusqu’à la date de la présente ordonnance). Par conséquent, au montant accordé par la présente, soit

1979 6 096,85 1980 8 626,65 1981 7 920,42 1982 8 711,51 1983 14 697,98 1984 11 701,00

57 627,41 $ > - 16 on devra ajouter un montant pour 1985 et 1986. J’espère que les parties arriveront à s’entendre sur ces montants. Sinon, elles pourront revenir me voir et je les déterminerai à l’aide de la formule utilisée ci- dessus.

Les dommages- intérêts devront évidemment être payés en conformité avec les dispositions pertinentes de la Loi et du Règlement de l’impôt sur le revenu. Il n’y aura pas d’intérêts légaux. Il n’est pas justifié d’accorder des dommages- intérêts exemplaires car M. Nowell n’a pas été congédié. D’autre part, M. Nowell n’était pas en mesure de réduire ses dommages- intérêts plus qu’il ne l’a fait en continuant à travailler comme commis. On ne lui a pas offert d’emploi de rechange. Par conséquent, la somme accordée ne sera pas réduite sous prétexte que M. Nowell n’aurait rien fait pour réduire les dommages- intérêts.

(b) Il est aussi ordonné au CN de réintégrer M. Nowell dans ses fonctions de serre- freins le plus tôt possible ou, à tout le moins, de lui offrir le prochain poste de serre- freins qui deviendra vacant au départ de Winnipeg. Comme solution de rechange, M. Nowell devra se voir offrir un emploi d’égale valeur, c’est- à- dire où il pourrait gagner autant qu’un serre- freins.

FAIT à Winnipeg, le 17 novembre 1986. (signé) Jay C. Prober

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