Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE DEBBY MCAULEY

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

CAMECO CORPORATION

l'intimée

DÉCISION RELATIVE AU REDRESSEMENT

MEMBRE INSTRUCTEUR : M. Paul Groarke

2005 TCDP 11

2005/02/23

[TRADUCTION]

[1] Une audience a été tenue dans la présente affaire le 4 décembre 2003 à Saskatoon. L'intimée a reconnu sa responsabilité et l'affaire s'est déroulée sur le fondement d'une entente sur les faits. La seule question pendante est le montant de l'indemnité auquel la plaignante a droit pour perte de salaire.

[2] Le Tribunal a rencontré divers obstacles en tentant de mener à terme l'affaire. Selon mes calculs, la plaignante est responsable d'au moins cinq retards dans le processus et je suis certain que la responsabilité d'autres retards peut lui être attribuée. Certains retards peuvent dépendre de son état psychologique. Les considérations d'équité dans la présente affaire incombent néanmoins à l'intimée et à la Commission.

[3] La plaignante adopte la position qu'elle souffre du syndrome de stress post-traumatique et qu'elle est incapable de travailler. Elle attribue cette situation à la discrimination dont elle a fait l'objet entre 1984 et 1996. L'intimée et la Commission ont soutenu qu'il n'y a pas de preuve démontrant que les effets de la discrimination ont empêché la plaignante de trouver du travail. Elles affirment qu'une compensation de 22 000 $ pour deux ans de perte de salaire serait suffisante.

[4] L'avocat de la plaignante, M. Korchin, a maintenant fourni au Tribunal un rapport médical et un affidavit de Mme McAuley. Les parties m'ont demandé de traiter de la pertinence et de l'admissibilité de ces documents sur le fondement d'observations écrites. Bien que j'aie reçu des observations de tous les avocats, M. Korchin semble maintenant avoir changé d'idée sur cette question. Tout ce que je peux dire, c'est qu'il est trop tard pour ce faire. J'ai déjà annulé, à la demande des parties, les journées d'audience restantes.

[5] Bien que l'affidavit de Mme McAuley établisse sa conviction ferme selon laquelle la discrimination avait eu des effets psychologiques permanents, il ne contribue pas tellement aux positions adoptées par les parties. Je ne peux voir aucune raison pour laquelle le simple affidavit ne serait pas admissible, sujet au droit de procéder à tout contre-interrogatoire. Il a été suggéré que Mme McAuley soit épargnée de la rigueur du témoignage de vive voix.

[6] Les pièces jointes à l'affidavit posent plus de problèmes. Elles incluent des documents provenant des dossiers du Dr Burgess, un psychiatre, qui contiennent la déclaration la plus percutante pour la plaignante. Dans un document, le Dr Burgess déclare que [TRADUCTION] l'environnement de travail était assurément une cause, la seule cause de déclenchement du syndrome de stress post-traumatique . Cette conclusion est naturellement fondée sur des renseignements qu'il avait reçus de Mme McAuley.

[7] Les mots exacts utilisés par le Dr Burgess peuvent être significatifs. Je fais cette affirmation parce qu'il mentionne le mot [TRADUCTION] déclenchement du syndrome plutôt que le syndrome lui-même. Ce fait est conforme avec la position de l'intimée selon laquelle d'autres facteurs ont contribué aux origines du syndrome. La situation est plus complexe du fait que les documents du Dr Burgess proviennent de correspondance à l'égard d'une plainte déposée par Mme McAuley auprès du Collège des médecins et chirurgiens.

[8] Le rapport médical consiste en une brève lettre du Dr Li, un psychiatre, qui a apparemment vu en consultation la plaignante quatre ans après qu'elle eut cessé de consulter le Dr Burgess. La lettre contient seulement une évaluation très générale de la situation et est peu utile sans les documents fournis par le Dr Burgess. Les renseignements médicaux, pris dans leur ensemble, peuvent être suffisants pour établir que la cause immédiate de tout syndrome de stress post-traumatique dépend de la discrimination. La lettre ne fait pas de commentaires à l'égard de la durée d'une telle cause.

[9] M. Garden, au nom de l'intimée, prétend que la preuve médicale n'est pas admissible. Sa prétention est principalement fondée sur le fait que l'intimée n'a pas eu la possibilité d'examiner l'état psychologique de la plaignante et d'obtenir une opinion distincte sur la question. Il serait simplement injuste de laisser la plaignante fournir cette preuve sans donner à l'intimée une possibilité de répondre.

[10] Ce type d'argument est fondé sur les principes de justice naturelle. Il existe d'autres termes, comme la justice fondamentale ou même l'application régulière de la loi, qui peuvent être utiles. En fin de compte, cependant, la question est simplement de savoir si le processus est équitable. Cette question requiert un exercice de jugement qui tient compte des divers facteurs qui sont soulevés dans l'affaire. Je suis d'accord avec l'avocat lorsqu'il affirme que toute question d'équité doit être tranchée selon le contexte de chaque affaire.

[11] Je ne pense pas qu'il serait équitable de laisser la plaignante présenter cette sorte de preuve psychiatrique sans donner à l'intimée amplement l'occasion de répondre. L'intimée prétend que la situation exigerait une certaine sorte d'examen psychologique indépendant. Mme McAuley était hésitante quant à cette question. À un moment, elle n'était pas disposée à subir un tel examen. À un autre moment, son avocat a été incapable d'obtenir des instructions. À encore un autre moment, elle semblait acquiescer, mais à des conditions qui lui laisseraient, du moins symboliquement, la maîtrise du processus. Je ne peux pas accepter ces conditions.

[12] Tout ce qu'on peut dire, c'est que la plaignante est extrêmement réticente à subir quelque sorte d'examen médical ou psychologique indépendant. Je ne conteste pas ses sentiments à cet égard. Des dossiers psychologiques fournissent les récits les plus personnels de nos vies. Dans une société qui tient à la vie privée et à l'autonomie personnelle, l'ordre public milite contre toute ordonnance qui obligerait un individu à partager de tels dossiers avec un étranger. Il n'y a pas de doute dans mon esprit que tout psychologue ou psychiatre engagé par l'intimée serait un étranger au sens donné à ce mot.

[13] Il existe des différences importantes entre une évaluation psychologique et un examen médical. Je suis passablement certain qu'un psychologue et un psychiatre seraient mal à l'aise à l'idée qu'un patient puisse être obligé, de force, de subir cette sorte de rencontre exploratoire qui est nécessaire pour établir les origines du trouble psychologique. Pour une analyse plus complète de ces questions, je renverrais les parties à ma décision sur requête dans l'affaire Day c. Ministère de la Défense nationale, no 4 (18 décembre 2002).

[14] Il y a une certaine reconnaissance de ces questions dans l'affaire Bion c. Sehok, QB 1998 SASK, dossier 770.45.20.00-01 (QL), citée par l'avocat de la plaignante. Je n'accepte pas, cependant, qu'il soit raisonnable de permettre à la plaignante ou à un certain organisme indépendant de nommer le psychiatre ou le psychologue qui procédera à l'examen. Je comprends que la plaignante n'a pas confiance dans le processus juridique et le processus médical. Ce fait est regrettable, mais ne change pas la situation. Il ne serait pas équitable pour l'intimée qu'elle soit privée du droit de choisir son propre expert, à moins que des raisons impérieuses aient été invoquées à cet égard. De toute façon, les questions soulevées dans la présente affaire vont bien au-delà de l'identité de l'expert qui sera proposé par l'intimée.

[15] Il n'y a pas lieu de discuter de la compétence du Tribunal d'ordonner un examen psychologique. Les trois avocats semblent partager l'opinion qu'il ne serait pas dans l'intérêt psychologique de Mme McAuley de subir un tel examen. Je pense que leur opinion mérite une certaine dose de respect. Il existe un élément de jugement professionnel et même moral qui intervient lorsque l'on traite de cette sorte de questions et qui amène les avocats au-delà des intérêts étroits et personnels des parties. Dans les circonstances, je ne pense pas qu'il soit dans l'intérêt de la plaignante, ou dans l'intérêt plus étendu du public, d'exiger qu'elle soit exposée à l'indignité potentielle d'un examen psychologique indépendant.

[16] Quant à la question médicale, c'est là où l'affaire s'arrête. Je dispose des renseignements psychiatriques fournis par la plaignante. Le problème est que ces renseignements proviennent tous de la même partie. Comme je l'ai déclaré, ce serait une contravention pure aux principes de justice naturelle les plus fondamentaux que de laisser la plaignante présenter de tels éléments de preuve sans donner à l'intimée une possibilité de faire la même chose. Je suis par conséquent d'avis que les documents médicaux ne sont pas admissibles.

[17] Le deuxième argument est avancé par Mme Reaume, au nom de la Commission. Elle prétend simplement que les renseignements médicaux fournis par la plaignante ne sont pas importants à l'égard de la question soumise au Tribunal. Cette prétention ne m'aide pas à établir le montant de l'indemnité auquel la plaignante a droit pour perte de salaire. L'intimée et la Commission ont déjà reconnu que la discrimination était une cause immédiate de l'état de la plaignante.

[18] Je partage l'opinion de la Commission. Même si les documents étaient déposés en preuve, ils sont de nature trop générale pour être très utiles. Ils ne traitent pas de la question financière soumise au Tribunal. Je pense que les renseignements à l'égard de l'état psychologique sont trop entrecoupés et imprécis pour m'aider à établir la mesure à laquelle l'intimée devrait être tenue responsable des problèmes persistants de la plaignante.

[19] En fin de compte, il ne me reste que l'initiale entente sur les faits. Cette entente est suffisante pour établir que l'intimée est responsable pour un montant de 22 000 $ pour perte de salaire, avec intérêts. Le Tribunal ne dispose d'aucun élément de preuve qui justifierait qu'un montant plus important soit accordé. Je ne vois aucune raison pour demander des observations additionnelles. Je vais néanmoins demeurer saisi de l'affaire pendant 30 jours afin de permettre aux parties de soulever toute autre question qui pourrait requérir l'assistance du Tribunal. Une fois que les trente jours seront écoulés, je donnerai au registraire la directive de délivrer un avis de désistement et de fermer le dossier.

[20] J'aimerais faire un dernier commentaire. Le processus en matière des droits de la personne est un processus de redressement. Je pense par conséquent qu'il est important de reconnaître les mesures positives prises par les employeurs lorsqu'ils corrigent de telles questions. L'intimée dans la présente affaire est digne d'un mérite considérable pour avoir reconnu sa responsabilité et avoir adopté une attitude constructive pour la résolution de la plainte. J'apprécie le travail de tous les avocats au dossier.

M. Paul Groarke

Ottawa (Ontario)

Le 23 février 2005

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T723/2802

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Debby McAuley c. Cameco Corporation

DATE ET LIEU

DE L'AUDIENCE :

Le 4 décembre 2003

Saskatoon (Saskatchewan)

DATE DE LA DÉCISION

DU TRIBUNAL :

Le 23 février 2005

ONT COMPARU :

Laurie Korchin

Pour la plaignante

Leslie Reaume

Pour la Commission canadienne des droits de la

personne

A. Robson Garden

Pour l'intimée

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.