Tribunal canadien des droits de la personne

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CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

CECIL BROOKS

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

MINISTRE DES PCHES ET OCÉANS

l'intim

DCISION L'GARD DE LA QUESTION DE SAVOIR
SILE TRIBUNAL A LE POUVOIR D'ADJUGER LES DPENS

2005 TCDP 14
2005/03/10

MEMBRE INSTRUCTEUR : M. Paul Groarke

[TRADUCTION]

[1] La dcision suivante traite de la question de savoir si le Tribunal a le pouvoir d'adjuger les dpens. J'ai dj rendu une dcision l'gard de cette question dans l'affaire Brown c. GRC, 2004 TCDP 30, dans laquelle j'ai conclu que le Tribunal avait un pouvoir rsiduel d'adjuger les dpens. Aprs avoir examin les prtentions des deux parties, je me retrouve dans la mme situation dans la prsente affaire.

[2] L'intim s'est fond principalement sur l'arrt Digby Municipal School Board c. CUPE, Local 118 (1982), 135 D.L.R. (3d) 582 (C.A. N.-.), qui a t confirm par la Cour suprme de Nouvelle-cosse (1983), 1 D.L.R. (4th) 1. Mme si l'arrt Digby traitait de la comptence de la commission des relations de travail, il contient un compte rendu convaincant quant la loi antrieure. Cet ensemble de rgles de droit prvoit qu'un organisme juridictionnel qui a un pouvoir qui lui a t accord par la loi n'a pas le pouvoir d'adjuger les dpens moins que la loi lui confre ce pouvoir.

[3] Je connais bien cet arrt. Il s'avre que l'intim s'est fond galement sur la dcision que j'ai rendue dans l'affaire Brown, au paragraphe 70, o j'ai dclar ce qui suit :

La Loi ne fait pas mention du pouvoir d'adjuger les dpens. La question est tout simplement passe sous silence. [...] Si le lgislateur avait eu l'intention de donner au Tribunal le pouvoir d'adjuger les dpens, il l'aurait fait conformment aux rgles et conventions applicables.

J'accepte naturellement cette affirmation. Je partage l'opinion selon laquelle la Loi canadienne sur les droits de la personne ne donne pas au Tribunal la [TRADUCTION] comptence expresse d'adjuger les dpens.

[4] Cela ne conclut pas l'affaire. Je dois contester la position adopte par l'intim au paragraphe 12 de ses observations, dans lequel il dclare ce qui suit :

[TRADUCTION]

La lgislation en matire des droits de la personne dans la plupart des provinces contient des dispositions expresses l'gard des dpens. Ce fait confirme que lorsque la lgislature a l'intention d'accorder un tribunal des droits de la personne la comptence d'adjuger les dpens, elle le fait expressment. S'il y a absence d'une disposition expresse, c'est que le lgislateur ne devait pas avoir l'intention que le Tribunal ait comptence pour adjuger les dpens.

Je ne partage pas l'opinion selon laquelle la deuxime proposition rsulte de la premire proposition.

[5] En fait, dans l'affaire Brown, j'ai limit mes commentaires l'affirmation selon laquelle le lgislateur n'avait pas l'intention de donner au Tribunal un pouvoir d'adjuger les dpens dans les circonstances qui existaient au moment o la loi a t rdige. C'est peut-tre une distinction pointue, mais cela ne signifie pas qu'il avait l'intention de priver le Tribunal d'un tel pouvoir dans les circonstances qui existent dans l'affaire Brown et dans la prsente affaire. La pratique de la Commission des droits de la personne s'est dveloppe avec le temps et la situation n'est pas la mme qu'elle tait lorsque la loi a t adopte.

[6] Il sera vident que ma dcision est limite aux cas dans lesquels la Commission ne comparat pas. Bien que le lgislateur n'ait pas donn au Tribunal un pouvoir exprs d'adjuger les dpens, je pense qu'il y a dans la Loi une ngation suffisante pour dmontrer ses intentions. L'une de ces intentions, du moins dans les cas o la Commission comparat, est qu'un plaignant qui a gain de cause ne sera pas accabl par les frais juridiques. Je pense qu'il est un peu arbitraire de faire une distinction entre les plaignants qui bnficient de la prsence de la Commission et ceux qui doivent, par la force des choses, engager leur propre avocat.

[7] Cela se rsume une question de reprsentation. Le droit en matire des droits de la personne est devenu relativement complexe et l'exprience du Tribunal traiter avec des parties profanes a dmontr que l'efficacit du processus dpend dans une certaine mesure de l'assistance des avocats. C'est particulirement vrai dans la prsente affaire qui comportait un examen dtaill des antcdents d'emploi de M. Brooks. Dans un cas o la Commission dcide de ne pas comparatre, il me semble que le plaignant a le droit d'tre reprsent par un avocat. Il s'ensuit que quelqu'un doit payer pour cette reprsentation.

[8] M. Bagambiire a des rticences l'gard de la divulgation publique de ses notes d'honoraires. Je pense qu'il est important cependant que la ralit de la situation soit expose en entier devant la Cour fdrale dans l'ventualit o l'affaire ferait l'objet d'un contrle. Un montant de cinq mille dollars a t accord M. Brooks pour prjudice moral, le montant maximal prvu suivant l'ancienne Loi, sur consentement des parties. Je ne sais pas quels seraient les dpens, aprs taxation, mais les notes d'honoraires dposes en preuve suggrent certainement que les frais juridiques du plaignant pourraient atteindre cent mille dollars.

[9] Je pense que cette situation est suffisante pour inciter quiconque marquer un temps d'arrt. L'omission du Tribunal d'adjuger les dpens dans la prsente affaire ne pnaliserait pas seulement un plaignant qui a eu gain de cause. Cette omission dcouragerait galement des plaignants de dposer des plaintes l'avenir. Il m'apparat que cela va l'encontre de ce que la Loi vise et de la jurisprudence actuelle. Je ne peux pas voir comment le Tribunal peut approuver une situation dans laquelle un plaignant qui a eu gain de cause subit une perte rsultant des frais juridiques qui doivent tre pays pour mener l'affaire une conclusion favorable. Cela contredirait les fins de la lgislation.

[10] La jurisprudence tablit que le principe de recouvrement prvu par la Loi est le principe de la restitution intgrale. Les dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne se rapportant au redressement sont extrmement larges et envisagent qu'un plaignant qui a eu gain de cause recouvrera toutes les dpenses relies au litige. Je ne peux pas me rsoudre, titre de point de droit, interprter le mot dpenses d'une faon inclure les frais juridiques. Il m'apparat nanmoins de faon frappante qu'il soit plutt difficile de suggrer que le lgislateur se soit efforc de s'assurer qu'un plaignant recouvrerait toutes ses dpenses, mais aucun de ses frais juridiques dans un cas o il a clairement besoin d'un avocat.

[11] Je dois mentionner que l'intim soulve galement une question plus technique. Il ressort de faon vidente de l'arrt Banca Nazionale c. Lee-Shanok, [1988] A.C.F. no 594 (QL), et de l'arrt Oasis Hotel Ltd. c. Zurich Insurance Co., [1981] B.C.J. no 690 (QL), deux arrts que j'ai cits dans l'affaire Brown, qu'il existe une autre source qui donne le pouvoir d'adjuger les dpens. Ce pouvoir provient de l'equity. La question est celle de savoir si les redressements offerts un plaignant qui a gain de cause suivant la Loi canadienne sur les droits de la personne peuvent tre dcrits comme quitables. L'intim rpond non cette question.

[12] Il est vrai que le Tribunal est un organisme cr par la loi qui n'a que les pouvoirs qui lui sont confrs par la Loi canadienne sur les droits de la personne. Cependant, la Loi est rparatrice. Elle traite des droits de l'homme, des droits qui sont aussi connus comme les droits de la personne. Ce volet du droit ne fait pas partie du droit ordinaire. Il s'agit de droits fondamentaux. Son importance a t reconnue tant sur le plan interne que sur le plan international. Il fait partie d'une norme imprative du droit international.

[13] C'est l que l'analyse de l'intim s'effondre. Le principal arrt cit par l'intim, Digby Municipal School Board c. CUPE, prcit, se trouve en dehors du volet des droits de la personne. Bien que les cours soient places dans la meilleure position pour trancher les questions se rapportant l'quit, il m'apparat que l'objet de la Loi canadienne sur les droits de la personne fait une distinction avec d'autres lois. Il est bien tabli en droit qu'une mthode littrale d'interprtation n'a pas sa place dans le contexte de la Loi. Je ne pense pas que le lgislateur ait eu l'intention que les questions se rapportant l'galit soient djoues par une lecture trop minutieuse des subtilits de la Loi.

[14] Je pense que le Tribunal a une obligation de protger l'efficacit et l'intgrit de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Tout l'objet de la Loi est de fournir un redressement valable ceux qui ont fait l'objet de discrimination. Je ne vois pas comment cela est possible, du moins dans un cas dans lequel la Commission dcide de ne pas comparatre, sans une adjudication des dpens. L'ide qu'un plaignant qui a fait l'objet de discrimination devrait avoir payer un montant de l'ordre de cent mille dollars pour une rclamation d'une valeur de cinq mille dollars, et subir toute la gamme de difficults qui accompagnent les litiges, est indfendable. Le remde est pire que la maladie.

[15] Bien que les dispositions de la Charte des droits et liberts puissent avoir une certaine influence sur la question qui est soumise au Tribunal, ces dispositions n'ont jamais t invoques par les parties. Je vais par consquent laisser d'autres le soin d'enquter sur cet aspect de l'affaire.

M. Paul Groarke

Ottawa (Ontario)

Le 10 mars 2005

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL : T838/8803
INTITUL DE LA CAUSE : Cecil Brooks c. Ministre des pches et ocans
DATE DE LA DCISION DU TRIBUNAL : Le 10 mars 2005
ONT COMPARU :
Davies Bagambiire Pour le plaignant
Scott McCrossin Melissa Cameron Pour l'intim
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