Tribunal canadien des droits de la personne

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Contenu de la décision

Canadian Human Rights Tribunal

Entre :

Heather Lynn Grant

Plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

Commission

- et -

Manitoba Telecom Services Inc.

Intimée

Décision sur requête

No de dossier : T1452/7809

Membre instructrice : Sophie Marchildon

Date : 10 avril 2014

Référence : 2014 TCDP 14

 



I.                   Le contexte

[1]               Dans la décision Grant c. Manitoba Telecom Services Inc., 2013 TCDP 35 (la décision sur requête de clarification de la mesure de redressement en matière de retraite), le Tribunal a exposé le contexte de la présente affaire en détail (voir les paragraphes 1 à 10).

[2]               Pour résumer, le Tribunal a jugé que les allégations de discrimination de la plaignante étaient fondées (voir la décision Heather Lynn Grant c. Manitoba Telecom Services Inc., 2012 TCDP 10), au sens de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C., 1985, c. H-6 (la Loi). Pour remédier à l’acte discriminatoire, le Tribunal a rendu une ordonnance relative à la pension de retraite de la plaignante, entre autres ordonnances (voir la décision Heather Lynn Grant c. Manitoba Telecom Services Inc., 2012 TCDP 20 (la décision sur requête relative aux mesures de redressement en suspens)). Toutefois, dans un premier temps, le Tribunal a laissé aux parties le soin de régler les détails de l’application de la mesure de redressement en matière de retraite. Les parties en ont été incapables et elles sont revenues devant le Tribunal pour obtenir des clarifications. Dans la décision sur requête de clarification de la mesure de redressement en matière de retraite, le Tribunal a donné des clarifications au sujet de l’ordonnance concernant la mesure de redressement en matière de retraite, mais, avant de rendre une décision finale, il a demandé aux parties de produire des observations supplémentaires.

[3]               La présente décision sur requête règle définitivement la question de la mesure de redressement en matière de retraite.

II.                La mesure de redressement en matière de retraite et son objet

[4]               En ce qui concerne la pension de retraite de la plaignante, le Tribunal a ordonné ce qui suit :

L’intimée replacera les prestations de retraite de la plaignante dans la situation où elles se trouvaient au moment du licenciement. Pour la période s’étendant entre la date du licenciement et celle de l’application des dispositions de la présente ordonnance, l’intimée contribuera au régime de pension la moitié des cotisations de retraite qu’elle aurait faites au cours de cette période si la plaignante était restée à son service. S’il est impossible de rétablir le régime de retraite antérieur, il faudra prendre les dispositions nécessaires pour rétablir les prestations de retraite perdues, de la manière décrite plus tôt, dans un régime ou un programme comparable en veillant à ce que la plaignante puisse toucher des prestations de retraite qui se comparent à celles qu’elle aurait reçues par l’entremise de MTS. Je laisserai d’abord aux parties le soin de régler les détails des prestations de retraite que la plaignante a perdues, conformément aux paramètres indiqués dans mes motifs.

(Décision sur requête relative aux mesures de redressement en suspens, au paragraphe 22)

[5]               Les parties conviennent du fait qu’aux termes de l’ordonnance reproduite en partie ci‑dessus, l’intimée a l’obligation de prendre les dispositions nécessaires pour remettre les prestations de retraite de la plaignante dans la situation où elles se trouvaient au moment du licenciement, ainsi que du fait que ces prestations peuvent être versées comme le prévoit le régime de retraite applicable.

[6]               En ce qui concerne la période qui a suivi le licenciement, les parties ne se sont pas entendues au sujet de ce qui était dû à la plaignante : 50 % des cotisations que l’intimée aurait versées; ou 50 % des prestations que la plaignante aurait reçues, moins les cotisations que la plaignante aurait versées. À cet égard, le Tribunal a donné la clarification suivante :

Pour la période suivant le licenciement, seulement la moitié des cotisations de retraite que l’employeur aurait faites a été accordée. La moitié, parce que le Tribunal remédie au fait que la plaignante partageait la possibilité avec une autre candidate de conserver son emploi auprès de l’intimée, et il ne remédie pas à la perte d’emploi comme tel. De plus, l’ordonnance ne visait que les cotisations de retraite par l’employeur, parce que la plaignante n’a pas perdu ses propres cotisations. Elle n’a simplement pas cotisé au régime de pension après son licenciement.

(Décision sur requête de clarification de la mesure de redressement en matière de retraite, au paragraphe 23)

[7]               Les parties conviennent du fait que la moitié des cotisations normales de l’employeur pour la période allant du 23 février 2007 au 1er juin 2013 s’élève à 17 789,72 $. Toutefois, les parties sont en désaccord au sujet du calcul des paiements d’amortissement et des intérêts et de leur inclusion dans la mesure de redressement en matière de retraite. Après avoir rendu la décision de clarification de la mesure de redressement en matière de retraite, le Tribunal a demandé aux parties de produire des observations supplémentaires au sujet des paiements d’amortissement et des intérêts.

[8]               À présent, après avoir examiné les observations supplémentaires et les rapports actuariels supplémentaires relatifs aux paiements d’amortissement et aux intérêts, j’ai une meilleure compréhension du régime de retraite applicable et de son fonctionnement. À partir de là, je vois le désaccord qui règne entre les parties au sujet des paiements d’amortissement et des intérêts comme un désaccord relatif à la formulation employée pour énoncer la mesure de redressement. Autrement dit, le désaccord portait sur l’emploi par le Tribunal du terme « prestations » pour la période précédant le licenciement de la plaignante, par opposition à l’emploi du terme « cotisations » pour la période suivant le licenciement.

[9]               En employant ces deux termes distincts, le Tribunal souhaitait simplement établir une distinction entre la période précédant le licenciement de la plaignante et la période suivant ce licenciement. Ainsi, l’expression « cotisations de retraite faites par l’employeur » a été  utilisée à l’égard de la période suivant le licenciement pour souligner le fait que les cotisations de la plaignante ne devraient pas être incluses dans le calcul des sommes versées au titre de la pension qui ont été perdues pendant cette période. Autrement, l’objet de la mesure de redressement était de veiller à ce que « la plaignante puisse toucher des prestations de retraite qui se comparent à celles qu’elle aurait reçues par l’entremise de MTS » (voir la décision sur requête relative aux mesures de redressement en suspens, au paragraphe 22). Pour la période suivant le licenciement, le Tribunal voulait que la plaignante reçoive tout montant que l’intimée lui aurait donné (50 % de ce montant, moins ses propres cotisations) « [...] si la plaignante été restée à son service » (voir la décision sur requête relative aux mesures de redressement en suspens, au paragraphe 22).

[10]           Bien que, dans la décision sur requête de clarification de la mesure de redressement en matière de retraite, le Tribunal ait affirmé que l’intimée avait à juste titre interprété la mesure de redressement relative à la pension pour la période suivant le licenciement comme correspondant à 50 % des cotisations que l’intimée aurait versées, quand on tient compte des considérations relatives aux paiements d’amortissement et aux intérêts, cela équivaut à l’interprétation de la plaignante selon laquelle on devait lui accorder 50 % des prestations de retraite qu’elle aurait reçues moins les cotisations qu’elle aurait faites. Ces interprétations sont équivalentes parce que le régime de retraite applicable est un régime à prestations déterminées par opposition à un régime à cotisations déterminées. La plaignante a su décrire la différence entre ces deux régimes :

[Traduction]

12. Sous un régime à cotisations déterminées, les employés et l’employeur versent une certaine somme déterminée au régime. Ces cotisations sont investies sur le marché en vue de rapporter davantage d’argent dans le régime de retraite. Les prestations que les pensionnés recevront à leur retraite dépendront du montant des cotisations ainsi que de l’état du marché pendant la période au cours de laquelle les cotisations ont été investies. Par exemple, si le marché s’est très bien porté pendant la période au cours de laquelle les cotisations ont été investies, les prestations seront relativement élevées. Toutefois, si le marché s’est mal porté pendant la période au cours de laquelle les cotisations ont été investies, les prestations seront relativement faibles. Sous un tel régime de retraite, les prestations ne sont pas des sommes établies, et elles sont incertaines (« indéterminées »). Un régime de retraite à prestations déterminées est, à de nombreux égards, le contraire d’un régime de retraite à cotisations déterminées.

13. Sous un régime de retraite à prestations déterminées, les cotisations de l’employeur ne sont pas établies; elles sont incertaines (« indéterminées »). Toutefois, les prestations de retraite sont certaines et établies (« déterminées »). Par conséquent, il importe peu que le marché évolue à la hausse ou à la baisse, un régime de retraite à prestations déterminées garantit à un pensionné qu’il recevra une somme donnée, conformément aux dispositions de ce régime de retraite.

14. Dans un régime à prestations déterminées, c’est l’employeur qui assume les risques relatifs aux hauts et aux bas du marché. Par exemple, quand le marché se porte bien, il se peut que l’employeur n’ait absolument aucune cotisation à verser pour financer les prestations de retraite promises. Toutefois, quand le marché va mal, il se peut que l’employeur doive verser des cotisations bien supérieures à celles que les employées doivent verser afin de financer les prestations de retraite promises. Dans les deux cas, l’employeur a la responsabilité et l’obligation de veiller au financement suffisant du régime de retraite, de manière à garantir aux employés le versement de prestations particulières, déterminées et établies, à leur retraite.

15. Par conséquent, comme on peut le voir, sous un régime à prestations déterminées, le montant des cotisations que les employeurs doivent verser à tout moment peut varier radicalement. Toutefois, le montant des prestations qu’un pensionné est assuré de recevoir est fixe et certain, conformément aux modalités du régime de retraite.

16. Ainsi, sous un régime de retraite à prestations déterminées, l’employeur ne verse pas une somme déterminée et certaine à intervalles réguliers, et le montant des cotisations devra être estimé en se fondant sur certaines hypothèses. Indépendamment de ces hypothèses, il se peut que le montant des cotisations, à quelque moment que ce soit, n’ait aucune incidence sur le montant des prestations. Finalement, les prestations de retraite doivent être financées, mais les modalités de versement des cotisations visant à financer ces prestations peuvent grandement varier.

(Observations écrites de la plaignante au sujet de la pension de retraite de la plaignante, datées du 31 juillet 2013, aux paragraphes 12 à 16)

[11]           L’intimée souscrit à cette explication générale (voir les observations de l’intimée à l’égard de la mesure de redressement en matière de retraite, datées du 27 septembre 2013, au paragraphe 23).

[12]           Comme il a été mentionné dans la décision sur requête de clarification de la mesure de redressement en matière de retraite, le Tribunal n’a pas la compétence voulue pour interpréter et calculer les pensions. Il a élaboré la mesure initiale de redressement en matière de retraite en se fondant sur les observations des parties ainsi que sur la preuve dont il était saisi à l’époque. Ce n’est que bien après que le Tribunal a ordonné la mesure de redressement initiale que les parties ont produit des éléments de preuve actuariels et des éléments de preuve relatifs au fonctionnement du régime de retraite. Rétrospectivement, compte tenu du fait que la pension est un régime à prestations déterminées, il aurait été beaucoup plus facile pour le Tribunal d’ordonner que les prestations de retraite de la plaignante soient rétablies à un taux de 50 % pour la période suivant le licenciement, moins ses cotisations, comme l’intimée l’a mentionné antérieurement (voir les observations de l’intimée à l’égard de la mesure de redressement en matière de retraite, datée du 27 septembre 2013, au paragraphe 27). Toutefois, et encore une fois comme il a été déclaré dans la décision sur requête de clarification de la mesure de redressement, il ne s’agit pas de réexaminer l’ordonnance que le Tribunal a rendue en matière de pension, mais de s’assurer que cette ordonnance est correctement appliquée et qu’une victime de discrimination reçoit le plein montant qui lui est dû.

III.             Le calcul de la mesure de redressement en matière de retraite pour la période suivant le licenciement

[13]           Bien que les parties aient interprété les termes de l’ordonnance du Tribunal de manière différente, heureusement, quand on tient compte des considérations dont il a été question ci‑dessus, les deux parties arrivent au même résultat dans leurs rapports actuariels en ce qui concerne les prestations perdues après le licenciement.

[14]           À l’annexe D du rapport actuariel de l’intimée qui a été produit le 27 septembre 2013, l’intimée calcule 50 % des prestations de retraite de la plaignante pour la période suivant le licenciement et réduit la prestation du montant de ce qu’auraient été les cotisations de la plaignante pour cette période. Après avoir calculé 50 % du montant total de la retraite de la plaignante à la suite du licenciement et soustrait de cette somme les cotisations de cette dernière, l’intimée est arrivée à un total de 98 863,81 $.

[15]           De même, à l’annexe 1 du rapport actuariel de la plaignante qui a été produit le 18 octobre 2013, on calcule les [Traduction] « cotisations manquantes de l’employeur » (la somme normale plus les paiements d’amortissement et les intérêts) » pour la période suivant le licenciement, et on conclut que les cotisations de l’intimée se seraient élevées à 98 863,81 $.

[16]           Pour la période suivant le licenciement, les deux parties sont arrivées au même total de 98 863,81 $, que le calcul soit fondé sur 50 % des cotisations de l’employeur, ou sur 50 % des prestations de retraite moins les cotisations de la plaignante. Encore une fois, cela est dû au fait que le régime de retraite applicable est un régime à prestations déterminées par opposition à un régime à cotisations déterminées.

IV.             Les observations de l’intimée visant l’exclusion des paiements d’amortissement et des intérêts

[17]           L’intimée fait valoir qu’il ne convient pas de tenir compte des paiements d’amortissement et des intérêts pour l’application de la mesure de redressement en matière de retraite que le Tribunal a ordonnée.

[18]           Selon l’intimée, le Tribunal a ordonné le paiement de cotisations pour la période suivant le licenciement, et, théoriquement, les paiements d’amortissement attribuables à la plaignante ne sont pas pertinents à l’égard de la période suivant le licenciement et ne concernent que la période antérieure au licenciement. Autrement dit, les paiements d’amortissement à verser après le licenciement ne se rapportent pas « à la période suivant le licenciement », mais « à la période précédant le licenciement », parce qu’ils servent à financer, en partie, les prestations acquises au service de l’employeur avant le licenciement. De l’avis de l’intimée, pour que les paiements d’amortissement requis pour la période suivant le licenciement soient théoriquement applicables dans le cas de la plaignante, le Tribunal aurait dû ordonner que les prestations s’accumulent après la date du licenciement; toutefois, la décision sur requête de clarification de la mesure de redressement en matière de retraite confirme que l’ordonnance allait dans la direction opposée. L’intimée soutient que, si des paiements d’amortissement étaient accordés à l’intimée pour la période suivant le licenciement, cela aboutirait à une double indemnisation pour la période précédant le licenciement parce que la plaignante recevrait à la fois les prestations et les cotisations finançant cette prestation pour la même période, à savoir celle qui a précédé le licenciement.

[19]           À titre subsidiaire, si le Tribunal devait accorder les paiements d’amortissement, l’intimée estime que la part de la plaignante des [Traduction] « paiements d’amortissement réels » exigés [Traduction] « pendant » la période ayant suivi le licenciement s’élève à 4 251 $, soit à 50 % de 8 501 $.

[20]           L’argument de l’intimée relatif à l’exclusion des paiements d’amortissement découle d’une interprétation étroite et stricte de la distinction à opérer entre des prestations et des cotisations, ainsi que du libellé de l’ordonnance du Tribunal. Vu que le régime de retraite est un régime à prestations déterminées, l’exclusion de paiements d’amortissement, ou le fait de n’inclure que les [Traduction] « paiements d’amortissement réels » exigés [Traduction] « pendant » la période ayant suivi le licenciement, s’éloignerait de l’intention sous‑tendant l’ordonnance du Tribunal, aux termes de laquelle la plaignante s’est vu accorder les prestations de retraite qu’elle aurait reçues de l’intimée si elle était restée à son service. Il n’y a pas de double indemnisation parce que, une fois encore, le régime de retraite est un régime à prestations déterminées. Indépendamment de la question de savoir si les paiements d’amortissement ont été effectués avant ou après le licenciement, les prestations de retraite demeurent inchangées. En outre, le fait de n’accorder que les paiements d’amortissement [Traduction] « effectivement versés » après le licenciement ne compenserait que faiblement la perte véritablement subie par la plaignante, et, encore une fois, ce ne serait pas pertinent dans le contexte des prestations déterminées prévues par le régime de retraite applicable.

[21]           L’intimée fait également valoir que le Tribunal n’a pas la compétence voulue pour ordonner le versement d’intérêts ou de cotisations de l’employeur. Elle affirme que la décision sur requête de clarification de la mesure de redressement en matière de retraite est venue confirmer que le Tribunal lui avait ordonné de payer des prestations de retraite pour la période précédant le licenciement et 50 % des cotisations de l’employeur pour la période suivant le licenciement. Le Tribunal n’a jamais ordonné à l’intimée de payer des intérêts, que ce soit sur les prestations ou sur les cotisations. En fait, l’intimée renvoie à la décision sur requête relative aux mesures de redressement en suspens, dans laquelle, quand il a accordé des intérêts sur d’autres mesures de redressement compensatoires, le Tribunal a refusé d’accorder des intérêts sur la pension de retraite parce que « les mesures de redressement liées à la pension de retraite [...] de la plaignante ne sont pas des paiements d’indemnité car elles ont pour but de rétablir un avantage suivant l’alinéa 53(2)b) de la Loi » (au paragraphe 21). Selon l’intimée, le raisonnement du Tribunal se situe dans le droit fil du paragraphe 53(4) de la Loi, qui donne au Tribunal le pouvoir de rendre des ordonnances accordant des intérêts uniquement sur l’indemnité. Vu que la mesure de redressement en matière de retraite n’est pas un paiement d’indemnité, le Tribunal n’a pas la compétence voulue pour accorder des intérêts. Aux yeux de l’intimée, la décision reste inchangée et ne peut plus être modifiée que par contrôle judiciaire.

[22]           À titre subsidiaire, l’intimée soutient que, si le Tribunal conclut qu’il peut accorder des intérêts sur la mesure de redressement en matière de retraite, il ne devrait pas accorder les intérêts demandés parce qu’ils sont bien supérieurs aux intérêts normalement accordés par le Tribunal et qu’il n’existe en l’espèce aucune circonstance justifiant qu’on déroge à la pratique normale (voir le paragraphe 9(12) des Règles de procédure du Tribunal canadien des droits de la personne (03-05-04) (les « Règles »)). À titre subsidiaire encore, l’intimée affirme que, dans son rapport actuariel, la plaignante n’a pas correctement calculé les intérêts sur les paiements normaux ou d’amortissement parce qu’elle ne s’est pas servi des taux de rendement appropriés.

[23]           Le fait d’inclure des intérêts sur les paiements normaux et d’amortissement dans la mesure de redressement en matière de retraite n’est en aucune façon tributaire du pouvoir dont le Tribunal dispose d’accorder des intérêts au titre du paragraphe 53(4) de la Loi ou du paragraphe 9(12) des Règles. Les intérêts ou le taux de rendement de l’investissement des paiements normaux et d’amortissement se rapportent plutôt à une fonction incluse dans le régime de retraite applicable. Encore une fois, cela s’explique par le fait que le régime de retraite est un régime à prestations déterminées, par opposition à un régime à cotisations déterminées. Considérant qu’il s’agit de prestations déterminées, le point de départ pour le calcul de la présente mesure de redressement est ce que les prestations de retraite de la plaignante auraient été si celle‑ci était restée au service de l’intimée. Si on soustrait de ce montant les cotisations que la plaignante aurait faites, on obtient le montant des cotisations que l’employeur doit verser en vue d’obtenir la prestation déterminée. Bien que le libellé et l’interprétation de l’ordonnance du Tribunal aient conduit les deux parties à calculer la mesure de redressement de manière différente, elles sont finalement arrivées au même résultat : 98 863,81 $. Toute différence dans le taux de rendement applicable des paiements normaux et d’amortissement ne change rien à ce résultat final.

[24]           Qu’on qualifie les cotisations de l’employeur au régime de retraite de paiements normaux ou d’amortissement, et quelle que soit la méthode employée pour justifier le taux de rendement de ces cotisations, au bout du compte, l’intimée doit verser des prestations déterminées à ses employés. Bien que les cotisations de l’intimée varient, les prestations restent identiques. Par conséquent, le fait d’exclure les paiements d’amortissement et les intérêts de la présente mesure de redressement et de n’accorder que les cotisations normales, comme l’intimée le demande, serait loin de garantir que « la plaignante puisse toucher des prestations de retraite qui se comparent à celles qu’elle aurait reçues par l’entremise de MTS [...] » si la plaignante était restée à son service (voir la décision sur requête relative aux mesures de redressement en suspens, au paragraphe 22).

V.                L’application de la mesure de redressement en matière de retraite

[25]           Pour la période précédant le licenciement de la plaignante, les parties ont confirmé que la plaignante avait droit à ses pleines prestations de retraite, et ces prestations peuvent lui être versées dans le contexte du régime de retraite applicable.

[26]           Pour la période suivant le licenciement, l’intimée affirme que les cotisations de l’employeur applicables ne peuvent pas être versées directement dans le régime de retraite, comme le prévoyait l’ordonnance du Tribunal. Selon l’intimée, il s’agirait d’une violation de la Loi de l’impôt sur le revenu, ce qui pourrait entraîner de graves conséquences pour le régime de retraite ainsi que pour ses membres. L’intimée propose de verser une somme forfaitaire, que la plaignante pourra alors déposer dans un REER.

[27]           À titre subsidiaire, la plaignante propose que l’intimée puisse acheter une rente pour payer à la plaignante une prestation déterminée garantie de 405,44 $ par mois. L’intimée n’est pas pour cette solution du fait des coûts supplémentaires qu’elle devrait assumer pour la mettre en œuvre, coûts qu’elle estime être entre 24 000 $ et 60 000 $. Selon l’intimée, le fait de lui imposer une telle solution, alors qu’une solution plus économique est disponible pour fournir la même prestation, ne va pas dans le sens de la décision sur requête relative aux mesures de redressement en suspens, dans laquelle le Tribunal a affirmé que la mesure de redressement en matière de retraite ne visait pas à sanctionner l’intimée.

[28]           Pour 2013, le maximum déductible au titre du REER de la plaignante  est en deçà de 98 863,81 $ (voir l’onglet 5 du Rapport d’expert de Louis Ellement, le 29 juillet 2013). À moins que le maximum déductible au titre du REER de la plaignante pour 2014 permette de couvrir le montant, la mesure de redressement en matière de retraite devra être versée à la plaignante sous forme de rente. Les coûts supplémentaires générés par le versement d’une rente ne constituent pas une sanction  à l’égard de l’intimée. Il s’agit des coûts nécessaires à l’application de l’ordonnance du Tribunal, qui, selon l’intimée, ne peut pas être mise en œuvre par l’intermédiaire de son propre régime de retraite. L’ordonnance du Tribunal était ainsi libellée :

S’il est impossible de rétablir le régime de retraite antérieur, il faudra prendre les dispositions nécessaires pour rétablir les prestations de retraite perdues, de la manière décrite plus tôt, dans un régime ou un programme comparable en veillant à ce que la plaignante puisse toucher des prestations de retraite qui se comparent à celles qu’elle aurait reçues par l’entremise de MTS.

(Décision sur requête relative aux mesures de redressement en suspens, au paragraphe 22)  

[29]           Aussi, la somme due à la plaignante devra être rajustée en fonction de la date d’application des termes de l’ordonnance.

VI.             Ordonnance

[30]           Par conséquent, conformément aux motifs énoncés ci‑dessus, la décision et ordonnance finale du Tribunal en ce qui concerne la mesure de redressement qu’il convient d’accorder à la plaignante est la suivante :

(1)               L’intimée replacera les prestations de retraite de la plaignante dans la situation où elles se trouvaient au moment du licenciement et lui versera ces prestations par l’intermédiaire du régime de retraite.

(2)               Pour la période s’étendant entre la date du licenciement et celle de l’application des dispositions de la présente ordonnance, l’intimée versera à la plaignante la moitié (50 %) des cotisations de retraite qu’elle aurait versées dans son régime de retraite si elle ne l’avait pas licenciée, moins le montant des cotisations que la plaignante aurait versées (98 863,81 $, rajustés en fonction de la date d’application).

(3)               Si la plaignante dispose de suffisamment de droits de cotisation à un REER pour la somme totale qui lui a été accordée au point (2) de l’ordonnance, énoncé ci‑dessus, alors la somme lui sera versée sous la forme d’un paiement forfaitaire.

(4)               Si la plaignante ne dispose pas de suffisamment de droits de cotisation à un REER pour la somme totale qui lui a été accordée au point (2) de l’ordonnance, énoncé ci‑dessus, alors l’intimée achètera une rente qui versera à la plaignante une prestation déterminée garantie équivalant à la moitié (50 %) des cotisations de retraite qu’elle aurait versées dans son régime de retraite si elle ne l’avait pas licenciée, moins le montant des cotisations que la plaignante aurait versées (405,44 $ par mois, rajustés en fonction de la date d’application).

Signé par

Sophie Marchildon

Juge administrative

Ottawa (Ontario)

10 avril 2014

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