Tribunal canadien des droits de la personne

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CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

SIMONE SHERMAN

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

REVENU CANADA

l'intimé

DÉCISION SUR REQUÊTE

2005 TCDP 38
2005/10/05

MEMBRE INSTRUCTEUR : Karen A. Jensen

[TRADUCTION]

Canadian Human
Rights Tribunal

Tribunal canadien
des droits de la personne

[1] Le 21 janvier 2000, Simone Sherman a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne alléguant que son employeur, Revenu Canada (maintenant appelé l'Agence du revenu du Canada (l'ARC)), avait fait preuve de discrimination à son égard en la traitant d'une manière différente, en ne prenant aucune mesure d'accommodement à son égard et, enfin, en la congédiant en raison de sa déficience. Le 13 août 2004, la Commission a renvoyé la plainte au Tribunal canadien des droits de la personne pour instruction.

[2] La plainte de discrimination déposée par Mme Sherman fait partie d'un long conflit qui a engendré des litiges parallèles dans de nombreux forums. Les problèmes ont commencé lorsque Mme Sherman s'est mise à souffrir de blessures attribuables à des tâches répétitives occasionnées par son travail de spécialiste en vérification par ordinateur à l'ARC. Au cur des divers litiges découlant des blessures de Mme Sherman, se trouve la question de savoir si l'ARC a pris les mesures adéquates pour accommoder Mme Sherman en raison de ses limites physiques.

[3] Mme Sherman cherche maintenant à obtenir une ordonnance déclarant que les conclusions de l'examinateur indépendant qui a renversé la décision de l'ARC de la congédier, lient le Tribunal, et ce, en vertu de la préclusion pour question déjà tranchée. L'ARC, en réponse, a prétendu que la préclusion pour question déjà tranchée devrait s'appliquer, mais seulement en rapport avec les conclusions de la Commission de la sécurité professionnelle et de l'assurance contre les accidents du travail (autrefois appelée la Commission des accidents du travail). À première vue, les décisions rendues par l'examinateur indépendant, la Commission de la sécurité professionnelle ainsi que par la Commission de la sécurité professionnelle et de l'assurance contre les accidents du travail (CSPAAT) semblent se contredire.

[4] Les questions soulevées dans la présente requête sont les suivantes :

  1. La doctrine de la préclusion pour question déjà tranchée s'applique-t-elle aux conclusions de l'examinateur indépendant et (ou) aux conclusions de la CSPAAT?
  2. Si la préclusion pour question déjà tranchée s'applique dans l'un ou l'autre cas, ou dans les deux cas, le Tribunal devrait-il exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas appliquer la doctrine?

I. La doctrine de la préclusion pour question déjà tranchée s'applique-t-elle aux décisions de l'examinateur indépendant et (ou) aux décisions de la CSPAAT?

A. Les faits

[5] Vers 1994, Mme Sherman a commencé à souffrir de blessures attribuables à des tâches répétitives. Elle s'est absentée de son travail et, plus tard, elle s'est vu accorder des prestations d'accident du travail.

[6] En 1996, Mme Sherman a recommencé à travailler à raison de quatre heures par jour. Les services de deux experts différents en aménagement ergonomique ont été retenus, et ce, à des moments différents, afin d'aider l'ARC dans ses efforts visant à accommoder Mme Sherman. Le processus posait de nombreuses difficultés.

[7] En mai 1998, la CSPAAT a décidé de mettre fin aux services de réadaptation professionnelle ainsi qu'aux prestations complémentaires dont bénéficiait Mme Sherman. Ces deux décisions furent fondées sur l'opinion de la CSPAAT que Mme Sherman était capable de travailler à temps plein, sans perte de revenu, dans des tâches ayant fait l'objet de mesures d'accommodement et que l'ARC s'était en grande partie acquittée de son obligation d'accommodement. Mme Sherman a interjeté appel de ces deux décisions rendues par la CSPAAT. Ces affaires ont cependant été laissées en suspens.

[8] De plus, entre janvier 1996 et août 2000, à la suite d'évènements qui se sont produits, trois griefs ont été déposés par le syndicat de Mme Sherman. Ces griefs avaient trait à la cessation, en septembre 1997, de la rémunération pour accident du travail de Mme Sherman, à sa suspension sans rémunération de juillet 1998 et au rejet de sa demande de mai 1998 d'être réintégrée dans ses fonctions avec mesures d'accommodement et rémunération rétroactive. Un certain nombre des questions soulevées par Mme Sherman dans ses griefs sont également soulevées dans la plainte en matière de droits de la personne qu'elle a déposée.

[9] En juillet 1998, Mme Sherman a également déposé une plainte indépendante contre l'ARC dans laquelle elle a allégué que plusieurs de ses superviseurs l'avaient harcelée en raison de sa déficience, qu'ils avaient abusé de leur autorité et qu'ils avaient fait preuve de discrimination à son égard. Elle a demandé qu'une enquête soit menée sur sa plainte par un tiers indépendant. Mme Sherman a rejeté la proposition faite par l'ARC qu'elle joigne sa plainte de harcèlement à sa plainte en matière de droits de la personne dont le Tribunal est saisi.

[10] Le 14 mai 1999, on a congédié Mme Sherman parce qu'elle avait refusé de se soumettre à une évaluation des capacité fonctionnelles (ECF). Cette décision a ultérieurement été annulée par l'ARC. Toutefois, le 28 août 2000, l'ARC a une fois de plus congédié Mme Sherman en invoquant, comme principales raisons de ce congédiement, le refus de cette dernière de se soumettre à une ECF ainsi que son incapacité à répondre aux exigences de son poste.

[11] Mme Sherman a contesté son congédiement au moyen d'un examen par un tiers indépendant. L'examen par un tiers indépendant est un processus relativement nouveau qui a été conçu par l'ARC en vertu du pouvoir conféré par la Loi sur l'Agence des douanes et du revenu du Canada, L.C. 1999, ch. 17. Ce processus prévoit la tenue d'un examen indépendant des griefs ayant trait aux congédiements, aux rétrogradations, aux mises à pied ainsi qu'à certaines mesures de dotation en personnel.

[12] Le 24 février 2003, après une audience d'une durée de 19 jours, laquelle fut précédée par de nombreuses décisions portant sur des questions préliminaires, l'examinateur indépendant a rendu sa décision. Il a ordonné que Mme Sherman soit réintégrée dans la position qu'elle occupait avant de commencer à souffrir de ses blessures et qu'on lui verse son salaire ainsi que ses avantages sociaux, et ce, avec effet rétroactif au 28 août 2000. L'examinateur a également conclu que l'ARC n'avait pas respecté ses obligations d'accommoder Mme Sherman quant à son poste et qu'elle était toujours tenue de respecter ces obligations, même après la réintégration.

[13] Mme Sherman a par la suite présenté une requête en Cour fédérale afin d'obtenir une ordonnance de mandamus obligeant l'ARC à donner suite à des éléments contestés de la décision de l'examinateur indépendant. Puis, elle a présenté une requête d'ordonnance d'outrage au tribunal concernant l'application de l'ordonnance de mandamus. L'ordonnance de mandamus a été accordée, mais la requête d'ordonnance d'outrage au tribunal n'a pas encore été entendue. Une autre requête d'ordonnance de mandamus a été présentée en Cour fédérale par Mme Sherman, mais, elle également, n'a pas encore été entendue.

[14] En juin 2004, les griefs de Mme Sherman ont été renvoyées à l'arbitrage devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la CRTFP). Dans une décision préliminaire rendue le 27 août 2004, la CRTFP a conclu que la préclusion pour question déjà tranchée s'appliquait aux neuf conclusions qui sous-tendent la décision de l'examinateur indépendant. L'ARC a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision de la CRTFP quant à la préclusion pour question déjà tranchée. Une audience concernant cette demande sera bientôt tenue.

[15] La question de l'application de la préclusion pour question déjà tranchée a une fois de plus été soulevée devant le Tribunal. Pour les motifs qui suivent, je conclus que bien que les critères de la préclusion pour question déjà tranchée sont plus susceptibles d'avoir été satisfaits dans le cas de la décision de l'examinateur indépendant que dans le cas des décisions de la CSPAAT, il convient en l'espèce que j'exerce mon pouvoir discrétionnaire de ne pas appliquer la doctrine.

B. Le droit et l'analyse

[16] La préclusion pour question déjà tranchée a pour objet de mettre fin irrévocablement à un litige. Il s'agit d'un outil juridique qui est utile tant sur le plan pratique que sur le plan de l'équité. Non seulement il est pénalisant et coûteux que des parties continuent à débattre les mêmes questions, il est également injuste pour la partie qui a eu gain de cause de livrer la bataille une fois de plus (Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., [2001] 2 R.C.S. 460).

[17] En l'espèce, la partie qui a eu gain de cause, Mme Sherman, cherche à utiliser la doctrine pour une fin différente. Elle désire utiliser la victoire qu'elle a obtenue dans le cadre du processus de l'examinateur indépendant pour accélérer l'audience du Tribunal quant aux allégations de discrimination qui ne relevaient pas de la compétence des autres forums. Elle espère également que cela lui permettra d'obtenir une réparation supplémentaire pour des questions qui ont été tranchées dans un autre forum ou qui peuvent, à un moment donné, être tranchées dans un autre forum. La question consiste à savoir si cela constitue une utilisation convenable de la doctrine de la préclusion pour question déjà tranchée.

[18] L'ARC, par contre, emploie la doctrine au sens traditionnel - c'est-à-dire comme rempart servant à empêcher Mme Sherman de débattre à nouveau des questions qui, selon l'ARC, ont été tranchées d'une façon concluante par la CSPAAT. L'ARC prétend également que les conditions relatives à la préclusion pour question déjà tranchée, en ce qui a trait à la décision de l'examinateur indépendant, ne sont pas remplies.

[19] Le critère à deux volets d'application de la doctrine de la préclusion pour question déjà tranchée est maintenant bien connu : (1) les conditions relatives à la préclusion pour question déjà tranchée doivent être remplies; et (2) si les conditions sont remplies, le Tribunal doit décider, selon certains facteurs discrétionnaires, s'il convient, dans les circonstances, d'appliquer la doctrine (Danyluk, précité, paragraphe 33).

[20] Les conditions à remplir pour l'application de la préclusion pour question déjà tranchée sont les suivantes :

  1. les mêmes questions sont en litige dans les deux instances;
  2. la décision judiciaire qui est censée créer la préclusion pour question déjà tranchée est une décision finale;
  3. les parties, ou leurs ayants droits, sont les mêmes.

(i) Les mêmes questions

[21] Pour que les questions en litige soient considérées comme étant les mêmes, elles doivent avoir été à ce point fondamentales à la décision rendue dans l'instance antérieure que la décision n'existerait pas sans elles (Angle c. Canada (Ministre du Revenu national), [1975] 2 R.C.S. 248). De plus, cette exigence de la doctrine n'est satisfaite que si, à la suite d'une analyse méticuleuse des faits pertinents ainsi que du droit applicable, on peut affirmer que la réponse donnée aux questions en litige dans l'instance antérieure répond, à tout le moins, à un certain nombre des questions en litige dans l'instance subséquente (Heynen c. Frito Lay Canada Ltd. (1999), 45 O.R. (3d) 776, paragraphe 20).

[22] La préclusion pour question déjà tranchée s'applique aux questions de fait, aux questions de droit ainsi qu'aux questions mixtes de droit et de fait. L'exigence des mêmes questions peut s'appliquer à deux niveaux dans les procédures. Elle peut s'appliquer aux conclusions de fond ou aux conclusions tirées de la preuve à partir desquelles les conclusions finales sont tirées et elle peut s'appliquer aux conclusions finales elles-mêmes (Minott c. O'Shanter Development Co. (1999), 42 O.R. (3d) 321 (C.A.)). Dans certains cas, l'application de la préclusion pour question déjà tranchée dispose totalement de la question dans l'instance subséquente. Dans d'autres cas, elle peut tout simplement restreindre les questions à trancher. Les parties prétendent que c'est ce dernier résultat qui découlerait d'une décision d'appliquer en l'espèce la doctrine de la préclusion pour question déjà tranchée.

La décision de l'examinateur indépendant

[23] La question dont était saisi l'examinateur indépendant était de savoir si la décision de l'ARC de congédier Mme Sherman était raisonnable. Ainsi formulée, la question ne semble pas être la même que celle qui consiste à savoir si le congédiement de Mme Sherman était discriminatoire. Toutefois, lorsque l'on examine les motifs invoqués par l'ARC quant au congédiement de Mme Sherman, il devient évident que la question de savoir si le congédiement était conforme au droit en matière de droits de la personne était essentielle à la décision de l'examinateur indépendant.

[24] En examinant la décision de congédiement prise par l'ARC, l'examinateur indépendant devait décider si Mme Sherman était invalide, si elle était capable de s'acquitter de ses fonctions avec ou sans mesures d'accommodement, si on lui avait fourni des mesures d'accommodement sans qu'il en résulte une contrainte excessive, si elle avait collaboré aux efforts faits pour l'accommoder et si l'exigence d'effectuer les évaluations de capacité fonctionnelle était une exigence professionnelle justifiée.

[25] Les trois questions soulevées dans la plainte en matière de droit de la personne déposée par Mme Sherman sont les suivantes : (1) le congédiement était-il discriminatoire? (2) l'ARC a-t-elle omis de prendre des mesures d'accommodement quant à la déficience de Mme Sherman? (3) Mme Sherman a-t-elle fait l'objet d'un traitement différent au cours de son emploi, et ce, en raison de sa déficience?

[26] Les deux premières questions sont les mêmes que celles qui ont été examinées par l'examinateur indépendant. Toutefois, les questions concernant la différence de traitement ne sont pas tout à fait les mêmes que celles qui ont été décidées dans la première instance. Les allégations de Mme Sherman concernant la différence de traitement sont les suivantes : on lui a refusé des possibilités de formation, on l'a envoyée en congé de maladie, on l'a suspendue sans rémunération, on a refusé de lui accorder une promotion, on ne lui a pas permis de travailler à la maison et on ne lui a pas fourni de matériel différent pour l'accommoder en raison du fait qu'elle souffrait, du moins en partie, d'une déficience. Ces questions n'ont pas été examinées par l'examinateur indépendant parce qu'il n'avait pas compétence ou il les a examinées indirectement en évaluant les efforts déployés de bonne foi par l'ARC afin d'accommoder Mme Sherman avant de la congédier. Par conséquent, ces questions ne sont pas visées par le critère de la même question de la doctrine.

[27] Bien que certains des documents soumis par Mme Sherman à l'appui de sa requête semblent indiquer que l'instruction devant le Tribunal sera limitée à la question des redressements, d'autres indications nous permettent de penser que des éléments de preuve seront produits quant au bien-fondé de la plainte. Il est certain que rien dans les documents n'indique que Mme Sherman a renoncé à son intérêt à établir la responsabilité de l'ARC quant aux allégations susmentionnées concernant la différence de traitement. Ces allégations comportent des questions différentes de celles qui ont été tranchées par l'examinateur indépendant.

Les décisions de la CSPAAT

[28] L'ARC prétend que les décisions de la CSPAAT traitent des mêmes questions que celles qui sont soulevées dans la plainte en matière de droits de la personne déposée par Mme Sherman et, par conséquent, cet aspect du critère de la préclusion pour question déjà tranchée a été satisfait en ce qui concerne les décisions de la CSPAAT.

[29] En fait, la CSPAAT a rendu trois décisions. L'examinateur indépendant a conclu que la préclusion pour question déjà tranchée s'appliquait quant aux conclusions de la première décision de la CSPAAT, laquelle a été rendue le 30 janvier 1996. Toutefois, l'examinateur a refusé d'appliquer la doctrine quant à la deuxième et quant à la troisième décision parce qu'il a conclu que l'ARC n'avait pas soulevé la question en temps opportun et n'avait pas avisé Mme Sherman.

[30] Ce n'est pas le cas dans la présente requête. L'ARC a fait part de sa position concernant cette question en temps opportun, et ce, de manière exhaustive. Il importe peu que cela fut fait au moyen d'une réponse à la requête de Mme Sherman. L'ARC prétend que, dans la présente instance, le Tribunal est lié par la deuxième et la troisième décision de la CSPAAT.

[31] Selon moi, les questions fondamentales à trancher dans la deuxième et la troisième décision de la CSPAAT étaient différentes des questions à trancher dans la présente plainte. Les questions fondamentales dans ces décisions étaient de savoir si Mme Sherman avait droit à des services de réadaptation personnelle ou à des prestations complémentaires. Bien que la CSPAAT ait dû examiner, dans une certaine mesure, si l'ARC avait pris des mesures d'accommodement quant à la déficience de Mme Sherman, la question à laquelle la CSPAAT était confrontée était de savoir si l'employeur était suffisamment sur la bonne voie avec ses efforts d'accommodement pour justifier le retrait de la CSPAAT du processus. Cela est tout à fait différent de la question soulevée dans la plainte en matière de droits de la personne déposée par Mme Sherman, notamment quant à savoir si l'ARC avait épuisé toutes les solutions de rechange viables en matière d'accommodement sans subir de contrainte excessive (Eyerley c. SeaspanInternational Ltd. [2001] C.H.R.D. no 45, paragraphe 159).

(ii) Les décisions judiciaires définitives

[32] Aux fins de cet aspect du critère, une décision sera considérée comme étant de nature judiciaire si le décideur pouvait être investi d'un pouvoir juridictionnel et qu'il pouvait exercer ce pouvoir de manière judiciaire (Danyluk, précité, paragraphe 47). Une décision est rendue de manière judiciaire si elle s'appuie sur des conclusions de fait et sur l'application à ces faits d'une norme juridique objective (Danyluk, précité, paragraphe 41).

[33] Une décision est finale aux fins de la préclusion pour question déjà tranchée lorsque le forum décisionnel qui prononce la décision n'a plus compétence pour entendre de nouveau la question ou pour modifier ou annuler une conclusion (Donald J. Lange, The Doctrine of Res Judicata in Canada, 2e éd. (Toronto : LexisNexis Canada, 2004), page 86).

La décision de l'examinateur indépendant

[34] Le processus de l'examinateur indépendant confère à celui-ci le pouvoir de s'acquitter de ses responsabilités décisionnelles de manière judiciaire. De plus, je conclus que la décision de l'examinateur indépendant était finale et devait être rendue d'une manière judiciaire. Par conséquent, je conclus que la décision de l'examinateur indépendant satisfait à cet aspect du critère.

Les décisions de la CSPAAT

[35] La deuxième et la troisième décision de la CSPAAT font présentement l'objet d'un appel. Toutefois, Mme Sherman a demandé qu'elles soient suspendues en attendant le résultat de l'autre instance. Je ne crois pas qu'il soit juste de pénaliser ainsi l'ARC.

[36] Selon moi, la Loi de 1997 sur la sécurité professionnelle et l'assurance contre les accidents du travail, L.O. 1997, ch. 16 (la Loi) confère à la CSPAAT le pouvoir de rendre des décisions judiciaires. De plus, je conclus que la Loi exige que les décisions de la Commission soient rendues d'une manière judiciaire. Par conséquent, je conclus que cet aspect du critère est également satisfait quant aux décisions de la CSPAAT.

(iii) Les parties ou leurs ayants-droits sont les mêmes

[37] Pour que la troisième exigence soit satisfaite, les parties ou leurs ayants-droits doivent être les mêmes. Les parties en cause dans le processus de l'examinateur indépendant et dans le processus de la CSPAAT étaient Mme Sherman et l'ARC. Dans la présente instance, il y a une partie additionnelle qui n'était pas partie à l'instance antérieure - la Commission canadienne des droits de la personne.

[38] Lorsque les parties à l'instance ne sont pas les mêmes, cet aspect du critère peut encore être satisfait si l'une des parties était l'ayant-droit de l'autre partie dans la ou les instances antérieures. Pour qu'il y ait un ayant-droit, il doit y avoir un degré suffisant d'intérêt commun entre la partie et l'ayant-droit pour qu'il soit juste de lier la partie aux décisions rendues dans l'instance antérieure (Danyluk, précité, paragraphe 60). Les décisions concernant la question de savoir s'il y a un degré suffisant d'intérêt commun pour affirmer qu'une partie était l'ayant-droit d'une autre doivent être prises au cas par cas (Smith, J. c. La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2005 TCDP 22, paragraphe 28).

[39] Le Tribunal a hésité à conclure que la Commission était un ayant-droit du plaignant en raison de l'incidence que cela aurait sur la capacité de la Commission à représenter l'intérêt public dans des instances devant le Tribunal (Parisien c. Commission régionale de transport d'Ottawa-Carleton, [2002] C.H.R.D. 23; et Desormeaux c. Commission régionale de transport d'Ottawa-Carleton, [2002] C.H.R.D. 22).

[40] Toutefois, en l'espèce, la Commission a mentionné qu'elle ne participera pas à la présente requête et qu'elle ne comparaîtra pas à l'audience sur la présente affaire. Cela donne à penser que, selon la Commission, aucune question d'intérêt public, autre que celles soulevées par Mme Sherman et par l'ARC, ne doit être soulevée, que ce soit dans le contexte de la présente requête ou dans le contexte de l'instruction sur le bien-fondé de la plainte. Par conséquent, en l'espèce, je crois qu'il existe un degré suffisant d'intérêt commun entre la Commission et Mme Sherman pour pouvoir affirmer qu'elles sont des ayants-droits de l'une et de l'autre. Par conséquent, cet aspect du critère est satisfait quant aux décisions de l'examinateur indépendant et quant aux décisions de la CSPAAT.

Conclusion concernant le critère de la préclusion pour question déjà tranchée

[41] Je conclus que les conditions préalables à l'application de la préclusion pour question déjà tranchée ont été satisfaites quant à la décision de l'examinateur indépendant, mais pas quant aux décisions de la CSPAAT.

II. La doctrine de la préclusion pour question déjà tranchée s'applique-t-elle en l'espèce?

[42] Dans Danyluk, la Cour suprême du Canada a déclaré que la doctrine de la préclusion pour question déjà tranchée ne devrait pas être automatiquement appliquée dès qu'il a été jugé que les conditions préalables ont été satisfaites. Au contraire, les tribunaux doivent examiner s'il convient, dans les circonstances particulières de l'espèce, d'appliquer la doctrine, compte tenu d'un certain nombre de facteurs.

[43] Comme les conditions préalables pour l'application de la préclusion pour question déjà tranchée n'ont été satisfaites qu'en rapport avec la décision de l'examinateur indépendant, je limiterai ma discussion des facteurs discrétionnaires au contexte de cette décision.

[44] Un certain nombre des facteurs énoncés par la Cour suprême sont applicables en l'espèce alors que d'autres ne le sont pas. Je ne traiterai que des facteurs qui sont applicables. Par ailleurs, compte tenu de la déclaration faite par la Cour suprême dans Danyluk que la liste des facteurs discrétionnaires n'est pas exhaustive, j'ai pris la liberté d'examiner un facteur supplémentaire : les intérêts de la justice seront-ils servis par l'application de la doctrine?

(i) Le libellé de la loi et l'objet visé par la loi

[45] Les lignes directrices concernant le processus de l'examen par un examinateur indépendant prévoient un examen des décisions des gestionnaires dans des circonstances très limitées. La portée du redressement qui peut-être apporté est également très limitée. De plus, rien ne donne à penser que l'examinateur indépendant a compétence exclusive quant à l'examen des décisions de congédiement.

[46] En fait, Mme Sherman a déposé sa plainte en matière de droits de la personne après que l'ARC eut rendu sa première décision de la congédier. Par conséquent, elle était manifestement au courant qu'il existait des forums autres que le processus de l'examinateur indépendant qui peuvent accorder un redressement qui non seulement est plus complet que celui qui peut être accordé dans le processus de l'examinateur indépendant, mais qui peuvent également traiter la vaste gamme d'allégations découlant de la question fondamentale posée dans l'ensemble de ses litiges - le présumé traitement discriminatoire de la part de l'ARC en raison de sa déficience.

[47] Le problème avec un système de compétence concurrente exercée par de nombreux forums est que les parties comme Mme Sherman sont confrontées à des choix très difficiles : devraient-elles mettre tous leurs ufs dans le même panier et centrer leurs efforts sur l'obtention d'un résultat favorable dans le forum qui possède la compétence la plus vaste et qui peut fournir le redressement le plus complet ou devraient-elles tirer dans toutes les directions et espérer qu'elles auront gain de cause dans au moins un forum, lequel gain de cause pourra alors être utilisé, au moyen de la doctrine de la préclusion pour question déjà tranchée, pour obtenir des décisions favorables et des redressements dans d'autres forums?

[48] En l'espèce, Mme Sherman a choisi la dernière approche. Elle a exploré différentes avenues afin d'obtenir un redressement. Elle a obtenu gain de cause dans un certain nombre de forums alors que ce ne fut pas le cas dans d'autres forums.

[49] Il est difficile de voir comment les buts visés par la préclusion pour question déjà tranchée - c'est-à-dire la recherche de la constance et du caractère définitif dans les litiges ainsi que l'encouragement à la résolution des différends dans un seul forum - sont atteints en permettant à Mme Sherman de se servir de ses décisions favorables pour non seulement obtenir des redressements additionnels, mais également pour l'aider à établir des éléments additionnels de sa plainte dans d'autre forums. La jurisprudence récente sur cette question a insisté sur le principe que lorsque plusieurs questions connexes émanent d'un conflit en milieu de travail, elles devraient être entendues par un seul arbitre, dans la mesure où cela est possible sur le plan de la compétence, de manière à éviter des résultats et des recours incompatibles (Ford Motor Co. of Canada c. Ontario (Commission des droits de la personne) (2001), 209 D.L.R. (4th) (C.A. Ont.), paragraphe 60).

(ii) Les garanties offertes aux parties dans le cadre de l'instance administrative

[50] Je suis également préoccupé par les garanties procédurales offertes aux parties en vertu du processus de l'examinateur indépendant. Bien qu'il soit doté d'un nombre important de garanties procédurales, le processus de l'examinateur indépendant semble accuser une carence sur le plan des pouvoirs nécessaires pour garantir que chacune des parties aient la possibilité de prendre connaissance des prétentions de l'autre partie et de les réfuter. L'examinateur indépendant a lui-même déclaré que l'absence de pouvoir, dans les lignes directrices du processus de l'examinateur indépendant, d'assigner des témoins et de demander la production de documents constituait un [Traduction] handicap important dans le processus d'appréciation des faits dans les affaires complexes comme le congédiement de Mme Sherman (page 34 de la décision de l'examinateur indépendant). Il s'agit d'un critère dont on se sert pour décider si on doit exercer le pouvoir discrétionnaire du Tribunal d'appliquer la doctrine de préclusion pour question déjà tranchée.

(iii) Les intérêts de la justice seront-ils servis par l'application de la doctrine?

[51] Comme il a déjà été souligné, la présente cause comporte une multiplicité d'instances qui se déroulent dans de nombreux forums. Certaines ont donné lieu à des décisions contradictoires sur des points importants et certaines ne sont pas encore rendues au stade de l'audience ou de la prise de décision. En effet, après avoir examiné la volumineuse documentation concernant les diverses instances, on a la nette impression que la doctrine de la préclusion pour question déjà tranchée ne peut tout simplement pas servir de raccourci rapide à travers cet ensemble disparate de décisions et de procédures.

[52] Le problème découle en partie du fait que Mme Sherman ne fait pas que demander au Tribunal d'appliquer les décisions antérieures rendues par l'examinateur indépendant à la question des réparations additionnelles qui ne lui étaient ou ne lui sont pas offertes dans d'autres forums. Au contraire, elle demande la délivrance d'une ordonnance que quelque 54 conclusions de l'examinateur indépendant, lesquelles couvrent une vaste gamme de questions dans la plainte, lient le Tribunal dans sa décision en ce qui concerne les autres allégations de discrimination comme la différence de traitement. Il est probable qu'en tirant des conclusions concernant les autres allégations formulées dans la plainte et concernant les redressements appropriés, le Tribunal devra tirer des conclusions additionnelles qui ne sont pas visées par la décision de l'examinateur indépendant. Il se peut que les éléments de preuve présentés pour prouver ou réfuter ces allégations s'égarent dans le domaine des faits qui ont déjà été établis par l'examinateur indépendant. Il ne fait alors aucun doute qu'il y aura des désaccords quant à savoir si on peut présenter des éléments de preuve sur un point qui a déjà été prouvé mais qui peuvent être nécessaires pour établir le contexte ou pour prouver un fait qui est toujours en litige. Il est difficile de voir comment de telles controverses aideront les parties ou le Tribunal à atteindre un résultat rapide et équitable quant au bien-fondé de la plainte.

[53] Par ailleurs, à cette étape du processus, sans avoir eu l'avantage d'entendre un élément de preuve ou un argument, il serait imprudent de ma part de lier le Tribunal quant à certaines conclusions qui peuvent ou peuvent ne pas cadrer avec les autres éléments de preuve qui seront présentés concernant les allégations qui sont toujours en litige.

III. Conclusion et ordonnance

[54] Bien que les critères relatifs à l'application de la préclusion pour question déjà tranchée aient été satisfaits quant à la décision de l'examinateur indépendant, il convient, en l'espèce, compte tenu des facteurs énoncés dans la décision Danyluk, que j'exerce mon pouvoir discrétionnaire de refuser d'appliquer la doctrine de la préclusion pour question déjà tranchée. Compte tenu de la multiplicité et de la complexité des procédures et des décisions relatives aux questions soulevées dans la plainte, je ne crois pas que les intérêts de la justice seront servis par l'application, en l'espèce, de la doctrine.

[55] Par conséquent, la requête de Mme Sherman ainsi que la demande de l'ARC, en réponse à la requête, d'appliquer la doctrine de la préclusion pour question déjà tranchée sont rejetées.

Karen A. Jensen

Ottawa (Ontario)

Le 5 octobre 2005

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T975/9504

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Simone Sherman c. Revenu Canada

DATE DE LA DÉCISION
DU TRIBUNAL :

Le 5 octobre 2005

ONT COMPARU :

Dan Rafferty

Pour la plaignante

Christopher Leafloor

Pour l'intimé

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