Tribunal canadien des droits de la personne

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CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

RONALDO FILGUEIRA

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

GARFIELD CONTAINER TRANSPORT INC.

l'intimée

DÉCISION

2005 TCDP 30
2005/08/02

MEMBRE INSTRUCTEUR : M. Paul Groarke

[TRADUCTION]

I. INTRODUCTION

II. LA JURISPRUDENCE

III. LES FRAIS

IV. SONDER LE TERRAIN

V. LE BIEN-FONDÉ

VI. DÉCISION

Canadian Human
Rights Tribunal

Tribunal canadien
des droits de la personne

I. INTRODUCTION

[1] L'intimée a présenté une demande de non-lieu. Après que M. Capp eut présenté la demande, mais avant qu'il eut conclu ses remarques, Mme Rubio s'est opposée en soumettant que l'intimée doit décider si il présentera certains éléments de preuve avant de présenter une demande de non-lieu. Je lui ai permis de soulever l'objection et j'ai informé les parties que je trancherais cette question avant d'aller plus loin.

II. LA JURISPRUDENCE

[2] Mme Rubio invoque la décision rendue par le Tribunal dans Chopra c. Canada (Ministère de la Santé nationale et du Bien-être social), [1999] D.C.D.P. no 5 (QL), dans laquelle M. Hadjis a souligné que divers tribunaux et diverses commissions avaient rendu des décisions différentes sur cette question. Il a ensuite appliqué la règle dans les tribunaux civils. Il semble que cela nécessite que la partie défenderesse fasse un choix avant de présenter une demande de non-lieu.

[3] L'énoncé de principe de Chopra se trouve au paragraphe 22 de cette décision :

Par conséquent, je conclus que la règle du choix en common law s'applique à notre Tribunal mais que les parties peuvent, d'une part, renoncer à son application, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, et que, d'autre part, si les circonstances le justifient, le Tribunal peut soustraire l'intimé à l'application de cette règle Je crois qu'il y a place à des opinions différentes. Je suis d'accord avec M. Hadjis que la question devrait être décidée en fonction des circonstances de chaque espèce. Le Tribunal jouit d'une latitude plus grande qu'une cour de justice dans ce genre d'affaires.

[4] La décision rendue dans Chopra s'appuie largement sur une décision rendue par une commission d'enquête ontarienne dans Nimako c. C.N. Hotels, (1985) 6 C.H.R.R. D/2894. Je me sens obligé d'affirmer que la Commission, dans Nimako, semble avoir mal compris la nature d'une demande de non-lieu. Il est faux de prétendre qu'un Tribunal qui examine une demande de non-lieu risque de décider la cause à deux reprises. Un Tribunal qui accueille une requête n'a pas décidé la cause au sens juridique. Il a décidé qu'il n'y a aucune preuve à réfuter.

[5] M. Hadjis renvoie également, toutefois, à la décision rendue par une commission d'enquête ultérieure dans Potocnik c. Thunder Bay (Ville), [1996] O.H.R.B.I.D. no 16. La situation dans Potocnik était semblable à celle dont je suis saisi. L'avocat a informé la commission que, si on lui donnait le choix, l'intimée produirait une preuve avant de demander le non-lieu. M. Capp a fait la même chose. La Commission dans Potocnik n'a pas demandé à l'intimée de faire son choix avant de demander un non-lieu.

III. LES FRAIS

[6] Je n'ai pas eu le luxe d'analyser le raisonnement derrière l'introduction de la règle en matière civile. M. Capp affirme que la pratique dans les cours de justice a changé au cours des trente-cinq dernières années. Il existe néanmoins une différence fondamentale entre le processus en matière civile et le processus en matière de droit de la personne, lequel a une incidence sur l'application de la règle.

[7] Cette différence est une différence de nature pratique. Un intimé qui produit une preuve dans une cour civile peut recouvrer ses frais à la fin de la cause. Cela n'est pas possible en vertu de Loi canadienne sur les droits de la personne. Même si le plaignant n'a produit aucune preuve contre lui, l'intimé devra payer les dépenses qu'il a encourues en présentant sa défense. Ces dépenses sont de toute évidence importantes. À part les frais juridiques, M. Capp a informé le Tribunal que d'autres frais avaient été encourus en raison du fait que certains de ses témoins venaient de l'extérieur de la ville.

[8] Ce genre de problème ne dépend pas de l'intimé. La Commission, dans Potocnik, a examiné le coût de la poursuite de l'audience en décidant de laisser l'intimée présenter une demande de non-lieu avant de faire son choix.

[Traduction]

13. La Ville a également souligné le coût de la présente audience, et renvoie à Tomen c. O.T.F. (no 3) (1989) 11 C.H.R.R. D/24 [...] Dans cette cause, la Commission d'enquête [...] a décidé de déroger à la pratique normale suivie en cour civile laquelle consiste à ordonner de faire un choix. Un des motifs cités par la Commission a été le coût important de l'audience [... ] La Ville souligne que c'est le secteur public qui règle les factures de toutes les parties à la présente audience et que celui-ci est actuellement confronté à de grandes contraintes financières et elle prétend que si la présente audience peut prendre fin, alors qu'elle prenne tout simplement fin.

Ces coûts sont réels. Je croirais que cela aide à expliquer pourquoi la loi permet au départ le dépôt d'une demande de non-lieu.

[9] Je souscris à la prétention de l'intimée que la question des coûts est plus pressente dans le cas d'un employeur privé. Il semble plutôt cavalier d'affirmer que ces genres de dépenses font tout simplement partie du prix à payer pour faire des affaires. M. Capp a candidement affirmé que son client n'a aucun intérêt à faire évoluer le droit ou à contribuer aux dossiers publics. La principale préoccupation de l'employeur en l'espèce est de nature financière, et ce, avec raison. Je ne suis saisi d'aucune question de politique.

[10] Je crois que la Commission, dans Potocnik, ne faisait tout simplement qu'agir de façon responsable. Il ne s'agit pas en l'espèce de discuter du critère applicable à un non-lieu. Le seuil est cependant très bas et l'intimée fait valoir qu'il n'existe aucune preuve contre elle. Si c'est le cas, pourquoi le Tribunal devrait-il demander que les parties et le public payent les coûts importants associés à la poursuite du processus? Il existe un point en-deça duquel les dépenses, les tracas et les inconvénients liés à la participation à une audience ne peuvent être justifiés. Les économies réalisées si une cause n'est pas entendue bénéficient à toutes les parties, notamment au plaignant.

IV. SONDER LE TERRAIN

[11] Mme Rubio a fait valoir qu'il serait injuste de laisser l'intimée sonder le terrain en présentant une demande de non-lieu. Je crois que l'on veut dire que l'intimée tire un avantage injuste si sa requête est rejetée car le Tribunal peut, pour l'une ou l'autre raison, révéler son idée sur la cause. Ce genre de crainte est injustifiée. Le rôle d'un tribunal dans le cas d'une demande de non-lieu consiste tout simplement à décider s'il existe des éléments de preuve à l'appui des allégations du plaignant. Il n'y a aucune appréciation de la preuve et rien à ajouter si la demande est rejetée. Le Tribunal n'a rendu aucun jugement et sa neutralité demeure entière.

[12] Les obligations initiales du plaignant sont de nature minimale. On ne devrait pas permettre au plaignant de s'y soustraire. Il ne suffit pas non plus de dire que l'on devrait permettre au plaignant de corriger les lacunes figurant dans son dossier lorsque l'intimée présente sa preuve. Un Tribunal qui accueille une demande de non-lieu a conclu qu'il n'existe pas de preuve suffisante. Un bon nombre des justifications qui sont citées dans la jurisprudence ne s'appliquent pas, sauf si le plaignant a présenté certains éléments de preuve à l'appui de ses allégations. L'intimée n'est pas obligée de répondre à des allégations gratuites.

[13] C'est une chose sérieuse que d'exiger qu'une partie qui prend part à un processus juridictionnel réponde publiquement à des allégations juridiques. Une partie qui poursuit en justice dans une arène judiciaire ou quasi-judiciaire est tenue de produire des éléments de preuve à l'appui de ses prétentions. Je pense qu'il s'agit-là de l'un des principes de la justice fondamentale. Qu'y a-t-il d'injuste à conclure qu'un intimé n'est pas tenu de produire une défense dans une situation où il n'y aucune preuve contre lui?

V. LE BIEN-FONDÉ

[14] Il peut y avoir de bonnes raisons d'exiger de faire un choix dans certaines causes. Je suis certain qu'il y a des cas où une demande de non-lieu est frivole ou entrave le processus. Il incombe au tribunal qui entend une cause donnée de décider ce qui est approprié dans les circonstances.

[15] Divers facteurs peuvent être pris en compte dans ce contexte. Entre autres choses, je crois qu'un tribunal a le droit d'examiner si une requête est déposée de bonne foi. C'est Mme Rubio qui a soulevé cette question en prétendant que la demande dont je suis saisi n'a aucun bien-fondé. Elle ne voulait pas qua2lifier la demande de frivole. Elle a néanmoins prétendu qu'elle était de nature tactique et regorgeait d'opportunisme.

[16] Je n'accepte pas ces prétentions. Je crois que c'est l'autre partie qui fait preuve de tactiques. C'est le plaignant qui tente d'éviter une requête légitime qui peut porter un coup fatal à sa cause. Cela est compréhensible, mais ne donne guère de motif rationnel de priver l'intimée de l'occasion de présenter sa demande.

[17] Je ne me prononce pas sur le bien-fondé de la demande de non-lieu. Elle soulève néanmoins des questions qui méritent un examen sérieux. Je suis convaincu dans les circonstances de l'espèce qu'il n'existe aucun motif de demander à l'intimée de faire un choix avant d'entendre la demande de non-lieu.

VI. DÉCISION

[18] L'objection est rejetée.

M. Paul Groarke

Ottawa (Ontario)

Le 2 août 2005

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T952/7204

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Ronaldo Filgueira c. Garfield Container Transport inc.

DATE ET LIEU

DE L'AUDIENCE :

Le 27 juillet 2005

Toronto (Ontario)

DATE DE LA DÉCISION
DU TRIBUNAL :

Le 2 août 2005

ONT COMPARU :

Ronaldo Filgueira (personnellement)

Consuelo Rubio

Pour le plaignant

Harvey Capp

Pour l'intimée

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