Tribunal canadien des droits de la personne

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CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

JIM SMITH

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX

l'intimée

DÉCISION SUR LA QUESTION DE LA PRÉCLUSION POUR CHOSE JUGÉE

2005 TCDP 22
2005/06/15

MEMBRE INSTRUCTEUR : Karen A. Jensen

[TRADUCTION]

[1] Le 28 février 2002, Jim Smith a déposé une plainte devant la Commission canadienne des droits de la personne dans laquelle il prétend que la Compagnie des chemins de fer nationaux (CN) a agi de façon discriminatoire en matière d'emploi à son endroit en raison de sa déficience.

[2] Le 19 mai 2004, la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) a renvoyé la plainte au Tribunal pour instruction. Le CN sollicite maintenant une ordonnance mentionnant que le Tribunal n'a pas compétence pour entendre la plainte parce que l'affaire a déjà été tranchée par un autre organisme.

I. L'historique

[3] M. Smith a commencé à travailler pour le CN en avril 1979. En novembre 1997, M. Smith s'est blessé au dos alors qu'il était en train de travailler. La Workers' Compensation Board lui a versé des indemnités d'accident du travail. Un certain nombre de démarches ont été entreprises afin de rétablir M. Smith dans son emploi de mécanicien de train. Ces démarches n'ont pas fonctionné.

[4] En juin 2002, le syndicat de M. Smith a présenté un grief en son nom dans lequel il prétend que la Compagnie a violé la convention collective en ne répondant pas aux besoins de M. Smith occasionnés par sa déficience. Le grief a été entendu par l'arbitre Michel Picher.

[5] L'arbitre Picher a rendu une décision le 14 juillet dans laquelle il a rejeté le grief. Dans sa décision, l'arbitre Picher a conclu que le CN s'était acquitté de ses responsabilités prévues dans la convention collective ainsi que dans la Loi canadienne sur les droits de la personne quant à la question des mesures d'accommodement visant à répondre aux besoins de M. Smith.

[6] Le 3 décembre 2003, M. Smith et son syndicat ont déposé une demande de contrôle judiciaire de la décision de l'arbitre. Le 5 août 2004, avant la tenue d'une audience sur le fond, la demande de contrôle judiciaire a été abandonnée.

[7] En juin et juillet 2003, M. Smith s'est vu donner la possibilité de suivre une formation pour un nouveau poste de contrôleur de la circulation ferroviaire à Prince George (C.-B.). S'il réussissait le programme de formation, M. Smith devait se voir offrir le poste de contrôleur de circulation ferroviaire. Toutefois, le CN a décidé de mettre fin au programme avant que M. Smith ne l'eut terminé.

[8] Peu de temps après que le programme de formation eut pris fin, la WCB a mis fin au service de réadaptation professionnelle qu'elle fournissait à M. Smith.

[9] M. Smith a interjeté appel de la décision de la WCB de mettre fin à l'aide qu'il recevait. La décision a par la suite été confirmée par un agent d'examen des indemnisations des travailleurs le 12 juillet 2004.

[10] Le 29 juillet 2003, le CN a écrit à la Commission canadienne des droits de la personne afin de demander que la plainte en matière de droits de la personne que M. Smith avait déposée en février 2002 soit rejetée au motif que les questions en litige dans cette plainte avaient déjà été réglées au complet par l'arbitre Picher dans sa décision du 14 juillet 2003.

[11] Le 19 mai 2004, la Commission canadienne sur les droits de la personne a renvoyé la plainte au Tribunal pour qu'elle soit soumise à une instruction.

II. ANALYSE

A. La décision de la Commission de renvoyer la plainte au Tribunal

[12] M. Smith prétend que la décision de la Commission de renvoyer la plainte pour qu'elle soit soumise à une instruction ne peut pas être examinée par le Tribunal. Toutefois, selon moi, la présente requête ne comporte pas un examen de la décision de la Commission.

[13] Elle comporte plutôt un examen de la compétence du Tribunal ainsi qu'une décision quant à savoir si, dans les circonstances de l'espèce, la doctrine de la préclusion pour chose jugée s'applique pour écarter la compétence du Tribunal quant à la plainte (Desormeaux c. Commission de transport régionale d'Ottawa-Carleton, [2002] T.C.D.P. no 22, paragraphes 13 et 14).

B. Application de la doctrine de la préclusion pour chose jugée

[14] Vient un moment où l'on doit déclarer la fin du combat. La doctrine de la préclusion pour chose jugée est l'un des dispositifs qui a été élaboré par les cours de justice afin de fixer la fin indiquée d'un litige. Moyennant un certain nombre de modifications essentielles, la doctrine a été étendue aux tribunaux et aux agents administratifs.

[15] Dans Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., [2001] 2 R.C.S. 460, la Cour suprême du Canada a établi une méthode à deux volets quant à l'application de la doctrine dans le contexte des tribunaux administratifs. La première étape comporte un critère à trois volets. Si tous les éléments du critère sont satisfaits, alors on passe à la seconde étape, laquelle comporte un exercice du pouvoir discrétionnaire du Tribunal.

[16] Les trois exigences qui doivent être satisfaites lors de la première étape de l'application de la doctrine de préclusion pour chose jugée sont les suivantes :

  1. la même question est décidée dans les deux instances;
  2. la décision judiciaire invoquée comme créant la préclusion est finale;
  3. les parties ou leurs ayants droit dans la décision judiciaire invoquée, sont les mêmes que les parties engagées dans l'affaire où la préclusion est soulevée, ou leurs ayants droit (Danyluk, précité, paragraphe 25).

[17] Selon le CN, les trois exigences sont satisfaites en l'espèce.

[18] Je ne souscris pas à cette opinion. Selon moi, une seule des trois exigences relatives à l'application de la préclusion pour chose jugée est satisfaite et, par conséquent, la doctrine ne s'applique pas pour écarter la compétence du Tribunal quant à la plainte de M. Smith.

(i) La même question est décidée

[19] Le CN prétend que les questions dont l'arbitre était saisi sont virtuellement identiques aux questions dont le Tribunal est présentement saisi.

[20] M. Smith, par contre, prétend que la décision de l'arbitre Picher est limitée à la question de savoir si le CN était tenu de répondre aux besoins de M. Smith dans sa ville natale de Terrace (C.-B.). Par contre, il prétend que la plainte dont est saisi le Tribunal s'étend aux allégations concernant la conduite du CN en rapport avec les mesures d'accommodement dans leur ensemble, ainsi qu'en rapport avec la demande d'indemnisation de M. Smith et avec la décision de mettre fin au programme de formation à Prince George.

[21] Selon moi, il est clair que la décision de l'arbitre Picher portait en fait sur plus que sur la question des mesures d'accommodement visant à répondre aux besoins de M. Smith à Terrace. Il a souligné que dès que la Compagnie a réalisé que M. Smith était disposé à envisager la possibilité de travailler ailleurs qu'à Terrace, elle a sélectionné le poste de contrôleur de la circulation ferroviaire à Prince George comme étant une possibilité. L'arbitre Picher a déclaré que les efforts déployés par le CN quant au poste de Prince George, ainsi que ses efforts pour rétablir M. Smith dans ses fonctions de mécanicien de train à Terrace, constituaient une mesure d'accommodement raisonnable quant à la déficience de M. Smith.

[22] Par conséquent, selon moi, la décision de l'arbitre Picher, portait en fait sur plus que la question des mesures d'accommodement visant à répondre aux besoins de M. Smith à Terrace.

[23] Toutefois, selon moi, la décision de l'arbitre Picher ne portait pas sur l'ensemble des questions soulevées par la plainte en matière de droits de la personne de M. Smith. Par la force des choses, sa décision s'est limitée aux événements qui se sont produits jusqu'à la date de l'audience. La plainte porte toutefois sur des allégations d'actes de discrimination qui auraient commencé le 26 mars 2001 et qui se seraient poursuivis. Par conséquent, la plainte englobe des allégations fondées sur des événements qui se sont déroulés après l'audience d'arbitrage, comme l'abolition du programme de formation à Prince George et les présumées représailles de la part du CN (voir Smith c. La Compagnie des chemins de fer nationaux, Décision sur la requête visant à ajouter une partie et à modifier la plainte 2005 TCDP 23).

[24] De plus, il appert du dossier que M. Smith n'a peut-être pas été capable de soumettre à l'arbitre l'ensemble des questions et des éléments de preuve concernant les solutions sur le plan des mesures d'accommodement à Terrace en raison de la décision de l'avocat du syndicat de ne pas le convoquer comme témoin.

[25] Pour ces motifs, je conclus que les questions en litige dans la procédure de plainte sont différentes des questions en litiges qui ont été traitées par l'arbitre.

(ii) Le caractère final de la décision

[26] Le Code canadien du travail prévoit qu'une décision rendue par un arbitre est finale et lie les parties, sous réserve de contrôle judiciaire demandé sur le fondement d'erreur judiciaire. Bien que, en l'espèce, une procédure en contrôle judiciaire ait été introduite, elle a ultérieurement fait l'objet d'un désistement. Par conséquent, je conclus que la décision de l'arbitre était finale et que cette condition du critère a été satisfaite.

(iii) Les parties ou leurs ayants droit sont les mêmes

[27] Pour que la troisième condition du critère soit satisfaite, les parties ou leurs ayants droit doivent être les mêmes. Il est clair qu'en l'espèce, les parties dans les deux procédures ne sont pas les mêmes. Les ayants droit sont-ils les mêmes?

[28] Pour qu'il y ait des ayants droit, il doit y avoir un degré suffisamment élevé d'intérêt commun entre les parties pour qu'il soit juste de lier les parties à la deuxième procédure à la décision rendue dans la première procédure (Danyluk, précité, paragraphe 60). Les conclusions quant à savoir s'il existe un degré suffisamment élevé d'intérêt commun pour que les parties puissent être qualifiées d'ayants droit de l'une et de l'autre doivent être tirées au cas par cas (J. Sopinka, S.N. Lederman et A.W. Bryant, eds, The Law of Evidence in Canada (2e éd., 1999) page 1088)).

(iv) Le syndicat et M. Smith en tant qu'ayants droit

[29] Le CN prétend que parce que le régime de la convention collective supplante la relation qui existe entre la personne et l'employeur, les intérêts de M. Smith ne peuvent être défendus que par la procédure de grief, notamment l'arbitrage. De plus, le syndicat est tenu, en vertu de l'article 37 du Code canadien du travail, de représenter d'une manière équitable les employés de l'unité de négociation dans le traitement de leurs griefs.

[30] Par conséquent, le CN prétend que, dans le contexte de l'arbitrage, les intérêts de M. Smith et ceux du syndicat sont les mêmes.

[31] Le CN affirme que ses arguments sont étayés par des décisions antérieures du Tribunal dans lesquelles celui-ci a conclu que le syndicat et l'auteur du grief étaient des ayants droit aux fins de la préclusion pour chose jugée (Thompson c. Rivtow Marine Ltd., [2001] T.C.D.P. no 47; Parisien c. Commission de transport régionale d'Ottawa-Carleton, [2002] T.C.D.P. no 23; et Desormeaux, précitée).

[32] J'ai examiné les décisions du Tribunal invoquées par le CN et je conclus que rien dans ces décisions ne donne à penser que, dans tous les cas, il y aura une communauté d'intérêts entre le syndicat et l'auteur du grief/plaignant. Au contraire, mon interprétation de ces décisions m'amène à conclure que, dans les circonstances particulières de ces affaires, le Tribunal était disposé à accepter que le syndicat et le plaignant étaient des ayants droit. Comme il a été souligné, il s'agit d'une conclusion qui doit être tirée au cas par cas.

[33] Bien que les intérêts de l'employé syndiqué soient défendus par le syndicat, cela ne signifie pas nécessairement que les intérêts du syndicat et ceux de l'employé sont toujours les mêmes. Des conflits surviennent entre les intérêts d'un employé et ceux de l'unité de négociation quant au traitement d'un grief (Re McRaeJackson [2004] C.C.R.I. no 31).

[34] Le syndicat n'est pas tenu de répondre aux intérêts d'un employé dans les cas où cela nuirait aux intérêts de l'unité de négociation. Le devoir de juste représentation ne fait qu'exiger que le syndicat prenne ses décisions quant au traitement d'un grief d'une manière juste et raisonnable (Canadian Merchant Service Guild c. Gagnon, [1984] 1.R.C.S. 509).

[35] Par conséquent, selon moi, il n'est pas possible d'affirmer que, dans tous les cas, il y a une communauté d'intérêts entre le syndicat et le plaignant. Chaque situation factuelle doit être examinée au cas par cas afin de déterminer dans quelle mesure il existe une communauté d'intérêts.

[36] En l'espèce, un examen du dossier donne à penser que bien que, d'une manière générale, le syndicat et M. Smith partageaient des intérêts communs quant au règlement du grief, il y avait de nombreux points de divergences qui, selon moi, sont suffisamment importants pour conclure que, en l'espèce, le syndicat et M. Smith ne sont pas des ayants droit. Ces points sont les suivants :

(1) Dans son affidavit, M. Smith déclare que l'audition de son grief a duré deux heures et qu'aucun témoin n'a été appelé à témoigner. Lors d'une pause, il a demandé à ce qu'on lui permette de témoigner pour réfuter les allégations du CN. Cette demande a été refusée par l'avocat du syndicat qui a affirmé qu'il préférait souscrire au principe de la simplicité.

[37] Plus particulièrement, M. Smith prétend qu'il disposait d'éléments de preuve pertinents quant aux possibilités d'occuper un autre emploi au sein de la compagnie et que ces éléments de preuve étaient cruciaux pour l'affaire que l'arbitre devait trancher. Il prétend qu'on l'a empêché de présenter ce témoignage important.

[38] Le CN ne conteste pas les affirmations de M. Smith concernant son défaut de témoigner. Toutefois, il rétorque que le témoignage par affidavit de M. Smith établit que bien qu'il n'ait pas témoigné, il a eu la possibilité de faire des suggestions à l'avocat quant à la manière de présenter sa cause. Le CN estime en outre que M. Smith était libre de suivre ou non le conseil de l'avocat du syndicat de ne pas témoigner.

[39] Selon moi, il n'est pas clair que M. Smith ait en fait eu ce choix. Alors que le protocole d'entente entre le CN et le syndicat créant la procédure d'arbitrage prévoit que chacune des parties a le droit d'interroger tous les témoins et de présenter des éléments de preuve à l'audience, c'est le syndicat et le CN qui sont parties au litige et non M. Smith (Protocole d'entente entre le CN et le syndicat créant le Bureau d'arbitrage des chemins de fer du Canada, daté du 1er septembre 1971, paragraphe 11). De plus, c'est le syndicat qui s'occupe du grief et non pas l'auteur du grief (Re McRaeJackson, précitée, paragraphe 40).

[40] Selon moi, le fait que M. Smith n'ait pas pu témoigner durant l'audience d'arbitrage en dépit du fait qu'il désirait le faire, est un facteur important lorsqu'il s'agit de déterminer s'il existe une communauté d'intérêts entre le syndicat et M. Smith.

(2) La deuxième question qui milite contre une conclusion de communauté d'intérêts entre M. Smith et le syndicat concerne la demande de contrôle judiciaire de la décision de l'arbitre.

[41] Le 3 décembre 2003, le syndicat et M. Smith ont déposé une demande de contrôle judiciaire de la décision de l'arbitre. Le 5 août 2004, la demande a fait l'objet d'un désistement. L'avis de désistement a été signé par l'avocat du syndicat au nom de M. Smith et du syndicat.

[42] Bien qu'il fut partie à la demande, M. Smith témoigne qu'on ne lui pas demandé s'il consentait au désistement et que, si on le lui avait demandé, il n'aurait pas consenti. M. Smith déclare que lorsqu'on l'a informé en mai 2004 que l'avocat du syndicat avait recommandé le désistement de la demande de contrôle judiciaire, il a écrit à l'avocat du syndicat pour lui faire part de ses inquiétudes et de ses objections. Malgré les objections de M. Smith, on a décidé de procéder au désistement de la demande de contrôle judiciaire.

[43] Selon moi, les deux circonstances énumérées ci-dessus démontrent que le degré d'intérêts communs n'est pas assez élevé pour que l'on conclut que le syndicat et M. Smith sont des ayants droit en l'espèce.

(v) La Commission et M. Smith comme ayants droit

[44] Le CN prétend que les décisions du Tribunal dans lesquelles on a décidé que la Commission n'est pas un ayant droit du plaignant sont erronées (voir, par exemple : Rivtow Marine, précitée; Parisien, précitée; Desormeaux, précitée, Tweten c. RTL Robinson Enterprises Ltd. 2004 TCDP 8).

[45] Le CN affirme que la Commission ne possède qu'un statut accessoire quant à une plainte déposée devant le Tribunal, dans laquelle elle n'est pas le plaignant. Par conséquent, les intérêts du plaignant et de la Commission sont à ce point inextricablement liés que la doctrine de la préclusion pour chose jugée devrait s'appliquer et lier la Commission à la décision antérieure.

[46] Je ne suis pas d'accord avec le CN sur ce point. Selon moi, les prétentions de la Commission canadienne des droits de la personne quant à la présente requête sont pertinentes.

[47] La Commission prétend que de prétendre qu'elle est un ayant droit du plaignant constitue une interprétation erronée du cadre législatif que le législateur a établi quant au traitement des droits de la personne au Canada. L'article 51 de la Loi établit clairement que le rôle de la Commission est distinct de celui du plaignant.

[48] La Commission représente l'intérêt public devant le Tribunal. Ce faisant, elle doit tenir compte de la nature de la plainte, mais cela ne l'empêche pas de prendre une position différente de celle du plaignant si l'intérêt public le justifie.

[49] Comme le Tribunal l'a déclaré dans Desormeaux c. Commission de transport régionale d'Ottawa-Carleton, précitée, une conclusion que la Commission est un ayant-droit du plaignant irait à l'encontre des considérations de principe qui sous-tendent la Loi. Une telle conclusion aurait pour effet de lier la Commission à des procédures auxquelles elle n'était pas partie et l'empêcherait, par conséquent, de prendre devant le Tribunal des positions qui, selon elle, sont dans l'intérêt public.

[50] Par ailleurs, la présente situation diffère de celle dont il est question dans la récente décision rendue par le Tribunal quant à une requête dans Paulette Toth c. Kitchener Aero Avionics 2005 TCDP 19. Dans cette affaire, la Commission avait choisi de ne pas participer comme partie aux fins de savoir si la doctrine de la préclusion pour chose jugée s'appliquait. En l'espèce, la Commission a pleinement participé à la requête sur cette question.

[51] À l'appui de sa prétention que la Commission devrait être considérée comme un ayant droit du plaignant, le CN invoque la décision Re Bouten and Mynarski Park School District No. 5012 (1982), 139 D.L.R. (3d) 651 (B.R. Alb.). Dans cette affaire, la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta a conclu que l'Alberta Human Rights Commission était un ayant droit du plaignant.

[52] M. Bouten travaillait comme professeur. Lorsque son emploi a pris fin, il a interjeté appel auprès du ministre de l'Éducation car il prétendait que la cessation de l'emploi était discriminatoire. Il n'a pas eu gain de cause dans cette enceinte et il a par la suite déposé une plainte devant l'Alberta Human Rights Commission. Avant d'entreprendre une audience sur le fond, la commission d'enquête a demandé à la Cour de décider si le principe de la préclusion pour chose jugée s'appliquait et écartait la compétence de la commission d'enquête quant à la plainte. La Cour a jugé que, dans les circonstances de l'affaire, le principe s'appliquait.

[53] Selon moi, le raisonnement suivi dans Re Bouten ne s'applique pas à la présente affaire. Alors que la Cour du Banc de la Reine a conclu que l'Alberta Human Rights Commission et le plaignant partageaient un intérêt commun quant au règlement de la plainte, le Tribunal a souligné que les intérêts de la Commission canadienne des droits de la personne et ceux du plaignant sont distincts. La Commission ne représente pas le plaignant; la Commission a plutôt comme responsabilité de représenter l'intérêt public (voir par exemple : Desormeaux, précité, paragraphe 31).

[54] De plus, il faut souligner que dans la décision Re Bouten, M. Bouten, contrairement à M. Smith, était partie à la première procédure dans laquelle la discrimination avait été invoquée à la suite d'une cessation d'emploi. De plus, M. Bouten était représenté par son propre avocat et avait témoigné dans la première procédure devant une commission de révision.

[55] Ce n'est pas le cas en l'espèce. Le syndicat était partie à l'arbitrage, ce qui n'était pas le cas de M. Smith. Par conséquent, si le CN veut respecter la décision Re Bouten, il aurait fallu qu'il prétende que le syndicat et la Commission sont des ayants droit. Il ne l'a pas fait. Pour ces motifs, j'estime que la décision Re Bouten ne s'applique pas en l'espèce.

[56] Par conséquent, j'estime que ni les parties, ni leurs ayants droit, étaient les mêmes dans les deux procédures. Par conséquent, le troisième volet du critère de la préclusion pour chose jugée n'a pas été satisfait en l'espèce.

(vi) Deuxième partie du critère énoncé dans Danyluk

[57] Ayant conclu que deux des trois exigences relatives à l'application de la préclusion pour chose jugée n'ont pas été satisfaites, j'estime que je ne suis pas tenu de passer à la deuxième partie du critère énoncé dans Danyluk.

III. CONCLUSION ET ORDONNANCE

[58] Je conclus que le principe de la préclusion pour chose jugée ne s'applique pas en l'espèce et que, par conséquent, la compétence du Tribunal quant à la plainte n'est pas écartée.

[59] Par conséquent, la requête du CN est rejetée.

Karen A. Jensen

Ottawa (Ontario)

Le 15 juin 2005

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL : T939/5904
INTITULÉ DE LA CAUSE : Jim Smith c. Compagnie des chemins de fer nationaux
DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL : Le 15 juin 2005
ONT COMPARU :
Jim Sayre Pour Jim Smith
Daniel Pagowski Pour la Commission canadienne des droits de la personne
Joseph H. Hunder Pour la Compagnie des chemins de fer nationaux
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