Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

RONALDO FILGUEIRA

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

GARFIELD CONTAINER TRANSPORT INC.

l'intimée

DÉCISION

2005 TCDP 27
2005/07/20

MEMBRE INSTRUCTEUR :M. Paul Groarke

[TRADUCTION]

I.INTRODUCTION

II. LE SENS DU MOT AVOCAT

III. LE DROIT D'ÊTRE REPRÉSENTÉ PAR UN MANDATAIRE

IV. UN MANDATAIRE N'A PAS UN STATUT INDÉPENDANT

Canadian Human
Rights Tribunal

Tribunal canadien
des droits de la personne

I. INTRODUCTION

[1] Le paragraphe 50(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne énonce que le Tribunal donne aux parties la possibilité pleine et entière de comparaître et de présenter, en personne ou par l'intermédiaire d'un avocat, des éléments de preuve ainsi que leurs observations. La décision faisant l'objet des présentes traite de la question de savoir si un profane peut comparaître à titre d'avocat au nom du plaignant.

[2] Mme Rubio comparaît au nom du plaignant. Elle n'est pas avocate. Elle a une certaine formation en tant que technicienne juridique et elle a apparemment comparu devant des tribunaux en matière criminelle, présumément lors d'affaires se rapportant à des déclarations de culpabilité par procédure sommaire. Mme Rubio parle couramment espagnol, la langue maternelle du plaignant. Mme Rubio a représenté le plaignant durant toute la durée de sa plainte.

[3] Je veux être clair. La question n'est pas celle de savoir si Mme Rubio peut comparaître au nom du plaignant. La question est celle de savoir si elle peut comparaître en tant qu'avocate. L'intimée a informé le Tribunal, par écrit et de façon officielle, qu'elle ne prend pas position à l'égard de cette question. La Commission canadienne des droits de la personne prétend que l'intimée a renoncé à son droit de s'opposer à la comparution de Mme Rubio. La question est par conséquent théorique.

[4] Le problème est que la réponse à la question qui m'est soumise peut avoir une influence sur d'autres questions soulevées au cours de l'audience. Il est par conséquent nécessaire de traiter de cette question.

II. LE SENS DU MOT AVOCAT

[5] Ma compréhension du mot avocat dans un contexte juridique a toujours été que ce mot renvoie à une personne inscrite au barreau. Il s'agit certainement de l'utilisation générale auprès des tribunaux. Le mot peut être utilisé, par analogie, pour renvoyer à une personne qui fournit les mêmes services que fournit un avocat. Il s'agit toutefois de l'emploi descriptif du mot et non d'un emploi permissif.

[6] La version française de la Loi canadienne sur les droits de la personne confirme l'emploi anglais du mot. Le paragraphe 50(1) énonce ce qui suit :

Le membre instructeur, après avis conforme à la Commission, aux parties et, à son appréciation, à tout intéressé, instruit la plainte pour laquelle il a été désigné; il donne à ceux-ci la possibilité pleine et entière de comparaître et de présenter, en personne ou par l'intermédiaire d'un avocat, des éléments de preuve ainsi que leurs observations.

Je pense que le sens du mot avocat dans ce paragraphe est simple. Les parties peuvent présenter leurs causes en personne ou par l'intermédiaire d'un avocat.

[7] Je dis cela malgré le fait qu'on ait attiré mon attention sur une autre définition du mot avocat contenue dans Le Robert Micro, une définition qui va plus loin. Cette définition ne fait que suggérer que le mot peut être utilisé au sens figuré, comme le mot anglais counsel, pour renvoyer à une personne qui exécute les fonctions d'un avocat. On pourrait simplement dire tout aussi facilement que Mme Rubio a agi en tant qu'avocate de M. Filgueira dans ses relations avec la Commission. Il s'agit d'un emploi métaphorique du mot. Cela ne fait pas d'elle une avocate. Cela ne lui donne pas le droit de comparaître dans des situations dans lesquelles la loi limite aux avocats le droit de comparaître.

[8] Mme Rubio a prétendu que l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Olavarria c. Le ministre de la Main-d'uvre et de l'Immigration (1973), 41 D.L.R. (3d) 472 (C.A.F.), lui était favorable. Je ne peux pas partager son opinion à cet égard. La Cour a statué dans l'arrêt Olavarria que le mot counsel de l'article 3 de la Loi sur l'immigration renvoyait à un avocat. La version française de l'article 3 renvoyait à un avocat.

[9] La Cour a ensuite examiné le Règlement sur les enquêtes de l'immigration, DORS/67-621, dans lequel le mot était apparemment utilisé dans un sens plus large. Le texte français du Règlement était différent de celui de la Loi et rendait le mot anglais counsel par un avocat ou autre conseiller. La Cour a étendu le sens du mot anglais dans ce contexte en se fondant sur le fait que la version française du Règlement parlait à la fois d'un avocat ou d'un autre conseiller. Il s'agit d'une question de respect du texte français.

[10] L'arrêt Olavarria soutient la proposition selon laquelle le sens du mot counsel peut être étendu aux situations dans lesquelles le texte français démontre que le mot est utilisé au sens figuré pour renvoyer à une personne qui fournit les services que fournit un avocat. Ce n'est pas la situation qui m'est soumise. Le texte français du paragraphe 50(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, comme la Loi sur l'immigration, renvoie à un avocat. Comme la Cour d'appel l'a reconnu dans l'arrêt Olavarria, l'emploi français renforce et en fait limite le sens ordinaire du mot anglais. Le mot counsel au paragraphe 50(1) renvoie à un avocat.

III. LE DROIT D'ÊTRE REPRÉSENTÉ PAR UN MANDATAIRE

[11] Cela ne signifie pas que Mme Rubio ne peut comparaître au nom du plaignant. Il y a d'autres possibilités. La décision de la Cour divisionnaire dans l'affaire Re Men's Clothing Manufacturer's Association et al. and Arthurs et al. (1979), 26 O.R. (2d) 20 (H.C.J.), reconnaît qu'il existe en common law un droit d'être représenté par un mandataire, droit qui est assez distinct de tout droit d'être représenté par un avocat.

[12] L'arrêt de la Cour d'appel du Nouveau-Brunswick Thomas c. Association des infirmières et infirmiers auxiliaires du Nouveau-Brunswick (2003), 230 D.L.R. (4th) 337, traite du droit se rapportant aux mandataires. Au paragraphe 25, M. le juge Robertson déclare ce qui suit :

Pour résumer, en common law, les personnes qui comparaissent devant des tribunaux d'arbitrage ont le droit d'être représentées par un mandataire de leur choix.

Ce droit existe indépendamment de tout droit d'être représenté par un avocat.

[13] Il existe plusieurs raisons justifiant qu'un mandataire comparaisse. Au paragraphe 21, la Cour déclare ce qui suit :

Un profane intelligent peut être en mesure de définir les questions en litige et de formuler des réponses plus facilement que la partie à l'instance. Par contre, la présence du mandataire peut avoir pour seul motif d'apporter un appui moral ou d'aider un mandant qui a un handicap physique ou mental. Dans de telles circonstances, la représentation par un profane peut être approuvée. [...]

Je pense que cette sorte de raisonnement s'étend à quelqu'un qui a des difficultés à s'exprimer dans les langues officielles du Tribunal.

[14] La nature de l'affaire qui est soumise au Tribunal canadien des droits de la personne ajoute à la portée de ces sortes d'observations dans le présent contexte. Il m'apparaît qu'il y a des situations dans lesquelles le recours à un mandataire est une partie inévitable du processus en matière des droits de la personne. Je pense à des cas dans lesquels un plaignant a un état psychologique ou physique qui rend difficile ou peut-être impossible une comparution sans l'assistance d'un mandataire.

[15] Le Tribunal reste néanmoins le maître de sa procédure. Comme la Cour d'appel du Nouveau-Brunswick le déclare, dans l'arrêt Thomas, au paragraphe 25 :

[...] ce droit n'est pas absolu. Les tribunaux conservent le pouvoir discrétionnaire résiduel d'autoriser uniquement la participation des personnes qui, à leur avis, faciliteront la procédure d'arbitrage au lieu de l'entraver.

La Cour fait remarquer dans un passage antérieur, au paragraphe 21, que la participation d'un profane dans des cas où les questions en litige sont complexes ne peut qu'embrouiller davantage les choses. Un tribunal conserve par conséquent le pouvoir discrétionnaire d'interdire la participation d'un mandataire ou d'en limiter la portée à toute étape de l'instance.

[16] Je pense que tout cela aide à expliquer la portée du paragraphe 50(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui reconnaît le droit d'être représenté par un avocat. Suivant ce paragraphe, une partie a le droit de mener sa cause par l'intermédiaire d'un avocat. Un avocat qui est engagé par une partie comparaît de plein droit. Un mandataire comparaît seulement après que le Tribunal a autorisé la comparution. Il existe des raisons évidentes à l'égard de cette règle.

[17] À mon avis, M. Filgueira a le droit d'être représenté par un mandataire. Il a néanmoins une obligation de convaincre le Tribunal, si le Tribunal l'estime nécessaire, que le mandataire qui le représente est en mesure de faciliter le processus. Il n'existe pas de préoccupations à cet égard dans la présente affaire. Je suis convaincu que Mme Rubio devrait être autorisée à comparaître au nom de M. Filgueira. Elle a l'avantage de parler sa langue, elle a une certaine formation en droit et elle a une connaissance approfondie de l'affaire. Je pense qu'il est manifeste que sa comparution protégera l'équité, l'efficacité et l'intégrité de l'audience.

IV. UN MANDATAIRE N'A PAS UN STATUT INDÉPENDANT

[18] Je veux faire un dernier commentaire. Mme Rubio s'identifie comme une [TRADUCTION] représentante. Je ne suis pas tout à fait à l'aise quant aux conséquences d'une telle déclaration. C'est une chose de dire que Mme Rubio représente M. Filgueira, en tant que son mandataire, et une autre chose de dire qu'elle est une représentante, comme si elle avait une certaine capacité indépendante pour comparaître en son nom. Il s'agit d'une déclaration discutable : un mandataire comparaît seulement en la capacité de la personne pour laquelle il agit.

[19] Cela ne touche pas aux détails pratiques de la situation. Un mandataire s'exprime au nom du plaignant. Il a la capacité de transmettre ses souhaits au Tribunal, de poser des questions en son nom et de participer de toute autre façon à l'audience. Il n'a pas le statut professionnel ou légal d'un avocat et il n'a pas un statut indépendant pour comparaître devant un tribunal.

[20] Il y a à cet égard des différences fondamentales. Un avocat a une personnalité juridique distincte, qui est séparée de celle de son client. C'est ce qui lui donne le statut d'avocat. La portée de cette distinction devra être examinée à un autre moment.

M. Paul Groarke

Ottawa (Ontario)

Le 20 juillet 2005

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL : T952/7204
INTITULÉ DE LA CAUSE : Ronaldo Filgueira c. Garfield Container Transport Inc.
DATE ET LIEU Les 11, 13, 14 et 15 juillet 2005
DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL : Le 20 juillet 2005
ONT COMPARU :
Ronaldo Filgueira (personnellement)
Consuelo Rubio Pour le plaignant
Harvey Capp
Jason Kimelman
Pour l'intimée
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.