Tribunal canadien des droits de la personne

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Contenu de la décision

Entre :

Fred Smith

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

S & S Delivery Service Ltd.

l'intimé

Décision

Membre : Dr Paul Groarke
Date : Le 2 mars 2005
Référence : 2005 TCDP 13


Table des matières

I Introduction

II Les faits

III Droit et analyse

I. Introduction

[1] Fred Smith a déposé une plainte contre S & S Delivery Service, son ancien employeur. S & S appartient à Brian Slobodian. M. Smith a travaillé pour M. Slobodian de mars 2001 à avril 2002. Il travaillait cinq jours par semaine et parfois le samedi. Il était payé en fonction du kilométrage parcouru.

[2] La plainte énonce que S & S Delivery :

[Traduction]

[…] a fait de la discrimination à mon endroit en contravention des articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne en exigeant, après que j’ai été blessé, que je subisse un test de dépistage de drogues avant de m’autoriser à reprendre le travail et en me refusant un retour au  travail en raison d’une déficience perçue (dépendance à la drogue).

Il sera évident que la situation n’est pas si simple.

[3] L’audition de l’affaire a pris moins d’un jour. M. Smith et M. Slobodian étaient les seuls témoins. Ils n’avaient pas d’avocats. Leurs observations sont devenues des témoignages et il était difficile de garder l’instruction dans ses limites légitimes.

II. Les faits

[4] M. Smith et M. Slobodian n’ont jamais éprouvé de sympathie l’un envers l’autre. Le 23 avril 2002, le camion que conduisait M. Smith a frappé un nid‑de‑poule. Ce devait être un nid‑de‑poule terrible. La tête de M. Smith a frappé le toit de la cabine et il a subi une grave blessure au cou. Il a été absent du travail pendant six semaines et il a déposé une demande auprès de la Commission des accidents du travail. Il a reçu six mille dollars de cet organisme.

[5] M. Slobodian est convaincu que M. Smith ne portait pas sa ceinture de sécurité lorsque sa tête a frappé le toit. M. Smith a admis qu’il ne porte pas une ceinture lorsqu’il conduit chez lui. Il affirme néanmoins qu’il portait une ceinture au moment de l’accident. Il ajoute que le véritable problème résulte de la construction du siège qui est fixé sur des ressorts. Alors, en théorie, sa tête aurait frappé le toit même s’il avait été attaché au siège.

[6] Le 4 juin 2002, le physiothérapeute de M. Smith lui a remis une lettre établissant qu’il était apte à reprendre le travail. M. Smith a apporté la lettre à S & S Delivery. Une heure et demie plus tard, il a reçu un appel lui disant qu’il y avait une lettre de la compagnie au bureau. La lettre provenait de M. Slobodian et mentionnait que la compagnie avait une nouvelle politique à l’égard des drogues. M. Smith ne pourrait pas reprendre le travail avant qu’il ait subi un test de dépistage de drogues.

[7] M. Slobodian déclare qu’il a instauré la politique à l’égard des drogues pendant que M. Smith bénéficiait de l’indemnisation des accidentés du travail. Cependant, il y a plus que cela. M. Slobodian dit candidement qu’il espérait que M. Smith échoue au test de dépistage de drogues. Il l’avait déjà vu entrer dans la cour de l’entreprise avec les yeux rougis. M. Slobodian déclare néanmoins qu’on a demandé à d’autres employés de subir un test de dépistage de drogues.

[8] M. Smith pense qu’il n’y avait pas de politique à l’égard des drogues. Il dit que personne d’autre n’a fait l’objet de tests. Je ne sais pas s’il y avait véritablement une politique. Si oui, il s’agissait d’une politique qui était plus ad hoc qu’elle aurait dû l’être. Il était néanmoins évident, même lors de l’audience, que M. Slobodian est colérique. M. Slobodian affirme que lui et M. Smith [Traduction] s’affrontaient constamment. Je pense que M. Smith est d’accord avec M. Slobodian à cet égard.

[9] L’attitude de M. Smith posait un problème à M. Slobodian. Il affirme que des clients lui ont dit que M. Smith parlait de façon négative de ses activités et de son équipement. Il a mentionné un appel reçu de quelqu’un de Revelstoke. M. Slobodian a eu six semaines pour penser à cela pendant que M. Smith bénéficiait de l’indemnisation des accidentés du travail. Il ne voulait pas que M. Smith revienne travailler pour lui.

[10] M. Smith est demeuré inébranlable. Il a adopté la position selon laquelle il était encore un employé de S & S Delivery. Il a consulté un médecin et il a demandé un test de dépistage de drogues. Les résultats ont été remis à M. Slobodian le 11 juin. Ils étaient négatifs. M. Smith a demandé du travail. M. Slobodian a dit qu’il l’appellerait. Il ne l’a jamais fait.

[11] M. Smith a téléphoné au bureau à de nombreuses reprises. À la fin de juin, il a vu dans le journal StarPhoenix une annonce de S & S qui cherchait un chauffeur. Il a donc su qu’il y avait du travail. M. Smith a essayé de prendre contact avec M. Slobodian, sans succès. Les communications ont cessé. Il y a eu une autre annonce en août.

[12] La querelle n’était pas finie. M. Smith a eu recours aux normes du travail à la fin de juin. Neil Klassen, l’agent des normes du travail, a dit qu’il avait droit à deux semaines de salaire en guise et lieu d’avis. M. Klassen a discuté de l’affaire avec S & S et après des menaces de poursuites de l’intimée et un appel, M. Smith a reçu un chèque pour deux semaines de salaire. À la fin d’août, il a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne.

[13] M. Smith veut maintenant recevoir son salaire pour la période entre juin et septembre. M. Slobodian est d’avis que cela est exagéré. M. Smith a déjà perçu douze mille dollars à titre d’indemnisation des accidentés du travail et environ 1 500 dollars de salaire en guise et lieu d’avis. Bien qu’il ne cite aucun texte de loi, M. Slobodian prétend que M. Smith a reconnu que l’emploi s’est terminé en juin lorsqu’il a eu recours aux normes du travail et qu’il a demandé du salaire en guise et lieu d’avis.

[14] Cette prétention est peut‑être fondée. M. Smith a déclaré que tout ce que M. Slobodian avait à faire était de lui dire, directement, qu’il avait mis fin à son emploi. Cependant, il a insisté sur ce point. M. Slobodian a admis lors de l’audience qu’il aurait dû être plus franc lorsque M. Smith est venu le voir le 5 juin. Il aurait dû dire à M. Smith qu’il mettait fin à son emploi. Il aurait dû lui payer le salaire en guise et lieu d’avis. Mais, il ne pense pas qu’il soit juste de lui demander quoi que ce soit de plus.

III. Droit et analyse

[15] La plainte a été déposée suivant l’article 7 et l’article 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. L’article 10 mentionne des lignes de conduite en matière d’emploi. L’argument est que la politique à l’égard des drogues, s’il y en avait une, faisait de la discrimination à l’endroit de ceux qui souffrent d’une dépendance aux drogues.

[16] M. Smith avait peu, sinon rien, à dire sur cet aspect de l’affaire et je ne peux voir aucun motif pour en traiter. Les deux hommes s’entendaient sur le fait que le dépistage de drogues est une pratique normale dans l’industrie du transport, du moins pour les chauffeurs qui se rendent aux États‑Unis. Dans la décision Milazzo c. Commission canadienne des droits de la personne et Motor Coach Canada, 2005 TCDP 5, le Tribunal a reconnu la légitimité de conditions à cet égard dans l’industrie du transport.

[17] La véritable question s’appuie sur l’alinéa 7a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Cette disposition énonce ce qui suit :

Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu; […]

[18] M. Smith prétend que S & S a refusé de continuer de l’employer sur le fondement qu’il pouvait faire usage de drogues.

[19] Les faits n’appuient pas cette sorte de prétention. La situation pourrait être différente s’il y avait des éléments de preuve démontrant que M. Slobodian avait un préjugé à l’endroit des chauffeurs qui avaient pu faire usage de drogues. Dans l’état actuel, cependant, la preuve suggère simplement que M. Slobodian ne voulait pas que M. Smith reprenne le travail. Ils étaient devenus des ennemis. Le test de dépistage de drogues n’était vraiment pas pertinent. C’était simplement un stratagème, un truc pour empêcher M. Smith de revenir travailler dans l’entreprise.

[20] Cependant, le problème est plus profond. Je ne peux pas voir comment le comportement de M. Slobodian est visé par le sens du mot discrimination. Le dictionnaire Merriam-Webster Online Dictionary énonce que la discrimination consiste, dans un sens, à traiter une personne différemment [Traduction] sur une base autre que le mérite individuel. Il donne ensuite deux exemples, à savoir : [Traduction] faire de la discrimination en faveur de vos amis et [Traduction] faire de la discrimination contre une certaine nationalité.

[21] Le dictionnaire Compact Oxford Dictionary donne une définition similaire. Il énonce que la discrimination consiste en [Traduction] une distinction injuste dans le traitement de différentes catégories de personnes, notamment en raison de motifs fondés sur la race, le sexe ou l’âge. Cette définition reflète l’utilisation légale contemporaine du mot. L’idée est qu’une personne est traitée différemment en raison de son appartenance à un certain groupe.

[22] M. Smith prétend dans la plainte que M. Slobodian a refusé de continuer de l’employer parce qu’il pensait qu’il faisait usage de drogues. Je ne peux pas voir cela. Toute la preuve suggère que le litige entre M. Smith et M. Slobodian était entièrement personnel. M. Slobodian n’a jamais aimé M. Smith. Il pensait que M. Smith a menti lorsqu’il a déposé sa demande d’indemnisation des accidentés du travail. M. Slobodian peut s’être trompé à cet égard. Il admet qu’il n’a pas de preuve, mais ce qui importe c’est que son ressentiment se rapportait expressément à M. Smith. Il ne se rapportait pas à son appartenance à un groupe.

[23] On peut prétendre que M. Slobodian a traité M. Smith différemment en raison de l’accident. Cela peut être interprété comme de la discrimination fondée sur la déficience. Je suppose qu’il est possible que M. Slobodian ait eu une dent contre quiconque assez malchanceux pour se blesser au travail. Peut‑être voyait‑il cela comme une tache contre son entreprise ou peut‑être était‑il préoccupé à l’égard des implications financières. Toutefois, il s’agit de simples hypothèses.

[24] Dans les circonstances, je ne pense pas que l’affaire soit visée par l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. C’est un litige privé entre deux hommes qui ne s’aiment pas. M. Smith peut avoir ou non des motifs pour une poursuite. Mais, il s’agit d’une autre question. Le plaignant n’a pas établi qu’il avait été défavorisé parce qu’il était membre d’un groupe identifiable. Il n’existe aucune des comparaisons que le droit à l’égalité requiert. Cela est essentiel.

[25] Le Tribunal n’est pas une cour. Il y a un élément d’intérêt public dans le processus en matière des droits de la personne qui le distingue des litiges privés. Cela est vrai même lorsque les questions se rapportent, en fin de compte, exclusivement aux parties. Le point est fondamental. Le processus en matière des droits de la personne met en cause des intérêts plus larges qui touchent chacun dans la société. Il ne devrait pas être utilisé pour juger une demande privée dans le domaine des contrats ou dans certains autres domaines du droit.

[26] Je ne suis pas certain que je puisse en dire plus pour apaiser l’une ou l’autre des parties. Je pense que M. Smith et M. Slobodian ont probablement besoin de passer à autre chose. La plainte est rejetée.

Signée par

Dr Paul Groarke
Membre du tribunal

Ottawa (Ontario)
Le 2 mars 2005

Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T962/8204

Intitulé de la cause : Fred Smith c. S & S Delivery Service Ltd.

Date de la décision du tribunal : Le 2 mars 2005 (Décision écrite envoyée aux parties le 4 mars 2005)

Date et lieu de l’audience : Le 28 février 2005 Le 2 mars 2005

Saskatoon (Saskatchewan)

Comparutions :

Fred Smith, pour le plaignant

Aucune comparution, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Brian Slobodian, pour l'intimé

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