Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Entre :

Cecil Brooks

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Ministère des pêches et des océans

l'intimé

Décision

Membre : Dr Paul Groarke
Date : Le 12 juillet 2005
Référence : 2005 TCDP 26

Table des matières

I. Introduction

II. Les principes de base

A. Le pouvoir discrétionnaire à l’égard des dépens est régi par le principe de l’austérité

B. La norme applicable est ce qui est équitable et raisonnable

III. La façon de procéder

A. Les Règles de la Cour fédérale s’appliquent

B. Tarif B

(i) Le Tribunal doit établir quels étaient les services nécessaires et procéder à la taxation des dépens

C. La colonne appropriée est la colonne III

D. Taxation

(i) Choix de l’avocat

(ii) Avocat adjoint

(iii) Services avant le renvoi

(iv) Requête inutile

(v) TPS

(vi) Total

(vii) Débours

(viii) Total des honoraires, de la TPS et des débours

IV. Ajustements définitifs

A. Les facteurs prévus par la loi

(i) L’alinéa 400(3)a) des Règles - Résultat

(ii) Alinéa 400(3)b) des Règles- Quantum

(iii) Alinéa 400(3)c) des Règles- Importance et complexité

(iv) Alinéa 400(3)e) des Règles - Toute offre écrite de règlement

a) La loi exige un avis

b) La première offre

c) La deuxième offre

(v) Alinéa 400(3)g) des Règles - Charge de travail

(vi) Alinéa 400(3)h) des Règles - Intérêt public

a) Audiences servant l’intérêt public

(vii) Sous alinéa 400(3)k) des Règles - Mesure inutile

B. Autres facteurs

V. Décision

A. Tableau A - Frais du tarif B des Règles de la Cour fédérale

B. Tableau B - Débours

C. Tableau - Résumé

I. Introduction

[1] La question de savoir si le Tribunal a compétence pour adjuger des dépens est actuellement en instance à la Cour fédérale. Toutefois, il faudra un certain temps pour régler les aspects légaux de l’affaire. Les parties m’ont par conséquent demandé de taxer les dépens de la présente affaire, pendant que les détails du litige sont frais à leur mémoire. Il appert qu’il existe pour le plaignant une certaine urgence d’aspect financier.

[2] Les parties se sont entendues à l’égard de la façon de procéder et des principes de base qui devraient être suivis pour procéder à la taxation. Étant donné que c’est la première fois que le Tribunal taxe officiellement les dépens, j’ai essayé de limiter mes commentaires aux rudiments du processus.

[3] M. Bagambiire m’a présenté un mémoire de frais qui énumère les honoraires et débours réels qui ont été facturés à son client. La somme globale des honoraires, des débours et de la TPS qu’il réclame suivant le mémoire s’élève à 372 612 $. C’est ce montant qui constitue le véritable litige entre les parties à l’égard du redressement.

II. Les principes de base

A. Le pouvoir discrétionnaire à l’égard des dépens est régi par le principe de l’austérité

[4] Selon ce que je comprends de la loi, le pouvoir discrétionnaire à l’égard des dépens est régi par le principe de l’austérité. C’est le terme utilisé par M. Stinson dans l’affaire Kassam c. Canada, [2005] A.C.F. no 799, au paragraphe 8 (C.A.F.), dans laquelle il dit qu’un officier taxateur devrait exercer son pouvoir discrétionnaire d’une manière classique, en tenant compte du [Traduction] sens de l’austérité qui [Traduction] devrait s’étendre aux dépens, pour empêcher que celui qui paie les dépens subisse un préjudice.

[5] Il s’agit d’un aspect fondamental du processus. L’accent de l’instruction lors de la taxation des dépens porte sur ce que l’intimé devrait payer plutôt que sur ce que le plaignant devrait récupérer. Cette différence à l’égard de l’accent est importante. L’intimé ne devrait pas être tenu de payer plus que ce qui était nécessaire pour procéder à la poursuite de l’affaire.

[6] Le processus de taxation des dépens a sa propre caractéristique particulière qui s’appuie fortement sur le jugement de l’officier taxateur. M. Stinson cite Lord Justice Russell, qui a apparemment déclaré que la taxation est [Traduction] une justice sommaire, dans le sens qu’elle est composée d’une approximation très délicate. Ce sentiment d’imprécision est probablement inhérent au processus.

B. La norme applicable est ce qui est équitable et raisonnable

[7] Il sera évident qu’une certaine sorte de norme est requise pour taxer le coût approprié des services qui ont été rendus. Les parties ont accepté ma suggestion selon laquelle la norme applicable est ce qui est équitable et raisonnable. La notion d’équité apporte un critère additionnel qui reflète la norme procédurale prévue par la Loi canadienne sur les droits de la personne. Les frais peuvent être raisonnables, mais pas totalement équitables.

[8] Il existe des décisions qui appuient ce point de vue. Dans la décision Smith c. Ontario (Human Rights Commission), [2005] O.J. no 2275 (Cour supérieure de l’Ontario), la Cour divisionnaire de l’Ontario a traité d’une adjudication de dépens dans un appel à l’encontre d’une audience tenue devant le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario. La cour a reconnu, au paragraphe 2, le principe selon lequel [Traduction] les dépens doivent être raisonnables et équitables pour la partie déboutée, dont les attentes raisonnables doivent être prises en compte. La cour d’appel de l’Ontario a confirmé la même norme dans l’arrêt Boucher c. Public Accountants Council for the Province of Ontario, [2004] O.J. no 2634.

[9] Le but de la taxation des dépens consiste par conséquent à établir les dépens équitables et raisonnables du litige. Le processus de taxation devrait être régi par le même sens d’austérité qui guide l’exercice du pouvoir discrétionnaire plus large.

III. La façon de procéder

A. Les Règles de la Cour fédérale s’appliquent

[10] L’ampleur de la demande dans la présente affaire requiert une nouvelle méthode de taxation. Dans le passé, le Tribunal a adjugé des dépens sur le fondement qu’ils constituent des dépenses suivant l’alinéa 53(2)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Ainsi, dans la décision Milano c. Triple K Transport Ltd., (2003) TCDP 30, et dans la décision Premakumar c. Air Canada, no 2 (26 avril 2002), D.T. 03/02 (TCDP), Mme Mactavish a adjugé à un plaignant des frais juridiques raisonnables. Dans la décision Nkwazi c. Service correctionnel du Canada, no 3 (29 mars 2001), D.T. 1/01 (TCDP), elle a adjugé des dépens raisonnables entre procureur et client.

[11] Les dépens dont on a traité dans ces affaires étaient d’une ampleur différente de celle des dépens réclamés dans la présente affaire. Ils se prêtaient par conséquent davantage à cette analyse. J’ai tiré une conclusion différente dans la décision Brown c. Gendarmerie royale du Canada, 2004 TCDP 30, dans laquelle j’ai déclaré que les frais juridiques ne devraient pas être décrits comme des dépenses suivant la Loi. Si tel était le cas, ils seraient erronément traités comme des débours.

[12] Cet aspect est important parce que les dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne à l’égard du redressement prévoient la récupération totale des dépenses engagées par un plaignant qui a gain de cause. Cela n’est pas approprié quant aux dépens. La notion du caractère raisonnable qui s’applique aux débours n’est pas la même que la notion qui s’applique aux dépens. La notion applicable aux dépens est fondée sur ce que l’intimé devrait être tenu de payer plutôt que sur ce que le plaignant a dépensé.

[13] Il s’agit plus d’une norme consacrée par l’usage qui nécessite certaines mesures pour procéder à la taxation de dépens équitables et raisonnables dans un cas donné. M. Bagambiire a accepté à contrecoeur que les mesures de taxation puissent provenir des Règles de la Cour fédérale. Ces Règles fournissent un ensemble de principes et une façon de procéder pour taxer les dépens. Elles contiennent également un tarif, qui comporte une liste de services qui peuvent être réclamés. Cela fournit au processus de taxation la marche à suivre.

[14] Il est logique que les Règles de la Cour fédérale s’appliquent. Des dépens sont des dépens. M. Brooks a droit aux mêmes dépens que les autres parties à un litige dans le système fédéral. Il n’est pas plus avantageux de déposer une plainte suivant la Loi canadienne sur les droits de la personne. En fait, j’ai été informé que le plaignant a intenté devant la Cour fédérale une poursuite fondée sur la Constitution. Je ne vois aucune raison pour laquelle il obtiendrait un meilleur résultat devant le Tribunal.

[15] Les parties ont convenu qu’il peut être nécessaire de modifier le tarif pour refléter toute différence dans les procédures devant le Tribunal. Comme M. Bagambiire l’affirme, le tarif ne devrait pas être un [Traduction] carcan. Je pense qu’une certaine improvisation est une partie inévitable du processus. Il est également possible de faire des ajustements, au début et à la fin du processus.

B. Tarif B

[16] Les Règles de la Cour fédérale contiennent deux tarifs. Le premier, le tarif A, traite des frais judiciaires. Les parties n’y ont pas renvoyé. Il y a également un deuxième tarif, le tarif B, qui traite des honoraires des avocats et débours qui peuvent être acceptés aux fins de la taxation des frais. Ce tarif contient un tableau qui donne un nombre d’unités qui peuvent être accordées pour les services compris dans le tarif. Les parties ont reconnu que cela fournit la façon de procéder de base pour toute taxation par le Tribunal.

(i) Le Tribunal doit établir quels étaient les services nécessaires et procéder à la taxation des dépens

[17] La tâche d’un tribunal qui applique le tarif comporte deux volets. Le Tribunal doit établir quels étaient les services nécessaires. Dans la plupart des cas, il s’agit d’une tâche relativement simple. Le plaignant présente simplement un mémoire de frais exposant les services qui ont été rendus, conformément au tarif.

[18] Le mot nécessaire ne devrait pas être interprété d’une façon trop stricte dans ce contexte. Il peut y avoir différentes opinions quant à ce qui est nécessaire et le plaignant et son avocat ont le droit d’exercer un certain jugement à cet égard.

[19] Le Tribunal doit ensuite établir le coût de ces services selon la norme applicable. Cela requiert une certaine évaluation de la valeur à accorder à différents services. Cette valeur est fournie par le tarif, auquel s’ajoutent les observations des avocats et l’expérience du Tribunal. Il appartient à la partie qui demande des dépens d’établir le caractère nécessaire et la valeur des services.

C. La colonne appropriée est la colonne III

[20] La première étape suivant le tarif B consiste à décider quelle colonne devrait être utilisée pour la taxation. M. McCrossin a fait valoir que la colonne appropriée est la colonne III. Il s’agit de la colonne à utiliser par défaut suivant l’article 407 des Règles. M. Bagambiire a demandé que les dépens soient adjugés suivant la colonne V, la colonne qui comporte les nombres les plus élevés.

[21] La question est celle de savoir si le plaignant a droit aux dépens partie-partie ou aux dépens sur une base avocat-client. L’intimé a cité l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Banca Nazionale Del Lavoro of Canada Ltd. c. Lee-Shanok, [1988] A.C.F. no 594, au paragraphe 27, dans lequel il a été statué ce qui suit :

[…] un juge doit faire preuve [Traduction] de beaucoup de prudence lorsqu’il s’écarte de la règle générale voulant que seulement des frais entre parties soient accordés à un gagnant […]. Une telle adjudication extraordinaire [c’est‑à‑dire des dépens avocat-client ] ne doit avoir lieu que dans des circonstances clairement exceptionnelles, comme ce serait le cas lorsqu’un arbitre désire indiquer de ce fait qu’il désapprouve la conduite d’une partie à l’instance.

Je ne vois rien qui pourrait être caractérisé d’exceptionnel dans le présent contexte.

[22] Il y a occasionnellement eu de l’agitation au cours de l’audience. Les parties avaient des opinions fortes et ont fait à tour de rôle des allégations de façon émotionnelle et même de façon furieuse. Toutefois, il s’agit d’une portion habituelle du processus en matière des droits de la personne, processus qui soulève souvent des questions provocantes pour les parties. Je ne vois rien qui placerait la présente affaire hors des cas habituels qui sont soumis au Tribunal.

[23] J’ai déjà dit que le dépôt d’une plainte en matière des droits de la personne ne comportait pas un avantage par rapport à une autre procédure. Je pense néanmoins qu’il peut y avoir un certain avantage dans des cas qui soulèvent des questions sociales, historiques ou institutionnelles devant être tranchées. Je pense qu’il est préférable de laisser d’autres tribunaux trancher ces questions. La présente affaire ne fait pas partie de tels cas.

[24] L’intimé ne devrait pas être pénalisé parce qu’il conteste un cas qu’il attaque légitimement. La colonne appropriée est clairement la colonne III. Il existait un véritable litige entre les parties. Les parties ont eu toutes deux des gains de cause.

D. Taxation

[25] Les parties ont convenu d’appliquer le tarif B, article par article, d’une manière relativement peu formelle. J’ai donné à chaque partie la possibilité de présenter des observations et j’ai ensuite adjugé un nombre d’unités précis pour le service. La valeur de chaque unité au moment de l’audience tenue à l’égard de la taxation était de 110 $. Cette valeur a changé pour 120 $ le 1er avril 2005.

[26] Les parties ont adopté des positions différentes à l’égard de la valeur qui devrait s’appliquer à la présente adjudication de dépens. M. Bagambiire prétend que l’affaire n’était pas réglée en date du 1er avril 2005, lorsque la valeur unitaire a été ajustée. Il m’a renvoyé à la décision de la Cour fédérale AIC Ltd. c. Infinity Investment Counsel Ltd., [1998] A.C.F. no 904, dans laquelle le juge Rothstein a déclaré qu’un nouvel article des Règles se rapportant aux dépens devrait s’appliquer à une adjudication de dépens qui survient après l’entrée en vigueur de cet article.

[27] Les parties conviennent essentiellement que la question est celle de savoir si les droits suivant l’adjudication étaient déjà acquis. Mme Cameron, au nom de l’intimé, prétend que les articles ont été établis au cours de la taxation qui a eu lieu avant le 1er avril. Les points qui ont été traités après le 1er avril se rapportaient à des questions de droit et à la question générale de savoir si je devais exercer le pouvoir discrétionnaire prévu par les Règles d’augmenter ou de réduire les dépens taxés.

[28] Je pense que les deux parties reconnaîtront que le nombre d’unités à être adjugées pour chaque service a été établi au moment de l’audience tenue à l’égard de la taxation. Des observations ont été présentées et le Tribunal a rendu une décision à l’égard de chaque article et, sauf en cas d’erreurs ou de contradictions, je pense que la compétence du Tribunal de taxer ces dépens a été épuisée. Cela ne signifie pas cependant que la valeur de l’adjudication a été établie.

[29] La véritable question à l’égard de la valeur est le recouvrement. Le droit du plaignant de recouvrer une valeur unitaire particulière, et un droit financier particulier, n’est pas acquis tant que la décision n’a pas été rendue. Je pense que c’est la date de prise d’effet. L’idée qui sous‑tend le tarif est d’établir la valeur des services obtenus dans le passé, au moment où les dépens sont dus. Cette valeur doit être taxée selon la norme qui existe le jour où la décision est signée.

[30] Il existe un autre problème. Je ne vois pas comment une personne qui procède à une taxation peut faire une partie de la taxation suivant une valeur unitaire et l’achever suivant une autre valeur. S’il y a dans cela un certain élément d’heureux hasard qui doit profiter à une partie ou à l’autre, je pense que c’est le plaignant qui doit en bénéficier. L’intimé bénéficie déjà du principe de l’austérité. J’ai par conséquent réajusté les chiffres suivant le tarif B pour refléter une valeur unitaire de 120 $.

[31] Le tarif donne à la personne qui taxe les dépens un pouvoir discrétionnaire pour établir le nombre d’unités qui devrait être accordé pour chaque service. L’officier taxateur peut, par exemple, accorder de 3 à 7 unités pour la préparation et le dépôt d’une requête contestée. Les parties ont convenu qu’il y avait quatre questions distinctes, toutes débattues séparément, qui peuvent être décrites de façon pratique comme des requêtes contestées. Après avoir entendu les parties, j’ai par conséquent accordé de 3 à 5 unités pour chacune de ces questions.

[32] L’agent du greffe a préparé un tableau, à mesure que nous procédions à la taxation, contenant une liste des unités accordées pour chaque service. Après avoir terminé la taxation des honoraires, une procédure similaire a été suivie pour les débours. Il y a à l’article 400 des Règles de la Cour fédérale une liste de facteurs généraux, qui peuvent être pris en compte lors de la taxation. Ces sortes de facteurs interviennent naturellement lors de l’exercice.

(i) Choix de l’avocat

[33] Les principales questions soulevées au cours de la taxation méritent d’autres observations. La première est que le plaignant a engagé un avocat à l’extérieur d’Halifax. L’intimé a prétendu que tous les frais qui découlent de la décision à l’égard du choix de l’avocat devraient être supportés par le plaignant.

[34] La question est plus compliquée qu’elle semble l’être. Comme il s’est avéré, l’enquêteur de la Commission était à Toronto. M. Bagambiire a au départ été engagé parce qu’il se trouvait dans la même ville. Il y a eu de longues discussions à l’égard des détails du dossier. En raison de ces discussions, M. Bagambiire était le choix logique au moment de choisir un avocat pour l’audience.

[35] Cependant, il y a d’autres éléments qui interviennent. M. Bagambiire vient de la région d’Halifax. Il est connu comme un défenseur des droits dans la collectivité noire et il a une expertise particulière en matière des droits de la personne. Il est évident que M. Brooks ressent un poids plus général de discrimination, qui va au‑delà des limites de la plainte actuelle. La preuve dont je dispose donnait à penser qu’il y a eu une rupture amère entre la collectivité noire et la collectivité blanche dans la région d’Halifax.

[36] Je ne veux pas suggérer que les membres des minorités ont le droit d’une façon automatique de choisir des avocats qui font partie de leur propre collectivité. Je pense néanmoins qu’il s’agit de l’un de ces domaines dans lesquels des considérations exceptionnelles peuvent s’appliquer au processus en matière des droits de la personne. M. Brooks a eu des problèmes psychologiques dans le passé. Je pense qu’il trouvait un réconfort légitime du fait que son avocat principal pouvait le représenter en ayant toute la perspective et toute la connaissance résultant de sa vie en tant que membre de la même minorité.

(ii) Avocat adjoint

[37] La cause a été débattue vigoureusement par les deux parties. L’intimé avait deux avocats qui étaient assistés des représentants et des agents du ministère. Dans les circonstances, je pense que M. Brooks avait droit à un deuxième avocat. Je ne vois pas pourquoi il avait besoin d’un autre avocat de Toronto. J’ai par conséquent accepté les frais pour les services d’un avocat adjoint, mais j’ai refusé les débours se rapportant à ses frais de voyages.

(iii) Services avant le renvoi

[38] Je dois dire que l’intimé rapporte erronément la situation lorsqu’il affirme, dans ses observations écrites, que j’ai [Traduction] taxé les dépens pour l’avocat du plaignant quant à l’étape de la plainte devant la Commission. L’avocat réfère peut-être au fait que j’ai accepté un certain recouvrement pour les services que M. Bagambiire a fournis lors d’une médiation à Halifax. Cependant, c’était une médiation tenue par le Tribunal après que l’affaire eut été renvoyée et cette étape devrait être interprétée comme une partie du processus de l’instruction.

[39] La compétence du Tribunal est limitée à son propre processus. Toute adjudication de dépens devrait être limitée aux frais qui ont été engagés pour la poursuite de l’affaire devant le Tribunal. Les frais que j’ai acceptés sont des frais de base pour les services rendus par les avocats du plaignant au cours du processus de l’audience. Les tableaux joints à la présente parlent d’eux‑mêmes.

[40] Il n’est pas possible de limiter l’affaire de façon précise. Le plaignant a en outre droit à certains dépens, étant donné que certains des services qui ont été fournis avant que l’affaire soit renvoyée peuvent être interprétés comme des services faisant partie de façon naturelle et inévitable du processus du Tribunal. J’ai accepté par conséquent certains débours pour les services rendus devant la Commission. J’en ai également tenu compte lorsque j’ai effectué les ajustements définitifs pour le calcul global.

[41] La jurisprudence reconnaît qu’un plaignant a droit à une rémunération pour la consultation d’un avocat et pour avoir entrepris les discussions auprès de la Commission, même si des dépens n’ont pas été adjugés. Cela a toutefois des limites. Dans la présente affaire, il y a eu un dialogue long et approfondi entre l’avocat du plaignant et la Commission. Cette sorte de service va bien au‑delà des sortes de dépens qui peuvent être récupérés de l’intimé.

(iv) Requête inutile

[42] L’intimé a en outre adopté la position selon laquelle une requête visant à clarifier la décision était inutile. Bien que je sois principalement d’accord avec l’intimé à l’égard de cette question, je pense que le plaignant avait le droit de récupérer un certain montant pour la requête. J’ai par conséquent accordé le nombre minimal d’unités pour la requête.

(v) TPS

[43] Le total des honoraires s’élève à 70 800 $. Il y avait un litige quant à savoir si le plaignant avait le droit de recouvrer la TPS payable sur les honoraires et débours. J’ai déclaré que cette taxe constitue des frais inévitables, de la nature des débours, et qu’elle devrait être supportée par l’intimé. Cette taxe ne devrait pas être utilisée pour réduire artificiellement le recouvrement du plaignant qui est bien en deçà de ses frais réels.

(vi) Total

[44] Le tableau préparé par l’agent quant aux dépens taxés dans l’affaire est joint à la présente. Le total des dépens taxés, incluant la TPS, s’élève à 75 756 $.

(vii) Débours

[45] Les parties ont ensuite examiné la liste des débours du plaignant, article par article, d’une manière assez semblable. L’intimé a présenté de façon générale des observations selon lesquelles les débours étaient excessifs. Il y a aussi eu des observations à l’égard de chacun des articles.

[46] J’ai refusé la plupart des débours liés aux services fournis avant que la plainte soit renvoyée. Il y avait des exceptions. L’article principal à cet égard était une réclamation plutôt générale pour ce qui suit :

[Traduction] Frais de photocopies, de télécopies, de messagers, de consultation QL et dépenses variées, de 2001 jusqu’à ce jour : 13 643,62 $.

[47] Après avoir entendu les observations des parties, j’ai accordé 9 000 $ pour cet article. Cela permet un certain recouvrement des frais engagés devant la Commission.

[48] Il y avait également un litige à l’égard des rapports des deux experts. Le premier était un rapport actuariel. Ce rapport a été préparé à des fins de règlement, avant le renvoi. Je ne pense pas qu’il serait équitable de demander à l’intimé de supporter les frais liés à ce rapport étant donné qu’il n’était pas nécessaire aux fins de l’audience.

[49] Il y avait un deuxième rapport préparé par M. Henry, un expert en relations interraciales. Le plaignant avait le droit de se procurer, en le payant, un tel rapport sur lequel on s’appuie fréquemment dans des cas de discrimination. L’intimé a prétendu qu’il ne s’agissait pas d’un rapport d’expert approprié et que ce rapport avait par conséquent été jugé irrecevable. Cette prétention est en partie bien fondée. Après avoir entendu les observations des deux parties, j’ai accordé 1 800 $ pour la préparation de ce rapport, ce qui constitue une réduction de 1 000 $.

[50] Le plaignant a réclamé une somme de 8 997,63 $ pour la transcription de la partie de l’audience qui traitait de la responsabilité. M. Bagambiire a allégué que l’audience avait eu lieu au cours d’une longue période. Il avait par conséquent besoin de la transcription pour préparer ses observations finales. J’ai accordé 5 350 $, incluant la TPS.

[51] M. Bagambiire a déclaré qu’il était impossible de fournir un état détaillé des appels interurbains. J’ai par conséquent accordé à titre de frais additionnels, sans reçus, une somme de 300 $.

[52] Les débours réclamés par M. Bagambiire sont inclus dans son mémoire de frais initial. Le total des débours taxés s’élève à 22 590 $. Étant donné que la TPS était déjà incluse dans les débours individuels, il n’y a pas eu d’ajustement pour la TPS. Le tableau préparé par l’agent quant aux débours taxés dans l’affaire est joint à la présente.

(viii) Total des honoraires, de la TPS et des débours

[53] Le total des honoraires, de la TPS et des débours taxés s’élève à 98 346 $.

IV. Ajustements définitifs

[54] Les parties ont convenu que le Tribunal devrait faire des ajustements définitifs, après que les frais acceptés suivant le tarif ont été calculés. L’intimé a prétendu que le Tribunal [Traduction] ne doit pas entraver son pouvoir discrétionnaire en renvoyant simplement au montant calculé suivant le tarif. L’officier taxateur a un pouvoir discrétionnaire et il doit l’exercer.

[55] J’ai rejeté certaines des prétentions du plaignant. M. Bagambiire a allégué, par exemple, que les dépens devraient être augmentés pour refléter le fait que le tarif de la Cour fédérale ne correspond plus au coût réel des services juridiques offerts. Il s’agit d’une plainte courante, à l’égard de tous les tarifs, qui doit être traitée devant une autre tribune.

[56] M. Bagambiire a également allégué que de nombreux services qu’il a rendus ne sont pas compris dans le tarif. Ma réponse est que M. Brooks a de façon générale droit à ses frais pour l’instruction. Ces frais sont compris dans le tarif. Si M. Brooks veut obtenir des services additionnels, il peut le faire. Il ne peut toutefois pas s’attendre à ce que l’intimé paie pour ces services.

[57] J’irais plus loin. Si le plaignant voulait récupérer des frais additionnels, je pense qu’il était tenu de les justifier article par article. L’article 27 du tarif B permet qu’une partie réclame des dépens pour d’autres services acceptés aux fins de la taxation par l’officier taxateur ou ordonnés par la Cour. Cela ne l’empêche pas de demander une augmentation plus générale si le dossier requiert une charge inhabituelle de travail.

A. Les facteurs prévus par la loi

[58] La liste des facteurs prévus au paragraphe 400(3) des Règles passe au premier plan lors des ajustements définitifs.

(i) L’alinéa 400(3)a) des Règles - Résultat

[59] L’alinéa 400(3)a) des Règles énonce que la Cour peut tenir compte du résultat de l’instance. L’intimé prétend que M. Brooks n’a réussi à démontrer qu’une des trois allégations présentées au Tribunal. Il n’a pas obtenu un emploi. Il n’a pas obtenu la sorte de compensation qu’il tentait d’obtenir. Il s’ensuit qu’il n’a pas eu un gain de cause important.

[60] M. Bagambiire voyait l’affaire d’une manière différente. Il a déclaré que M. Brooks tentait d’obtenir une conclusion selon laquelle il avait fait l’objet de discrimination. Il s’ensuit qu’il a eu [Traduction] totalement gain de cause. Il y a des choses à dire à l’égard des deux points de vue. Je préfère la voie du centre. M. Brooks a eu gain de cause, mais le résultat était mixte.

[61] Les observations de l’intimé comportent une bonne part d’information rétrospective. Bien qu’il soit possible d’en débattre, je pense que les deux parties avaient le droit de contester toutes les questions qui m’étaient soumises. La question qui est soulevée lors de l’examen du résultat du litige est celle de savoir s’il était raisonnable pour le plaignant de poursuivre la cause, non celle de savoir s’il a eu gain de cause.

[62] En fin de compte, le fait le plus important dans le présent contexte est la conclusion selon laquelle l’intimé a exercé de la discrimination à l’endroit de M. Brooks. La portée de ce résultat ne devrait pas être écartée. Le plaignant a établi que le concours tenu en 1992 était manifestement inéquitable.

(ii) Alinéa 400(3)b) des Règles- Quantum

[63] L’alinéa 400(3)b) des Règles énonce que la Cour peut prendre en compte les sommes réclamées et les sommes recouvrées. L’intimé a fait valoir qu’il y avait une disparité entre l’étendue de la réclamation et le montant recouvré.

[64] La prétention à cet égard comporte deux aspects. Je ne peux pas accepter la prétention de l’intimé dans le contexte de l’indemnisation pour préjudice moral. La nature modeste de l’indemnisation qui a été accordée pour préjudice moral était fondée sur des limites prévues par la loi. Je pense qu’il est clair que, sans la limite prévue par la loi, M. Brooks aurait obtenu une indemnisation beaucoup plus élevée.

[65] Toutefois, la prétention de l’intimé est bien fondée à l’égard de la réclamation pour perte de revenu. Il est clair que M. Brooks tentait d’obtenir des dommages-intérêts importants pour perte de revenu. Il n’en a pas obtenu. Il s’agit d’un facteur quant aux dépens.

(iii) Alinéa 400(3)c) des Règles- Importance et complexité

[66] L’alinéa 400(3)c) des Règles mentionne l’importance et la complexité des questions en litige. Je dois dire, très candidement, qu’à mon avis les avocats ont compliqué les faits plus qu’ils devaient l’être. Je parle en particulier du côté du plaignant.

[67] D’un point de vue légal, l’affaire n’était pas particulièrement complexe. Elle soulevait néanmoins certaines questions difficiles quant à leur valeur probante qui exigeaient un examen attentif du droit. Il y avait de nombreuses questions accessoires. Mon point de vue personnel est que l’importance de l’affaire repose sur le poids qui doit être accordé aux perceptions des divers témoins.

[68] Les questions soulevées à l’égard des dépens sont également importantes. Il s’agit d’un nouveau domaine.

(iv) Alinéa 400(3)e) des Règles - Toute offre écrite de règlement

[69] L’alinéa 400(3)e) des Règles énonce que la Cour peut tenir compte de toute offre écrite de règlement. L’intimé a présenté en vertu de cet aliéna deux lettres qui ont reçu une cote à des fins d’identification. Ces lettres contiennent des offres de règlement de la plainte pour une somme plus importante que celle que le plaignant a reçue à la suite du processus devant le Tribunal.

[70] L’alinéa 400(3)e) des Règles mentionne toute offre écrite de règlement. L’intimé souligne le mot toute. Il peut y avoir ici une différence d’interprétation. Je ne pense pas, personnellement, que le mot toute, à l’alinéa 400(3)e) des Règles, ait eu à quelque moment que ce soit comme objet de supplanter la common law à l’égard des communications faites sous réserve de tous droits.

[71] L’intimé a de plus soumis à mon attention l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Apotex Inc. c. Syntex Pharmaceuticals International Ltd., [2001] A.C.F. no 727. Cet arrêt établit simplement qu’une offre écrite ne peut pas être présentée en preuve à l’égard de la question des dépens à moins qu’elle contienne une offre claire et sans équivoque. Une offre assortie de conditions ne respecte pas les exigences énoncées à l’alinéa 400(3)e) des Règles.

a) La loi exige un avis

[72] La jurisprudence présentée par le plaignant établit qu’une offre de règlement faite sous réserve de tous droits n’est admissible lors de la taxation des dépens que si la partie qui fait l’offre a donné un avis selon lequel elle a l’intention de présenter l’offre à l’égard de la question des dépens. Orkin adopte la même position. La décision faisant autorité au Canada semble être la décision Graham c. Dillon (1986), 5 B.C.L.R. (2d) 218 (C.S.C.‑B).

[73] Il est important d’être clair quant à la terminologie. Dans ses observations écrites, l’intimé traite du sens de l’expression [Traduction] sous réserve de tous droits.

[Traduction] L’expression [sous réserve de tous droits] amène l’idée que la partie qui écrit la lettre le fait sous réserve de tous droits quant à sa position dans le litige, et en particulier, sans admission qui pourrait être utilisée contre elle pour établir une responsabilité.

Je pense que ce sens est trop restrictif.

[74] Le concept de l’expression sous réserve de tous droits signifie simplement qu’une partie qui prépare un document l’a fourni, à des fins de règlement, en comprenant qu’il ne sera pas utilisé contre elle. Une partie peut préciser qu’un document est présenté sous réserve de tous droits à une fin et sans réserve à une autre fin. Une lettre peut être écrite sous réserve de tous droits à l’égard du fond de la question de la responsabilité, par exemple, et sans réserve à l’égard du redressement ou des dépens.

[75] Il existe deux principes juridiques contradictoires qui interviennent dans ce contexte. Le premier est que les parties devraient avoir la liberté de négocier un règlement, sans craindre que leurs négociations soient utilisées contre elles. Le deuxième est qu’une partie qui rejette une offre raisonnable n’a pas le droit de recouvrer tous les dépens du litige. L’intimé prétend que ce dernier principe est l’une des [Traduction] considérations principales lors de la taxation des dépens.

[76] Cependant, c’est le premier principe qui est le principe principal. Le deuxième principe permet simplement à une partie de placer des limites à la nature du document fait sous réserve de tous droits. C’est en fin de compte une question de renonciation. Une partie qui a l’intention de présenter ces sortes de documents, à l’égard des dépens, doit envoyer à l’autre partie un message clair établissant qu’elle renonce aux protections offertes aux documents présentés sous réserve de tous droits à l’égard de la question des dépens seulement. La renonciation doit être expresse.

[77] Il est erroné de penser que la loi permet la présentation en preuve d’une offre faite sous réserve de tous droits malgré le fait qu’elle soit faite sous réserve de tous droits. Il y a simplement différents cas. Les sortes d’offres qui sont envisagées dans la jurisprudence sont sous réserve de tous droits de la position prise par la partie à l’égard de la question principale. Cela ne les empêche pas d’être sans réserve à l’égard de la question des dépens.

b) La première offre

[78] La première lettre peut être traitée de façon sommaire. Je suis d’accord avec le plaignant lorsqu’il prétend que l’alinéa 400(3)e) des Règles vise une offre complète. L’arrêt Apotex appuierait une telle position.

[79] La première lettre déposée par l’intimé ne respecte pas cette exigence. Elle renvoie à d’autres communications et elle est peu concluante. Elle ne respecte pas non plus les exigences de l’avis. La lettre est irrecevable.

c) La deuxième offre

[80] La deuxième lettre soulève des préoccupations plus graves. Elle contient une offre formelle, rédigée de la façon suivante :

[Traduction]

Sans admettre quelque responsabilité que ce soit, notre client offre par la présente de régler cette affaire pour une somme de 125 000 $, comprenant tout.

[81] Cela peut être un excès de rhétorique. L’intimé est disposé à payer la somme au plaignant, mais il n’admet aucune responsabilité que ce soit. Cette affirmation ne peut se limiter au litige. Elle s’applique au redressement et aux dépens, de même qu’à la question de fond de la responsabilité.

[82] La deuxième offre ne se qualifie pas comme une offre de règlement au sens de l’article 400 des Règles. C’est une chose pour l’intimé de dire que la lettre est écrite sous réserve de tous droits quant à [Traduction] sa position dans le litige et une autre chose de dire qu’elle est simplement sous réserve de tous droits. Cela équivaut à dire qu’elle n’existe pas, aux fins du litige.

[83] Je ne vois pas comment une déclaration faite sous réserve de tous droits que ce soit respecte l’exigence de l’article 400 des Règles. La mention de toute offre écrite dans l’article concerne les offres écrites faites sans réserve, du moins à l’égard de la question des dépens. Il est facile d’oublier l’aspect de l’article selon lequel un document écrit sans réserve n’est pas protégé par la loi. Si l’intimé a le droit de présenter l’offre à l’égard de la question des dépens, ce n’est que parce que l’autre partie a le droit de le présenter en preuve.

[84] Je pense que c’est révélateur. Il se peut qu’il soit à l’avantage de l’intimé de présenter la deuxième lettre dans les présentes circonstances. Mais l’affaire aurait pu prendre une autre direction. Si c’était le plaignant qui avait demandé l’autorisation de présenter la lettre en preuve, l’intimé aurait sans doute eu le droit de s’y opposer, en invoquant que la lettre avait été écrite [Traduction] sous réserve de tous droits que ce soit.

[85] L’intimé ne peut pas prétendre deux choses contraires. Il a renoncé aux protections offertes aux documents présentés sous réserve de tous droits ou il ne l’a pas fait. Je pense qu’il est clair que l’intimé ne l’a pas fait. La deuxième lettre est par conséquent irrecevable. Il s’ensuit que je ne dispose pas de preuve d’une offre de règlement dont je pourrais tenir compte suivant l’alinéa 400(3)e) des Règles.

1. Le plaignant avait le droit de rejeter la deuxième offre

[86] Je dois ajouter, même si ce n’est que par souci de clarté, que je ne partage pas la prétention selon laquelle le plaignant aurait dû accepter la deuxième offre. Il ne m’appartient pas de me prononcer à cet égard.

[87] Cependant, il y a un point de principe en l’espèce. Les droits protégés par la Loi canadienne sur les droits de la personne sont fondamentaux. Une conclusion selon laquelle ces droits ont été enfreints a une valeur symbolique qui s’étend au‑delà de l’indemnité financière que peut obtenir un plaignant qui a gain de cause. On ne peut pas dire, sans une admission de responsabilité, que M. Brooks a obtenu moins par le litige qu’il aurait obtenu en acceptant le règlement.

[88] Un litige en matière des droits de la personne a ses aspects privés. Ce n’est toutefois pas un litige privé. Il y a, dans le processus, d’autres aspects dont il faut traiter en plus de l’indemnisation. Un intimé ne peut pas échapper à une conclusion selon laquelle il y a eu de la discrimination, et aux dépens résultant d’une telle conclusion, simplement en offrant à un plaignant le montant maximal d’indemnisation prévu par la Loi.

(v) Alinéa 400(3)g) des Règles - Charge de travail

[89] L’alinéa 400(3)g) des Règles énonce que la Cour peut tenir compte de la charge de travail. M. Bagambiire affirme que le travail dans le dossier était inhabituellement lourd, en raison de la complexité des dossiers d’emploi. Il attribue une certaine partie du travail à l’omission de l’intimé d’avoir communiqué tous les dossiers pertinents.

[90] Toutefois, cela joue dans les deux sens étant donné que les avocats du plaignant ont fait plus que ce qui était nécessaire à l’égard de l’examen des dossiers d’emploi.

[91] L’intimé quant à lui prétend que le plaignant a agi d’une façon exagérément litigieuse. Bien que j’aie des préoccupations quant à l’attitude adoptée par les avocats, les parties pouvaient revendiquer leurs droits. Le litige est un jeu épuisant et le public en général n’est pas conscient des efforts qui sont nécessaires pour rendre une plainte jusqu’à l’audience.

[92] Je n’accepte pas la prétention selon laquelle la présente affaire a exigé des efforts extraordinaires de la part des avocats de l’une ou l’autre des parties. J’accepte néanmoins qu’il y a eu une bonne quantité de travail pour mettre de l’ordre dans les faits. Une certaine portion de ce travail peut être attribuable au long délai pour instruire l’affaire.

(vi) Alinéa 400(3)h) des Règles - Intérêt public

[93] L’alinéa 400(3)h) des Règles énonce que la Cour peut tenir compte du fait que l’intérêt public dans la résolution judiciaire de l’instance justifie une adjudication particulière des dépens. Il s’agit d’un domaine pour lequel des considérations spéciales s’appliquent dans le processus en matière des droits de la personne.

[94] Je dis cela parce que le processus en matière des droits de la personne ne constitue pas un litige privé. Il a un caractère plus fondamental. La meilleure analogie dans la présente affaire est probablement l’analogie avec un délit constitutionnel : le redressement peut être un redressement privé, mais la cause de l’action a son origine dans l’intérêt public plus large. Cet élément dans le processus est un élément primordial, même dans un cas dans lequel la plainte concerne un litige entre des parties privées.

a) Audiences servant l’intérêt public

[95] Le point dans le présent contexte est que les audiences servent l’intérêt public. Le processus en matière des droits de la personne a été conçu pour rendre public le problème de la discrimination et le soumettre à l’examen public. La politique publique enchâssée dans les lois en matière des droits de la personne accorde une valeur réelle au fait qu’une plainte a été entendue. C’est d’autant plus vrai lorsque la plainte est fondée.

[96] Le processus en matière des droits de la personne a des buts plus larges que le processus judiciaire habituel. Ces buts incluent l’éducation et le redressement symbolique des griefs sociaux ou historiques. Je pense que des audiences donnent également à des individus la possibilité d’exprimer leurs frustrations et leurs déceptions quant à un préjudice et à la discrimination. Ces aspects d’une audience sont difficiles à évaluer et ne se traduisent pas en termes financiers stricts.

[97] Le dépôt d’une plainte et la tenue d’une instruction fournissent un processus par lequel la société détermine ce qui est approprié et correct, dans le contexte de l’emploi. Le public bénéficie d’un litige qui aide à élaborer l’ensemble des règles de droit et des principes qui sont nécessaires pour régler les conflits sociaux. Cela sert à promouvoir la justice et contribue à l’intérêt commun.

[98] Même si la présente affaire traitait d’une plainte déposée par une partie privée, elle traitait de questions qui dépassaient largement les paramètres stricts de la plainte. Je crois que la plainte de M. Brooks avait, dans le contexte de sa collectivité, une certaine signification historique. Ce facteur doit être apprécié en sa faveur, dans le calcul final des dépens.

(vii) Sous alinéa 400(3)k) des Règles - Mesure inutile

[99] Le sous-alinéa 400(3)k)(i) des Règles énonce que la Cour peut tenir compte de la question de savoir si une mesure prise au cours de l’instance était inutile. J’ai déjà dit que je partage d’une certaine manière la position de l’intimé selon laquelle la demande de clarification de ma décision, présentée par le plaignant, était inutile. Il ne s’agit pas d’un facteur significatif dans les ajustements définitifs. Il existe une question plus générale à l’égard de l’attitude affichée du côté du plaignant, attitude qui était entêtée et belliqueuse. Cette attitude a contribué à la durée et aux difficultés de l’audience.

B. Autres facteurs

[100] J’ai examiné les facteurs précédemment énoncés. Certains de ces facteurs militent pour une augmentation des dépens définitifs, certains pour une réduction. Cependant, la principale considération pour décider des chiffres définitifs est la conclusion selon laquelle M. Brooks a fait l’objet de discrimination. À mon avis, c’est tout ce que, de façon réaliste, il pouvait obtenir.

[101] Le concours qui a entraîné la conclusion selon laquelle il y a eu de la discrimination a été tenu en 1992. Il a fallu beaucoup de temps avant que la situation se règle. M. Brooks a apparemment cédé sous la pression au cours du processus. Ce fait aide à expliquer pourquoi le plaignant n’a pas déposé la plainte avant le mois d’août 1997.

[102] Il y a eu d’autres délais devant la Commission. La plainte n’a pas été renvoyée au Tribunal avant le mois de juillet 2003. Nous sommes maintenant en 2005. Il ne sert à rien de rejeter la responsabilité sur quelqu’un. Le temps s’était déjà écoulé quand M. Brooks a déposé sa plainte tardivement. La réalité est que la plainte a été présentée au Tribunal à une étape si tardive qu’il était impossible de rectifier les problèmes dans le processus.

[103] Rien ne peut être fait à l’égard de ce qui s’est passé en 1992. La véritable solution était de tenir un autre concours. Cela aurait eu des conséquences réelles pour les participants au processus. Les candidats qui avaient réussi le concours auraient perdu leur poste. Il semble clair que Lisa Howe aurait obtenu un des postes. Elle n’aurait pas eu à attendre pendant quatorze ans pour obtenir un poste permanent. M. Brooks aurait été placé à un rang plus élevé sur la liste d’éligibilité.

[104] Il y aurait eu d’autres avantages à l’égard de la politique. L’éducation est l’un des objectifs du processus en matière des droits de la personne. Une décision de tenir un nouveau concours, sous l’œil vigilant de la Commission canadienne des droits de la personne, aurait éveillé l’attention des gestionnaires et du personnel sur les questions en litige dans le domaine. Cela aurait inévitablement eu un effet d’entraînement à l’égard de l’amélioration de l’embauche et des pratiques d’emploi du ministère.

[105] Tous ces avantages ont été perdus. Le Tribunal ne peut pas ordonner un nouveau concours treize ans après la tenue du concours original. Les aspects pratiques de la situation ne permettent pas de le faire. Il existe des questions d’équité qui empêchent de le faire. Cela m’amène au litige. Ma compréhension de la situation actuelle est que M. Brooks a le sentiment que l’intimé s’en est tiré à bon compte. Il y a beaucoup de choses à dire quant à ce point de vue.

[106] On peut reprocher à M. Brooks d’avoir exagéré ses possibilités de réussir un concours équitable. J’ai établi clairement qu’il n’y a pas de raisons de croire qu’il aurait réussi un deuxième concours. Cela dit, je pense que ses sentiments sont justifiés. Ils méritent d’être exprimés. Tout le processus a été manipulé par M. Savoury. Les candidats qui ont réussi le concours n’avaient pas droit aux postes obtenus.

[107] Il est trop tard pour ordonner un nouveau concours. La question à l’égard des dépens est celle de savoir si M. Brooks avait raison de poursuivre le litige si longtemps après qu’est survenu l’événement, alors que le redressement naturel dans l’affaire n’était pas disponible. Je pense que la réponse doit être affirmative. La seule correction qui était possible, selon moi, était une conclusion de droit selon laquelle le concours était inéquitable. Cela corrige au moins le dossier public et établit ce qui était correct.

[108] Un des objectifs du processus adjudicatif est de déclarer les droits des parties. Cette déclaration des droits sert un objectif important, même lorsqu’elle est faite longtemps après qu’est survenu l’événement, à un moment où des redressements plus concrets ne sont plus disponibles. Je pense que l’importance de cet exercice, dans les présentes circonstances, est suffisante pour justifier le litige. Cette importance devrait être reflétée dans les dépens.

[109] En l’espèce, rien n’est parfait. Je pense que la position adoptée par le plaignant comporte un aspect obstiné. Il était évident que M. Brooks n’était pas content de la décision que j’ai rendue dans l’affaire et, à mon avis, les parties ont adopté une attitude d’opposition. Ce fait était évident dans la contestation à l’égard des dépens et dans la correspondance échangée entre les avocats. Il y a encore des instances devant la Cour fédérale qui concernent apparemment les aspects plus systémiques de l’affaire.

[110] On a dit qu’il y a un élément thérapeutique dans le processus de l’instruction, qui le distingue du processus devant les tribunaux civils. Cela a un rôle à jouer dans le rétablissement de la dignité des deux parties et dans la promotion de relations harmonieuses entre les employeurs et leurs employés. J’ai le regret de dire que dans la présente affaire je ne vois aucune réconciliation qui serait souhaitable dans un tel processus.

V. Décision

[111] Je pense que le plaignant a droit à une augmentation du montant total. Les dépens taxés, comprenant tout, seront établis à cent cinq mille dollars (105 000 $). Cette augmentation du total reflète une augmentation dans les honoraires. J’estime qu’il s’agit d’une augmentation modeste, conforme avec l’austérité qui caractérise le processus de taxation. Il n’y a pas de motifs justifiant l’augmentation ou la réduction des débours.

[112] Étant donné que c’est la première fois que le Tribunal procède à une taxation, et que la question de la compétence du Tribunal a été soumise à la Cour fédérale, je pense que l’intimé a droit à un certain temps pour examiner ses choix quant à l’affaire. Les dépens sont par conséquent payables dans les soixante jours de la date de la présente ordonnance.

[113] Il y a un point accessoire. La pratique générale du Tribunal consiste à accorder de l’intérêt simple sur les indemnités financières. De l’intérêt simple sera par conséquent payable sur le montant total des dépens. Cet intérêt sera calculé annuellement à un taux équivalent au taux bancaire (séries mensuelles) établi par la Banque du Canada. L’intérêt courra à compter du jour suivant l’écoulement des soixante jours. Je demeure saisi de l’affaire pendant deux semaines pour traiter de toute question en instance.

Signée par

Dr Paul Groarke
Membre du tribunal

Ottawa (Ontario)
Le 12 juillet 2005

Tableau A – Frais du tarif b des règles de la cour fédérale

Unités
A. introductifs d’instance et autres actes de procédure
1. Préparation et dépôt des actes introductifs d’instance, autres que les avis d’appel, et des dossiers de demande. Exposé des précisions 6
B. Requêtes
5. Préparation et dépôt d’une requête contestée, y compris les documents et les réponses s’y rapportant. Rapport d’expert 4
Clarification de la décision 3
Compétence pour l’adjudication des dépens 3
Admissibilité de la soi-disant lettre d’offre 5
6. Comparution lors d’une requête, pour chaque heure. Comparutions lors de la requête à l’égard du rapport d’expert : 1 heure 2
Comparutions lors de la requête à l’égard de la clarification de la décision : 1 heure 2
C.Communications de documents et interrogatoires
7. Communication de documents, y compris l’établissement de la liste, l’affidavit et leur examen. Divulgation 5
D.Procédures préalables à l’instruction ou à l’audience

13. Honoraires d’avocat :

a) préparation de l’instruction ou de l’audience, qu’elles aient lieu ou non, y compris la correspondance, la préparation des témoins, la délivrance de subpoena et autres services non spécifiés dans le présent tarif;

Préparation générale pour le Tribunal 5
b) préparation de l’instruction ou de l’audience, pour chaque jour de présence à la Cour après le premier jour.

Préparation quotidienne

18 jours à 3 unités pour chaque jour

54

14. Honoraires d’avocat :

a) pour le premier avocat, pour chaque heure de présence à la Cour;

Honoraires d’avocats

5,5 heures pour chaque jour pendant 19 jours à 3 unités pour chaque heure

314
b) pour le second avocat, lorsque la Cour l’ordonne : 50 % du montant calculé selon l’alinéa a).

Honoraires pour le second avocat

50 % de l’alinéa 14a)

157
15. Préparation et dépôt d’un plaidoyer écrit, à la demande ou avec la permission de la Cour. Préparation des observations finales 5
G.Divers
24. Déplacement de l’avocat pour assister à l’instruction, une audience, une requête, un interrogatoire ou une procédure analogue, à la discrétion de la Cour. Par l’avocat pour assister à l’audience 5
25. Services rendus après le jugement et non mentionnés ailleurs. Services rendus après le jugement et non mentionnés ailleurs 1
26. Taxation des frais. Taxation des frais 6
27. Autres services acceptés aux fins de la taxation par l’officier taxateur ou ordonnés par la Cour. 27.1 Communications et correspondance échangées avec la Commission 3
27.2 Présence au Tribunal pour la médiation 3
27.3 Préparation de mémoires pour la médiation 2
27.4 Déplacement pour la médiation 5

Tableau B – Débours

Demandés Acceptés
Tarif aérien pour deux personnes, Toronto – Halifax aller‑retour (pour la rencontre de conciliation en octobre 2002) 998 $ 0 $
Frais d’hôtel pour deux personnes (pour la rencontre de conciliation en octobre 2002) 1 069,48 $ 0 $
Tarif aérien pour deux personnes, Toronto – Halifax aller‑retour (pour la rencontre de médiation en décembre 2003) 763,62 $ 380 $
Frais d’hôtel pour deux personnes (pour la rencontre de médiation en décembre 2003) 620,69 $ 250 $
Frais de déplacement en avion et frais d’hôtel/ Flaherty, 11 mars 2004 (rencontre avec des témoins) 367,90 $ 0 $
Déplacement au sol par Steven Flaherty, 11 mars 2004 130,02 $ 0 $
Tarif aérien pour deux personnes, aller seulement, Toronto – Halifax, 20 mars 2004 (pour l’audience) 593,94 $ 290 $
Déplacement au sol, Toronto – Halifax, 20 mars 2004 30 $ 20 $
Frais de déplacement en avion pour deux personnes, aller seulement, Halifax – Toronto, avril 2004 323,90 $ 160 $
Frais d’expédition (pour les dossiers de Toronto à Halifax, 1er avril 2004) 79,72 $ 80 $
Frais d’hôtel pour deux personnes, 20 au 31 mars 2004 3 446,57 $ 1 950 $
Frais de déplacement par avion pour deux personnes, 6 au 15 juin 2004 801,21 $ 400 $
Frais de déplacement au sol, 6 au 15 juin 2004 41 $ 30 $
Frais d’hôtel pour deux personnes, 6 au 15 juin 2004 2 860,24 $ 1 370 $
Frais d’expédition (pour les dossiers vers Halifax et en provenance d’Halifax, 6 au 15 juin 2004) 177,44 $ 170 $
Frais de déplacement par avion pour Davies Bagambiire pour se rendre à Halifax, juillet 2004 493,22 $ 490 $
Frais d’hôtel pour Davies Bagambiire, juillet 2004 551,34 $ 550 $
Frais de déplacement par avion et au sol et autres frais pour Steven Flaherty, juillet 2004 439,72 $ 0 $
Frais de transcription pour l’audience sur la responsabilité 8 997,63 $ 5 350 $
Frais de photocopies, de télécopies, de messagers, de consultation QL et dépenses diverses de 2001 jusqu’à ce jour 3 643,62 $ 9 000 $
Rapports d’experts (Actuaire : 3 290,25 $ – M. Henry : 2 800,00 $) 6 090,25 $ 1 800 $
Appels interurbains 300 $
Total 42 519,51 $ 22 590 $

Tableau C – Résumé

Frais juridiques
Total du nombre d’unités 590
Valeur unitaire 120 $
Total du nombre d’unités x valeur unitaire 70 800 $
TPS 4 956 $
Frais juridiques, y compris la TPS 75 756 $
Débours 22 590 $
Total des honoraires et débours 98 346 $
Ajustement définitif 6 654 $
Total des honoraires et débours, y compris l’ajustement 105 000 $

Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T838/8803

Intitulé de la cause : Cecil Brooks c. Ministère des Pêches et des Océans

Date de la décision du tribunal : Le 12 juillet 2005

Date et lieu de l’audience :

Les 10 et 11 mars 2005

Ottawa (Ontario)

Comparutions :

Davies Bagambiire et Stephen Flaherty, pour le plaignant

Aucune comparution, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Scott McCrossin et Melissa Cameron, pour l'intimé

Référence : 2004 TCDP 36
Le 3 décembre 2004

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.