Tribunal canadien des droits de la personne

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CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

ALAIN PARENT

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

FORCES CANADIENNES

l'intimée

DÉCISION

2005 TCDP 37
2005/09/30

MEMBRE INSTRUCTEUR : Athanasios D. Hadjis

[1] Le plaignant a présenté une requête en vue de modifier sa plainte. Lorsqu'il a déposé la plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne le 5 septembre 2002, il était encore membre des Forces canadiennes, l'intimée. Il prétendait dans la plainte qu'il a été maltraité et harcelé par ses supérieurs en raison de sa déficience (syndrome de stress post-traumatique) et qu'on lui a refusé des traitements médicaux auxquels il avait droit, le tout en contravention de l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi). En novembre 2002, deux mois après le dépôt de la plainte, les Forces canadiennes ont libéré le plaignant. Le 19 mai 2004, la Commission a renvoyé la plainte au Tribunal pour instruction suivant l'article 49 de la Loi.

[2] Le plaignant souhaite maintenant modifier sa plainte afin d'alléguer que son état de santé est un facteur qui a été pris en compte dans la décision de le libérer. Il prétend que sa libération constitue un acte discriminatoire suivant l'article 7 de la Loi. Il prétend en outre qu'il a été libéré par mesure de représailles parce qu'il avait déposé la plainte, en contravention de l'article 14.1.

[3] Les Forces canadiennes contestent la requête. Comme point préalable, elles prétendent que la requête devrait être rejetée parce qu'il n'y a pas d'affidavit au soutien des faits allégués. Je ne partage pas cette opinion. Les Règles de procédure du Tribunal ne sont pas aussi formelles que celles d'une cour. Il n'est pas nécessaire qu'un affidavit soit produit au soutien des requêtes (voir l'article 3 des Règles). En fait, les requêtes n'ont à respecter aucune forme particulière. Le Tribunal reçoit couramment des requêtes sous la forme de lettres et même de messages électroniques. Le principal objectif consiste à s'assurer que toutes les parties ont la possibilité pleine et entière d'être entendues par le Tribunal.

[4] Les Forces canadiennes soulignent que l'avocat du plaignant expose en détail plusieurs faits et événements dans l'avis de requête pour expliquer pourquoi la plainte n'a pas été modifiée plus tôt dans le processus, mais qu'aucun de ces faits ou événements n'a été prouvé par affidavit. Cependant, dans leur contestation, les Forces canadiennes renvoient à de nombreux faits et incidents qui se seraient produits au cours des différentes étapes de la plainte et qui ne sont pas non plus appuyés par un affidavit. Il est important de mentionner que le plaignant n'essaie pas de prouver sa plainte à ce moment-ci. Il tente simplement d'ajouter plusieurs allégations à la plainte. Après avoir pris en compte toutes les circonstances, je suis convaincu que le Tribunal est en mesure de traiter d'une manière juste, sur le fondement du dossier dont il dispose, la requête présentée en vue de modifier la plainte, et la contestation. Aucun autre élément de preuve n'est requis.

[5] Dans la décision Bressette c. Conseil de bande de la Première nation de Kettle et Stony Point, [2004] TCDP 2, aux paragraphes 5 et 6, le Tribunal a énoncé certains des principes qui ont découlé de nombreuses décisions traitant de la question de la modification des plaintes. D'abord, une plainte en matière des droits de la personne n'est pas une mise en accusation. Le Tribunal dispose d'un pouvoir discrétionnaire lui permettant de modifier une plainte afin d'y ajouter d'autres allégations, dans la mesure où un avis suffisant est donné à l'intimé afin qu'il ne subisse pas de préjudice et qu'il puisse se défendre de façon appropriée. Il n'est pas nécessaire que des allégations selon lesquelles des représailles ont été exercées à la suite d'une plainte soient faites dans une instance distincte. Plutôt, une modification devrait être autorisée à moins qu'il soit clair et manifeste qu'il sera jugé que les allégations additionnelles ne sont pas fondées.

[6] Les Forces canadiennes prétendent qu'il n'y a pas de lien entre la libération du plaignant et sa plainte en matière des droits de la personne. Selon la Loi sur la défense nationale, L.R.C. 1985, ch. N-5, les officiers et les militaires du rang ne peuvent être libérés que par le chef d'état-major ou par l'officier qu'il désigne, conformément aux Ordonnances administratives des Forces canadiennes. Les individus qui ont participé aux actes discriminatoires allégués dans la plainte ne pouvaient par conséquent pas avoir participé à la décision de libérer le plaignant. Il n'est par conséquent pas réaliste pour le plaignant de prétendre qu'il y a un lien entre la libération et la discrimination alléguée.

[7] À mon avis, le bien-fondé de cette prétention peut être apprécié seulement après une instruction complète du Tribunal à l'égard de tous les faits. À la présente étape, le plaignant demande simplement d'ajouter certaines allégations, allégations qu'il aura le fardeau de prouver par la suite lors de l'audience. Il n'est pas clair et manifeste qu'il sera jugé que les allégations du plaignant ne sont pas fondées.

[8] Les Forces canadiennes prétendent que le plaignant essaie de court-circuiter le processus en matière des droits de la personne prévu par la Loi en tentant de renvoyer une plainte directement au Tribunal sans l'avoir d'abord déposée à la Commission pour qu'elle procède à un examen et à une enquête. Je ne partage pas cette opinion. Les nouveaux faits allégués ne constituent pas une plainte distincte de celle qui a originalement été déposée auprès de la Commission en 2002. Ces faits sont plutôt le résultat des actes discriminatoires allégués qui étaient survenus avant le dépôt de la plainte. Essentiellement, le plaignant prétend que la discrimination dont il a fait l'objet alors qu'il travaillait pour les Forces canadiennes était également un facteur dans sa libération subséquente. Il prétend en outre que le dépôt de la plainte était lui-même un facteur (une mesure de représailles en contravention de l'article 14.1 de la Loi). C'est une série d'événements continus qui sont allégués, non pas un incident distinct sans lien avec les événements.

[9] Comme le Tribunal l'a mentionné dans la décision Cook c. Première nation d'Onion Lake (2002), 43 C.H.R.R. D/77, au paragraphe 17 (TCDP), les questions qui découlent d'un même ensemble de circonstances factuelles devraient normalement être entendues ensemble. Cependant, une modification à une plainte ne devrait pas être autorisée lorsqu'elle cause un préjudice injuste à l'intimé. Un tel préjudice doit être réel et important (Cook, au paragraphe 20). Il faut qu'un préjudice soit effectivement causé. Le Tribunal dans la décision Cook a proposé que les facteurs à prendre en compte incluent le retard et qu'ils pourraient inclure la perte de l'enquête et du processus de conciliation de la Commission.

[10] Dans la présente affaire, l'intimée ne conteste pas que le plaignant a informé l'enquêteur de la Commission de sa libération et que ce fait est expressément mentionné dans le rapport de l'enquêteur. Cependant, le plaignant a fait connaître son intention de demander une modification à la plainte en juin 2005, plus de deux ans et demi après la libération. Les Forces canadiennes prétendent qu'elles subiront un préjudice si la requête est accueillie, à savoir l'obligation de préparer une défense aux nouvelles allégations.

[11] Je ne suis pas convaincu que cette situation constitue un préjudice réel et important. À mon avis, le simple fait qu'il se soit écoulé de nombreux mois ou même d'années depuis la date de dépôt de la plainte originale ne signifie pas nécessairement que l'ajout d'allégations causera à l'intimée un préjudice réel et important. Comme le Tribunal l'a mentionné dans la décision Gaucher c. Forces armées canadiennes, [2005] TCDP 1, au paragraphe 10, le formulaire de plainte existe principalement pour les besoins de la Commission. C'est une première étape nécessaire qui soulève un ensemble de faits qui requièrent une enquête plus approfondie. C'est l'exposé des précisions (déposé suivant l'article 6 des Règles de procédure du Tribunal), plutôt que la plainte originale, qui établit les conditions plus précises de l'audience. Dans la présente affaire, ni la divulgation de documents ni l'échange des exposés des précisions n'ont encore eu lieu. L'audience ne sera pas tenue avant plusieurs mois. Les Forces canadiennes ont amplement le temps de préparer leur défense à l'égard des aspects de la plainte soulevés dans la requête présentée en vue de modifier la plainte. Toute préoccupation précise qui se rapporte au calendrier pourra être traitée lorsque les dates de divulgation et d'audience seront établies lors du processus de gestion des causes.

[12] De plus, je ne partage pas la prétention des Forces canadiennes selon laquelle elles subissent un préjudice du fait que les nouvelles allégations ne seront pas soumises aux processus d'enquête et de conciliation de la Commission, comme la plainte originale l'a été. L'avantage évident de ces processus est la possibilité de régler les plaintes à une étape peu avancée, avant le renvoi au Tribunal. Une fois qu'une plainte est renvoyée, rien n'empêche un intimé de présenter devant le Tribunal tous les arguments et toutes les explications qu'il aurait présentés à l'enquêteur de la Commission. De plus, le processus de médiation du Tribunal offre aux parties la même possibilité de régler leur litige que le fait le processus de conciliation de la Commission.

[13] Cela ne veut aucunement dire que les plaignants devraient croire qu'ils peuvent omettre d'inclure dans leur plainte originale des faits en tenant erronément pour acquis qu'ils ont un droit absolu d'inclure d'autres allégations par la suite. Un tel comportement pourrait être jugé abusif.

[14] Cependant, dans les présentes circonstances, je suis convaincu que le plaignant n'a pas eu un tel comportement. Le plaignant a informé l'enquêteur de la Commission de sa libération peu après qu'elle a eu lieu. Pour une raison ou pour une autre, la plainte n'a pas été modifiée à ce moment. Cela a peu de conséquences dans les circonstances de l'affaire. À mon avis, le fait d'autoriser maintenant la modification de la plainte ne causera pas un préjudice réel ou important aux Forces canadiennes.

[15] Les Forces canadiennes ont souligné qu'étant donné que cette modification est demandée deux ans et demi après la libération du plaignant, elle est prescrite. Suivant l'alinéa 41(1)e) de la Loi, la Commission dispose d'un pouvoir discrétionnaire lui permettant de ne pas traiter une plainte déposée suivant l'expiration d'un délai d'un an après qu'est survenu le fait sur lequel elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances. Cette disposition se rapporte clairement à de nouvelles plaintes. Toutefois, ce n'est pas une nouvelle plainte qui est présentée dans la présente affaire. La Commission a déjà exercé son pouvoir discrétionnaire et a renvoyé la plainte au Tribunal. Les incidents soulevés dans la modification se rapportent directement aux allégations déjà mentionnées dans la plainte. Aucune période n'est prorogée du fait que la requête est accueillie. Le plaignant est simplement autorisé à compléter sa plainte actuelle pour inclure des faits qui sont survenus après la plainte originale.

[16] Pour tous les motifs énoncés, la requête du plaignant est accueillie. La plainte est modifiée pour inclure les paragraphes suivants, comme ils sont énoncés dans les observations du plaignant présentées à l'égard de la requête en vue de modifier la plainte, à savoir :

  1. Le plaignant, monsieur Alain Parent avait un contrat d'emploi avec les forces canadiennes jusqu'en 2019.
  2. Le plaignant considère que sa libération par les forces canadiennes est un acte discriminatoire fondé sur son état de santé, allant à l'encontre de l'article 7 et une mesure de représailles allant à l'encontre de l'article 14.1 de la Loi canadienne sur les droits de la personne;
  3. Par les agissements des forces canadiennes, brisant son lien d'emploi et le discriminant en raison de sa déficience, le plaignant a vu son plan de carrière anéanti et doit être dédommagé en conséquence.

Athanios D. Hadjis

Ottawa (Ontario)

Le 30 septembre 2005

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T934/5404

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Alain Parent c. Forces canadiennes

DATE DE LA DÉCISION
DU TRIBUNAL :

Le 30 septembre 2005

ONT COMPARU :

Josée Potvin

Pour le plaignant

Pierre Lecavalier

Pour l'intimée

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