Tribunal canadien des droits de la personne

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Canadian Human Rights Tribunal Tribunal canadien des droits de la personne

ENTRE :

NANCIE MARTIN

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

ADMINISTRATION LOCALE INDIENNE DE SAULTEAUX

l'intimée

DÉCISION SUR LA COMPÉTENCE

Décision no 1
2000/12/08

MEMBRE INSTRUCTEUR : Anne Mactavish, présidente

[1] Nancie Martin a déposé une plainte contre son ancien employeur, l'Administration locale indienne de Salteaux. Mme Martin allègue que la Bande n'a pas renouvelé son contrat de travail parce qu'elle était devenue enceinte et que, ce faisant, elle a enfreint l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[2] L'intimée s'oppose à la poursuite des procédures pour le motif qu'il existe une crainte raisonnable de partialité institutionnelle à l'égard du Tribunal canadien des droits de la personne. Plus précisément, la Bande affirme que le Tribunal ne jouit pas d'une autonomie institutionnelle suffisante pour assurer aux parties une audience équitable et impartiale.

[3] À cet égard, la Bande se fonde sur la décision récente de la Cour fédérale dans l'affaire Bell Canada c. ACET, Femmes Action et Commission canadienne des droits de la personne (Bell Canada) (1). Dans Bell Canada, la juge Tremblay-Lamer, de la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada, a conclu que le Tribunal n'était pas un organisme autonome ou impartial du point de vue institutionnel puisque la Commission canadienne des droits de la personne a le pouvoir de donner des directives ayant un effet obligatoire pour lui (2). La juge Tremblay-Lamer a également conclu que l'autonomie du Tribunal était compromise du fait qu'il faut obtenir l'agrément de son président pour qu'un membre dont le mandat est échu puisse terminer une affaire dont il a été saisi (3). Par conséquent, la juge Tremblay-Lamer a ordonné qu'on interrompe les procédures dans l'affaire Bell Canada jusqu'à ce que les problèmes qu'elle a soulevés en ce qui concerne le régime légal aient été réglés.

[4] La Bande soutient que le régime légal considéré par la juge Tremblay-Lamer comme insuffisant pour assurer l'autonomie du Tribunal entre en jeu dans la présente instance et que, par conséquent, l'on devrait interrompre les procédures jusqu'à ce que les problèmes soulevés par la juge Tremblay-Lamer aient été réglés.

[5] La Commission canadienne des droits de la personne est d'avis que la Bande a implicitement renoncé à son droit de contester l'impartialité institutionnelle du Tribunal, étant donné que, dans les exposés de la Commission, elle n'a pas soulevé son objection à la première occasion.

[6] Mme Martin n'a présenté aucun exposé relativement à cette question.

I. Applicabilité de l'arrêt Bell Canada à la présente affaire

[7] Bien qu'elle ait été invitée à le faire, la Commission n'a présenté aucun argument à propos de l'applicabilité de l'arrêt Bell Canada à la présente affaire. Toutefois, la Commission a expressément admis que l'arrêt Bell Canada s'applique aux faits entourant la présente affaire; par conséquent, je traiterai d'abord de cette question.

[8] Je suis d'avis que la portée de l'arrêt Bell Canada ne se limite pas aux cas où la Commission a vraiment donné des directives conformément au paragraphe 27 (2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Selon la juge Tremblay-Lamer, le problème que posent les directives découle des dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne qui confèrent à la Commission le pouvoir de donner des directives, et non de l'existence des directives proprement dites (4). Cette opinion est réitérée dans le dispositif du jugement de la juge Tremblay-Lamer :

[Traduction] Je conclus que le vice-président du Tribunal a commis une erreur de droit et n'était pas fondé à déterminer que le Tribunal était un organisme autonome et impartial au regard du pouvoir de la Commission de donner des directives ayant un effet obligatoire pour le Tribunal ... (c'est nous qui mettons en italique) (5)

[9] Le pouvoir de la Commission de donner des directives découle de la Loi. Ce pouvoir ne s'applique pas qu'aux affaires de parité salariale. La Loi canadienne sur les droits de la personne régit toutes les instances dont le Tribunal canadien des droits de la personne est saisi. Par conséquent, je suis d'avis que le jugement rendu dans l'affaire Bell Canada s'applique aux cas où il n'existe peut-être pas de directives.
.
[10] En ce qui concerne le pouvoir conféré au président du Tribunal de consentir à ce qu'un membre dont le mandat est échu puisse terminer une affaire dont il a été saisi, je ferai remarquer que la Loi canadienne sur les droits de la personne est loin d'être la seule à renfermer une disposition de ce genre. Il existe des dispositions similaires dans les lois habilitantes qui régissent de nombreux tribunaux administratifs (6). Néanmoins, la juge Tremblay-Lamer a conclu que le paragraphe 48.2 (2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne porte atteinte au principe de l'inamovibilité des membres du Tribunal au point de compromettre son autonomie et son impartialité.

[11] Le problème soulevé par la juge Tremblay-Lamer par rapport à la Loi ne concerne pas la façon dont le pouvoir discrétionnaire du président peut être exercé dans un cas particulier, mais plutôt l'exercice du pouvoir discrétionnaire proprement dit (7). Je suis liée par sa conclusion à cet égard.

[12] Eu égard à ces motifs, je suis convaincue que l'arrêt Bell Canada s'applique en l'espèce.

II. Chronologie des événements

[13] Il est évident selon la jurisprudence que si une partie s'inquiète de l'autonomie d'un décideur, elle doit exprimer sa préoccupation à cet égard à la première occasion (8). Afin de déterminer si la Bande est réputée avoir renoncé à son droit de contester la compétence du Tribunal pour le motif qu'il n'est pas suffisamment autonome en tant qu'institution, il convient d'examiner la chronologie des événements entourant cette affaire.

[14] Mme Martin a déposé sa plainte devant la Commission le 6 juillet 1997. La Commission a indiqué que la décision de renvoyer l'affaire au Tribunal a été prise à sa réunion de septembre 2000 et que les parties ont été informées de sa décision le 2 octobre. Dans les faits, le Tribunal a été saisi de la plainte par suite de l'envoi d'une lettre en date du 6 octobre 2000. Le 20 octobre, dans le cadre de son processus de gestion des cas, le Tribunal a fait parvenir aux parties un questionnaire destiné à l'aider à planifier l'audience. Comme l'arrêt Bell Canada touche à la compétence du Tribunal et remet en question son intégrité institutionnelle, le Tribunal a demandé aux parties, le 16 novembre, de lui présenter des exposés sur les conséquences de l'arrêt Bell Canada par rapport à la présente instance. Dans une lettre en date du 17 novembre, la Bande a invoqué l'arrêt Bell Canada pour contester la compétence du Tribunal.

[15] Il convient de noter que, selon la juge Tremblay-Lamer, ce sont les dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne qui suscitent des préoccupations relativement à l'autonomie ou à l'impartialité du Tribunal canadien des droits de la personne. Autrement dit, c'est le libellé de la Loi, et non la décision rendue dans Bell Canada, qui suscite les préoccupations en question, même s'il se peut fort bien que, dans le cas qui nous occupe, l'intimée soit devenue consciente du problème par suite du jugement de la juge Tremblay-Lamer. La Bande est réputée avoir été avisée des lois du Canada et, par conséquent, avoir été en possession de tous les renseignements nécessaires pour contester la compétence du Tribunal, à partir du moment où les plaintes lui ont été renvoyées.

[16] La Commission est d'avis que la première occasion de contester la compétence du Tribunal en raison de son autonomie institutionnelle insuffisante s'est présentée au moment où l'affaire a été renvoyée au Tribunal et que la Bande est réputée avoir renoncé à son droit de contestation parce qu'elle a négligé de faire connaître son opposition jusqu'au moment où le Tribunal l'a invitée expressément à le faire.

[17] À mon avis, le principe de la renonciation ne devrait pas s'appliquer en l'espèce de façon à priver l'intimée de son droit de contester la compétence du Tribunal en raison du régime légal qui le régit en tant qu'institution. Il ne s'est produit rien d'important par rapport à l'affaire dans les six semaines qui se sont écoulées entre la date du renvoi et le moment où la compétence du Tribunal a été contestée. Aucune date n'a encore été fixée pour l'audience et aucun calendrier n'a été établi en ce qui touche le processus de divulgation préalable. Par conséquent, je ne crois pas qu'on puisse raisonnablement dire que la Bande, par son comportement, a implicitement admis la compétence du Tribunal.

III. Conclusion

[18] En conséquence, je n'ai d'autre choix à mon avis que d'ajourner sine die la présente instance jusqu'à ce que l'on ait remédié aux problèmes décrits par la juge Tremblay-Lamer en ce qui concerne la Loi canadienne sur les droits de la personne, ou jusqu'à ce que l'on ait déterminé que le Tribunal canadien des droits de la personne est autonome et impartial en tant qu'institution. C'est avec beaucoup de réticence que j'en viens à cette conclusion. Il est bien établi qu'il est dans l'intérêt public de faire en sorte que les plaintes de discrimination soient traitées de façon expéditive (9). Ma décision d'ajourner sine die la présente instance ne sert pas l'intérêt public. Elle ne sert pas l'intérêt de la plaignante, qui, plus de trois ans après avoir déposé sa plainte de discrimination devant la Commission, ne peut toujours pas se présenter devant le Tribunal. Elle ne sert pas non plus l'intérêt du ou des présumés auteurs de l'acte discriminatoire au sein de la Bande : l'épée de Damoclès que représentent les allégations non prouvées de discrimination continuera de pendre au-dessus de leur tête pendant une période indéterminée, sans qu'ils aient l'occasion de se défendre.

[19] Cependant, l'intérêt public ne se limite pas à une justice expéditive : les Canadiens qui ont recours à la procédure en matière de droits de la personne ont droit à une audience devant un tribunal équitable et impartial. Selon la Cour fédérale, le Tribunal canadien des droits de la personne ne constitue pas un tel tribunal.

IV. Ordonnance

[20] Eu égard aux motifs énoncés ci-dessus, la requête de l'intimée est accueillie et la présente instance est ajournée sine die jusqu'à ce que l'on ait remédié aux problèmes décrits par la juge Tremblay-Lamer dans l'arrêt Bell Canada relativement à la Loi canadienne sur les droits de la personne, ou jusqu'à ce que l'on ait jugé que le Tribunal canadien des droits de la personne est autonome et impartial en tant qu'institution.

1. Dossier T-890-99, 2 novembre 2000.

2. Voir le paragraphe 27 (2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

3. Paragraphe 48.2 (2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

4. Bell Canada, par. 86.

5. Bell Canada, par. 128.

6. Voir, par exemple, l'article 63 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, c- I-2, concernant les membres de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié; le paragraphe 9 (1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. 1985, c. 47 (4e supp.); le paragraphe 12 (2) du Code canadien du travail concernant les membres du Conseil canadien des relations industrielles; le paragraphe 14(3) de la Loi sur le statut de l'artiste, 1992, c. 33, concernant les membres du Tribunal canadien des relations professionnelles artistes-producteurs; et le paragraphe 7 (1) de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), L.C. 1995, c. 18. Voir aussi le paragraphe 45 (1) de la Loi sur la Cour fédérale et l'article 16 de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt, L.R.C. 1985, c. T-2.

7. Bell Canada, par. 109.

8. Voir Zündel c. Commission canadienne des droits de la personne et autres, Dossier A-215-99, 10 novembre 2000, In re Tribunal des droits de la personne et Énergie atomique du Canada Ltée., [1986] 1 C.F. 103 , p. 112, et McAvinn c. Commission canadienne des droits de la personne et Strait Crossing Bridge Limited, Décision no 2, 23 novembre 2000 (TCDP).

9. Soit dit en passant, le juge Richard, alors qu'il faisait partie de la Section de première instance de la Cour fédérale, a réitéré ce principe dans un jugement rendu antérieurement dans l'affaire Bell Canada. (Voir Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier et autres [1997] A.C.F. no 207).


Anne L. Mactavish

OTTAWA (Ontario)
Le 8 décembre 2000

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL No : T589/4700

INTITULÉ DE LA CAUSE : Nancie Martin c. Administration locale indienne de Saulteaux

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL : le 8 décembre 2000

ONT COMPARU :

Nancy Martin pour la plaignante

Janice E. Cheney pour la Commission canadienne des droits de la personne

Reynold Robertson pour l'Administration locale indienne de Saulteaux

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